Couverture de PARTI_004

Article de revue

Les assemblées de desocupados dans la périphérie sud de Buenos Aires

Les ancrages du politique dans la vie quotidienne

Pages 103 à 127

Notes

  • [1]
    Je voudrais remercier les éditeurs de ce numéro Marion Carrel, Daniel Cefaï et Julien Talpin pour leurs remarques et suggestions ainsi que les commentaires des trois évaluateurs anonymes. Mes remerciements vont également aux habitants des quartiers populaires qui m’ont permis de partager leur quotidien.
  • [2]
    Certaines dénominations sont ici maintenues en espagnol, notamment celle de piquetero, qui rappelle le piquet de grève et celle de desocupado, que l’on ne peut pas traduire par chômeur : il ne s’agit pas d’une catégorie juridique, donnant accès à certains droits sociaux, mais d’un statut social, qui recouvre, de fait, différentes activités de débrouille et de recherche d’emploi (vente ambulante, maçonnerie, aide-ménagère, garde d’enfants…).
  • [3]
    L’enquête ethnographique a été menée entre juillet 2003 et août 2007, au cours de sept séjours de six à huit semaines. Elle était centrée sur la participation civique et politique, dans le registre institutionnel et procédural, mais aussi et surtout dans la vie quotidienne.
  • [4]
    Plusieurs programmes sociaux, créés avec le soutien des organismes internationaux (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement), ont en effet fait de la participation de la société civile une condition sine qua non au déblocage des fonds de prêts utilisés pour les financements. L’État doit assurer une contrepartie. Les prêts sont conditionnés à la réalisation des réformes structurales sur les formes d’intervention de l’État et les allocations à la mobilisation des bénéficiaires dans des Programmes de travail temporaire (PTT).
  • [5]
    D’un montant de 150 pesos en 1996, soit 150 dollars, ces allocations sont tombées à l’équivalent de 50 dollars après la dévaluation en 2002 et, et n’ont pas été réévaluées en 2004, à la différence du SMIC, renégocié à 400 pesos. Toute activité déclarée déclenche automatiquement la perte de l’allocation.
  • [6]
    Créé en 2002, le réseau de La Verón réunit différents MTD, les premiers étant regroupés au sud de la ville de Buenos Aires. Chaque MTD a sa propre assemblée. Celle-ci décide, notamment, de l’appartenance ou non au réseau. L’assemblée générale décrite ici convoquait l’ensemble du réseau. Plusieurs centaines de personnes y étaient présentes.
  • [7]
    Un livre, rédigé, ratifié et signé collectivement par des membres du MTD, rassemble des témoignages des militants sur les événements du 26 juin 2002 où deux jeunes ont été tués par la police à Avellaneda, frontière sud de la ville de Buenos Aires. La participation a ici pris la forme d’une enquête collective, au sens de J. Dewey (1927), sur la répression et sur les responsabilités de l’État.
  • [8]
    La mesa, littéralement table, est un espace de coordination des différentes organisations qui participent au réseau La Verón. Sa composition a varié au cours de notre enquête, notamment en raison de désaccords et de divisions. Comme Julia, les délégués qui y participent sont souvent des membres qui font partie de leur quartier depuis la création du MTD et ont acquis une expérience militante de longue date.
  • [9]
    À partir de la déclaration de l’état d’urgence alimentaire nationale, en 2002, la distribution d’aliments de base par le gouvernement national, avec la médiation du gouvernement local, est devenue plus régulière. Mais le contenu varie en fonction du district concerné. Les colis peuvent être distribués aux familles ou affectés au fonctionnement des cantines. La ration par personne est variable. Chaque mois, les conversations vont bon train autour de « qu’est-ce qui vient ? ». À titre d’exemple, en 2005, la ration par personne dans un de ces colis était de 5 kg de farine, 4 kg de polenta, 2,6 kg de lait en poudre, 2 kg de riz, 1,5 kg de lentilles, 1 kg de nouilles, 1 kg de semoule, 4 kg d’herbe à maté, 3 pâtés (240 gr), 2 portions de viande (400 gr), 3 pots de confiture et 1 litre d’huile.
  • [10]
    Ces critères concernent l’accès à l’allocation, la présence aux lieux de travail et aux manifestations publiques et la cotisation (pour ceux qui reçoivent l’allocation).
  • [11]
    Ces changements unilatéraux ne sont pas subis seulement par les organisations de desocupados. D’Amico (2009) rapporte, à propos du fonctionnement des programmes copas de leche (verres de lait), gérés par des « organisations des quartiers », que les colis alimentaires distribués aux familles par la délégation municipale peuvent être modifiés, et donc réduits, sans que les allocataires soient prévenus.
  • [12]
    C’est le campement auquel fait référence Lucas dans le passage de son discours cité précédemment.
  • [13]
    Le mouvement des desocupados n’est pas le seul à manifester cette « contradiction ». Feijoo et Nari (1995) soulignent les difficultés du mouvement des droits de l’homme, notamment des Madres de plaza de Mayo, à surmonter cette tension. Lavrin (1995) attire l’attention sur la tension au sein du régime péroniste sur la reconnaissance de droits politiques à la femme et Lobato (1997) montre que le terme de « nécessité » mis en avant pour justifier le travail féminin à Berisso en faisait une exception.
  • [14]
    « Vecinos », en espagnol, est une catégorie sans équivalent en français, qui connote à la fois les « proches » et les « citoyens ».
  • [15]
    Certains témoignages invoquent la proximité des fêtes de fin d’année pour expliquer les événements de décembre 2001 et la participation aux saccages survenus à cette occasion.
  • [16]
    Un puntero est un opérateur local des partis politiques traditionnels. Ce terme péjoratif désigne surtout des activités en rapport avec une clientèle politique. Le terme « punteros piqueteros » évoque ici des organisations de desocupados qui reproduiraient ce type de relation.
  • [17]
    Dans le Clarín du 20 août 2005, le président Kirchner assimile les mobilisations à des « extorsions » et accuse les organisations de « faire de la provocation ». Il refuse de recevoir les dirigeants du mouvement.
  • [18]
    Manzano (2009) analyse les piquetes du district de La Matanza en 2000. Elle souligne le sentiment de « victoire » résultant de la possibilité d’avoir pu entamer les négociations sans dissolution du piquete.
  • [19]
    D’après Julia – déléguée membre de la mesa de La Verón –le désaccord avec ces groupes a pour origine les consignes de sécurité qui avaient été données pendant les piquetes, interdisant de boire une bière ou de fumer un joint. Les consignes de sécurité diffèrent selon les réseaux. À La Verón, leur consommation est interdite pendant les manifestations et dans les ateliers de travail. Les membres sont incités à dormir et à ménager leurs forces. Dans d’autres organisations, leur consommation est interdite uniquement pour ceux qui exécutent des tâches de sécurité. Les problèmes de prise d’alcool et de drogues sont pourtant bien présents dans les quartiers populaires et concernent tous les réseaux sans exception.
  • [20]
    Il s’agit de Clara, avec qui je ferai connaissance plus tard. Elle a cinq enfants dont un membre du MTD. Elle habite avec son mari, trois enfants, sa mère et son frère célibataire. Elle a travaillé avant de se marier et n’a pas d’expérience militante. Elle a obtenu sa première allocation par la mairie et, après l’avoir perdue, elle s’est inscrite dans plusieurs groupes de desocupados. Le MTD est le premier à avoir répondu à sa demande.
  • [21]
    C’est à travers les termes de « changement de quartier » ou de « changement de projet » que cela est exprimé. Il ne s’agit pas d’un déménagement mais, plus précisément, d’un changement de lieu de réalisation de l’activité de contrepartie.
  • [22]
    Piattoni (2001, p. 11) souligne, à partir de considérations stratégiques, que l’accord avec la clientèle (clientelistic deal) ne sera pas forcément honoré. La nature de ces rapports serait obscurcie par leur réduction à une relation affective entre les deux membres du binôme. Plus précisément, les valeurs et normes pourraient être soumises à de multiples interprétations et ne seraient pas en mesure de prescrire un seul et unique cours d’action (p. 207).
  • [23]
    Le terme de « squatteur » fait ironiquement référence aux circonstances dans lesquelles le président Eduardo Duhalde a été nommé par l’Assemblée nationale au lieu d’être élu au suffrage universel. « Respuesta a ese que ocupa la casa rosada », Movimiento de Trabajadores Desocupados (MTD) Aníbal Verón, janvier 2003, communiqué de presse http://argentina.indymedia.org/news, consulté en février 2003.

1Dans les années 1990 [1], se sont constituées en Argentine des organisations de travailleurs desocupados auxquelles la presse a donné le nom de piqueteros[2]. Le blocage des routes, leur principale forme de mobilisation, leur a assuré une visibilité internationale. Petit à petit, les desocupados ont cessé de recourir massivement à ces dramaturgies publiques, sans perdre leur nom de piqueteros. Ils se voient désormais comme un « mouvement social » de travailleurs, en dépit de l’absence de travail, et forment des collectifs, notamment le Movimiento de trabajadores desocupados (MTD : « Mouvement de travailleurs sans emploi ») [3].

2Une des réponses du gouvernement au processus de mobilisation a été la distribution d’allocations dans le cadre de « Programmes de travail temporaire » (PTT), dispositif d’activation de la population. Les demandeurs s’inscrivent au sein de différentes institutions et fournissent ainsi la contrepartie d’une activité de vingt heures par semaine. La mairie, des ONG et, à partir de négociations avec le gouvernement national, les organisations des piqueteros peuvent proposer de telles opportunités d’activités, qui doivent relever de l’intérêt général [4]. El plan, dénomination la plus courante pour désigner les différentes sortes d’allocations, est distribué par le gouvernement national auprès des demandeurs. Revenu de subsistance pour des personnes temporairement ou durablement sans emploi, il joue également un rôle de monnaie d’échange afin de réduire les mobilisations [5]. Le spectre des activités de contrepartie possibles est défini par le gouvernement national, mais ces prescriptions sont contournées par les organisations de piqueteros. Au lieu des vingt heures d’activité par semaine, la contrepartie est réduite à une présence plus faible d’environ dix heures, mais une obligation de participation à l’organisation, aux mobilisations et aux assemblées est imposée.

3Les mobilisations qui ont caractérisé les années 2000 ont souvent été analysées comme un changement radical de la participation populaire. En parallèle, les nouvelles politiques sociales (Programme de travail temporaire, entre autres) ont été associées au clientélisme – une catégorisation polysémique d’un point de vue ethnographique. L’enquête rapprochée permet de rendre compte des pratiques de participation dont la transformation est en cours et dont les membres se présentent comme des vecinos, travailleurs, compañeros, porte-parole ou même dirigeants, mais jamais comme des clients ou des usagers. Pour saisir les formes d’expérience du politique à l’œuvre dans ce mouvement, il est nécessaire de rendre compte des appuis de l’action collective, de l’organisation interne de ces groupes, des interactions entre les membres et les non-membres, plus ou moins proches. La manière de résoudre les tensions qui se font jour au sein de l’organisation permet de mieux comprendre l’engagement des membres dans la durée.

4Dans un contexte de crise de la représentation politique, plusieurs groupes de piqueteros ont recours au fonctionnement par assemblée. Cette forme d’organisation peut être considérée comme un signe de proximité avec les organisations des droits de l’homme, comme celle des mères de la place de mai, souvent prises comme modèle. Elle est adoptée également par les travailleurs des usines réappropriées (Quijoux, 2011) ou dans les assemblées de la ville de Buenos Aires qui se sont multipliées après la crise de 2001 (Di Marco, 2010). Considérer cette forme d’organisation comme a priori vertueuse ne permet pas d’en questionner les limites (Bloj, 2004). L’ethnographie déplace le regard de la prise de décisions dans les assemblées générales vers les modalités du vivre ensemble, de faire collectif, de définir des biens communs et d’exercer le droit et la justice, qui ont autant cours sur la scène publique que dans les coulisses.

5Nos descriptions réévaluent ainsi le sens de la participation, en se démarquant des interprétations en termes de délibération rationnelle et d’échange clientéliste. En quoi les différentes formes d’engagement des membres du MTD dans les quartiers de Berazategui, au sud de Buenos Aires, ont-elles un sens politique ? Quels répertoires de savoir-faire, divisions du travail et formes de coordination ont-ils inventés et comment les mettent-ils en œuvre pour administrer la vie du quartier ? En quels lieux leur participation se réalise-t-elle – non seulement dans des assemblées formelles, mais aussi dans des ateliers de travail autogérés (couture, cantine, boulangerie, potager) ? Comment composent-ils avec les contraintes des politiques sociales et transforment-ils la contrepartie de l’attribution des allocations imposée par l’État, en modalité d’un agir-ensemble ? Quelles dimensions d’expérience, relevant de l’amitié personnelle, de la solidarité familiale ou de l’autorité politique, se recroisent dans leurs interactions publiques ? Et comment les actions des desocupados sont-elles perçues et accueillies par les non-membres ou par les vecinos, à la fois tiers et proches ? C’est autour de l’enjeu de la distribution des colis alimentaires que nous allons essayer de répondre à ces questions.

Le retard des colis : rumeur, confiance et autorité politique

6L’assemblée générale, tenue par les MTD en association au sein du réseau de La Verón [6], réunissant les membres de la totalité des districts, convoque plus de mille personnes. Lorsque se rapprochent les dates et les événements considérés comme importants par les organisations de desocupados, les processus de mobilisation collective et de mise en scène de leur organisation s’accentuent. C’est ce qui peut être observé au cours du mois de juin 2005, à l’occasion de la date anniversaire des victimes du Masacre de Avellaneda[7]. L’assemblée se tient à côté de la gare sur un terrain désaffecté de l’entreprise des chemins de fer. Lucas, le dirigeant, qui prendra la parole tout au long de l’assemblée, est entouré des quelques délégués et membres de la mesa[8], au milieu du terrain. Je suis accueillie par son épouse, également militante de l’organisation, qui vient à ma rencontre tout en rappelant à son mari de surveiller leurs enfants – ceux-ci jouent non loin de là. Elle m’accompagne auprès de Julia, déléguée du MTD de Berazategui qui m’a invitée à venir. Nous passons à travers plusieurs groupes, les délégués la saluent, certains viennent lui rapporter des problèmes qui sont survenus à propos de la livraison de la mercadería – les colis alimentaires – ou de l’approbation du versement d’une allocation. Ces interpellations en coulisses seront évoquées lors de l’assemblée, bien qu’elles n’étaient pas à « l’ordre du jour ». Quand nous rencontrons Julia, quelques dizaines des mètres plus loin, en compagnie de membres de Berazategui, ma guide prend congé en me disant : « Je te laisse entre de bonnes mains » – une marque de confiance. Lucas, arrivé dans une vieille voiture, installe des haut-parleurs et un microphone sur un muret, improvisé en tribune. Tout le monde est là pour assister à l’assemblée, mais personne ne s’approche de l’estrade. À plusieurs reprises, Lucas interpelle les assistants. Également pressés par les délégués, ceux-ci finissent par se regrouper autour de la tribune et faire taire leurs conversations pour laisser place à l’« assemblée ».

7Lucas commence par énumérer les quelques nouvelles. Un des délégués lui souffle un sujet qu’il semble avoir oublié, la question des colis alimentaires [9]. Les tensions sont récurrentes à propos de la distribution de nourriture. La confiance envers les dirigeants est toujours soumise à examen. Bien que Lucas annonce qu’il s’agit d’une parenthèse et que là n’est pas le sujet à traiter, il commence par évoquer ce point :

8

Les problèmes de colis, vous en avez discuté avec les délégués, mais nous n’avons pas fait de rapport lors de l’assemblée. […] Depuis le mois de janvier, le gouvernement provincial nous doit une partie importante de la livraison. Nous l’avons remplacé pendant un temps avec notre stock. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons discuté avec le gouvernement provincial pour que la prochaine distribution puisse se faire avec des colis plus complets. Mais la différence [dans le contenu des colis] ne répond à aucun critère, tout le monde a reçu la même chose. Si nous avons distribué moins, c’est simplement qu’il y avait moins… Nous nous sommes arrangés pour que la prochaine fois, la situation soit normalisée, mais cela dépend de la quantité envoyée par le gouvernement. Nous sommes d’accord sur ce point, compañeros ?
[Quelqu’un dans l’assemblée pose une question, inaudible. Lucas reprend :] Non ! Nous n’allons pas suspendre le repas du dimanche. Pour ça, les réserves sont suffisantes, ne vous en faites pas !
Ça, c’était le point par rapport au gouvernement provincial et national. À présent, il y a des nouvelles concernant le gouvernement municipal. Vous savez que nous avons entrepris des démarches concernant la qualité des repas des cantines. Vous savez qu’après une longue période, nous avons réussi à livrer de la viande dans les cantines, des fruits et des légumes. Et tous ceux qui se sont inscrits et ont apporté la consigne, il y a une bonbonne de gaz [pour eux]. Alors c’est une bonne et une mauvaise nouvelle, compañeros. C’est-à-dire que cela compte également, nous sommes en train de renforcer comme il le faut les cantines. Je voulais faire le point sur cela car le compañero m’en a parlé. Il paraît que des rumeurs circulaient dans les quartiers, je voulais que ce soit clair, et que vous soyez bien informés. Sûrement que les délégués vous en ont déjà parlé mais, ici, on préfère vous le redire. Y a-t-il des doutes là-dessus ?…
(3 juin 2005, assemblée de La Verón à Florencio Varela)

9Ce long détour, avant de discuter des « vrais » thèmes de l’ordre du jour, n’est pas anodin. Il s’agit de rétablir la confiance préalable à toute participation au débat politique (Cottereau, 1992). La moindre qualité des colis distribués pose problème. Elle doit être expliquée aux membres. Elle serait due au désinvestissement des autorités. Elle est compensée par une certaine capacité de stockage et de prévision qui assure qu’un colis sera malgré tout distribué à chacun, quoique en qualité et en quantité inférieures aux attentes. Les rumeurs interviennent ainsi dans la constitution de l’ordre du jour de l’assemblée et sont prises en compte par les organisateurs à travers des procédures non institutionnalisées. Le dirigeant se doit de dissiper les doutes. Il se pose comme une autorité politique qui donne la version officielle des informations, afin de déjouer les rumeurs qui circulent (Shibutani, 1966). Le récit du dirigeant, repris par la suite par les commentaires (« Lucas a dit », « lors de l’assemblée, on a dit »…), vaut comme ratification ou rectification des conversations échangées avec les délégués par le dirigeant lui-même. Son crédit fonde le rétablissement de la réalité des faits. Mais Lucas attribue sa fonction privilégiée de produire une vérité, de manière récurrente, aux discours des délégués et aux discussions des assemblées qui ont précédé. C’est grâce à eux, dit-il, qu’il est en mesure de délivrer les informations nécessaires, susceptibles d’apaiser les rumeurs. Il réassigne ainsi la source de son autorité et de sa légitimité à ses représentés. Il rappelle les informations qui ont déjà été communiquées (vous savez…) lors des assemblées précédentes et de ce fait, réaffirme l’importance des espaces de décision de l’organisation, y compris l’assemblée.

10Lucas explicite le mode de résolution du problème : recourir au stock commun de biens alimentaires et en répartir les « mêmes quantités », en fonction des critères établis par le groupe [10], entre tous les quartiers. Il énonce et renforce, de ce fait, les règles sur lesquelles le collectif s’est accordé concernant le fonctionnement de la distribution des ressources à l’intérieur du groupe. La nature des biens distribués n’est pas la seule en question, leur mode de distribution l’est également. Lucas réaffirme le respect des règles adoptées par les membres de l’organisation, et justifie la diminution des rations distribuées par des contraintes externes : le gouvernement provincial n’a pas respecté ses engagements [11]. Du coup, les délégués sont disculpés de toute responsabilité. La confiance, demandée, donnée et reçue, est mise à l’épreuve de façon permanente.

11Le dirigeant se doit d’informer les participants à l’assemblée et de réaffirmer ce qui a déjà été expliqué par les délégués. Participer, dans ce cas, ce n’est pas s’inscrire dans un schéma d’obéissance aveugle, ce n’est pas agir collectivement sans aucune médiation, c’est entrer dans un certain type d’interaction entre représentants et représentés. La rumeur est elle aussi une forme de participation. Elle rend publiques des inquiétudes et des attentes du collectif – à travers elle, le collectif se fait public (Cefaï, 2007, p. 731). Anonyme et impalpable, les dirigeants auraient pu choisir de l’ignorer. Ils se seraient trompés sur le traitement à lui accorder, en ne la prenant pas au sérieux. Le régime de confiance réciproque entre les participants à l’assemblée et leurs délégués en dépend. Ces derniers, porteurs de mauvaises nouvelles, courent toujours le risque d’être considérés comme les responsables des dysfonctionnements. C’est là un autre registre de circulation de la parole que l’opinion publique ou le débat rationnel.

12Lucas écarte l’hypothèse d’une décision arbitraire des délégués ou des dirigeants, sans consultation, et il attribue au problème une cause plausible, le désengagement des autorités. L’assemblée devient un lieu d’information fiable, de respect des promesses et des accords, par opposition aux décisions unilatérales prises par les autorités. C’est non seulement l’honnêteté des dirigeants qui est en jeu, mais aussi leur compétence. Ils répondent au trouble par une réponse conséquente, le remplacement des produits manquants par d’autres puisés dans les stocks ; et ils dialoguent par ailleurs avec les pouvoirs institutionnels pour rétablir l’approvisionnement des colis. L’élucidation des rumeurs face à l’assemblée est une façon de rendre publiques les modes de délibération et de décision des délégués et des dirigeants et de les soumettre à la discussion et à l’approbation de l’assemblée.

13La dynamique des assemblées générales exprime les préoccupations de membres pour une bonne alimentation et elle les articule avec une exigence de respect des engagements des autorités, de justice distributive et de responsabilité réciproque. Pour Nina Eliasoph (2010), toute conversation peut devenir politique, animée par l’esprit public, en fonction de la manière de traiter les sujets. Si les membres disent adhérer aux organisations par « nécessité », la façon dont ils exigent des représentants qu’ils rendent des comptes et dont ils traitent les critères de redistribution des colis définit la situation comme politique. Avant de refermer la parenthèse ouverte par Lucas, attardons-nous sur la manière dont ces enjeux sont perçus localement par les membres et leurs proches qui n’en sont pas membres.

La participation des femmes aux yeux de leurs proches

14La participation majoritaire des femmes est une caractéristique que l’on relève dans toutes les organisations de desocupados (Svampa, Pereyra, 2004 ; Di Marco, 2007). Les entretiens sur les motivations des femmes à rejoindre le MTD ont montré que celles-ci demeurent attachées à l’espace domestique et estiment que le travail, à l’extérieur du foyer, est légitime dans la mesure où celui-ci ne les conduit pas à délaisser le foyer. Une adhésion au sens commun que nos observations permettent de nuancer.

15Nous rencontrons Graciela au cours d’un campement, en hiver, sous la route d’accès sud à la ville de Buenos Aires [12]. L’accès à la ville reste bloqué pendant vingt-quatre heures et le campement est entouré par les voitures de police. La distance entre le campement et la ligne du piquete est de plusieurs centaines de mètres. Des pneus posés sur l’asphalte délimitent l’espace, mais ils ne sont pas systématiquement incendiés. Les effectifs policiers sont à plus de cent mètres de cette ligne. De ce fait, leurs voitures ne se risquent pas à proximité du campement. Seuls les habitants et les commerçants locaux entrent en contact direct avec les manifestants. L’organisation développe une politique de rapprochement avec eux, assurant l’interface pour réduire les nuisances, notamment pour limiter la prise d’alcool dans les campements, installer des toilettes et nettoyer les lieux.

16Le campement est devenu un rassemblement rituel, toutes les nuits du 25 au 26 juin, depuis 2002, en préalable aux manifestations de commémoration de la mort de deux militants. La mobilisation à cette date du calendrier se maintient par-delà les changements d’alliances entre groupes ou avec les différents gouvernements. Même en 2009, lorsque les manifestations ont diminué fortement, les organisations de desocupados ont réuni près de 7000 personnes sur le Pont Pueyrredon. Dans cette situation où se côtoient revendications politiques (de « justice », d’augmentations) et pratiques de camaraderie (repas collectifs et palabres autour d’un maté), Graciela est entourée de sa fille et ses camarades. L’événement mêle ainsi la participation publique (au titre de citoyens activistes) et la participation privée (au titre de membres des familles). Graciela partage des galettes préparées pour l’occasion dans la cantine ; elle est prévenue lorsque les jeunes s’éloignent pour acheter des provisions ou pour aller aux toilettes. Ces expéditions sont supposées être brèves et toujours accompagnées, afin de réduire les risques d’interpellation par la police, irréductible malgré les dispositifs mis en place.

17Comment interpréter cette participation des femmes ? Graciela n’a pas d’expérience militante préalable et son expérience de travail est vieille de presque vingt ans, avant la naissance de son deuxième enfant. Les études de genre [13] ont bien souligné le cantonnement des femmes dans leur rôle de mères, responsables du bien-être des enfants. Mais les observations et les entretiens permettent de constater que leur présence aux campements, par les risques qu’elle comporte et par la rupture qu’elle introduit dans les parcours biographiques, établit une forme de transgression. Ceci n’a pas échappé à leurs proches non-membres, notamment à certains des maris, qui s’opposent à leur participation aux campements. « C’est trop ! », dit le mari de Graciela. La participation des femmes est perçue comme une source d’émancipation, désirée par les unes, condamnée par les autres comme immorale.

Des évolutions au sein de la famille et à travers les générations

18Une autre rencontre, chez Graciela, permet de constater les conséquences, au sein de la famille, de la participation au MTD. Elle m’explique que grâce à l’argent de ses premières allocations et de celles de sa fille, elle a pu acheter les matériaux pour faire des travaux et changer le toit de sa maison. Son mari a réalisé les travaux en compagnie d’un proche. Participer, c’est aussi, en contrepoint de l’action politique, contribuer à la solidarité familiale en rapportant de l’argent. On ne participe pas uniquement par souci civique, on participe aussi pour améliorer le quotidien. Grâce cette contribution économique, la place de Graciela se trouve valorisée au sein de sa famille.

19Lors d’une conversation autour de la table à manger, l’aînée, âgée de dix-neuf ans, précise le sens des paroles de sa mère. Telle mobilisation sert à obtenir une augmentation, telle autre, devant les tribunaux provinciaux, à réclamer justice. La participation change les rapports entre les genres, mais aussi entre les générations. Présente dans les réunions du MTD dites d’administration, sa fille côtoie régulièrement Julia, la déléguée, et participe à la gestion des dossiers des membres : des listes que le MTD est tenu de rapporter au gouvernement tous les mois afin d’attester que ses membres se sont acquittés de leur contrepartie et peuvent percevoir l’allocation. La gestion des allocations de la part des MTD est une concession du gouvernement qui permet à certains membres, comme la fille de Graciela, de produire une forme de contrepartie de l’allocation en relation avec les études suivies – elle a fini l’école secondaire, soit douze années d’études. L’activité se déroule chez Nani. Quatre jeunes autour d’une table recopient les informations concernant les membres de leurs quartiers sur les formulaires, en présence de la déléguée de Berazategui. Julia est chargée de les apporter personnellement au bureau de gestion de la province de Buenos Aires, situé à la ville de La Plata. Cette tâche de responsabilité est confiée à ceux qui ont fait preuve d’un plus grand engagement, ce que suggèrent les interventions de la jeune fille. Ceci ne serait pas possible si elle touchait l’allocation par l’intermédiaire de la mairie ; elle serait considérée comme une bénéficiaire qui ne prend pas sa place dans la gestion de l’organisation.

20L’assemblée désigne les membres de l’organisation et décide également de la pratique de la gestion des dossiers. Le contact plus fréquent avec des délégués expérimentés induit des changements dans les relations entre les générations. Non seulement la fille peut corriger les propos de sa mère parce qu’elle a fait la preuve de ses compétences, mais elle a une compréhension plus fine de la distinction entre les motifs des mobilisations – pour le bien privé ou commun – et du jeu des rapprochements avec telle ou telle institution. Ce qui pour Graciela était anodin est devenu significatif pour sa fille. Son sens politique s’est aiguisé. Les évaluations ne divergent pas seulement entre mère et fille, mais également avec Luis, le père de la famille.

Des opinions divergentes : la critique de l’exploitation

21Arrivé à la maison, Luis est accueilli par sa femme qui lui laisse la place en bout de table et prépare un autre maté. Tout de suite, il se joint à notre conversation. Un désaccord survient quant à l’évaluation qu’il fait de la participation au MTD. « Avec le MTD, on perd », estime-t-il. Graciela ne le contredit pas ouvertement. Elle s’inscrit dans la logique de calcul économique exposée par son mari, qui met en rapport le temps consacré à l’organisation et les bénéfices qui en sont tirés. Elle enchaîne en rapportant un dialogue qui lui permet d’évoquer son point de vue :

22

La vecina[14] travaille à l’école d’en face, mais on l’exploite. Ce n’est pas pareil que dans le mouvement. Il y a des gens qui ne veulent pas le comprendre. Elle en était une. Je lui ai dit : « Tu sais grâce à qui tu dois d’avoir touché le treizième mois ? […] C’est grâce à nous, “les piqueteros qui cassent”, comme on dit ».
(Graciela, MTD Berazategui, 2005)

23Cette prise de parole rappelle au quartier l’utilité des organisations de desocupados, car « grâce à eux », les conditions de vie des autres allocataires s’améliorent. Le treizième mois étant crucial pour préparer et célébrer les fêtes de fin d’année, leurs actions non conformistes sont revendiquées comme un moyen qui permet aux membres des organisations de desocupados et aux non-membres de participer dignement à l’une des célébrations rituelles les plus importantes en Argentine [15].

24Bien qu’elle ne se prononce pas ouvertement en faveur des actions collectives, Graciela fait valoir leur utilité : d’une part, par certains avantages obtenus pour les membres et non-membres des organisations ; d’autre part, en ce que les organisations instituent leurs propres formes de contrepartie. En effet, contrairement à sa vecina, dont la contrepartie est assignée par la mairie, Graciela choisit comme contrepartie la participation à la préparation des goûters du MTD, ce qui lui prend deux heures de présence trois fois par semaine, au lieu de quatre heures cinq fois par semaine. Graciela a aussi la possibilité de changer d’activité et de changer de délégué, ce qu’elle fera lorsque de nouvelles activités seront organisées dans le quartier autour d’un nouveau groupe. Sa fille peut également assurer la contrepartie d’administration et sortir ainsi des rapports d’exploitation qu’elle a subis comme aide-ménagère. La comparaison que fait Graciela entre son sort et celui de sa fille, qui en dépit de ses études, n’est pas sûre d’être épargnée, montre que l’expérience au sein du MTD ouvre un ensemble de possibilités et permet d’échapper aux conditions imposées par la mairie ou sur le marché du travail privé.

25Sur le mode de l’indignation, confrontée à l’insensibilité de sa vecina, l’intervention de Graciela révèle le moment politique comme une critique des relations auxquelles sont soumis les autres titulaires des PTT. La contrepartie exigée par les autorités, qualifiée d’« exploitation », est contournée par les critères établis par le MTD. Et la participation des femmes est anticonformiste et leur ouvre un espace d’autonomie. Leur association à des « piqueteros qui cassent » entame aux yeux de certains la légitimité des actions de rue. Par sa parole, Graciela restaure sa place dans le groupe, les possibilités offertes par la participation au MTD, sa contribution au sein de ses proches, et plus généralement dans la formulation de la politique sociale. La participation rend possibles des actions autres que celles prescrites socialement dans les milieux populaires. Et cette force d’émancipation est peut-être ce qui compte le plus pour Graciela et sa fille.

La question des colis reprise par Graciela

26Graciela reprend les explications de Lucas pour revendiquer la mobilisation des organisations de desocupados et distinguer le MTD des mobilisations partisanes qui « utilisent les gens » pour faire de la politique en évoquant l’assemblée dont j’ai été témoin :

27

L’autre jour, Lucas a dit que les colis n’arrivaient pas. Il explique pourquoi les colis n’arrivent pas. Il n’est pas question de stocker… peut-être qu’il y a des colis, mais on ne les a pas distribués parce qu’il n’y en a pas assez [pour tous les membres]. On ne veut pas que les colis arrivent dans un quartier et pas dans un autre, puisque nous sommes tous pareils.
(Graciela, MTD Berazategui, 2005)

28Le quartier s’avère être un milieu d’interconnaissance où les vecinos peuvent comparer le traitement fait aux allocataires selon les diverses institutions intermédiaires. La justification de Graciela indique en creux son rapport avec Lucas, le dirigeant du réseau MTD Aníbal Verón. Le dirigeant a rendu des comptes à l’assemblée et répondu aux problèmes soulevés par les délégués. Il a reconnu la légitimité de l’assemblée et montré que les membres du MTD ont la possibilité de contrôler les dirigeants dans les quartiers. Graciela est ainsi informée du fait que le MTD possède une certaine quantité de nourriture qui n’aurait pas été distribuée. Mais elle semble accepter, par ses considérations morales, les critères de justice de la distribution décidée par l’assemblée. Son récit montre qu’elle maintient sa confiance à Lucas. L’importance de l’assemblée participative comme performance publique est difficile à restituer si on limite les observations à cet espace, sans rendre compte des usages multiples qui sont faits en coulisses par les membres de ce qui s’est passé sur scène. Graciela ne prend pas la parole dans des assemblées en public, mais sa participation passe par ses commentaires, en privé, dans les discussions avec ses proches.

29Remarquons que Graciela, au lieu d’adopter un argumentaire ouvertement politique (Eliasoph, 2010), formule des critères recevables pour le sens commun, comme celui du calcul économique des bénéfices retirés des mobilisations. Elle semble jouer la carte du conformisme. Mais cette tactique discursive rend peut-être plus acceptables la transgression des prescriptions qui cantonnent les femmes au seul travail domestique (Hirata, Kergoat, 1988). Les femmes sortent du rôle qui leur est assigné lorsqu’elles participent aux assemblées, aux manifestations et aux campements et lorsqu’elles prennent une part plus active aux affaires de leurs familles. Si les prescriptions à leur égard ne semblent pas radicalement transformées, la participation politique sert de point d’appui à leur transgression. La participation est bien un enjeu crucial dans la redéfinition des identités de genre (Di Marco, 2011, p. 137-150) et elle a des conséquences pratiques dans l’économie morale des familles.

30La vision sceptique quant à l’intérêt politique des assemblées générales – une scène où s’installerait un faux-semblant de politique – est démentie par le travail de terrain. En donnant la parole aux membres et en les suivant sur leurs sites d’action, l’enquête ethnographique permet de saisir les dynamiques collectives qui précèdent l’assemblée (par exemple les rumeurs qui traversent le monde des piqueteros) et qui la poursuivent (la conversion de savoir-faire politiques dans d’autres sphères de vie). Quant à l’assemblée générale, elle semble elle-même ne guère s’accommoder de procédures de débat et de décision formelles… Le tableau est bien éloigné des modèles philosophiques.

Assemblée générale : « Nous devons discuter deux sujets aujourd’hui »

31Les participants aux assemblées, qui accèdent aux programmes de travail temporaire, affectent souvent une distance méfiante vis-à-vis des manifestations de rue, en particulier des blocages. Cette tension s’éclaire si l’on explore davantage le moment de décision dans l’assemblée. Les délégués des différents quartiers debout près du muret interviennent régulièrement. Certains membres de la mesa circulent entre les groupes ou bien devant de la scène, dans un couloir de quelques mètres qui s’est formé entre Lucas et le public. D’autres, comme Julia, restent près de leurs camarades de quartier. La campagne de lutte pour l’augmentation sera le premier sujet traité, suite à l’acclamation de l’assemblée. Muni du seul micro disponible, Lucas déploie pour ses compañeros les alternatives à considérer :

32

« Bon, compañeros ! Nous devons discuter de deux sujets aujourd’hui : l’activité du 25 et 26 et tous les problèmes que ça peut soulever et la continuité de la campagne de lutte au sujet des « 350 » [pesos]. Par quel thème commençons-nous ?
[L’assemblée :] L’augmentation ! L’augmentation !
Alors, la campagne de lutte, c’est ce que veut la majorité. Avons-nous fait le bilan de la dernière journée, celle du 24 [mai], sur le Pont, avec « toutes les organisations » ?
[Brouhaha inaudible en forme de réponse.]
Pas devant l’assemblée générale, non ? Mais est-ce que vous l’avez faite dans les quartiers ? Et avec le corps des délégués ?
[Lucas regarde autour de lui, les gestes sont affirmatifs.]
À présent, nous sommes en train de discuter avec toutes les autres organisations qui ont participé à la lutte des « 350 » sur la manière de continuer en juillet. Vous vous rappelez que nous avons clairement affirmé une position ; ici devant l’assemblée, sur le Pont, et devant la presse : si, en juillet, il n’y a pas une réponse officielle de la part du gouvernement, c’est-à-dire s’il n’y a pas d’augmentation, nous durcissons la lutte. C’est ce que nous appelons accélérer, se dépêcher. Quelle est notre tâche principale ? Dans la mesure où les élections approchent, si le gouvernement fait le malin maintenant et ne nous accorde pas l’augmentation, imaginons ce que nous pourrons en attendre après les élections ! Même s’il gagnait par une faible marge, la presse le présentera comme le vainqueur. S’il n’est pas prêt au dialogue avec les travailleurs maintenant, imaginez-vous ce qu’il en sera après les élections ? Rien ! Il va nous dire « Au revoir les gars ! Je ne sais pas qui tu es, on ne vous connaît pas, assez des piquetes, non sous la pression, non sans pression non plus ! » [Se moquant de l’accent du Président, il reprend quelques déclarations récentes.] […]
Des rumeurs circulent, dans les radios, parfois à la télé et ceux qui font circuler les « punteros » dans les quartiers. Les « punteros piqueteros » et « punteros du PJ » [péronisme] même viennent dire que nous vous faisons sortir pour rien[16]. Ils vont même jusqu’à dire que nous vous faisons manifester pour rien. Vous vous souvenez de cette phrase ? […] Depuis que nous avons entamé ce combat en février, nous entendons la même chose, et nous sommes en juin ! ».
(juin 2005, Lucas, dirigeant MTD La Verón)

33Son discours se poursuit en expliquant les différentes stratégies envisageables, notamment celles proposées par les autres organisations. Ces considérations stratégiques sur l’opportunité créée par l’échéance électorale pourraient sembler excessives pour une organisation qui prétend refuser de participer au jeu électoral. Mais le scénario d’une victoire relative du gouvernement crée une perspective défavorable à « l’augmentation ». Lucas, qui a connu un moment de dialogue avec le président Nestor Kirchner peu après son investiture, est à présent privé de ce contact privilégié avec le gouvernement. Le fait de tourner en dérision Kirchner suscite des sourires, mais cette attitude est également un aveu des difficultés qu’il rencontre, en ce moment, pour être écouté du gouvernement. Il présente l’objectif à long terme, l’augmentation, et un objectif intermédiaire, entamer le dialogue avec les autorités nationales. Et il invalide les rumeurs, répandues par les punteros, sur l’inutilité de la mobilisation.

34Les délégués, massés dans les premiers rangs, suivent attentivement le discours et interviennent pour poser des questions. Pour prendre la parole, ils lèvent la main et interpellent le dirigeant au cri de compañero. Quelle sera la durée des journées ? Avec quelles autres organisations pourront-ils marcher ? Lucas reprend les interventions de manière synthétique au micro pour les faire entendre de tous avant de réagir. À quelques pas de moi, un jeune se plaint à voix basse à son collègue : « Ce n’est pas une vraie assemblée, il n’a pas à jouer le ventriloque ! ». Un des membres de la mesa passe par devant et le salue : « Ne me dis pas que tu en remets avec tes histoires d’anarcho-syndico à la je ne sais pas quoi ! », lance-t-il, habitué à ce type de protestation.

35Un délégué, d’environ cinquante ans, intervient en plaidant en faveur de la mobilisation, bien que l’on ne puisse pas écarter l’éventualité que d’autres organisations n’y adhèrent pas. Le ton passionné de son allocution, énoncé avec verve et sans micro, s’entend comme l’expression d’une colère face à la difficulté d’emporter ce combat. L’irruption de salves d’applaudissements à ce moment précis de l’intervention semble attester du partage de ces sentiments par les membres de l’assemblée. Le dirigeant n’a pas été applaudi, le délégué, lui, l’a été. Il a rendu sa colère publique. Exprimée au sein de l’assemblée et ratifiée par les applaudissements, cette colère ne relève pas de sentiments d’ordre privé, elle est perçue comme une prise de position en public et se transforme en raison d’agir publiquement. Devant moi, un jeune qui prend des photos est interpellé par un autre membre de la mesa et pris à part. La familiarité avec laquelle les uns et les autres interagissent donne à comprendre que cette apparente multitude anonyme accueille des personnes qui se connaissent toutes. Les membres de la mesa prennent place au milieu du public afin de saisir les réactions des uns et des autres. Ils se montrent capables d’anticiper les positions de chacun, de comprendre un langage commun, d’identifier les invités et les intrus.

36La terminologie employée par le dirigeant est pleine de sous-entendus. Lucas parle des « punteros piqueteros », désignant les médiateurs des organisations qui se sont alliés au gouvernement et des « punteros du PJ », médiateurs de ce parti politique qui sont accusés d’être à l’origine de la diffusion des fausses rumeurs, afin de décourager les mobilisations. Il ne s’agit là pas tant d’argumenter et de délibérer que de contre-informer et d’endiguer le faux bruit que « l’augmentation serait déjà accordée ». Lucas recourt à un langage de la politique organisée autour des élections et de ses opportunités. Bien que ce groupe ne présente pas ses propres candidats et ne soutienne pas ceux d’un autre parti politique, le dirigeant mesure la portée du jeu électoral. Son discours participe d’un régime d’argumentation dans lequel les « faits » viennent démentir les stratégies des adversaires et appuyer la proposition discutée, à savoir accélérer le combat. L’opportunité de la mobilisation fait partie du diagnostic proposé à l’assemblée sur lequel elle devra trancher, ce jour même, et plus tard par sa présence dans la mobilisation.

37« Le combat pour les 350 » est décrypté par l’assemblée comme étant le combat pour « l’augmentation ». L’expression « toutes les organisations » se réfère à celles qui persistent dans une stratégie de mobilisation en faveur de l’augmentation et avec lesquelles le dirigeant est en train de dialoguer en vue de préparer des actions communes. Nombre d’organisations qui ont opté pour des mobilisations plus mesurées sont taxées de dérive vers le camp gouvernemental. Le dirigeant évoque ailleurs les tentatives des organisations partisanes de « caser » leurs quartiers, autrement dit de les diviser et de les détacher du réseau de La Verón. Ce rassemblement est décrit comme étant « l’assemblée générale », l’un des lieux où l’on « établit des positions ». « Le pont », un des lieux habituels des blocages, est une autre tribune. Le discours met en forme une argumentation qui cherche à convaincre du caractère raisonnable des positions adoptées (depuis le début du combat) et proposées (en fonction de la proximité des élections). Il a une performativité et met en intrigue la série des événements et des échéances de la mobilisation.

38En recourant à ce langage politique, le dirigeant est en mesure d’identifier ce qu’il appellera, à un autre moment de son discours, le « champ populaire ». Il désigne des positions qui ne sont pas absolues, mais qui varient en fonction de l’attraction et du refoulement que produisent les différents pôles les uns sur les autres. Le gouvernement déclare [17] ne pas vouloir « négocier sous pression » [18]. Ces diagnostics de Lucas seront par la suite repris lors des réunions de délégués, comme l’explique Marina, dans les assemblées locales et dans les ateliers de travail (obradores). L’assemblée générale demeure le lieu privilégié de leur expression, quelles que soient les modalités et les conséquences de ces prises de paroles : elle constitue un espace public au sens où les enjeux deviennent accessibles et perceptibles à la totalité des membres. La critique interne sur la manière de mener l’assemblée ne semble pas ici prise au sérieux. Néanmoins, à un autre moment, Mario tient à me préciser le rôle important que ce MTD reconnaît aux dirigeants, établissant une différence verticale entre les positions.

39Ce parti pris renvoie à une discussion qui a déjà eu lieu, en décembre 2002, lorsque le collectif La Verón s’est divisé. L’un des arguments avancés était la manière de prendre en compte la participation dans le collectif, et le rôle éminent de Lucas comme dirigeant face aux médias. En effet, l’assemblée semble avoir des limites lorsqu’il s’agit de régler des désaccords profonds. La défection est une solution possible, surtout quand il n’y a pas de contrainte institutionnelle. Une partie des MTD a formé un autre collectif sous le nom de Frente Popular Dario Santillan, du nom d’un des militants décédé lors de la répression du 26 juin 2002. Dans le sens d’Hannah Arendt, est « public » tout ce qui paraît en public, dans un « espace d’apparaître », au vu et au su de tous, avec « la plus grande publicité possible » (Arendt, 1984, p. 89-90). Si dans l’assemblée générale certaines critiques ne sortent pas des coulisses, elles sont présentes dans les positions adoptées publiquement par les organisations de desocupados – ce que le dirigeant désigne comme le « champ populaire ». La configuration de discours énoncés dans l’assemblée générale fixe une expérience publique, qui va ensuite se reformuler dans les lieux de vie quotidienne des membres.

40Mais comment se prend la décision, si décision il y a d’ailleurs ?

Une décision par acclamation

41Lucas reprend la parole :

42

« C’est cela notre esprit. Vous êtes disposés à cela ? Si vous l’êtes, alors, on met la première, on met la seconde, on met la troisième, compañeros ! Êtes-vous sur la même longueur d’onde, compañeros ?
[Des applaudissements.] Une autre intervention qui plaide dans le même sens et le dirigeant questionne à nouveau :
- Vous allez tenir ?
- Oui, oui, oui, répondent les plus convaincus.
- Bon, on verra, conclut Lucas. Dans cette position, nous aurons quelques alliés ».
(juin 2005, Lucas, dirigeant MTD La Verón)

43La décision se rend sensible par l’enchaînement des questions et des applaudissements. Elle reste à valider par les faits. Très rapidement, après cet épisode acclamatoire, la plus grande part du public se disperse à pied ou se dirige vers la gare. Quelques membres de la mesa rangent l’équipement audio pendant que d’autres se réunissent avec une vingtaine de délégués de quartier. Assis par terre, rassemblés en deux cercles, ils se mettent d’accord sur la logistique de la manifestation. Faute de dénombrement des voix, l’action est érigée en mode d’expression. Les questionnements successifs du dirigeant appellent à la réaffirmation du principe de la mobilisation.

44La proposition soumise à l’assemblée a été élaborée par les membres de la mesa. Telle qu’elle est reçue par l’assemblée, elle atteste d’une relation solidaire dans laquelle le dirigeant, quoique en position hiérarchique, ne peut décider sans avoir reçu mandat de l’assemblée. Loin de se déployer comme une discussion argumentée, l’intervention des membres prend la forme de l’expression de la colère par des huées et de l’approbation par des applaudissements des interventions des certains délégués. Ceux-ci sont amenés à fournir un effort supplémentaire, le jour même, après l’assemblée, et le jour de la manifestation : leur conduite se doit d’être exemplaire. À l’intérieur du groupe, la nécessité de l’augmentation ne fait pas débat. La résolution de la « question des 350 » est posée comme une évidence et fait partie des schèmes d’interprétation partagés. Mais l’acceptation de la proposition ne peut être jugée que le jour même par la présence et par le nombre de membres dans les activités collectives. Le sentiment d’assentiment qui est éprouvé dans les actes est ce qui rend la décision légitime et opérationnelle. Les jours suivants, la proposition sera renouvelée par les dirigeants et par les délégués, dans le cours des activités collectives, notamment lors de la distribution des colis.

La distribution des colis alimentaires

45La répartition des ressources négociées avec le gouvernement national, entre les MTD des différents districts, se fait sur la base des listes de présence. Confectionnées lors des manifestations aussi bien qu’au sein des activités des quartiers, elles sont considérées comme un outil d’évaluation de l’effort fourni envers le collectif. Les membres estiment nécessaire la différence de traitement entre le camarade qui va aux manifestations et celui qui n’y va pas, « qui ne travaille pas, qui ne cotise pas avec ses quatre pesos pour que l’on puisse s’organiser ». Ces listes donnent lieu à une hiérarchie des compañeros des plus engagés, avec qui « on peut toujours compter » et ceux qui le sont moyennement ou peu. Les colis sont confectionnés en suivant ce classement. Cette décision ne se produit pas sans heurts. Certains groupes ont abandonné le réseau de La Verón, considérant que cette comptabilité masque une forme de clientélisme [19].

46Depuis un certain temps la distribution des colis se fait dans la cour de la maison que rend disponible l’un des membres, une fois par mois. Le MTD de Berazategui n’a pas un lieu fixe de réunion où centraliser ses activités et tenir ses assemblées. Marina, assise derrière une table, accueille les membres et inscrit leur nom par ordre d’arrivée sur une feuille volante, afin de procéder ensuite à la distribution. Julia est debout aux côtés de Marina et la seconde. Autour de la table, les enfants et les neveux de Marina s’amusent à courir. À l’intérieur, plusieurs membres, un homme et deux femmes, aident Mario à préparer les colis. Avant de commencer la distribution, Mario s’adresse à l’assistance pour rappeler la décision de l’assemblée et l’importance d’une présence massive dans les manifestations pour « la lutte pour les 350 ».

47Les membres présents, une soixantaine, s’expriment plus facilement que lors de l’assemblée générale. Une femme, la quarantaine, prend la parole pour dire son enthousiasme [20]. Mario lui répond un peu sceptique sans engager de pronostic sur le résultat, soulignant que « la mobilisation, c’est notre seul moyen ! ». Un homme, au premier rang, évoque la question des petits boulots (changas) et de la difficulté de se rendre à la manifestation dans ce cas. Mario insiste, si jamais une activité journalière se présente ce jour-là, pour que les membres soient autorisés à prendre congé ou se fassent remplacer par un proche à la manif. Puis, c’est le tour de Julia de s’exprimer et enfin, celui de Marina. Elles reprennent les mêmes thèmes : être présent lors des manifs, aller chercher les compañeros qui auraient dû être présents, et même inviter les vecinos qui ne seraient pas membres, mais sont tout autant concernés par l’augmentation. Ainsi, la distribution des ressources est un moment de présence où les dirigeants tentent de rappeler les positions fixées par le collectif. L’expression des femmes et des membres sans expérience militante est facilitée. Ces moments constituent également des épreuves pour les délégués.

Les épreuves pour devenir « un bon délégué »

48Les membres s’apostrophent les uns les autres par la catégorie de « compañero », ce qui est une façon civique, habituelle au sein du parti péroniste ou des organisations syndicales, de mettre en scène la confiance. Mais les épisodes de tension ne sont pas rares. Nani a adhéré au MTD comme responsable de son quartier. À cinquante-trois ans, il a une expérience de travail dans les associations de son quartier. Il est veuf, vit en couple, avec un fils célibataire. Il a participé à une autre organisation des desocupados avant de rejoindre le MTD. Il a amené de nouvelles personnes et créé des activités en contrepartie. Aussi profite-t-il de ses connaissances au club du quartier pour y constituer un atelier de travail. Mario, le dirigeant, est très enthousiaste et considère que la présence de Nani permettra au MTD de Berazategui de se développer. Il sera bientôt délégué, tout comme Marina. Lors de la distribution des colis alimentaires, une tension entre les délégués se fait jour.

49Nani est dans le public, entouré des membres de son quartier, pour la plupart des hommes et des jeunes. Au moment de commencer la distribution, Marina se dirige vers lui afin de lui réclamer la part de contribution des membres de son quartier. Les fonds servent dans ce cas à s’acquitter du coût de distribution de la nourriture. Nani m’avait montré son cahier comme gage d’honnêteté. « Tout est là », disait-il alors, en pointant du doigt le cahier rempli des noms des membres et des chiffres (numéros des cartes d’identité, contribution au fond du groupe, affectation des dépenses réalisées).

50En proportion avec le nombre de personnes qui lui ont versé cette cotisation, il doit verser une participation pour les frais de transport des colis alimentaires. Marina l’approche avec sa feuille et lui demande le montant des contributions qui lui auraient été versées : dix pesos, selon lui, au lieu des vingt exigés par Marina. Plusieurs membres ont demandé à changer d’atelier pour travailler avec Nani, comme Graciela, qui a récemment pris la décision de quitter les activités organisées par Marina et de se rendre aux groupes de travail mis en place par Nani. Mais à qui ont-ils versé leurs contributions du mois en cours ? Nani est visiblement perturbé : comment Marina ose-t-elle en effet mettre en doute sa parole devant ses camarades ? Les yeux pleins de colère, il se retourne vers ses compañeros à la recherche de soutiens. Ceux-ci ne semblent pas empressés de plaider pour sa cause. Marina dit ce qu’elle a à dire et repart ensuite vers le local où l’on distribue les aliments. Probablement gênée par le départ de certains compañeros, mais affectant l’indifférence, elle cherche à conserver sa place en dépit du fait que les départs enregistrés la désavouent. Nani recherche la solidarité de ses camarades qui lui donnent raison. « Donne-lui seulement les dix pesos, après tu verras avec Julia », propose un des jeunes, une fois que Marina est partie. Nani est visiblement contrarié, son visage exprime son désarroi. Marina et Nani ont dû se départager, cahiers à l’appui, leurs responsabilités respectives. Mais cela a été fait à l’abri des regards des compañeros, entre les délégués et les dirigeants, Julia et Mario. Les camarades de Nani ne seront informés que plus tard par ses propres soins. Cet épisode, si gênant soit-il, n’est guère exceptionnel. La confiance à l’égard des délégués semble être soumise à des remises en cause plus ou moins ouvertes. Les dirigeants, Mario et Julia, ou bien les instances collectives (mesa, réunion des délégués), s’érigent comme des instances tierces capables de trouver une réponse adaptée. Durant cette discussion avec Marina sur la contribution au fonds (fondo), Nani a ressorti le même cahier sur lequel il avait consigné la liste des membres qui lui avaient payé leur part.

51Comme cette scène le laisse apercevoir, un bon délégué doit rendre des comptes à ses compañeros. D’où la conservation d’un registre des cotisations et des achats auquel ils doivent se plier. En effet, les conditions de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les allocataires rendent le besoin de ressources critique et son usage d’autant plus surveillé. Les hiérarchies, au sein des organisations de desocupados, peuvent être remises en question. Les membres peuvent, également, opter pour le passage d’un groupe à un autre, soulignant leur préférence pour tel délégué et la manière dont il exerce son rôle. Les membres ne sont pas attachés à des référents ou à des dirigeants en personne, même si l’appartenance à un même réseau de famille ou de voisinage constitue l’un des éléments qui favorisent l’engagement au sein des MTD. Le « changement de projet » [21] afin de pouvoir travailler avec un autre délégué montre bien que ces liens ne sont ni immuables, ni nécessairement renforcés par la participation aux activités des MTD.

52Ces formes de contrôle, instituées par les organisations elles-mêmes, contrastent avec les pratiques décrites par J. Auyero (2001, p. 68) qui insiste, dans ses études sur la politique dans les quartiers populaires du Grand Buenos Aires, sur le rapport direct entre les autorités et les antennes locales du parti péroniste (unidades basicas), lieu de distribution de nourriture et des autres ressources. Selon cet auteur, les médiateurs ont la faculté de faire « ce que bon leur semble ». L’information est fournie par les autorités locales aux médiateurs en raison de leur appartenance au parti péroniste. De leur côté, ces derniers tentent de se présenter comme le seul moyen d’accès à l’information et aux ressources. Auyero (2001, 2010) décrit en effet comment des ressources de l’État sont appropriées par les punteros. Ces médiateurs tentent d’imposer un lien hiérarchique en même temps qu’ils produisent une « réciprocité diffuse ». Le rapport de Graciela avec le MTD permet d’entrevoir une autre logique. L’analyse de cette relation dans la durée souligne la possibilité de quitter un groupe pour en rejoindre un autre, de travailler dans la cantine avec Marina ou dans le groupe organisé par Nani. Graciela ne considère pas qu’elle s’est engagée dans une relation de clientèle, mais qu’elle a une obligation de travail à fournir. La contrepartie est circonscrite à des domaines précis – heures de travail, contribution pécuniaire, participation aux manifestations approuvées par assemblée – et non pas exprimée sous la forme d’une « réciprocité diffuse ».

53Une distinction fondamentale apparaît entre les rapports observés au sein des organisations de desocupados et ceux instaurés par le réseau partisan. Membres et non-membres peuvent bénéficier des résultats des négociations. Ce glissement de sens témoigne ainsi d’un déplacement du lien clientéliste vers le lien contractuel. La personnalisation entretenue entre le médiateur et son « cercle rapproché », dans une communauté d’« entraide » et de solidarité « protectrice », caractéristique des punteros selon Auyero (2000, p. 70), n’est pas confirmée par nos données. Les membres du cercle rapproché ne semblent pas estimer que c’est le médiateur qui accorde des faveurs de type affectif et personnel, plutôt que l’État, le gouvernement local, provincial ou national, qui distribuerait ces ressources.

54Le prisme des faveurs ne rend pas compte de ce qui, dans les formes d’expérience observées dans des organisations de desocupados, constitue une revendication de droits [22]. Prendre au sérieux le sens de leurs actions permet l’inscription de leur prise de parole comme citoyens et de ne pas manquer le sens politique dans ce qui a l’air d’arrangements de gré à gré. Dans le récit de Lucas à l’assemblée, l’accès aux ressources publiques s’explique par les accords conclus entre les organisations de desocupados en tant qu’interlocuteurs accrédités et le gouvernement. Il n’est en rien un service ou une faveur des médiateurs ou des autorités. Ces accords donnent lieu à un rapport impersonnel. Ce n’est pas par amitié avec le gouvernement ou ses alliés que ce groupe accède aux allocations ou aux colis alimentaires. En dépit des conflits qui pourraient survenir, les uns et les autres doivent s’en tenir aux accords engagés. Certes, dans l’obtention de ces ressources, les MTD ne parviennent pas à transformer le type de rapport que le gouvernement peut établir avec d’autres organisations et a fortiori avec les citoyens. L’allocation des ressources demeure soumise à l’arbitraire des autorités comme le montre le problème des colis et impose un surcroît de justification de Lucas face à l’assemblée générale ou de Marina et Nani face aux membres de leurs quartiers. En dépit de l’impossibilité de transformer plus profondément les conditions générales de l’action sociale, les MTD réussissent à donner une certaine légitimité politique à leur action collective.

55Si les organisations locales se transforment en intermédiaires entre l’État et la population, elles le font de manières diverses et non nécessairement sur un mode clientéliste. À l’inverse, l’étude analytique des dimensions qui caractérisent les dits rapports de clientèle (liens d’échange binaire, hiérarchisé, personnel et réciproque) les oppose à ce qui caractérise la sphère publique (espace ouvert à la conversation au sein duquel les citoyens s’engagent volontairement et potentiellement dans des conditions égalitaires). Ces formes d’engagement affectif ne relèvent pas de la seule loyauté envers le collectif, mais de la dignité et de l’estime de soi et de conceptions morales du juste.

Démocratie directe et exigences de publicité

56L’observation directe nous a permis de saisir les rapports entre les membres des organisations de desocupados, les divers sens qu’ils donnent à la participation, ainsi que les liens entre la vie de l’assemblée et du collectif et la vie des quartiers et des familles des membres.

57L’assemblée ouvre un horizon symbolique qui peut rendre légitime l’intervention des organisations de desocupados sur la scène publique. Elle ne peut pourtant pas être considérée d’emblée comme davantage démocratique, par rapport à d’autres formes d’action. Elle ne semble pas en mesure de répondre aux exigences d’un dispositif de décision institutionnel. Les conditions matérielles peuvent en être pointées : absence de lieux de fonctionnement, manque de moyens techniques, faible expérience militante, insuffisance des procédures formelles… On constate, par exemple, la difficulté à prendre la parole dans des assemblées pléthoriques où seuls les délégués sont à même de s’exprimer, et la disproportion entre le nombre de femmes membres de l’organisation et le nombre de déléguées. Néanmoins, si l’on met en relation les interactions dans l’assemblée avec les engagements et les échanges hors de l’assemblée, on constate des effets d’apprentissage et de mise en pratique de savoir-faire citoyens, et un transfert dans la vie quotidienne du langage du droit et de la justice, à même de justifier des engagements en rupture avec les conduites conformistes (en particulier celles attendues de la part des femmes) ou d’inciter à la prise de parole dans des réunions plus restreintes (notamment lors de la distribution des colis).

58L’ethnographie montre les multiples formes de participation en amont, notamment à travers la rumeur, ou en aval, en suivant les acteurs dans d’autres sphères de l’organisation ou en dehors de celle-ci, au sein de leur famille ou dans leur quartier. Les membres se rendent présents à l’assemblée et celle-ci donne à voir son efficacité dans les interactions entre membres de genres et de générations différents, et entre membres et non membres de l’organisation, pour faire circuler une parole animée par l’esprit public, insérée dans le contexte local des tensions avec d’autres organisations ainsi que dans le contexte national, alors dominé par l’échéance électorale.

59La prise de position proposée à l’assemblée semble le fruit d’une discussion au sein de la mesa où les dirigeants font valoir leurs positions et tiennent compte des informations fournies par les délégués, ainsi que de l’évaluation de ce qui fait l’ensemble du « champ populaire ». L’autorité et la confiance dont ils sont investis en dépend. On pourrait rapprocher le fonctionnement de l’assemblée des processus de décision par « consensus apparent ». P. Urfalino (2007) étudie, sous cette catégorie, les décisions qui sont adoptées à l’unanimité. Ces décisions émergent quand il n’y a pas d’opposition explicite. Le décompte des voix étant inexistant, la décision est arrêtée lorsque personne ne s’oppose à la proposition formulée. Cette règle n’exclut pas la règle du décompte des voix : elles peuvent s’avérer complémentaires. L’accord provisoire qui se manifeste lors des assemblées reste par ailleurs en rapport avec des formes de prise de parole en coulisses, moyennant le partage de multiples lieux de vie et la réalisation d’activités sociales (cantines populaires, goûters pour enfants), productives et politiques, réalisées en présence des non-membres. Cet accord met entre parenthèses les désaccords qui s’expriment en sourdine dans l’assemblée, qui sont formulés implicitement au sein du foyer ou confiés une fois que la déléguée est partie. Malgré ces limites, les pratiques participatives témoignent de l’instauration d’un lieu politique. Contrairement aux pratiques clientélistes, les membres acquièrent un savoir-faire qui mue l’exigence de loyauté envers un patron en attachement à des critères de droit et de justice. Les interprétations en termes de « clientélisme » apparaissent alors en surplomb, déconnectées des formes d’expérience des acteurs, incapables de saisir les dimensions politiques articulées dans l’espace local au sein des rapports de voisinage ou de famille. Le problème se pose toutefois dans les rapports avec les autorités. En effet, les réclamations formulées en termes de droits n’obtiennent pas pour autant ce statut et les pressions sont nombreuses à s’exercer sur les personnes et les collectifs à la base.

60Pour des organisations qui revendiquent leur autonomie par rapport aux partis politiques, les effets de la participation résident moins dans le respect de procédures formelles de démocratie directe que dans l’expression dans la sphère publique d’une population, qui était exclue ou stigmatisée. D’une part, elle est rendue visible par son activité territoriale. D’autre part, elle est rendue légitime par son fonctionnement par assemblées, permettant aux organisations de contrer le mépris des autorités. C’est par exemple le cas dans ce communiqué de presse, en réponse au président Eduardo Duhalde qui les traite de délinquants et dont le titre est parfaitement éloquent : « Réponse à celui qui squatte la casa rosada » [23] (où siège le gouvernement national). La société argentine – et internationale, à travers les réseaux de solidarité – est prise à témoin.

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Mots-clés éditeurs : ethnographie, clientélisme, politique sociale, organisation des chômeurs, rumeur, Argentine, assemblée

Date de mise en ligne : 11/12/2012

https://doi.org/10.3917/parti.004.0103

Notes

  • [1]
    Je voudrais remercier les éditeurs de ce numéro Marion Carrel, Daniel Cefaï et Julien Talpin pour leurs remarques et suggestions ainsi que les commentaires des trois évaluateurs anonymes. Mes remerciements vont également aux habitants des quartiers populaires qui m’ont permis de partager leur quotidien.
  • [2]
    Certaines dénominations sont ici maintenues en espagnol, notamment celle de piquetero, qui rappelle le piquet de grève et celle de desocupado, que l’on ne peut pas traduire par chômeur : il ne s’agit pas d’une catégorie juridique, donnant accès à certains droits sociaux, mais d’un statut social, qui recouvre, de fait, différentes activités de débrouille et de recherche d’emploi (vente ambulante, maçonnerie, aide-ménagère, garde d’enfants…).
  • [3]
    L’enquête ethnographique a été menée entre juillet 2003 et août 2007, au cours de sept séjours de six à huit semaines. Elle était centrée sur la participation civique et politique, dans le registre institutionnel et procédural, mais aussi et surtout dans la vie quotidienne.
  • [4]
    Plusieurs programmes sociaux, créés avec le soutien des organismes internationaux (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement), ont en effet fait de la participation de la société civile une condition sine qua non au déblocage des fonds de prêts utilisés pour les financements. L’État doit assurer une contrepartie. Les prêts sont conditionnés à la réalisation des réformes structurales sur les formes d’intervention de l’État et les allocations à la mobilisation des bénéficiaires dans des Programmes de travail temporaire (PTT).
  • [5]
    D’un montant de 150 pesos en 1996, soit 150 dollars, ces allocations sont tombées à l’équivalent de 50 dollars après la dévaluation en 2002 et, et n’ont pas été réévaluées en 2004, à la différence du SMIC, renégocié à 400 pesos. Toute activité déclarée déclenche automatiquement la perte de l’allocation.
  • [6]
    Créé en 2002, le réseau de La Verón réunit différents MTD, les premiers étant regroupés au sud de la ville de Buenos Aires. Chaque MTD a sa propre assemblée. Celle-ci décide, notamment, de l’appartenance ou non au réseau. L’assemblée générale décrite ici convoquait l’ensemble du réseau. Plusieurs centaines de personnes y étaient présentes.
  • [7]
    Un livre, rédigé, ratifié et signé collectivement par des membres du MTD, rassemble des témoignages des militants sur les événements du 26 juin 2002 où deux jeunes ont été tués par la police à Avellaneda, frontière sud de la ville de Buenos Aires. La participation a ici pris la forme d’une enquête collective, au sens de J. Dewey (1927), sur la répression et sur les responsabilités de l’État.
  • [8]
    La mesa, littéralement table, est un espace de coordination des différentes organisations qui participent au réseau La Verón. Sa composition a varié au cours de notre enquête, notamment en raison de désaccords et de divisions. Comme Julia, les délégués qui y participent sont souvent des membres qui font partie de leur quartier depuis la création du MTD et ont acquis une expérience militante de longue date.
  • [9]
    À partir de la déclaration de l’état d’urgence alimentaire nationale, en 2002, la distribution d’aliments de base par le gouvernement national, avec la médiation du gouvernement local, est devenue plus régulière. Mais le contenu varie en fonction du district concerné. Les colis peuvent être distribués aux familles ou affectés au fonctionnement des cantines. La ration par personne est variable. Chaque mois, les conversations vont bon train autour de « qu’est-ce qui vient ? ». À titre d’exemple, en 2005, la ration par personne dans un de ces colis était de 5 kg de farine, 4 kg de polenta, 2,6 kg de lait en poudre, 2 kg de riz, 1,5 kg de lentilles, 1 kg de nouilles, 1 kg de semoule, 4 kg d’herbe à maté, 3 pâtés (240 gr), 2 portions de viande (400 gr), 3 pots de confiture et 1 litre d’huile.
  • [10]
    Ces critères concernent l’accès à l’allocation, la présence aux lieux de travail et aux manifestations publiques et la cotisation (pour ceux qui reçoivent l’allocation).
  • [11]
    Ces changements unilatéraux ne sont pas subis seulement par les organisations de desocupados. D’Amico (2009) rapporte, à propos du fonctionnement des programmes copas de leche (verres de lait), gérés par des « organisations des quartiers », que les colis alimentaires distribués aux familles par la délégation municipale peuvent être modifiés, et donc réduits, sans que les allocataires soient prévenus.
  • [12]
    C’est le campement auquel fait référence Lucas dans le passage de son discours cité précédemment.
  • [13]
    Le mouvement des desocupados n’est pas le seul à manifester cette « contradiction ». Feijoo et Nari (1995) soulignent les difficultés du mouvement des droits de l’homme, notamment des Madres de plaza de Mayo, à surmonter cette tension. Lavrin (1995) attire l’attention sur la tension au sein du régime péroniste sur la reconnaissance de droits politiques à la femme et Lobato (1997) montre que le terme de « nécessité » mis en avant pour justifier le travail féminin à Berisso en faisait une exception.
  • [14]
    « Vecinos », en espagnol, est une catégorie sans équivalent en français, qui connote à la fois les « proches » et les « citoyens ».
  • [15]
    Certains témoignages invoquent la proximité des fêtes de fin d’année pour expliquer les événements de décembre 2001 et la participation aux saccages survenus à cette occasion.
  • [16]
    Un puntero est un opérateur local des partis politiques traditionnels. Ce terme péjoratif désigne surtout des activités en rapport avec une clientèle politique. Le terme « punteros piqueteros » évoque ici des organisations de desocupados qui reproduiraient ce type de relation.
  • [17]
    Dans le Clarín du 20 août 2005, le président Kirchner assimile les mobilisations à des « extorsions » et accuse les organisations de « faire de la provocation ». Il refuse de recevoir les dirigeants du mouvement.
  • [18]
    Manzano (2009) analyse les piquetes du district de La Matanza en 2000. Elle souligne le sentiment de « victoire » résultant de la possibilité d’avoir pu entamer les négociations sans dissolution du piquete.
  • [19]
    D’après Julia – déléguée membre de la mesa de La Verón –le désaccord avec ces groupes a pour origine les consignes de sécurité qui avaient été données pendant les piquetes, interdisant de boire une bière ou de fumer un joint. Les consignes de sécurité diffèrent selon les réseaux. À La Verón, leur consommation est interdite pendant les manifestations et dans les ateliers de travail. Les membres sont incités à dormir et à ménager leurs forces. Dans d’autres organisations, leur consommation est interdite uniquement pour ceux qui exécutent des tâches de sécurité. Les problèmes de prise d’alcool et de drogues sont pourtant bien présents dans les quartiers populaires et concernent tous les réseaux sans exception.
  • [20]
    Il s’agit de Clara, avec qui je ferai connaissance plus tard. Elle a cinq enfants dont un membre du MTD. Elle habite avec son mari, trois enfants, sa mère et son frère célibataire. Elle a travaillé avant de se marier et n’a pas d’expérience militante. Elle a obtenu sa première allocation par la mairie et, après l’avoir perdue, elle s’est inscrite dans plusieurs groupes de desocupados. Le MTD est le premier à avoir répondu à sa demande.
  • [21]
    C’est à travers les termes de « changement de quartier » ou de « changement de projet » que cela est exprimé. Il ne s’agit pas d’un déménagement mais, plus précisément, d’un changement de lieu de réalisation de l’activité de contrepartie.
  • [22]
    Piattoni (2001, p. 11) souligne, à partir de considérations stratégiques, que l’accord avec la clientèle (clientelistic deal) ne sera pas forcément honoré. La nature de ces rapports serait obscurcie par leur réduction à une relation affective entre les deux membres du binôme. Plus précisément, les valeurs et normes pourraient être soumises à de multiples interprétations et ne seraient pas en mesure de prescrire un seul et unique cours d’action (p. 207).
  • [23]
    Le terme de « squatteur » fait ironiquement référence aux circonstances dans lesquelles le président Eduardo Duhalde a été nommé par l’Assemblée nationale au lieu d’être élu au suffrage universel. « Respuesta a ese que ocupa la casa rosada », Movimiento de Trabajadores Desocupados (MTD) Aníbal Verón, janvier 2003, communiqué de presse http://argentina.indymedia.org/news, consulté en février 2003.

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