Notes
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[1]
Traduction réalisée avec le soutien du laboratoire Costech de l’Université de Technologie de Compiègne. J’ai présenté une version courte de ce texte à la cérémonie d’ouverture du congrès mondial de l’International Communication Association à Dresde en juin 2006. [N.d.T. : Texte original : Jürgen Habermas, « Hat die Demokratie noch eine epistemische Dimension? Empirische Forschung und normative Theorie » in Ach, Europa. Kleine politische Schriften XI, Francfort s/M., Suhrkamp, 2008, p. 138-191 ; version anglaise courte : « Does Democracy still Enjoy an Epistemic Dimension? The Impact of Normative Theory on Empirical Research », in Communication Theory, 16 (4), nov. 2006, p. 411-426.]
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[2]
N.d.T. : Les expressions en anglais dans le texte original sont traduites entre crochets.
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[3]
« Lazarsfeld et ses collègues en conclurent que c’est une bonne chose pour la démocratie que les gens puissent repousser l’influence des médias, et ils voulaient dire par là que la foule pourrait être moins solitaire et moins vulnérable que ce que les théoriciens de la société de masse nous avaient conduits à croire » (Katz, 1989). Sur la critique et la métacritique du paradigme dominant, voir Gitlin (1978), Tuchman (1988).
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[4]
Voir par exemple la critique d’Antony MacGann (2006).
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[5]
En suivant cette perspective, Bernhard Peters a, ces quinze dernières années, détaillé et vérifié empiriquement un modèle théorique développé dans sa thèse d’habilitation (Peters, 1993). Voir surtout l’essai intitulé « Die Integration moderner Gesellschaften et Leistungsfähigkeiten heutiger Öffentlichkeiten – einige theoretische Kontroversen » (p. 55-102), en particulier p. 187-202.
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[6]
Les contenus normatifs d’une « raison détranscendantalisée » incarnée dans des pratiques sociales quotidiennes produisent à l’intérieur de la réalité sociale elle-même une tension que l’observateur-sociologue peut reconstruire rationnellement ; sur ce point, voir Michael Neblo (2005). Cette conception ne doit pas être confondue avec la distinction de John Rawls entre « théorie idéale » et « non idéale ».
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[7]
Voir Kevin M. Esterling, Michael A. Neblo, David M. J. Lazer, Means, Motive & Opportunity in Becoming Informed about Politics : A Deliberative Field Experiment (PNG Working Paper N° PNG07-006, en ligne : http://www.ksg.harvard.edu/netgov/files/png_workingpaper_series/PNG07-006.pdf (accès en novembre 2007).
-
[8]
Michael A. Neblo, « Change for the Better ? Linking the Mechanisms of Deliberative Opinion Change to Normative Theory », in Common Voices : The Problems and Promise of a Deliberative Democracy (à paraître), en ligne comme document de travail : http://polisci.osu.edu/faculty/mneblo/papers/ChangeC4.pdf (accès en novembre 2007).
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[9]
« Les individus qui engagent la conversation avec un groupe hétérogène seront moins susceptibles d’effets de cadrage que ceux qui n’engagent pas de conversation » (Druckman, 2004, p. 675).
-
[10]
Sur la quantification et la mesure des flux d’information, voir Duff, Shakai (2000).
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[11]
Sur ce qu’on appelle la « fracture numérique » entre les êtres humains qui font un usage fortement différencié de l’Internet, voir Berdal (2004, p. 51-56).
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[12]
Je suis ici l’analyse de Bernhard Peters (2007, p. 103-186).
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[13]
Bieber, 1999 ; cf. les contributions de la troisième section du volume édité par Andrew Feenberg et Darin Barney (Feenber, Barney, 2004, p. 183 sqq.). Pour une analyse comparative de l’organisation et de l’infrastructure des forums sur Internet du Spiegel, du quotidien anglais The Guardian et du suédois Aftenposten, voir Berdal (2004).
-
[14]
À l’appui de la fonction critique de cette forme de communication en ligne parasitaire, on trouve le cas d’une facture de 2088 euros que le directeur de bildblog.de a envoyé au rédacteur responsable de bild.de pour « prestation de services » : les bloggeurs faisaient valoir qu’ils avaient amélioré la qualité du Bild par des propositions de corrections et des commentaires utiles (voir par exemple sur ce point la contribution « Medienwächter als Dienstleister » qui est parue le 2 mai 2006 dans l’édition en ligne de la Süddeutsche Zeitung, qu’on trouve sur l’Internet : http://www.sueddeutsche.de/,cm2/computer/artikel/898/74824 (accès en novembre 2007).
1En juin 2006, à l’occasion du congrès de l’International Communication Association, Jürgen Habermas revient sur le modèle délibératif de la démocratie, qu’il avait notamment élaboré dans Droit et démocratie (1992), pour considérer les conditions de son application dans des sociétés de plus en plus complexes et médiatisées. Ce texte, publié d’abord en anglais dans une version courte, puis en allemand dans une version plus développée, s’attache en particulier à éclairer les implications de ce modèle pour les médias de masse. Il poursuit et renouvelle ainsi le dialogue du philosophe avec les travaux empiriques sur la démocratie et la communication médiatique, qui ont été puissamment influencés par sa pensée depuis L’espace public (1962). La revue Participations a le plaisir de publier la traduction en français de la version allemande, avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Suhrkamp. Nos lecteurs trouveront ici la première moitié du texte ; la seconde moitié paraîtra dans notre prochain numéro, au printemps 2013.
2En souvenir de Bernhard Peters
3Dans les Politiques d’Aristote, les réflexions normatives et empiriques vont de pair. Aujourd’hui, les théories politiques issues de la tradition du droit rationnel font valoir un devoir abstrait qui se voit confronté, dans nos sociétés toujours plus complexes, à des faits qui font réfléchir. Cela semble être en particulier le cas du modèle délibératif de la démocratie, qui explique la force productrice de légitimité de la procédure démocratique à l’aide du caractère rationnel de la formation de l’opinion et de la volonté. Ce modèle paraît être un exemple particulièrement radical du fossé de plus en plus profond qui sépare les approches normatives et empiriques en science politique. Aux premiers jours de la Radio research de Paul Lazarsfeld, il y avait encore un lien évident entre la recherche sur la communication – donc ce qu’on appelait à l’époque the dominant paradigm [le paradigme dominant] [2] – et la recherche des racines de la démocratie de base dans la société de masse [3]. Mais comment un concept chargé normativement comme celui de « politique délibérative » convient-il à notre image présumée réaliste de la société des médias [4] ?
4Je vais d’abord comparer le modèle délibératif de la démocratie avec le modèle libéral et le modèle républicain, et établir de possibles renvois à la recherche empirique (I). Je rechercherai ensuite s’il y a des preuves empiriques pour soutenir l’hypothèse selon laquelle les discussions politiques se dirigent vers des questions décidables sur des bases rationnelles et possèdent elles-mêmes un potentiel de découverte de la vérité (II). Les trois sections centrales servent à dissiper le doute que l’on a, de prime abord, au sujet de la teneur empirique et de l’applicabilité du modèle délibératif. De toute évidence, la communication de masse ne correspond pas à l’image de ce genre de face to face communication [communication en face à face] spontanée qui semble être le modèle de la « délibération » (III). Lorsque l’on tient compte de l’ensemble du processus de légitimation et que l’on considère les relations d’échange entre le système politique et la société dans leur totalité, ni la structure ni la dynamique du pouvoir de la communication via les médias de masse ne présentent toutefois d’obstacles à la formation des opinions publiques filtrées rationnellement et en ce sens « réfléchies » (IV et V). Le modèle de communication que j’élabore pour la politique délibérative doit cependant satisfaire à deux conditions critiques : la communication politique qui passe par les médias ne peut favoriser le processus de légitimation dans l’espace public des sociétés très complexes que dans la mesure où, d’une part, un système de médias autorégulé parvient à l’indépendance vis-à-vis de son environnement social, et où d’autre part, le large public de masse – donc les lecteurs, auditeurs, spectateurs des médias de masse – établit un lien en retour entre les discussions informées des élites et une société civile prête à les recevoir et à réagir (VI). En tenant compte des nouvelles formes de gouvernement au-delà de l’État-nation, je conclus par un post-scriptum sur la formation des espaces publics transnationaux (VII).
I – Les références empiriques des théories normatives de la démocratie
5Le cadre institutionnel des démocraties modernes articule trois éléments : l’autonomie privée des citoyens, qui ont le droit de mener une vie qu’ils déterminent eux-mêmes ; la citoyenneté démocratique, c’est-à-dire l’inclusion égale de citoyens libres et égaux dans la communauté politique ; et un espace public politique indépendant, qui, en tant que sphère de libre formation de l’opinion et de la volonté, relie l’État et la société civile. Le fait que l’État administratif soit fonctionnellement séparé d’une économie capitaliste explique pourquoi les sociétés modernes, lorsqu’elles sont composées démocratiquement, sont ordonnées à l’élément médiateur d’un espace public, où les contributions spontanées et les prises de position des citoyens peuvent trouver une résonance.
6Abstraction faite de la diversité des textes constitutionnels, des législations, des institutions et pratiques politiques, ces trois éléments forment partout le noyau normatif de l’État de droit démocratique. Et je vais dans ce qui suit me limiter à eux.
7Le modèle de la constitution veille premièrement à protéger juridiquement la sphère privée par
- un système de libertés fondamentales égales pour tous les citoyens, qui sont limitées seulement par les libertés publiques des autres (le principe du droit de Kant) ;
- l’accès à des tribunaux indépendants qui accordent à tous la protection égale de droits ; et
- la séparation des pouvoirs entre le législatif, le judiciaire et l’exécutif, qui garantit le lien de l’administration publique au droit et à la loi.
- des droits égaux d’association, de participation et de communication pour tous ;
- des élections périodiques et, si besoin est, des référendums en s’appuyant sur un droit de vote inclusif et égalitaire ;
- la concurrence entre des partis, tribunes et programmes différents ; et
- le principe de la majorité pour les décisions prises par les corps représentatifs.
- la séparation entre l’État percepteur d’impôts et la société économique – séparation par laquelle les libertés économiques individuelles fondamentalement garanties ne préjugent pas déjà de l’existence d’une constitution économique néolibérale ;
- la liberté de la presse, la diversité des médias et la liberté d’information ; et
- des régulations qui garantissent l’accès de l’espace public politique au public de masse et à la société civile, et qui évitent de même que les arènes de la communication publique ne soient récupérées d’une façon politique, sociale ou économique.
8La tradition libérale qui, pour l’essentiel, remonte à John Locke et qui a, dans une large mesure, inspiré les fondateurs de la Constitution américaine, se concentre sur le premier élément, à savoir sur l’institutionnalisation constitutionnelle des droits de l’homme, et en particulier sur celle des droits de liberté négative – loués comme étant les « libertés des Modernes ». L’intuition de cette ligne de pensée politique encore dominante aujourd’hui a pour but de protéger les personnes privées dans leur environnement social naturel contre les interventions d’une puissance étatique paternalisante. L’État constitutionnel sert essentiellement à protéger des individus qui poursuivent des projets de vie très personnels. Au premier plan se trouve la domestication de la violence publique, tandis que le processus démocratique a plutôt une fonction modeste. D’après la conception libérale, les droits politiques donnent la possibilité aux citoyens de faire valoir leurs intérêts privés de telle sorte que ceux-ci en définitive peuvent s’agréger à travers le vote, la composition des corps parlementaires et l’élection d’un gouvernement pour devenir un facteur politique influant sur l’administration.
9Cette conception instrumentale de la démocratie est fortement contraire à l’ethos citoyen républicain où s’exprime le pathos de l’autodétermination nationale. La tradition républicaine, qui a été empruntée à l’humanisme de la Renaissance et qui a influencé la Révolution américaine à travers James Harrington mais surtout la Révolution française à travers Rousseau, se concentre sur le deuxième élément, c’est-à-dire sur le renouvellement des libertés politiques généralisées – des « libertés des Anciens » – sous les conditions de vie modernes d’une société fonctionnellement différenciée. L’intuition qui guide cette pensée trouve son expression dans le principe de la souveraineté populaire. Il ne suffit pas que le pouvoir exécutif soit juridicisé et rendu dépendant des intérêts des citoyens d’une société pré-politique déjà constituée. D’après la conception républicaine, c’est davantage l’autorité publique émanant du peuple, se constituant elle-même et se reproduisant continûment dans le processus démocratique qui est constitutive du contexte de vie sociale dans son ensemble. La mise en place de l’État constitutionnel démocratique a pour but de permettre une pratique d’autodétermination exercée ensemble par les citoyens unis et n’est pas conçue, comme dans la tradition libérale, pour permettre la conduite de vie autonome de chaque individu. Les citoyens ne doivent pas confondre leurs droits politiques avec les droits négatifs qu’ils peuvent revendiquer en tant que personnes privées. Le statut du citoyen orienté en vue du bien commun ne doit pas être assimilé à celui de consommateur ou de client qui ne poursuit que ses propres intérêts.
10Le troisième élément, la liberté d’expression dans un espace public délibératif – qui fonctionne comme courroie de transmission entre la société civile et les processus institutionnalisés de délibération et de décision de l’État –, a été en particulier une source d’inspiration pour les mouvements parlementaires du XIXe siècle. À cette tradition ont contribué Kant et les libéraux de la « Jeune Allemagne » et de la Suisse (Welcker et Rotteck, Julius Fröbel) mais aussi John Stuart Mill ou, pour d’autres raisons, John Dewey. Elle a certes laissé derrière elle moins de traces profondes dans l’histoire des idées politiques que le libéralisme classique et le républicanisme. Face à la révolution communicationnelle électronique, le paradigme délibératif (Gutmann, Thompson, 1996 ; Benhabib, 1998 ; Bohman, Regh, 1996) se propose cependant de connecter les idées normatives fortes à la complexité sociale du présent de sorte qu’elles n’échouent pas d’emblée, démenties par les faits. (C’était, en tout cas, l’intention que j’ai poursuivie dans mes contributions à la théorie discursive du droit et de la démocratie constitutionnelle – dans Droit et démocratie [Habermas, 1997].)
11Le modèle délibératif conçoit l’espace public politique comme une caisse de résonance pour le dépistage de problèmes concernant l’ensemble de la société et, en même temps, comme une station d’épuration discursive qui sélectionne parmi les processus sauvages de formation de l’opinion des contributions informatives et d’intérêt général sur des thèmes pertinents et qui renvoie aussi bien ces « opinions publiques » vers le public disséminé des citoyens qu’elle les transmet aux agendas formels des corps responsables. Si le processus démocratique a pour le modèle républicain la valeur d’une déclaration expressive de la volonté et si son importance, dans le modèle libéral, lui vient surtout de ce qu’il lie les politiciens du gouvernement à l’intérêt propre et éclairé des citoyens, le modèle délibératif attend de l’imbrication de la volonté des électeurs et des processus formels de délibération et de décision, dans la circulation vitale et autant que possible non pilotée d’opinions publiques, une pression de rationalisation qui améliore la qualité des décisions.
12Ainsi, le modèle délibératif mise davantage sur le caractère raisonnable des discussions et des débats, plutôt que sur le fait que les motifs des individus, qui décident et sont orientés vers le succès, se rassemblent de façon équitable, ou que sur le caractère authentique de la volonté commune d’une nation. La recherche coopérative de solutions communes à des problèmes se substitue ici autant aux intérêts agrégés des citoyens de la société qu’à l’ethos collectif des citoyens de l’État. Les procédures et présupposés communicationnels de la formation démocratique de l’opinion et de la volonté fonctionnent comme les écluses les plus importantes pour la rationalisation discursive des décisions du gouvernement et de l’administration. La rationalisation signifie, en outre, plus qu’une simple légitimation et pourtant, en même temps, moins qu’une constitution du pouvoir. Le pouvoir administratif change de composition aussi longtemps qu’il reste couplé à une formation discursive de l’opinion et de la volonté ; le pouvoir communicationnel, qui est issu, au terme du processus démocratique, de la concurrence des opinions publiques, ne peut toutefois pas lui-même « dominer » l’usage du pouvoir administratif mais seulement, dans le meilleur des cas, le diriger.
13Un aperçu de l’histoire des idées politiques nous renseigne aussi sur trois perspectives au sein desquelles on constate, de différentes manières, le même complexe institutionnel jusqu’à aujourd’hui. Ces trois manières de constater et d’interpréter façonnent l’autocompréhension des citoyens, des politiciens et des fonctionnaires – et de cette façon aussi des pratiques de création et d’application du droit qui prédominent au sein d’une communauté politique libéralement constituée et qui déterminent aussi bien l’identité politique d’une population que la culture politique d’un pays (Peters, 2007). Aristote savait que la théorie politique s’adresse immédiatement aux citoyens d’une communauté. Et John Rawls a même intégré cette relation directe entre théorie et pratique dans la théorie elle-même grâce à son concept de « consensus par recoupement » qui est un élément autoréférentiel (Rawls, 1995). Une voie plus indirecte pour opérer la liaison entre réalité et théorie normative consiste à employer une telle théorie pour aménager un modèle de recherche empirique dans les domaines correspondants des sciences politiques [5].
14Ceci explique les affinités électives qui se trouvent, d’un côté, entre le libéralisme politique et la théorie économique de la démocratie et, de l’autre, entre le républicanisme et des approches communautariennes spécifiques de la recherche portant sur la démocratie. La conception libérale prend pour point de départ l’idée de l’État de droit et se concentre sur l’institutionnalisation juridique des libertés pour les citoyens d’une société de concurrence. La théorie économique de la démocratie considère, en conséquence, les processus politiques sous le point de vue de choix électoraux rationnels et explique le processus démocratique passant par la concurrence entre partis à partir de l’intérêt propre et éclairé des citoyens (Arrow, 1963). La conception républicaine se tourne vers la souveraineté populaire et rétablit un lien empirique entre la pratique d’autodétermination des citoyens et leur ethos civique. Les recherches de science politique correspondantes traitent des questions liées à une culture libérale politique, des formes d’une socialisation politique adéquate ou d’autres sources de solidarité (la confiance ou les habits of the heart [habitudes du cœur], par exemple) comme des nécessités fonctionnelles pour la stabilité des régimes démocratiques (Bellah, 1975 ; Putnam, 2000).
15Tandis que la perspective limitée de l’engagement civique rate la complexité considérable des systèmes contemporains, le modèle du choix rationnel masque des aspects normatifs essentiels du comportement politique. Le modèle délibératif porte plus fortement son regard sur les fonctions cognitives de la formation de l’opinion et de la volonté que sur le choix rationnel ou l’ethos politique (Peters, 2001). La recherche coopérative pour la résolution de problèmes prend ici autant la place du rassemblement démocratique des préférences en concurrence que celle de l’autodétermination collective d’une nation.
II – Le potentiel de rationalité de la délibération politique
16Le point de référence empirique du modèle délibératif est, en première ligne, un processus démocratique qui se voit assigner une force productrice de légitimité sur la base des propriétés spécifiques d’une procédure (Lafont, 2006). La formation démocratique de l’opinion et de la volonté, pour générer des décisions légitimes, doit être constituée de telle manière que soient fondées, à la fois, la supposition de l’inclusion régulière de toute personne pouvant être concernée et la perspective de résultats rationnels (également sur la base de transformations rationnellement motivées des préférences).
17Parce que je veux me limiter ici à la contribution de l’espace public politique à la légitimation, je dois laisser de côté différents aspects. Le lien important entre la légitimation démocratique de la domination et l’intégration politique des citoyens n’apparaît que sous la forme d’une solidarité citoyenne abstraite car produite par le droit. Je dois, de la même manière, laisser de côté la relation controversée de l’argumentation et de la négociation (c’est-à-dire de la formation discursive de la volonté et du compromis [Habermas, 2007, p. 413 sqq.], ainsi que le couplage des discussions avec la procédure de décision, lequel dépend de la force des arguments rationnellement motivés (Bohman, Regh, 1997). Contrairement à ce qui se passe dans les délibérations institutionnalisées des cours, parlements, commissions ou séances de cabinets, la force rationalisante de l’espace public politique doit en effet ne s’étendre qu’à la formation de l’opinion et non aux décisions politiques. Les attentes de rationalité du modèle délibératif portent sur le processus de légitimation dans son ensemble.
18Je voudrais tout d’abord éclairer le concept de « procéduralisme épistémique » et le paradigme de recherche lui correspondant (1), pour ensuite tirer quelques exemples de la littérature scientifique (2).
19(1) Les discussions rationnelles nécessitent l’échange spontané de raisons pour des prises de positions informées sur des thèmes et contributions pertinents. Le modèle de la politique délibérative se laisse guider par la représentation selon laquelle la formation de la volonté politique passe par le filtre de la formation discursive de l’opinion. Il ressort que nous assignons une fonction cognitive au processus démocratique dans la mesure où il doit, en gros et dans l’ensemble, satisfaire aux conditions suivantes : en premier lieu, garantir l’inclusion de toutes les personnes concernées, la transparence de la délibération et les chances égales de participation, et, en second lieu, fonder la supposition de résultats rationnels.
20Cette supposition s’appuie de son côté sur l’hypothèse selon laquelle une institutionnalisation adéquate des délibérations peut approximativement remplir les fonctions suivantes : mobiliser des questionnements, des revendications et des thèmes pertinents, des informations nécessaires et des arguments pour et contre appropriés. Elle doit aussi évaluer ces contributions à un niveau d’explication qui soit approprié au problème correspondant – de sorte que les prises de position par oui ou par non sont motivées rationnellement (et interviennent donc d’une façon sensée, sans tromperie ni contrainte) et déterminent le résultat des décisions conformes à la procédure.
21Nous devons cependant tenir compte de ce que le processus démocratique traverse une multiplicité d’arènes ayant chaque fois d’autres fonctions et des arrangements communicationnels correspondants. C’est seulement eu égard à la division fonctionnelle du travail entre les arènes que l’on peut attendre du système politique dans son ensemble le fait qu’une formation discursive de l’opinion et de la volonté fonde l’hypothèse de résultats plus ou moins rationnels. Cette attente perd l’apparence d’une utopie excessive dès que nous apercevons les racines quotidiennes de la présupposition, admise aujourd’hui intuitivement, selon laquelle les personnes agissant de manière communicationnelle clarifient des attentes de validité controversées dans des arrangements communicationnels favorables, apprennent les unes des autres et peuvent résoudre des problèmes.
22Certes, les argumentations sont des formes de communication qui contiennent des attentes plutôt exigeantes. Elles résultent toutefois de la routine quotidienne qui consiste à donner et à accepter des raisons. Dans le cours de la pratique communicationnelle quotidienne, les acteurs se meuvent toujours déjà dans un « espace de raisons ». Dès qu’ils veulent s’entendre les uns les autres sur quelque chose, les intéressés ne peuvent pas vraiment faire autrement que d’élever pour leurs propos des prétentions réciproques à la validité. Par là, ils affirment implicitement que ce qu’ils disent de vrai, de juste ou de sincère peut être accepté dans chaque cas comme rationnel et que ce qui est dit, si cela est problématisé, peut être fondé rationnellement sous ces points de vue (Habermas, 2001 ; Habermas, 1993). De cette manière triviale, la référence à des discussions, à la concurrence du meilleur argument est déjà inscrite dans notre comportement routinier. Ainsi, les idées migrent dans la pratique quotidienne, en passant par des présuppositions inévitablement idéalisantes, et prennent ici discrètement la qualité de véritables faits sociaux (Habermas, 2006) [6].
23Les pratiques politiques ou les processus régulés juridiquement opèrent sous des présuppositions semblables. On peut montrer cela avec l’exemple du fameux voter’s paradox [paradoxe de l’électeur] (auquel je ne parviens pas à trouver quoi que ce soit de paradoxal). En général, les citoyens ne se laissent pas dissuader d’aller voter par les explications de l’observateur de science politique qui attirent l’attention sur la perte d’importance de leurs décisions de vote à cause des effets neutralisants du droit de vote ou de la répartition des circonscriptions électorales. Pour les citoyens, un vote démocratique a, en effet, la signification d’une entreprise exercée en commun qui ne fonctionne que sous la présupposition de justice, selon laquelle « toute voix compte » et pèse d’un poids égal dans la balance. Dans la position de participants à cette pratique, les citoyens ne se laissent pas déconcerter lorsqu’on leur assure le contraire depuis la perspective d’un observateur. C’est de la même manière que se comportent les plaignants qui, insensibles à ce que leur disent les professeurs de droit, et autres experts, sur l’indétermination des lois et l’incertitude de l’application du droit, mènent leurs procès pour « obtenir justice ». La pratique de la justice – comme les pratiques de l’État de droit en général – serait interrompue si les intéressés n’agissaient pas dans les faits sous la prémisse tacitement acceptée selon laquelle ils obtiennent une procédure équitable et un jugement rationnel.
24De telles présuppositions implicites, qui sont inévitablement liées à l’accomplissement de pratiques déterminées, ne doivent cependant pas être confondues avec des prédictions empiriques. Mais des pratiques comme « l’agir orienté vers l’entente », « aller voter », ou « porter plainte devant la justice » ne peuvent pas fonctionner si les participants ne leur attribuent pas de manière tacite un potentiel de truth tracking [recherche de vérité]. Des descriptions adéquates de sciences sociales doivent s’étendre aussi à ces suppositions contrefactuelles, par exemple aux standards qui sont considérés comme naturellement valides par les participants, ou bien présupposés comme « respectés » ou « remplis ». Le paradigme de recherche délibératif exige une méthodologie qui prenne en compte la teneur contrefactuelle de telles présuppositions. Ni l’individualisme méthodologique dont la théorie du choix rationnel se réclame, ni non plus la méthode herméneutique habituelle que les approches communautariennes appliquent, ne satisfont à ce paradigme. Bien plus, l’accès herméneutique aux pratiques partagées intersubjectivement doit être lié à la procédure de la reconstruction rationnelle d’un potentiel cognitif inhérent à ces pratiques.
25La reconstruction des présuppositions contrefactuelles émises implicitement fournit un critère objectif d’évaluation qui prend ses racines dans les pratiques observées elles-mêmes. Ainsi, les limitations normatives, auxquelles la formation démocratique de l’opinion et de la volonté est soumise – donc l’inclusion régulière des intéressés et la qualité discursive de la formation de l’opinion et de la volonté elle-même – sont, par exemple, déduites de la teneur contrefactuelle des présuppositions que les participants ont faites eux-mêmes quand ils tiennent pour légitimes les résultats d’une procédure démocratique, bien qu’ils ne soient pas d’accord avec eux. Parce que des présuppositions « acceptées comme données » ne sont pas la même chose que « des données » elles-mêmes, une différence reste observable entre des prétentions valides et des prétentions tenues pour valides, de sorte que c’est une question empirique que de savoir à partir de quand la différence perçue n’est plus acceptée comme « normale », mais passe un seuil au-delà duquel les participants se sentent aliénés à une pratique établie.
26(2) C’est bien entendu une question empirique que de savoir si l’on trouve des discussions rationnelles dans le domaine de la communication politique. J’aimerais justifier cela à l’aide d’exemples issus de la recherche sur les petits groupes. Ces études saisissent la communication politique comme un mécanisme d’amélioration de l’apprentissage et de la résolution de problèmes en coopération (Neblo, 2007) [7]. Michael A. Neblo a rendu opérationnelles des hypothèses fondamentales de la théorie de la discussion sous forme d’hypothèses empiriquement vérifiables, et il a examiné à l’aide de thèmes comme la justice fiscale, l’affirmative action [discrimination positive] ou encore « les homosexuels dans l’armée » la question de savoir si des processus d’apprentissage de la discussion pouvaient être favorisés dans des expériences de groupes [8].
27Les personnes testées ont d’abord été interrogées au sujet de leurs opinions sur ce thème de façon isolée ; cinq semaines plus tard, elles ont pris part à des discussions de groupe correspondant à ces thèmes, avec la demande de parvenir si possible à des décisions collectives ; après cinq nouvelles semaines, elles ont été de nouveau interrogées individuellement sur leurs opinions. Les résultats confirment plus ou moins les hypothèses concernant l’influence favorable de la participation à la discussion sur la formation d’opinions réfléchies. Les opinions, à la fin, se distinguent considérablement des opinions formulées au début. Les discussions de groupes ont conduit à une transformation dans le sens d’une uniformisation de l’opinion plutôt que d’une polarisation. Les participants ont ensuite présenté un état d’information amélioré ainsi qu’une perspective élargie dans l’ensemble, et ils ont eu à leur disposition une définition plus complète et précise du questionnement. Les arguments qui comptent indépendamment de la personne du locuteur ont bénéficié, à la fin, d’une priorité sur l’influence des relations interpersonnelles. Finalement, la confiance des interrogés dans le processus d’argumentation comme procédure de résolution de problèmes s’est également accrue.
28Lorsque nous classons sur une échelle les études en la matière – qui vont des recherches expérimentales jusqu’aux études de terrain –, les expérimentations célèbres de James Fishkin, avec ce qu’on appelle les « focus groups » [groupes de discussion thématique], sont les exemples qui viennent ensuite (Fishkin, 1995 ; Fishkin, Luskin, 2005). Des groupes de citoyens choisis pour leur représentativité sont priés d’exprimer leur suffrage sur une question politique controversée dans un processus informel de vote. Après une période d’étude des documents fournis, et de conversations informelles à leur sujet, fait suite un week-end où des petits groupes de discussion sont dirigés par des modérateurs formés. Tandis que les expériences de groupe de Neblo (ou pour mentionner un autre exemple, ces 160 électeurs de Colombie Britannique qui ont été informés pendant six week-ends sur les alternatives à une réforme du vote qui était à l’ordre du jour et devaient décider après des discussions détaillées [Blais, Carty, Fournier, 2008]) ont été engagées dans des processus de décisions collectifs, les sujets de l’expérience de Fishkin sont interrogés comme des électeurs : c’est, à la fin, l’opinion individuelle de tout un chacun qui compte.
29Bien que la motivation rationnelle des décisions n’ait été considérée ici que sous le point de vue de « l’examen des préférences », les discussions de groupes amènent les participants à s’informer de façon appropriée, à réfléchir à des arguments substantiels et à élargir l’horizon de leurs réflexions. Les effets mesurés tiennent de nouveau au gain de connaissance et au changement vers une uniformisation de l’opinion, de telle sorte que les différences peuvent être interprétées comme des effets d’apprentissage. Un gain cognitif supplémentaire réside dans la compréhension du nerf de la question – donc dans le fait de comprendre où le problème réside exactement en réalité. La meilleure compréhension des points de vue analytiques – l’amélioration des valeurs selon la single-peakedness [l’unimodalité] – conduit à clarifier des éléments en fonction desquels on peut prendre position pour ou contre une thèse ou une prétention à la validité.
30Les preuves empiriques de l’influence d’arguments sur la formation des préférences n’ont pas seulement conduit à une large discussion concernant les limites de l’approche en termes de rational choice [choix rationnel] (Johnson, 1993 ; Heath, 2001). Elles ont aussi donné l’occasion de rechercher les « framing effects » [effets de cadrage], c’est-à-dire les répercussions des perspectives d’interprétation sur la formation des préférences politiques. Ainsi, on a établi que les discussions donnent des impulsions à une comparaison réfléchie entre différents cadres d’interprétation se tenant en concurrence [9] ; par là, se révèle aussi l’effet que produit la force éclairante d’interprétations surprenantes. La rhétorique doit en effet son visage de Janus à la force d’un nouveau vocabulaire qui révèle le monde autant qu’à l’effet restrictif et manipulateur de métaphores suggestives et enflammées (Gronbeck, 2004).
31Les groupes de médiation formés d’experts (d’entreprises multinationales) et de contre-experts (d’organisations non gouvernementales), que le centre scientifique de Berlin a réunis sous la direction de Wolgang van den Daele, furent plus près de la réalité politique. Ces groupes de discussion devaient régler leurs conflits sur des thèmes mûrs pour la décision, par exemple sur les risques liés à l’implantation d’espèces de plantes génétiquement modifiées ou l’effet des brevets médicaux sur la lutte contre les épidémies qui s’abattent sur les régions de l’Afrique (van den Daele, 1994 ; van den Daele, 1996 ; van den Daele, Dörbert, Seiler, 2003). Dans ce cas, un modérateur actif devait veiller à un niveau déterminé de discussion en fixant des thèmes, en structurant le déroulement de la discussion, en insistant pour obtenir des élucidations et en faisant respecter les règles de l’argumentation. Bien que les positions contraires de chaque « camp » ne permettent aucun rapprochement quant aux intérêts et orientations en valeur sur lesquels ils sont fondés, la « force du meilleur argument » avait une influence remarquable. L’expérience a montré à nouveau des effets mesurables dans le gain d’informations, dans l’élucidation conceptuelle des points de vue controversés et la réduction du désaccord comme dans la disposition à apprendre de l’autre. On est tacitement revenu sur les fautes inavouées et les interprétations erronées et, au cours de la discussion, des partis pris dogmatiques sont passés à l’arrière-plan.
III – Discussion et communication de masse
32Ce type de recherches fournit un point d’ancrage empirique à l’hypothèse selon laquelle les discussions politiques possèdent bien un potentiel cognitif. Mais de telles enquêtes, eu égard au format des petits groupes, peuvent seulement donner des éclaircissements limités pour une exploitation pertinente d’un modèle délibératif de recherche portant sur les processus de légitimation – de différents niveaux et structurés de manière complexe – des sociétés nationales à grande échelle. Dans les sociétés nationales occidentales, sur lesquelles je vais me concentrer dans ce qui suit, nous observons une densification et une multiplication impressionnantes de la communication politique (van den Daele, Neidhardt, 1996). Cependant, dans le même temps, les espaces publics politiques sont envahis par une sorte de communication de masse passant par les médias qui ne se distingue nullement par des traits délibératifs.
33La différenciation fonctionnelle progressive des sous-systèmes sociaux, la diversité grandissante des intérêts du moment et le pluralisme dans les images du monde et les formes de vie culturelles expliquent la complexité croissante des matières ayant besoin de régulation, pour lesquelles la politique réclame de la compétence. Cette complexité exige un nombre croissant de conversations formelles et informelles, de discussions, de négociations et de compromis, de procédures de conciliation, etc., à tous les niveaux du processus politique. Il faut toujours plus de communication pour la coordination et l’ajustement des revendications conflictuelles à « l’entrée » du système politique, pour la formulation et la décision des programmes politiques à l’intérieur de ce système, et enfin pour leur implémentation à la « sortie » du système. Les élites politiques agissent sous la surveillance de médias attentifs et celle de leurs consommateurs méfiants, tandis que, pour leur part, elles suivent le développement de l’opinion publique et des sondages pour pouvoir y réagir. Le nombre croissant des messages, idées et images qui circulent éveille du moins l’impression que la politique est aujourd’hui toujours plus profondément impliquée dans les processus de la communication de masse, voire est absorbée et transformée par la communication de masse.
34L’impression d’une fluidification communicationnelle de la politique est liée à trois évolutions interdépendantes de l’ensemble de la société, ce qui a donné l’occasion aux sociologues de parler d’une société « de l’information », « du réseau », « des médias » (Duff, 1998). Il est question de l’émergence d’une économie de l’information, puis de la densification et de l’accélération mentionnées ci-dessus, des flux de communication en général et, enfin, de la révolution des technologies de communication.
35Les sociétés post-industrielles sont caractérisées par un déplacement des employés des secteurs industriels vers les secteurs de prestation de service. Suite aux transformations correspondantes dans le système d’éducation, le nombre de personnes bien éduquées qui peuvent absorber et assimiler des informations complexes s’accroît. Dans tous les secteurs de la société, la population est impliquée dans des flux de communication accélérés [10], bien que l’accès aux nouveaux médias et la capacité à manier l’afflux d’information soient répartis de façon encore très inégale entre pauvres et riches, entre hommes et femmes, entre gens plus ou moins bien éduqués [11]. Le plus frappant parmi ces tendances est la perpétuation des innovations technologiques, depuis le téléphone, en passant par la radio et la télévision, jusqu’au fax et à l’Internet. Ce processus de révolution des médias de transmission a conduit à une expansion et à une densification des réseaux de communication ainsi qu’à une différenciation plus poussée du public de masse (Castells, 2001).
36Ces confirmations phénoménologiques de la fluidification communicationnelle de la politique ne plaident toutefois pas encore pour un essor de la politique délibérative. Les formes d’expression rhétoriques et largement non discursives comme les narrations et les images, les expressions physionomiques et de langage surtout corporel, les confessions, les appels, etc., appartiennent de toute façon aux composantes de la communication politique. Dans la sorte de communication de masse qui passe par la presse et les médias électroniques, il manque toutefois surtout les limitations procédurales auxquelles sont soumis les débats en face à face dans les institutions politiques comme les tribunaux ou les commissions parlementaires. La communication de masse passant par les médias que nous connaissons dans les espaces publics nationaux n’a vraiment aucun besoin de satisfaire des exigences quant à la qualité de la discussion ni même quant à la représentativité. Il lui manque plutôt, en raison de sa structure, les caractères d’un débat discursif. Par comparaison avec une formation institutionnalisée de l’opinion et de la volonté, deux déficits en particulier sont déterminants : le manque d’interactions simples entre les personnes présentes (ou les destinataires virtuellement présents) qui participent à une pratique de décision collective ; et le manque de rôles réciproques de locuteur et de destinataire dans l’échange égalitaire des opinions et des prétentions à la validité. De plus, la dynamique de la communication de masse trahit des rapports de force qui tournent en dérision la présupposition d’un libre jeu des arguments : le pouvoir qu’ont les médias de sélectionner les messages et de décider de leur moment et de leur mode de présentation est l’un des caractères intrinsèques de la communication de masse ; de même, le fait que d’autres acteurs déploient leur pouvoir afin d’influencer l’agenda, le contenu et la présentation des thèmes publics, est un trait de l’espace public politique.
37Mais devons-nous absolument prendre pour un déficit le fait que la communication de masse dévie du modèle du débat discursif ? Compte tenu de la fonction que doit jouer l’espace public politique aux différents niveaux du processus de légitimation d’une démocratie entendue comme un État de droit, il n’est en aucun cas évident que la structure abstraite et asymétrique ou la dynamique pilotée par le pouvoir de la communication de masse doive être un désavantage. Avant d’en venir à la dynamique, je traite des deux caractéristiques structurelles de la communication de masse qui l’écartent de la forme de communication des discussions conduites en face à face.
38La structure spatiale abstraite de l’espace public peut être saisie comme un élargissement des espaces sociaux qui sont produits par des interactions simples entre personnes présentes. Les espaces publics nationaux s’incarnent dans des réseaux, circulent à travers les courants de communication « sauvages », c’est-à-dire qui se rencontrent de manière inorganisée dans l’ensemble. Ces réseaux véhiculent des messages de différentes sortes : des informations et des reportages, des opinions et des essais, des comptes rendus et des conversations modérées, des spectacles, des shows, des films, des images et des mises en scène, de courts programmes à caractère divertissant, didactique ou édifiant, des émissions d’information, d’opinion ou à teneur dramatique. Ces messages sont produits et présentés par les médias (ou par des institutions culturelles comme les théâtres, les musées, les bibliothèques, etc.), diffusés par des canaux locaux ou suprarégionaux, reçus et consommés par différentes sortes de lecteurs, d’auditeurs, de spectateurs et de visiteurs, assimilés par des groupes, des partis, des camps, des sous-cultures, etc., intéressés, et accompagnés de commentaires.
39Les espaces publics politiques propagent un brouhaha babylonien ; mais ils ne font pas que disséminer des contenus ; ils ont en même temps une force centripète. Ils condensent « les opinions publiques » à partir des courants de messages politiques. Ces opinions se laissent saisir comme les synthèses d’innombrables prises de position thématiques et spécifiques d’un large public de masse, à propos de contributions et problèmes publics plus ou moins bien définis. Ce n’est donc pas que la communication de masse soit insensible aux échos provenant du grand public ; sinon l’espace public ne pourrait jouer le rôle de caisse de résonance pour les problèmes de la société dans son ensemble, rôle qu’il doit assumer si l’on suit le modèle délibératif (Habermas, 1997, p. 386-414). Mais la communication de masse est « abstraite » dans la mesure où elle ne tient pas compte de la présence physique des récepteurs plus ou moins passifs et ignore l’immédiateté des regards et des gestes concrets, des pensées et des réactions des personnes présentes et des destinataires.
40La communication de masse ne se prête pas au jeu des questions et réponses, à l’échange d’affirmations et de négations, d’assertions et de contradictions entre les personnes présentes. Elle semble n’avoir pas de point commun avec les simples interactions qui mettent les participants en relation les uns avec les autres, au sujet des finalités de leur action et de leur communication. La communication de masse ressemble plutôt à un réseau de transactions dont le prix est régulé entre les demandeurs et les fournisseurs. Tandis que les discussions, au cours desquelles se constituent l’opinion et la volonté politiques, ont pour but de trouver des solutions légitimes à des problèmes controversés, les puissants courants de communication qui circulent à travers l’espace public politique semblent être détachés des processus collectifs d’apprentissage et de décision. Découplés des simples interactions, les contenus sémantiques commencent à flotter librement au-delà de la force impérative des prétentions à la validité élevées réciproquement. Aussitôt que les opinions dégénèrent en simples opinions, l’exhortation à une prise de position manque également.
41Mais ce n’est pas seulement le caractère abstrait de l’espace public, mais aussi la structure asymétrique de la communication de masse qui fait des participants à la discussion – qui doivent se poser des questions et émettre des objections – des spectateurs, plus ou moins passifs, et des consommateurs [12]. Tandis que les discussions exigent la permutation de rôles entre locuteurs et destinataires, on se représente au mieux la communication de masse dans l’espace public par analogie avec une scène qui n’autorise pas un échange de rôles entre le petit nombre d’acteurs et un public spectateur silencieux. Certes, les acteurs jouent pour le public, mais celui-ci a seulement la possibilité, à la fin d’un acte ou d’une représentation, d’applaudir globalement ou de réagir négativement – they can’t talk back [ils ne peuvent répondre]. Cette structure « asymétrique » s’incarne dans les deux types de comédiens qui sont constitutifs de la scène de l’espace public politique – d’un côté, les intellectuels médiatiques, en particulier les journalistes, qui s’occupent des nouvelles, des commentaires et des reportages ; de l’autre, les politiciens issus du milieu du système politique, qui interviennent en même temps comme consommateurs et comme co-auteurs des opinions publiques.
42Sans ces acteurs, il ne pourrait y avoir un espace public politique dans les sociétés nationales. Ils ne discutent pas les uns avec les autres, mais visent à former l’opinion d’un public anonyme sans avoir de leur côté à se justifier devant lui (van den Daele, 1996, p. 18 sqq.). Les premiers n’en ont pas besoin parce qu’ils utilisent les médias et exercent donc une profession spécialisée : ils ne s’exposent à la critique publique que dans le cas exceptionnel d’une défaillance professionnelle. Les seconds peuvent s’adapter toujours plus largement à un rapport populiste et plébiscitaire envers leurs électeurs potentiels, dans la mesure où une politique très professionnalisée se médiatise.
43Le Web semble cependant, avec la communication par Internet, rééquilibrer les faiblesses du caractère anonyme et asymétrique de la communication de masse, en ce qu’il permet la réintroduction des éléments interactifs et délibératifs dans un échange non réglementé entre les partenaires qui communiquent les uns avec les autres de façon virtuelle, mais au même niveau. En effet, l’Internet a non seulement produit des surfers curieux, mais il a également ranimé la figure historique disparue d’un public égalitaire d’interlocuteurs qui lisent et écrivent et de correspondants épistolaires. D’un autre côté, la communication passant par l’ordinateur ne peut prétendre à des mérites démocratiques univoques que dans un certain contexte : elle mine la censure des régimes autoritaires qui essaient de contrôler et de réprimer les opinions publiques spontanées. Dans le contexte des régimes libéraux, une autre tendance prédomine toutefois.
44Dans ce contexte-ci, l’émergence de millions de chat rooms [tchats] disséminés partout dans le monde et de issue publics [groupes réunis autour d’une question] mis en réseau dans le monde favorise plutôt la fragmentation de ces grands publics de masse, pourtant centrés en même temps sur les mêmes questionnements dans les espaces publics politiques. Ce public se divise dans l’espace virtuel en un nombre énorme de groupes fragmentés formés au hasard, tenus ensemble par des intérêts spéciaux. De cette manière, les espaces publics nationaux existants semblent plutôt être progressivement minés. Le Web fournit le hardware [matériel] déspatialisant d’une communication plus dense et plus rapide, mais de lui-même il ne peut rien opposer à la tendance centrifuge. Pour l’heure, les équivalents fonctionnels des structures de l’espace public qui recueillent à nouveau, sélectionnent et synthétisent dans une forme rédigée les messages décentralisés, manquent dans l’espace virtuel. Dans les espaces publics nationaux, la communication politique ne semble alors pouvoir que provisoirement tirer profit des débats en ligne, lorsque des groupes actifs sur le Web se rapportent à des processus réels comme par exemple des campagnes électorales ou des controverses en cours, afin de mobiliser l’intérêt et le soutien des supporters (Bieber, 1999) [13]. Les groupes de soutien liés aux partis, ou ces news groups [forums de discussion] qui se cristallisent autour d’organes de presse particuliers et de leurs publications, sont un exemple de cet ancrage de la communication, entretenue par les ordinateurs, dans les processus extérieurs au monde virtuel [14].
45La référence à l’Internet ne peut pas lever le doute que l’on a de prime abord sur la contribution potentielle de la communication de masse à l’avancement de la politique délibérative. Nous devons bien plutôt vérifier la présupposition sur laquelle repose ce diagnostic pessimiste. Il n’est en aucun cas évident, en effet, que la communication de masse qui passe par les médias, si elle doit favoriser la délibération politique, doive ressembler au modèle exigeant de communication propre aux discussions.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Traduction réalisée avec le soutien du laboratoire Costech de l’Université de Technologie de Compiègne. J’ai présenté une version courte de ce texte à la cérémonie d’ouverture du congrès mondial de l’International Communication Association à Dresde en juin 2006. [N.d.T. : Texte original : Jürgen Habermas, « Hat die Demokratie noch eine epistemische Dimension? Empirische Forschung und normative Theorie » in Ach, Europa. Kleine politische Schriften XI, Francfort s/M., Suhrkamp, 2008, p. 138-191 ; version anglaise courte : « Does Democracy still Enjoy an Epistemic Dimension? The Impact of Normative Theory on Empirical Research », in Communication Theory, 16 (4), nov. 2006, p. 411-426.]
-
[2]
N.d.T. : Les expressions en anglais dans le texte original sont traduites entre crochets.
-
[3]
« Lazarsfeld et ses collègues en conclurent que c’est une bonne chose pour la démocratie que les gens puissent repousser l’influence des médias, et ils voulaient dire par là que la foule pourrait être moins solitaire et moins vulnérable que ce que les théoriciens de la société de masse nous avaient conduits à croire » (Katz, 1989). Sur la critique et la métacritique du paradigme dominant, voir Gitlin (1978), Tuchman (1988).
-
[4]
Voir par exemple la critique d’Antony MacGann (2006).
-
[5]
En suivant cette perspective, Bernhard Peters a, ces quinze dernières années, détaillé et vérifié empiriquement un modèle théorique développé dans sa thèse d’habilitation (Peters, 1993). Voir surtout l’essai intitulé « Die Integration moderner Gesellschaften et Leistungsfähigkeiten heutiger Öffentlichkeiten – einige theoretische Kontroversen » (p. 55-102), en particulier p. 187-202.
-
[6]
Les contenus normatifs d’une « raison détranscendantalisée » incarnée dans des pratiques sociales quotidiennes produisent à l’intérieur de la réalité sociale elle-même une tension que l’observateur-sociologue peut reconstruire rationnellement ; sur ce point, voir Michael Neblo (2005). Cette conception ne doit pas être confondue avec la distinction de John Rawls entre « théorie idéale » et « non idéale ».
-
[7]
Voir Kevin M. Esterling, Michael A. Neblo, David M. J. Lazer, Means, Motive & Opportunity in Becoming Informed about Politics : A Deliberative Field Experiment (PNG Working Paper N° PNG07-006, en ligne : http://www.ksg.harvard.edu/netgov/files/png_workingpaper_series/PNG07-006.pdf (accès en novembre 2007).
-
[8]
Michael A. Neblo, « Change for the Better ? Linking the Mechanisms of Deliberative Opinion Change to Normative Theory », in Common Voices : The Problems and Promise of a Deliberative Democracy (à paraître), en ligne comme document de travail : http://polisci.osu.edu/faculty/mneblo/papers/ChangeC4.pdf (accès en novembre 2007).
-
[9]
« Les individus qui engagent la conversation avec un groupe hétérogène seront moins susceptibles d’effets de cadrage que ceux qui n’engagent pas de conversation » (Druckman, 2004, p. 675).
-
[10]
Sur la quantification et la mesure des flux d’information, voir Duff, Shakai (2000).
-
[11]
Sur ce qu’on appelle la « fracture numérique » entre les êtres humains qui font un usage fortement différencié de l’Internet, voir Berdal (2004, p. 51-56).
-
[12]
Je suis ici l’analyse de Bernhard Peters (2007, p. 103-186).
-
[13]
Bieber, 1999 ; cf. les contributions de la troisième section du volume édité par Andrew Feenberg et Darin Barney (Feenber, Barney, 2004, p. 183 sqq.). Pour une analyse comparative de l’organisation et de l’infrastructure des forums sur Internet du Spiegel, du quotidien anglais The Guardian et du suédois Aftenposten, voir Berdal (2004).
-
[14]
À l’appui de la fonction critique de cette forme de communication en ligne parasitaire, on trouve le cas d’une facture de 2088 euros que le directeur de bildblog.de a envoyé au rédacteur responsable de bild.de pour « prestation de services » : les bloggeurs faisaient valoir qu’ils avaient amélioré la qualité du Bild par des propositions de corrections et des commentaires utiles (voir par exemple sur ce point la contribution « Medienwächter als Dienstleister » qui est parue le 2 mai 2006 dans l’édition en ligne de la Süddeutsche Zeitung, qu’on trouve sur l’Internet : http://www.sueddeutsche.de/,cm2/computer/artikel/898/74824 (accès en novembre 2007).