Couverture de PARTI_007

Article de revue

Photographie et film dans les projets urbains participatifs : mont(r)er l'image d'un habitant actif ?

Pages 151 à 172

Notes

  • [1]
    De nombreux travaux reviennent sur ce point. Voir notamment Bacqué et al., 2005 ; Söderström et al., 2000 ; Hayot, Sauvage, 2000. Si cette injonction vise en premier lieu la participation des « futurs destinataires des projets urbains », communément nommés les « habitants », certains dispositifs invitent d’autres types d’acteurs.
  • [2]
    Il s’agit notamment de chefs de projet développement social urbain (DSU) apparus avec les lois de décentralisation dans les années 1980. Voir les travaux de Marion Carrel (2013) sur les « artisans de la participation » dans les « quartiers populaires », de Magali Nonjon (2005) sur les profils militants chez les chargés de concertation et de Sylvie Tissot (2002) sur les initiateurs de processus « émancipateurs » dans les quartiers politique de la ville.
  • [3]
    Je n’évacue pas pour autant l’importance de la dimension orale de l’échange qui, bien évidemment, se trouve à la base de toute forme de communication en « face?à?face », encore plus dans des processus de prise de décision. Ma thèse interroge ainsi les langages de la participation en situation de « face?à?face » (Goffman, 1973, 1974, 1987 ; Witkin, 2001), en insistant sur les enchevêtrements qui s’opèrent entre langage verbal, visuel et silencieux (Hall, 1978, 1984).
  • [4]
    Voir l’introduction de ce dossier.
  • [5]
    Par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
  • [6]
    Je tiens à associer à cette formule Agnès Deboulet et Rainier Hoddé.
  • [7]
    Le Picri (Partenariat institutions citoyens pour la recherche et l’innovation) s’intitulait « Re­­nouveler les pratiques de conception du projet urbain : renforcer l’écoute et la coopération entre les professionnels de la ville, les associations et les citoyens en Île?de?France ». De 2008 à 2011, ce programme de recherche régional coordonné par A. Deboulet a regroupé une dizaine de chercheurs sur six terrains d’étude. J’ai intégré ce Picri comme doctorante chargée de la coordination et de l’animation administrative. Ce travail s’est déroulé selon trois modalités : recherche, recherche formation et recherche action. C’est cette dernière, observée au titre de ma thèse, que j’évoquerai ici.
  • [8]
    C’est le terme communément utilisé par les initiateurs et la plupart des animateurs des processus participatifs. Certains habitants « organisés » évoquent la nécessité d’une « boîte à outils » de la concertation.
  • [9]
    Dans le cadre ma thèse, je définis l’outillage de l’échange en considérant les dimensions matérielle et immatérielle de l’interaction. Elles concernent tout ce qui est mobilisé pour (faire) participer : les instruments (les lieux de la participation, techniques et règles d’animation, les documents et supports), les compétences (savoirs, savoir?faire, etc.) et les dispositions des acteurs (prendre, donner et écouter la parole).
  • [10]
    Concernant la carte par exemple, Romain Liagre et Magali Nonjon (2012) parlent de cartographie « “participative” ou encore “militante” dans la mesure où la maîtrise des outils de représentation de la ville permettrait à la population, dans son ensemble, de participer à la construction des projets d’aménagement, de s’y opposer, ou encore d’y résister ».
  • [11]
    Bien souvent à tort, nous dit Cyria Emelianoff (2008).
  • [12]
    Par analogie aux travaux portant sur la « réception » dans les projets architecturaux et urbains (Hoddé, Léger, 2003 ; Semmoud, 2007), j’ai développé la notion de « réceptionnalité » en analysant l’interaction entre conception et réception de l’outillage de l’échange, à un double niveau. J’ai d’abord considéré la « réceptionnalité » sous l’angle de sa performativité, c’est-à-dire la tension entre les intentions que les professionnels de la participation mettent dans l’outillage de l’échange et les obstacles à une participation effective. Par exemple, la réception des images – et de la cartographie en particulier – par le public ne se fait pas toujours comme les professionnels de la concertation s’y attendent (Mahey, 2006 ; Charles, 2012). Ensuite, j’ai analysé comment, alors que l’outillage contraint les participants à des formes particulières de prises de parole, ces derniers interagissent avec les modalités mêmes de l’échange, contribuant ainsi, en situation, à une (re)définition de cet outillage.
  • [13]
    Je ne développe pas ici ces postures, analysées plus en détail dans ma thèse, car ce n’est pas le propos de l’article.
  • [14]
    Sur les dispositions des acteurs, la réflexion s’est nourrie en partie de la recherche collective Picri. Les dispositions sont comprises ici comme des structures cognitives, pratiques ou interprétatives qui vont orienter l’action. Elles « ont une valeur objective, c’est?à?dire correspondent sinon à des propriétés réelles, du moins à des propriétés qu’il est conceptuellement et scientifiquement utile, voire nécessaire, de reconnaître » (Bourdieu, 1997, p. 109).
  • [15]
    Il s’agit de deux compétences intrinsèquement liées. La « compétence à produire » induit d’emblée « une compétence à lire » ou du moins la facilite. L’apprentissage de la lecture passerait en grande partie par la coproduction, qui faciliterait le processus de décodification.
  • [16]
    Le powerpoint, qui sert de support de montage de différents médiums – cartes, photographies, etc. –, est lui aussi systématiquement mobilisé.
  • [17]
    Cette recherche?action s’est développée dans le cadre du Picri, avec une équipe de quatre personnes : la coordinatrice scientifique de la recherche (A. Deboulet), l’animatrice des ateliers (B. Deluc), un coordinateur (R. Hoddé) et une observatrice (moi?même). Un cinéaste (G. Felix) a rejoint l’équipe avec pour mission de réaliser un documentaire rendant compte des ateliers. Un intervenant extérieur d’un bureau d’études en concertation (H. Saillet) est intervenu en appui à l’animatrice sur l’un des ateliers.
  • [18]
    Ce soutien consistait notamment à rappeler par téléphone aux participants la date des ateliers et à leur envoyer, ainsi qu’à d’autres acteurs, chaque compte rendu de réunion rédigé par l’animatrice.
  • [19]
    Extrait de l’introduction dans le compte rendu intégral des ateliers de quartier, réalisé par l’animatrice (http://www.paris?lavillette.archi.fr/centresud/IMG/pdf/cr_complet_recherche_action_bon?email.pdf, accès le 3 février 2013).
  • [20]
    Il s’agit d’un « Groupement pluridisciplinaire de recherche et de production sur l’espace » (http://www.polimorph.net), qui réunit des professionnels indépendants exerçant collectivement au sein de l’association, et individuellement en dehors, sur des prestations qui vont de la maîtrise d’œuvre à la construction (notamment d’objets design). Sur le projet d’« écohameau », huit personnes étaient présentes – des architectes, des urbanistes ou des paysagistes assurant, selon les besoins, l’animation des ateliers. Je tiens à remercier ici la coordinatrice et animatrice principale, P. Marguc, de m’avoir permis d’observer « son » groupe « au travail » dans d’aussi bonnes conditions.
  • [21]
    Site internet des marchés publics : http://www.e?marchespublics.com/poser_une_question_marches_publics_34_73791.html (accès le 3 février 2013).
  • [22]
    Le projet consiste en la réalisation de neuf mini?hameaux et l’amélioration des équipements pour l’ensemble du village. L’objectif des commanditaires est de faire autre chose que des lotissements classiques, qui dénaturent le paysage et ne répondent pas aux normes écologiques qu’ils soutiennent.
  • [23]
    Les comptes rendus et le film sont consultables sur le site : http://lechampfoulon.blogspot.fr/2011/07/hameau?decouvert.html (accès le 3 février 2013).
  • [24]
    On retrouve très régulièrement ces étapes dans les réponses aux appels d’offre publics portant sur des missions d’organisation et/ou d’animation de concertation.
  • [25]
    Situé dans les Yvelines, le quartier de la Coudraie a fait l’objet d’une concertation sur la rénovation urbaine. Passant du « conflit ouvert à une concertation exemplaire », les habitants ont su mobiliser une panoplie de savoirs pour se positionner comme véritable « force de proposition » (Deboulet, Mamou, 2013).
  • [26]
    Réunion de concertation sur des démolitions à acter, 18 janvier 2011.
  • [27]
    Voir l’article de Laura Seguin dans ce dossier.
  • [28]
    Cette citation et les suivantes sont issues d’une observation de l’atelier 1 « Diagnostic », réalisée le 15 septembre 2010.
  • [29]
    L’intégralité des observations se trouve sur le site http://lechampfoulon.blogspot.fr/p/saint?cyr?en?artiers.html (accès le 3 février 2013).
  • [30]
    B. Deluc. « Balade urbaine et parcours commentés », 6 mars 2010. Ce document sert à restituer le diagnostic collectif.
  • [31]
    Entretien du 21 janvier 2013.
  • [32]
    Réalisé par B. Deluc. Chaque compte rendu aura lui?même une couverture de ce type.
  • [33]
    Réunion autour du projet mémoire, 2 avril 2011.
  • [34]
    Au moment de ce « boycott », les habitants sont engagés activement dans une « négociation » portant principalement sur des éléments de programmation autour du relogement, et ce depuis plus de trois années.
  • [35]
    C’est d’ailleurs rarement le cas, à l’exception du documentaire « Déconcertation » (Béatrice Dubell, 2011, 50 minutes, http://www.rhone?alpesolidaires.org/files/DECONCERTATION_Dossier_de_presse_0.pdf, accès le 3 février 2013), qui fait de la vidéo un support direct de l’échange. Il s’agit d’une mise en scène réalisée par 50 comédiens amateurs, qui rejouent la concertation ayant précédé le grand chantier du « Carré de soie » dans la banlieue est de Lyon. Ils improvisent à partir de la transcription d’échanges réels.
  • [36]
    Discussion informelle du 2 mars 2011.
  • [37]
    C’est le cas des deux dispositifs développés dans cet article.
  • [38]
    Voir l’article de Laura Seguin dans ce dossier.
  • [39]
    À Vitry?sur?Seine, les habitants posent comme condition nécessaire à une participation effective la non?présence des acteurs institutionnels. Les élus l’ont entendue et acceptée en autorisant que les ateliers se déroulent à « huis clos » et en cofinançant la réalisation du film. Une restitution finale a eu lieu en présence de divers acteurs institutionnels.
  • [40]
    Participante de l’atelier 3 « Diagnostic ».
  • [41]
    Cette réflexion vient de la discussion informelle avec Sylvain Adam, le 22 janvier 2013.

1La participation des habitants accompagne dorénavant la majorité des projets urbains. Pour répondre à l’obligation politique [1] de faire participer, qui se traduit par de nouvelles commandes et de nouveaux marchés, et à la demande sociale de participation qui « n’est jamais totalement absente » (Gourgues, 2012, p. 5‑12 ; voir aussi Biau, Tapie, 2009), de plus en plus de structures se sont spécialisées dans une ingénierie de la participation. Ces consultants vont de la « boîte de communication » à d’anciens chefs de projet politique de la ville [2], en passant par des collectifs alternatifs pluridisciplinaires, composés de jeunes diplômés récemment arrivés sur le marché du travail : architectes, urbanistes, paysagistes, artistes ou chercheurs (Avitabile, 2005). « Consultants‑militants de la participation » (Carrel, 2013), ils développent des « modalités concrètes du dialogue (langage, organisation du forum de discussion, etc.) » (Söderström et al., 2000, p. 6), qui permettraient aux citoyens « novices » dans le domaine de l’urbain de mieux appréhender les enjeux des projets, de prendre plus facilement la parole, voire d’être mieux associés à la décision publique. Ces professionnels tentent ainsi d’aider à la construction d’une « vision collective appartenant à la communauté des acteurs qui l’a produite plus qu’à chacun d’entre eux pris individuellement » (Fareri, 2000, p. 31).

2Le projet urbain participatif porte en grande partie sur la construction d’une « vision collective territorialisée », qui s’appuie essentiellement sur des représentations visuelles de l’espace (Faraldi, 2005 ; Devisme, 2007 ; Masboungi, Mc Clure, 2007). Celles?ci semblent devenues incontournables, notamment parce qu’elles sont centrales dans l’activité des professionnels de l’urbain pour communiquer (sur) et fabriquer le projet urbain, mais aussi parce que leur multiplication dans les dispositifs participatifs laisse supposer une facilité de lecture (Lardon, Chia, Rey?Valette, 2008). Ainsi, l’« accroissement de la production et de la diffusion de supports iconographiques dans la conception des projets » (Bailleul, 2011, p. 43) et « l’intérêt porté à la dimension visuelle du monde social […] de plus en plus au centre de l’attention des sciences sociales » (La Roca, 2007, p. 33) nous incitent à analyser la dimension visuelle [3] inscrite dans l’exercice participatif. Dans « l’arsenal visuel » de la démocratie participative, la photo et la vidéo sont intéressantes à interroger, car elles paraissent s’éloigner des supports habituellement utilisés par les professionnels dans la production du projet [4]. Les travaux portant sur les supports visuels dans la participation montrent que la photo et la vidéo sont considérées comme un moyen privilégié de mobiliser le savoir local (Van Herzele, Van Woerkum, 2008). Aussi peut?on s’interroger sur leur place dans le projet urbain participatif.

3Si l’habitant est le plus souvent sollicité pour/sur son savoir d’usage, l’observation de situations participatives montre que photo et vidéo semblent le sortir de ce cantonnement en mobilisant sa parole (en images) à un autre niveau. L’élaboration d’une image photo par l’habitant implique de sa part des opérations de cadrage qui lui permettent de réaliser une certaine déconstruction du territoire. Elle favorise ainsi la découverte, voire l’apprentissage, d’autres savoirs, partagés. La vidéo, souvent au service d’un film in progress, insiste sur « la recherche en train de se faire » (Laplantine, 2007, p. 48) et, ainsi, sur les savoirs mobilisés en situation et les modalités pratiques de leur mobilisation. Enfin, la dimension « mémorielle » du projet urbain participatif assurée par ces deux supports invite à interroger les traces (pour ne pas dire les preuves) qu’ils laissent derrière eux, témoignant d’une réhabilitation d’un habitant « actif » et non pas passif et consommateur. Mais on ne peut exclure que dans certains dispositifs, la parole de l’habitant n’est sollicitée que pour « (re)faire l’histoire du quartier ». Le travail sur la mémoire remplace l’activité de concertation et sert parfois à « faire passer la pilule » d’une rénovation urbaine pilotée par le haut [5].

4Aussi, ces autres niveaux d’interventions et d’implication des habitants mettent en question les représentations (visuelles et sociales) du territoire et la manière dont certains outils peuvent contribuer à réduire les effets de domination inscrits dans les dispositifs participatifs, représentations et effets de domination étant largement imbriqués. Les discours et représentations produits à l’aide des images photo et vidéo (auxquelles est systématiquement associé un autre langage : parole, texte écrit, repérage sur une carte, etc.) seront analysés du point de vue de leur mise en œuvre, mais aussi de leurs effets. Il s’agit de mieux saisir les potentiels et les limites inscrits dans l’usage de ces deux supports de la participation. Avant cela, je présenterai le cadre de la recherche (posture théorique et terrain d’enquête). Puis, pour mieux situer les places que les supports photo et vidéo occupent dans l’intégralité du dispositif qui les mobilise, un passage par les étapes du projet urbain participatif en fonction des supports visuels retenus est nécessaire.

Saisir les « modalités concrètes du dialogue » à travers l’outillage de l’échange

5Les travaux sur la démocratie participative adoptent des postures plurielles, qui varient très souvent en fonction des disciplines auxquelles elles se rattachent et se réfèrent. Les recherches en science politique portent plus particulièrement sur la question du renouvellement des formes de gouvernance et sur la modernisation des administrations publiques (Sintomer, 2011 ; Lascoumes, Le Galès, 2012). En aménagement et urbanisme, elles insistent sur le passage d’une approche rationnelle à une approche collaborative de l’aménagement (Forester, 1999 ; Söderström, 2000 ; Bacqué, Gauthier, 2011). Les travaux issus du courant de la sociologie pragmatique s’attachent quant à eux à l’étude des interactions, plus particulièrement à leur dimension argumentative (Berger, 2008 ; Talpin, 2010). Ma recherche s’inscrit dans le prolongement et à l’intersection des travaux sur la constitution du public de la participation (Carrel, 2013) et la mise en œuvre de pratiques et de cultures participatives (Neveu, 2007). Elle intègre également les apports des recherches sur les savoirs et compétences citoyens et professionnels (Berry?Chikkahoui, Deboulet, 2010 ; Deboulet, Nez, 2013). Dans l’analyse sociologique des situations participatives, je m’appuie sur la notion d’interaction en « face?à?face », définie comme l’« influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres » (Goffman, 1973, p. 23?24). Il s’agit de saisir le projet urbain comme un instrument de gouvernement (Lascoumes, Le Galès, 2005) qui mobilise des acteurs aux statuts très hétérogènes et comme une forme « organisationnelle » qui confronte (et contribue à construire) des compétences elles?mêmes très diverses.

6Je m’inspire de la formule « échanger et changer » [6], proposée dans une table ronde lors du colloque final du Picri « Conflits et écoute. Interroger la coopération sur le projet urbain » [7]. Plutôt que de parler d’outils de la concertation ou de la participation, comme c’est très souvent le cas [8], je préfère employer l’expression « outillage de l’échange ». D’une part, les processus participatifs ne mettent pas tous systématiquement en place des conditions effectives de concertation ou de participation. D’autre part, la notion d’échange induit une double dimension, d’interaction et de changement (au sens de transformation, mise en mouvement), qui est intéressante à interroger. Aussi, parler d’outillage [9] plutôt que d’outil permet de considérer ce qui est mobilisé pour (faire) participer comme un assemblage qui n’est pas figé. Je rejoins ainsi les travaux qui s’intéressent aux modalités opératoires et aux effets induits par les actions collectives (Touraine, 1965 ; Lascoumes, Le Galès, 2012). Mon intérêt se focalise sur l’outillage de l’échange, en postulant que « la qualité du processus d’échange et de l’argumentation » (Bacqué, Rey, Sintomer, 2005, p. 134), notamment les modalités de prise de parole et d’écoute (Deboulet, 2012), dépend des dispositions et compétences des acteurs, ainsi que du potentiel démocratique inscrit dans les supports [10] de l’échange. Il s’agit d’interroger la dialectique en marche : entre routinisation et/ou « flexibilisation » de l’échange, à travers les marges que l’outillage laisse aux compétences et expressions en présence, ainsi qu’à leur « construction » (Foret, 2001).

7Comprendre comment s’organise et s’outille l’échange dans le cadre d’un projet urbain participatif m’a incitée à multiplier les cas observés. Si l’ingénierie de la participation « s’institutionnalise » à travers la prolifération des dispositifs, elle ne fait pas toujours l’objet d’une commande institutionnelle, au sens politique du terme. Mon hypothèse est que l’absence d’une réglementation claire en matière de modalités participatives ouvre à des registres d’action très contrastés, d’où le choix de retenir six terrains d’étude franciliens eux aussi pluriels pour mieux saisir les (in)variants inscrits dans l’outillage même de l’échange. Afin de considérer les liens entre outillage et projet urbain, je retiens deux catégories de projets urbains communément considérés comme contrastés [11], du point de vue des objectifs, moyens et populations concernées : les projets de rénovation de grands ensembles et les écoprojets. Sur chaque site, l’enquête a consisté à observer la quasi intégralité des réunions participatives officielles (sur des périodes allant de 8 mois à 3 ans), ainsi qu’à interviewer les chargés de la participation et un panel d’habitants. J’ai réalisé les entretiens une fois les observations terminées, davantage pour valider ou invalider des hypothèses issues des observations que pour apporter des éléments nouveaux. Sur ces six processus observés, les personnes chargées de la participation semblent faire de la « réceptionnalité » du projet urbain (pour les premiers concernés par les aménagements, les habitants) un objectif central, qui peut traduire un « souci de modifier les pratiques dans un sens sensiblement différent […] [d’]une logique foncièrement technocratique » (Semmoud, 2007, p. 12). Cette notion de « réceptionnalité » traduit une volonté de développer un outillage de l’échange facilitant la compréhension des enjeux touchant au projet, ainsi que les prises de parole [12]. Aussi, l’enquête révèle trois types d’outillages de l’échange structurant la « réceptionnalité » selon trois « priorités » [13] majeures : la première est essentiellement centrée sur l’échange verbal, la deuxième sur les représentations visuelles et la troisième se situe entre les deux. Dans les trois cas, le souci d’une véritable réception du projet urbain se trouve souligné par le fait que les professionnels adoptent des postures réflexives sur leur propre pratique. Celles?ci permettent de mieux cerner les enjeux inscrits dans l’outillage de l’échange, ainsi que les écarts entre les attendus et les effets.

8Comme cela a déjà été mentionné, le projet urbain participatif s’appuie en grande partie sur les représentations visuelles de l’espace. Bien sûr, la mobilisation de ces supports est à relativiser en fonction de facteurs multiples qui vont orienter, voire contraindre, les choix retenus. D’une part, les supports visuels dépendent de la morphologie spatiale du site. Selon que l’on est dans un site à dominante « verte » ou « bâtie » par exemple, la restitution d’une image visuelle du site sera facilitée par tel ou tel support : dessin, photographie, film, texte, etc. On verra que la photographie est particulièrement associée au « paysage » vert. D’autre part, ces supports sont fonction de la phase du projet au cours de laquelle ils se trouvent sollicités : diagnostic, scenarii, choix des orientations d’aménagement ou toute autre forme de décision. J’y reviendrai plus précisément. Enfin, les postures dépendent des dispositions des acteurs vis?à?vis de ces supports [14]. Que ce soit du côté des professionnels ou de celui des « profanes », les supports font appel à des compétences particulières, notamment en ce qui concerne leur production et leur lecture [15]. D’autres paramètres influencent fortement le choix des supports, comme le type de commande ou de projet. Les projets labellisés « éco », par exemple, se caractériseraient par un degré d’expérimentation important, aussi bien du point de vue des attendus en termes de programmation architecturale et urbaine (forte dimension environnementale, écologique, etc.) que de celui des modalités participatives qui les accompagnent.

9S’il existe un arsenal de supports visuels et de postures participatives, l’enquête montre qu’il se dégage une base commune, une sorte de « support minimum dont on aurait besoin pour faire participer » ou de « prêt?à?participer ». Les dispositifs déploient en effet systématiquement a minima trois supports de représentation visuelle de l’espace : carte, images de synthèse en 3D, maquette [16]. Ils se trouvent complétés par d’autres selon les besoins. Au sein de cette diversité, nous porterons un intérêt plus particulier aux ressorts et aux usages de la photographie et de la vidéo, en nous concentrant sur deux dispositifs participatifs qui les utilisent.

Deux projets « expérimentaux » contrastés : du grand ensemble au petit hameau

10Dans le grand ensemble Ouest (quartier classé en zone urbaine sensible) de Vitry?sur?Seine, commune de plus de 80 000 habitants en proche banlieue au sud de Paris, un groupe d’enseignants?chercheurs (en architecture, urbanisme, sociologie) initie une recherche?action dans le cadre d’ateliers de quartier [17]. Le rôle de soutien logistique [18] que j’ai endossé au sein de ce groupe m’a permis d’interférer au minimum sur les modalités de cette recherche?action, car les participants étaient au courant de mon statut d’« observatrice » et m’ont ainsi permis d’adopter une posture d’observation non « engagée ». Ces ateliers prennent place dans un contexte où il n’y a pas de rénovation urbaine programmée par l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru), alors qu’il y en a sur un autre territoire de la commune (la Cité Balzac, située à quelques centaines de mètres). Une douzaine d’habitants du quartier, pour la majorité engagée dans des structures locales (amicales de locataires, association de quartier), participe régulièrement. Pour la plupart, ils bénéficient des minimas sociaux ou ont des revenus très précaires, exerçant de petits travaux ou des gardes d’enfants. Les ateliers de quartier ont pour but d’« expérimenter des outils de discussion et de dessin afin de déboucher sur un langage commun qui permette de forger un point de vue collectif sur les forces ou les faiblesses du quartier identifiées lors des ateliers » [19]. Les huit séances se déroulent sur une période d’un an, à raison d’une séance mensuelle de quatre heures. Elles ont donné lieu à un film documentaire de 32 minutes intitulé : « Apprendre à travailler ensemble. Atelier de quartier à Vitry?sur?Seine. 2010?2011 ». La photographie est utilisée pour illustrer les comptes rendus d’ateliers. Les prises de vue sont réalisées par un membre de l’équipe en charge de la mise en place du dispositif participatif.

11À 50 kilomètres au nord?ouest de Paris, dans le Parc naturel régional (PNR) du Vexin, une petite commune d’environ 230 habitants est la première à expérimenter un processus participatif dans le cadre d’une étude de définition pour la conception d’un écohameau. Le village compte 107 logements, 8 sont en location, dont un au titre du logement social. Les revenus des habitants sont supérieurs à la moyenne nationale. La participation se déroule, de même que sur l’autre site, sur une période d’un an (de juin 2010 à juin 2011), à hauteur de trois ateliers de travail d’une journée, suivis à chaque fois d’une restitution publique de trois heures présentant le travail effectué et validant collectivement les options retenues. Une trentaine d’acteurs y a régulièrement participé (habitants, acteurs institutionnels du projet, professionnels, étudiants, etc.). Cet écohameau se veut expérimental, ce qui implique la présence de plusieurs catégories d’acteurs. L’objectif est de favoriser un « apprentissage collectif » et « des coopérations futures », afin de faire de ce dispositif une expérience exemplaire en termes de participation. Un collectif de professionnels indépendants (architectes, urbanistes, paysagistes, économistes, etc.) [20] est chargé par le PNR du Vexin et la ville d’effectuer une « étude de définition participative d’un projet d’écohameau d’initiative communale avec une démarche d’animation » [21]. Les ateliers ont surtout consisté à explorer de nouvelles formes d’habiter, « dans un souci d’exemplarité voire d’expérimentation au regard des principes du développement durable » [22]. La photographie est utilisée au moment du diagnostic, chaque participant (habitant du hameau ou non) étant amené à prendre une ou plusieurs photographies. Tout comme à Vitry?sur?Seine, un film documentaire est réalisé : « Making?off : “Hameau découvert, élaboration collective d’un écohameau” » [23].

12Comme pour la majorité des supports visuels, la mobilisation de la photo et de la vidéo se fait en fonction des phases du projet urbain. Introduire une dimension processuelle avant d’entrer dans le détail des usages et des discours que ces supports produisent permet de mieux saisir les logiques « projets » qui les sous?tendent et donne à voir de façon plus précise la place que ces deux médiums prennent dans l’ensemble du processus.

Mobilisation de la photo et de la vidéo dans le processus de l’échange

13L’enquête montre que la conception des projets urbains suit toujours un processus structuré en trois phases principales, systématiquement dans le même ordre (Mamou, 2010 ; voir aussi Bacqué, 2009) :

DiagnosticOptions de scenarii – Décision : choix d’orientations qui aboutissent à un projet final

14Le croisement entre cette logique du projet décomposée en grandes étapes [24] et la mobilisation des différents supports visuels fait apparaître le résultat suivant : certains supports semblent plus à même de servir l’exploration du territoire (ainsi que sa représentation), d’autres le travail de conception, tandis que d’autres encore paraissent plus adaptés pour rendre compte des choix programmatiques (options architecturales et urbaines retenues). Certains supports peuvent être mobilisés sur plusieurs phases, comme la carte. Complétée par la parole, l’écriture ou le dessin, elle permet aux participants d’établir un état des lieux du territoire, de cartographier des options de projet, etc. Sa mobilisation régulière peut s’expliquer par le fait que la carte est aussi un document d’urbanisme, comme c’est le cas dans les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les Plans locaux d’urbanisme (PLU).

15Lorsque le processus aboutit à une proposition d’aménagement urbain, la maquette est surtout sollicitée pour montrer l’implantation du projet dans son site. Celle?ci peut d’ailleurs être demandée par les habitants au moment d’une prise de décision importante en termes de choix programmatique. À la Coudraie, par exemple, grand ensemble en rénovation urbaine [25], les habitants demandent une maquette [26] pour mieux visualiser l’impact de démolitions sur leur quartier, et ainsi être plus à même de décider si oui ou non ils acceptent cette orientation. La photo, quant à elle, constitue souvent une méthode d’investigation pour réaliser un état de l’existant. Elle est ainsi systématiquement retenue dans les arpentages, balades urbaines ou diagnostics en marchant. Dans les dispositifs où elle est le support visuel principalement mobilisé pour (faire) participer, elle est utilisée dans les trois phases. C’est le cas, par exemple, des « ateliers utopiques » réalisés par le collectif Bruit du Frigo qui intervient notamment sur l’espace public. Ces ateliers consistent, dans un premier temps, à arpenter le territoire par la photo et les rencontres avec les usagers. Les participants sont ensuite invités à transformer la photo du site en une image utopique représentant une idée de projet.

16Si ces outils et supports dépendent du phasage du projet, ils ne s’autosuffisent pas dans le processus. Chaque support complète et/ou anticipe (ou prépare) le suivant. Ici se pose la question du degré d’autonomie et d’interdépendance inscrit dans ces supports. La photographie peut répondre à plusieurs fonctions au cours du projet, alors que la vidéo s’attache à rendre compte d’une dimension plus précise : la restitution ou la documentation du processus d’échange [27]. La dimension participative de la procédure, en introduisant la nécessité de communiquer déjà inscrite dans le projet (Boutinet, 1990), vient étoffer le processus classique en trois phases. En donnant à voir le processus d’échange (sur une phase ou les trois), la vidéo introduit des phases d’anticipation?préparation de la « diffusion » :

Diagnostic – Diffuser pour la suite du projet urbain – Options de scenarii – Déci?sion : choix d’orientations qui aboutissent à un projet final – Diffuser pour un projet urbain plus large

Décomposition par le cadrage : entre individuel et collectif

17Pendant la phase diagnostic, si les balades (parcours et diagnostics en marchant, arpentages) modifient la perception que chacun se fait du territoire qu’il croit connaître, la photographie immortalise le moment où l’habitant porte un autre regard sur ce qui lui est familier. Cette perception est différente parce que son auteur va la partager avec d’autres. Ce processus de mise en visibilité passe par une opération de cadrage, qui permet à son auteur de regarder le paysage avec une attention inhabituelle. La photographie permet de mieux comprendre comment se structure et s’harmonise un paysage ou un objet, à la condition qu’elle soit associée à un travail de description et de justification. L’obligation de justifier les prises de vue réalisées contraint les participants à porter un regard « diagnostisant » (Laplantine, 2007), favorisant l’émergence d’hypothèses (Piveteau, 1999) qui conduisent à indiquer (pas systématiquement de manière explicite) ce que l’objet ou le paysage photographié apporte ou fait au projet. Ainsi, prendre une photo nécessite de trier la réalité et de rendre compte de cette opération de tri.

18Dans le cadre du projet d’écohameau, lors du premier atelier consacré au diagnostic, l’outil « Odyssée de l’espace » est présenté par la responsable de l’équipe en charge de la participation dans les termes suivants : « Il y a des éléments qui constituent le territoire, mais qu’on ne voit pas forcément » [28], et la photographie contribue à les rendre visibles. Elle insiste longuement sur la pluralité des regards et sur la nécessité d’avoir un éventail le plus large possible : « Nous, on a fait déjà 26 observations que vous voyez affichées sur les cartes, forcément notre regard est différent du vôtre. Ce qu’on cherche aujourd’hui, c’est votre regard. » Avant de laisser les participants réaliser leurs observations, elle ajoute : « C’est dans l’ensemble qu’on va découvrir les particularités de Saint?Cyr. […] Et c’est ça qui va nous permettre de révéler des potentiels, peut-être aussi des problèmes ».

19Chaque participant se voit remettre un appareil photo numérique, s’il n’en possède pas, et une fiche intitulée « voir ce qu’on ne cherche pas ». Celle?ci compile plusieurs informations qui sont ensuite mises en page par les chargés de concertation pour constituer des supports photo commentés. Les commentaires servent à la mise en situation de l’observation, à son évaluation, à sa qualification, etc. À leur retour en salle, les participants rejoignent des membres de l’équipe d’animation qui réceptionnent les photos et les fiches correspondantes. Chaque participant sélectionne un cliché (au cas où il en aurait pris plusieurs) et localise le lieu de son observation sur un grand plan papier du site, placé à proximité des ordinateurs. À l’aide d’un numéro qu’il va coller lui?même, il référence sa photo sur le plan. En dehors d’une opération alimentant le diagnostic du territoire, c’est aussi une manière pour l’équipe de s’assurer que chacun parvient à se repérer sur la carte et à donner au fur et à mesure les éléments de repérage nécessaires.

20Pour la restitution du diagnostic, l’équipe d’animateurs constitue autant de supports photo commentés que d’observations individuelles. Elle classe chacun d’eux en fonction de l’évaluation de la situation observée, sur une échelle allant de ?3 à +3 correspondant aux différents degrés du « j’aime/je n’aime pas » classique dans l’observation d’un territoire. Ce système de notation permet ainsi de rester au plus près de la parole du participant et évite les biais de l’interprétation de l’expert, lorsqu’il effectue un classement par thèmes. On retrouve régulièrement ce type de classification dans les processus participatifs portant sur des projets urbains. En s’insérant dans un dispositif de classement qui attribue à chaque photo commentée une même nature et quantité (limitée) de texte, elles donnent lieu à un discours structuré en fonction d’une trame identique. Cela évite ainsi que l’expert et le bavard, qu’ils soient habitants ou non du site en projet, ne monopolisent la parole. Les supports photos constituent ensuite la base d’un échange verbal dans lequel chaque support est anonymisé. La mise en dialogue des éléments photographiés permet ainsi de mieux saisir des intentions d’actions individuelles et collectives (Planchat?Héry, 2008) sans qu’aucune ne soit directement attribuée à son auteur.

Figure 1

Quelques photos classées de l’« Odyssée de l’espace » [29]

Figure 1

Quelques photos classées de l’« Odyssée de l’espace » [29]

21Bien que sa résolution ne permette pas de lire les éléments écrits, cette illustration donne à voir les cartes dans un classement d’ensemble. Dans l’encart en bas à droite (« Saint?Cyr?en?Arthies »), les participants décrivent comme très agréables des ambiances multi?sensorielles qu’on trouve sur le terrain et qui reflètent le contexte rural. En ordre d’importance apparaissent les ambiances suivantes : « ambiances sonores (oiseaux, animaux, vents, voix d’enfants et parents) / ambiances paisibles et calmes / village fondu dans la nature / ambiances olfactives / visibilité du passé / relief mouvementé avec expériences visuelles / jardins privatifs ouverts sur la nature sauvage ».

22Afin de situer les diagnostics dans un espace géographique, de nombreux dispositifs participatifs utilisent la photographie cartographiée. Ce type de combinaison offre une vision synchronisée de la petite et de la grande échelle. La base cartographique sert à « représenter visuellement un phénomène qu’on ne peut embrasser du regard à cause de son échelle géographique » (Ferland, 2000, p. 48). La photographie, quant à elle, rend compte d’éléments que le regard peut embrasser, jouant de plus sur les focales. D’autre part, lorsqu’elle constitue la représentation d’un diagnostic partagé (dans le sens où ce travail de diagnostics individuels va être support à une discussion collective amenant à un diagnostic partagé), la photographie cartographiée permet de visualiser les dimensions individuelles et communes du diagnostic.

23Dans le cas du projet d’écohameau, la cartographie des photos « diagnostisantes » rend compte d’une sorte de compilation de parcours commentés individuels. Pour l’équipe, la dimension individuelle de l’observation est primordiale, car elle permet à tous de s’exprimer et elle rend compte, comme cela a déjà été mentionné, d’une multitude de points de vue. Ainsi, chaque photographie commentée prend place sur une carte du site de projet et fait sens dans un ensemble.

24Dans le cas des ateliers à Vitry?sur?Seine, le groupe s’engage dans un parcours commenté avec l’animatrice, qui donne les consignes suivantes avant le départ : « On va choisir ensemble où on va s’arrêter, quel trajet on va faire […] et qui va nous parler de quel endroit. […] Il y a une personne qui parle vraiment et on échange tous ensemble ensuite [30]. » Seule en charge de l’animation et de la récolte des principaux échanges, l’animatrice ne peut pas prendre de photos, bien qu’elle semble en avoir l’intention, car elle s’est munie d’un appareil. Mais elle ne délègue pas non plus cette charge. Un intervenant extérieur, qui lui sert d’appui pour cet atelier, prend des photos, à titre personnel. Si à aucun moment l’animatrice n’évoque la nécessité d’avoir des photos pour le parcours commenté, c’est lorsqu’elle établit le compte rendu des séances qu’elle lui demande ses photos pour illustrer des paroles habitantes. Ces paroles ne sont pas transcrites dans leur intégralité, ce qui incite l’animatrice à opérer des choix, systématiquement réalisés en présence des participants. Elle prend des notes en direct sur de grandes pages blanches, que les habitants peuvent lire lorsqu’ils le souhaitent, et répète à voix haute ce qu’elle écrit sur le papier. C’est pour elle une manière de s’assurer qu’elle a bien résumé l’essentiel à leurs yeux. Elle leur donne ainsi la possibilité de rectifier sa synthèse en direct.

Figure 2

Restitution du parcours commenté sur le compte rendu d’atelier

Figure 2

Restitution du parcours commenté sur le compte rendu d’atelier

« Balade urbaine et parcours commentés ». Extrait du compte rendu 3, atelier du 6 mars 2010, Vitry?sur?Seine.

25Comme pour la précédente, l’illustration rend compte de la place qu’occupent les photos dans la restitution, ainsi que la manière dont elles sont repérées sur un plan dessiné.

Une mise en image des modalités d’échange

26En dehors de leur mobilisation dans le cadre du « diagnostic », photo et vidéo témoignent d’un processus. À Vitry?sur?Seine, la photo sert à illustrer les comptes rendus, en soulignant la dimension processuelle du projet. Sur l’illustration suivante, on peut voir un schéma reprenant les différents ateliers à la manière d’un rétroplanning. Au fil des séances, les photos (représentant principalement des acteurs en interaction) prennent place dans les encarts vides, permettant ainsi de se situer dans le planning des ateliers. Selon l’animatrice, « il fallait que les gens puissent voir où ils en étaient dans le processus » [31].

Figure 3

Extrait de la page de couverture du compte rendu des ateliers de quartier à Vitry?sur?Seine [32]

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Extrait de la page de couverture du compte rendu des ateliers de quartier à Vitry?sur?Seine [32]

27En ce qui concerne la vidéo, même si elle est de plus en plus présente, elle l’est beaucoup plus rarement que la photo qui est mobilisée dans les six dispositifs observés. Comme l’article s’attache à développer les usages et effets de cet outil, il ne développe pas de manière précise son « non?usage », bien que ce point représente un intérêt évident. En effet, interroger les freins à la mobilisation de la vidéo dans les dispositifs participatifs semble une piste fructueuse pour mieux cerner les limites et les enjeux propres à cet outil. De nombreux paramètres peuvent remettre en question l’usage de la vidéo : le coût (technique et de la main?d’œuvre), les compétences nécessaires à la prise de vue et au montage des images, le rapport que les participants « acteurs » et le cameraman/monteur entretiennent à l’image vidéo, l’éloignement de ce support par rapport à ceux qui sont traditionnellement utilisés par les professionnels de la ville, les traces ou les preuves que la vidéo laisse derrière elle et qui peuvent occasionner des « règlements de compte », etc. Si ce sont les équipes en charge de la participation qui initient le besoin, il n’en demeure pas moins que les participants se positionnent vis?à?vis d’un tel support. À la Coudraie, quartier en « rénovation urbaine », la ville commandite un prestataire pour un projet photo/vidéo visant à réaliser un « portrait d’habitants et du quartier ». Les habitants boycottent la réunion de présentation, considérant qu’il y a d’autres points qui méritent d’être traités avant de penser à garder en mémoire l’histoire du quartier. Ainsi, lorsque les prestataires en charge du film, annoncé comme participatif, disent aux deux habitants présents « on entre dans des phases de démolition […]. Et si on loupe la démol (sourire) et bien on a loupé un truc. Donc, du coup il y a des urgences de calendrier » [33], le représentant des habitants leur répond qu’il y a d’autres urgences, notamment la réparation de l’ascenseur en panne depuis six mois [34]. Bien évidemment, cet exemple est extrême dans la mesure où l’entrée en matière est d’emblée défavorable à l’acceptation de la vidéo, le discours du prestataire rendant compte d’une position qui l’inscrit du côté de la ville. Il laisse en effet entrevoir aux habitants que les conditions déplorables de leur cadre de vie ne seront pas prises en compte et que leurs marges de participation seront réduites.

28Lorsqu’elle est mobilisée, la vidéo ne l’est jamais directement comme support de l’échange pendant le processus participatif [35], mais elle permet d’en rendre compte. Sur le projet d’écohameau, la réalisatrice explique que le film sert de support de débriefing à l’équipe [36]. Il offre la possibilité d’une réception différente de l’échange qui permet une (ré?)écoute et (ré?)interprétation, afin de pallier les paroles qui auraient pu être oubliées ou mal comprises. Le film permet aussi de se regarder (faire) participer, c’est?à?dire de s’assurer, le cas échéant, que les membres de l’équipe entendent tous la même chose et d’opérer une critique collective nécessaire à une réorientation de l’action.

29En plus d’une documentation de l’échange, le film montre aussi des participants en action et, plus largement, des compétences plurielles à l’œuvre. À Vitry?sur?Seine, il s’agit, comme le titre l’explicite, de donner à voir un processus collectif d’apprentissage : « Apprendre à travailler ensemble… ». Le documentaire met en avant la capacité des acteurs à inventer collectivement. Sur l’écohameau, le choix a posteriori d’ajouter la mention « écohameau découvert » dans le titre du film souligne la volonté de montrer un dispositif opérant. Ainsi, la vidéo a cette fonction que les autres supports ne semblent pas pouvoir assurer de manière aussi autonome : montrer des modalités d’action. Lorsque la vidéo est acceptée par les participants, c’est en grande partie lorsqu’elle est annoncée comme un support pouvant rendre compte des modalités de la participation et permettant de conserver une trace de l’expérience collective. Les vidéos acceptées « sans aucun frein » à une diffusion potentiellement large sont celles qui s’engagent à montrer l’habitant actif dans le processus participatif.

30Sur le site de la Coudraie, la demande d’une caméra filmant les échanges se fait à plusieurs reprises et se justifie par le fait qu’il s’agit d’un support que toute personne est capable de comprendre (cette familiarité étant notamment due à l’habitude de regarder la télévision ou d’aller au cinéma). En revanche, sur les terrains où la caméra filme régulièrement [37], il n’y a pas de discours clair de la part des participants sur la pertinence ou le refus de ce support, sinon des interjections comme : « Ah fais gaffe, ça filme » ou encore « Je me suis pas faite belle, attends ! » Le film, même présent et institué dans le processus participatif, semble contraindre les participants à une posture de « représentation » amplifiée par le fait que, potentiellement, d’autres vont les voir et entendre ce qu’ils ont à dire. Aussi, si la vidéo rend « la chose » apparemment plus importante, car elle devient publique, elle risque en contrepartie de la rendre plus contraignante. D’une part, en amplifiant les complexes d’infériorité (profane?expert), la présence de la vidéo peut contraindre les acteurs à opérer des censures (autocensure et censure de l’autre), pour montrer une image valorisante d’eux?mêmes et du collectif. La crainte de dire (ou de laisser dire) quelque chose de non pertinent est accentuée par le risque que cette parole soit diffusée hors d’un cercle dans lequel les participants trouvent souvent plus d’aise [38]. D’autre part, les participants peuvent s’autocensurer, préférant ne pas laisser échapper ce qui pourrait passer pour des plaintes [39] auprès des élus, bailleurs et autres détenteurs d’un pouvoir sur leur cadre de vie : « Il ne faut pas nous filmer, après ils vont savoir ce qu’on dit [40]. » Ici, « celui qui dit » est vu, ce qui n’est pas forcément le cas avec une transcription écrite si celle?ci est anonymisée. Mais c’est aussi ce risque qui rend la parole énoncée d’autant plus importante aux yeux de ceux qui parlent et de ceux qui écoutent.

Conclusion

31S’il est clair que les deux dispositifs participatifs sur lesquels s’appuie principalement mon propos sont contrastés à plusieurs égards, photo et vidéo semblent mobilisées dans les deux cas pour restituer la parole d’un habitant actif. Elles rendent ainsi compte de la dimension individuelle et collective de la participation. La photo est support à une analyse individuelle qui est ensuite agrégée dans un espace de représentation collective, quand la vidéo donne à voir une collaboration collective dans laquelle on peut retrouver une série d’individualités.

32Dans le cas du projet d’écohameau, la photo est mobilisée comme outil facilitant la construction d’un diagnostic éclairant un point de vue sur un territoire. Associée a minima à du texte, elle permet l’implication du propos individuel dans un discours collectif plus large. La production d’une image?discours, prenant place dans un ensemble de contributions, semble pallier le monopole de la prise de parole par les acteurs qui s’imposent dans les dispositifs participatifs, où les moments d’expression individuelle ne sont pas distingués des temps d’échanges plus collectifs. La photo paraît ainsi faciliter l’émergence d’une parole qui laisse à chaque individualité présente l’occasion de s’exprimer et d’alimenter un intérêt collectif. En bénéficiant d’abord d’un « espace?temps » individuel (qui permet à l’ensemble des participants, avec des contraintes initiales similaires, de composer un discours propre), puis d’un « espace?temps » collectif, une certaine équité dans l’échange semble assurée.

33La vidéo, quant à elle, très rarement mobilisée comme outil dans l’action, sert davantage à documenter et à restituer un processus qui pourra être utilisé en dehors de l’expérience qu’elle montre. Comme support de diffusion, la vidéo sert majoritairement à garder une trace des modes opératoires, (dé)montrant que l’habitant peut être capable de propositions sur son cadre de vie. Par exemple, le film documentaire « Apprendre à travailler ensemble » a fait l’objet de plusieurs projections?débats en public, dans des lieux et à des occasions variées. Ces projections ont contribué à diffuser l’expérience et à valoriser la présence active des habitants dans l’atelier collectif. Cette place est d’autant plus active que les habitants qui le souhaitent sont invités à s’exprimer au cours de ces échanges.

34Photo et vidéo ont ainsi en commun de produire une parole qui engage les participants à (se) montrer à travers des images d’eux?mêmes et du territoire qui se donnent explicitement à voir. Ces supports, une fois montés, ne peuvent que très difficilement être modifiés ou tronqués sans que les participants ne s’en rendent compte, ce qui constitue l’assurance que ce qui est montré est « représentatif » de la réalité, sorte de preuve irréfutable des faits observés. Photo et vidéo permettent ainsi d’échapper à un éventuel soupçon sur la part active de l’habitant et participent à resituer une parole assumée, car rendue publique. De plus, ces supports visuels contribuent à sortir l’habitant de son cantonnement à un savoir pensé souvent comme trop individualiste et incapable de propositions. Avec la photo et la vidéo semblent s’ouvrir des pistes de réflexion et d’action relatives au « changement de l’image de l’habitant » [41] par l’image. Dans le même temps, les cas étudiés révèlent que si les habitants montrent leur « image », ils ne participent jamais directement au montage de celle?ci. Aussi, il serait intéressant de voir si des occasions sont réellement offertes aux habitants de contribuer autant à montrer qu’à monter une image (collective) et d’analyser les effets d’une telle collaboration sur le participant lui?même et sur les images ainsi produites. Enfin, n’oublions pas que photo et vidéo sont aussi amplement utilisées par les professionnels de l’urbanisme et les services techniques des collectivités dans des dispositifs participatifs. Recueillir leurs discours et représentations sur ces supports ouvrirait des pistes intéressantes sur la portée de ces supports en termes d’antidote à la domination.

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Mots-clés éditeurs : projet urbain, outils de collaboration, interaction, image, supports de représentation, démocratie participative

Date de mise en ligne : 16/12/2013.

https://doi.org/10.3917/parti.007.0151

Notes

  • [1]
    De nombreux travaux reviennent sur ce point. Voir notamment Bacqué et al., 2005 ; Söderström et al., 2000 ; Hayot, Sauvage, 2000. Si cette injonction vise en premier lieu la participation des « futurs destinataires des projets urbains », communément nommés les « habitants », certains dispositifs invitent d’autres types d’acteurs.
  • [2]
    Il s’agit notamment de chefs de projet développement social urbain (DSU) apparus avec les lois de décentralisation dans les années 1980. Voir les travaux de Marion Carrel (2013) sur les « artisans de la participation » dans les « quartiers populaires », de Magali Nonjon (2005) sur les profils militants chez les chargés de concertation et de Sylvie Tissot (2002) sur les initiateurs de processus « émancipateurs » dans les quartiers politique de la ville.
  • [3]
    Je n’évacue pas pour autant l’importance de la dimension orale de l’échange qui, bien évidemment, se trouve à la base de toute forme de communication en « face?à?face », encore plus dans des processus de prise de décision. Ma thèse interroge ainsi les langages de la participation en situation de « face?à?face » (Goffman, 1973, 1974, 1987 ; Witkin, 2001), en insistant sur les enchevêtrements qui s’opèrent entre langage verbal, visuel et silencieux (Hall, 1978, 1984).
  • [4]
    Voir l’introduction de ce dossier.
  • [5]
    Par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
  • [6]
    Je tiens à associer à cette formule Agnès Deboulet et Rainier Hoddé.
  • [7]
    Le Picri (Partenariat institutions citoyens pour la recherche et l’innovation) s’intitulait « Re­­nouveler les pratiques de conception du projet urbain : renforcer l’écoute et la coopération entre les professionnels de la ville, les associations et les citoyens en Île?de?France ». De 2008 à 2011, ce programme de recherche régional coordonné par A. Deboulet a regroupé une dizaine de chercheurs sur six terrains d’étude. J’ai intégré ce Picri comme doctorante chargée de la coordination et de l’animation administrative. Ce travail s’est déroulé selon trois modalités : recherche, recherche formation et recherche action. C’est cette dernière, observée au titre de ma thèse, que j’évoquerai ici.
  • [8]
    C’est le terme communément utilisé par les initiateurs et la plupart des animateurs des processus participatifs. Certains habitants « organisés » évoquent la nécessité d’une « boîte à outils » de la concertation.
  • [9]
    Dans le cadre ma thèse, je définis l’outillage de l’échange en considérant les dimensions matérielle et immatérielle de l’interaction. Elles concernent tout ce qui est mobilisé pour (faire) participer : les instruments (les lieux de la participation, techniques et règles d’animation, les documents et supports), les compétences (savoirs, savoir?faire, etc.) et les dispositions des acteurs (prendre, donner et écouter la parole).
  • [10]
    Concernant la carte par exemple, Romain Liagre et Magali Nonjon (2012) parlent de cartographie « “participative” ou encore “militante” dans la mesure où la maîtrise des outils de représentation de la ville permettrait à la population, dans son ensemble, de participer à la construction des projets d’aménagement, de s’y opposer, ou encore d’y résister ».
  • [11]
    Bien souvent à tort, nous dit Cyria Emelianoff (2008).
  • [12]
    Par analogie aux travaux portant sur la « réception » dans les projets architecturaux et urbains (Hoddé, Léger, 2003 ; Semmoud, 2007), j’ai développé la notion de « réceptionnalité » en analysant l’interaction entre conception et réception de l’outillage de l’échange, à un double niveau. J’ai d’abord considéré la « réceptionnalité » sous l’angle de sa performativité, c’est-à-dire la tension entre les intentions que les professionnels de la participation mettent dans l’outillage de l’échange et les obstacles à une participation effective. Par exemple, la réception des images – et de la cartographie en particulier – par le public ne se fait pas toujours comme les professionnels de la concertation s’y attendent (Mahey, 2006 ; Charles, 2012). Ensuite, j’ai analysé comment, alors que l’outillage contraint les participants à des formes particulières de prises de parole, ces derniers interagissent avec les modalités mêmes de l’échange, contribuant ainsi, en situation, à une (re)définition de cet outillage.
  • [13]
    Je ne développe pas ici ces postures, analysées plus en détail dans ma thèse, car ce n’est pas le propos de l’article.
  • [14]
    Sur les dispositions des acteurs, la réflexion s’est nourrie en partie de la recherche collective Picri. Les dispositions sont comprises ici comme des structures cognitives, pratiques ou interprétatives qui vont orienter l’action. Elles « ont une valeur objective, c’est?à?dire correspondent sinon à des propriétés réelles, du moins à des propriétés qu’il est conceptuellement et scientifiquement utile, voire nécessaire, de reconnaître » (Bourdieu, 1997, p. 109).
  • [15]
    Il s’agit de deux compétences intrinsèquement liées. La « compétence à produire » induit d’emblée « une compétence à lire » ou du moins la facilite. L’apprentissage de la lecture passerait en grande partie par la coproduction, qui faciliterait le processus de décodification.
  • [16]
    Le powerpoint, qui sert de support de montage de différents médiums – cartes, photographies, etc. –, est lui aussi systématiquement mobilisé.
  • [17]
    Cette recherche?action s’est développée dans le cadre du Picri, avec une équipe de quatre personnes : la coordinatrice scientifique de la recherche (A. Deboulet), l’animatrice des ateliers (B. Deluc), un coordinateur (R. Hoddé) et une observatrice (moi?même). Un cinéaste (G. Felix) a rejoint l’équipe avec pour mission de réaliser un documentaire rendant compte des ateliers. Un intervenant extérieur d’un bureau d’études en concertation (H. Saillet) est intervenu en appui à l’animatrice sur l’un des ateliers.
  • [18]
    Ce soutien consistait notamment à rappeler par téléphone aux participants la date des ateliers et à leur envoyer, ainsi qu’à d’autres acteurs, chaque compte rendu de réunion rédigé par l’animatrice.
  • [19]
    Extrait de l’introduction dans le compte rendu intégral des ateliers de quartier, réalisé par l’animatrice (http://www.paris?lavillette.archi.fr/centresud/IMG/pdf/cr_complet_recherche_action_bon?email.pdf, accès le 3 février 2013).
  • [20]
    Il s’agit d’un « Groupement pluridisciplinaire de recherche et de production sur l’espace » (http://www.polimorph.net), qui réunit des professionnels indépendants exerçant collectivement au sein de l’association, et individuellement en dehors, sur des prestations qui vont de la maîtrise d’œuvre à la construction (notamment d’objets design). Sur le projet d’« écohameau », huit personnes étaient présentes – des architectes, des urbanistes ou des paysagistes assurant, selon les besoins, l’animation des ateliers. Je tiens à remercier ici la coordinatrice et animatrice principale, P. Marguc, de m’avoir permis d’observer « son » groupe « au travail » dans d’aussi bonnes conditions.
  • [21]
    Site internet des marchés publics : http://www.e?marchespublics.com/poser_une_question_marches_publics_34_73791.html (accès le 3 février 2013).
  • [22]
    Le projet consiste en la réalisation de neuf mini?hameaux et l’amélioration des équipements pour l’ensemble du village. L’objectif des commanditaires est de faire autre chose que des lotissements classiques, qui dénaturent le paysage et ne répondent pas aux normes écologiques qu’ils soutiennent.
  • [23]
    Les comptes rendus et le film sont consultables sur le site : http://lechampfoulon.blogspot.fr/2011/07/hameau?decouvert.html (accès le 3 février 2013).
  • [24]
    On retrouve très régulièrement ces étapes dans les réponses aux appels d’offre publics portant sur des missions d’organisation et/ou d’animation de concertation.
  • [25]
    Situé dans les Yvelines, le quartier de la Coudraie a fait l’objet d’une concertation sur la rénovation urbaine. Passant du « conflit ouvert à une concertation exemplaire », les habitants ont su mobiliser une panoplie de savoirs pour se positionner comme véritable « force de proposition » (Deboulet, Mamou, 2013).
  • [26]
    Réunion de concertation sur des démolitions à acter, 18 janvier 2011.
  • [27]
    Voir l’article de Laura Seguin dans ce dossier.
  • [28]
    Cette citation et les suivantes sont issues d’une observation de l’atelier 1 « Diagnostic », réalisée le 15 septembre 2010.
  • [29]
    L’intégralité des observations se trouve sur le site http://lechampfoulon.blogspot.fr/p/saint?cyr?en?artiers.html (accès le 3 février 2013).
  • [30]
    B. Deluc. « Balade urbaine et parcours commentés », 6 mars 2010. Ce document sert à restituer le diagnostic collectif.
  • [31]
    Entretien du 21 janvier 2013.
  • [32]
    Réalisé par B. Deluc. Chaque compte rendu aura lui?même une couverture de ce type.
  • [33]
    Réunion autour du projet mémoire, 2 avril 2011.
  • [34]
    Au moment de ce « boycott », les habitants sont engagés activement dans une « négociation » portant principalement sur des éléments de programmation autour du relogement, et ce depuis plus de trois années.
  • [35]
    C’est d’ailleurs rarement le cas, à l’exception du documentaire « Déconcertation » (Béatrice Dubell, 2011, 50 minutes, http://www.rhone?alpesolidaires.org/files/DECONCERTATION_Dossier_de_presse_0.pdf, accès le 3 février 2013), qui fait de la vidéo un support direct de l’échange. Il s’agit d’une mise en scène réalisée par 50 comédiens amateurs, qui rejouent la concertation ayant précédé le grand chantier du « Carré de soie » dans la banlieue est de Lyon. Ils improvisent à partir de la transcription d’échanges réels.
  • [36]
    Discussion informelle du 2 mars 2011.
  • [37]
    C’est le cas des deux dispositifs développés dans cet article.
  • [38]
    Voir l’article de Laura Seguin dans ce dossier.
  • [39]
    À Vitry?sur?Seine, les habitants posent comme condition nécessaire à une participation effective la non?présence des acteurs institutionnels. Les élus l’ont entendue et acceptée en autorisant que les ateliers se déroulent à « huis clos » et en cofinançant la réalisation du film. Une restitution finale a eu lieu en présence de divers acteurs institutionnels.
  • [40]
    Participante de l’atelier 3 « Diagnostic ».
  • [41]
    Cette réflexion vient de la discussion informelle avec Sylvain Adam, le 22 janvier 2013.
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