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Article de revue

Le discours des députés aquitains sur la « région » de 1946 à 1981

Pages 82 à 89

1Nous avons choisi d’étudier le discours des députés aquitains sur la région entre 1946 et 1981 à l’aide des professions de foi, afin d’obtenir un traitement égal des forces politiques. En effet, tous les députés élus ont présenté un ou deux engagements. Leur représentation politique dans la source varie donc en fonction de leur présence dans l’hémicycle. Les professions de foi par leur objectif – convaincre l’électeur de donner sa voix au candidat – appartiennent à la catégorie de la propagande. Sans revenir sur les débats concernant la région Aquitaine – nous avons retenu les 5 départements de l’Aquitaine actuelle – l’espace évoqué dans les textes a des extensions multiples : un Sud-Ouest aux délimitations assez floues, l’Aquitaine, le département, la circonscription ou même un « chez nous », renvoyant à l’enracinement géographique des députés. Est-ce qu’il y a un discours régional, voire un discours politique régional ? Nous verrons de quoi est fait le discours sur la région, comment il est tenu et par qui.

La trame du discours régional

Le poids du secteur primaire

2Les produits agricoles, abondamment cités, constituent une véritable vitrine régionale : fruits, noix, truffes, tabac pour la Dordogne ; vin, fruits et légumes, blé et élevage pour la Gironde, volailles (poulets, oies et canards gras) pour les Landes ; fruits et primeurs, tabac pour le Lot-et-Garonne, élevage et maïs pour les Pyrénées-Atlantiques. Les grands vins bordelais ou les vignobles de Chalosse, Tursan et Armagnac sont très largement évoqués. Cette dimension viticole caractéristique de la région est présente sous la forme de revendications (indemnisations des calamités agricoles), ou de valorisation (régularisation des marchés, développement de la publicité pour le vin à la télévision). La pêche et l’ostréiculture font l’objet d’attention notamment pour éviter les importations d’huîtres portugaises. Le monde de la forêt est très représenté dans les professions de foi landaises et ce quelle que soit l’appartenance politique. Néanmoins, le député socialiste Lamarque-Cando se distingue par son action (fonds forestier national et corps des sapeurs pompiers forestiers dont il est l’initiateur en 1954). Le nombre d’agriculteurs et de viticulteurs parmi les candidats est en effet conséquent. Les députés sont souvent « d’authentiques agriculteurs » ou font, comme la liste girondine du RPR en 1951, une « liste agricole ».

3Ce poids, qui peut devenir fardeau (exode rural, désertification, marasme…) n’empêche pas la quête du secteur secondaire.

À la recherche d’une industrialisation

4L’industrialisation est nécessaire pour pallier les difficultés du secteur agricole et limiter l’exode rural en créant de nouveaux emplois. Elle passe d’abord par la revitalisation de ce qui existait déjà. Ainsi, en 1946, l’effort doit porter sur l’utilisation maximale du port de Bordeaux toujours considéré comme « axe vital de l’activité industrielle et commerciale du Sud-Ouest ». En 1951, il sera encore question des industries portuaires bordelaises puis cette thématique disparaîtra au profit du Verdon qui doit devenir « le grand port de la façade atlantique donnant vie à sa zone industrialo-portuaire ».

5Mais au-delà de la modernisation des industries traditionnelles, les candidats entendent « favoriser l’implantation d’industries nouvelles ». Ce leitmotiv revient dans les engagements comme une formule magique d’autant que lui est associé le « miracle de Lacq ». Dès les élections de 1956, toutes les listes des Basses-Pyrénées évoquent cette manne providentielle, mais rapidement les autres départements espèrent aussi pouvoir bénéficier des effets industrialisants du gaz de Lacq. Le débat est alors très largement ouvert : les Basses-Pyrénées doivent-elles seules en profiter ? Bordeaux va-t-elle devenir une capitale industrielle ? Certains voient dans la terre aquitaine un nouvel Eldorado texan. Pourtant, en 1973, le député socialiste A. Labarrère dénonce la politique de la SNPA qui bloque les embauches et ne réinvestit pas assez dans la région. Du miracle au mirage il n’y a qu’un pas d’autant que, dès 1967, le même député envisageait l’épuisement du gisement.

La régénération par le tourisme et la préservation de « l’identité régionale »

6Au cours des années 1960, le tourisme est présenté comme la panacée. Il doit à la fois sortir les espaces ruraux de leur léthargie et créer des emplois nouveaux, dynamisant en même temps l’industrie grâce à de grands travaux. Dès les législatives de 1956, le tourisme est évoqué en Dordogne et dans les Basses-Pyrénées, puis les autres départements suivent. Au tourisme sont associés, particulièrement dans les Basses-Pyrénées, le thermalisme, le climatisme et les sports d’hiver (Arette et Gourette). Alors que ce département semble bénéficier pleinement de cette manne touristique, la Dordogne considère qu’elle est sacrifiée aux « régions touristiques de luxe » ; « les vallées de la Dordogne et de la Vézère attendront encore longtemps », proteste R. Lacoste, député socialiste de l’opposition.

7Au cours des années 1970, le tourisme n’est plus seulement « économique » ; il prend une autre dimension. Son développement a fait prendre conscience aux élus du potentiel naturel de la région d’où une volonté accrue de vouloir préserver son identité. C’est surtout à partir des législatives de 1973 que cette thématique envahit les professions de foi particulièrement des Landes et des Pyrénées-Atlantiques. Il s’agit de défendre des mesures en faveur de la pêche (truites des gaves pyrénéens) et de la chasse (chasse à la palombe et aux petits oiseaux), thématique récurrente qui se décline sous la forme de « maintien de tolérance » ou « maintien de traditions locales ». Les candidats entendent développer l’identité culturelle (développement des infrastructures sportives à l’image des trinquets) et linguistique (langues occitane et basque).

Les mots sur la région

D’un discours défensif voire misérabiliste…

8Pourtant la description de la région est assez négative : c’est une région « abandonnée », « sous-développée », « colonisée », sorte de martyr immolée sur l’autel d’« une centralisation abusive ». Même si bien entendu l’argument électoraliste n’est pas absent, la région tient souvent le rôle de victime. Les accents peuvent devenir pathétiques comme dans cette description d’une Dordogne où « tout va mal », où « 20 000 personnes s’éclairent comme à l’époque où Eugène Le Roy écrivait “Jacquou le Croquant” ». D’où un discours défensif, très récurrent et assez paradoxal d’ailleurs : d’un côté, on se défend de la toute puissance de Paris, résurgence sans doute d’un girondinisme tenace et, d’un autre côté, on en appelle à l’aide de l’État. Ce discours défensif tous azimuts peut revêtir des accents protectionnistes. En 1956, le Lot-et-Garonnais H. Caillavet rappelle les mesures qu’il a prises pour limiter l’importation de tomates et raisins de table d’Italie afin de protéger les producteurs. En 1981, le député communiste de Sarlat marque son « refus d’élargir le Marché Commun à l’Espagne et au Portugal, qui porterait des coups désastreux à nos principales productions agricoles et au tissu industriel départemental ». Il ne s’agit pas de faire de quelques cas isolés un discours général ; néanmoins, ces exemples montrent la frilosité parfois du discours. Mais celui-ci évolue.

… à un discours valorisant et positif

9À partir surtout de 1956 et durant les Trente glorieuses, les termes chargés de connotations positives envahissent le tissu textuel. Ce discours valorisant est présent dans les propositions et les bilans (objectif électoraliste oblige). La profession de foi de 1958 de J. Chaban-Delmas est éloquente puisque dans le paragraphe réservé à sa circonscription voisinent les termes de rayonnement, extension, modernisation, expansion, amélioration et accroissement.

10Concrètement ce développement passe par l’équipement du monde rural (adduction d’eau, électrification des campagnes, téléphone automatique, création de marchés-gares). C’est aussi le pari sur les produits agricoles régionaux de qualité, la modernisation des infrastructures industrielles (ports de Bayonne, Pauillac et du Verdon, aéronautique), l’aménagement touristique. Tous s’accordent à travailler pour l’expansion de la région dans un discours qui peut prendre des accents volontaristes ce qui explique les références incessantes à un nécessaire réaménagement territorial.

…passant par la décentralisation et l’aménagement régional

11La plupart des maux sont à imputer à « une centralisation abusive » ou encore aux « décisions d’irresponsables parisiens ». Les premières références à la décentralisation apparaissent en 1958 et prendront une place considérable à la fin de notre période. La décentralisation, à la fois administrative et économique, est perçue comme un moyen d’essor régional grâce à une participation des différentes organisations professionnelles et à l’adoption d’un plan cohérent. Mais si rapidement chacun en appelle de la décentralisation, les moyens mis en œuvre sont perçus différemment en fonction de la coloration politique et surtout selon l’appartenance départementale. L’aménagement ne doit pas se faire au seul profit de Bordeaux érigée en métropole d’équilibre. C’est la position de J. Thomazo, député des Basses-Pyrénées qui, dès 1958, ne veut déjà pas d’une intégration de son département dans un ensemble dont Bordeaux serait le chef-lieu. Même méfiance de la part du Périgourdin R. Lacoste qui considère que l’aménagement se fait au détriment de la Dordogne, sorte de « réservoir de main-d’œuvre pour les grandes villes : Bordeaux, Toulouse, Paris ».

12Progressivement la décentralisation est précisée d’autant que les socialistes l’ont inscrite à leur programme. Au début des années 1980, elle cumule les avantages : relancer l’économie régionale et contribuer à la construction de la liberté de cet espace.

Les acteurs du discours

De faibles variations politiques

13Tous les députés ou presque s’intéressent à la région mais avec des nuances liées à la conjoncture. Ainsi durant les années 1960, les gaullistes au pouvoir dressent des tableaux (et donc des bilans) plus optimistes pour prouver que leur action au sein de l’hémicycle a été positive. Au début de la période étudiée, les listes de gauche ont parfois tendance à rester davantage dans le programme national alors que les conservateurs sont plus tournés vers la région. En tout cas, il paraît très difficile de définir un gaullisme ou un socialisme aquitains. Certes les députés socialistes en appellent à la décentralisation, mais ils ne sont pas les seuls et ce n’est pas une caractéristique dans cette région-là, puisque c’est inscrit dans le programme national du PS. Par ailleurs, dans le maintien des traditions régionales, la coloration politique n’a plus vraiment lieu d’être. Ainsi les socialistes Lamarque-Cando et Emmanuelli défendent les chasses traditionnelles non pas en tant que socialistes mais comme « Landais ». L’appartenance régionale transcende donc souvent les tendances politiques.

L’enracinement régional des députés

14De nombreux députés se présentent comme des « enfants de la région », « d’authentiques Girondins », « Basques ou Béarnais de vieille souche », et même plu-sieurs fois, des « hommes de chez nous ». Par opposition, le candidat adverse peut être présenté comme totalement étranger à la région ; c’est le cas, en 1967, de l’opposant à G. Bonnet que celui-ci présente ainsi : « parachuté de Dakar, sans aucune attache dans le département, il n’est pas de chez nous ».

15Certains mettent en avant leur fonction quand celle-ci est représentative des intérêts de la région ou dressent des bilans de leur action pour la cir-conscription. Dans ce cas-là, ce sont souvent des députés qui ont aussi une stature nationale comme Y. Guéna ou J. Chaban-Delmas.

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Profession de foi du député Alain Bonnet aux législatives de 1978.

Des particularités aux particularismes

16Alors que les députés ayant des fonctions nationales considèrent que celles-ci doivent les aider à promouvoir leur région, le « duc d’Aquitaine » renverse la tendance en faisant de sa circonscription (et donc de la « région » assimilé à Bordeaux) le banc d’essai de sa Nouvelle Société. Ce qui est bon pour Bordeaux pourra être appliqué à la France. J. Chaban-Delmas assimile d’ailleurs de manière répétitive les trois espaces en un slogan : « Pour Bordeaux, pour l’Aquitaine et pour la France ». Il est directement question que Bordeaux soit « à la tête de cette révolution humaine ». Déjà en 1956, il notait que : « pourra être fait en France, ce qui se fait à Bordeaux ». En 1981, alors qu’il prône le « changement » pour la France tout entière, il affirme : « je vous propose celui que nous n’avons pas cessé de réaliser à Bordeaux ensemble ». Ainsi, la représentation de la « région », hissée en modèle national, est extrêmement positive d’autant que l’utilisation du « nous » fait des Bordelais des acteurs à part entière.

17Dans un autre registre, on peut déceler des particularismes dans la manière dont les députés s’adressent aux électeurs en recherchant parfois une connivence régionale. Les adresses marquent des différences départementales : les « Landais », « Basques » et « Béarnais » sont apostrophés, alors que pour les autres départements (sauf parfois les « Médocains ») il n’y a pas de référence géographique. La conscience identitaire est plus fortement marquée dans la presqu’île du Médoc, dans les Landes où les traditions à défendre sont fréquemment mises en avant, et enfin dans les Pyrénées-Atlantiques. Dans ce dernier département, les particularismes culturels sont forts, comme le montre par exemple l’utilisation dans les professions de la langue basque par le député RPR Inchauspé.

18Plus qu’un discours politique régional, il s’agit d’un discours régional tout court alimenté par les forces économiques, les traditions et les candidats eux-mêmes souvent fortement ancrés dans leur région. Les composantes régionales modulent le discours du député socialiste, centriste ou gaulliste. Si celui-ci conserve son programme partisan, il l’adapte voire il improvise sur le terrain de sa circonscription, ce qui peut provoquer un brouillage des colorations politiques. Il est difficile de mesurer quelle dimension l’emporte tant les destinataires – les habitants d’un espace territorial précis et non pas forcément des militants – ont aussi leur importance puisqu’ils attendent un discours spécifique. Néanmoins on peut relever la spécificité du discours chabaniste et des particularités pour les Landes et surtout les Pyrénées Atlantiques. Enfin, l’unité du discours est peut-être dans la volonté de « vivre au pays » et de préserver ce qu’un député appelle sa « qualité de vie ».

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