Couverture de PARL_HS06

Article de revue

Lectures

Pages 174 à 181

Notes

  • [1]
    NDLR The Abbé Grégoire and the French Revolution. The Making of Modern Universalism, University of California Press, 2005.

Olivier Christin, Confesser sa foi. Conflits confessionnels et identités religieuses dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIe siècles), Paris, Champvallon, Collection Époques, 2009, 211 p.

1Souligner et comprendre la diversité des identités religieuses, tel est le fil directeur de ce nouvel ouvrage d’Olivier Christin, professeur en histoire moderne, à l’Université de Neuchâtel. Publié durant sa présidence de l’Université de Lyon II, ce recueil de huit articles est composé autour de deux thèmes : « dispositifs de parole et espace de la controverse » et « signes et insignes identitaires ». Afin d’interroger les modes d’expression de la fracture religieuse des XVIe et XVIIe siècles pour les fidèles, dans le royaume de France, en Suisse et dans l’Empire, Olivier Christin mobilise un corpus de sources iconographiques souvent inédites.

2Ce chercheur dénonce trois dangers méthodologiques et historiographiques majeurs pour justifier sa démarche. Tout d’abord, il milite pour une histoire culturelle à partir d’un corpus d’images, en évitant de tomber dans une histoire illustrée (en ce cas de la naissance du protestantisme et du développement des affrontements confessionnels). De plus, il refuse de mener une réflexion à partir de notions vastes (« peuple », « élites », « chrétien »), sans les avoir au préalable questionnées : il note en particulier la difficulté d’appliquer la notion de « propagande » aux productions iconographiques de la première modernité. En effet, le pouvoir des images, en relation avec leur création, leur usage, et leur commerce, dépend de conditions sociales, politiques et religieuses.

3Cette démarche permet au final à Olivier Christin de « revenir sur des lieux communs établis au sujet de l’émergence de nouvelles identités confessionnelles. » L’étude des débats publics de 1520 (Empire, Suisse) à 1598-1620 (France), des grandes disputes luthériennes aux grandes conférences françaises, conclut à la création d’un espace de publicité, avec des règles très codifiées de prise de parole aboutissant à la création d’un espace savant qui se développe à l’extérieur des cercles académiques ou conventuels, et qui repose sur des stratégies de persuasion, d’adhésion et de refus exprimé par les fidèles. La publicité est, également, assurée grâce à la diffusion de la relation imprimée de ces débats : qu’il s’agisse de relation réelle ou de récit imaginaire, toute cette documentation a pour finalité d’augmenter la portée pédagogique de ces disputes afin d’édifier les fidèles. En outre, refusant l’historiographie confessionnelle, l’analyse de médailles et de portraits (réels ou virtuels comme précédemment), confortée par un travail sur les vies exemplaires, s’appuie aussi sur la démarche de publicité donnée aux marques d’appartenance religieuse, par le recours à des mises en scènes savantes montrant l’adhésion individuelle à une collectivité.

4Analysant les formes de la construction des identités religieuses, Olivier Christin prouve ainsi qu’il n’existe pas de processus unique imposés « par le haut » et que la création de ces identités religieuses est le fruit d’une œuvre collective des chrétiens.

5Véronique Castagnet

Monique Cottret, Tuer le tyran ? Le tyrannicide dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 2009, 450 p.

6Du XVe siècle à 1793, l’auteure balaie, dans un plan chronologique, l’Europe du tyrannicide, de la Scandinavie à l’Italie et de l’Angleterre à la Russie (ce dont témoigne le riche index), selon deux voies toujours mêlées : le récit détaillé et circonstancié des faits, dans un dialogue permanent entre pays et une interrogation des modalités de réception des tyrannicides étrangers, et l’évolution ou la reconstruction de la justification théorique, dans la mesure où le tyrannicide s’origine dans une opération indispensable de légitimation. En effet, l’un des grands apports de ce livre est de montrer que l’acte n’est pas isolé, ni seulement lié à la conjoncture politique immédiate, mais inscrit dans un contexte culturel large qui fait part au droit, à la religion, à l’art, à la philosophie politique et à « l’infra-politique », en un mot à ce que Robert Mandrou qualifiait de conjoncture mentale. L’auteure montre ainsi l’importance de l’imaginaire du tyrannicide, d’une culture qui renvoie à des références, bibliques ou antiques, qu’incarnent les figures de Judith, Esther ou Brutus notamment, constamment réemployées mais avec des nuances et des changements. Les développements assis sur les gravures ou le théâtre, notamment dans les chapitres VIII et XI, sont ainsi essentiels. Il ne s’agit en effet pas du même tyrannicide du XVIe siècle (époque de la vocation extraordinaire et d’un fort accent religieux) à la Révolution où le tyran est tué à la suite d’une procédure judiciaire sécularisée. Cette évolution n’est pas brutale, mais connaît des inflexions, différentes selon les pays, qui tracent une histoire culturelle plus large. Dans cette chronologie, le XVIIe siècle retrouve toute sa place et le tyrannicide permet, paradoxalement, une relecture féconde des fondements de la monarchie absolue. Celle-ci entraîne la disparition du tyran, au double nom d’une raison d’État, qui s’affirme et crée une distance entre opinion et pouvoir, et d’une monopolisation de la violence politique par le pouvoir. En outre, la mystique royale développée par Louis XIV étend la vertu du sang royal à la famille et atténue la dimension individuelle. Cette construction s’effrite sous Louis XV, ce qui explique en partie l’acte de Damiens qui manifeste un retour du refoulé. De ce fait, ce geste est replacé dans une continuité. Il en est de même en Angleterre en 1688, où la pratique tyrannicide a disparu certes, mais où l’idée survit comme un horizon d’attente et une menace. Les deux dimensions ne vont pas au même rythme.

7Bien sûr, dans cette relecture, les relations entre politique et religion sont toujours présentes. La ligne directrice est celle d’une sécularisation qui distingue et sépare discours religieux et politique. Surtout, ces relations sont mouvantes et nuancées. Si l’auteure peut distinguer une pensée catholique (appuyée sur l’autorité romaine et le droit naturel) et une pensée protestante qui fait place au magistrat et au droit positif, des contestations internes apparaissent, comme le montrent le dialogue entre Bellarmin et Blackwell en Angleterre sous Jacques Ier ou entre jansénistes et jésuites autour de l’acte de Damiens. Le rapport à l’autorité fournit un axe essentiel de clivage. Quoiqu’il en soit, la place de la pensée catholique est revalorisée, loin d’une vision classique qui laisse aux monarchomaques protestants la responsabilité d’une construction théorique du tyrannicide.

8Dès lors, ce livre offre une analyse pratique des tyrannicides en Europe (où tous les grands exemples sont présents : Henri III, Henri IV, Guillaume d’Orange, Charles Ier, Louis XVI), ce qui n’est pas son moindre intérêt, mais en propose surtout une articulation qui fait place aux relations entre religion et politique, droit et pratique, politique et « infra-politique », dans un style agréable et clair, ce qui n’est pas à négliger.

9Gaël Rideau

Alyssa Goldstein Sepinwall, L’Abbé Grégoire et la révolution française. Les origines de l’universalisme moderne, Bécherel, Les Perséides, 2008 (2005), 351 p.

10Cet ouvrage est la traduction d’une synthèse biographique sur l’abbé Grégoire [1], figure emblématique de la Révolution française. De multiples travaux lui ont été consacrés mais il manquait une étude récapitulative. L’auteur ne remet pas en cause les recherches de ses prédécesseurs et livre une biographie plutôt classique. Elle retrace le parcours de Grégoire, en faisant état de ses activités, de ses écrits et des débats dans lesquels il est intervenu. Il est considéré comme « un révélateur, un acteur et un symbole » de la vie politique et intellectuelle de son temps.

11Dans la première partie consacrée aux années de formation (1750-1789), l’auteur insiste sur la pluralité des influences que Grégoire a reçues (franc-maçonnes, philosophiques, protestantes et scientifiques) et sur la maturation de son idéal universaliste et cosmopolite. Elle insiste sur l’interprétation de La régénération physique, morale et politique des Juifs, qui n’est ni une défense inconditionnelle des Juifs ni une attaque à leur endroit. La deuxième partie, consacrée à l’engagement révolutionnaire de Grégoire entre 1789 à 1801, est assez convenue. Il s’implique activement dans la vie politique comme évêque-député et membre du Comité d’Instruction publique jusqu’à thermidor, puis pendant le Directoire comme pilier de la réorganisation de l’Église gallicane et inspirateur d’institutions politiques (Institut, Conservatoire national des arts et des métiers, Société des Amis des Noirs et des Colonies). La dernière partie, couvrant les années 1801-1831, apparaît de loin comme la plus intéressante car elle offre un cadre d’analyse pertinent aux différents centres d’intérêt de Grégoire. Le Concordat met fin à ses espoirs d’un christianisme révolutionnaire et d’une réconciliation entre république et religion. 1814 sonne le glas de ses activités politiques. Pendant la Restauration, il continue à travailler, par la plume, à la propagation de son idéal. Quoique son républicanisme catholique et sa foi en une régénération universelle restent intacts, il prend ses distances par rapport à l’action politique et rejoint la position plus classique que seule l’Église peut assurer le salut. Dans une conclusion très stimulante, l’auteur étudie la postérité de Grégoire, comme icône de l’universalisme et du catholicisme libéral. Admiré ou décrié, l’abbé républicain continue de faire l’objet de nombreuses récupérations politiques et commémoratives dans le monde entier.

12Il faut saluer cette traduction d’un ouvrage américain récent, paru en 2005, complétée utilement par un index nominal. Par rapport à l’édition originale, il faut certes déplorer quelques coupes et surtout l’absence de la bibliographie, qui aurait pu montrer l’ampleur de la documentation mobilisée par l’auteur. Finalement, quoique n’apportant pas d’éléments novateurs sur le sujet et articulé autour d’une problématique parfois un peu réductrice, « l’universalisme » de Grégoire, cet ouvrage apporte une synthèse claire, utile et agréable à lire.

13Caroline Chopelin-Blanc

Gaël Rideau, De la religion de tous à la religion de chacun, Croire et pratiquer à Orléans au XVIIIe siècle, Rennes, Presses Universitaires, 2009. Préface de Monique Cottret et Postface d’Alain Cabantous

14Tiré de sa thèse de doctorat, De la Religion de tous à la religion de chacun ouvre une page inédite de l’histoire d’Orléans : le passage, au XVIIIe siècle, d’une religion collective et conformiste à une foi plus individuelle qui s’exprime indépendamment du groupe social. Se situant dans la lignée de Jean Delumeau ou Louis Châtellier, Gaël Rideau dresse un tableau novateur de la vie religieuse dans la région orléanaise. Le livre est composé de trois parties qui sont autant d’étapes dans la mise en place du nouveau paysage religieux.

15Le chemin que l’auteur nous fait parcourir part de l’espace public de la paroisse à l’espace le plus privé, celui de la chambre, lieu de méditation par excellence au sein de la maison.

16Le point de départ choisi est la paroisse : elle est envisagée autour de deux aspects, la gestion et la dévotion. Dans ces domaines, l’importance des laïcs ressort nettement. L’administration, confiée aux marguilliers, devient au cours du siècle un enjeu important. La volonté de mise en ordre est évidente tant dans les comptes que dans le bâtiment où s’exprime un souci de régularité et d’esthétique. La dévotion répond, elle aussi, à un effort d’organisation. Les prélats suppriment des fêtes et essayent de sacraliser les dimanches. Les processions sont le moyen d’introduire une nuance importante entre ville et campagne. Si les deux espaces tentent de rendre leurs cérémonies plus décentes, la municipalité d’Orléans se distingue. Manifestations d’abord religieuses, les défilés en l’honneur de Jeanne d’Arc et de saint Aignan, saint patron de la ville, sont au XVIIIe siècle un moyen de magnifier la communauté politique et les mutations urbaines contemporaines ; elles prennent un caractère de prestige et d’exaltation de la puissance de la ville.

17Quittant l’extérieur, la seconde étape nous porte à la croisée des espaces publics et intimes. À travers une étude détaillée des testaments et des impacts du jansénisme sur la foi des Orléanais, nous franchissons un pas supplémentaire vers l’individualisation des pratiques. La prise en compte précise et érudite des documents notariés permet de mettre en lumière le recul de l’acte modèle au profit d’une expression plus individuelle des dernières volontés des défunts ; les intercesseurs personnels sont valorisés et la famille devient plus importante que le groupe social. Pour l’historien, c’est la querelle janséniste, très importante dans le diocèse, qui pousse les individus à se replier sur eux-mêmes et ainsi à transformer les pratiques habituelles. L’opposition pousse au choix et à constituer ses propres références en dehors du cadre habituel de la paroisse ou du diocèse.

18L’aboutissement du parcours nous fait entrer de plein pied dans la sphère personnelle et privée. Le modèle du dévot devient la référence obligée, la population est encouragée à approfondir sa foi par la prière, en particulier au Sacré-Cœur ou à l’ange gardien. Puis, mettant l’analyse quantitative au service de l’histoire culturelle, l’auteur étudie scrupuleusement la présence d’objets de dévotion, bénitier, images pieuses, ou crucifix dans les maisons.

19À l’issue de ce parcours stimulant qui nous a mené de l’église jusqu’à l’intimité des Orléanais, Gaël Rideau présente des conclusions décisives. La maison se sacralise et devient par elle-même un espace de dévotion ; la religion n’est plus l’affaire de tous, mais celle de chaque habitant qui en met en place sa vision personnelle de la foi et de la pratique.

20Olivier Andurand


Date de mise en ligne : 21/09/2010

https://doi.org/10.3917/parl.hs06.0174

Notes

  • [1]
    NDLR The Abbé Grégoire and the French Revolution. The Making of Modern Universalism, University of California Press, 2005.

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