Notes
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[1]
Nous remercions Marie-Hélène Bacqué, Marion Ben-Hammo, Loïc Blondiaux, Viviane Claude, Hélène Combes, Alexandre Lambelet, Alice Mazeaud, Thierry Paquot et Isabelle Sommier pour leurs lectures attentives et leurs précieux commentaires.
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[2]
Ce terme est pris dans une acception large : il ne sera pas seulement question de la participation des habitants aux projets urbains, mais aussi de l’implication des citoyens dans l’élaboration des politiques urbaines et territoriales.
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[3]
Il s’agit d’un document de référence et de coordination qui engage les autorités et définit les grandes orientations et les conditions de mise en œuvre des politiques publiques à une échelle territoriale donnée.
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[4]
Ces systèmes correspondent à d’importantes bases de données spatialisées et permettent de superposer plusieurs cartes thématiques (par exemple, la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille avec le taux de motorisation des ménages et une vue en 3D du bâti), à la même échelle et sur une étendue à peu près homogène.
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[5]
Mathieu Berger (2013) évoque à ce propos « un recentrement sur l’image dans les expérimentations démocratiques relatives aux projets urbains », en s’intéressant non seulement aux supports visuels mais aussi aux images langagières et sonores.
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[6]
Par ce terme nous ne visons pas seulement le travail de composition des formes urbaines mais aussi le travail de programation, qui intègre des réflexions stratégiques.
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[7]
Pour une discussion critique de cette notion, voir Cuny, 2008, 2013 ; Nez, 2010 ; Deboulet, Nez, 2013.
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[8]
Voir l’ouvrage de Sébastien Layerle (2008) et l’article de Romain Lecler dans ce dossier. Des alternatives se développent également avec la photographie : par exemple, les correspondants photographes de L’Humanité prennent des clichés de réalités largement ignorées par les agences de presse et les photographes professionnels, du milieu des années 1950 à la fin des années 1990 (Lemire, Potin, 2002 ; Bonzon, Chirio, Lemire, 2011).
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[9]
Les traductions des textes en anglais sont des auteures.
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[10]
David Schweingruber et Clark McPhail (1999) soulignent également l’intérêt de travailler sur des images produites par la télévision pour analyser les formes élémentaires d’une manifestation, même si elles présentent des biais par rapport aux observations directes des chercheurs.
1La photographie et le film sont aujourd’hui sollicités dans un nombre croissant de dispositifs participatifs (ateliers de photographie, balades urbaines, projets d’urbanisme participatif ou de community planning, etc.), à l’initiative des habitants ou des acteurs institutionnels [1]. Par ailleurs, les révolutions récentes dans les pays du Maghreb ou les mouvements des Indignés et Occupy en Europe et en Amérique du Nord ont montré que les images photographiques ou filmiques, produites par des professionnels s’engageant aux côtés des manifestants ou par les participants eux-mêmes, jouent un rôle central dans ce type de luttes, à travers des supports numériques d’enregistrement comme les téléphones portables et l’utilisation du web 2.0 pour la diffusion des images (Facebook, Twitter, YouTube, blogs, etc.). Comment interpréter le recours croissant à la photographie et au film dans ces situations ? Si l’on considère que la participation a pour enjeu une redistribution du pouvoir au sein des institutions politiques et sociales, ce recours signifie-t-il que la photographie et le film seraient à même de contrecarrer les effets de domination ? Quelles relations existe-t-il entre image et pouvoir ? Quel est le rapport entre la photographie et le film, d’une part, et les enjeux ou les conditions contemporaines de la participation, d’autre part ?
2Les images, quels que soient leur nature ou leur support, sont les inscriptions visuelles d’un savoir sur le monde social, qu’il ordonne et hiérarchise (Lussault, 2003, p. 44). À ce titre, elles peuvent être mises en jeu dans des relations sociales et contribuer à les instituer ou à les déstabiliser, fonctionnant donc comme des instruments de pouvoir (Wimböck, 2004, p. 13). Par rapport à d’autres types d’images, la photographie et le film revêtent des spécificités qui justifient l’attention particulière que leur porte ce numéro.
3Elles sont d’abord accessibles à tout un chacun. En effet, la « démocratisation » de la photographie et du film ne date pas de l’arrivée des technologies numériques, qui ont logé dans nos téléphones portables l’objectif d’un appareil photo et/ou d’une caméra. Commercialisés dès la fin du XIXe siècle sous la forme d’« ensembles techniques clé en main » (Brunet, 2000, p. 233), la photographie et, dans une moindre mesure, le film sont devenus des « arts moyens », soit des pratiques communes (Bourdieu, 1965). C’est donc en tant que « matérialisation[s] concrète[s] du mythe de l’image a-technique » (Brunet, 2000, p. 237) que la photographie et le film nous intéressent ici : a-t-on effectivement affaire à des instruments de pouvoir « démocratisés », c’est-à-dire accessibles à tous ? Si oui, comment fonctionnent-ils, que donnent-ils à voir de la société et avec quels effets sur les institutions sociales et politiques ? Ensuite, l’une et l’autre constituent des outils d’analyse délaissés par les sciences sociales, alors même que ces dernières s’intéressent de plus en plus au rôle social des images (Baschet, 2008 ; Schmitt, 2002 ; Stiegler, 2008). Or travailler sur les images peut-il se concevoir sans travailler avec elles ?
4Nous soulevons ces deux ensembles de questions à partir de l’analyse des dispositifs d’urbanisme participatif et des mouvements sociaux. Ce choix découle d’une conviction, partagée par les auteurs de ce dossier et plus largement par la revue Participations, selon laquelle la participation institutionnalisée et les formes plus spontanées ou « bottom up » de participation doivent s’étudier de concert, en raison de leurs interactions et des transformations économiques, sociales, culturelles et politiques qui les configurent l’une et l’autre (Neveu, 2011, p. 189-190). Du fait de la place centrale accordée à l’image dans le champ urbain, sur laquelle nous reviendrons, l’examen des procédures participatives institutionnalisées portera plus spécifiquement sur des questions d’urbanisme [2].
5En analysant la manière dont la photographie et le film sont mobilisés dans les expériences d’urbanisme participatif et par les mouvements sociaux, nous montrerons que l’une et l’autre sont des instruments de pouvoir ambivalents : aux mains des élites, ces images réitèrent les rites sociaux qui consacrent leur pouvoir à travers la reconnaissance de leur supériorité intellectuelle, morale, statutaire, etc. ; appropriées par les groupes sociaux dominés, elles contribuent potentiellement à subvertir les hiérarchies et les ordres institués en agissant sur les représentations sociales du monde. Autrement dit, l’effet de pouvoir que ces images exercent dépend de leurs usages.
6Un état des lieux de la littérature permet d’identifier deux manières d’utiliser la photographie et le film dans les expériences d’urbanisme participatif et par les mouvements sociaux. Un premier usage considère les images photographiques et filmiques comme des supports matériels qui rendent visible l’invisible. Lorsqu’ils sont mobilisés de cette manière, ces deux types d’images contribuent à faire exister dans l’espace du projet urbain et, plus généralement, dans l’espace public et dans l’espace social, des catégories, des discours et des savoirs qui en étaient jusque-là exclus. Un second type d’usages fait de la photographie et du film des supports d’identification. Dans ce cas, ces images peuvent autant agir en faveur de la mobilisation et de la participation que contre elles. Ces effets une fois constatés et analysés, il nous paraît étonnant que la photographie comme le film restent peu mobilisés comme outils d’analyse par les scientifiques, a fortiori lorsqu’ils s’intéressent au rôle social des images ou à la dimension visuelle des phénomènes sociaux. Une dernière catégorie d’usages que nous envisagerons, à travers la manière dont une série de travaux scientifiques et les articles qui composent le dossier articulent images et langage dans l’écriture et l’administration de la preuve, correspond ainsi à la photographie et au film comme outils d’analyse critiques et réflexifs.
Quand la photographie et le film rendent visible les invisibles
7L’un des premiers pouvoirs attribués à l’image est de rendre visible l’invisible. Bien que cet enjeu soit commun à l’action sur la ville et à l’action collective, le recours à la photographie et au film n’y répond pas de la même manière dans l’un et l’autre champ. La discipline urbanistique a codifié, au fil de son histoire et de son institutionnalisation, une imagerie spécifique qui combine trois objectifs : connaître, penser, agir. La photographie et le film ne font que très marginalement partie de cette imagerie, parce que ces deux médiums sont associés à la perception commune dont les urbanistes souhaitent précisément se démarquer. Autrement dit, la ville « invisible » que donne à voir l’imagerie spécifique des urbanistes a progressivement oblitéré, au sein de cette discipline, la ville que nous avons quotidiennement sous les yeux et que restituent la photographie et le film. Le recours à ces deux médiums dans les expériences d’urbanisme participatif contemporaines témoigne ainsi d’un retour du sensible en urbanisme, qui passe par la prise en compte croissante de l’expérience commune et des « savoirs d’usage » dans l’élaboration des projets urbains. À l’inverse, même si les chercheurs qui les analysent s’intéressent peu aux images, la perception ordinaire est un enjeu de lutte central pour les mouvements sociaux. Ces derniers privilégient la photographie et le film parce qu’ils permettent, en raison de certaines de leurs spécificités, d’agir directement sur la perception ordinaire, de l’informer et, dans certains cas, de la transformer. Ils rendent en effet visibles ceux qui passent habituellement inaperçus dans l’espace public et dans l’espace social.
La photographie et le film comme outils de participation : vers un retour du sensible en urbanisme ?
8Comme le décrit Ola Söderström (2000), la profession et la pratique urbanistiques se construisent, à partir de la Renaissance jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sur un socle de « représentations canoniques » qui permettent aux urbanistes de raisonner non plus à partir de la ville telle que nous l’expérimentons grâce à nos cinq sens, mais à partir d’images qui la donnent à voir dans sa totalité, de manière sélective, abstraite et simplifiée. La disqualification de la vision commune sur laquelle repose la codification de ces représentations peut expliquer que la photographie et le film n’aient été que très marginalement mobilisés comme instruments de connaissance, de pensée et d’action par les chercheurs et praticiens de la discipline jusqu’à une période récente.
9O. Söderström (2000) distingue deux mouvements dans la généalogie des visualisations qui constituent le socle du savoir urbanistique contemporain : la « mobilisation de la ville » et la « stabilisation de ses représentations ». Le premier correspond au processus par lequel une série d’images produites, depuis l’Antiquité, dans le cadre de pratiques aussi diverses que l’arpentage ou la peinture, acquièrent, entre le Bas Moyen Âge et la Renaissance, une autonomie par rapport à la ville « réelle ». Elles se substituent ainsi à elle et en font un objet manipulable (p. 29-41). Les codes qui définissent les « représentations canoniques » de l’urbanisme moderne (par exemple dans le plan directeur [3]) sont mis au point plus tard, au XIXe siècle, car ils nécessitent l’invention de la perspective et l’application de la planimétrie à la planification, soit la combinaison d’une conception de l’espace qui remplace « la qualité, la hiérarchie et la différence par la quantité, la position et la mesure », et d’un regard abstrait qui offre une vue totalisante et surplombante sur la ville (p. 48). Comme le montre O. Söderström à partir de l’analyse des cartes sociales de Charles Booth, ces codes disqualifient la vision immédiate et instituent une frontière stricte entre imagerie « experte » et imagerie « profane » :
« Le regard ordinaire ne donne accès qu’au cas particulier, forcément non représentatif de l’ensemble, alors que la carte offre une vision moyenne qui nous épargne les émotions inutiles et le catastrophisme suscité par des cas dramatiques mais en réalité marginaux. En d’autres termes, il faut passer par la médiation cartographique – par un instrument de spécialiste – pour accéder à la ville réelle et pouvoir ainsi juger des aménagements à prévoir ».
11Or les avancées technologiques qui scandent l’histoire de la photographie puis du cinéma depuis leur invention à la fin du XIXe siècle sont motivées par la recherche d’une analogie toujours plus parfaite entre la vue qu’ils offrent sur le monde et la perception proprement humaine de celui-ci. Jean-Louis Comolli écrit, par exemple, à propos du cinéma :
« Les principales novations “techniques” tendent à rapprocher le rendu cinématographique de la perception audiovisuelle courante (c’est ce mimétisme “naturel” qui est confortable). Passage du noir et blanc à la couleur, du muet au parlant, du format carré au format allongé, du son mono au stéréo, etc. Ces réélaborations techniques sont à finalité idéologique. Il s’agit toujours de renforcer le leurre ».
13Un constat similaire peut être fait au sujet de la photographie : l’amélioration de la sensibilité des émulsions, de la vitesse des obturateurs, de la qualité des objectifs, et la miniaturisation des appareils libèrent les corps photographiés des carcans auxquels les contraignait le portrait photographique à ses débuts. Elles remplissent de leurs piétons et véhicules les rues que les temps de pause vidaient à l’époque d’Atget et rendent possible le métier de photo-reporter, ainsi que sa contre-partie moins héroïque, le paparazzo, tous deux saisissant l’action « sur le vif » (Amar, 1993 ; Rouillé, 2005). Alors qu’à leurs débuts la photographie et le cinéma soumettent le monde à leur propre discipline, les perfectionnements techniques ont donc tout fait pour leurrer le spectateur, c’est-à-dire pour renforcer chez lui « l’impression de réalité spécifique au cinéma » (Comolli, 2012, p. 63) ou la croyance dans la capacité de la photographie à nous retransmettre l’actualité du monde directement depuis le lieu où elle se produit (Belting, 2004, p. 279-280 ; Rouillé, 2005).
14Les technologies numériques, qui se diffusent au sein des institutions publiques au cours des années 1990, ont profondément transformé les codes des systèmes de représentation classiques en urbanisme : qu’il s’agisse des systèmes d’information géographique [4] (SIG) ou des images de synthèse produites par ordinateur et destinées à la communication du projet urbain, on observe un retour du « sensible » à travers la volonté d’intégrer des données liées à l’usage ou à l’expérience des espaces construits. Le point de vue du piéton, plus proche de l’expérience visuelle commune, est préféré au point de vue zénithal qui dénotait l’ambition de totalisation des anciens systèmes. La technique « ré-humanise » ainsi les visualisations urbanistiques de la ville (Söderström, 2000, p. 74). Dans ce contexte, la photographie et le film sont de plus en plus mobilisés et combinés avec les technologies numériques dans les expériences participatives [5], afin d’intégrer le « savoir d’usage » ou le « savoir local » des participants dans les projets urbains.
15La diversification des acteurs intervenant dans la production des politiques urbaines depuis les lois de décentralisation et les critiques formulées par les mouvements sociaux urbains dans les années 1970 à l’égard de la planification rationnelle (Bacqué, Gauthier, 2011) se traduisent, en France, par la promotion d’un urbanisme de « projets » à partir des années 1990 (Devillers, 1994 ; Toussaint, Zimmermann, 1998 ; Pinson, 2004). La notion de « projet » vise à intégrer les acteurs institutionnels, économiques, associatifs et les habitants dans une démarche itérative, négociée et intersectorielle d’intervention sur un territoire donné. Dans ce contexte, une partie de plus en plus significative de la littérature voit dans le recours à l’image photographique ou filmique une manière d’intégrer dans la réflexion stratégique ou dans la conception [6] des projets urbains les « savoirs d’usage » des habitants, fondés sur la familiarité intime avec un lieu [7] (Al-Kodmany, 2000, 2002 ; Van Herzele, van Woerkum, 2008). Dans de nombreuses expériences, la photographie et le film sont en effet mobilisés pour servir de support à l’exploration d’un territoire, puis au test de propositions à partir de situations connues.
16Ann Van Herzele et Cees van Woerkum (2008, p. 450) décrivent, par exemple, une démarche qui repose sur l’usage de la photographie aérienne du territoire en projet. Cette photographie sert de support à deux opérations au cours desquelles le « savoir d’usage » des participants est sollicité : ces derniers commencent d’abord par se repérer sur la photographie, ce qui génère des récits dans lesquels ils reconnaissent et situent une série d’objets à partir de leur expérience quotidienne du territoire photographié ; ensuite, au moment d’élaborer les propositions, la photographie aérienne devient le support d’argumentations au cours desquelles ils testent leurs propositions en les situant spatialement et les justifient par le récit d’expériences vécues sur le territoire considéré ou ailleurs. Comme on l’observe dans cet exemple, la verbalisation est un élément tout aussi important que l’image dans la dynamique de mobilisation du « savoir d’usage » : celui-ci passe en effet par des narrations qui donnent corps à d’autres images. Ces images sont d’autant plus malléables qu’elles ne s’inscrivent pas d’emblée dans un support visuel. Comme l’indiquent Enrico Chapel, Isabelle Grudet et Thierry Mandoul, « ce sont les images verbales qui forment le creuset susceptible de construire un langage partagé par les membres du collectif d’énonciation de l’espace » (2007, p. 114). Autrement dit, photographie et film faciliteraient la construction de « communautés d’expériences » associant professionnels et « profanes » (Collins, Evans, 2002), en leur fournissant une base visuelle qui ne précadre pas la discussion.
17La capacité de la photographie et du film à générer du discours et des images sans préformater leur sens tient dans ce cas à leur statut d’indices. Selon la terminologie de Charles Peirce (1978), photographie et film entretiennent une relation de contiguïté physique avec leur référent, ce qui en fait les traces mutiques d’un réel. Comme l’explique Philippe Dubois :
« La logique de l’index que l’on repère au cœur du message photographique joue pleinement de la distinction entre sens et existence : la photo-index affirme à nos yeux l’existence de ce qu’elle représente […] mais elle ne nous dit rien sur le sens de cette représentation ; elle ne nous dit pas “cela veut dire ceci”. Le référent est posé comme une réalité empirique, mais “blanche” si l’on peut dire ».
19Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer le rôle de l’image dans la construction du sens en la réduisant à un simple support silencieux à partir duquel le langage se déploierait librement. Comme le remarquent très justement A. Van Herzele et C. van Woekum (2008, p. 449), le « savoir local » est partie prenante d’une dynamique qui repose sur la confrontation entre des données hétérogènes. Or le sens naît précisément de cette confrontation, de sorte qu’il devient finalement difficile de déterminer si la « localité » du savoir tient à son ancrage dans un territoire donné ou à sa mobilisation dans la situation de participation elle-même. L’analyse des outils visuels et de la manière dont ils sont confrontés au cours d’un débat public fournit ainsi un matériau pertinent pour analyser comment la confrontation entre différents types d’images nourrit les processus d’hybridation des savoirs. La littérature existante sur ce thème se focalise sur la dimension discursive de ce processus, plus facile à saisir à partir des méthodes de prise de notes classiques en ethnographie (Topçu, Cuny, Serrano-Velarde, 2008 ; Nez, 2010). La photographie et le film sont de plus en plus associés aux systèmes de visualisation « experts » dans les démarches participatives contemporaines. À partir d’une recherche-action menée dans une petite ville industrielle de la banlieue de Chicago, Kheir Al-Kodmany (2000, p. 225) montre comment l’intégration de photographies à un SIG, qui permet de confronter des vues urbaines de certains espaces du quartier (les trottoirs encombrés qui longent une voie très passante menant à une école) avec des données statistiques spatialisées (le taux d’accidents de la route associés à certains carrefours ou portions de routes), a nourri une dynamique délibérative qui a impliqué l’ensemble des participants et les a convaincus que la sécurisation des trottoirs représentait un problème prioritaire dans leur ville. Maria Basile et Jean-Jacques Terrin (2007) ont également analysé un dispositif de « réalité mixte », qui repose sur l’association entre film et photographie d’une part, et représentations cartographiques et virtuelles d’autre part. Dans ce cadre, la photographie et le film sont utilisés pour distinguer ce qui relève d’un état passé ou existant (que ces médiums documentent) de ce qui appartient au contraire à la virtualité du projet (restitué par l’imagerie de synthèse en 3D). En tant qu’indices, la photographie et le film ne peuvent en effet qu’attester d’une situation existante ou passée, alors qu’une maquette, un dessin, une carte, un schéma ou une image de synthèse simulent des situations ou des objets qui n’existent pas (encore). Le contraste entre ces différents médiums rend dans cet exemple les images de synthèse plus facilement discutables, parce que leur confrontation à la photographie ou au film révèle la virtualité de la situation à laquelle elles se réfèrent.
20L’ensemble de ces travaux montre donc que la photographie et le film, envisagés comme les modes d’inscription privilégiés de savoirs jusque-là exclus du laboratoire de l’urbaniste, concourent à la mise en débat des savoirs « experts » et à leur hybridation en offrant des supports qui ne précadrent pas la discussion ou une autre perspective sur les représentations du monde données par les systèmes « experts ». Qu’en est-il dans les situations de participation non institutionnalisées ?
La photographie et le film comme contre-images médiatiques
21Les analyses portant sur les usages sociaux des images au sein des mobilisations collectives représentent un champ de recherche encore exploratoire, à la fois très récent et en rapide développement (Doerr, Mattoni, Teune, 2013, p. xii). Considérant l’image comme un enjeu de lutte à part entière, ces travaux montrent que les photographies et les vidéos constituent une ressource pour l’action collective, dans un contexte de transformation des rapports entre mouvements sociaux et médias, avec l’essor d’Internet et des téléphones portables. Grâce aux supports de diffusion du web 2.0., les groupes mobilisés peuvent désormais produire des contre-images médiatiques, ce qui réduit leur dépendance à l’égard des médias traditionnels.
22Dans un article visant à faire un état des lieux de la recherche internationale sur les relations entre médias et mouvements sociaux, Erik Neveu (1999) montre que, mis à part quelques travaux pionniers, cette problématique est peu traitée jusqu’à la fin des années 1980. Dans la littérature francophone, les travaux de Patrick Champagne (1984, 1990, 1991) restent une référence sur le traitement médiatique des phénomènes sociaux, dont les manifestations auxquelles il consacre un article (1984) à partir de l’étude d’un défilé de paysans à Paris le 23 mars 1982. Cet auteur montre que la médiatisation de leurs messages constitue un enjeu majeur pour les groupes mobilisés, afin d’être visibles dans le champ politique : « Les malheurs et les revendications doivent désormais s’exprimer médiatiquement pour espérer avoir une existence publiquement reconnue et être, d’une manière ou d’une autre, “pris en compte” par le pouvoir politique » (Champagne, 1991, p. 72). Les manifestations sont ainsi surtout destinées à la presse et à la télévision, qui transforment ces actions en événements politiques. Les stratégies de présentation de soi sont primordiales dans ces « manifestations de papier », afin d’agir sur « la représentation que le public, à travers la presse, peut se faire du groupe qui manifeste » (Champagne, 1984, p. 24). La manifestation du 23 mars 1982 vise, par exemple, à agir sur la représentation négative que les citadins et la presse se font des paysans. Les agriculteurs cherchent à défiler « sous les traits exemplaires d’une image d’Épinal, en se présentant aux Parisiens comme des “paysans pour citadins” » (p. 26). P. Champagne met en évidence l’importance du visuel dans cette mise en scène médiatique de la protestation, dont l’enjeu est de témoigner de la diversité du monde paysan français à partir d’une grande variété d’habits, de couleurs et d’accessoires (béret, casquette, etc.) se référant à certains stéréotypes régionaux. En s’appuyant sur des photographies d’autres manifestations, l’auteur dégage plus généralement l’importance des codes vestimentaires (toges des enseignants, vêtements de travail des mineurs, etc.) et des accessoires (retraite aux flambeaux des petits patrons, manifestation à vélo des ouvriers du livre, etc.) choisis par les manifestants pour attirer l’attention et donner une image publique de leur groupe.
23La médiatisation est cependant une arme à double tranchant pour les mouvements sociaux. Les manifestations médiatisées par la presse permettent à des groupes non seulement d’être visibles dans l’espace médiatique et politique, mais aussi de les renforcer « en les rendant visibles et concrets à eux-mêmes » (Champagne, 1984, p. 39). Les photographies jouent un rôle spécifique dans la permanence des groupes, en conservant le souvenir de rassemblements éphémères « destinés à être éternisés par les photographes […] pour entretenir le souvenir du groupe et contribuer par-là à lui donner une certaine consistance » (p. 39). Toutefois, comme le montre E. Neveu (1999, p. 21), les mouvements sociaux sortent rarement gagnants de leurs rapports d’« associés rivaux » aux médias. Le traitement médiatique des mobilisations dépend de stratégies propres au monde journalistique. Ces dernières peuvent favoriser la couverture d’une mobilisation, comme ce fut le cas pour l’éviction policière des sans-papiers de l’église Saint-Bernard en 1996 : sa forte médiatisation s’explique par une faible actualité à la mi-août et la nécessité professionnelle, pour les stagiaires remplaçant les titulaires en congé, d’affirmer leurs compétences (p. 30). Mais d’une manière générale, le primat donné par les médias aux images spectaculaires et aux événements exceptionnels, pour faire monter les taux d’audience dans un contexte de concurrence accrue entre les titres et les journalistes, s’opère au détriment du discours porté par les mouvements sociaux. Les causes et les enjeux des mobilisations sont souvent passés sous silence, de telle sorte que le discours médiatique véhicule très peu de « cadres de l’action collective » (p. 36).
24Un autre apport des travaux de P. Champagne est de mettre en avant le fait que les groupes mobilisés ne sont pas égaux dans la maîtrise des ressources leur assurant une bonne couverture médiatique. Son article sur le traitement médiatique des violences urbaines et les représentations des jeunes des banlieues françaises (Champagne, 1991) montre que les dominés sont les moins aptes à contrôler la représentation sociale d’eux-mêmes, car ils sont incapables de s’exprimer dans les formes requises par les médias et leur quotidien n’intéresse pas les journalistes au-delà des événements spectaculaires. Les médias ne retiennent des incidents dans les banlieues que certaines images, essentiellement des actions violentes et des affrontements, sans que soit analysée la situation objective qui les provoque. Les trajectoires sociales et scolaires des journalistes les orientent aussi davantage vers une convergence de visions avec les représentations des élites, de telle sorte que les mouvements sociaux font généralement l’objet d’un traitement défavorable qui les associe au désordre (Molotch, 1979). Pierre Bourdieu (1996) montre, par exemple, comment les règles du jeu dans le champ journalistique désavantagent les grévistes quand leurs porte-parole sont invités sur les plateaux télévisés. Toutefois, si elle est structurellement biaisée, la couverture médiatique des mobilisations ne leur est pas systématiquement défavorable (Neveu, 2010), ce qui s’explique notamment par la proximité culturelle et sociale entre certains groupes mobilisés et les jeunes journalistes précarisés.
25Par ailleurs, la médiatisation est intégrée dans les stratégies de nombreux groupes mobilisés, qui sont capables de produire des événements dans les formats requis par les journalistes et parviennent ainsi à rendre visibles des dominés du champ social. Les actions spectaculaires d’Act Up permettent, par exemple, de « fournir des images des malades du sida » répondant à une stratégie de mise en visibilité, comme le souligne le président d’Act Up Paris (cité par Neveu, 1999, p. 20). La stratégie de l’association vise à modifier les représentations publiques de l’épidémie et des groupes sociaux les plus atteints, dont les homosexuels, en « substitu[ant] aux images de déchéance physique celles de personnes témoignant d’une vitalité combative, mais aussi d’un charme physique et sexuel » (Broqua, 2006, p. 179). Les règles du jeu médiatique sont ainsi de plus en plus intégrées par les groupes mobilisés, qui ont également tendance à se constituer eux-mêmes comme médias. Dans un ouvrage consacré aux « médiactivistes », Dominique Cardon et Fabien Granjon (2010) montrent que la conception d’alternatives médiatiques, déjà présentes dans les années 1960 avec le cinéma ouvrier français (par exemple, les groupes Medvedkine à Besançon et Sochaux) [8], se transforme considérablement avec l’émergence d’Internet (Granjon, 2001). Le cas du réseau Indymédia est symptomatique de cette évolution : mis en place lors du contre-sommet à Seattle en 1999, ce site permet aux manifestants de partager des textes et des vidéos, et de produire ainsi leurs propres représentations du mouvement. L’hypothèse d’une perte d’autonomie médiatique des mouvements sociaux formulée par E. Neveu (1999, 2010) devant le déclin de la presse militante, des usages du tract ou de l’affiche politique, est donc à relativiser. Internet facilite l’émergence non seulement de « médias alternatifs », mais également de « médias participatifs » (aussi appelés « journalisme ordinaire », « citoyen » ou « participatif »), des individus devenant eux-mêmes producteurs et diffuseurs d’information (Cardon, Granjon, 2010, p. 111). Comme le signalent Nicole Doerr, Alice Mattoni et Simon Teune (2013, p. xv) en introduction d’un numéro de revue consacré aux « avancées dans l’analyse visuelle des mouvements sociaux » :
« Des médias sociaux en ligne couplés avec des dispositifs mobiles comme les smartphones constituent la base d’un saut qualitatif dans la représentation des mobilisations. Les images et les vidéos des manifestations sont téléchargées en temps réel par ceux qui y participent, communiquant des récits visuels riches de la contestation [9]. »
27Les divers supports qui se sont développés sur Internet (sites, blogs, réseaux sociaux, etc.) sont de puissants vecteurs de diffusion des mobilisations, à travers la circulation des images qui les documentent. Selon Ramón Adell (2011), en l’absence de ces nouveaux canaux d’information, le mouvement des Indignés en Espagne n’aurait pu être un événement médiatique et politique, du fait du « pacte médiatique tacite » que respectent les médias traditionnels depuis le début de la transition démocratique, afin de ne pas couvrir de mobilisations extérieures à la campagne électorale avant les élections. Or les images mises en ligne par les manifestants dès le 15 mai 2011 (sur les sites Internet du mouvement et par le biais de Facebook, Twitter ou YouTube) ont contribué non seulement à une médiatisation des Indignés espagnols, mais aussi à la diffusion transnationale de leur mouvement. La circulation des images sur Internet a ainsi joué un rôle dans la diffusion des mobilisations en 2011, des révolutions arabes aux mouvements Indignés et Occupy :
« Les photos et les vidéos de places pleines de monde protestant contre leur gouvernement sont devenues les symboles d’une nouvelle vague de contestation qui s’étend rapidement de la Tunisie vers beaucoup d’autres pays. Les photos et les vidéos montrant les rassemblements de gens sur la place Tahrir (Égypte), à Puerta del Sol (Espagne) et au parc Zucotti (États-Unis) sont rapidement devenues des outils frappants de “contre-visualité” ».
29Des auteurs s’intéressant à ces mobilisations récentes évoquent une « révolution du livestream » (Adell, 2011 ; Costanza-Chock, 2012), en référence aux retransmissions de vidéos en direct sur Internet. Mise en place au tournant des années 1980 et 1990 lors de manifestations antinucléaires et antiguerre aux États-Unis (Costanza-Chock, 2012, p. 382), cette pratique s’est développée avec la démocratisation des téléphones portables dotés de caméras et la création de plates-formes web comme YouTube. Celle-ci joue un rôle fondamental dans la production, la distribution et la mobilisation d’images par les mouvements contestataires actuels (Askanius, 2010), d’autant plus dans un contexte autoritaire comme en Syrie :
« Face à la tentative du régime de discréditer la révolution au moyen d’une campagne de désinformation qui l’assimile à une entreprise terroriste, les protestataires ont trouvé dans les vidéos, tournées à partir de téléphones portables ou de petites caméras digitales, le moyen le plus immédiat pour faire entendre leur voix. […] Les centaines de photos postées quotidiennement sur YouTube […] mettent en forme l’expérience révolutionnaire syrienne en même temps qu’elles nous y donnent accès ».
31En Syrie, Cécile Boëx (2012) remarque toutefois une professionnalisation progressive des vidéos amateurs, imprégnées de la culture du clip et du spot publicitaire, qui est « partiellement due à une standardisation instillée par certaines chaînes de télévision arabes qui traitent directement avec des activistes et achètent les images au prix fort ». Le mode de sélection et d’interprétation des images propre à l’univers médiatique répond ainsi à des critères et à des objectifs différents de ceux des activistes, en privilégiant la quête du spectaculaire. L’auteure considère toutefois qu’« au sein du combat asymétrique qui se livre entre les deux camps, les vidéos constituent une ressource précieuse pour les acteurs de la révolution ».
32En investissant ces nouveaux espaces médiatiques, les groupes mobilisés peuvent critiquer les représentations visuelles officielles et offrir d’autres représentations d’eux-mêmes. N. Doerr (2010) montre, par exemple, comment les organisateurs de l’EuroMayday contre la précarité (à partir de 2005) proposent des contre-images aux images officielles de l’Union européenne, qui célèbrent une citoyenneté liée à la mobilité et à la flexibilité des travailleurs. Dans leur forum en ligne, ils cherchent à rendre visibles des groupes spécifiques, les travailleurs précaires et les migrants. La migration y est représentée visuellement comme une activité de la vie quotidienne dans les villes européennes, en fort contraste avec le statut passif de victime de l’immigration illégale et clandestine véhiculé dans les médias traditionnels. Les jeunes précaires et les migrants sont ainsi représentés en Italie comme des héros de tous les jours qui luttent contre la précarité : les images qui circulent ne sont pas celles d’un homme noir icône des embarcations précaires « envahissant » l’Europe ou de femmes victimes du trafic clandestin, mais celles d’un jeune agent d’entretien, d’un homme âgé chassé de son quartier par la gentrification du centre-ville ou encore d’un jeune sans papiers aux côtés d’un jeune travailleur italien précaire. Il s’agit donc de rendre visibles ces groupes dominés et de les représenter de manière positive : « Alors que les brochures de l’Union européenne étaient ostensiblement silencieuses sur la migration, les activistes ont produit des représentations visuelles des gens de l’Europe comme les agents précaires et migrants du changement social » (Doerr, 2010, p. 47). Toutefois, les manifestants qui n’utilisent pas des images familières, attendues et compatibles avec l’expérience médiatique dominante, risquent d’être marginalisés :
« Acquérir de la visibilité par des images contre-hégémoniques qui rappellent, mais en même temps renversent, des discours hégémoniques représente un défi majeur pour des acteurs de mouvements sociaux et, en particulier, pour les groupes discriminés qui ont des expériences différentes de celles de la majorité ».
34Ces multiples usages de la photographie et du film comme médiums susceptibles de diffuser un message, de rendre visibles et concrets à eux-mêmes des groupes sociaux et, à terme, de produire une contre-image aux images dominantes, exploitent chaque fois le statut indiciaire associé à ces deux types d’images : elles attestent de l’existence de leur référent et c’est à ce titre qu’elles peuvent contribuer à solidifier des représentations sociales, au profit ou au détriment des dominés, comme le montrent les articles de ce dossier.
La photographie et le film : entre prise de parole et réduction au silence
35Dans des situations participatives et des contextes institutionnels très différents, les contributions réunies confirment le fait que, si les dominants ne sont pas les seuls à pouvoir mobiliser des images, les dominés ont du mal à le faire efficacement. Certes, ceux-ci se saisissent de la photographie et du film pour donner une autre image d’eux-mêmes et produire de nouveaux savoirs sur la société. L’enjeu, tant en urbanisme que pour les mouvements sociaux, est de remettre en cause le pouvoir des dominants avec leurs propres armes. Les contributions de Romain Lecler et Anahi Alviso-Marino, qui portent sur des moments où l’art devient action politique, signalent que la production d’images est aussi une prise de conscience, pour les groupes mobilisés, de ce qu’ils sont et de la dimension politique et subversive des images qu’ils produisent. Le cinéma militant des années 1970 qu’étudie R. Lecler fait ainsi apparaître sur les écrans des individus et des groupes qui étaient jusque-là invisibles, à la télévision comme dans le cinéma établi. Ces films militants fournissent alors image et parole aux sans voix, en donnant à voir tant les mobilisations de la décennie que de très nombreux visages de la société française, en particulier ceux des dominés du champ social comme les immigrés ou les femmes. Diffusés dans des réseaux militants, ils contribuent à la politisation de la société française des années 1970, en documentant les luttes et en assurant leur promotion auprès de publics militants. Lors de la révolution yéménite de 2011 analysée par A. Alviso-Marino, le travail des photographes engagés constitue également un soutien à la cause et un vecteur de mobilisation. Leurs photographies contribuent à forger chez les manifestants une nouvelle perception visuelle d’eux-mêmes, comme force politique, et de l’espace qu’ils occupent. Les images qu’ils produisent documentent en effet l’émergence et l’expansion territoriale de la mobilisation, elles donnent à voir leur expérience contestataire et rendent visible la naissance de nouveaux acteurs. On retrouve une politisation des discours par l’image dans le film réalisé par Laura Seguin dans le cadre d’un panel de citoyens sur la gestion de l’eau en Poitou-Charentes. Alors qu’ils sont contraints dans un film institutionnel à une attitude de loyauté vis-à-vis des responsables politiques et de la procédure mise en place, les citoyens passent, dans le cadre d’un film de recherche, de l’expression d’un savoir d’usage à celle d’un savoir politique, en manifestant une certaine défiance à l’égard du travail des élus.
36Cette mise en images de la parole est toutefois limitée et ambivalente, car elle fige les revendications et les idées. Au Yémen, les photographes ont arrêté de produire des images lorsque la mobilisation s’est transformée, alors que les films militants des années 1970 n’ont pas circulé en dehors des luttes elles-mêmes, ne prêchant finalement que des convaincus. En analysant les vidéos réalisées par les manifestants contre le chantier autoroutier traversant la forêt de Khimki, au nord de Moscou, Perrine Poupin montre combien les images peuvent constituer un frein au débat et à la délibération. Comme au Yémen, la démocratisation des supports d’enregistrement offre aux opposants au régime russe l’opportunité de réaliser leurs propres images, qui rendent visibles leurs actions protestataires et la répression policière. Mais cette visibilité les soumet à une répression accrue de la part du régime, qui n’hésite pas à utiliser les vidéos circulant sur Internet pour identifier les manifestants. Surtout, les activistes ont tendance à investir le monde des images pour capter l’attention des médias, en délaissant l’émergence d’un discours construit, qui pourrait provoquer une discussion dans la société. Leurs vidéos renforcent la figure du leader et ne permettent pas aux publics profanes de saisir les enjeux des mobilisations, creusant ainsi le fossé entre les activistes et le reste de la population. En Russie, l’image réduit donc le débat d’idées à la portion congrue, alors que les films militants analysés par R. Lecler témoignent d’un vrai travail visuel sur l’écrit et la mise en image de la parole des dominés. On retrouve cette articulation entre l’image et la parole, et entre les différents supports visuels, dans les deux dispositifs d’urbanisme participatif étudiés par Khedidja Mamou en Île-de-France. Le support photographique, utilisé en phase diagnostic, rend visible une pluralité de visions du territoire, tandis que la vidéo, qui rend davantage compte du processus d’échange, fait apparaître un habitant actif dans la dynamique participative, capable de propositions sur son cadre de vie. Toutefois, le film semble contraindre les participants à une posture de « représentation » liée à la publicisation de leur parole, ce qui amplifie là aussi les complexes d’infériorité entre profanes et experts.
37De l’observation croisée de la mobilisation de la photographie et du film dans le champ urbain et dans celui des mouvements sociaux, on retiendra donc un premier résultat. Les images photographiques et filmiques font d’autant mieux parler qu’elles ne s’inscrivent pas dans des formats préexistants ou préconstruits, que ceux-ci soient médiatiques ou savants. À cette condition, elles deviennent de puissants outils de contestation des représentations dominantes par leur capacité à les mettre en perspective. Dans les cas inverses, ces images renforcent encore les effets de la domination en condamnant ses victimes au silence.
La photographie et le film comme miroirs des sociétés contemporaines
38Considérer la photographie et le film comme des fenêtres sur le monde permettant d’accéder à la perception « de l’invisible ou de l’invu dans le visible » (Comolli, 2012, p. 81) ne correspond pas à l’usage social dominant qui se perpétue encore aujourd’hui dans un grand nombre d’univers sociaux, y compris dans le champ scientifique. Comme le rappelle Hans Belting (2004, p. 276), l’usage socialement majoritaire de la photographie en fait un miroir, c’est-à-dire une surface opaque qui réfléchit un « regard socialement préconstitué sur le monde social » (Topalov, 1997, p. 144). De cet usage découle le pouvoir de la photographie et du film, qu’ils partagent avec d’autres images comme la peinture, le dessin ou les images de synthèse par ordinateur, à fonctionner comme des emblèmes ou des symboles de territoires, de valeurs et d’idées auxquelles ils entretiennent un rapport en fait arbitraire. Ici encore, les champs de l’urbanisme et des mouvements sociaux fournissent des situations contrastées. Dans la littérature sur l’iconographie territoriale, les administrations publiques ou les équipes de maîtrise d’œuvre ont très souvent recours à la photographie et au film comme des supports d’identification dans le cadre de démarches de communication où la frontière entre information et manipulation est parfois très ténue. Toutefois, ce type d’usages ne s’avère pas impropre à la participation. En effet, lorsqu’ils sont appropriés par les mouvements sociaux, la photographie et le film deviennent des armes puissantes de mobilisation et de conversion à la cause défendue.
La photographie et le film comme supports d’identification à un territoire : des outils de manipulation ?
39Dans la littérature consacrée au visuel en urbanisme, il n’est pas seulement question de l’image de la ville, codifiée pour et par la pratique urbanistique, mais aussi de l’image d’une ville en particulier. Cette dernière image n’est plus le moyen mais l’enjeu de l’intervention des urbanistes. Les images du projet s’intègrent alors à un récit qui « donne sens à l’action urbaine et au territoire qu’elle contribue à construire » (Lussault, 1993, p. 337). Dans le champ de la communication publique sur les projets urbains, l’imagerie virtuelle en 3D, animée ou non, s’est progressivement imposée au détriment des systèmes plus classiques comme la cartographie, le dessin, les maquettes ou les schémas (Bailleul, 2008, p. 116). Lorsque la photographie et le film sont mobilisés dans un tel cadre, ils posent en général les mêmes problèmes que ce type d’images, ce qui suggère encore une fois que ce sont moins les images elles-mêmes que leurs modalités d’usage qui sont en cause.
40Le fait que les administrations publiques soient aujourd’hui obligées de communiquer au public un minimum d’informations sur les projets urbains en cours n’a pas remis en cause le partage sur lequel s’est construit le champ du savoir urbanistique entre l’imagerie dédiée à un public professionnel et celle consacrée à un public « profane » :
« La ville a depuis longtemps été, et elle est toujours le plus souvent, représentée de deux façons complémentaires : un système géométral en 2D fait de cartes, de plans, de coupes et de façades, conçu par des professionnels et prioritairement destiné à ces derniers, et une simulation picturale en 3D, destinée au non-initié, plus ou moins réaliste et séduisante mais parfois source de malentendus ».
42Sont ici opposés, d’une part, la cartographie, qui produit des images difficiles à réaliser et à lire pour un public non initié, d’autre part des systèmes dont la technicité paraît moindre parce que les images obtenues sont plus proches de l’expérience visuelle commune, même si leur réalisation requiert l’acquisition d’équipements et de compétences spécifiques, comme c’est le cas du dessin d’architecture, de la photographie, du film ou de l’imagerie numérique en 3D. Or, d’après Hélène Bailleul (2008), le recours privilégié à ce dernier type d’images dans les situations publiques de communication conduit à une confusion entre marketing territorial et information des citoyens, le premier prenant le pas sur la seconde. Les images en 3D mobilisées en réunion publique ont en effet un double statut : elles donnent à voir un état futur de la réalité modifiée par le projet, mais aussi un produit à commercialiser (Bailleul, 2008, p. 114). Par rapport à un schéma ou à une maquette, les images en 3D générées par ordinateur donnent ainsi des informations très précises sur la morphologie future du territoire en projet et le représentent de manière analogue à l’expérience visuelle commune, de sorte qu’elles montrent l’espace urbain aux habitants comme s’il était déjà effectivement transformé par le projet. Or, face à ce type d’images, les individus sont conduits soit à s’identifier à la réalité future qui leur apparaît comme non négociable, soit à rejeter cette réalité au nom d’un attachement à l’existant (p. 133). La même critique peut être adressée aux photographies utilisées par les architectes-urbanistes contemporains dans le cadre de présentations publiques. O. Söderström (2000, p. 102) cite le cas de Jean Nouvel dont les usages de la photographie contribuent à une « artialisation des images de projet » : la photographie sert moins à simuler les différents aspects d’un projet, compte tenu des incertitudes inhérentes aux conditions de sa réalisation puis de son appropriation sociale, qu’à figer l’architecture, avant même la réalisation du projet, dans une image qui pourra ensuite fonctionner comme un « emblème spatial » (Lussault, 2007, p. 173). J. Nouvel, comme bien d’autres, exploite ici le statut indiciaire propre à la photographie pour « naturaliser, c’est-à-dire [extraire] des débats et [rendre évidente] aux yeux de tout le monde » (Chapel, Grudet, Mandoul, 2007, p. 119) une représentation qu’il projette sur un territoire, avant même que celle-ci n’y ait été éprouvée.
43Au partage entre imagerie experte et imagerie « profane » se superpose ainsi une autre opposition entre les représentations dites « véristes », qui restituent de manière très précise les caractéristiques morphologiques de l’espace considéré (c’est le cas de la photographie, de la vidéo et de la plupart des images de synthèse par ordinateur), et les « schématisations grossières » dont l’effet de vérité serait moindre (Debarbieux, 2003, p. 23 ; Al-Kodmany, 2002). Derrière cette opposition se cache une critique qu’Henri Lefèbvre adressait déjà au dessin d’architecture : les professionnels (et le public) se laisseraient piéger par les représentations qu’ils construisent de l’espace en les prenant pour vraies, c’est-à-dire en oubliant qu’elles opèrent des sélections, synthèses ou réductions de l’espace « réel » (Söderström, 2000, p. 16-22).
44Toutefois, cette critique est nuancée par la description des expériences qui mobilisent la photographie et le film dans des démarches d’urbanisme participatif. La capacité de la photographie et du film à créer des effets de réel y est toujours valorisée. K. Al-Kodmany (2002, p. 194-195) cite les expériences menées à la fin des années 1980 aux États-Unis par Anton Nelessen et Wendy McClure, consistant à soumettre aux participants une série de photographies qui documentent le territoire faisant l’objet de la consultation ou d’autres sites, afin qu’ils les hiérarchisent en fonction d’une échelle de préférences. Plus proches de nous dans le temps et dans l’espace, les promenades commentées s’assortissent très souvent de prises de vue photographiques ou vidéo destinées à être localisées sur une carte et classées selon le même type d’échelles (Cuny, 2010). Dans ces expériences, la photographie est utilisée comme un support d’identification ou de rejet, afin de cerner les représentations projetées sur un territoire par ses habitants : la note attribuée à chaque photographie permet d’évaluer le degré de congruence entre la représentation qu’elle donne de l’espace considéré et les représentations que s’en font mentalement les participants. Dans d’autres cas, la capacité des images photographiques et filmiques à favoriser l’identification des participants aux situations qu’elles représentent est analysée comme un vecteur de leur implication dans les débats. Maged Senbel et Sarah Church (2011, p. 431) citent le cas d’une démarche participative visant à associer les habitants d’un quartier résidentiel de Vancouver à une réflexion stratégique sur l’implantation d’un pôle multimodal. En début de procédure, la projection d’un film qui confrontait les témoignages de plusieurs habitants a permis aux participants de se reconnaître dans certaines craintes ou certains espoirs qui y étaient exprimés et de se sentir investis d’une responsabilité collective. Enfin, dans l’expérience menée à Chicago que nous avons déjà citée, l’intégration de photographies au SIG a facilité l’appropriation de cet outil et les informations statistiques qu’il renfermait (Al-Kodmany, 2000, p. 226). L’accès à l’information des SIG constitue aujourd’hui un enjeu important pour la participation. En effet, contrairement aux « schématisations grossières » qui ne donnent pas à voir plus d’informations que celles qu’y mettent les participants, les SIG ou les plateformes de visualisations en 3D permettent d’explorer de manière précise et approfondie des systèmes urbains complexes. Ils constituent ainsi un moyen performant d’accéder à et de mettre en relation des données hétérogènes. Or, tant que leur accès reste réservé aux professionnels, ces derniers conservent une position d’autorité dans les débats (Al-Kodmany, 2002, p. 194 ; Söderström, 2000, p. 10).
45Les exemples contrastés que nous venons d’examiner montrent que certaines limites posées à la participation dans l’urbanisme et l’aménagement tiennent moins à la nature des images mobilisées comme support du débat qu’à la faible articulation de ces démarches avec le processus de projet. Il nous paraît ainsi symptomatique que les expériences les plus innovantes, comme le projet IP-City (Basile et al., 2007) ou celui mené à Chicago (Al-Kodmany, 2000), aient été réalisées dans le cadre de recherches universitaires sur des espaces qui ne font pas (encore) l’objet d’une intervention publique ou, lorsque c’est le cas, dans le cadre de dispositifs qui ne répondent à aucun objectif d’intervention. Inversement, dans les expériences où les potentialités de la photographie, du film et des autres types d’images apparaissent les plus limitées en matière d’appropriation du savoir « expert », de mobilisation du « savoir d’usage » et d’élaboration d’une décision partagée, soit la participation intervient lorsque la connaissance accumulée sur le projet a déjà fortement réduit l’éventail des possibles, soit elle se limite à la communication au public de choix opérés sans lui. La situation est différente pour les mouvements sociaux, les groupes mobilisés se saisissant pleinement des images et de leurs effets de réel pour sensibiliser le public à leur cause en transmettant des émotions.
La photographie et le film comme dispositifs de sensibilisation
46Outre les rapports aux médias analysés précédemment, l’intérêt porté aux images dans l’étude des mouvements sociaux tient à la prise en compte croissante des émotions, depuis des travaux pionniers à partir de la fin des années 1990 (Jasper, 1997 ; Goodwin, Jasper, Polletta, 2001 ; Goodwin, Jasper, 2004). Dans un état de l’art sur émotions et mouvements sociaux, Isabelle Sommier (2010, p. 190) montre que le retour récent de cet angle d’analyse dans la sociologie de l’action collective « témoigne d’une volonté de réincarner l’étude des mouvements sociaux, notamment sur le plan narratif, mais aussi de réhabiliter le plaisir de l’engagement, négligé depuis Olson par l’insistance sur son coût ». Il s’agit de capter des éléments autres que discursifs dans les mobilisations, notamment les expressions corporelles (Lefranc, Sommier, 2009). Une attention est ainsi portée aux symboles et notamment aux « codes visuels » condensant des émotions (Doerr, Teune, 2008). Les marqueurs visuels comme les couleurs (Chester, Welsh, 2004) permettent aux militants de s’identifier à un collectif et aux personnes extérieures d’identifier l’orientation du groupe (Doerr et al., 2008). Une organisation comme celle des Black Panthers porte ainsi une attention spécifique à la cohérence visuelle du mouvement, avec des photos qui reprennent systématiquement non seulement des symboles (le béret, le point levé, etc.), mais aussi des postures valorisantes (la contre-plongée célébrant la fierté du corps politique protestant) et des signes d’unité (l’alignement géométrique des troupes) (Phu, 2008, p. 170). Les cadrages visuels font appel à des émotions s’appuyant sur des symboles nationaux ou sur le langage commercial visuel, ce qui rend plus difficile le transfert des images dans différents contextes culturels (Doerr et al., 2008). Les images peuvent toutefois jouer un rôle important dans les événements transnationaux lorsque le langage écrit n’est pas partagé : les organisateurs de l’EuroMayday contre la précarité ont, par exemple, propagé leurs revendications à partir d’une iconographie visuelle diffusée via les NTIC et les médias indépendants (Doerr, 2010).
47Les images peuvent également être utilisées comme un puissant facteur de mobilisation, en suscitant des « chocs moraux » chez des personnes qui ne sont pas impliquées dans l’action politique, mais qui s’engagent à la suite d’une situation qui les indigne (Jasper, 1997). Les images d’animaux torturés permettent ainsi de recruter des citoyens dans le mouvement pour le droit des animaux (Jasper, Poulsen, 1995), tandis que celles de fœtus sont utilisées par les mouvements pro-life pour faire de l’avortement un scandale (Petchesky, 1987 ; McLaren, 2013). Kirsty McLaren (2013) montre, par exemple, comment les militants pro-life australiens cherchent à susciter de l’horreur face à la violence de l’avortement, en juxtaposant des images d’un fœtus avorté et d’un bébé en bonne santé, et à susciter de l’empathie, en montrant un fœtus à la fois humain et vulnérable. Les photos de corps souffrants visent plus généralement à générer des chocs moraux, à partir d’un langage unique qui a un fort potentiel de diffusion transnationale : « C’est une chose d’entendre ou de lire quelque chose à propos de l’atrocité et une autre d’être visuellement exposé à ses conséquences sur des corps humains spécifiques » (Olesen, 2013, p. 9). Thomas Olesen (2013) illustre son propos à partir du cas de Khaled Said, un jeune Égyptien battu à mort par un policier en juin 2010. La photo de son corps après sa mort, prise par un membre de sa famille à la morgue et diffusée sur Internet, et juxtaposée à un portrait de son vivant, est devenue une ressource importante pour la lutte contre le régime d’Hosni Mubarak. En analysant les vidéos autour de la mort de trois personnes lors de manifestations altermondialistes en Europe, Tina Askanius (2013) souligne également une utilisation stratégique de l’image de la violence dans les médias alternatifs et les représentations que le mouvement produit de lui-même. Alors que les médias traditionnels n’ont pas montré d’images des corps morts, les vidéos mises en ligne sur YouTube visent à révéler visuellement la brutalité policière, afin de toucher émotionnellement le spectateur et l’inciter à passer à l’action. Comme dans le cas syrien, il s’agit d’apporter des preuves visuelles des violences commises : « L’exposition des martyrs et des marques corporelles sont les signes évidents de la véracité du récit énoncé. Montrer un corps meurtri, c’est rendre publique la barbarie dans l’espoir d’une réparation » (Boëx, 2012).
48En France, les spécialistes des mouvements sociaux se sont particulièrement intéressés au « travail politique par lequel les organisations de mouvement social s’emploient à offrir des représentations de la situation incitatives à l’action » (Sommier, 2010, p. 195). Christophe Traïni a ainsi développé l’approche des « dispositifs de sensibilisation », définis comme « l’ensemble des supports matériels, des agencements d’objet, des mises en scène, que les militants déploient afin de susciter des réactions affectives qui prédisposent ceux qui les éprouvent à s’engager ou à soutenir la cause défendue » (Traïni, Siméant, 2009, p. 13). Ces dispositifs, qui peuvent aussi être à visée interne, sont souvent liés à l’enjeu de médiatisation des mouvements sociaux. Ils visent ainsi à mettre en scène les émotions au sein d’une mobilisation en « anticip[ant] les formats médiatiques (séquences audiovisuelles courtes, commentaires simples et peu idéologiques, impact émotionnel assuré) » (p. 21). Dans son enquête auprès des militants de la cause animale, C. Traïni (2010) montre que les films et les photos constituent un matériel idoine pour analyser les manifestations dans une perspective dramaturgique, dans la lignée de l’analogie développée par Erving Goffman entre les conduites sociales et les représentations théâtrales. L’auteur analyse ainsi le rôle des images dans la mise en scène théâtralisée des manifestations contre la corrida en vue de leur médiatisation. De nombreux affiches et tracts présentent des images choquantes, comme des photographies de taureaux ou de chevaux ensanglantés, ou de très gros plans des pointes acérées et des crochets de fer, afin « de susciter l’aversion, le dégoût, l’effroi, en décrivant la corrida sous les traits d’une pratique violente, sanguinolente et macabre » (Traïni, 2010). Des dispositifs socialement moins controversés sont également mis en place, à l’instar des panneaux à l’effigie de personnalités connues pour leur opposition à la corrida (de Victor Hugo à Nicolas Hulot) que les militants portent dans une manifestation, afin de contrecarrer le risque d’être jugés peu nombreux et d’insister sur la respectabilité des opposants. Les organisateurs de la manifestation anticipent ici les images qui seront produites dans les médias et les intègrent à leur mise en scène de l’événement.
49Les artistes de différents domaines esthétiques (musique, littérature, théâtre, arts plastiques, cinéma) jouent un rôle spécifique dans ces mises en scène théâtrales des émotions, en mettant leurs compétences professionnelles au service d’une cause militante : « Le propre des artistes étant leur aptitude particulière à la manipulation des symboles, cette habileté spécifique les prédispose à jouer un rôle prépondérant dans ces luttes symboliques qui sont aussi, et nécessairement, des luttes sociales et politiques » (Balasinski, Mathieu, 2006b, p. 12). Les professionnels de l’art s’investissent ainsi dans des « dispositifs de sensibilisation esthétique », c’est-à-dire « un agencement organisant la rencontre (donc une interaction) entre une œuvre et un public de manière à ce que celui-ci se trouve moralement affecté et se sente concerné par la cause » (Mathieu, 2009, p. 55). Dans le cadre de la campagne en opposition à la double peine que Lilian Mathieu analyse en 2001-2003, des concerts et des projections de films ont ainsi fonctionné comme un échange de services symboliques entre les artistes et les organisations militantes : « Le groupe [ou le cinéaste] fait bénéficier la campagne de son renom et de l’intérêt de son public traditionnel, tandis que celle-ci apporte la gratification d’une posture engagée, valorisée dans son monde de l’art » (p. 43). Dans le cadre d’une lutte cette fois-ci interne à la profession, Bleuwenn Lechaux (2009, p. 59) énumère les atouts dont disposent les intermittents du spectacle pour mettre en place des dispositifs de sensibilisation visuels : « L’aptitude à la mise en scène de soi, l’expression d’états affectifs variés et hautement théâtralisés, le sens de l’improvisation, et plus encore l’art de subvertir des situations ordinaires en un spectacle donnant lieu à une appréciation esthétique ». Dans les « manifestations de droite », par exemple, l’ironie n’est pas seulement discursive, elle est aussi visuelle : les militants empruntent des costumes (cols blancs, jupes plissées), des symboles (le drapeau bleu-blanc-rouge), des codes et des rituels qui se réfèrent en les parodiant aux références politiques et aux répertoires culturels de leurs opposants (p. 64). Les relations entre art et activisme sont donc très étroites (Balasinski, Mathieu, 2006a), au point de parfois se confondre. À Act Up par exemple, les productions des artistes engagés deviennent des pratiques militantes à part entière, tandis que les actions publiques se caractérisent par une esthétique spécifique et une forte théâtralisation (Broqua, 2006). Les modes d’action de cette association s’expriment en effet de manière très visuelle : le « zap », action-éclair organisée en réaction à un événement ou un problème qu’il s’agit de dénoncer, met en scène la colère aussi bien par les slogans que par la gestuelle des corps, le recours à des accessoires visuels et sonores, ou l’utilisation de symboles (Patouillard, 1998 ; Broqua, 2006 ; Broqua, Fillieule, 2009). Ces scènes visent notamment à produire des images qui seront fixées par la photographie, comme les die-in visant à s’allonger sur le sol et à rester immobile quelques instants pour y simuler la mort, afin de représenter les morts du sida (Broqua, 2006, p. 9). On retrouve donc, dans l’usage de la photographie et du film par les mouvements sociaux, une recherche de réactions émotives et affectives par l’image, qui est également présente dans les procédures d’urbanisme participatif.
L’émotion comme moteur des processus d’identification et de sensibilisation
50Les articles du dossier insistent sur le rôle des émotions suscitées par les photographies et les films produits par les acteurs sociaux, qui fonctionnent à la fois comme des supports d’identification et de sensibilisation pour ceux qui s’impliquent dans différentes formes de participation. A. Alviso-Marino aborde directement cette question, en indiquant que les photographies produites sur la « Place du changement » à Sanaa véhiculent des émotions à travers des symboles politiques efficaces. L’obélisque devient, par exemple, une image de condensation du sit-in sur la Place, et au-delà l’icône du soulèvement populaire. Les photographies témoignent par ailleurs de la violence de la répression, à partir des images de blessés et de martyrs. Les photographes engagés se servent ainsi de leurs images comme des dispositifs de sensibilisation visant à susciter des réactions affectives, comme provoquer de la solidarité avec la cause défendue, faire réagir et mobiliser l’observateur. P. Poupin souligne également l’utilisation stratégique d’images chargées d’émotions par les activistes russes produisant des vidéos et les diffusant sur Internet, afin d’inciter ceux qui les regardent à agir. Le spectaculaire de la mise en scène vise à démontrer la force d’un groupe, à susciter de l’émotion chez les spectateurs et à leur transmettre l’enthousiasme des manifestants. Comme le souligne l’auteure, l’image filmique provoque des émotions quand elle entre en résonance avec un savoir visuel partagé, inscrit dans une sensibilité politique répandue (comme le patriotisme) ou un langage visuel commercial. Pour parvenir à une telle sensibilisation du public, les vidéastes russes n’hésitent pas à rompre avec les codes cinématographiques et télévisuels dominants, comme c’était le cas des cinéastes militants des années 1970 analysés par R. Lecler. Ceux-ci ont en effet forgé une esthétique radicale, à contre-courant des normes en vigueur, ainsi qu’une esthétique de la mobilisation, faisant du cinéma un support immédiat de ces luttes. Souvent contrainte, la radicalité des partis pris esthétiques de ces cinéastes, visant notamment à révéler le dispositif cinématographique et à afficher l’écrit, était cohérente avec leur situation dominée dans le champ cinématographique et celle de ses protagonistes en révolte au sein du champ social.
51Concernant l’utilisation ambivalente des supports audio(visuels) dans les dispositifs d’urbanisme participatif, L. Seguin signale que le film institutionnel réalisé dans le cadre du panel de citoyens sur la gestion de l’eau est avant tout conçu comme un support de communication. Il suscite le rejet des participants, qui ne se reconnaissent pas dans ce que le film laisse entrevoir du processus participatif : une mise en scène de l’institution en tant que « faisant participer », plus que la restitution du processus toujours ouvert de participation. En indiquant que les participants n’ont pas d’influence dans le cadrage du film institutionnel, qui se limite au registre argumentatif, l’auteure rejoint la principale limite pointée par K. Mamou dans l’utilisation de la vidéo dans les dispositifs d’urbanisme participatif qu’elle analyse : si les habitants montrent leur « image » dans le film, ils ne participent jamais directement au montage de celle-ci, et ont donc une influence limitée sur les représentations collectives, visuelles et sociales, qui y sont véhiculées. La réalisation d’un film de recherche par L. Seguin met toutefois en avant un atout de la vidéo lorsque ses producteurs vont au-delà du simple outil de communication et de manipulation de la parole des habitants. En effet, la prise en compte de l’affectif et du sensible dans ce film permet de mieux comprendre la façon dont l’expérience participative a été vécue par les habitants. À l’inverse du film institutionnel, le film de recherche est « émouvant », il fait partager un ressenti aux initiateurs de la démarche et génère de l’empathie chez eux avec les participants. Comme dans le cas de mobilisations politiques, le film est ici envisagé comme un support de sensibilisation et de responsabilisation des acteurs politiques vis-à-vis des suites à donner au travail des citoyens.
52Les articles du dossier, comme les travaux des études urbaines et de la sociologie des mouvements sociaux, s’accordent donc pour mettre en évidence la capacité de la photographie et du film à générer des effets de réel qui nous impliquent personnellement et émotionnellement dans les événements, les actions ou les lieux restitués, pour le meilleur comme pour le pire. La manipulation est ici liée à l’emploi de la photographie ou du film pour attester de faits virtuels ou simulés. Dans ces cas, ce sont moins les images qui mentent que les conditions dans lesquelles elles nous sont montrées.
Vers un tournant visuel en sciences sociales ?
53La confrontation des travaux relevant de l’urbanisme et de l’aménagement avec ceux qui portent sur les mouvements sociaux met en évidence un trait commun : l’image photographique ou filmique y est très peu mobilisée comme une méthode d’analyse alors même qu’elle en est l’objet. Ce constat est d’autant plus étonnant pour l’urbanisme que les raisons qui ont conduit à la marginalisation de ces images dans l’arsenal visuel de cette discipline n’ont plus cours aujourd’hui. Toutefois, nous chercherons moins ici à rendre compte de cette marginalisation qu’à identifier, à partir des rares recherches qui les mobilisent et des articles qui composent le présent dossier, les usages qui font potentiellement de ces deux types d’images les médiums d’un savoir à la fois visuel et critique dans les deux champs considérés.
Vers un nouvel ordre figuratif en urbanisme ?
54Dans les exemples cités plus haut, qui associent la photographie et le film à d’autres types d’images dans les démarches d’urbanisme participatif, nous avons pu observer que la cartographie était très souvent choisie comme support d’intégration des différents médiums et, à travers eux, des différents savoirs mobilisés au cours du processus de participation : une seule coordonnée spatiale permet en effet de confronter sur un même support (l’écran d’ordinateur ou de projection) les différentes visualisations du même objet ou du même lieu (Van Herzele et al., 2008, p. 450 ; Al-Kodmany, 2000, p. 225). Or ce mode d’intégration soulève des questions tant méthodologiques qu’épistémologiques et politiques. Une critique souvent adressée à la cartographie, utilisée comme support visuel de participation en urbanisme, consiste à dire qu’elle précadre les débats à travers des choix d’échelle et de métrique et l’imposition d’un point de vue zénithal sur le monde (Debarbieux, 2003, p. 26 ; Van Herzele et al., 2008, p. 450). Les SIG ne résolvent que partiellement ces problèmes, dont les géographes ou les sociologues sont avertis, mais plus rarement les autres catégories d’acteurs impliqués dans une démarche de projet urbain participatif : s’ils permettent de changer facilement d’échelle et intègrent désormais, à travers les images de synthèse en 3D, la vidéo ou la photo, des points de vue plus proches de l’expérience visuelle commune, leurs données couvrent toujours un périmètre limité, aussi vaste soit-il (Al-Kodmany, 2000, p. 226). A. Van Herzele et C. van Woekum (2008, p. 451) montrent en particulier que l’usage de la cartographie comme support principal de débat réduit fortement la mobilisation du « savoir local » au profit d’un « savoir relatif à l’action dans l’espace » (spatial action knowledge). Alors que le premier type de savoir consiste en des récits d’interactions sociales à travers lesquels les participants construisent des espaces sans cesse différents, le second passe plutôt par des actions concrètes par lesquelles ils se repèrent, situent et déplacent des objets dans l’espace préconstruit de la carte. Autrement dit, la cartographie conduit les participants à voir l’espace comme un contenant clairement circonscrit et stable dans lequel il s’agit de projeter des objets et des fonctions, alors que leur expérience quotidienne leur apprend que l’espace est sans cesse reconfiguré par son contenu social, toujours indéfini, instable et fluide. Le décalage entre la représentation cartographique de l’espace et son expérience concrète est ainsi au cœur de la « crise figurative » qui, d’après M. Lussault (2007, p. 296), se traduit par l’incapacité des représentations canoniques en urbanisme à figurer la ville dans sa forme actuelle :
« Les difficultés d’application des outils opérationnels traduisent […] la divergence sans cesse accrue entre deux réalités sociales que l’on continue de vouloir croire congruentes : une culture visuelle manifestant un modèle cognitif et idéologique, celui de la ville ; l’arrangement urbain des réalités sociales que cette culture, encore fortement légitime chez les opérateurs de l’intervention, en fait, ne parvient plus […] à imager, ce qui ne s’était pas produit jusque-là. »
56Si nous prenons acte de ce constat, nous ne partageons pas la thèse de M. Lussault selon laquelle cette « crise » tiendrait à la complexité du phénomène urbain contemporain. La critique de la capacité des représentations canoniques en urbanisme à restituer ce phénomène dans sa complexité et sa contemporanéité toujours changeante n’est en effet pas nouvelle. La photographie et le film ont été des outils privilégiés par les urbanistes qui ont cherché à répondre à cet enjeu, tant d’un point de vue théorique que pratique. On trouve les traces de telles préoccupations dès les années 1920, notamment un film de la cité Berlin-Britz, réalisé par Bruno Taut et Martin Wagner, qui en restitue la composition en fer à cheval à partir de plusieurs séquences prises depuis un hélicoptère (Stierli, 2010, p. 161). On peut également citer les travaux publiés par la revue anglaise The Architectural Review dans les années 1940, qui mobilisaient amplement la photographie pour donner à voir la qualité visuelle des villes, appréhendée à travers le concept de « paysage urbain » (townscape) (p. 115). Enfin, plus proche de nous, mentionnons, en 1969, la collaboration entre l’urbaniste Françoise Choay et le photographe Jean-Louis Bloch-Lainé, qui visait à « donner à voir et à comprendre […], par contraste, en la présentant sur fond de passé », « une crise sans précédent de l’espace habité et, en particulier, de celui que l’on continuait d’appeler “ville” » (Choay, 2003, p. 7). Malgré leur ambition, ces expérimentations nous paraissent encore limitées. On peut en effet voir dans l’usage du film que font B. Taut et M. Wagner une manière d’humaniser la représentation cartographique, dont les principaux codes sont réitérés, en y intégrant la perception de l’espace en mouvement, tandis que les photographies de J.-L. Bloch-Lainé conservent dans l’ouvrage de F. Choay une fonction essentiellement illustrative.
57Une expérience particulièrement aboutie est celle menée au début des années 1970 à Las Vegas par les urbanistes Robert Venturi et Denise Scott Brown dans le cadre d’une recherche à visée scientifique. Par rapport aux travaux de Donald Appleyard, Kevin Lynch et John Myer qui l’ont précédée (Appleyard, Lynch, Myer, 1964 ; Lynch, 1999 [1960]) et dont elle s’inspire, cette recherche exploite pleinement les fonctions heuristiques de la photographie et du film (Venturi, Scott Brown, Izenour, 1972). Comme l’indique Martino Stierli (2010, p. 27-28) dans l’ouvrage qu’il consacre aux résultats de l’atelier mis en place à Las Vegas, ce projet vise explicitement à développer une iconographie plus adaptée à l’étalement urbain et à la forme urbaine de la rue commerciale américaine que ne l’est l’iconographie classique. Il s’inscrit également dans le contexte des critiques, intellectuelles et académiques, formulées à l’encontre de l’urbanisme moderne et de la manière dont certaines de ses idées sont reprises par la sphère opérationnelle dans le cadre des politiques urbaines des années d’après-guerre (Jacobs, 1961). R. Venturi et D. Scott Brown se montrent ainsi particulièrement attachés à l’architecture vernaculaire et à ce qu’elle exprime de la culture populaire américaine de leur époque (Stierli, 2010, p. 28). L’objectif de l’atelier est analytique et compréhensif : il s’agit de saisir la ville « réellement existante » (p. 184). Pour y parvenir, ils préfèrent la photographie et le film à la cartographie pour deux raisons. Ces deux médiums permettent d’abord de porter un regard « objectif » sur la ville existante : l’œil mécanique est privilégié parce qu’il ouvre une vue sur le monde social dénuée de tout jugement de valeur. Photographie et film sont ensuite perçus comme des instruments de déconstruction de l’expérience urbaine propre à la ville américaine des années 1970 (p. 138). On retrouve ici le discours sur les fonctions heuristiques attribuées à l’œil mécanique de la caméra qui ont permis une série d’expérimentations débouchant sur l’invention du cinéma à la fin du XIXe siècle (Gunthert, 2000 ; Comolli, 2012, p. 79). À ce discours s’ajoute toutefois un autre argument, particulièrement intéressant pour notre propos. Pour R. Venturi et D. Scott Brown, la ville des années 1970, à l’instar de Las Vegas, n’est pas seulement transformée physiquement par la voiture, à travers les infrastructures routières qu’il faut désormais y aménager. La mobilité automobile change aussi la manière dont elle est perçue par ses usagers : l’expérience urbaine ne se fait plus en marchant, mais en roulant. Dans ce contexte, la voiture n’est pas seulement un mode de déplacement mais aussi une véritable machine à voir, qui partage de nombreux points communs avec le cinéma : des images défilent dans le cadrant dessiné par le pare-brise et sont contemplées avec la même « attention flottante » que les séquences d’un film projeté sur un écran de cinéma (p. 151). C’est donc au titre d’une affinité particulière entre l’expérience urbaine des années 1970 et l’expérience cinématographique que le film et la photographie apparaissaient à R. Venturi et D. Scott Brown comme des instruments d’observation et d’analyse opérants. Comme le montre M. Stierli, dans la mise en espace de l’exposition puis du livre réalisés à partir des résultats de l’atelier, les auteurs utilisent aussi les deux médiums comme des instruments d’analyse : les films sont systématiquement démontés, tandis que les photographies toujours montées en séquences proto-filmiques qui fixent dans une vue à la fois immobile et synthétique ce que l’œil nu ne fait que percevoir « en passant », soit les images enfermées dans les formes urbaines et architecturales et grâce auxquelles la nouvelle figure du citadin-automobiliste construit et ordonne l’espace urbain. Cette recherche met donc en évidence un apport significatif de la photographie et du film à la connaissance urbaine : ces deux médiums nous restituent comment la diffusion de l’automobile a affecté la perception visuelle des citadins, c’est-à-dire la manière dont elle a transformé leur expérience urbaine. D’autres pistes de recherche sont avancées par les chercheurs qui se sont intéressés à l’image dans l’étude des mobilisations.
Vers une sociologie visuelle des mouvements sociaux ?
58Malgré quelques avancées récentes, la sociologie des mouvements sociaux laisse une place encore marginale à l’analyse des images photographiques et filmiques. Celles-ci ne sont pas totalement absentes des travaux, mais elles sont considérées comme une illustration du message textuel plus que comme un médium qui suit sa propre logique et contient un message spécifique (Doerr et al., 2008, p. 158). Les matériaux (audio)visuels sont « souvent voire toujours collectés mais rarement exploités » (Lefranc, Sommier, 2009, p. 276). En général, ces sources disparaissent ou sont situées en annexe ou sur des sites internet (Lambelet, 2010). La recherche sur les mouvements sociaux est donc presque exclusivement focalisée sur les textes, les analyses systématiques du visuel ou l’intégration des analyses visuelles dans l’étude des mobilisations restant rares (Philips, 2012). Lorsque les sites Internet, les listes de courrier électronique, les manifestes, les forums politiques ou la couverture médiatique sont analysés, le travail écrit est systématiquement privilégié au détriment des représentations et pratiques (audio)visuelles (Askanius, 2010). Ce tropisme discursif est manifeste dans les travaux portant sur le traitement médiatique des manifestations. Si P. Champagne insiste sur l’effet spécifique qu’exercent les images, plus que le discours, sur la production de l’événement journalistique, l’analyse qu’il propose des usages sociaux de l’image par les manifestants reste limitée. En effet, lorsqu’il décrit la manifestation des paysans, il évoque « de nombreuses pancartes portant des dessins humoristiques et des slogans d’inspirations très diverses » (Champagne, 1986, p. 19), mais il analyse ensuite en détail le contenu textuel des slogans sans décrire les caricatures mentionnées. Bien qu’elles soient centrales dans sa théorie sur le traitement médiatique des manifestations, les images ne sont pas décryptées de manière systématique par l’auteur.
59Plus étonnant encore est le faible recours aux images dans les analyses qui portent précisément sur la dimension visuelle des mouvements sociaux et qui se limitent souvent au seul discours. Dans leur conclusion à l’ouvrage collectif Émotions… Mobilisation ! (Traïni, 2009a), qui ne comporte aucune image, S. Lefranc et I. Sommier (2009, p. 280) constatent que :
« L’ensemble est très visuel, et la mobilisation analysée souvent comme un enchaînement de scènes, de “tableaux” […], empruntant largement aux codes du monde artistique : happenings d’intermittents envahissant les plateaux télévisés ou de militants d’Act Up mettant en scène la mort dans la rue, spectacles de rue, concerts, documentaires vidéos. La consolidation des groupes militants est elle aussi largement adossée à des iconographies. »
61Les auteures ajoutent que le développement des NTIC contribue à l’expansion de ces formes issues du monde artistique, les sites Internet permettant d’exposer affiches, photos, vidéos et graphismes. Cependant, à l’exception de quelques contributions comme celle de C. Traïni (2009b) qui analyse l’utilisation de photographies et de films par les opposants à la tauromachie, les contributeurs à l’ouvrage se focalisent davantage sur le contenu textuel des mobilisations que sur les usages que les groupes mobilisés font des images : « Les émotions ne sont pas réductibles aux bruits des foules et aux mouvements des corps, elles sont presque nécessairement mises en mots. Ce poids de la narration se traduit dans l’intérêt manifesté par les auteurs pour les pratiques discursives » (Lefranc et al., 2009, p. 274). Christophe Broqua et Olivier Fillieule (2009) analysent, par exemple, les zap d’Act Up, à partir d’une description très visuelle de ces actions mais sans mobiliser d’images. L’observation ethnographique leur permet de rendre compte précisément des manifestations physiques (les visages qui rougissent, les veines qui gonflent, les yeux qui roulent), des attitudes corporelles et de la scénographie renvoyant à des signes de reconnaissance et d’identification, comme les tee-shirts avec le triangle rose inversé. Toutefois, si les auteurs évoquent « l’image de la violence » et la « violence visuelle » au cœur de ces actions, ils n’analysent pas directement les photos et vidéos produites et diffusées par l’association comme par les journalistes, et ne fondent pas leur analyse sur des images qu’ils auraient pu eux-mêmes produire des scènes observées. Cette focalisation sur l’écrit est évidente dans l’introduction du numéro de Politix (Combes et al., 2011) consacrée à l’observation des mobilisations. Les auteurs insistent sur la nécessité de « mieux prendre en compte les supports à la fois matériels et symboliques de la protestation » comme « ses dimensions émotionnelles et symboliques », ce qui implique de « traiter des graffitis, des tracts, […] des chansons et plus généralement des supports artistiques de la contestation » (p. 16). Toutefois, mis à part les commentaires liés à un article du dossier portant sur le cinéma comme matériau d’enquête pour les sciences sociales (Mariette, 2011), ils s’intéressent bien plus au rapport à l’écrit des militants (leurs bibliothèques, leurs modalités d’écriture, la division du travail d’écriture dans les mobilisations) que sur les usages qu’ils font des images.
62Alexandre Lambelet (2010) soulève néanmoins plusieurs enjeux méthodologiques pour analyser visuellement les rassemblements, en indiquant que les matériaux (audio)visuels permettent d’appréhender tant la dynamique propre des rassemblements que les représentations auxquelles ils renvoient. Il distingue plus précisément trois perspectives de recherche : une approche micro s’intéressant aux structures élémentaires des rassemblements, une lecture grammaticale se focalisant sur les significations de ce qui se met en scène, et un axe portant sur les usages des images pensées comme constitutives du rassemblement. Ces trois pistes visant à décrire les pratiques par les images, à analyser les représentations que véhiculent les images et à s’intéresser aux usages sociaux des images, nous semblent tout à fait pertinentes pour développer une analyse visuelle des mouvements sociaux. Le premier enjeu est celui de l’observation et de la description de « l’action collective en train de se faire », les photographies et les vidéos réalisées par le chercheur [10] permettant « de décortiquer […] l’ensemble des micro-actions et des temporalités constituant les rassemblements étudiés » (Viot, Pattaroni, Berthoud, 2010). L’objectif est de saisir, par une information détaillée sur le comportement des acteurs et de leurs interactions, le déroulement de l’action et sa dynamique. L’image permet non seulement de comparer des rassemblements entre eux à partir des éléments concrets qui les constituent, mais aussi d’historiciser l’évolution de certains types de rassemblements (Lambelet, 2010). L’usage du matériau (audio)visuel donne à voir les facteurs morphologiques d’un rassemblement, c’est-à-dire sa situation dans l’espace et dans le temps. Il joue dès lors un rôle essentiel dans l’analyse de la configuration des lieux et plus largement de la dimension spatiale des mobilisations sociales, dans un contexte scientifique où l’espace et le lieu sont de plus en plus perçus comme jouant un rôle essentiel dans l’analyse de la contestation (Auyero, 2005). On peut, par exemple, utiliser les photos des assemblées des Indignés à Madrid pour étudier la disposition spatiale de ces réunions et voir en quoi l’espace représente une ressource ou une contrainte pour l’action collective et la délibération (Nez, 2012). L’analyse des pratiques dans ces assemblées est enrichie en combinant observation participante et visionnage a posteriori de vidéos, afin de systématiser l’observation (des prises de parole, de la rotation des fonctions, etc.) et de percevoir des rapports de pouvoir, comme un processus de bureaucratisation ou l’apparition de leaders masculins (Rivero, 2012). Donnant la possibilité d’une exploration répétée du document, la vidéo incite ainsi à détacher le moment de l’observation du déroulement de la situation observée et à découvrir de nouvelles caractéristiques qui seraient autrement passées inaperçues (Viot et al., 2010). Comme le souligne C. Traïni (2010), « bien plus encore que la photographie dont le cadrage dépend des choix immédiats de l’observateur, les films valent surtout en tant qu’ils permettent une interprétation différée de ce qui méritait d’être relevé au cours du rassemblement observé ».
63Un deuxième enjeu de l’utilisation des supports (audio)visuels est d’interroger les significations, les stratégies et les cadrages liés à ce qui se met en scène dans une mobilisation. Alex Philips (2012) est l’un des rares chercheurs travaillant sur les mouvements sociaux à s’inspirer des méthodes visuelles, en considérant les productions visuelles comme des productions culturelles à étudier en tant que telles. À partir d’une collecte systématique de banderoles et d’affiches lors de manifestations en Allemagne en 2004, il reconstruit différentes orientations parmi les manifestants, en analysant le contenu des messages écrits et leur conception visuelle (taille du support, texte imprimé ou écrit, visibilité, lien ou non avec des organisations politiques). Les méthodes visuelles peuvent ici être appliquées aux images comme au texte : « La représentation et la réception d’un texte sont influencées par sa composition, la taille des lettres, l’espace entre les lignes, le type de lettres, etc. » (p. 8). L’auteur met ainsi en évidence la présence de deux groupes dans les manifestations, qui diffèrent dans leurs objectifs, orientations et techniques. Le premier est constitué de manifestants « professionnels », ayant une longue pratique de la manifestation et une vision alternative de la société ; ils sont organisés et capables de créer un matériel écrit et visuel approprié pour différentes manifestations. L’autre est un groupe spontané et non organisé d’individus qui rejoignent les manifestations, car ils sont en colère contre les conditions sociales ou les changements qui les affectent ; ils improvisent un matériel visuel, généralement moins visible, en fonction de leurs contraintes matérielles et temporelles. La comparaison des visuels produits est une voie prometteuse pour analyser la diversité des groupes mobilisés et de leurs visions du monde. Priska Daphi, Anja Lê et Peter Ullrich (2013) comparent ainsi les images créées et utilisées par les deux principaux courants (libéral et de gauche) lors des protestations contre la surveillance en Allemagne en 2008 et 2009. Ils montrent que les images font plus qu’illustrer les messages politiques existants : elles condensent les revendications centrales et jouent ainsi un rôle crucial dans la formulation des stratégies et visions du monde des deux groupes. À gauche, elles suggèrent des formes de résistance militante, qui incluent la destruction des équipements de surveillance, alors que celles du courant libéral mettent en avant des victimes passives devant des scénarios d’horreur. Au-delà du consensus abstrait sur l’opposition à la surveillance, les images montrent les points de vue des deux courants, l’un centré sur une critique radicale du système gouvernemental et de la surveillance, l’autre sur la préservation des libertés individuelles. Pour les auteurs, « une analyse visuelle systématique […] est donc essentielle pour expliquer les objectifs des mouvements sociaux, leurs stratégies et identités collectives » (p. 76).
64Le troisième enjeu concerne moins le contenu même des images que leurs usages et effets sociaux sur les pratiques. Une perspective interactionniste permet de comprendre les interactions des mobilisations avec les autorités, les médias et les publics, dans un contexte où « les images sont des espaces de luttes pour la signification » (Doerr et al., 2008, p. 167). Le mouvement Occupy a, par exemple, réussi à changer rapidement le discours médiatique dominant aux États-Unis, mais cela n’a pas duré longtemps, ce qui interroge les effets très volatils des images. L’usage du livestream a toutefois un impact sur les pratiques des médias traditionnels. Les Indignés espagnols ont ainsi incité la presse en ligne et la télévision à diffuser des images en continu et en direct, plutôt que de proposer des reportages sélectionnant de courtes séquences des manifestations en fonction des choix des journalistes (Nez, 2013). Les effets sociaux des images utilisées par les groupes mobilisés affectent également les pratiques de la police. Face au « copwatching », ces vidéos amateurs de documentation de l’activité de la police (visant souvent à dénoncer des abus policiers dans le cadre d’arrestations), la police développe des compétences de gestion de l’image et cherche à produire une image publique d’elle-même (Meyer, 2010). Michaël Meyer (2010) montre que la présence visible d’un dispositif d’enregistrement et la transparence des interactions qu’il implique rend plus difficile non seulement l’usage illégal de la force, mais aussi des pratiques visant à transiger comme la négociation interpersonnelle. L’auteur souligne ici l’intérêt d’analyser les réactions au dispositif photographique ou filmique, ainsi que les usages stratégiques de la vidéo par les manifestants (demande d’enquête, pétition ou versement des images au dossier judiciaire) comme par les policiers (refus des images, interpellation des vidéastes). On peut ainsi comprendre « combien la présence d’une caméra peut contraindre l’activité policière, mais également combien les images d’autres rassemblements, du fait de leur diffusion, forment ou transforment le cours des rassemblements » (Lambelet, 2010). À ce propos, le rôle des images pourrait être davantage pris en compte dans l’analyse des processus de diffusion des mouvements sociaux, pour expliquer l’influence des canaux de diffusion non relationnels ou indirects (Doerr et al., 2008).
65Malgré ces apports des outils (audio)visuels encore largement négligés par les spécialistes des mouvements sociaux, des limites sont également pointées par les auteurs s’intéressant à cette approche, qui soulignent l’importance de combiner l’outil filmique et photographique avec d’autres méthodes d’enquête. C. Traïni (2010) montre, par exemple, l’intérêt de recouper les films et les photos collectés au cours de la situation avec les entretiens et les archives. Il appuie sa réflexion sur l’analyse d’une séquence de manifestation anti-corrida qu’il a filmée et qui s’apparente à un charivari. Les fortes émotions exprimées au cours de cette scène ne sont pas seulement attribuables à une théâtralisation stratégique, mais aussi à l’histoire sociale des participants. Le détour historique permet ainsi de prendre en compte l’importance croissante, depuis le XIXe siècle, des intenses relations affectives nouées quotidiennement avec un animal d’affection, ce qui aiguise l’acuité visuelle du chercheur : en visionnant à nouveau la vidéo sur le charivari, il remarque un grand nombre de chiens tenus en laisse par des manifestants. En couplant ces observations avec des entretiens, C. Traïni montre que les émotions exprimées prolongent également des sentiments qui résultent de situations biographiques passées au cours desquelles les manifestants se sont trouvés assignés à un rôle qu’ils apparentent à celui du taureau, ce qui explique l’intensité des émotions manifestées dans la scène filmée du charivari. L’auteur souligne ainsi deux écueils liés à l’analyse de supports audiovisuels : d’une part, durcir l’analogie théâtrale qui associe les conduites en public à des mises en scène spectaculaires et, d’autre part, réduire l’observation à la « métaphore oculaire » selon laquelle la véritable connaissance ne commence qu’avec ce qui peut être perçu par l’œil.
66Nous partageons ici le souci de combiner plusieurs méthodes d’enquête, afin d’analyser de pair les images et les discours, et de prendre en compte le contexte social et culturel de la production des images et des textes. Comme le souligne Audrey Mariette (2011, p. 54) au sujet des films documentaires ou de fiction portant sur des mobilisations collectives, « il apparaît nécessaire de prendre en considération les conditions de production des films pour les constituer en source, au même titre que d’autres matériaux plus traditionnels tels que les archives écrites ou orales ». N. Doerr (2010) souligne également l’importance d’interroger les producteurs d’images en entretien sur le contenu et le sens politique qu’ils donnent à leurs visuels. L’observation participante lui permet, par ailleurs, de comprendre que la production de différentes images dans l’EuroMayday est le résultat d’une délibération publique entre les organisateurs. Comme le défend M. Meyer (2010), pour éviter de se limiter à une approche descriptive oubliant les éléments contextuels, « l’analyse d’une séquence vidéo peut avantageusement être complétée par une ethnographie du hors-cadre, c’est-à-dire de ce qui entoure la scène représentée, qui pourrait aider à la comprendre, mais qui n’entre pas dans le strict champ visuel de l’image ». Il semble ainsi profitable de combiner les observations menées à travers les images avec la réalisation d’entretiens et une enquête ethnographique. Cette double position d’observateur et de preneur d’images est facilitée par la banalisation des objets technologiques et la multifonctionnalité des téléphones portables, qui permet souvent de passer inaperçu lors de la prise de vue étant donné l’omniprésence d’appareils photo ou de téléphones portables parmi les manifestants (Lambelet, 2010 ; Viot et al., 2010). Toutefois, les photos et vidéos numériques présentent l’inconvénient d’être moins « durables » que d’autres matériaux, car on les jette ou on les efface plus rapidement, ce qui risque de poser problème pour les historiens à venir.
Comment travailler sur l’image avec l’image ?
67Nous venons de voir que la photographie et le film donnent accès à des aspects de l’expérience urbaine ou des mobilisations sociales qui sont imperceptibles à l’œil nu : les transformations de la première, induites par la modernité automobile, ou les micro-actions en jeu dans les secondes. Elles fournissent aussi l’occasion de pénétrer dans le laboratoire social et politique des images qui donnent une forme à la fois matérielle et symbolique aux villes, aux territoires, aux catégories et aux groupes sociaux. Dans le premier cas, l’image rend visible un phénomène qui ne l’est pas, tandis que dans le second elle fait l’objet, en tant que phénomène social dont la visibilité paraît suspecte voire illégitime, d’un travail de déconstruction critique par le discours. Peut-on toutefois imaginer une critique de l’image par l’image, soit, dans notre cas, une critique des photographies et des films qui passerait par la manière dont ils sont mobilisés dans le texte servant à leur analyse ?
68Les articles qui composent ce dossier, s’ils mobilisent tous des photographies et des extraits de films à l’appui de leur démonstration et s’ils ne renoncent pas non plus à l’usage des mots, ne répondent pas tous de la même manière à cette question. Ils expérimentent des manières chaque fois singulières d’articuler les images et le langage, que nous allons tenter ici de saisir en les contrastant. L’ensemble des textes sont bâtis sur un socle commun, qui correspond à la fonction la plus couramment assignée à l’image dans un texte académique : l’illustration. Cette fonction, que nous qualifierons d’« élémentaire », se traduit soit par des renvois explicites (articles de R. Lecler et de P. Poupin) ou implicites (article d’A. Alviso-Marino) dans le texte, soit par des légendes qui livrent une information contextuelle, dans certains cas assortie d’une description ou d’une interprétation de l’image destinée à guider le lecteur (articles d’A. Alviso-Marino, de K. Mamou et de L. Seguin). Parmi ces articles, seul celui de K. Mamou s’en tient à cette fonction, mais cela ne signifie pas que les images mobilisées sont réduites au silence. Bien au contraire, c’est précisément parce que ces images parlent d’elles-mêmes que l’auteure a dû renoncer à les remobiliser dans son propre discours. Les trois images qui illustrent ce texte correspondent en effet à trois montages visuels qui associent des photographies à du texte, des chiffres, des plans, des symboles et des dessins. Cette hétérogénéité visuelle témoigne encore une fois du savoir-faire et de la culture visuelle propre au champ de l’urbanisme. Ils se manifestent plus particulièrement dans les deux dernières images, pour lesquelles le montage est au service d’une analyse réflexive du dispositif participatif mis en place. Dans un tel cadre, le travail critique de K. Mamou passe par le montage de ces montages dans un texte qui les démonte, c’est-à-dire qui les décompose, par un commentaire très précis, et nous montre ainsi les principes de composition de ces montages. On retrouve un principe similaire dans l’article de L. Seguin, où deux photogrammes d’un film institutionnel sont démontés de leur support d’origine pour être remontés dans un commentaire critique. Ces photogrammes sont toutefois également remontés dans une nouvelle séquence visuelle qui peut s’appréhender indépendamment du texte et donner lieu à d’autres lectures. La disposition en ligne suggère, par exemple, une relation logique entre les deux photogrammes qui nous conduit à voir dans le second l’image du site dont il est question dans la discussion représentée sur le premier. La main de l’orateur et les regards de deux participants dirigés vers le hors-champ de l’image nous encouragent à avoir cette lecture « cinématographique ». Assez paradoxalement, L. Seguin est la seule auteure de ce dossier à avoir réalisé elle-même un film auquel elle se réfère dans son article sans en citer une seule image. Ce choix s’explique en considérant que l’analyse menée dans l’article ne porte pas sur le film lui-même et les principes de son montage, mais sur sa réception et ce qu’elle révèle des rapports aux images et de leurs usages sociaux dans la situation étudiée.
69Le principe du montage séquentiel de photographies ou de photogrammes est commun aux articles d’A. Alviso-Marino, de R. Lecler et de P. Poupin. Dans l’article de la première, le seul de la série à porter sur des photographies, ce principe fonctionne toutefois à rebours de celui propre aux articles portant sur des films : pour acquérir un sens de manière autonome par rapport au texte, c’est-à-dire pour sortir de leur mutisme initial, les photographies doivent en effet être montées en série, alors que dans le cas des films, tout se passe comme s’il fallait réduire chaque photogramme au silence, en revenant, à travers leur démontage, à leur origine photographique et retrouver ainsi la voie d’un savoir proprement critique. Cette différence suggère que la logique de production du sens propre à la photographie est d’emblée critique, au sens où elle est une déconstruction du réel. Pour reprendre une expression de Walter Benjamin (1996, p. 19), c’est en effet la photographie qui, en arrêtant le temps, procède au « démaquillage de la vérité », dans la séquence cinématographique ou vidéo. Les articles qui composent ce dossier contribuent donc à la construction d’un savoir critique sur les images non seulement à travers leur objet d’analyse, mais aussi par les voies, tantôt photographiques, tantôt discursives, qu’emprunte leur critique.
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Mots-clés éditeurs : mouvements sociaux, film, urbanisme, démocratie participative, photographie
Date de mise en ligne : 16/12/2013
https://doi.org/10.3917/parti.007.0005Notes
-
[1]
Nous remercions Marie-Hélène Bacqué, Marion Ben-Hammo, Loïc Blondiaux, Viviane Claude, Hélène Combes, Alexandre Lambelet, Alice Mazeaud, Thierry Paquot et Isabelle Sommier pour leurs lectures attentives et leurs précieux commentaires.
-
[2]
Ce terme est pris dans une acception large : il ne sera pas seulement question de la participation des habitants aux projets urbains, mais aussi de l’implication des citoyens dans l’élaboration des politiques urbaines et territoriales.
-
[3]
Il s’agit d’un document de référence et de coordination qui engage les autorités et définit les grandes orientations et les conditions de mise en œuvre des politiques publiques à une échelle territoriale donnée.
-
[4]
Ces systèmes correspondent à d’importantes bases de données spatialisées et permettent de superposer plusieurs cartes thématiques (par exemple, la catégorie socioprofessionnelle du chef de famille avec le taux de motorisation des ménages et une vue en 3D du bâti), à la même échelle et sur une étendue à peu près homogène.
-
[5]
Mathieu Berger (2013) évoque à ce propos « un recentrement sur l’image dans les expérimentations démocratiques relatives aux projets urbains », en s’intéressant non seulement aux supports visuels mais aussi aux images langagières et sonores.
-
[6]
Par ce terme nous ne visons pas seulement le travail de composition des formes urbaines mais aussi le travail de programation, qui intègre des réflexions stratégiques.
-
[7]
Pour une discussion critique de cette notion, voir Cuny, 2008, 2013 ; Nez, 2010 ; Deboulet, Nez, 2013.
-
[8]
Voir l’ouvrage de Sébastien Layerle (2008) et l’article de Romain Lecler dans ce dossier. Des alternatives se développent également avec la photographie : par exemple, les correspondants photographes de L’Humanité prennent des clichés de réalités largement ignorées par les agences de presse et les photographes professionnels, du milieu des années 1950 à la fin des années 1990 (Lemire, Potin, 2002 ; Bonzon, Chirio, Lemire, 2011).
-
[9]
Les traductions des textes en anglais sont des auteures.
-
[10]
David Schweingruber et Clark McPhail (1999) soulignent également l’intérêt de travailler sur des images produites par la télévision pour analyser les formes élémentaires d’une manifestation, même si elles présentent des biais par rapport aux observations directes des chercheurs.