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Article de revue

Buissonnière et initiatique : la participation locale à travers les pèlerinages politiques

Pages 73 à 95

Notes

  • [1]
    Dans le sillon de la critique de la modernisation au sein des formes de participation pour la démocratie environnementale analysées par Barbier et Larrue (2011).
  • [2]
    Étant donné le caractère clandestin du projet, et afin de protéger les activistes et les destinataires locaux de ces projets de coopération, les textes sont anonymisés. Toutes les traductions ont été effectuées par mes soins.
  • [3]
    Pour mieux comprendre les enjeux de ces critiques, il faut bien situer cette dynamique dans le contexte italien, dans lequel est très présente ce que l’on appelle l’anti-politique, qui rappelle par certains traits le phénomène états-unien décrit par Bennett, Cordner, Klein, Savell et Baiocchi (2013).

1Au Mexique et en Italie, des associations aux revendications très différentes ont en commun une manière de se légitimer en tant qu’acteurs politiques aux yeux des institutions ou de la société civile, en ayant recours à des pratiques similaires d’autogestion des squats urbains, de la terre et du territoire. Ces pratiques sont considérées comme porteuses à la fois d’une économie alternative et plus éthique, et de valeurs politiques alternatives qui refusent la politique institutionnelle.

2Se situant pleinement dans le « buissonnier » interrogé par ce numéro, les militants qui composent ces associations se construisent par le rejet des formes de la participation publique classique (partis, syndicats) en recherchant une sorte de clandestinité relative (au sens où ils ne vivent pas en clandestinité au sens strict du terme).

3On retrouve chez eux deux formes principales de participation buissonnière : tout d’abord, des pratiques rituelles identifiées analytiquement ici en tant que formes de participation buissonnière et d’initiation à la participation en tant que telle ; ensuite, des occupations illégales de squats et de terres, qui constituent des pratiques clandestines, au sens où elles sont reconnues et revendiqués en tant que telles par les militants. Nous mettrons en évidence la relation structurelle qu’entretiennent ces deux aspects.

4Tissant leurs relations et leurs déplacements entre Italie et Chiapas, organisant leurs pratiques autour de rituels à caractère initiatique, et se percevant en partie comme les héritiers d’un imaginaire clandestin lié aux mouvements des années soixante-dix, parfois proches de la lutte armée (les « années de plomb » italiennes), sans doute ces militants se sentent-ils plus buissonniers qu’ils ne le sont réellement. Une certaine atmosphère de roman d’espionnage qui se crée autour de leurs activités joue un rôle central dans la production du sentiment d’appartenance à une communauté politique à laquelle on accède par le biais d’une initiation. Cet imaginaire clandestin se renforce dès lors que les militants se retrouvent en terre mexicaine, probablement du fait de leur relation avec la clandestinité réelle de la guérilla zapatiste. Dans cet imaginaire, le dispositif initiatique lié au voyage revêt une grande importance. Comme le relève Maurice Godelier, pour exister en tant que groupe ou société : « Nous sommes devenus nous-mêmes lorsque nous avons construit notre propre Tsimia et initié nous-mêmes nos enfants » (2009, p. 23).

5Certains travaux récents (Gobin, 2016 ; Houseman, 2010 ; Galinier, Molinié, 2006) montrent que l’analyse des récits et des mises en avant de la réflexivité des participants est une méthodologie féconde pour lire le parcours d’engagement des sujets. Plus spécifiquement, on considère ici la réflexion sur l’expérience du voyage militant et sur ses rites comme « ordre du discours » (Foucault, 1971), c’est-à-dire comme une structure en mesure de justifier des actions. On se propose de contribuer à une compréhension nouvelle des vécus politiques antagonistes en interrogeant les processus de subjectivation (Foucault, 1984 ; Giddens, 1991 ; Ortner, 2006 ; Bracke, 2015). L’axe d’analyse principal est celui des manières dont les activistes construisent un rapport à eux-mêmes à l’aide d’un certain nombre de techniques qui leur permettent de se constituer comme sujet de leur propre existence. Dans le débat sur la fin des idéologies et des grands récits politiques, l’apport de cette approche est d’éclairer la dimension intime de l’engagement politique, en montrant comment il s’intègre à la dimension collective. On étudie ici les voyages des militants et les narrations dans lesquelles ils décrivent leur parcours politique, empruntant pour ce faire au biographique et au spirituel. On examine donc le registre émotionnel afin d’analyser la dimension subjective (Moore, 2013) et collective (Sommier, Lefranc, 2009) de la participation, en appréhendant également de manière bourdieusienne les émotions comme des pratiques socialement situées (Scheer, 2012).

6Des travaux (Olesen, 2005 ; Kashnabish, 2008) ont mis en lumière les aspects sociologiques des mobilisations de « l’Internationale zapatiste » et de ses stratégies de communication (Ferron, 2015). En me concentrant sur le cas italien, je veux examiner les subjectivations à l’œuvre dans ces circulations et dans les formes de participation buissonnière qui s’y construisent.

S’émanciper des hétéronomes

7Le plus souvent désignées comme « les autonomes » dans la mesure où elles sont issues de l’Autonomie ouvrière des années 1970, les personnes auxquelles on s’intéresse ici animent des CSO (Centres Sociaux Occupés, autrement dit des squats urbains) et se rendent régulièrement, depuis 1994, chez les zapatistes pour y « apprendre l’utopie » préindustrielle indigène, présentée comme communautaire et écologique, et qui suit le modèle de l’utopie native décrit par Nash (2001).

8Ils expriment majoritairement un refus net de la participation classique (par exemple dans des partis ou des syndicats), cherchant en cela (de manière plus ou moins réussie) à fuir les catégories pratiques du champ politique ainsi que les catégories de la science politique, qu’ils appréhendent comme autant de normes. Je les ai définis ailleurs comme « politiquement queer » (Apostoli Cappello, 2017), au sens où ils expriment un refus des idéologies classiques et cherchent à devenir indéfinissables politiquement.

9Héritiers d’un foucaldisme vulgarisé, ils considèrent en définitive que le vrai pouvoir est celui de s’autodéfinir, et ils cherchent en ce sens une clandestinité buissonnière.

10Sur cette base, depuis les années 1990, les cultures antagonistes italiennes ont développé des modalités de participation cachée, autogestionnaire, clandestine, qui prétendent échapper le plus possible à l’institutionnalisation, sur le modèle des TAZ (les Temporary Autonomous Zones, dont parle Hakim Bey, 1991). S’il en est ainsi, c’est entre autres parce que ces cultures politiques émanent de groupes qui ont fait l’objet de procédures judiciaires les ayant désignés et condamnés comme coresponsables de la violence politique des « années de plomb » (Sommier, 2010).

11Pour les antagonistes, le zapatisme a été central dans le processus d’élaboration narrative et théorique de l’histoire de la violence politique en Italie. En outre, il a permis à des militants aux parcours collectifs brisés, et aux relations interpersonnelles déchirées par les enquêtes judiciaires du début des années 1980, de se rencontrer au Mexique et de recommencer à parler et à partager des expériences utopistes concrètes, dans un contexte militant alors très vivant, de 1994 et jusqu’à la première partie des années 2000 (Apostoli Cappello, 2013).

12« Suivre le voyage » (Marcus, 1995) permet ici de mettre en lumière une différence de nature entre formes buissonnières et ordinaires, perceptible dans des registres le plus souvent évacués de l’expérience participative, tels que l’émotion communautaire et les vécus spirituels imbriqués dans l’expérience du politique par le biais de cérémonies et de pèlerinages.

13Le caractère buissonnier de ladite participation naît de ces voyages initiatiques (à travers et durant ceux-ci), et le réinvestissement de la notion d’autochtonie, dûment subjectivisée, se fait dans le contexte italien. Par ce biais, différentes pratiques de participation à l’échelle locale constituent, en Italie, des processus de reterritorialisation.

14Nous nous intéressons ici à une tradition politique spécifique, l’« antagonisme » italien, qui revendique le rôle d’acteur démocratique authentique tout en refusant, dans une rhétorique qui se veut radicale, les règles de la démocratie représentative et participative. Ces activistes se considèrent comme « non idéologiques » ou encore « anti-idéologiques », tenant ainsi à se différencier des militants « idéologisés » maoïstes-léninistes des années 1970. Ils occupent de préférence des espaces urbains tels que les squats, les théâtres, les cinémas, les jardins urbains. En partie héritiers de l’Autonomie ouvrière italienne, ils sont encore aujourd’hui classés par les journaux et l’opinion commune parmi les « autonomes » (Bianchi, Caminiti, 2007a, 2007b ; Balestrini, Moroni, 1997), et s’engagent dans des formes de coopération militante qui mélangent internationalisme et exotisme guérillero (Chiapas, Palestine, Kurdistan). Ces activistes ne votent pas et n’appartiennent à aucun parti ou syndicat, institutions que la plupart d’entre eux n’apprécient guère. Ils déclarent même ne pas faire de politique. Pourtant, beaucoup parmi eux vivent d’investissements existentiels très importants dans une participation politique caractérisée par un relatif secret, recherchant l’exode (Virno, 2002) d’un ordre social et temporel qu’ils considèrent comme en désagrégation. Ils inventent donc des formes nouvelles et buissonnières de participation.

15D’une manière générale, on peut observer que ces militants usent d’une sorte de subsidiarité pour se légitimer en tant qu’acteur social sur le territoire : ils s’efforcent en effet de montrer qu’en réponse aux besoins sociaux ou environnementaux du territoire, ils sont en mesure de créer, dans les espaces autogérés, des services qui n’existaient pas. Mes terrains à Rome, à Bologne et en Vénétie, témoignent d’une repolitisation qui se veut émancipatrice et souverainiste au sens large, et qui passe par la combinaison des dimensions culturelle, socioéconomique et sociopolitique. Elle s’appuie sur la mise en œuvre d’alternatives concrètes articulées à des questions portant sur la place de l’économie dans notre société.

16En dépit de leur dimension locale, ces initiatives portent sur des enjeux de société et visent à un approfondissement de la démocratie qui implique pour se réaliser une inscription dans l’économie. De plus, ces initiatives participent d’une reconfiguration des formes de protection sociale, entre désengagement de l’État et invention de nouvelles politiques publiques. Ceci les pousse à mettre en œuvre un véritable réseau de welfare informel, qui consiste par exemple en des guichets de renseignements juridiques pour migrants, des cabinets temporaires d’avocats pour les squatteurs des logements urbains, des aides techniques à disposition de ces mêmes squatteurs pour obtenir des branchements illégaux aux réseaux d’eau et d’électricité publiques, des gymnases et des crèches, des ateliers de récupération d’ordinateurs, des programmations artistiques telles que théâtre et concerts à prix social, des potagers collectifs et des marchés de quartier de fruits et légumes locaux en achat direct.

17Formant de la sorte des « sociétés contre l’État », autogérées et alternatives aux logiques hégémoniques du marché, les activistes en cause conçoivent la polis, c’est-à-dire le territoire municipal, comme le champ principal d’une potentielle transformation politique et sociale. Dès lors, se mobilisant pour des raisons liées à leur territoire, ces acteurs ont redéfini la citoyenneté d’une manière originale : l’analyse laisse en effet transparaître une idéologie où le droit de décider au sujet de son territoire devient le cœur d’une conception de la citoyenneté basée sur le sol, et donc d’une perspective d’autochtonie indigène (de Certeau, 1994). S’ils n’utilisent pas directement ce terme, mon étude m’a néanmoins permis d’utiliser ce cadre d’analyse, notamment car c’est au nom de ce droit à décider sur le sol et sur son usage qu’ils prennent la parole pour revendiquer une souveraineté citoyenne.

18Ceci étant, les organisations antagonistes ne sont pas uniquement des mouvements localistes (Jobert, 1998). Ces acteurs cosmopolites s’impliquent au niveau régional ou transnational au sein des mouvements pour une justice globale. Ceci n’est pas contradictoire avec le fait que ces réseaux activistes se caractérisent par une prévalence de la nature territoriale des revendications de souveraineté, par rapport aux grands récits.

19Dans leur dimension spatiale, ces circuits alternatifs déploient des pratiques de participation dans l’ordinaire, au quotidien, et au niveau local (occupation de squats, welfare autogéré, occupation de terres à cultiver), et des pratiques rituelles qui appartiennent à mon sens aux « participations buissonnières » clandestines. Par ces pratiques, ils tentent de retrouver de la souveraineté sur des espaces qui apparaissaient jusqu’alors hors du contrôle public, en les reterritorialisant. Naissent ainsi des modes génératifs de la socialité et des mobilisations politiques, qui créent de nouvelles formes de citoyenneté.

Méthodologie

20C’est dans ces espaces que j’ai observé mes interlocuteurs et que je les ai interrogés sur leurs pratiques de participation locale. Mais je les ai également suivis au Chiapas au cours de plusieurs voyages, pour observer comment prend forme là-bas la dimension buissonnière de leur engagement.

21J’ai ainsi examiné des projets de coopération militante au développement – différente de la coopération professionnelle des ONG –, des pratiques de recrutement, et des événements réflexifs comme des assemblées, des récits de voyage, des débats politiques.

22Concrètement, j’ai suivi au cours d’une longue recherche (2005-2009) ethnographique multi-située (Marcus, 1995) dans les villes de Rome, Bologne, Venise et Padoue, des groupes d’activistes écosocialistes italiens dans leurs voyages initiatiques et pèlerinages politiques vers le Chiapas insurgé.

23J’ai choisi quelques dizaines d’activistes d’inspiration écosocialiste, anarcho-libertaire, catholique, afin de représenter les composantes principales du mouvement altermondialiste. J’ai séjourné durant de longs mois dans toutes les villes mentionnées précédemment. En même temps, et par intermittence au cours de ces nombreux voyages, j’ai suivi certains individus (c’est le cas des deux activistes anarchistes que je présenterai plus tard) et des groupes (comme celui de la caravane zapatiste de l’association YB que j’évoquerai également). Avec eux, j’ai conduit principalement des observations participatives, en Italie et au Mexique. J’ai recueilli des écrits privés et j’ai mené des dizaines d’entretiens semi-dirigés.

24Mon positionnement est un élément central et a un fort potentiel heuristique. Je me suis relativement dissimulée des autorités mexicaines, j’ai participé à la clandestinité buissonnière au Mexique, je me suis enfuie avec mes interlocuteurs comme Geertz (1973) lors de l’irruption de la police durant des combats de coqs, et j’ai été reconnue au Chiapas en tant que membre d’une communauté militante, puis également en Italie. Cela étant, j’ai toujours précisé que mon rôle était celui d’une chercheuse-observatrice. Travaillant avec des individus très réflexifs, possédant diverses compétences scientifiques (parfois superficielles, parfois au contraire incarnées par de réelles carrières académiques), et dont les principales pratiques militantes, individuelles et collectives, sont théorétiques (écriture et débat), il est survenu un important court-circuit épistémologique. L’adhésion qu’ils attendaient de moi était une adhésion théorétique. Ainsi, partageant avec eux un certain nombre de références théoriques propres aux sciences sociales et à la philosophie politique, il n’a pas été facile de séparer les dimensions émique et étique de la recherche. La vigilance épistémologique, qui contrebalance normalement la construction de l’altérité, était ici différente. J’ai considéré comme « intellectuels organiques » des références scientifiques comme Antonio Negri ou Emmanuel Wallerstein, tout en sachant très bien qu’il est impossible de séparer clairement les deux dimensions. J’ai travaillé dans une dynamique de feedback intensif et constant, dans laquelle je me suis souvent retrouvée à discuter dans des contextes académiques avec des interlocuteurs de mon terrain. La condition d’« étrangeté familière » dont parle Ouattara (2004) a été non seulement géographique, mais également et surtout intellectuelle.

25Afin de respecter la demande d’anonymat de mes interlocuteurs, qui se construisent sur l’idée de clandestinité, j’ai anonymisé toutes mes sources.

26Dans le cadre méthodologique décrit jusqu’ici, j’ai suivi le voyage de personnes et de notions. En particulier, j’utilise ici la notion hétéroclite de « terre », revendiquée et déclinée sur les deux rives de l’Atlantique simultanément comme :

  1. une parcelle à occuper et cultiver (dans les insurrections paysannes zapatistes et dans les communautés néorurales en Italie) ;
  2. un territoire à « libérer » des intérêts du capital, qui dépossède ses habitants de la possibilité d’agir comme citoyens-décideurs à l’échelon local ;
  3. la Terre mère ou Pachamama, donnée biologique essentialisée en une entité spirituelle qui incarne et culturalise l’idée d’une nature à défendre.

27Dans leurs narrations réflexives sur leur propre parcours d’implication dans des pratiques de participation politique qui s’intensifient à la suite du voyage au Chiapas, tous mes interlocuteurs opèrent un glissement sémantique continu et systématique entre ces trois acceptions de la terre. Ils lient ainsi les aspects matériels et spirituels, économiques et moraux de l’émancipation anticapitaliste à laquelle ils aspirent.

Journaux intimes d’activistes : nier la militance, nier l’appartenance

28Le voyage initiatique au Chiapas est la pratique qui transforme ces militants en leur donnant un ordre de sens partagé, et qui enracine leur socialisation quotidienne locale, en Italie, dans une forme de participation buissonnière dont usent des sujets qui partagent une espèce de secret (Houseman, 2002, 2012) : l’expérience du Chiapas insurgé et clandestin, habité par des zapatistes aux visages cachés par des cagoules ou des bandanas.

29J’ai nommé ces militants « cosmopolites dépaysés », en retournant la définition sociologique que donne Tarrow (2005) de ces mêmes activistes altermondialistes. Celui-ci en parle en effet comme des « cosmopolites enracinés », qui reconnaissent la légitimité de fidélités plurielles, insistant sur la base démocratique commune. Toutefois, à la lumière d’une ethnographie focalisée sur les biographies, et dans une optique anthropologique, on pourrait parler de « cosmopolites déracinés », car c’est justement la condition de crise et de dépaysement qui constitue la particularité sous-jacente qu’il faut avoir à l’esprit pour comprendre ces activistes et leur recherche de nouveaux lieux où tenter des enracinements inédits.

30Ces militants essaient de trouver de la place et du sens dans le temps par le biais d’actions spatialement situées, et notamment des voyages initiatiques et des pèlerinages vers la source de leur inspiration politique (le Chiapas). Ils cherchent un enracinement dans la terre, mais affirment également que leur temps est celui d’une nouvelle apocalypse, d’un ordre en train de se défaire (l’ordre du monde occidental, individualiste et capitaliste). Naît alors de ce double impératif la recherche d’utopies communautaires concrètes.

31Étroitement liée à l’idée d’apocalypse, la notion de dépaysement vient du « spaesamento » d’Ernesto De Martino (1977), en dialogue avec la psychanalyse. Cette catégorie est difficilement traduisible en français, car « dépaysement » est un terme beaucoup moins fort que le « spaesamento » italien. Elle se situe plutôt entre le « décalage » bourdieusien et le « détour » de Balandier.

32Les revendications écosocialistes de ces militants visent à émanciper les vies et les territoires des logiques néolibérales. Cependant, à côté de la dimension émancipatrice de leurs pratiques, on trouve la tentative de fabriquer un ancrage dans le temps : en effet, ces communautés politiques sont teintées de primitivisme (dans le sillon qui va de Rousseau et Thoreau jusqu’à Zerzan), et d’un romantisme préindustriel anticapitaliste qui oppose la « nature » au « progrès » [1]. Pour comprendre la fonction politique et fondatrice de cette nostalgie, il faut faire appel à la notion de « nostalgie structurelle » de Herzfeld (1997). La quête d’ancrage relève d’une dimension d’ordre générationnel. Tous mes interlocuteurs de la génération des 20 à 40 ans, lorsqu’ils parlent de leur voyage au Chiapas et de leur militance italienne, font référence de manière récurrente au besoin de renouer avec les générations passées dans une perspective parfois édénique. Dans les journaux intimes que je présente par la suite, l’ensemble de ce processus est décrit.

33Des activistes italiennes ont vécu pendant environ trois ans (2005-2008) au Chiapas, parmi la communauté zapatiste de la municipalité d’Altamirano. J’ai pu observer matériellement leur voyage, et suivre l’évolution du parcours d’individuation de soi de ces femmes depuis leur départ d’Italie. Elles ont toujours revendiqué avec orgueil le fait de ne prendre part à aucune des activités qu’elles considèrent comme de la politique participative, revendiquant ainsi un refus de la démocratie représentative et participative, tout en militant néanmoins activement, mais d’une façon qu’elles souhaitent « cachée », aussi bien dans les réseaux anarchistes en Europe que dans les villages zapatistes.

34En 2005, juste avant leur départ, nous nous sommes retrouvées en Italie à l’occasion d’une réunion du réseau anarchiste solidaire avec le Chiapas. Ce réseau rassemble, en une commune rurale, des activistes et des petits groupes qui veulent collaborer avec la cause chiapanèque et mettre en œuvre des projets d’inspiration zapatiste (principalement des communes autogérées) en Italie. Deux jeunes femmes ont mené au Chiapas, avec le soutien du réseau anarchiste en question, leur projet destiné à promouvoir « l’éducation autonome zapatiste » ; l’une et l’autre avaient terminé un parcours universitaire orienté vers la formation et l’éducation, mais n’avaient pas trouvé en Italie une perspective professionnelle jugée satisfaisante.

35J’ai eu accès à leurs écrits diffusés à des amis environ chaque semaine par courrier électronique sous forme d’un journal spontané. Le lien avec le réseau anarchiste soutenant le projet y est exprimé avec un très faible sens d’appartenance au groupe (elles déclaraient « ne pas en faire partie », « ne pas être militantes »), mais elles manifestaient en revanche le sentiment d’un lien interpersonnel très fort avec beaucoup des personnes composant ce groupe, et avec lesquelles elles collaboraient constamment au Chiapas comme en Italie.

36Les extraits de leurs journaux [2] montrent dans quel discours s’inscrit la participation telle qu’elles l’appréhendent : souterraine, liée à la dimension locale, et enchevêtrée dans l’aspiration à une vie préindustrielle. Dans chacun des cas émerge un exotisme qui, comme nous le verrons, contribue à rendre « autre » le monde chiapanèque, au point qu’il en devient presque transcendant. L’expérience du transcendant ainsi construit, et du « secret » dans la selva (forêt), sont en soi à la fois initiatiques et buissonniers. Ce monde est habité par des militants autogestionnaires indigènes clandestins, aux visages cachés, idéaux et idéalisés, qui constituent l’horizon existentiel vers lequel tendent mes sources aussi bien que beaucoup d’autres militants du même âge et appartenant à la même culture politique. Comme dans un pèlerinage, c’est le contact avec la source de légitimation qui est recherché. Dans les passages qui suivent, ces femmes décrivent les militants de l’organisation zapatiste au quotidien, montrant clairement l’imaginaire qui donne un sens à leur idée de communauté :

37

« C’est beau de vivre ici avec eux, en plein contact avec la nature qui est partout… qui fait partie de la vie de tous les jours, ou plutôt, sans qui la vie elle-même n’aurait pas de sens… la terre sous les pieds nus des enfants et des femmes, la terre sur laquelle on se roule libre de la peur de se salir, la terre Mère, la Pacha mama, qui donne ce dont on se nourrit… et donc la vie… je me rends compte en vivant ici de tout ce que nous avons perdu ».
(C., 18 mars 2006, Chiapas)

38

« Je suis en train d’apprendre beaucoup de choses des paysans indigènes du Chiapas, des choses que nous avons désormais oubliées […] eux connaissent la nature en profondeur, ils la comprennent comme si elle était une personne… et en effet pour eux elle l’est, vu qu’ils l’appellent Mère ».
(G., 18 mars 2006, Chiapas)

39Ces activistes réagissent à la modernité italienne, où les processus d’urbanisation, alliés à l’émergence et la consolidation de nouveaux modèles de famille nucléaire dans les trente dernières années, ont eu pour conséquence une rupture de la transmission intergénérationnelle du savoir et des pratiques liées à l’autosubsistance rurale. Et c’est précisément depuis de nouveaux enracinements plus ou moins imaginés dans la terre (dans toute sa polysémie), que les militants italiens imaginent que le sens de leur agir politique commun peut surgir, de façon mimétique par rapport à ce zapatisme en partie romancé (Berger, 2001). Ces activistes parviennent ainsi à une continuité historique et nourrissent en cela la dimension temporelle d’un processus de reterritorialisation en Italie, inspiré par l’autosubsistance rurale des communautés zapatistes.

40Le rêve d’une vie préindustrielle exprime, sur le plan temporel, une nostalgie qui se traduit, sur le plan spatial, par un dépaysement conduisant à la recherche d’un lieu utopique, le Chiapas, dans lequel on se représente la communauté idéale qui résiste à la modernité capitaliste par l’autogestion et en se cachant dans la selva.

41Émerge de la parole des activistes une tension entre un enracinement revendiqué, qui s’exprime à travers une autochtonie comme ordre du discours visant à pouvoir décider sur le sol, et un enracinement recherché, qui s’exprime par un dépaysement structurel. Par opposition à une société urbanisée et ultra-individualisée, les acteurs manifestent une grande nostalgie pour la vie communautaire paysanne, reprenant un flux souterrain qui conjugue la tradition politique de l’« internationalisme prolétaire » avec des mouvements d’inspiration écologiste associés à des projections exotisantes dans la recherche de petites communautés authentiques qui vivraient dans une prétendue symbiose vertueuse avec la nature. Aux yeux des activistes, les villages du Sud mexicain incarnent, par certains aspects, leur propre passé idéalisé, et représentent la possibilité de l’expérience d’un environnement encore « typiquement » rural. L’idéal de la communauté rurale se traduit par une valorisation de la communauté de petite dimension qui revendique l’autochtonie sur son territoire, et use pour ce faire de la reterritorialisation en tant que pratique de résistance anticapitaliste. C’est ainsi principalement à l’échelle municipale que prennent forme, de la manière la plus concrète, les aspirations démocratiques des activistes qui revendiquent une gestion par le bas du territoire comme unique possibilité de renouvellement des contenus et des procédures de la sphère politique.

Voyages initiatiques et pèlerinages politiques

42Les rites, par certains aspects profanes (Balandier, 1992 ; Rivière, 1995), liés au zapatisme, sont en eux-mêmes des formes de participation, si l’on suit la définition « large » de rite proposé par Moore et Myerhoff (1977) et Kertzer (1988). Les aspects cérémoniaux et initiatiques liés au voyage marquent en effet l’entrée dans une communauté militante et, du point de vue anthropologique et cognitif, construisent une relation entre espace et temps qui s’appuie sur une idée d’utopie considérée ici comme une construction culturelle en recherche, avec des nuances romantiques, d’une sorte d’éden préindustriel.

43Il s’agit de « rites désorganisés » (dont les codes d’organisation ne sont pas formalisés explicitement, bien que des canevas existent) qui forment un parcours initiatique au centre duquel on trouve le voyage. Nous nous trouvons donc face, d’un côté, à des rituels de narration auxquels les activistes participent pendant les voyages/pèlerinages au Chiapas, et de l’autre côté à des rituels qu’ils pratiquent à leur retour en Italie.

44On s’intéressera donc d’une part aux rencontres « Intergalacticos » (nouvelle forme, aux nuances ironiques, de l’internationalisme) au beau milieu de la selva Lacandona (Chiapas), et d’autre part à des récits – des contes – de l’utopie mexicaine effectués dans des squats en Italie : il s’agit là de narrations organisées selon une liturgie propre et relativement schématique, s’appuyant sur un dispositif constitué d’un groupe défini d’officiants auxquels tous reconnaissent le droit de gérer la parole publique, le contact avec la source de légitimation – l’EZLN (Ejercito Zapatista de Liberaciòn Nacional, Armée zapatiste de libération nationale) et les Juntas de Buen Gobierno (Conseils de bon gouvernement, institutions civiles zapatistes) – et l’orthodoxie des récits. La narration collective, où la prise de parole est gérée par ces officiants, est le nœud central qui se retrouve au sein des deux pôles du parcours initiatique, au Chiapas et en Italie.

45Durant l’été 2006, j’ai participé à une « caravane » organisée par l’association antagoniste YB, qui a conduit au Chiapas quelques dizaines d’activistes et de curieux provenant de diverses régions d’Italie. Ces voyageurs étaient issus de contextes et de cultures politiques profondément hétérogènes, tout au moins selon leur vision. Une bonne partie d’entre eux était issue du monde antagoniste des CSO des diverses villes que j’ai mentionnées. S’y trouvaient également quelques individus se déclarant anarchistes. Mais il y avait aussi des membres du PRC (Parti de la refondation communiste) et du syndicat CGIL (Confédération générale italienne du travail), qui firent l’objet, durant toute la durée du séjour, de critiques plus ou moins amicales du fait qu’ils étaient partie intégrante des mécanismes de démocratie représentative ou participative, mécanismes corrompus [3] aux yeux de la plupart des activistes.

46La majeure partie de ces participants étaient jeunes, entre 20 et 30 ans, étudiants (en majeure partie) ou salariés (ouvriers). Les quelques participants plus âgés exerçaient pour la plupart une profession « supérieure » (un avocat, quelques chercheurs ou universitaires, un enseignant du supérieur). La caravane était menée par trois jeunes femmes issues d’un CSO de Bologne (le TPO), dont l’une gérait plus particulièrement les rapports avec les contacts de l’EZLN au Chiapas. Les coordinatrices du voyage décidaient de l’opportunité et des destinations des déplacements, des lieux d’hébergement et, surtout, des activités comme les visites de centres d’activistes mexicains « amis » ou les rencontres avec les communautés zapatistes. Elles organisaient ainsi un nombre important de moments durant lesquels les participants italiens pouvaient écouter des témoignages de la lutte paysanne insurgée.

47Le leadership de ces coordinatrices ne se basait en aucun cas sur des déclarations formelles d’autorité, la rhétorique prévalente étant au contraire anti-autoritaire. Néanmoins, sur la base d’un charisme unanimement reconnu et d’une compétence riche acquise lors de voyages déjà effectués sur ce territoire, certaines personnes étaient considérées comme des points de référence et se trouvaient donc, de fait, légitimes pour prendre des décisions applicables à l’ensemble du groupe, ainsi que pour résoudre les éventuels conflits internes.

48Le flux d’activistes internationaux se rendant au Chiapas est composé en majorité de groupes bien organisés aux niveaux local et transnational. Dans certains cas, ces groupes contribuent à des projets de coopération, dans d’autres ils souhaitent tout simplement mieux connaître cette utopie pratiquée, en la côtoyant au plus près. Ces organisations sont composées de militants italiens se définissant selon les cas comme « non idéologiques », « marxistes-hérétiques », « anarchistes », « anticapitalistes », ou bien encore « chrétiens de base ».

49Participer à une de ces caravanes constitue pour tous les participants un acte d’initiation politique, un pèlerinage vers une source de légitimité politique et morale et de régénération existentielle. Cette légitimité politique et morale sera reconnue à leur retour par tous ceux qui s’identifient un tant soit peu à ce que l’on appelle communément « l’altermondialisme ». Projeter ce voyage est en règle générale plutôt long, le billet d’avion est onéreux, et il faut réussir à mettre entre parenthèses ses activités courantes pendant un temps considérable. Néanmoins, le zapatisme constitue pour les participants un horizon de sens et d’inspiration existentielle, en ce qu’il permet d’élaborer un projet de vie conséquemment engagé. La plupart des gens avec lesquels j’ai voyagé ont connu, pendant leur voyage, une transition personnelle : ils ont par exemple entamé leur périple à l’issue de leur vie étudiante, et en reviennent travailleurs d’ONG qui « savent de quoi ils parlent » lorsqu’ils parlent de politique. Ainsi F., ex-président de l’association YB, considère que se rendre là-bas, aujourd’hui, est « comme se rendre en Inde dans les années 70 et 80 », mettant en valeur la recherche d’une initiation spirituelle et générationnelle :

50

« Il y a une différence énorme entre celui qui va là-bas quinze jours à Playa del Carmen pour consommer un morceau des Caraïbes, consommer dans le sens touristique, et celui qui en revanche va même seulement quinze jours au Chiapas pour voir un monde complètement différent. Là-bas, la première chose que tu vois et qui te marque, c’est de rencontrer la dignité de l’autre que soi, trouver un autre être complètement différent, culturellement, morphologiquement, anthropologiquement, et nouer des relations avec lui. Tu peux vivre toute la vie chez toi sans même savoir que ces choses-là existent ».
(F., 21 février 2008, Rome)

51Pour F. et pour ses camarades, la valeur de l’expérience militante repose sur l’apprentissage du zapatisme qui, pour tous les voyageurs au Chiapas, constitue une sorte de valeur absolue. La valeur « expérientielle » reconnue au voyage au Chiapas en fait un moment d’initiation politique incontestée :

52

« Le mec de 20 ans qui fait cette expérience, c’est clair que dans un certain sens il reste marqué, et ensuite beaucoup d’entre eux restent activistes au sein de l’association ou dans leurs choses à eux, et c’est aussi une chose formatrice, c’est l’Erasmus du Mouvement. Ces jeunes métropolitains, quand ils vont là-bas, ils commencent à ouvrir les yeux sur un monde complètement différent ».
(F., 21 février 2008, Rome)

53En étudiant ces voyages, deux éléments fondamentaux sont apparus. Tout d’abord, « raconter le Chiapas » en Italie est une pratique collective qui génère de l’appartenance : le zapatisme est un événement qui fonde une communauté parmi des individus qui se sentent apparentés, et qui se réunissent périodiquement pour raconter ou écouter des témoignages du Chiapas. Ensuite, se rendre au Chiapas constitue, sur le plan individuel, une sorte de voyage initiatique à travers lequel l’activiste acquiert une conscience politique précise, de la crédibilité et un statut. Sur le plan collectif, le groupe qui gère le flux régulier Italie-Chiapas acquiert de la légitimité d’une part dans les milieux « du Mouvement », où l’« ailleurs » génère du prestige, mais aussi auprès des institutions politiques italiennes, qui reconnaissent comme interlocuteurs et collaborateurs les groupes antagonistes quand ils jouent un rôle dans la coopération pour le développement.

Participer par la narration

54De ces pèlerinages, les activistes rapportent des artefacts dont l’usage et la jouissance se font collectivement : ce sont des objets matériels ou immatériels générateurs d’événements, tels que des films, des photos, des chansons, des livres, mais également des récits écrits ou oraux. Ces objets font l’objet de présentations publiques. Je considère alors ces objets et les événements qui leur sont liés comme des « actes de citoyenneté » (Isin, Nielsen, 2008), en ce qu’ils sont des pratiques de participation ponctuelles relativement indépendantes d’un encadrement idéologique figé, qu’ils visent à transformer le contexte social, et parce que par eux les participants se construisent en tant que citoyens. Le cadre décrit par Isin et Nielsen nous permet de mettre en lumière leur capacité à générer et organiser des parcours de subjectivation politisés et une dimension de vie participative hétéroclite, aux nuances contradictoires, qui se déploient en dehors des espaces de la démocratie participative classique, tout en la critiquant. Les activistes organisent dans des espaces comme les CSO des événements durant lesquels les récits de voyage dans les communautés zapatistes sont partagés. Dans ces récits sont esquissées des réponses et des lectures possibles du présent, inspirées du panindigénisme œcuménique qui se substitue au projet révolutionnaire classique.

55En janvier 2008 à Padoue, au siège d’une célèbre radio squattée issue de l’Autonomie ouvrière, se déroule une soirée publique de projections intitulée « Récits du monde zapatiste ». V., l’intervenante la plus charismatique et la plus connue de YB, présente des récits et un film relatant le voyage d’une caravane qui vient de s’achever, et en particulier une rencontre promue et organisée par les femmes zapatistes, la « Encuentro de las mujeres zapatistas con las mujeres del mundo », qui se déroulait dans la communauté zapatiste de La Garrucha (région chiapanèque de Las Cañadas, dans la zone limitrophe de la selva Lacandona).

56Par bien des aspects, la soirée est représentative de beaucoup d’autres événements analogues organisés dans les CSO italiens, durant lesquels le Chiapas devient l’occasion d’un rassemblement et d’une « remise en ordre » collective et partagée de la réalité et des interprétations du monde. Le film et les pratiques discursives qu’il génère montrent de quelle manière une communauté comme celle de YB – et ses sympathisants – élabore un ordre politique et idéal. Cela se déroule de manière collective et sur un mode choral, moyennant d’une part la manipulation partagée d’un appareil symbolique qui s’inspire du zapatisme, et d’autre part la conceptualisation discursive des problématiques issues de la relation avec les zapatistes. Comme on le verra, cette manipulation de symboles est guidée par quelques « experts » charismatiques qui font autorité parmi les activistes.

57Comme le dit V. en introduction de la soirée : « Les zapatistes nous racontent l’autonomie qui croît avec les luttes et qui permet de construire une vie différente aujourd’hui, sans attendre la révolution qui aura lieu, peut-être, demain ». Le film débute par des plans de fresques ornant la plupart des bâtiments du village, et qui dans bien des cas représentent la geste fondatrice des guérilleros zapatistes lors de leurs occupations de terres et de villages en guerre contre l’armée fédérale mexicaine. Ces fresques explicitent en outre, en images, les fonctions de chaque bâtiment public du village, comme la clinique ou l’école. Elles font souvent appel à des figures de héros révolutionnaires comme Emiliano Zapata ou Ernesto Che Guevara.

58Après ces plans de fresques arrivent les séquences de la rencontre elle-même, c’est-à-dire une assemblée décidée par les femmes zapatistes et organisée par toutes leurs communautés afin de dialoguer, avec une certaine visibilité, avec d’autres femmes appartenant à des mouvements apparentés et solidaires avec le zapatisme. Cette rencontre rassemble en majorité des femmes. Les rares hommes, comme le souligne la voix off, n’ont pas le droit à la parole ; ils sont autorisés à participer comme auditeurs mais les femmes ont aussi la priorité pour ce qui est de l’espace et, pour bien insister sur tous les signes de respect possibles, ils sont contraints de rester debout en bordure de l’assemblée féminine. Les femmes présentes, zapatistes comme étrangères, racontent à l’assemblée leur histoire et leur parcours politique, et c’est bien dans cet échange de récits que réside la substance de l’événement. Des moments d’émotion marquent la rencontre, suscités par les récits les plus touchants ou par des chants choraux et d’hymnes zapatistes qui rythment les différentes parties de l’événement.

59L’impact émotif est un effet recherché, et les femmes zapatistes filmées interviennent précisément selon un mode visiblement théâtral, brandissant la machette, à la fois outil de travail et symbole des révoltes paysannes. Ces femmes revêtent pour l’occasion le costume traditionnel, souvent associé à des vêtements non traditionnels et plus pauvres. Elles entonnent des chœurs qui célèbrent les « indigènes du monde entier », et exposent à la fois les raisons de leur propre marginalité et le levier de leur revanche face à toutes les marginalités produites par le monde du capitalisme. Les zapatistes racontent la violence avec laquelle elles sont chassées de leurs terres à cause de l’industrialisation : « Les capitalistes vampirisent notre force de travail et nos ressources naturelles ».

60Sans doute les activistes italiens imaginent-ils d’autres agents du capitalisme. Par exemple, ne vivant pas du travail agricole, ils ont plutôt tendance à voir dans la spéculation immobilière urbaine l’expropriation capitaliste que les zapatistes identifient eux dans l’appropriation des terres agricoles à d’autres fins. Ainsi, lors de la soirée padouane étaient invités des activistes du comité citoyen de Vicence, en lutte contre l’extension de la base militaire Dal Molin. Certains d’entre eux ont pris part à la rencontre mexicaine, grâce à des fonds récoltés de manière informelle par l’association. Leurs prises de parole ont pour but de démontrer la similitude entre leur lutte de défense de la souveraineté des citoyens sur le territoire, et les luttes des femmes zapatistes. Ils organiseront d’ailleurs ensuite beaucoup d’autres événements similaires, dont le titre sera « De Vicence au Chiapas ». L’empathie est bien ici la donnée fondamentale. Elle s’appuie sur le sentiment commun de se trouver dans la position d’exproprié de sa propre terre, et les récits zapatistes sur les évacuations forcées forment un puissant ciment émotif et culturel entre les Italiens et les Chiapanèques.

61À travers l’expérience du voyage en groupe, et surtout grâce aux relations interpersonnelles qui s’instaurent souvent durant celui-ci, les individus sont peu à peu impliqués en tant que membres dans les activités de l’association. À leur retour, l’association les contactera pour leur proposer de participer à l’organisation de diverses activités, depuis la simple soirée de récit jusqu’à la réalisation de témoignages plus structurés de coopération. J’ai pu observer directement ce mécanisme en suivant, avant, pendant, et après leur voyage les participants des caravanes. Transparaît dans beaucoup des propos recueillis, comme ceux de la leader romaine de YB, le degré de conscience que les membres de l’association, qui investissent du temps et de l’énergie dans l’organisation des voyages de groupe, ont de l’importance de la fonction de ces voyages pour le renforcement des effectifs militants :

62

« Par exemple, ça c’est le calendrier qu’a fait Gigi, un mec qui a une petite association. Lui, il nous a téléphoné, il a dit qu’il voulait venir au Chiapas, il est venu avec la caravane, ensuite il s’est arrêté là-bas dans une communauté, il a monté un projet éducatif avec les enfants de la communauté, il a recueilli ces dessins, ensuite il les a amenés en Italie, il a fait un travail avec les écoles de son village et il a fait un calendrier qu’il vend pour financer un projet éducatif là-bas. Et lui, maintenant, il est l’un de ceux qui nous suivent, l’autre soir on a monté une initiative dans une association de Rome, complètement organisée par lui […] Et donc ça, c’est un résultat, du point de vue de ce qui te reste des caravanes. C’est clair qu’il y a des gens qui ensuite disparaissent, quand ils rentrent ici, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose qui te reste, comme valeur et comme référence même ici. Sinon pourquoi on le ferait ? ».
(M., 1er mars 2008, Rome)

63Ainsi, l’organisation de la coopération avec le Chiapas et la gestion coordonnée des voyages permettent le renforcement des structures de la participation quotidienne en Italie, en catalysant les individus qui veulent coopérer, et en créant une cohésion basée avant tout sur le partage des émotions communautaires expérimentées au cours des voyages.

Crise politique et nouvel ordre symbolique

64La notion de « spaesamento » (De Martino, 1977) évoquée plus haut permet d’explorer la dimension existentielle et spirituelle qui se noue à la dimension politique. Les réorientations des militants partent d’un sentiment de crise et de perte d’un horizon historique partagé, et débouchent sur la recherche d’un ancrage dans l’espace. Ces réorientations sont buissonnières et karstiques, dans le sens où des phénomènes apparemment discontinus dans l’espace et dans le temps sont en réalité reliés : souterrains et cachés dans un certain contexte (la selva chiapanèque), ils surgissent de nouveau dans un contexte différent (les squats italiens par exemple). Sur le plan temporel, l’internationalisme prolétaire des années 1970 réapparaît aujourd’hui au cœur de mouvements qui se veulent indéfinissables, sous la forme d’un panindigénisme anticapitaliste appris au Chiapas : des reterritorialisations en Italie prennent ainsi racine dans la notion d’autochtonie.

65Ces réorientations donnent corps aux traits d’une recherche de spiritualité qui s’incarne dans des cultes désorganisés, pour lesquels la réflexivité sur le rituel et sur le voyage qui en fait le cadre est centrale. Afin de mieux cerner ce mécanisme, j’ai analysé la manière dont les acteurs pensent, aménagent et transmettent les aspects symboliques et spirituels appris dans le voyage, en découvrant que l’aspect secret qui se construit de façon discursive fonde et justifie le caractère buissonnier de leur militance.

66C’est le cas de la Pachamama, rencontrée et apprise dans des contextes militants en Amérique latine, et qui émerge aujourd’hui en Europe dans des discours spirituels autour de « la Terre », que ce soit dans certaines communautés néorurales ou dans des logiques écologistes de l’univers altermondialiste. Articulée autour des trois éléments discursifs principaux que sont l’écologisme, la démocratie et le communautarisme, cette quête de spiritualité émerge majoritairement dans les journaux intimes de voyage, mais aussi dans les communiqués politiques et les discours publics.

67La recherche au quotidien d’un style de vie communautaire et écologique constitue un des noyaux principaux des aspirations existentielles et spirituelles des activistes, avant même la politique. Il s’agit d’une ambition très partagée dans tous les témoignages présentés ici, qui en général évoquent le changement social en termes symboliques et pas vraiment analytiques. De même, pour ce qui est des aspirations à un changement social, les témoignages indiquent l’ambition de créer une empathie communautaire, qui n’est cependant pas exprimée en termes de « révolution » ou dans le vocabulaire de la science politique. Ces deux phénomènes sont à lire, à mon avis, à la lumière des condamnations subies par les mouvements sociaux précédents, qui ont contribué à créer une forme de tabou autour de l’idéologie proprement dite. Ces ambitions restent cependant exprimables sur le plan spirituel, en accueillant et représentant la suggestion ductile et polysémique de l’ethnicité traditionnelle « maya » élaborée par les zapatistes. Dans un texte qui raconte la naissance des caracoles (régions autonomes), en 2003, un des voyageurs de la caravane explique le sens du terme « caracol » (escargot) :

68

« Il s’agit d’escargots. Ou plutôt de spirales. Le signe magique Maya, exemple parfait de la géométrie de la Nature […] une trace qui renvoie toujours à ce qui a généré le tout, la Pacha Mama […] ».
(B., site web YB, 2009)

69La cosmogonie des zapatistes est une traduction en termes symboliques de l’idéologie. La participation buissonnière s’effectue donc en reconstruisant un répertoire de références symboliques « en code » zapatiste. Le texte a un registre volontairement flou qui permet à des sujets politiquement différents de s’identifier aux valeurs véhiculées par le zapatisme.

70La réception italienne de l’indigénité se caractérise par un imaginaire imprégné notamment de l’idée de la communauté traditionnelle, démocratique et écologique, qui se manifeste visuellement. En observant les nombreux graffitis qui ornent la plupart des CSO italiens, on remarque en effet qu’ils représentent souvent des hommes et des femmes zapatistes, par exemple près des pyramides mayas, ou encore sous des traits qui rappellent l’indigénité comme les costumes traditionnels, des représentations stylisées du maïs et de la Pachamama. Il s’agit des symboles liés à une idée d’autochtonie amérindienne idéalisée, qui fondent la reterritorialisation d’espaces urbains et buissonniers – tels que les squats – en Italie.

Conclusion

71Nous avons montré comment les voyages au Chiapas constituent des formes d’une participation qui se veut non labellisable et clandestine, dissimulée en particulier derrière l’action même de projeter et d’effectuer un voyage, et usant du détour et de l’exotisme. Ce sont bien là des formes de participation politique à plein titre, d’initiation réelle à une vie militante antagoniste. Les rituels à l’œuvre structurent les modalités de cette participation reterritorialisante en Italie, dans les CSO ou au sein de ces « comités » (tels que le No Dal Molin en Vénétie, ou encore le Mouvement pour le droit au logement à Rome). À leur retour de ces voyages initiatiques, les activistes se sont approprié la notion amérindienne d’autochtonie indigène (de Certeau, 1994). Elle s’en trouve transformée, car subjectivée par des Européens. Elle fonde alors une idée de citoyenneté nouvelle et une forme de participation politique qui vise au « retour à la terre » et qui constitue, à mon sens, la clé de la compréhension de ces formes hétéroclites de participation. Mes interlocuteurs se pensent en effet comme les authentiques gardiens de la citoyenneté démocratique, face à des institutions républicaines qui, à leurs yeux, sont politiquement illégitimes et corrompues.

72En suivant la trame des voyages et des imaginaires politiques qui poussent des individus à partir et donnent du sens à leurs pratiques au quotidien, j’ai pu élaborer le profil de personnes qui cherchent à s’enraciner en circulant. Ressortant d’une tradition de gauche historiquement ouvriériste, ils ont progressivement incorporé des revendications plus environnementalistes : ce glissement s’est opéré par le biais d’un romantisme préindustriel anticapitaliste aux teintes primitivistes, mais également émancipatrices et nostalgiques à la fois. Ils opposent une « nature » et un passé idéalisés au « progrès » industriel. Cette articulation logique est centrale pour appréhender ces communautés politiques, leur imaginaire, leurs pratiques et leur rayon d’action. Le résultat est, pour ce qui est de la participation, un investissement citoyen à l’échelle locale.

73La différence de nature entre formes buissonnières et formes ordinaires de la participation tient ici aux registres dans lesquels s’exprime la participation, qui sont l’émotion communautaire (Sommier, Lefranc, 2009 ; Apostoli Cappello, 2017) et la redécouverte de la sphère spirituelle, et cela dans des contextes militants issus d’une tradition maoïste-léniniste qui les a historiquement évacués de l’expérience participative. Ainsi, comme nous l’avions anticipé en introduction, c’est notamment dans et par le voyage initiatique, et par ses aspects rituels, que se construit le caractère buissonnier.

74En m’interrogeant sur une forme d’engagement qui essaie de sortir de la sphère politique classique en s’opposant aux hétéronymes, j’ai mis en évidence une participation structurée autour d’« actes de citoyenneté » dont le pèlerinage au Chiapas constitue une part fondatrice.

75Dans une perspective d’analyse des processus de subjectivation, j’ai suivi des parcours d’individuation de soi par un engagement collectif et relativement clandestin. Il est fondamental de noter que les biographies et les récits de vie constituent un registre explicatif dominant par rapport au registre idéologique. Cette dimension est en soi une recherche de clandestinité sémantique et témoigne d’une large redéfinition en cours de la sphère de la participation politique.

76Dans les contextes analysés, cette dimension se base sur trois piliers analytiques, imbriqués et articulés entre eux :

  1. La prédominance d’un registre explicatif émique de nature biographique et existentielle ;
  2. L’aspiration partagée à un statut d’indéfinissabilité en tant que stratégie politique de réaction aux spécificités historiques et aux catégorisations judiciaires italiennes post- « années de plomb » ;
  3. Les effets-retour des constructions autochtones qui fondent de nouveaux liens sociaux et des conceptions nouvelles de la citoyenneté.

77Ce dernier point m’a permis de suivre des parcours d’engagement qui partent des pèlerinages politiques vers l’utopie préindustrielle du Chiapas insurgé pour arriver finalement à un « retour à la terre » comme modalité de participation publique en Europe.

78Les cosmopolites dépaysés que j’ai suivis ont donc des manières spécifiques de construire un sens existentiel et des pratiques de participation partagées. Ils suivent des horizons affectifs cosmopolites tout en essayant de construire des stratégies de participation clandestine. Cette participation se veut « en dehors », c’est-à-dire dans le sens d’un exode et à l’opposé des dispositifs dédiés à la participation démocratique.

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Mots-clés éditeurs : néoruraux, utopie, primitivisme, apocalypse, militance, environnementalisme, pèlerinages, voyages, dépaysement, autochtonie, rites profanes

Mise en ligne 09/05/2018

https://doi.org/10.3917/parti.019.0073

Notes

  • [1]
    Dans le sillon de la critique de la modernisation au sein des formes de participation pour la démocratie environnementale analysées par Barbier et Larrue (2011).
  • [2]
    Étant donné le caractère clandestin du projet, et afin de protéger les activistes et les destinataires locaux de ces projets de coopération, les textes sont anonymisés. Toutes les traductions ont été effectuées par mes soins.
  • [3]
    Pour mieux comprendre les enjeux de ces critiques, il faut bien situer cette dynamique dans le contexte italien, dans lequel est très présente ce que l’on appelle l’anti-politique, qui rappelle par certains traits le phénomène états-unien décrit par Bennett, Cordner, Klein, Savell et Baiocchi (2013).
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