Notes
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[1]
Sans doute n’est-il pas utile de durcir excessivement la partition entre sexe et genre. « Le genre désigne le système qui produit une bipartition hiérarchisée entre hommes et femmes, et les sexes renvoient aux groupes et catégories produites par ce système. Cette règle d’usage permet également d’affirmer la dimension sociale du sexe, rompant avec les visions qui opposent “genre” (social, variable) et “sexe” (biologique, invariant) » (Bereni, Chauvin, Jaunait, Revillard, 2014, p. 10).
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[2]
« Gender dynamics vary according to the topic under discussion, with topics like engineering, toxic waste remediation, and budgeting tending to attract male participants and less instrumental topics on social harmony and community visioning tending to attract more women » (Lee, 2015, p. 85-88).
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[3]
« Dans le cas des femmes, les relations de subordination sont en général plus intimes et personnelles ; la procréation commune et la vie familiale ont fait que la conceptualisation d’une existence entièrement séparée pour le groupe dominé nécessite une transformation bien plus radicale que dans le cas des serfs ou des esclaves. Les analogies se font plus difficiles aussi dans les contextes contemporains où le choix du conjoint est laissé libre et où les femmes jouissent de droits civiques et politiques » (Scott, 1992, p. 36).
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[4]
Cette controverse très structurante du champ féministe français est rappelée par Y. Knibiehler : « D’un côté les “universalistes” (Christine Delphy, Élisabeth Badinter) ont remis en cause la différence des sexes, différence non pas naturelle, mais socialement construite, y compris la relation parent-enfant (ainsi l’“amour maternel” n’est pas naturel, il est “en plus”), et qui peut donc être “déconstruite”. D’un autre côté, les “essentialistes”, ou “différentialistes” (Antoinette Fouque, Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva) refusaient toute identification de la femme à l’homme, et inventaient le féminin/maternel comme essence. La tendance universaliste a dominé » (Knibiehler, 2007, p. 13).
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[5]
« Il existe une ambiguïté majeure quant au fondement de la citoyenneté des femmes. Celle-ci oscille entre l’autonomie de l’individu-citoyen abstrait et l’hétéronomie de la personne concrète. Identité prescrite et individuation sont des modes d’intégration à la sphère publique à la fois contradictoires et complémentaires. En effet, l’exclusion politique des femmes à partir d’une assignation sociale spécifique à la sphère privée autorise la revendication de leur intégration à la sphère publique en tant que femmes, mais cette catégorisation conditionne une intégration hétéronome qui fait obstacle au processus d’individuation ; en même temps, cette exclusion politique, qui se joue dans le cadre de la démocratie représentative, autorise la revendication de leur intégration en tant qu’individus, mais cette dynamique conditionne une intégration autonome qui alimente la logique d’assimilation à la norme masculine » (Marquez-Pereira, 2002, p. 13).
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[6]
S. Moller Okin (2008) pose ainsi la question : « Le multiculturalisme nuit-il aux femmes ? » (Raison publique, 2008, p. 13) : « Je crois que nous – et en particulier ceux d’entre nous qui nous considérons comme politiquement progressistes et opposés à toutes les formes d’oppression – avons accepté trop facilement de considérer aussi bien le féminisme que le multiculturalisme comme de bonnes choses, qui seraient aisément conciliables. Je soutiens au contraire qu’il y a très vraisemblablement une tension entre les deux – plus précisément, entre le féminisme et l’engagement multiculturel en faveur des droits collectifs pour les cultures minoritaires. » Et d’ajouter : « Lorsqu’on avance des arguments libéraux en faveur des droits collectifs, il faut donc prêter un soin tout particulier aux inégalités à l’intérieur du groupe. Il est tout particulièrement important de regarder les inégalités entre les sexes, puisqu’elles sont sans doute moins publiques, et moins facilement discernables. En outre, les politiques qui visent à répondre aux besoins et aux revendications des groupes culturels minoritaires doivent prendre au sérieux l’exigence d’une représentation adéquate des membres moins puissants de ces groupes. »
1La démocratie représentative a longtemps, indubitablement et officiellement, eu un seul sexe. En France, « il a même fallu », comme le rappelle Michèle Riot-Sarcey, « inventer un mot pour permettre aux femmes de parvenir à la représentation publique comme à la gestion des affaires de la cité » (2013, p. 153). Le terme « parité » est de ce fait « un aveu d’impuissance », ajoute-t-elle. Par contraste, cet autre modèle que constitue la démocratie participative a pu apparaître, d’emblée, comme le terrain politique par excellence que pourraient/devraient investir les femmes. Affichant ses ambitions inclusives et égalitaristes, la démocratie participative s’est imposée comme une proposition corrective pour tous les groupes subalternes historiquement exclus de la représentation politique. Elle s’est déployée avec la promesse de rapports plus horizontaux (entre groupes sociaux et entre gouvernants/gouvernés), laissant à distance la libido dominandi qui structure la lutte pour les places et la représentation. Mais d’autres éléments hétérogènes, à la fois théoriques et politiques, contribuent à une association spontanée et particulière entre femmes et démocratie participative. Des projets politiques féministes plus ou moins explicites envisagent ce modèle comme étant plus ajusté à leurs rapports à la politique ou encore aux représentations de compétences et de qualités perçues comme féminines. Des théoriciennes féministes centrales nourrissent depuis plusieurs décennies maintenant une controverse importante sur les dilemmes de la représentation et de la participation des femmes dans les processus de délibération démocratique – perspectives critiques enrichissant en continu les théories de la démocratie (Dietz, 2000 ; Landes, 1998 ; Sanders, 1997 ; Young, 1990 ; Philips, 1990 ; Pateman, 1988 ; Mansbridge, 1980). Mais au regard de la densité des discussions théoriques et du développement croissant des recherches sur la démocratie participative, les travaux empiriques sur le genre de la démocratie participative sont somme toute assez rares. L’enjeu de ce dossier est donc de leur donner une visibilité.
2Ce numéro de Participations se demande dans quelle mesure la démocratie participative est genrée [1]. Il cherche à voir comment les femmes et les hommes, ensemble ou séparément, prennent part, s’expriment, interviennent, sont entendu.e.s, dans les dispositifs participatifs contemporains. Les exclues historiques de la démocratie représentative et de l’espace public trouvent-elles aujourd’hui leur place, leur voie, dans les dispositifs découlant de l’impératif participatif ? Les monopolisateurs historiques de ce même espace public tendent-ils à reconnaître des voix éventuellement différentes ? La mixité de la démocratie participative permet-elle, si ce n’est un dépassement et une neutralisation du genre et des assignations sexuées, du moins une égale expression et prise en compte des préoccupations de tou.te.s ? Élargit-elle les thèmes portés dans les arènes de la démocratie participative et grandit-elle leur dignité ? C’est à cet ensemble de questions que s’attachent à répondre, à partir le plus souvent d’observations ethnographiques et d’entretiens avec les participant.e.s, les textes de ce dossier. Ces derniers couvrent un champ participatif large et varié, d’ici et d’ailleurs, du niveau local au niveau transnational. Sont ainsi pris en compte tout à la fois des dispositifs désormais assez routinisés (comme des démarches participatives à l’échelle communale en Espagne, un dispositif de consultation relative aux mobilités sur le territoire d’une métropole française) et des dispositifs moins étudiés : un comité de réflexion éthique dans un hôpital ou encore, un espace de prise de parole en ligne sur la politique. Sont également examinés des dispositifs participatifs non mixtes, ici spécifiquement réservés aux femmes, au Brésil ou au Burundi dans un contexte d’après-guerre, ou encore dans le domaine des relations internationales, avec la participation de mouvements transnationaux de femmes aux pratiques politiques de représentation au sein de l’ONU.
Dichotomie résistante et persistant dilemme
3On le voit, on a du mal à échapper à une pensée dichotomique dès lors qu’il s’agit d’envisager le sexe de la démocratie participative. Dichotomie contestable en premier lieu entre démocratie participative et démocratie représentative, alors que les penser dans un continuum est sans doute davantage pertinent. Ce dossier assume d’ailleurs une acception large de la participation citoyenne à la sphère publique, nécessairement mosaïque, qui offre des formes de délibération publique en présence et en ligne, initiées par des acteurs institutionnels ou des mouvements sociaux, et donc plus ou moins institutionnalisées, plus ou moins pérennes, plus ou moins articulées au système de représentation et d’action publiques.
4Dichotomie problématique ensuite entre le groupe des hommes et le groupe des femmes, tendant à être homogénéisés, réifiés, unifiés. Le genre, quelle que soit sa considérable portée heuristique, est un outil qui peut être critiqué justement pour cette dichotomisation même.
« La notion de genre n’échappera jamais définitivement à cette ambiguïté fondatrice : encore aujourd’hui, elle reste prise dans une double logique, potentiellement contradictoire – entre catégorie normative et outil critique. Autrement dit, le genre est, sinon par nature, du moins d’origine, une arme à double tranchant ».
6Ce dossier assume d’ailleurs de faire du système de genre l’arme et la cible des interrogations. Dichotomie hiérarchisée ensuite entre espace public et espace privé qui vient redoubler celle du genre, leur parfaite adéquation historique tendant à naturaliser leur association.
« Le genre se rapporte aux processus sociaux de différenciation et de hiérarchisation du masculin sur le féminin, dynamiques qui renvoient à la séparation entre la sphère publique, dont l’espace politique a pendant longtemps été réservé aux hommes, et la sphère privée, symbolisée par les activités domestiques se déroulant au foyer et tenues par les femmes ».
8Cette dichotomie tient aussi au fait que l’inégale répartition du travail domestique, familial, du soin, et la coupure historique et théorique entre « privé » et « public » ne cessent d’actualiser ce que Carole Pateman (1988) nomme le « dilemme de Mary Wollstonecraft » : les femmes doivent-elles réclamer de participer pleinement à la vie politique sur la base de leur commune humanité partagée avec les hommes ou sur la base de leurs différences avec eux ? La question est récurrente et s’est constamment posée sous forme de dilemmes, de paradoxes, de contradictions au groupe des femmes dans sa prétention à accéder à l’universel supposé neutre, mais, on le sait, indubitablement masculin. Ainsi, si la participation des hommes semble placée sous le sceau de l’évidence, les femmes n’auraient en la matière que « des paradoxes à offrir », comme l’a montré Joan Scott (1998) à propos des premières féministes françaises qui « plaidaient d’un même souffle la pertinence et la non-pertinence de leur sexe en politique, l’égalité de tous les individus et la différence des femmes. Elles refusaient d’être des femmes dans les termes qu’imposait la société, tout en parlant au nom de ces mêmes femmes » (p. 29).
9Dès lors, si nous n’échappons pas à une pensée dichotomique consistant à étudier la participation des femmes par rapport à celles des hommes (plus que l’inverse !), l’enjeu de ce dossier est bien pourtant d’apporter des éléments pour dépasser une telle dichotomie. En particulier, il s’agit de porter l’attention sur ce qui produit de la séparation, de la division, de la minoration au-delà des effets de cadrage théorique, c’est-à-dire en s’attachant aux effets des dispositifs eux-mêmes et des pratiques en leur sein, comme le fait l’ensemble des textes qui suit. Il s’agit aussi de traquer la façon dont les dilemmes sont, si ce n’est résolus, du moins travaillés et problématisés au sein d’arènes investies par des individus, incarnés et sexués, qui sont surtout et toujours insérés dans des rapports sociaux. Des rapports de force et de pouvoir structurés par le genre, mais pas seulement. L’originalité de ce dossier est bien d’aborder frontalement et à partir d’enquêtes empiriques la question centrale et nourrie sur le plan théorique des effets du genre sur la participation et la délibération démocratiques. Il vient compléter les observations de bon nombre de travaux sur la démocratie participative qui, sans retenir le genre comme outil principal d’analyse, contribuent à la réflexion.
Une présence confirmée des femmes dans les dispositifs participatifs
10Première confirmation et non des moindres : les femmes sont présentes et bien présentes dans les dispositifs participatifs, du niveau local au niveau international, dans les espaces physiques comme dans les espaces en ligne, dans les dispositifs désormais routinisés comme dans des dispositifs plus innovants. Elles répondent massivement présentes à l’appel à prendre part à des dispositifs qui leur sont spécifiquement réservés, et tiennent leur place dans les dispositifs mixtes. Au sein des dispositifs d’innovation démocratique de la communauté autonome du Pays basque, elles représentent toujours entre 20 % et 50 % des participant.e.s. Elles sont majoritaires parmi les membres fondateurs d’un dispositif participatif pilote de réflexion éthique au sein de l’hôpital. Les femmes et leurs organisations sont constamment mobilisées pour participer au système onusien depuis le xixe siècle et luttent contre leur récurrente marginalisation. Elles ont considérablement investi le Web et les dispositifs de sociabilité comme les réseaux sociaux (en 2013, en France, 66 % des femmes contre 60 % des hommes détiennent un compte Facebook). Sous-représentées parmi les émetteurs de commentaires politiques en ligne, elles interviennent pourtant, notamment sur les enjeux internationaux et selon un régime d’énonciation comparable à celui des hommes. Le dispositif qui apparaît le plus monopolisé par les hommes, à la fois quant à la présence, au nombre et à la durée des prises de parole, est celui de la consultation mise en place par la Communauté urbaine de Bordeaux et l’Agence d’Urbanisme d’Aquitaine sur les schémas de mobilité urbaine des vingt prochaines années. Par exemple, lors d’une réunion plénière, les hommes représentent 76 % des participant.e.s, ils prennent la parole 39 fois et les femmes 7 fois, le temps moyen de leur prise de parole est de 3 minutes 25 contre 1 minute 32 pour les femmes. Mais lors des ateliers, tous ces indicateurs ont tendance à se rééquilibrer.
11Ce constat, non négligeable, de la présence des femmes dans les dispositifs participatifs rejoint celui de travaux antérieurs, qui, sans faire du genre un objet central, apportent des éléments de connaissance sur ce point. Au sein de l’offre institutionnelle de participation, les budgets participatifs semblent susciter particulièrement une présence affirmée des femmes (Herzberg, Röcke, Sintomer, 2008) ou équivalente à celle des hommes (Mazeaud, Talpin, 2010 ; Talpin, 2010). C’est aussi le cas des jurys citoyens ou des conférences de citoyens, le tirage au sort ou la constitution de panels représentatifs favorisant un égal accès à ces scènes de discussion (Sintomer, 2007 ; Lefebvre, 2011). Hors ce type de dispositifs, les observations sont moins convergentes. Dans son étude de l’offre publique de participation d’une municipalité de 17 000 habitants, entre 2008 et 2014, Guillaume Petit (2014, p. 90) montre que les femmes sont moins présentes que les hommes, excepté pour la tranche d’âge des 41-50 ans où leur nombre est comparable. À l’inverse, dans une enquête sur les praticiens de la délibération aux États-Unis, Caroline Lee (2015) note une majorité de femmes parmi les répondants à son enquête (62 %) et signale que la participation des hommes varie en fonction des thèmes abordés. Par exemple, les débats relatifs aux déchets toxiques attirent plus d’hommes que ceux relatifs aux questions liées à la vie en commun [2]. De fait, le design des dispositifs, les modalités d’accès, les objets au cœur des discussions, les contextes d’institution apparaissent comme des facteurs plus ou moins favorables à la mixité.
12Même si, comme on le verra, la sous-représentation et la minoration des femmes restent au cœur des analyses, tout comme les obstacles et les entraves qu’elles ont à affronter, les femmes ne sont donc pas cantonnées dans l’espace domestique, elles sont de plain-pied dans l’espace public, sous toutes ses formes. Cette présence active des femmes dans les dispositifs participatifs est en soi un résultat remarquable au regard de leur histoire. Si celle-ci est désormais connue, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler ici combien l’histoire de la démocratie et de la construction de l’espace public repose sur leur exclusion (Fraisse, 1989). D’emblée, la démocratie s’est faite sans elles ; d’emblée, elles sont hors du politique de la cité athénienne. Les révolutionnaires reprennent à leur compte les présupposés de la division et de la hiérarchie entre les femmes et les hommes. Ces derniers ont vocation à investir l’espace public en tant que citoyens, et à exercer leur puissance maritale dans l’espace privé (celui du domestique et de la reproduction) où sont confinées les femmes. Au moment où les révolutionnaires français congédiaient Dieu pour trouver au sein de la société les fondements du pouvoir politique, ils convoquaient on le sait la nature pour exclure les femmes de l’espace public et politique (Gardey, Lowy, 1998). Même si ce n’est pas le lieu de refaire ici l’histoire de l’accès des femmes au droit de suffrage et d’éligibilité, la République a été exclusive et fratriarcale. En dépit de ces conditions difficiles, des historiennes ont montré combien des femmes ont toujours été des actrices de mobilisations multiples, luttant pour leur inclusion dans l’espace public et politique, quelle que soit l’invisibilisation ultérieure de leur présence qui contribue à laisser penser que seuls les hommes font leur histoire (Della Sudda, 2013). Que les femmes contemporaines répondent à l’appel à la participation tel qu’adressé par les autorités politiques à tous les niveaux ne surprend donc pas. Il reste que cette participation devenue ordinaire et banale n’est pourtant pas pleinement évidente.
Entraves, décalages et dynamiques
13En dépit du discours que la démocratie participative tient sur elle-même, ses dispositifs demeurent structurés par des rapports sociaux de sexe et des rapports de pouvoir bien au cœur des différents articles. Quels que soient les paradigmes et les concepts mobilisés par les auteur.e.s, ces dernier.e.s s’efforcent de déplier les conditions qui rendent possibles ou qui entravent la participation, qu’il s’agisse d’accéder aux scènes d’échanges, de s’y exprimer, d’y être reconnu.e comme interlocuteur et interlocutrice légitime. Retenant tantôt le système sexe-genre à domination masculine, tantôt celui de l’hégémonie, qui produisent hiérarchisation et différenciation, stéréotypes et inégale distribution du pouvoir, les grilles d’analyse sont diverses, mais les perspectives se rejoignent pour dresser l’inventaire des entorses à l’idéal démocratique que reconduisent les innovations participatives.
14Si les femmes y sont bien présentes, les hommes constituent toujours plus de la moitié des participant.e.s des dispositifs participatifs mixtes étudiés ici. Ils ont souvent la main sur le design et l’animation du dispositif, sur la définition des enjeux et des thèmes à débattre. Ils parlent plus souvent, plus longuement et avec plus d’assurance. Plus encore, l’universel-neutre-masculin constitue bien la référence centrale à l’aune de laquelle les prises de parole sont, si ce n’est toujours émises, généralement reçues. Le genre joue comme un régime normatif d’autant plus puissant que les femmes ne sont pas des subalternes tout à fait comme les autres. En raison même de l’ambiguïté de la considération dont elles font l’objet et des libertés juridiques et politiques dont elles bénéficient dans le contexte contemporain étudié [3], les participantes peuvent ne pas décoder les situations de dialogue comme étant à leur désavantage, tout comme les participants peuvent ne pas mesurer la charge de déconsidération que contiennent leurs propres modes d’intercommunication ; celles-ci intériorisent – et ceux-là naturalisent – les incapacités, comme autant d’attributs et de dispositions personnelles qu’il faudrait au mieux travailler à dépasser, au pire qu’il serait vain de nier.
15Mais par les décalages qu’elle propose, la démocratie participative a aussi des effets productifs. Si, en situation, la dévalorisation de l’expérience des femmes et de leurs modes de communication est observable, les analyses révèlent des jeux participatifs où se combinent « rapports structuraux de domination et capacités d’action », où mouvements hégémoniques et contre-hégémoniques (Hall, 1977) sont en tension. Des formes de résistance, parfois ténues et discrètes, parfois tapageuses et consistantes, n’y sont pas rares, y compris du côté des citoyennes paradoxales ordinaires qui regrettent tout à la fois leur soumission à l’émotion, à la discrétion, à la docilité et à l’empathie, tout en cherchant par quels moyens faire de ces qualités/handicaps supposé-e-s féminin-e-s des modes légitimes d’engagement dans l’espace public leur permettant de débattre à égalité avec les hommes. De ce point de vue, le texte de Coralie Le Caroff montre tout l’intérêt que présentent les travaux sur les forums de délibération en ligne, tant « l’élargissement de l’espace public en ligne à des régimes de prises de parole fondés sur le modèle de la conversation ordinaire et du bavardage favorise l’intervention des hommes et des femmes dans des régimes discursifs et des modalités interactionnelles communs ». La communication autour du politique en ligne est moins systématiquement genrée que celle repérée au sein des espaces spécifiquement dédiés à la parole publique, tant elle semble pouvoir s’affranchir des protocoles et des postures qui gouvernent les arènes participatives.
16Mais, comme le démontrent Poletta et Chen à partir de leur propre observation de forums américains de débat électronique « Listening to the City », ce qui est remarquable, ce n’est pas l’effacement du genre, bien présent, mais le fait que « les différences entre les styles de communication des hommes et des femmes ne se traduisent pas en inégalités » (Poletta, Chen, 2013, p. 202). Pour les auteurs, il est entendu que le caractère genré des dispositifs de délibération publique puisse tenir, de façon combinée ou exclusive, à la composition des publics et au statut d’autorité accordé aux locuteurs, aux thèmes mis en discussion et aux modes d’expression reconnus comme appropriés, acceptables et légitimes. Toutes les formes d’espace public de discussion actualisent, de fait, les différences, mais avec des incidences très variables. Aussi Poletta et Chen insistent : si les femmes sont bel et bien présentes dans les formes contemporaines de délibération publique, si la composition genrée des groupes n’a plus nécessairement d’incidence, si le codage masculin des thèmes ne limite plus nécessairement leur participation, si elles peuvent opter pour des modalités de prise de parole où l’émotion, les récits (stories) sont versés aux débats comme fondant bel et bien leurs opinions, c’est parce que le champ contemporain de la délibération publique organisée s’est « féminisé ». Non seulement les praticiens américains de la délibération (organisateurs, animateurs, facilitateurs) sont le plus souvent des femmes (p. 306), mais quel que soit leur sexe, ces professionnels ont progressivement développé un modèle de participation qui valorise les modes de communication « stéréotypés féminins », perçus comme mieux ajustés aux enjeux d’une délibération démocratique, et de fait compatibles avec les compétences et les qualités perçues comme féminines : souci des processus plutôt que des résultats, attention aux sentiments et aux expériences personnelles et non aux seuls arguments rationnels, dispositions à l’écoute, habiletés à la préservation des relations. Pour Poletta et Chen, le risque de marginalisation n’est dès lors plus là où on le croit : si une telle féminisation des dispositifs participatifs de délibération se poursuivait, le détournement et la désertion des hommes à l’égard de ce secteur de l’espace public, tels qu’on les observe pour les professions féminisées, pourraient conduire à maintenir, voire accentuer, la position subalterne de la démocratie participative par rapport au système de représentation démocratique. Ses dispositifs seraient perçus tels des salons produisant un lointain bavardage inoffensif, sans incidence sur le cours de l’action publique et les processus de décisions politiques.
17Sans souscrire à la thèse qui pose l’équivalence entre féminisation et dévaluation, il s’agit d’anticiper, selon le principe tocquevillien de la contrepartie, tout effet pernicieux du système de genre quand il fait de la valence différentielle des sexes (Héritier, 1996) un ressort de la construction sociale des opinions et des jugements. Mais Poletta et Chen nous conduisent surtout à interroger ce lien entre femmes et démocratie participative. Un lien qu’il convient de ne pas hypostasier tant il renvoie aussi à des désirs, des croyances, des tactiques et pas toujours à des réalités.
Des citoyennes différentes qui participent autrement ?
18Tout au long des années 1990, en France, la controverse paritaire a révélé la forte croyance publique en la capacité des femmes à faire de la politique autrement, à la fois du côté du personnel politique, des journalistes et des électeurs. Les débats parlementaires sur la réforme constitutionnelle de la parité ont emprunté, non sans souci tactique et pragmatique, une pente différentialiste contre l’intention des premières paritaristes. Dans ce discours public accolant « femmes » et « politique autrement », l’argument majeur retient à l’époque l’activation d’une identité reposant sur des qualités socialement construites comme féminines, faisant passer les qualités civiques à un rang secondaire. Mais l’idée d’une citoyenneté différenciée des femmes ne tient pas seulement à leur place dans la reproduction, la famille et les rapports sociaux de sexe ; elle s’appuie aussi sur leur extériorité historique au politique et leur plus grand retrait contemporain. Ce n’est alors pas tant en tant que femmes, mais en tant que nouvelles entrantes que leur participation s’est trouvée valorisée : elles pourraient régénérer une démocratie représentative en crise, notamment par une approche plus participative des décisions publiques. C’est d’ailleurs en cela que la parité et les discours qui l’accompagnent s’inscrivent plus largement dans une séquence institutionnelle (limitée dans le temps) de rénovation de la démocratie sous le gouvernement de Lionel Jospin, associant la première réforme paritaire sur les modes de scrutin (loi du 6 juin 2000) avec celle du statut de l’élu et du développement de la participation citoyenne (loi du 27 février 2002) et celle de la limitation du cumul des mandats (loi du 5 avril 2000). Mesurées par les instituts de sondage, les attentes des électeurs envers des femmes élues lors des premières élections municipales paritaires de 2001 concernaient d’ailleurs particulièrement la rénovation démocratique. Si l’élue paritaire juxtapose des images de femme, de mère et de citoyenne, elle apparaît donc aussi comme une outsider et une profane, venant potentiellement contrebalancer l’image dégradée de l’homme politique professionnel.
19On retrouve une même intrication des croyances et des arguments vantant les vertus participatives des femmes, tantôt au regard de leur statut de nouvelles venues, tantôt au regard des singularités du féminin. Le courant participationniste de la citoyenneté tend à assigner aux femmes une vocation particulière en matière de participation citoyenne, à la fois pour elles-mêmes et pour l’ensemble des citoyens. Il pose la participation des femmes aux institutions (empowerment) et le développement attendu de la participation par des femmes (la transformation des institutions) comme une nécessité et une disposition. Les femmes sont invitées à déployer une conscience de la démocratie souhaitable en proclamant valeurs, relations et pratiques explicitement participatives. C’est dans cet esprit que Mary Dietz écrit de façon quasi programmatique :
« C’est seulement en insistant sur le fait que les problèmes économiques et sociaux doivent être soulevés par l’intermédiaire de la participation active des citoyens à la sphère publique, et en valorisant la citoyenneté comme une vertu en soi, que les féministes auront réussi à proposer un projet politique véritablement émancipateur ».
21C’est alors bien en tant que nouvelles entrantes que les femmes amèneraient une conception plus participative de la démocratie, à l’instar d’autres groupes traditionnellement exclus du champ politique dénonçant la spécialisation et l’oligarchisation du champ politique (Guionnet, 2005).
22Toutefois, à l’égard d‘autres groupes sociaux aux marges du champ politique (les jeunes, les catégories populaires, etc.), le sexe est une caractéristique (le plus souvent) stable et durable de la personne (contrairement à l’âge, voire à la catégorie sociale). Surtout, cette caractéristique inscrit les individus dans un rapport social de genre fondé spécifiquement sur la place des femmes dans la reproduction (et ses conséquences sociales sur la famille et la politique). C’est pourquoi des théoriciennes insistent sur la spécification d’une citoyenneté différenciée à partir de la dualité du genre humain. Et ce, selon deux voies, selon que l’idée d’une citoyenneté différenciée entre les femmes et les hommes s’appuie sur les liens mère/enfant, ou qu’elle prend appui sur les relations femmes/hommes, comme le rappelle Bérangère Marques-Perreira (2002) dans son panorama remarquable. Ces deux positions en théorie politique ont en commun d’interroger la neutralité de la citoyenneté et de l’espace public et de leur corollaire, la coupure public/privé. Des chercheuses féministes, telles que S. Moller Okin (2000), ont montré combien les théories politiques aveugles au genre conduisaient à une perpétuation non critique de la distinction public/privé et à ne pas voir le masculin derrière le neutre. Dans le champ de la démocratie participative et délibérative, la critique serrée que livre Nancy Fraser (2001) de la fausse neutralité de l’espace public habermassien est bien connue : l’illusion consistant à faire comme si l’ensemble des participant.e.s étaient égaux et indifférenciés quant à leur capacité à prendre la parole dans le registre admis comme légitime conduit à occulter, sous couvert d’espace public supposé neutre, le masculin tel qu’il se donne à voir pour universel.
23La thèse maternaliste, qu’un réflexe féministe peut porter à tenir à distance pour ce qu’elle contient de contradictoire avec l’idée d’un individu abstrait et pour l’acception d’une reproduction de la division du travail qu’elle suppose, adopte une vision de la conscience politique féminine ancrée dans les vertus de la sphère privée. Elle valorise notamment l’éthique de la sollicitude. Cette éthique, telle que la développe par exemple Jean Elsthain (1981), supposée féminine, « permettrait de vider la vision participative et républicaine de la citoyenneté de ses aspects machistes pour la nourrir des valeurs dites maternelles » (Marques-Pereira, 2013, p. 95). Il n’est pas inintéressant de relever que de telles conceptions ne sont pas absentes des conceptions des ONG et de l’ONU dans l’appel à la participation spécifique des femmes dans un contexte d’après-guerre tel qu’étudié par Marie Saiget dans ce dossier.
24Cette approche, fondant la participation des femmes à partir d’une affirmation de la positivité d’un féminin centré sur la famille, suscite des critiques fortes. Pour Mary Dietz, la politique ne relève pas des présupposés qui régissent la relation mère/enfant, mais de présupposés radicalement différents. Dès lors, il n’y a aucune raison à ce que les femmes fassent de la politique autrement que les hommes. En outre, cette approche tend à occulter les relations père/enfant, ou à les penser comme fondamentalement secondaires et impropres à irriguer une quelconque forme d’intervention dans l’espace public. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer a priori cette « voix différente » (Gilligan, 1982) telle qu’elle peut émaner des arènes participatives, sauf à redoubler les processus de disqualification qui s’y jouent parfois. Admettre, au moins pour les interroger, les spécificités féminines des prises de parole, sur le fond comme sur la forme, permet surtout de ne pas (seulement) les analyser sous l’angle du manque, du handicap, de la déficience. De ce point de vue, le care a ouvert dans le champ académique une controverse importante depuis la parution du livre de Carol Gilligan, In a different Voice (1982). En un mot, s’agit-il d’un concept subversif, capable de transformer radicalement notre vision de la morale et du monde social et politique, ou au contraire d’un concept dangereusement conservateur, véhiculant une morale faible, une morale d’appoint, toujours susceptible de durcir et d’essentialiser les « différences » entre les hommes et les femmes (Mosconi, Paoletti, 2011, p. 173) ? La difficile prise en considération du care dans le champ académique (Laugier, 2011), en dépit du travail convaincant fourni par ses théoriciennes, tient surtout à la place, réduite, faite à la famille et la maternité dans la théorie politique. Le féminisme de la seconde vague a pu faire lui aussi preuve d’indifférence si ce n’est de méfiance à l’égard de ces thèmes. Tout à leur projet d’émancipation d’une « individue » libre et autonome, bien des féministes ont préféré taire, pour l’évacuer, la question d’une maternité perçue comme contrariante et aliénante [4].
25L’idée d’une citoyenneté duale à partir du sexe s’appuie non seulement sur les relations mère/enfant, mais aussi sur les relations femmes/hommes. Après avoir été une des fondatrices des théories de la démocratie participative contre les théories dites réalistes de la démocratie, privilégiant une participation limitée des citoyens, Carole Pateman (1988) a montré que derrière tout contrat, se rejouait un contrat sexuel, oppressif, premier et fondateur, soit un accord passé entre les hommes en tant que groupe pour assujettir les femmes en tant que groupe, et plus spécifiquement pour se garantir un libre accès à leur corps (Garrau, 2011). Elle décrit la citoyenneté patriarcale fondée sur une universalité abstraite qui pose le masculin en norme de référence dans la sphère publique :
« La séparation du privé et du public signifie la séparation du monde de la soumission naturelle, c’est-à-dire des femmes, et du monde des relations conventionnelles et des individus, c’est-à-dire des hommes. Le monde privé féminin se caractérisant par la nature, la particularité, la différenciation, l’inégalité, l’émotion, l’amour et les liens du sang, est ainsi séparé de la sphère publique, universelle – et masculine – caractérisée par les conventions, l’égalité civique ainsi que par la liberté, la raison, le consentement et le contrat ».
27Ces deux conceptions ont en commun une tendance à l’essentialisation des genres et à leur dichotomisation en deux catégories homogènes. Comme le relève d’ailleurs Pateman dans son chapitre conclusif, « prendre au sérieux l’identité incarnée suppose l’abandon de l’individu masculin et unitaire et exige d’ouvrir un espace pour deux figures : l’une masculine, l’autre féminine » (p. 307). Elle situe son analyse dans les théories de la domination et du patriarcat et de leur constante reconduction. De telles perspectives ont pu être critiquées pour leur impossibilité à penser les changements intervenus au cours des dernières décennies entre les femmes et les hommes en particulier en Europe (Froidevaux-Metterie, 2015). Par exemple, Éric Macé invite à envisager la période contemporaine comme l’après-patriarcat, dès lors que, caractéristique du patriarcat traditionnel comme moderne (Macé, 2015), la mise en asymétrie du féminin par rapport au masculin n’est désormais ni nécessaire ni légitime. Ce qui n’exclut en rien la persistance d’un différentialisme culturel de genre, structurant les relations de pouvoir et produisant les inégalités sociales de genre. Pour autant, dans le cadre de ce dossier, deux auteur.e.s mobilisent explicitement les cadres de la domination et du patriarcat pour analyser les prises de parole féminines dans une assemblée mixte et les conditions de leurs réceptions. C’est le cas de l’article d’Yves Raibaud, à propos du débat sur les mobilités douces nettement monopolisé par les hommes. Les prises de parole à partir d’expériences concrètes associées à la vie familiale et privée ou exprimées à partir des émotions sont systématiquement dévaluées. Dans les prises de parole, ce qui relève du féminin vaut toujours moins que ce qui relève du masculin. Mêmes observations de la part de Jone Martínez Palacios, Igor Ahedo Gurrutxaga, Alicia Suso Menzada, Zuriñe Rodriguez Lara qui mobilisent aussi les concepts de patriarcat et de domination pour rendre compte de l’expérience participative de femmes dans des dispositifs participatifs mixtes au Pays basque. Trois tensions principales sont alors identifiées qui « entravent » la participation des femmes : le dominant contre le subalterne, le public contre le privé, la raison contre l’émotion. Si le masculin invisible est assimilé au neutre-universel, les femmes sont supposées soit s’assimiler à ce neutre en gommant dans leur expression ce qui relève du féminin tel qu’il est socialement construit, soit s’inclure dans le débat en tant que femmes au risque d’une prise de parole minorée. Cette injonction contradictoire peut entraver le processus de leur individuation [5].
Contre-publics féministes et clivages
28Une des possibilités de sortie de ce dilemme passe sans doute par une dimension, bien présente dans ce dossier, qui est celle d’une conscience militante en faveur de l’égalité entre les sexes, constituée en amont de l’entrée dans le dispositif. Le relatif échec de la mixité en matière de participation (ou de dynamique de genre) tel que le donnent à voir les articles d’Yves Raibaud et des auteures espagnoles invite à examiner attentivement les dispositifs non mixtes proposés dans d’autres aires culturelles que la nôtre.
29Les femmes présentes dans les dispositifs participatifs revendiquent-elles d’intervenir en tant que femmes ? Doivent-elles le faire ? La question de savoir si la revendication d’une identité sexuée est souhaitable a fait l’objet de prises de positions théoriques nombreuses et contrastées. Si dans les travaux français cette question donne lieu à une réponse centrée sur la dualité du genre humain, dans les travaux anglo-saxons la réponse porte davantage sur la reconnaissance de la diversité des groupes, comme le relève encore Bérengère Marques-Pereira. Là où Iris Young (1990) défend la nécessité pour les différents groupes sociaux opprimés de proposer des politiques fondées sur leurs intérêts propres, Anne Phillips (1993) pointe le risque de réifier les différentes identités, et la nécessité pour l’individu de se détacher de ses particularités propres. Quant à Chantal Mouffe (1993), elle met en garde contre le risque qu’une grammaire commune ne soit pas préservée. L’écueil est toujours de réifier les identités, fussent-elles multiples et pas seulement duales, celles-là mêmes qu’il faudrait taire et faire entendre, qu’il faudrait faire exister aujourd’hui pour qu’elles disparaissent demain. Dans quelle mesure l’universalisme libéral est-il compatible avec la « politique de la différence », selon l’expression d’Iris Young (1989) ?
30Par ailleurs, qu’est-ce qui constitue le groupe des femmes au-delà des différences multiples qui les traversent ? Pour Anne Phillips, l’exclusion historique des femmes de l’espace public et politique les constitue en tant que groupe, au-delà de situations et d’intérêts disparates. En dépit de la variation des situations, elles ont en commun cet héritage (qui constitue le présent de nombreux pays). Et a minima un intérêt commun : améliorer leur accès à l’espace public et politique. Depuis ces laboratoires que constituent les dispositifs non mixtes, les articles qui suivent montrent surtout que par-delà les différences voire les clivages qui structurent la dynamique participative, ce sont les violences faites aux femmes qui constituent le socle d’une conscience commune et partagée. Mais, du niveau local au niveau transnational, participer au nom des femmes n’est un mot d’ordre ni toujours partagé ni toujours consensuel. La fragmentation et les rapports de pouvoir au sein du monde des ONG menées par des femmes cherchant à obtenir l’attention de l’ONU en témoignent, comme le montre Isabelle Giraud.
31Dans les dispositifs mixtes, les participantes interviennent peu en tant que femmes (et d’autant moins que les débats ont lieu en ligne), sans que cela n’empêche les récepteurs ou les observateurs de recevoir certaines de leurs paroles comme féminines. Ce qui dote les participantes d’une capacité à parler en tant que femmes avec autorité, par rapport aux hommes, mais aussi aux autres femmes, c’est l’expérience du militantisme et la participation préalable à un contre-public subalterne féministe. Ce concept que l’on doit à Nancy Fraser, et qu’elle définit comme « des arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts, et leurs besoins » (Fraser, 2001, p. 138), est mobilisé dans plusieurs articles de ce dossier. Jone Martínez Palacios et ses collègues observent que les participantes qui sont dotées d’une conscience féministe, acquise depuis les contre-publics, ont le sentiment de mieux savoir se faire entendre que leurs homologues sans expérience militante. Sans doute, de tels temps de replis préalables dans des espaces libres de contraintes (free spaces, voir Poletta, 1999) ont manqué aux participantes de l’agglomération bordelaise pour peser efficacement dans le débat sur les mobilités, alors même que les problèmes d’inégalité en la matière sont bien renseignés par les travaux universitaires.
32De leur côté, les dispositifs non mixtes constituent des laboratoires pour l’observation des clivages qui traversent le groupe des femmes. Les hiérarchies observables dans d’autres arènes ne sont pas sans se reconstituer en contexte participatif. La sexualité, la couleur, l’âge, la religion, la classe sociale comptent à la fois dans la capacité à peser sur le débat et à la fois comme facteurs de mésentente, au sens où « la discussion d’un argument renvoie au litige sur l’objet de la discussion et bien sûr sur la qualité de ceux qui en font un objet » (Rancière, 1995, p. 15). Le genre n’est ainsi pas seulement un système de hiérarchisation et de différenciation structurant les rapports sociaux qui lient les hommes et les femmes ; il est un objet de tensions et de conflits pour les participantes. L’article de Marie-Hélène Sa Vilas Boas a d’ailleurs le mérite de signaler combien les perspectives introduites par les non-militantes dans l’arène de discussion en dépit de ces hiérarchies pluralisent la prise en compte des différents rapports sociaux et de leur consubstantialité, si ce n’est de leur intersectionnalité (Jaunait, Chauvin, 2012). De la même manière, les théoriciennes féministes anglo-saxonnes de la démocratie délibérative et participative ont considérablement porté la problématique de l’inclusion de tous les groupes sociaux subalternes, souvent à partir d’une perspective féministe. S’il ne fait guère de doute que le féminisme est favorable au pluralisme et au multiculturalisme, la réversibilité de la relation peut être interrogée (Moller Okin, 2008) [6].
33Il reste que, dans les dispositifs non mixtes, le militantisme féministe constitue un point d’appui, mais aussi une ressource distinctive, tant il produit au sein des participantes un clivage puissant. Si la participation au dispositif pour des non-militantes peut favoriser ensuite un engagement féministe, bien des témoignages recueillis par les auteur.e.s de ce dossier montrent que le militantisme des unes peut contribuer à délégitimer la participation des autres. C’est ce que décrit Marie-Hélène Sa Vilas Boas dans son étude d’un dispositif non mixte, celui des conférences municipales de Recife (Brésil). Elle y montre les rapports de domination qui peuvent s’établir entre femmes, notamment entre militantes féministes et non féministes, notamment autour de la politisation des rapports sociaux. Les perspectives les plus légitimes, au moins dans les premières phases, sont celles qui ont fait l’objet d’une construction par les militantes féministes en amont du dispositif (l’interpénétration du sexe et de la race), au détriment d’un autre rapport social que cherchent à imposer des participantes non organisées (l’imbrication du sexe et de la classe sociale, ainsi que l’identification à une communauté d’abord définie territorialement). On retrouve dans l’article de Marie Saiget à propos d’un dispositif non mixte au Burundi dans un contexte d’après-guerre cette même tendance : l’expérience de la participation favorise pour certaines la construction de leadership et introduit de fait des divisions au sein des regroupements de femmes.
34Le groupe des femmes nous apparaît donc, au fil des articles, dans une pluralité d’expériences et de trajectoires, de modes d’engagements et de styles d’expression, pris aussi dans des rapports sociaux autres que le genre. Les effets de l’âge, du statut social, de la profession, de l’expertise viennent tantôt redoubler les effets du genre, tantôt en interroger sa portée. Dans le comité d’éthique d’un hôpital étudié par David Smadja à partir du couple codage/décodage (Hall, 1972), le codage dominant appartient bien aux médecins qui se trouvent être des hommes. Pour autant, le décodage actif des femmes, qui se trouvent être infirmières et parentes (le plus souvent) des enfants hospitalisés, s’opère principalement à partir de leur statut professionnel et parental revendiqué. Lors du débat sur les mobilités, observé par Yves Raibaud, les représentantes d’associations suscitent railleries, brouhahas et interruptions, quand les statuts d’élue et de directrice de service technique communal, sans garantir la prise en compte des arguments, imposent visiblement davantage le respect. De nombreuses enquêtes sur la démocratie participative soulignent les processus de disqualification et de dé-légitimation, qui se déploient dans un jeu de différenciations et de hiérarchisations multiples, tant personne n’oublie jamais que la force des arguments ne s’estime qu’à l’aune des titres à parler. De fait, aucun article ne raisonnant toute chose égale par ailleurs, il est parfois délicat d’isoler l’effet propre du genre. Dans quelle mesure apparaît-il comme le rapport social décisif pour comprendre et expliquer la participation différenciée des hommes et des femmes ? Sur ce point, il est un enjeu à la fois épistémologique et méthodologique qu’il semble important d’introduire. Il faut regarder les hommes faire et parler comme on le fait pour les femmes, il faut les interroger avec les mêmes grilles et les mêmes postulats. Quand les contributeurs de ce dossier regardent les hommes participer « en tant qu’homme », alors la mise en symétrie méthodologique devient très productive. Que des hommes puissent « culpabiliser » de manquer de cohérence dans leurs discours (Martínez Palacios et al.) ou qu’ils puissent asseoir leurs prises de position politiques sur l’expérience et les émotions (Le Caroff), constitue des observations qui rappellent que, sur le terrain de la participation, le groupe des hommes n’est pas moins hétérogène que celui des femmes. Cette mise en symétrie méthodologique mériterait d’être prolongée, élargie et tenue de façon rigoureuse, afin de ne pas trop vite entériner les représentations stéréotypées qui gouvernent l’idée d’une différenciation genrée des modes d’engagement et d’expression. L’enjeu est de ne pas passer à côté d’évolutions telles qu’observées pour les États-Unis par Poletta et Chen, mais aussi de ne pas redoubler la différenciation par des méthodologies qui observent les modes d’engagement sur la scène publique des femmes dans leur rapport et leur écart par rapport à ceux des hommes, sans envisager la démarche inverse.
Les apartés de la participation
35La capacité des femmes à se faire entendre en tant que femmes et/ou en tant que citoyennes dans les arènes de la démocratie participative dépend de leur capacité – et de celle des hommes – à politiser les rapports sociaux de sexe inégalitaires, condition d’une intrusion légitime des thèmes minorés a priori dans l’espace de discussion, qu’il s’agisse de la parentalité et de la conjugalité, mais pas seulement. Tout l’intérêt des articles de ce dossier est de rappeler, s’il le fallait encore, que si les questions de maternité, de famille, de soins, de violence à l’égard des femmes sont généralement portées par les femmes, les questions de pauvreté, d’éthique, de mobilité et de transport, de paix et de géopolitique, de sécurité, d’aménagement urbain, etc., sont aussi des enjeux sur lesquels elles ont un point de vue. À l’image des jeunes féministes radicales des années 1970 évoquées par I. Giraud, les participantes peuvent tout à la fois revendiquer que la santé sexuelle et reproductive des femmes mérite l’attention de la collectivité, tout en ne voulant pas être réduites à ces affaires de femmes.
36Comme pour tout citoyen engagé en participation, la capacité à politiser les enjeux collectifs, et les rapports sociaux qui les structurent, est elle-même dépendante de la capacité à se constituer en sujet politique et en acteur social. La subjectivation politique tient à des processus d’émancipation, toujours contraints et fragilisés dans un système de relations sociales asymétriques, dont les dispositifs participatifs ne sont pas seuls comptables, mais qu’ils peuvent favoriser. Espaces d’apparition publique et de révélations, opportunités de déconstruction des normes et des stigmates au fondement des identités et des thèmes minorés, scènes de mise en tension et en équivalence des expériences, des différences et des positions, moments dialogiques et dialectiques entre individuel et collectif : les arènes participatives offrent bien ce potentiel émancipatoire (Tarragoni, 2013). Mais à une condition qui interroge : celle de l’aparté.
37Comme le rappelle I. Giraud, la participation des femmes sur la scène transnationale a d’abord été obtenue dans des espaces réservés, tels les bâtiments des femmes lors des expositions universelles de la fin du xixe siècle, à la fois compromis et compensation qui, en dépit d’une reconduction de leur confinement, constituaient un forçage de l’espace public global. « Ils ne savent pas comment introduire les femmes », dira encore plusieurs décennies plus tard Madeleine Reis à propos de la scène transnationale. Cette option du regroupement des femmes et de leur séparation des hommes reste retenue et défendue, comme pour les dispositifs non mixtes du Brésil et du Burundi, exposés dans ce dossier. Cette manière radicale de résoudre le dilemme constant entre universalisme et différences contribue certes à fixer une identité particulariste, mais se révèle un outil efficace d’empowerment des femmes. Plus généralement, tous dispositifs confondus, les moments spontanés d’aparté entre participantes apparaissent récurrents dans plusieurs articles présentés. Qu’ils résultent des contraintes propres aux dispositifs, ou qu’ils soient délibérément construits par les femmes, ils s’avèrent efficaces pour peser sur la dynamique des échanges. Dans son analyse d’un comité d’éthique, David Smadja montre que le moment du repas (le plus souvent préparé par les infirmières), voit les médecins, par ailleurs dominants dans le codage de la situation en réunion, moins à l’aise quand les femmes « se fondent sans difficulté dans ce monde qu’elles contribuent indéfiniment à fabriquer ». Les conversations discrètes, tenues à l’écart, contribuent à réguler les temps publics des échanges. Dans les articles qui suivent, il est souvent question d’espaces « parallèles », « séparés », « en retrait ». Parfois, c’est dans l’occupation de l’espace et la disposition des corps que cette logique apparaît, comme pour les infirmières du comité d’éthique qui choisissent spontanément « le regroupement en retrait » à la table des discussions. Cette logique de l’entre-soi prévaut et ouvre tantôt des espaces infra-politiques, tantôt, comme dans le cas des contre-publics subalternes, des espaces plus ouvertement politiques.
38Sans être marginale, la participation des femmes se joue donc aussi dans des marges, des interstices, aux bords des dispositifs qui les invitent à s’engager, et ce par contrainte ou par choix. Car il ne s’agit pas toujours d’une éviction ou d’une autocensure, mais aussi d’une prise de position délibérée dans des espaces alternatifs pour se tenir à distance des obstacles, compenser les handicaps réels ou supposés, ne pas donner prise à la domination masculine et aux rapports de pouvoir, maîtriser son expérience et ses intérêts. La logique d’une participation groupée en retrait, tactique des acteurs faibles (Scott, 1992), est bien structurante des contre-publics subalternes. Elle est généralement admise comme un moyen et non une fin ; il s’agit d’une étape corrective nécessaire pour compenser les asymétries avant de rejoindre le gros des troupes dans l’espace public global. De fait, c’est bien la nature des rapports sociaux de genre défavorables aux femmes qui les conduit à opter pour ce pas de côté, cette logique de l’aparté. Ces décalages offrent ainsi des possibilités de déplacements, des mises en symétrie et des négociations des normes et des codes, toujours conflictuelles. Ils contribuent à la problématisation des enjeux et des rapports sociaux. Si certains textes (Martínez Palacios et al., Smadja) avancent quelques observations quant aux effets des temps de retrait sur les modes d’engagement dans les dispositifs institutionnalisés, la question de l’articulation entre ces espaces différenciés reste ouverte. Dans quelle mesure, en quoi et par quels mécanismes la participation en retrait est-elle de nature à favoriser la mixité et la parité au sein des dispositifs publics ? Ces mécanismes sont-ils de nature à neutraliser les effets du genre, à introduire de la symétrie, à renverser les rapports de pouvoir ? Sous quelles conditions ?
Conclusion
39Plus que les hommes, les femmes sont tenues de se justifier et de justifier leur participation. Alors que la tension entre individu et citoyen concerne chacun (Mesure, Renaut, 1999) et que l’histoire de la démocratie est celle de cette tension, les femmes sont sommées de résoudre un dilemme que les hommes ont le privilège de pouvoir ignorer. Les travaux récemment développés sur les masculinités ont de ce point de vue le mérite d’interroger l’évidence et de dévoiler ce qui est invisibilisé (Arambourou, 2014).
40Si les innovations démocratiques contemporaines n’échappent ni à la différenciation ni à la hiérarchisation produite par le genre, en revanche, certaines de leurs formes et de leurs principes, par leur potentiel émancipatoire, pourraient, à condition d’être véritablement investis en ce sens, conduire à dépasser les dichotomies, les dilemmes et les paradoxes, en faisant des expériences masculines et féminines, toujours spécifiques et communes, toujours inscrites dans des rapports sociaux de genre, la matière même des délibérations publiques. Que les organisateurs de dispositifs, comme ceux de la consultation bordelaise sur les mobilités, ne perçoivent pas le temps perdu que constitue un dispositif qui n’assume pas cette opportunité de favoriser la révélation de l’inouï et de l’inaudible, dit assez bien le statut accordé à la démocratie participative en France.
41Il reste que nous manquons d’enquêtes pour évaluer l’impact de la participation des femmes en matière d’innovations démocratiques. L’augmentation du nombre de femmes élues dans les assemblées politiques locales favorise-t-elle le déploiement de processus participatifs ? La féminisation du secteur politique, académique et professionnel de la participation a-t-elle une réalité en France ? Avec quelles conséquences ? En évitant la myopie qui caractérise les approches monographiques des dispositifs participatifs, que dire des effets de la mixité et de la non-mixité sur les décisions publiques ? En dépit de quelques observations et jalons (Prémat, 2005 ; Paoletti, 2013) et pour prolonger la réflexion ouverte par ce numéro de Participations, une analyse genrée des élus locaux, mais aussi des personnels administratifs et des praticiens en charge de la démocratie participative et de leurs pratiques, serait bienvenue. Et ce afin d’apprécier dans quelle mesure les conditions sociales et politiques d’une participation citoyenne paritaire, qui ne paraissent pas pleinement réunies, s’offrent toutefois comme un proche horizon.
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- Talpin J., 2010, « Ces moments qui façonnent les hommes. Éléments pour une approche pragmatiste de la compétence civique », Revue française de science politique, 60, p. 91-115.
- Tarragoni F., 2014, « Émancipation », in I. Casillo, avec R. Barbier, L. Blondiaux et al. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, http://www.dicopart.fr/es/dico/emancipation (accès le 08/07/2015).
- Young I., 1989, « Polity and group difference : a critique of the ideal university citizenchip », Ethics, 99 (2), p. 250-274.
- Young I., 1990, Justice and the politics of difference, Princeton, Princeton University Press.
Notes
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[1]
Sans doute n’est-il pas utile de durcir excessivement la partition entre sexe et genre. « Le genre désigne le système qui produit une bipartition hiérarchisée entre hommes et femmes, et les sexes renvoient aux groupes et catégories produites par ce système. Cette règle d’usage permet également d’affirmer la dimension sociale du sexe, rompant avec les visions qui opposent “genre” (social, variable) et “sexe” (biologique, invariant) » (Bereni, Chauvin, Jaunait, Revillard, 2014, p. 10).
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[2]
« Gender dynamics vary according to the topic under discussion, with topics like engineering, toxic waste remediation, and budgeting tending to attract male participants and less instrumental topics on social harmony and community visioning tending to attract more women » (Lee, 2015, p. 85-88).
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[3]
« Dans le cas des femmes, les relations de subordination sont en général plus intimes et personnelles ; la procréation commune et la vie familiale ont fait que la conceptualisation d’une existence entièrement séparée pour le groupe dominé nécessite une transformation bien plus radicale que dans le cas des serfs ou des esclaves. Les analogies se font plus difficiles aussi dans les contextes contemporains où le choix du conjoint est laissé libre et où les femmes jouissent de droits civiques et politiques » (Scott, 1992, p. 36).
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[4]
Cette controverse très structurante du champ féministe français est rappelée par Y. Knibiehler : « D’un côté les “universalistes” (Christine Delphy, Élisabeth Badinter) ont remis en cause la différence des sexes, différence non pas naturelle, mais socialement construite, y compris la relation parent-enfant (ainsi l’“amour maternel” n’est pas naturel, il est “en plus”), et qui peut donc être “déconstruite”. D’un autre côté, les “essentialistes”, ou “différentialistes” (Antoinette Fouque, Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva) refusaient toute identification de la femme à l’homme, et inventaient le féminin/maternel comme essence. La tendance universaliste a dominé » (Knibiehler, 2007, p. 13).
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[5]
« Il existe une ambiguïté majeure quant au fondement de la citoyenneté des femmes. Celle-ci oscille entre l’autonomie de l’individu-citoyen abstrait et l’hétéronomie de la personne concrète. Identité prescrite et individuation sont des modes d’intégration à la sphère publique à la fois contradictoires et complémentaires. En effet, l’exclusion politique des femmes à partir d’une assignation sociale spécifique à la sphère privée autorise la revendication de leur intégration à la sphère publique en tant que femmes, mais cette catégorisation conditionne une intégration hétéronome qui fait obstacle au processus d’individuation ; en même temps, cette exclusion politique, qui se joue dans le cadre de la démocratie représentative, autorise la revendication de leur intégration en tant qu’individus, mais cette dynamique conditionne une intégration autonome qui alimente la logique d’assimilation à la norme masculine » (Marquez-Pereira, 2002, p. 13).
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[6]
S. Moller Okin (2008) pose ainsi la question : « Le multiculturalisme nuit-il aux femmes ? » (Raison publique, 2008, p. 13) : « Je crois que nous – et en particulier ceux d’entre nous qui nous considérons comme politiquement progressistes et opposés à toutes les formes d’oppression – avons accepté trop facilement de considérer aussi bien le féminisme que le multiculturalisme comme de bonnes choses, qui seraient aisément conciliables. Je soutiens au contraire qu’il y a très vraisemblablement une tension entre les deux – plus précisément, entre le féminisme et l’engagement multiculturel en faveur des droits collectifs pour les cultures minoritaires. » Et d’ajouter : « Lorsqu’on avance des arguments libéraux en faveur des droits collectifs, il faut donc prêter un soin tout particulier aux inégalités à l’intérieur du groupe. Il est tout particulièrement important de regarder les inégalités entre les sexes, puisqu’elles sont sans doute moins publiques, et moins facilement discernables. En outre, les politiques qui visent à répondre aux besoins et aux revendications des groupes culturels minoritaires doivent prendre au sérieux l’exigence d’une représentation adéquate des membres moins puissants de ces groupes. »