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Article de revue

Réviser l'« espace public » avec la sociologie. Un regard sur la théorie de Bernhard Peters

Pages 177 à 199

Notes

  • [1]
    Je remercie Alice Le Goff pour ses remarques.
  • [2]
    Pour une troisième voie, voir l’idée du débat contradictoire (Manin, 2011) et Urfalino (2005).
  • [3]
    Sur les enjeux du débat, voir Girard et Le Goff (2010, p. 11-112). Sur l’institutionnalisation des conditions de la délibération, voir Ackermann et Fishkin (2010 [2002]), Mansbridge (2006a, et al. 2006b). Sur les rapports entre délibération et principe démocratique, voir Cohen (2010 [1989]), Goodin (2004), Parkinson (2003).
  • [4]
    Pour le plan de cette « monographie sur l’espace public », voir Peters (2007, p. 18-19).
  • [5]
    Dans les lignes qui suivent, les titres des articles de Peters sont traduits par nous.
  • [6]
    L’influence de la sociologie empirique de Peters sur Habermas dès la fin des années 1980 permet de nuancer l’idée d’une approche strictement normative de l’espace public dans Droit et démocratie (ainsi Sintomer 2011).
  • [7]
    Dédié à la mémoire de Peters, l’article de 2006 croise théorie normative et travaux sociologiques et s’inspire de sa position sur la transnationalisation de la sphère publique.
  • [8]
    Deux articles sur Arendt préparent cette lecture : Habermas (1966, 1976).
  • [9]
    Les deux termes sont équivalents, voir Horkheimer (1974, p. 64).
  • [10]
    La mainmise de Berlusconi sur les médias est l’exemple d’un monopole naissant en régime démocratique. Voir Tonello (2010), Padovani (2005).
  • [11]
    Sur la liaison entre rhétorique et délibération, voir Hauser (1999), Chambers (2012).
  • [12]
    Pour une réflexion sur ces aspects en sociologie du droit, voir Teubner (2012).

1En plein essor, le courant de la démocratie délibérative est cependant divisé au sujet des conditions et de la réalité de la délibération [1]. Si la délibération garantit la légitimité démocratique, comment transposer cette exigence dans des démocraties non directes ? En complément des réflexions sur la représentation démocratique, on recherche des moyens pour promouvoir l’accès de tous au débat public. Deux grandes lignes d’étude se démarquent. Afin d’améliorer la qualité des résultats, certains théoriciens politiques encouragent l’exercice de discussions menées par des mini-publics et élaborent, pour cela, des dispositifs appropriés – il en va ainsi des sondages délibératifs de J. Fishkin et des jurys citoyens (Fishkin, 1997 ; Fung, 2003 ; Dryzek, 2006). L’effort expérimental pour créer les conditions optimales de la « délibération démocratique » constitue le champ d’investigation le plus en vogue actuellement (Chambers, 2011, p. 16). À celui-ci s’oppose la recherche, initialement première, sur la « démocratie délibérative » [2]. L’interrogation porte là sur les conditions d’émergence possibles de nouveaux thèmes d’intérêt public à partir des opinions diverses du grand public qui circulent sous des formes variées (conversations informelles, discussions d’experts) dans la société civile [3].

2Au centre de toute théorie de la démocratie délibérative, se trouve la pensée d’un « débat » ou d’un échange libre d’opinions mené par un groupe de personnes. Le concept clé qui a donné l’impulsion à un tel mouvement théorique est l’espace public [Öffentlichkeit] que Jürgen Habermas présente en 1962 dans Strukturwandel der Öffentlichkeit [La transformation structurelle de l’espace public]. Amplement débattu durant les années 1970 et 1980, comme en témoigne la longue réponse de l’auteur dans la préface à l’édition de 1990 (Habermas, 1993b), le concept semble peu présent aujourd’hui ou employé comme une référence datée dans la littérature sur la démocratie délibérative. Un tel décalage suscite la curiosité. La notion de sphère publique a-t-elle perdu toute pertinence pour penser la démocratie délibérative ? Après avoir rappelé les raisons qui ont motivé la prise de distance envers la notion habermassienne, l’article se propose de montrer comment l’examen des derniers travaux du sociologue Bernhard Peters permet de réhabiliter, grâce à leurs révisions, un usage central du concept d’espace public.

I – L’« espace public », un concept inactuel ?

1 – Critiques et objections

3Renvoyant historiquement à la société civile bourgeoise du XVIIIe siècle, la sphère publique désigne en 1962 la « sphère des personnes privées rassemblées en un public » qui font un « usage public du raisonnement » et qui, grâce à cet échange d’opinions, constituent une sphère critique face au pouvoir établi (Habermas, 1993a, p. 38). Longuement discuté, ce concept a connu des évolutions successives tout autant que des refus définitifs.

4Habermas et ses « successeurs », tels que Nancy Fraser (2003), Seyla Benhabib (1996) et Iris M. Young (2000, p. 167-179), font référence à des versions amendées de « l’espace public ». Les travaux des historiens (Reynié, 1998), ceux des sociologues sur les élections et la culture populaire en République Fédérale d’Allemagne, les critiques féministes (Pateman, 1988 ; Fraser, 2003 [1992], 1992, 1995 ; Benhabib, 1986, 1992a et b ; Young, 1990) et marxiennes (Negt, 2007 ; Cohen, Arato, 1992) ont conduit Habermas le premier à remanier son concept.

5D’autres objections débouchent sur le refus, partiel ou intégral, de la notion d’Öffentlichkeit. La première attitude peut être illustrée par des penseurs soutenant une Théorie critique plus marxiste. Oskar Negt et Alexander Kluge (Kluge, Negt, 1972 ; Negt, 2007) reprochent à l’espace public habermassien de ne pas être un outil épistémologique approprié pour prendre en compte les formes de contestation issues des classes populaires ; ils proposent le concept alternatif d’« espace public oppositionnel » qui permet de saisir l’activité de résistance de la sphère plébéienne.

6D’autres perspectives philosophiques et sociologiques, étrangères à la tradition de la Théorie critique, n’accueillent pas l’« espace public » en surchargeant ce concept d’éléments issus de la théorie de l’agir communicationnel (rationalité, visée de l’entente, situation idéale de parole). Même si la reformulation de Droit et démocratie répond à nombre de réticences, la distance aura été prise. Dans le détail, trois motifs soutiennent l’absence de réception de l’espace public : une forme de théorie politique plus normative n’est pas sensible aux éléments sociologiques, une philosophie politique soucieuse de philosophie sociale recherche d’autres modes d’appréhension de l’activité citoyenne, la sociologie trouve cette notion trop abstraite pour correspondre à une réalité empirique. La démarche de Bernard Manin est exemplaire de la première position. Écartant dès 1985 ce concept qu’il juge porteur d’un idéal de rationalité, il ne le mentionne plus dans des travaux récents (2005). La deuxième orientation peut être illustrée la perspective d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe (2001 [1985]) qui s’opposent à la vision consensuelle que connote la sphère publique au nom d’une conflictualité nécessaire en démocratie. Enfin, la critique bourdieusienne de l’« illusion épistémocentrique » (1997, p. 97) que produirait l’idée d’espace public en masquant les conditions d’accès inégales à la sphère politique et en valorisant un usage argumenté de la parole, porteur de discriminations sociales, témoigne d’une suspicion répandue chez les sociologues.

2 – Une révision nécessaire

7Les raisons évoquées, sans être exhaustives, suffisent pour montrer que la plupart des théories de la démocratie délibérative écartent la référence à l’espace public. Si leurs résultats sont par ailleurs féconds, nous soupçonnons, derrière cet affranchissement apparent, une stratégie d’évitement. Un constat appuie notre hypothèse. Inspirées par l’idée que le pouvoir est un « lieu vide » en démocratie (Lefort 2007 [1982], p. 461-469) ou encore sensibles à la forme évanescente de la notion de peuple dans le contexte d’une remise en cause des frontières de l’État-nation (Colliot-Thélène, 2011), les théories de la démocratie délibérative thématisent le processus de formation de l’opinion et de la volonté en s’écartant de la figure concrétiste et unitaire du peuple et en associant l’autodétermination d’une communauté à l’expression d’opinions plurielles et à la participation citoyenne à des débats (Manin, 1985). Dans ces conditions, la notion d’espace public reste un présupposé qui a une valeur heuristique. La référence aux sphères publiques est non seulement convoquée par l’exigence démocratique de la participation de tous mais aussi par le réquisit délibératif d’une culture du débat. Il est certain que cet emploi tacite de la notion d’espace public renvoie à des formulations postérieures à celle de 1962. Nous prenons acte de l’évolution de son usage dont témoignent, par exemple, les théories qui privilégient l’étude de certains types de (mini-)publics plutôt que d’autres – c’est le cas des contre-publics subalternes, ces publics alternatifs s’opposant à la culture hégémonique (Fraser, 2003).

8Cette observation justifie, à nos yeux, le réexamen d’un concept excessivement stigmatisé par certaines approches de la démocratie délibérative. Nous engageons donc par la suite une analyse critique et actualisée de l’usage de l’espace public en nous appuyant sur la théorie qu’expose Bernhard Peters dans Der Sinn von Öffentlichkeit [Le sens de l’espace public].

9Décédé prématurément en 2005, le sociologue et politologue B. Peters a marqué la science politique allemande avec deux ouvrages Rationalität, Recht und Gesellschaft [Rationalité, droit et société] (1991) et Die Integration moderner Gesellschaften [L’intégration des sociétés modernes] (1993). De 1987 à 1991 avec d’autres juristes et théoriciens politiques (Ingeborg Maus, Klaus Günther, Lutz Wingert…), il fait partie du groupe de travail sur la théorie de droit que dirige Jürgen Habermas à l’Université de Francfort. Professeur à l’Université de Brême en 1993, Peters entreprend dès cette date d’examiner la réalité sociologique de l’espace public. L’impact de ses travaux sur la théorie habermassienne est considérable – nous le verrons. Si les critiques féministes ont révélé à Habermas l’hétérogénéité de la sphère publique, les recherches sociologiques de Peters le poussent à exploiter la dimension procédurale de l’espace public et ses enjeux pour relier le politique au système juridique.

10Recueil posthume, Der Sinn von Öffentlichkeit (2007) rassemble des écrits préparatoires échelonnés de 1993 à 2005. Ils donnent un aperçu complet de l’ouvrage qui était en cours [4]. Le recueil a pour particularité de partir de l’impopularité que le concept d’espace public a aujourd’hui en sciences sociales autant qu’en théorie politique. Peters retravaille cette notion à partir de sa connotation négative. En 1993, les objections susmentionnées ont gagné en force : afin de tester leur validité, Peters entreprend une recherche approfondie sur l’« espace public ». Il maintient constamment une perspective duale en combinant des enquêtes sociologiques à une théorie normative afin de coller au plus près à la réalité et d’être à même d’interpréter les attentes normatives inhérentes aux pratiques quotidiennes. Sans se réclamer de la Théorie critique de Francfort, Peters met à l’œuvre l’exigence de Horkheimer : articuler des enquêtes sociologiques de terrain à une théorisation de la société (Horkheimer, 1974 [1937]).

11Les critiques adressées au concept d’espace public ont été si nombreuses que l’on peut se poser la question de son sens. Telle est l’orientation que donne Peters à ses investigations. Leur analyse va nous permettre de montrer comment un concept normatif d’espace public adapté à la réalité actuelle des sociétés démocratiques a une fonction heuristique irremplaçable. Un modèle théorique se dessine qui précise quelle est la portée normative du concept d’espace public pour une théorie de la démocratie en prenant appui sur des recherches empiriques sur les sphères publiques.

II – Le rôle de l’espace public en théorie politique

12Comment défendre aujourd’hui un concept d’espace public en théorie politique ? Trois essais de Der Sinn von Öffentlichkeit se consacrent à cette tâche : « Droit, État et espace public politique comme formes de l’auto-organisation sociale » [5] (1993), « Le sens de l’espace public » (1994), « Sur la délibération publique et la culture publique » (1997). Parus après Droit et démocratie de Habermas, ils présentent la dernière étape du débat entre les deux interlocuteurs. Les propositions de Peters comportant des traces de cette discussion, il ne sera pas inutile de rappeler, sur un mode généalogique, les définitions successives de l’espace public [6].

1 – Une formulation stratifiée chez J. Habermas

13Trois écrits ponctuent la problématisation habermassienne de la sphère publique : L’espace public de 1962, l’article de 1989, « La souveraineté populaire comme procédure. Un concept normatif d’espace public » et Droit et démocratie de 1992. Par la suite, des recherches ponctuelles suivent sur des difficultés susceptibles de remettre en cause les conditions d’une sphère publique pour tous (a) et celles de sa nature critique (b) : sont examinés a) les conditions d’une meilleure inclusion possible des personnes religieuses à un débat public dominé par des opinions laïques (2005) et b) l’impact des médias de masse sur le grand public (2006) [7].

14Revenons sur les trois grandes étapes. En 1962, l’espace public politique désigne la sphère où s’expriment librement les membres d’une société, en émettant des opinions privées sur des thèmes d’intérêt public. Inspiré de réflexions sur les frontières mouvantes entre le privé et le public (Rousseau, Mme de Staël), sur l’opinion publique en démocratie (l’opuscule « Qu’est-ce que les Lumières ? » de Kant mais aussi les idées opposées de W. Abendroth et C. Schmitt) et retraçant la constitution progressive d’une sphère publique bourgeoise au XVIIIe siècle en Angleterre, en Allemagne et en France, Habermas dégage l’idéal-type d’un espace public politique. L’insistance sur l’accès à la publicité de thèmes socioculturels non publics à l’origine, la participation de tous à des arènes de communication et l’aspect polycentrique des lieux de débats expliquent que la notion d’espace public politique contiennent en germe le cœur d’une théorie de la démocratie délibérative, développée plus tard (Habermas, 1993b, p. XXV).

15Ce premier moment historico-normatif est contrebalancé par une seconde orientation critique de L’espace public qui diagnostique le déclin de la sphère publique à partir du XIXe siècle. Les deux sens de publicité que recouvre le terme d’Öffentlichkeit chez Habermas – et qui rappellent l’ambivalence des Lumières exposée par Adorno et Horkheimer dans la Dialectique de la Raison – motivent ce jugement. La sphère publique libérale a connu le développement d’une publicité critique issue de l’entrecroisement d’opinions informelles, selon un usage public de la raison, mais aussi l’apparition d’une publicité des médias, dite de démonstration et de manipulation. À peine formée, cette sphère voit ses potentialités réflexives et critiques décliner sous l’emprise croissante de la publicité de masse et d’une administration étatique. La publicité critique est trop faible contre la manipulation des médias qui suscitent « l’adhésion plébiscitaire d’un public vassalisé » à des groupes politiques dominants (Habermas, 1993a [1962], p. 257).

16Si ce diagnostic a pu être partagé par beaucoup pour les changements qu’il convoquait, les théoriciennes féministes ébranlent la conception habermassienne en révélant l’insuffisance critique de son analyse. Elles reprochent à Habermas d’ériger en conception idéal-typique la sphère publique libérale (Hall, 1985 ; Landes, 1988 ; Pateman, 1988) et de négliger les conditions d’accès inégales au débat public qui peuvent exclure les groupes connaissant certaines formes de discrimination – les minorités culturelles, les femmes, la classe ouvrière…

17L’article « La souveraineté populaire comme procédure. Un concept normatif d’espace public » prend acte des critiques. Aidé par ses travaux sur l’agir communicationnel, Habermas rompt avec l’approche mixte du concept qui combinait une reconstruction historique à un axe critico-normatif pour indiquer l’enjeu normatif que revêt « l’espace public » pour une théorie de la démocratie. Afin de thématiser l’impact des différentes voix sur le débat public (faisant ainsi écho aux théories féministes), le philosophe met davantage l’accent sur la problématisation de différents types d’espaces publics et sur l’idée que le processus de légitimité dépend de leurs interactions. La pensée d’une pluralité de sphères publiques différenciées et, en même temps, poreuses répond à la préoccupation de mieux intégrer la diversité des voix dans le champ politique. En rassemblant les opinions éparses des différentes arènes de communication, l’espace public politique (global) donne forme à une procédure dont l’existence garantit la légitimité d’un ordre politique démocratique. L’idée d’une souveraineté procédurale ouvre sur une conception normative de la démocratie dont l’objectif est de penser l’articulation entre deux types de sphères publiques : entre les espaces publics inorganisés et autonomes (de la rue, des réunions de café) donnant lieu à des « flots de communication spontanés » et les sphères décisionnelles, institutionnellement constituées – soit les « publics faibles » et les « publics forts » de Fraser (2003). À partir de 1989, la théorie normative de l’espace public s’efforce de dégager des outils pour prendre en compte le potentiel de rationalité qui est inscrit dans les pratiques ordinaires du langage.

18La conception arendtienne du pouvoir, qui est dissociée d’une pensée de la domination et s’appuie sur l’idée de praxis grecque (« l’aptitude de l’homme à agir et à agir de façon concertée » (Arendt, 1972, p. 144)), aide Habermas à thématiser un pouvoir généré par la communication des espaces publics informels [8]. Mais si initialement Habermas associe une force conflictuelle au « pouvoir communicationnel [qui] s’exerce sur le mode du siège » face au pouvoir administré « afin de faire valoir ses impératifs » (1989, p. 52), l’influence de Peters et la réflexion sur le rôle médiateur du droit vont devenir décisives en 1992 pour mettre de côté l’idée de la forteresse assiégée et accentuer les aspects pluriel et procédural de l’espace public (1997 [1992], p. 351 sq., p. 381-386).

19La sociologie de Peters est dès lors amplement convoquée dans Droit et démocratie. On sent, en premier lieu, son influence dans le retour de références empiriques à côté de l’approche normative. Habermas insiste sur la réalité plurielle complexe que recouvre le substantif singulier d’« espace public général » – espace public épisodique du bistrot, des cafés et des rues, espace public abstrait créé par les mass medias, espace public organisé issu de différentes sortes de réunion (1997, p. 401 ; Maia, 2007). Les recherches empiriques de Peters mettent en avant l’autonomie et la porosité des « espaces publics partiels ». Habermas lui emprunte, en second lieu, l’idée d’une circulation du pouvoir politique entre les sphères publiques : le « modèle des écluses ».

2 – La circulation du pouvoir politique d’après B. Peters

20En 1992, Habermas accueille le modèle de Peters à travers un biais particulier : il néglige son noyau anti-procédural. Dans Rationalität, Recht und Gesellschaft, Peters avait critiqué la théorie de la discussion (Habermas, 1999a [1983], 1999b [1991]) en trouvant invraisemblable que nous acceptions des normes comme valides simplement parce qu’elles seraient le résultat de procédures formelles menées correctement, sans faire appel à la conviction que ces normes nous semblent intrinsèquement bonnes. Les discussions étant des pratiques humaines faillibles, le respect des procédures ne garantit pas plus la qualité de leurs résultats qu’il n’explique pourquoi nous les acceptons (Haber, 2009). « La délibération est en soi “substantielle” – elle ne peut pas fonctionner sans des raisons substantielles et sans des raisons qui sont au moins potentiellement convaincantes pour chacun des participants » (Peters, 1991). La différence entre les deux auteurs invite à examiner pour elle-même la version petersienne de la circulation du pouvoir.

21À partir d’une perspective sociologique, Peters entend montrer que les deux fonctions normatives assignées à l’espace public par la théorie politique, celles de pouvoir de légitimation et de contre-pouvoir critique, ne sont pas irréalistes. Les questions contestant la faible incidence des sphères publiques sur l’agenda politique sont pourtant âpres. Comment les voix issues d’arènes informelles peuvent-elles avoir un effet sur les décisions gouvernementales et les décrets parlementaires ? Comment l’espace public peut-il avoir un impact quelconque sur les institutions dirigeantes ? Peters répond en étudiant les rapports qui existent entre le pouvoir administratif et le processus de légitimation.

La signification des crises

22Les moments de crise servent de catalyseur à l’activité des sphères publiques ; ils sont, à ce titre, distingués de la temporalité de la routine. Lors de situations extraordinaires où les mouvements sociaux sont particulièrement revendicatifs – comme en témoignent les grèves contre des licenciements ou les manifestations contre le nucléaire en Allemagne –, le traitement institutionnel (habituel) des problèmes peut être mis sérieusement en difficulté. Ces « crises », qui sont vécues par la société civile et se répercutent au niveau de l’administration politique, dévoilent des sphères publiques informelles dynamiques.

23L’origine de ces crises est à chercher dans les nouveaux thèmes de l’agenda politique qui remontent aux institutions depuis les espaces informels de communication : ce peut être l’expression d’expériences personnelles ou de points de vue spécialisés devenus publics. La thématisation et la délimitation des problèmes dépendent également d’informations issues des arènes informelles et du vécu d’une partie ou de l’ensemble de la population. Enfin, la mobilisation de forums de discussions spécialisés autour d’un problème précis débouche sur une solution si elle coïncide avec une demande venue de la sphère publique – le droit des enfants par exemple, qui répond à une attente de la société civile, prend forme grâce à une collaboration entre juristes et pédopsychiatres.

24De façon ponctuelle, un mode extraordinaire de traitement des problèmes s’impose provisoirement « depuis le bas » aux canaux institutionnels. Le négliger mettrait en danger les autorités publiques. Ces contestations faites au nom de la démocratie révèlent l’importance d’une attention mutuelle : attentif à l’agenda et aux décisions politiques, le grand public respecte cet ordre des choses tant qu’il estime qu’une attention suffisante est prêtée par le pouvoir en place à ses attentes normatives. Cette participation politique continue qu’appuie la communication d’informations et de points de vue et qui peut déboucher sur la mobilisation ponctuelle de groupes de citoyens est ce que résume, dans Droit et démocratie, la seconde formulation habermassienne du pouvoir communicationnel : faible, il ne peut prendre de décisions politiques ; fort, il garantit la légitimation du pouvoir établi qui peut craindre, s’il méprise ses attentes normatives, la formation de mouvements de résistance (Habermas, 1997, p. 165-169). La sociologie de Peters indique que les crises permettent de parler d’un tel pouvoir.

Le pouvoir politique au quotidien

25L’étude des crises est insuffisante cependant pour confirmer la permanence d’un tel pouvoir communicationnel. S’il y a un « pouvoir communicationnel » en temps ordinaire, il convient de saisir quel est son fonctionnement et le rapport qu’il serait souhaitable qu’il entretienne avec le pouvoir de décision. Un « pouvoir » issu des sphères publiques informelles à qui il incomberait le processus de légitimation et qui de surcroît serait de nature oppositionnelle ou critique [9] est-il pensable ? Loin de revenir au modèle de la démocratie directe, Peters file la métaphore de flux de communication informels multiples qui en empruntant des voies ou canaux différents, seraient filtrés et relayés par des intermédiaires de plusieurs sortes – porte-parole, associations ou médias – et dont les thèmes parviendraient ainsi jusqu’au parlement et au pouvoir administratif. Ce modèle des écluses insiste sur le fait qu’il n’y a pas de voie unique pour qu’un problème surgisse : ce sont tantôt quelques individus informés, tantôt des situations médiatisées qui interpellent le grand public. Tout dépend de la capacité du public à (ré)agir.

26Une théorie de la démocratie s’efforçant de préserver le pouvoir communicationnel de l’espace public repose donc sur une nouvelle compréhension du pouvoir démocratique. Dans « Droit, État et espace public politique comme formes de l’auto-organisation sociale » (2007 [1993], p. 31-54), Peters montre que la circulation des opinions à l’échelle de la société et la pluralité des cercles de communication ne peuvent être traduites par une conception verticale du pouvoir qui met les instances institutionnelles (exécutif, législatif, judiciaire) à la tête d’une base, la société civile. Un modèle normatif de démocratie doit être à même de rendre compte des interactions entre les sphères dirigeantes et les espaces de communication informelle, ou encore de la relative perméabilité des institutions à des flux de communication divers. La circulation du pouvoir politique peut être ainsi schématisée par la figure d’un centre entouré d’une périphérie. Un centre ne se définissant que par rapport à une périphérie, le centre de décision qu’est l’État administratif représente le point de convergence de l’attention de la société civile et ne se conçoit qu’en rapport constant avec l’espace public périphérique.

27Ainsi présentée, la théorie de la démocratie centrée sur le pouvoir communicationnel semble prospective et ne rend pas compte de toutes les modalités d’un espace public actif. Les cas de mobilisation de la société civile témoignent certes d’une capacité d’attention et de réaction, mais qui est attentif et qui réagit ? Pour être valide, le modèle démocratique de Peters doit répondre, selon nous, à deux objections. Concevoir l’espace public comme un contre-pouvoir n’empêche pas d’abord la survenue d’un déséquilibre anti-démocratique au sein de la société : une élite pourrait mener l’opinion du grand nombre, et l’espace public ne désignerait plus alors qu’une aristocratie masquée en surface par l’allure démocratique de prises de parole spontanées. Le cas des crises ensuite (qui pourraient être, par ailleurs, les derniers sursauts d’espaces publics moribonds) signale de façon exceptionnelle comment des situations d’urgence s’imposent à l’agenda politique, mais n’indique pas quelle est la forme que prend au quotidien l’influence des sphères informelles, hiérarchisées peut-être, sur les instances dirigeantes. On pense ainsi aux contre-publics qui, à la marge du système, sont structurellement ignorés par la reproduction d’un état d’injustice les opprimant et les empêchant d’avoir une voix qui compte (Fraser, 2008, 2010). Si elle peut en être l’occasion – telle la crise économique argentine de 1998-2002 –, il n’est pas certain que l’expérience de la crise de légitimité mobilise des populations qui, ayant intériorisé la discrimination, se considèrent exclues quoi qu’il arrive ni mette en lumière de façon systématique des situations devenues invisibles au quotidien (Voirol, 2005, 2008).

28On pourrait s’attendre aussi, étant donné la critique sévère que Rationalität, Recht und Gesellschaft a adressé au procéduralisme de Habermas, à ce que l’analyse de la circulation du pouvoir apporte des éléments plus nets pour rejeter le formalisme procédural. Or ce n’est pas le cas : l’image de canaux et d’écluses semble au contraire abonder en ce sens. Les remaniements conceptuels de l’espace public que propose Der Sinn von Öffentlichkeit à partir de travaux empiriques répondent-ils à ces questions laissées en suspens ?

III – Modifier le concept d’espace public par la sociologie

29Peters s’est constamment inquiété de la réalité sociologique de l’espace public. La présentation du rôle normatif de l’espace public n’est qu’une étape de son travail. Nous allons montrer comment ses recherches en sociologie empirique engagent une reformulation de l’espace public et ouvrent sur une théorie de la démocratie attentive à la réalité sociale et mieux à même de déceler les voies de son amélioration possible.

30De prime abord, reformuler le concept d’espace public à partir de la sociologie paraît difficile. Ce concept idéal-typique peut-il trouver un correspondant empirique ? Les sciences sociales et la théorie normative divergent à ce propos. Conscient de cet écart, le sociologue Peters n’abandonne pas pourtant le concept normatif d’espace public. L’essai « Le sens de l’espace public » (2007, p. 55-102) teste systématiquement ses trois principes majeurs à l’aune d’observations sociologiques : l’égalité et la réciprocité lors de l’échange (Gleichheit und Reziprozität), la transparence des thèmes (Offenheit) et le caractère discursif de la communication (Diskursivität). Lorsque ces trois principes n’entreront plus en tension avec certaines évidences de la réalité sociale, ils détermineront un concept normatif d’espace public qui sera opératoire – telle est son idée.

1 – Une symétrie improbable

31L’idéal d’égalité et de réciprocité n’est réalisable que dans le face-à-face du dialogue. Il faut se rendre à l’évidence qu’à l’échelle de la société on ne peut pas retrouver cette structure dialogique et admettre une asymétrie entre ceux qui prennent la parole et ceux qui écoutent : asymétrie qui n’est pas un pis-aller, selon Peters, mais un fait qui oblige à réviser le principe d’égalité et de réciprocité. La révision est sans aucun doute délicate puisqu’elle ne doit pas accroître l’exclusion ni la discrimination. Ce sont ces risques que l’objection féministe à l’égalitarisme abstrait de l’espace public libéral visait précisément à prévenir en soutenant des formes d’intégration plus grandes (Young, 2000) et en recherchant des moyens de concrétiser l’accès à l’égalité et à la réciprocité par tous. Conscient de cette problématique, Peters étudie de près la répartition inégale de la parole dans les sociétés démocratiques soumises aux médias d’information.

32Trois sortes d’asymétrie sont patentes. La différence de visibilité entre individus tout d’abord est manifeste ; à cause de leur médiatisation, les journalistes et les hommes politiques font davantage connaître leurs avis. On observe ensuite une influence inégale. Un individu peut susciter l’adhésion d’un groupe entier sous l’effet de motifs rationnels – notamment un expert ou un porte-parole – mais aussi sous l’effet irrationnel du charisme, lorsqu’il se prononce sur des thèmes ne relevant pas de sa sphère de spécialisation – tel un sportif de haut niveau exprimant son point de vue sur la récession économique. Enfin, les informations et le savoir sont inégalement répartis dans la société. La communication peut être maintenue aussi longtemps que les connaissances sont diffusées ou même vulgarisées, tant que l’asymétrie ne devient pas structurelle – comme dans le cas du monopole de l’information et des savoirs spécialisés [10].

33D’après Peters, ces trois types d’asymétrie se trouvent combinés dans les faits et sont à attribuer, pour une part, à la structure d’ensemble des sociétés modernes, pour une autre, aux caractéristiques propres à l’espace public. Par leur structure, les sociétés modernes bousculent le principe d’égalité de parole, en installant des hiérarchies. La grande visibilité que les pouvoirs politique et économique confèrent à quelques individus sur la scène médiatique crée une première hiérarchie, même si leur influence réelle sur l’opinion publique n’est ni claire ni garantie. La répartition sociale du savoir en produit une seconde : le grand public ne peut disposer des connaissances spécialisées des experts. L’égalité du jugement moral est certes un argument pour exiger que le public soit informé des conséquences pratiques des inventions technologiques, mais on est loin d’un tel partage de l’information. L’absence de souveraineté cognitive des citoyens pourrait devenir inquiétante.

34La structure interne de l’espace public révèle par ailleurs deux lignes de force. La pluralité des sphères informelles, dans lesquelles évoluent les citoyens « ordinaires » et qui entrent en rapport les unes avec les autres sur un plan horizontal, est par ailleurs opposée à deux sources verticales de transmission de l’information. Une foule de citoyens écoutent, sans pouvoir répondre, un petit nombre de personnalités et de journalistes qui utilisent le système des médias. On peut certes distinguer, d’un côté, les avocats d’une cause, qui représentent l’intérêt d’un groupe (pédagogues sociaux, thérapeutes, juristes, etc.), les experts qui vulgarisent des connaissances, les intellectuels qui, en leur nom propre, expriment parfois des avis répandus, et de l’autre, les journalistes et reporters qui rapportent et commentent les événements. Une situation de dépendance est néanmoins flagrante : le citoyen « ordinaire » dépend toujours d’une information fournie par les médias et croisera au mieux plusieurs sources.

35Ainsi, la répartition inégalitaire du savoir, de l’information et de leurs moyens de diffusion entre un petit nombre d’acteurs et le grand public est inévitable. Sous les conditions d’une société de masse, nourrie par les médias, les critères d’égalité et de réciprocité ne peuvent même plus devenir des objectifs. Faut-il les remplacer par un modèle de représentation ? C’est également délicat si cela implique de renoncer à toute vue égalitaire sur la circulation de la parole. Il s’agit de trouver le moyen de combiner l’idéal démocratique de la communication publique à la réalité élitiste qui tiraille de fait les conditions de l’égalité. Peters propose ainsi de poursuivre la réalisation de l’égalité au moyen d’un usage différencié de la problématique élitiste. Au lieu de nier l’accès inégal au savoir et à l’information, il convient de penser à des dispositifs qui en facilitent la diffusion. Afin de s’assurer que les asymétries du savoir et de l’information ne dénaturent pas l’espace public mais contribuent bien à sa vitalité, certaines mesures doivent être prises. Peters propose la mise en place de mécanisme de contrôle au moyen de débats entre experts et journalistes par exemple, pour inciter la diffusion de l’information et éviter la cristallisation d’asymétries structurelles, excluant certains groupes.

36À la question de savoir si une « élite » mène l’opinion publique, Peters répond donc de façon nuancée. Le grand public est certes toujours partiellement informé mais étant habitué à croiser des opinions, il dispose de ressources critiques. Ceci peut être illustré par l’enquête que mènent, de 2000 à 2003, des sociologues auprès de la population allemande sur le sens de la manipulation génétique (recherches sur des cellules souches embryonnaires, clonage thérapeutique, etc.) sur demande du Conseil éthique national allemand. Alors que le système politique s’attendait à des réticences à l’égard de l’innovation technique, l’enquête révèle la prudence d’un public soucieux d’explications précises avant de se prononcer et fait état de réponses évoluant en trois ans en faveur de critères pragmatiques et témoignant de moins en moins de résistances pour des motifs éthiques et juridiques (Peters, 2007, p. 248-282).

2 – Transparence et compétences des publics

37La pertinence d’une contribution est appréciée en fonction de sa résonance dans les arènes de discussion. Or il faut auparavant qu’elle soit publiée [veröffentlicht] et que les membres de la société civile aient les compétences pour se l’approprier. L’afflux d’informations dans le domaine public exige de plus en plus que les citoyens développent des capacités d’attention, d’interprétation et de réactivité (ou de responsivité) pour repérer les problèmes importants et thématiser les nouvelles questions. La difficulté à réaliser les conditions de ce principe double de publicité et de compétence tient à l’attention limitée du public. Forcée d’en tenir compte, la publication des thèmes devient très sélective : on ne transmet qu’un petit nombre d’informations pour être sûr de leur réception, ou bien on emploie des présentations dramatiques, des effets de surprise qui simplifient les problèmes afin de les rendre plus visibles que les autres. D’après Daniel Innerarity, l’apparition d’un « espace public émotionnel » est inévitable dans des sociétés exposées continûment à des flux d’informations à une cadence accélérée par les médias (2006, p. 39-43). On est loin de l’idéal démocratique de la participation de tous à la résolution des problèmes collectifs.

38La question de savoir si les individus, sous l’effet d’un trop plein d’informations, développent un sentiment d’étrangeté envers les affaires publiques, ou au contraire réagissent, avec plus de discernement, aux problèmes « importants » se pose toujours. Il faut certes pour y répondre regarder la manière dont des espaces publics différents se sentent concernés et se forment à l’occasion de certains types de problèmes pour répondre. Mais il est de plus en plus difficile d’apporter une réponse tranchée à cette question car la diversité des intérêts et des groupes de discussion y réagissant révèle l’absence d’un agenda public unique. Elle pose aussi la question de la fragmentation éventuelle de l’espace public général.

39En partant de ces données, Peters propose une révision du principe de publicité ou transparence en explicitant les règles d’une sélection souhaitable. Il y voit deux conditions : donner des garanties à la population pour qu’elle ait confiance dans la relative neutralité des moyens de transmission et savoir repérer un thème d’intérêt public. Quant au premier point, Peters réfléchit à des moyens pour distinguer les agendas publics – dont le critère de sélection des thèmes est bien l’attention du public – de certains réseaux d’influence qui captent l’attention du public en vue de leurs intérêts. L’identification d’un thème d’intérêt public pourrait, elle, prendre pour critère la demande que l’espace public exerce sur la sélection des médias. Le problème de la sélection unilatérale ou déformée des thèmes publics ne semble pourtant pas entièrement résolu. En thématisant une publicité choisie, Peters a conscience qu’il doit assurer son modèle contre les silences ou tabous communicationnels et contre les discours officiels qui masquent une autre réalité : il préconise, à cet effet, de prêter attention aux réactions brimant des tentatives de thématisation et de confronter les normes établies aux pratiques effectives.

40Cette réponse est insuffisante. Le problème de la déformation possible de l’information révèle une faiblesse dans la révision du principe de publicité. Curieusement, Peters n’aborde pas le risque de la perte d’indépendance des médias du fait de réseaux d’influences, ni le fait qu’une sélection, à l’origine nécessaire, des thèmes puisse faire le jeu de certains hommes ou partis politiques et manipuler indirectement la population. Le cas d’une proximité trop grande entre les médias et le système politique qui vienne déformer la communication politique (telle la mainmise sur les médias italiens par Berlusconi) n’est pas abordé ici.

3 – Le principe de discussion

41Si Peters remanie les principes d’égalité et de publicité, il insiste pour que le noyau de la discussion soit préservé, et cela pour deux raisons. Premièrement, même si l’on ne saurait réduire l’espace public à l’emploi de l’argumentation ou de la discussion parce qu’il inclut toutes les formes de communication publique, on note que son potentiel réflexif et critique dépend de la discussion – usant d’arguments et d’explications et ouvrant la possibilité d’accords ou de désaccords justifiés entre des partenaires égaux. Les autres sortes de communication ne s’appuient pas, en effet, sur la réciprocité mais transmettent des informations sur le mode d’annonces sans répliques, telles les expressions que véhiculent les symboles, les traditions ou les images [11]. Ces formes de transmission de l’information ne sollicitent pas le jugement mais l’adhésion du public. Elles servent bien à maintenir vivaces certains thèmes socioculturels mais leur caractère péremptoire est à considérer avec vigilance : l’usage de ces représentations dérive facilement vers la violence symbolique.

42Deuxièmement, en dissociant la discussion de la visée du consensus, Peters fait d’elle le meilleur moyen pour repérer et problématiser des thèmes sociaux. Les objections, les refus, les critiques alimentent le jeu de la délibération et lui permettent d’évoluer. La seule menace pour la discussion viendrait de décisions politiques qui, en réaction à certains mouvements sociaux par exemple, imposent un terme à la délibération. Contre l’amalgame qui est fait souvent entre le noyau discursif de l’espace public et les idées du consensus et d’une société pacifiée – et qui est dû à ce que l’on transfère les présupposés d’une interaction simple à l’échelle de la société politique –, Peters démontre qu’il est inadéquat de vouloir séparer le mode de la discussion de celui du conflit, qu’il soit de nature militante (a) ou de nature argumentative (b).

43a) Toute protestation cherchant à rendre manifeste l’indignation de certains groupes, à capter l’attention générale, la lutte n’a de sens que si elle est combinée, dans un second temps, à une discussion. Le conflit est ainsi une façon d’imposer à l’agenda politique certains problèmes qu’il est urgent de résoudre et ne devient intelligible qu’à travers la dynamique plus générale du débat public. Une des conséquences de l’analyse de Peters est de nous engager à relativiser la césure qui existerait entre les théories sociales centrées sur la lutte et celles sur la communication. La théorie d’Axel Honneth est exemplaire de cette réconciliation. Après avoir reproché, dans Kritik der Macht, à la théorie de l’agir communicationnel d’évacuer la dimension conflictuelle du politique, Honneth propose, dans La lutte pour la reconnaissance, un paradigme de la reconnaissance qui réconcilie l’intuition du conflit et la structure de la reconnaissance sous-jacente à l’agir communicationnel.

44b) Aux théories centrées sur le différend et la conflictualité qui s’écartent de l’approche communicationnelle pour appréhender des désaccords sociaux permanents – tel le modèle agonistique de démocratie de Mouffe et Laclau (2001 [1985] ; Mouffe 2000 ; voir aussi Blondiaux, 2008) –, Peters reproche de produire l’hypostase d’un dissensus idéal-typique. Les théories du dissensus seraient aussi utopistes que les théories consensualistes. Leur illusion commune est de présupposer pareillement un idéal-type de société.

45« Il est absurde d’opposer, de cette manière, le consensus et le dissensus. Le consensus argumenté représente la solution d’un dissensus préalable, lequel demeure cependant souvent sujet à de nouvelles critiques et problématisations. Et là où le consensus n’est pas pensable ou ne paraît pas souhaitable, on ne peut pas parler non plus de dissensus : l’argumentation controversée n’est donc sensée que là où la possibilité d’une conviction mutuelle est présupposée. Ce n’est pas seulement le consensus, mais aussi le dissensus, plus particulièrement la dispute (contrairement au simple conflit), qui est “invraisemblable” – en tant qu’il dépend en effet d’une pratique répétée de respect mutuel. Ce n’est pas simplement la “domestication”, mais la fructification du conflit transformé en dissensus qui est une conquête décisive, bien que sans cesse menacée, de la modernité » (Peters, 2007, p. 94).

46Penser que le différend est la règle empirique et le consensus une utopie relève ainsi d’une confusion. Le caractère d’invraisemblance que l’on attribue au consensus vaut aussi pour le dissensus qui, contrairement au conflit, tire son sens de conditions de discussion : pour qu’il y ait accord ou différend, une même exigence de respect de la part des partenaires est nécessaire. De là, la conclusion de Peters : la recherche d’un consensus et la possibilité de rendre fructueux un différend constituent les deux objectifs également difficiles de la modernité.

IV – Fragmentation et transnationalisation de l’espace public : quelles réalités ?

47Le sens d’une démocratie centrée sur la vitalité délibérative des citoyens et la reformulation du concept d’espace public ayant été précisés, on peut se demander ce qu’il en est exactement des espaces publics des sociétés occidentales. Une dernière section de Der Sinn von Öffentlichkeit émet un diagnostic sur l’état actuel de l’espace public aux niveaux européen et transnational.

48Selon certains théoriciens, les espaces publics nationaux seraient éclatés du fait de la mondialisation et du pluralisme culturel et l’heure serait venue de parler d’un espace public transnational. L’expansion de différents flux (commerciaux, monétaires, humains, communicationnels) par-delà les frontières nationales fait que la fragmentation des sphères publiques nationales et la transnationalisation de l’espace communicationnel sont les deux faces de la même médaille [12]. Les espaces publics nationaux sont fragmentés parce que les communications les plus importantes sont poursuivies avec des gens géographiquement éloignés (famille, amis, personnes de même horizon culturel et professionnel). La transnationalisation de la communication traduirait-elle la conscience qu’ont les citoyens d’une interdépendance croissante entre les sociétés et le sentiment d’appartenir à une communauté de communication mondiale. Elle pourrait s’imposer autant par les médias de communication, tel l’Internet, qui créent des réseaux décentrés, que par des thématiques qui concernent un nombre croissant de personnes indépendamment de leur appartenance nationale. Tout en nuançant la réalité d’une transnationalisation communicationnelle accomplie, N. Fraser soutient en 2007 que le destin de la sphère publique à l’époque de la « constellation post-nationale » est de tendre vers cet horizon normatif transnational. Elle voit une amorce certaine de ce devenir dans la dissociation entre le cadre national-westphalien, d’une part, et les paramètres principaux de la communication publique, d’autre part – les sujets de la communication, les thèmes abordés, les lieux de discussion, les supports médiatiques se passent de la référence à l’État-nation et le transcendent sur le plan politique, culturel, géographique et médiatique. Face à cette vision des choses, les études sociologiques menées par Peters et ses collaborateurs invitent à émettre des réserves.

1 – Des espaces publics fragmentés ?

49Partons de la question de la fragmentation. Renvoyant à une multitude de sphères, la notion d’espace public implique d’emblée une pluralité et une hétérogénéité. Quel est le seuil qui permettrait alors de conclure à une fragmentation de la sphère publique au niveau national ? La différenciation des espaces publics et la pluralité des agendas publics ne suffisent pas à conclure à la segmentation des publics, constate Peters. Il faut savoir auparavant si cette différenciation est déconnectée de toute intégration des sphères communicationnelles. L’intégration suppose que les cercles communicationnels qui se différencient les uns des autres par la sélection d’informations et de thèmes débattus, restent perméables les uns aux autres, poreux et ouverts à d’autres idées. La fragmentation, en revanche, suppose une rupture dans la circulation des idées et le repli sur elle-même de chacune des arènes de communication.

50Les recherches de terrain font certes reconnaître à Peters des tendances à la fragmentation dans les espaces publics des nations européennes. Un isolement tendanciel peut être dû à des causes fonctionnelles, tel le fossé entre les savoirs spécialisés et le grand public, ou à des visions du monde hétérogènes. Mais le sociologue ne conclut pas à une fragmentation générale de l’univers symbolique. Si l’espace public est bien mis à l’épreuve par les différenciations culturelles, des tentatives de traduction de certains thèmes existent encore qui préviennent le risque de segmentation.

2 – L’horizon mythique de l’espace public transnational

51Contrairement à une position répandue, Peters ne trouve pas d’éléments suffisants pour conclure à l’existence d’un espace public transnational, si par là on entend, comme le précise James Bohman (2010), une sphère issue non pas de l’agrégation d’espaces publics nationaux mais de l’entrelacement de perspectives différentes culturellement situées. Un tel espace de discussion entre citoyens « du monde » produirait des opinions à partir d’une diversité de vues sans précédent à propos d’événements situés ayant une résonance à l’échelle mondiale ou sur des thèmes d’une certaine généralité (questions environnementales, réflexion sur un conflit entre plusieurs nations, etc.). Le sociologue allemand révèle les limites de ce diagnostic.

52Dans « Espaces publics nationaux et transnationaux. Une esquisse du problème », Peters reconnaît que les événements ayant lieu en dehors des territoires étatiques influencent les agendas nationaux, que certains problèmes politiques, économiques ou sociaux sont traités de façon interétatique, ou encore que les informations circulent par-delà les frontières nationales. Mais ces structures internationales, ces flux transnationaux restent dirigés vers des points de vue intra-nationaux et orientés vers des intérêts nationaux : il ne s’agit pas d’un espace public transnational, mais bien plutôt de « l’internationalisation de flux et de centres de communication publique ». C’est à partir de leur histoire nationale, de leur culture particulière, de leur inscription dans une communauté linguistique et en tant que membres d’une région du monde située que les individus prennent la parole sur des thèmes diffusés à l’échelle internationale. La constitution d’espaces de communication transfrontaliers, que permet de fait le cyberespace, trouve un frein dans les préoccupations immédiates pour l’environnement familier.

53L’essai écrit à plusieurs mains, « L’européisation segmentée », tire un bilan sur la transnationalisation de l’espace public européen : l’Union européenne est perçue comme un espace public régional déficitaire. Les États européens ont souvent moins de contact entre eux qu’avec les États-Unis ; seule une chaîne de télévision, Arte, et deux ou trois journaux sont organisés de façon binationale… Plus qu’à la différence linguistique, les auteurs attribuent cette distance entre les espaces des citoyens européens au passé historique : les héritages culturels restent différents et les interprétations divergentes d’événements communs divisent les communautés. Ce fait révèle les résistances fortes que les questions identitaires présentent encore à une communication franche entre ressortissants de pays différents. L’examen attentif des espaces publics nationaux permet de mesurer l’écart qui sépare encore notre présent de l’horizon rêvé d’un espace public transnational.

Une réhabilitation réussie

54Le plaidoyer de Bernhard Peters vaut pour un modèle prenant en compte les révisions nécessaires à apporter à la notion d’espace public : l’égalité et la réciprocité dans l’accès à la parole, la publicité illimitée des thèmes sont autant d’idéaux chimériques issus d’une représentation erronée de la réalité sociale. Der Sinn von Öffentlichkeit montre, avec force, à quel point l’« ancien » modèle de la délibération est invraisemblable. Son auteur révèle également par sa démarche ce que les théories de la démocratie délibérative peuvent trouver dans la réactualisation d’un certain concept d’espace public. La solidité du modèle de Peters est de concilier deux niveaux d’étude. Il fournit d’abord une approche très informée de la réalité sociale concrète qui intègre certaines données irréductibles – l’attention difficile du public, la visibilité et l’influence inégales, l’asymétrie entre locuteurs et auditeurs. Et il signale ensuite le rôle prospectif que peut jouer, en théorie politique, un concept normatif de démocratie révisé par la sociologie pour penser des voies d’amélioration des sociétés démocratiques. Peters saisit la réalité politique de la communication quotidienne mais indique aussi des moyens pour l’accroître en vue de perfectionner le processus démocratique. Les diagnostics différenciés que la notion révisée d’espace public permet de porter sur la situation délibérative de divers types de collectivités – nationale, régionale, transnationale – prouvent que sa réhabilitation est réussie.

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  • Urfalino Ph., 2005, « La délibération n’est pas une conversation », Négociations 4, p. 99-114. URL : www.cairn.info/revue-negociations-2005-2-page-99.htm.
  • Voirol O., 2005, « Visibilité et invisibilité : une introduction », Réseaux, 129-130, p. 9-36.
    — 2008, « L’invisibilité comme désubjectivation », in A. Giovannoni, J. Guilhaumou (dir.) Histoire et subjectivation, Paris, Kimé, p. 101-120.
  • Young I. M., 1990, Justice and the Politics of Difference, Princeton University Press.
    — 2000, Inclusion and Democracy, Oxford, Oxford University Press.

Mots-clés éditeurs : transnationalisation, asymétrie, discussion, compétences, démocratie, pouvoir communicationnel, transparence, espaces publics

Date de mise en ligne : 06/06/2013.

https://doi.org/10.3917/parti.005.0177

Notes

  • [1]
    Je remercie Alice Le Goff pour ses remarques.
  • [2]
    Pour une troisième voie, voir l’idée du débat contradictoire (Manin, 2011) et Urfalino (2005).
  • [3]
    Sur les enjeux du débat, voir Girard et Le Goff (2010, p. 11-112). Sur l’institutionnalisation des conditions de la délibération, voir Ackermann et Fishkin (2010 [2002]), Mansbridge (2006a, et al. 2006b). Sur les rapports entre délibération et principe démocratique, voir Cohen (2010 [1989]), Goodin (2004), Parkinson (2003).
  • [4]
    Pour le plan de cette « monographie sur l’espace public », voir Peters (2007, p. 18-19).
  • [5]
    Dans les lignes qui suivent, les titres des articles de Peters sont traduits par nous.
  • [6]
    L’influence de la sociologie empirique de Peters sur Habermas dès la fin des années 1980 permet de nuancer l’idée d’une approche strictement normative de l’espace public dans Droit et démocratie (ainsi Sintomer 2011).
  • [7]
    Dédié à la mémoire de Peters, l’article de 2006 croise théorie normative et travaux sociologiques et s’inspire de sa position sur la transnationalisation de la sphère publique.
  • [8]
    Deux articles sur Arendt préparent cette lecture : Habermas (1966, 1976).
  • [9]
    Les deux termes sont équivalents, voir Horkheimer (1974, p. 64).
  • [10]
    La mainmise de Berlusconi sur les médias est l’exemple d’un monopole naissant en régime démocratique. Voir Tonello (2010), Padovani (2005).
  • [11]
    Sur la liaison entre rhétorique et délibération, voir Hauser (1999), Chambers (2012).
  • [12]
    Pour une réflexion sur ces aspects en sociologie du droit, voir Teubner (2012).
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