Notes
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[1]
Pour plus de détails sur cet épisode, cf. Éric Gojosso, « L’administration provinciale du Cambodge dans les premiers temps du protectorat français (1863-1897) », Histoire, théorie et pratique du droit. Études offertes à Michel Vidal, Bordeaux, PUB, 2010, p. 517-535.
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[2]
« Notice sur la Basse-Cochinchine », Bulletin de la société de géographie, janvier-février 1864, p. 36-37.
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[3]
Manuel pratique de langue cambodgienne, Saigon, impr. impériale, 1870, p. 12-13.
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[4]
Pour un aperçu des mutations qui affectent les collectivités locales, voir Éric Gojosso, « La réforme communale au Vietnam à l’époque de l’Indochine française », AFHIP, La dynamique du changement politique et juridique : la réforme, Aix-en-Provence, PUAM, 2013, p. 315-327.
-
[5]
Éric Gojosso, « Les provinces dans l’empire colonial français : l’exemple de la Cochinchine (1861-1876) », in Éric Gojosso et Arnaud Vergne (dir.), La Province. Circonscrire et administrer le territoire de la République romaine à nos jours, Poitiers, LGDJ, 2010, p. 445-476.
-
[6]
NDLR : Paul Doumer fut gouverneur général de l’Indochine de 1897 à 1902.
-
[7]
Éric Gojosso, « L’administration territoriale des protectorats annamite et tonkinois (1883-1899) », in Éric Gojosso, David Kremer et Arnaud Vergne (dir.), Les colonies. Approches juridiques et institutionnelles de la colonisation de la Rome antique à nos jours, Poitiers, LGDJ, 2014, à paraître.
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[8]
Paul Beau, Situation de l’Indochine de 1902 à 1907, Saigon, Rey, 1908, t. 1, p. 169.
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[9]
Aspects de l’évolution gouvernementale de l’Indochine française, Saigon-Paris, SILI-Sirey, 1946, p. 29.
-
[10]
Patrice Morlat, Indochine années vingt : le rendez-vous manqué, Paris, Les Indes savantes, 2005, p. 326.
-
[11]
Cf. Trinh Van Thao, L’école française en Indochine, Paris, Karthala, 1995, p. 11-38.
-
[12]
Voir Vu Quoc Thong, La décentralisation administrative au Viet-Nam, Hanoï, PU du Viet-Nam, 1952, p. 162-200 et Guy Lebel, Deux aspects de l’évolution du protectorat français en Annam-Tonkin, thèse droit, Paris, A. Mechelinck, 1932, p. 93-99 et 103-106.
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[13]
Roger Pinto, Les assemblées des villages convoquées par l’amiral gouverneur Ohier, extrait du Bulletin de la Société des études indochinoises, 1er trim. 1944, 49 p.
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[14]
NDLR : cf. Philippe Tanchoux, « Les « pouvoirs municipaux » de la commune entre 1800 et 1848 : un horizon chimérique ? », supra, p. 35-48.
-
[15]
Cf. Éric Gojosso, « Contribution à l’histoire de l’administration territoriale en Indochine. La commune annamite de Cochinchine comme instrument juridique de pacification », Storia Amministrazione Costituzione, 2013, n° 21, p. 33-48.
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[16]
Circulaire de Paulin Vial du 10 mai 1886, in Désiré Ganter, Recueil de la législation, Hanoï, Schneider, 2e éd. 1895, p. 92.
“French Indo-China”, carte tirée de Virginia Thompson, French Indo-China, Londres, G. Allen and Unwin, 1937, hors texte
“French Indo-China”, carte tirée de Virginia Thompson, French Indo-China, Londres, G. Allen and Unwin, 1937, hors texte
1Lorsque la France entreprit la conquête de la péninsule indochinoise à partir de 1858, elle se trouva rapidement face à des situations politiques et administratives disparates. Négliger ce constat exposerait au risque de ne pas comprendre pourquoi rares furent les réformes dotées d’une ambition générale, soit visant l’Indochine dans son ensemble, soit s’attachant à refondre entièrement un système local. Aucune d’ailleurs ne fut réellement couronnée de succès. La tentative de redéfinition globale de l’espace administratif cambodgien par la création de nouveaux ressorts et la subordination subséquente du personnel indigène aboutit à l’insurrection de 1885-1886. Elle se solda par une reculade à l’heure où il semblait inopportun de multiplier les fronts, le colonisateur ayant en outre à vaincre le Can-Vuong et à pacifier le Tonkin [1]. Sous le proconsulat de Paul Doumer, une décennie plus tard, le choix de la dénomination unique de « province » pour toutes les circonscriptions majeures de l’Union indochinoise, suite logique de la création du corps des services civils par la fusion des différents cadres, n’eut pas pour effet d’harmoniser les fonctions des administrateurs qu’aucun texte ne définit jamais avec précision. Il ne faut donc pas s’arrêter à ces deux événements et croire que les réformes adoptèrent un cours méthodique. On en retirerait plutôt une impression contraire dont les raisons sont culturelles et historiques. Il n’est donc pas inutile de les rappeler brièvement.
2Au milieu du XIXe siècle, le Vietnam (Dai Nam ou empire d’Annam) offrait l’exemple d’un État fortement structuré, alliant centralisation politique et autonomie locale. L’autorité impériale était, en effet, relayée dans le pays par un corps de fonctionnaires lettrés, recrutés au terme d’un concours, et investis de la direction de circonscriptions hiérarchisées, de la province (tinh) prise en charge par un gouverneur général (tong-doc) ou particulier (tuan-phu) à l’arrondissement (huyen) confié à un sous-préfet (quan-huyen ou plus simplement huyen) en passant par le département (phu) géré par un préfet (quan-phu ou phu). Aux degrés inférieurs, les cantons (tong) et les communes (xa), sous réserve de remplir des obligations peu nombreuses définies par le pouvoir central, bénéficiaient d’une large autonomie : des notables tirés de la population y conduisaient les affaires locales. À l’instar de Lucien de Grammont, les premiers observateurs français virent dans ce système « l’heureuse alliance du régime municipal qui n’a pu survivre en France, et de la centralisation administrative qui a été un peu exagérée de nos jours » [2].
3Au Cambodge, le tableau était en partie différent. Comme au Dai Nam, le royaume se trouvait divisé en provinces (khêt) ; chacune avait à sa tête un gouverneur (chaufai-khêt ou chaufai-sroc). En revanche, les ressorts subalternes étaient plus difficiles à cerner, ayant été multipliés dans le plus grand désordre pour des raisons vénales. N’en émergeait finalement que le pays (srok), parfois assimilé au canton ou à la commune et s’identifiant en réalité à une communauté humaine s’enracinant dans un territoire de manière très relative. Ces srok incluaient des hameaux (phum ou poum) dont l’un des traits saillants était l’absence de délimitations précises, leurs habitants se déplaçant régulièrement d’un lieu à l’autre. Les chefs des communautés villageoises (mesrok) et leurs adjoints (chumtup) étaient désignés par les gouverneurs. Du sommet à la base, l’organisation khmère se dévoilait ainsi sous un jour hiérarchisé qui ne doit pas cependant faire illusion, car à l’aube du protectorat et à en croire Gustave Janneau, le royaume, placé sous la double suzeraineté de l’Annam et du Siam, était caractérisé par « un degré de désorganisation et de décomposition voisin d’une ruine complète » [3].
4Enfin, le Laos n’était alors rien moins qu’un conglomérat de principautés unies par des liens de vassalité sous la domination du Siam. Le muong constituait ici la circonscription majeure, qu’on pouvait identifier tantôt à une principauté, tantôt à une province – voire à un village. La responsabilité en incombait à un chau-muong nommé par la cour de Bangkok avant la pénétration française. Le muong était généralement divisé en cantons (taseng) et le canton en villages (ban). Leurs chefs respectifs (taseng et pho-ban) étaient élus.
5Chacune des sociétés indigènes possédait ainsi une administration particulière dont la singularité tenait tout à la fois à l’agencement de ses structures, rarement saisissable en termes analogues, nonobstant d’apparentes similitudes, et à la nature des relations qu’entretenaient le centre et la périphérie, distendues ici, resserrées là. Eu égard au poids qu’il occupa toujours dans l’ensemble indochinois et au degré de perfectionnement de son système, le Dai Nam seul retiendra l’attention. La présence d’institutions locales relativement efficaces jointe à la faiblesse des moyens humains et financiers déployés par le colonisateur permettent de comprendre le choix du maintien de l’organisation antérieure. Se présentant sous un aspect rationnel et uniforme, elle ne pouvait que séduire, à condition de s’assurer du loyalisme des administrateurs vietnamiens, dont le concours était indispensable. Cette hypothèque levée, les réformes n’auraient eu sur le terrain qu’une ampleur limitée, les enjeux principaux relatifs à la constitution de l’appareil colonial se situant aux niveaux supérieurs – celui qu’occupera à partir de 1887 le gouvernement général de l’Indochine – et régional – celui des trois Ky pour le Vietnam, à savoir la Cochinchine, l’Annam et le Tonkin. Les choses furent évidemment plus compliquées.
6En effet, la manière dont l’administration territoriale fut appréhendée par l’action réformatrice de la France s’avéra étroitement tributaire de la conquête et des circonstances dans lesquelles elle s’accomplit, en plusieurs séquences : 1858-1867 pour la Cochinchine ; 1883-1885 pour l’Annam et le Tonkin, sans tenir compte des opérations de pacification qui durèrent jusqu’au XXe siècle. Le statut juridique des différents territoires de l’ancien Dai Nam qui en résulta fut un obstacle puissant à l’énonciation d’un plan d’action commun. Ce qui était envisageable en Cochinchine, placée sous le régime colonial, ne l’était pas dans les pays de protectorat, quand bien même celui-ci aurait été conçu de façon étriquée comme ce fut le cas pour le Tonkin. Et encore faut-il ajouter, concernant ce dernier territoire, que la proximité de la Chine freina longtemps les initiatives. Partant, s’il est sans doute dommageable de séparer l’histoire administrative de l’empire colonial de celle de la métropole, il ne faudrait pas, occultant le contexte ultramarin et ses contraintes particulières, conclure à un démarcage servile. Il est certain que les Français vinrent en Indochine tout imbus des principes napoléoniens, certains d’entre eux y apportant même quelques-uns de ces projets décentralisateurs que la métropole n’adopta jamais, mais il est tout aussi certain qu’ils trouvèrent en Asie des sociétés déjà constituées, avec les mœurs, les traditions et les usages desquelles ils durent composer. De cette confrontation ne pouvaient sortir que des institutions douées d’une physionomie propre car façonnées par une acculturation réciproque. Enfin, l’instabilité qui frappa les hauts responsables de l’Indochine n’était pas de nature à favoriser l’émergence d’une ligne directrice consensuelle, les uns penchant en faveur de l’administration directe quand les autres militaient pour la remise de la gestion locale aux indigènes. À cet égard, il y eut comme un mouvement de balancier (Richaud/Piquet ; Lanessan/Doumer ; Doumer/Beau…) dont l’amplitude, il est vrai, alla se réduisant. La prise en charge de l’échelon provincial par des fonctionnaires français finit par s’imposer comme une nécessité. La question qui demeura, dans ce registre comme dans bien d’autres, fut celle de l’implication des autochtones.
7Dans une perspective « déconcentrée », la seule qui nous occupera ici [4], l’héritage de la conquête induisit une réponse défavorable à toute forme d’administration indirecte, le colonisateur accaparant selon divers procédés les fonctions décisionnelles. Ce n’est toutefois qu’un aspect des réformes accomplies car, au même niveau provincial et comme en contrepartie, des instances consultatives furent établies.
L’accaparement des fonctions décisionnelles
8En Cochinchine, les Français durent affronter d’emblée un vide administratif, les mandarins ayant systématiquement déserté le pays pour rester fidèles à l’empereur Tu-Duc et poursuivre la lutte en suscitant la guérilla. Au Tonkin, ceux qui demeurèrent firent preuve de mauvaise volonté. En Annam, les lettrés tinrent la première place dans le mouvement du Can-Vuong qui structura la résistance après la fuite de l’empereur Ham Nghi en 1885. Les faits rejoignaient ainsi le préjugé répandu par les missionnaires européens, témoins des persécutions dirigés contre leurs fidèles et dont eux-mêmes avaient souvent eu à souffrir. Nombreux parmi les colonisateurs l’avaient adopté, élargissant les griefs à la corruption engendrée par la faiblesse des rémunérations des agents publics.
9Une telle défiance ne fut pas sans conséquence sur le système administratif des pays assujettis. Les réformes s’enchaînèrent, introduisant au sein de l’espace vietnamien une disparité de situations qui ne fut jamais résolue pendant la période coloniale. En Cochinchine, la page fut tournée rapidement : les administrateurs des affaires indigènes, recrutés pour l’essentiel parmi les officiers de marine, se substituèrent au cadre mandarinal qu’on avait bien essayé de reconstituer avec des Annamites ralliés, mais sans guère de succès. La prise en charge des affaires locales par des fonctionnaires français provoqua l’obsolescence du découpage territorial traditionnel : les tinh, phu et huyen cessèrent peu à peu d’être des circonscriptions opératoires et furent remplacés par des inspections qui reçurent ensuite le nom d’arrondissements. Les Vietnamiens, même sincèrement attachés à leur nouveau souverain, furent ravalés au rang d’auxiliaires. Pour que des responsabilités leur fussent confiées, il fallut attendre le début du XXe siècle et l’institution des délégués indigènes que les autorités françaises placèrent à la tête de postes administratifs [5].
10Même si grande fut parfois la tentation de s’inspirer de l’exemple cochinchinois, il ne pouvait être question d’en opérer la transposition pure et simple dans les autres parties de l’ancien Dai Nam. Les accords diplomatiques y faisaient obstacle. Le traité du 6 juin 1884, ou traité Patenôtre, avait en effet préservé le pouvoir de l’empereur de diriger ses États par l’intermédiaire des mandarins (art. 16). Il avait toutefois assorti cette stipulation d’une réserve capitale en reconnaissant à la puissance tutélaire le droit d’installer au Tonkin, « dans les chefs-lieux où leur présence sera jugée utile », des résidents et résidents adjoints (art. 6) investis du contrôle de fonctionnaires indigènes révocables sur simple demande (art. 7) et de la perception et de l’emploi de l’impôt ancien (art. 11). La logique de l’instrument, et certains le déplorèrent très tôt, conduisait donc à la juxtaposition de deux ordres administratifs, l’un vietnamien maintenu dans son agencement traditionnel, l’autre français borné pour l’essentiel à un rôle de surveillance. Au centre, dans l’Annam proprement dit, le traité Patenôtre avait, dans un premier temps, exclu la mise en place de représentants territoriaux du protectorat en dehors des ports de Qui-nhon, Tourane et Xuan-day (art. 4). Rien ne devait donc être changé à l’organisation indigène. Imposée après le coup de force vietnamien infructueux dont faillit être victime le général Roussel de Courcy, la convention additionnelle du 30 juillet 1885 introduisit néanmoins cette possibilité en prévoyant que « le régime de protectorat institué pour le Tonkin par le traité conclu à Huê, le 6 juin 1884, pourra, par décision du résident général, être étendu en tout ou en partie aux provinces de l’Annam » (art. 3). C’était à terme annoncer l’alignement des dispositifs du nord et du centre.
11Au Tonkin, la France s’employa d’abord à distendre les liens unissant l’administration régionale au gouvernement de Huê. Elle y parvint en obtenant la création d’un kinh-luoc, doté de façon inédite des prérogatives d’un vice-roi, sur lequel elle avait une emprise totale. Ce haut-commissaire se trouvait tout à la fois en position de diriger les provinces septentrionales sans avoir à prendre ses ordres de l’empereur et soumis au protectorat qui tenait du traité de 1884 le droit d’en demander à tout instant la révocation. Dans les faits, le colonisateur ne se contenta pas d’utiliser ce « rouage-écran », dont les pouvoirs furent progressivement rognés et limités à la révision des jugements et à l’avancement des lettrés. Il développa de manière concomitante les relations directes avec les échelons inférieurs de la hiérarchie vietnamienne. Deux structures, dont le périmètre d’action se recoupait parfois, n’en subsistaient pas moins.
12Doumer y mit un terme [6], réalisant l’absorption de l’une par l’autre. Au plan régional, il fit supprimer la fonction de kinh-luoc et transférer ses compétences au résident supérieur à Hanoï, érigé ainsi en chef de l’administration indigène septentrionale. Dans les provinces, il accentua le rôle des résidents en ne renouvelant pas les emplois de tong-doc et de thuan-phu devenus vacants. Les postes de quan-bo dont les attributions étaient pour l’essentiel d’ordre fiscal, cessèrent également d’être pourvus. Il fallait abolir des intermédiaires inutiles et coûteux. Seuls les an-sat à vocation judiciaire devaient demeurer comme ultimes vestiges de l’ancien régime. Dans les provinces créées simultanément, ce furent d’ailleurs les seuls mandarins provinciaux établis. Les ordres étaient donc directement transmis de la résidence aux agents subalternes des préfectures et sous-préfectures qui pouvaient être maintenus sans danger, n’étant que des exécutants – et il en fallait pour dominer des territoires rétifs à l’implantation française. À cette fin, d’autres méthodes servirent : pour améliorer le maillage territorial, des circonscriptions provinciales furent redessinées et de nouveaux ressorts imaginés ; des territoires militaires à statut spécial virent le jour le long de la frontière de Chine ; les villes d’Hanoï et d’Haiphong, devenues officiellement concessions, furent soustraites à la souveraineté impériale. Le fait marquant resta toutefois la constitution d’une administration unique, incorporant aux niveaux supérieurs un personnel français et aux étages inférieurs une composante vietnamienne, investie de façon schizophrénique d’une double mission, contrôler et agir [7]. La prise en main par les résidents français de fonctions naguère dévolues aux mandarins n’échappa pas au Conseil d’État, qui finit par assimiler les agents déconcentrés du protectorat à des « fonctionnaires indigènes », insusceptibles à ce titre de voir leurs actes déférés devant la juridiction administrative (CE, 19 mai 1936, Nguyen The Truyen).
13Si Paul Beau, succédant à Doumer en 1902, réintégra les lettrés dans les emplois provinciaux, excepté ceux de quan-bo, il ne le fit pas avec l’intention de leur restituer la gestion locale. La mesure était principalement justifiée par la nécessité de « donner plus d’élasticité aux cadres de l’administration indigène », tout en remédiant à la confusion fréquente des pouvoirs administratifs et judiciaires, réunis dans les mêmes personnes [8]. Ce choix, plus conforme à l’esprit du traité de 1884, ne doit pas être interprété comme une remise en cause du dispositif qui trouva d’ailleurs une consécration textuelle dans l’ordonnance royale du 26 décembre 1918. Celle-ci rappela certes, ce sur quoi d’aucuns insistèrent rapidement, que l’administration des provinces du Tonkin était assurée par un personnel indigène (art. 1er), mais précisa également que « les mandarins provinciaux ont pour attribution principale de seconder l’administrateur résident de France », les uns en surveillant les phu et les huyen de même que les autorités cantonales et communales, les autres en exerçant des fonctions judiciaires (art. 9). Une ordonnance du 7 juin 1923, en bien des points conforme à la précédente (sauf apparition dans le texte du cadre des mandarins judiciaires, conséquence de la réforme de juillet 1917), innova en offrant la possibilité au chef de province de déléguer au gouverneur ou à l’an-sat le règlement « de certaines questions d’ordre administratif » (art. 9). Elle n’alla pas plus loin. Aussi, comme devait le constater en 1946 Roger Pinto, « un délégué administratif du chef-lieu, en Cochinchine, jouit, peut-être, de pouvoirs plus grands que le tong-doc d’une province tonkinoise » [9].
14L’ordre des priorités coloniales préserva longtemps l’Annam des réformes qui atteignirent les autres parties du Vietnam. Il est vrai que l’action de la France y prit, dès le début, un tour plus politique qu’administratif, justifié par la présence à Huê de la cour et du gouvernement impérial. Le but principal était de s’assurer de la collaboration du monarque, quitte à le déposer si besoin était comme ce fut avec Ham Nghi en 1885, Thanh Tai en 1907 et Duy Tan en 1916. Autorisée par la convention additionnelle de 1885, l’implantation des résidents français s’y fit par conséquent de manière progressive jusqu’à Doumer, qui en installa un par province et en doubla ainsi le nombre, à l’heure où une ordonnance royale leur confiait, avec l’assistance des quan-bo, la collecte de l’impôt. À en croire certains, cette réforme fiscale annonçait la constitution d’une administration unique, à l’image de ce qui s’accomplissait au Tonkin, fonctionnaires français et annamites étant enfin amenés à collaborer. C’était aller vite en besogne, bien que les signes d’un rapprochement des deux situations administratives aient pu favoriser cette impression : des délégations apparurent au Centre en 1902 et ne tardèrent pas à se multiplier – elles existaient au Nord depuis 1898 ; la carte des circonscriptions commença à son tour à être redessinée. L’absorption toutefois ne se réalisa pas.
15Il est vrai que les obstacles à surmonter ne manquèrent pas, faute de trouver un prince réellement acquis au principe de la domination française – Duy Tan lui-même conspira contre elle en 1916 –, faute aussi de mettre cette dernière à l’abri de toute contestation – le mouvement contre l’impôt en 1908-1909 menaça de faire tache d’huile et ne fut stoppé que par le recours à la troupe. L’assujettissement de l’administration territoriale indigène intervint donc tardivement et indirectement, par la captation des pouvoirs impériaux que réalisa la convention du 6 novembre 1925. La mort de Khai Dinh en fournit le prétexte, mais l’outil avait été forgé dès le début de l’année par Pierre Pasquier, résident supérieur à Huê. Le gouverneur général Merlin y avait vu le moyen d’exercer une action « plus directe » sur la population annamite, motivation décidément récurrente des modifications introduites par les Français. La convention, promulguée par simple arrêté, le rendait en effet possible. Elle confiait aux représentants du protectorat le soin de régler l’ensemble des questions d’ordre administratif (organisation des services, recrutement et nomination des fonctionnaires spécialement) sur avis obligatoire mais non conforme du conseil des ministres, un conseil d’ailleurs présidé par le résident supérieur. Seules les grandes réformes devaient recevoir l’assentiment de la Chambre des représentants du peuple pour être applicables. Dans de telles conditions, la mise sous tutelle de l’appareil étatique devenait totale. Du reste, Pasquier ne tarda pas à user des pouvoirs qu’il avait reçus de la convention de 1925 en déplaçant les responsables annamites de plusieurs provinces et en nommant des mandarins plus dociles, dans le sud de l’Annam en particulier [10].
16Pour autant, le sort de l’Annam ne pouvait être confondu avec celui du Tonkin, car ici, le résident supérieur n’était que momentanément substitué à l’empereur Bao-Dai, encore mineur et se trouvant en France, alors que là, le résident supérieur avait remplacé un haut fonctionnaire, le kinh-luoc, ce qui pouvait se concevoir dans la durée. L’instrument diplomatique de 1925 fut d’ailleurs dénoncé le 10 septembre 1932. Une différence irréductible demeurait. Qu’elle fût seulement apparente importait peu. Par conséquent, même avec un rôle limité, les administrateurs indigènes restaient, dans la partie centrale de l’empire, officiellement maîtres de la gestion provinciale, sauf dans les domaines de la fiscalité, du maintien de l’ordre et du développement économique et sous le contrôle des résidents.
17Il n’empêche, tant à l’échelle de la péninsule que de ce qui allait redevenir après la Seconde Guerre mondiale le Vietnam, les mandarins avaient cessé de tenir le premier rôle dans l’administration territoriale. Pour relayer sur le terrain l’action du gouverneur général, dirigeant suprême de l’Indochine, il fallait un personnel entièrement soumis. Celui-ci, aux échelons supérieurs, ne pouvait qu’être français, les lettrés étant de plus en plus tenus à l’écart ou confinés dans des emplois subalternes. Le corps historique qu’ils constituaient fut d’ailleurs condamné par la suppression des concours triennaux en 1918. L’heure était à la modernisation, imposée par la France [11].
18Dans cette optique et pour compenser la mise à l’écart des mandarins provinciaux, des instances consultatives furent peu à peu instituées dans les circonscriptions majeures des trois Ky.
L’établissement d’instances consultatives
19La mise en place d’organes assurant à l’échelon provincial la représentation des intérêts de la population procède de facteurs multiples [12]. Il fallait bien, dans une certaine mesure, tenir compte des aspirations des indigènes, mais le choix fait entérina la volonté de rompre avec l’ancien régime, d’une part en introduisant l’idée même de représentation des administrés, d’autre part en écartant le personnel mandarinal qui aurait pu se charger de la fonction de médiation. Que l’expérience ait pris naissance en Cochinchine, région immédiatement désertée par les lettrés, à l’heure où Le Myre de Vilers venait réaliser la politique d’assimilation, n’est pas en soi anodin. Elle peut même être interprétée comme le nouvel acte d’une partie dirigée contre le pouvoir traditionnel et les principes confucéens le sous-tendant.
20Si l’amiral Ohier avait bien organisé une première consultation des communautés rurales en 1869, celle-ci était restée sans lendemain [13]. Il fallut attendre la période du gouvernement civil pour en voir le prolongement, quoique d’une autre manière, à travers la création de conseils d’arrondissement, institués à titre d’essai et provisoirement par un arrêté local du 12 mai 1882 et confirmés par le décret du 5 mars 1889. Très inspirés de la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux, ces deux textes n’en réalisèrent pourtant qu’une pâle transposition, dans la mesure où ils ne rompaient pas avec la logique centralisatrice qui prévalait depuis l’origine au bénéfice du gouverneur de la Cochinchine. Sur le fond, ils restaient proches de la loi du 28 pluviôse an VIII [14]. Les conseils d’arrondissement comprenaient des indigènes élus, choisis par les notables en exercice parmi les inscrits au dia-bo – c’est-à-dire les contribuables traditionnellement associés aux affaires locales –, à raison d’un à trois délégués par canton. Présidés par l’administrateur français, ces conseils étaient dépourvus d’une instance comparable à la commission départementale, établie en métropole pour contrôler l’exécution par le préfet des décisions prises par l’assemblée départementale. La chose n’était pas envisageable en Cochinchine où elle aurait pu être interprétée, à plus d’un titre, comme une remise en cause de la hiérarchie coloniale. Le conseil n’avait donc pas la faculté d’adopter la moindre décision exécutoire ni de surveiller l’action du chef d’arrondissement. Ses attributions étaient essentiellement consultatives. L’ensemble de ses délibérations, y compris le vote du budget primitif, restait soumis à l’approbation du gouverneur. Néanmoins, aucune mesure touchant les intérêts propres de l’arrondissement ne pouvait être prise sans avoir fait l’objet d’un vote préalable par le conseil à qui était aussi donnée la possibilité d’émettre des vœux sur toutes les questions économiques et d’administration générale. Les vœux de nature politique étaient quant à eux interdits. La dette à l’égard de la charte départementale de 1871 est ici patente.
21Ce dispositif initial fut peu remanié jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Un décret de 1903 se borna à ajouter deux conditions pour être élu conseiller d’arrondissement : avoir 30 ans révolus et avoir rempli pendant deux ans au moins des fonctions de notable. C’était réduire considérablement le nombre d’éligibles, mais dans le temps où le colonisateur s’attelait à la réforme de la commune annamite [15], fragilisée par le désengagement des « gens âgés et aisés » chers à Luro, il s’agissait par là de raffermir l’autorité de ceux qui continuaient à s’investir dans la direction des villages. Une autre modification, introduite en 1915, offrit quant à elle au gouverneur de la Cochinchine la faculté, jusque-là réservée aux seuls électeurs, de saisir le conseil du contentieux administratif afin d’obtenir l’invalidation des élections. La question de la maîtrise de la représentation motiva la série d’interventions nouvelles des années 1929 à 1931. La définition du corps électoral fut d’abord clarifiée (les notables visés par le texte de 1889 étaient les membres des conseils de chaque commune, décret du 14 mai 1929) avant d’être étendue selon une double logique censitaire et capacitaire qui avait déjà prévalu lors de la réforme communale de 1927 : y furent intégrés les contribuables indigènes âgés de 25 ans, les anciens notables et les personnes ayant rendu des services civils ou militaires (décret du 27 juin 1931). La représentation des intérêts français que la réglementation provisoire de 1882 avait admise, fut enfin mise en œuvre, au terme d’une résistance d’une décennie opposée par le gouvernement général de l’Indochine au conseil colonial de Saigon. Le premier avait notamment soulevé le problème de la langue de travail et exprimé la crainte de voir les conseillers français prendre l’ascendant sur leurs collègues vietnamiens. La persévérance du second eut finalement raison des réticences. Le décret du 19 août 1930 consacra la revendication des colons : deux citoyens français, désignés par le gouverneur sur une liste de cinq candidats établie conjointement par les chambres de commerce et d’agriculture, intégrèrent chaque conseil. Depuis l’année précédente, d’ailleurs, lesdites assemblées avaient changé de dénomination et pris celle de conseils de province. Cela faisait tout de même trois décennies que les arrondissements n’existaient plus en Cochinchine !
22Les conseils provinciaux, dont le bilan paraît mitigé, disparurent par suite du décret vichyste du 8 novembre 1940 suspendant les sessions ordinaires de tous les organes élus en Indochine. Leur furent substituées, par décision du gouverneur général en date du 27 décembre 1940, des commissions mixtes provinciales composées de conseillers en exercice désignés par l’autorité coloniale et dotées de compétences uniquement consultatives.
23Au Tonkin, l’autre région du Vietnam où l’emprise française se voulait la plus assurée, la mise en place de structures consultatives tarda. Une première époque, qui débute avec Paul Bert, fut celle des commissions consultatives indigènes créées par les arrêtés des 30 avril et 12 octobre 1886. Composées de notables élus par leurs pairs, ces commissions devaient être interrogées sur toutes les questions intéressant la province ou ayant un intérêt général. Elles étaient du reste autorisées à émettre des vœux dans ce double registre. Leur réunion était toutefois laissée à la discrétion du résident français. Une circulaire révèle explicitement qu’en s’appuyant sur les notables, le protectorat entendait écarter les lettrés, suspectés « d’abuser de leur instruction et de leur influence pour s’opposer clandestinement à l’œuvre de pacification » [16]. Les circonstances troubles que connaissait le Tonkin ne permirent pas à ces instances de fonctionner. Avec Paul Doumer qui les reconstitua en mars 1898, la réglementation évolua : la nomination par le chef de province remplaça l’élection ; deux sessions à échéance régulière furent prévues ; la préparation du budget provincial supposa désormais l’avis de la commission, qui pouvait en outre faire des propositions en matière de travaux publics. En mai 1907, Paul Beau, mieux disposé à l’égard des indigènes, rétablit l’élection par un corps élargi de notables. Il retira en outre la présidence des sessions au résident pour la donner à un élu, s’inspirant sur ce point de la loi d’août 1871. Enfin, il rendit possible la création de commissions interprovinciales, formées par le regroupement de commissions consultatives et chargées d’examiner des questions d’intérêt commun. L’expérience des commissions élues fut toutefois de courte durée : inadaptée à une population manquant d’instruction et peu habituée à porter son regard au-delà du village, elle fut rapportée en novembre 1908 par Antony Klobukowski. Les commissions consultatives devenues « régionales » furent désormais constituées par la réunion des chefs de canton titulaires en activité, sans qu’il ne fût rien changé à leurs compétences. Elles n’eurent pas plus de succès que les précédentes, les notables apparaissant trop dépendants de l’administration déconcentrée.
24Avec l’arrêté du 19 mars 1913, les conseils provinciaux de notables indigènes entrèrent dans une seconde époque. La nouvelle réglementation fit le choix de l’élection pour les circonscriptions à dominante vietnamienne et de la nomination pour celles peuplées d’autres groupes ethniques, en moyenne et haute région. Comme il en était en Cochinchine avant 1903, les éligibles, c’est-à-dire les indigènes de plus de 30 ans, l’emportaient en nombre sur les électeurs : le droit de suffrage était en effet reconnu aux seuls notables cantonaux et villageois, dans la ligne de l’arrêté de 1907. Le mandat, d’une durée de 3 ans, était indéfiniment renouvelable. Le conseil devait se réunir au moins une fois par an pour être obligatoirement consulté sur les dépenses d’intérêt économique et social dont l’inscription au budget local du Tonkin était proposée par les chefs de province, sur les changements de périmètre des préfectures, sous-préfectures, cantons et communes, ainsi que sur les travaux publics touchant les routes, digues et canaux. En dehors de ces matières, les conseils pouvaient être consultés sur toute question d’intérêt local. Le régime ainsi institué demeura globalement en vigueur jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Des aménagements y furent apportés, notamment après la révolte de Yen Bay en février 1930. Comme en Cochinchine et selon les mêmes modalités, la représentation des intérêts français fut admise par un arrêté du 21 novembre 1930. Le même texte porta à 4 ans la durée du mandat, confia au gouverneur indigène de la province la vice-présidence des réunions, la présidence restant l’apanage du résident, établit deux sessions annuelles et rendit obligatoire la consultation de l’assemblée sur le budget provincial mis en place conjointement. Les réformes ultérieures durcirent les conditions d’éligibilité en faisant coïncider électeurs et éligibles : seuls les notables en exercice purent désormais être élus (arrêté du 26 septembre 1934). Quelques assouplissements furent ensuite introduits, le corps électoral étant élargi par l’adjonction de nouvelles catégories de notables et de fonctionnaires retraités. En contrepartie, furent exigés des candidats un âge minimal de 40 ans et une connaissance suffisante de la langue française (arrêté du 17 mars 1938).
25La date du 21 juillet 1939 aurait dû marquer le commencement d’une nouvelle ère dans l’histoire des assemblées provinciales du Tonkin, caractérisée par le renforcement du caractère représentatif et l’augmentation des attributions. Il n’en fut rien, car un arrêté du 9 décembre 1940 suspendit les sessions des conseils sans même les remplacer par des commissions mixtes comme en Cochinchine.
26L’Annam, pour une fois, ne resta pas à l’écart du mouvement qui affecta les autres régions du Dai Nam, bien qu’il s’y produisît avec retard. Il n’en est pas moins symptomatique de la mainmise du protectorat sur l’administration provinciale, dont l’institution de conseils fut l’une des conséquences. L’ordonnance royale du 29 avril 1913 qui les créa les plaça d’emblée dans la dépendance du résident français, qui les convoquait, au siège de la résidence, et en présidait les sessions. Si ces assemblées étaient composées de membres les uns élus, les autres nommés, tous notables, les fonctionnaires indigènes en service en étant expressément exclus, les nominations étaient effectuées par l’administrateur français avec le concours des autorités annamites. L’ensemble des désignations devait en outre être validé par le résident supérieur de Huê. Pour le reste, autre signe révélateur, les attributions des conseils étaient les mêmes que celles prévues par l’arrêté du 19 mars 1913 pour leurs homologues du Tonkin. L’arrêté du 1er août 1930 amenda ce dispositif en élargissant le collège électoral, initialement borné aux seuls chefs et sous-chefs de canton en exercice ou ayant cessé leurs fonctions, et en augmentant la proportion de conseillers élus. Il reconnut en outre aux conseils une compétence délibérative en matière fiscale et accrut la liste des domaines dans lesquels la consultation était obligatoire. Deux textes ultérieurs, des 24 août 1938 et 2 décembre 1939, confortèrent la dimension représentative des assemblées, avec le paradoxe observé au Tonkin : élargissement du corps électoral et aggravation des conditions d’éligibilité. Ces évolutions n’allèrent pas toutefois jusqu’à prévoir l’incorporation dans ces conseils de délégués allogènes, les Français étant peu nombreux en Annam.
27Comme partout dans la péninsule, les conseils de la partie centrale du Vietnam furent suspendus à la fin de l’année 1940. Des commissions mixtes à compétence uniquement consultative prirent leur suite. Avec le proconsulat de l’amiral Decoux, hostile aux corps élus, l’heure n’était plus aux structures collégiales, fussent-elles dénuées de pouvoirs. L’attention se porta plutôt sur le mandarinat, dont la condition fut améliorée. Trop tard sans doute.
28Terre de réformes, l’Indochine le fut assurément dans bien des domaines. En matière administrative, le souci d’efficacité prévalut d’entrée et dicta les termes de l’adaptation d’un système indigène conservé par nécessité, mais plus ou moins remanié selon les régions et les circonstances pour servir tout entier à la domination française. Dans un second temps, l’exigence de rapprochement des situations coloniale et métropolitaine commanda des évolutions plus idéologiquement connotées, l’objectif étant de moderniser la société autochtone. En résulta une forme de démocratisation, notamment véhiculée par l’occidentalisation d’une élite locale de plus en plus formée à l’école française et par la codification juridique d’inspiration individualiste, qui culmina dans l’entre-deux-guerres avec les réalisations civilistes tonkinoise et annamite. L’administration provinciale n’échappa pas à cette tendance. Les fonctionnaires vietnamiens y gagnèrent quelque peu en responsabilités et, sur la fin, en considération, sans toutefois retrouver une position équivalente à celle qui était la leur avant la conquête. Des instances consultatives virent également le jour, sans pouvoir jouer un rôle comparable à celui des assemblées départementales françaises, aux compétences bien plus étendues. Il est vrai que les notabilités villageoises, sur lesquelles elles reposaient, demeurèrent sans doute plus attachées qu’on ne l’avait cru à l’ordre traditionnel. Elles restèrent en grande partie étrangères aux principes importés par les Français, principes qui dénaturèrent les institutions locales, suscitant chez les populations une incompréhension qui ne joua pas peu dans le divorce consommé par le coup de force japonais de mars 1945 et la révolution vietminh subséquente.
Notes
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[1]
Pour plus de détails sur cet épisode, cf. Éric Gojosso, « L’administration provinciale du Cambodge dans les premiers temps du protectorat français (1863-1897) », Histoire, théorie et pratique du droit. Études offertes à Michel Vidal, Bordeaux, PUB, 2010, p. 517-535.
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[2]
« Notice sur la Basse-Cochinchine », Bulletin de la société de géographie, janvier-février 1864, p. 36-37.
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[3]
Manuel pratique de langue cambodgienne, Saigon, impr. impériale, 1870, p. 12-13.
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[4]
Pour un aperçu des mutations qui affectent les collectivités locales, voir Éric Gojosso, « La réforme communale au Vietnam à l’époque de l’Indochine française », AFHIP, La dynamique du changement politique et juridique : la réforme, Aix-en-Provence, PUAM, 2013, p. 315-327.
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[5]
Éric Gojosso, « Les provinces dans l’empire colonial français : l’exemple de la Cochinchine (1861-1876) », in Éric Gojosso et Arnaud Vergne (dir.), La Province. Circonscrire et administrer le territoire de la République romaine à nos jours, Poitiers, LGDJ, 2010, p. 445-476.
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[6]
NDLR : Paul Doumer fut gouverneur général de l’Indochine de 1897 à 1902.
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[7]
Éric Gojosso, « L’administration territoriale des protectorats annamite et tonkinois (1883-1899) », in Éric Gojosso, David Kremer et Arnaud Vergne (dir.), Les colonies. Approches juridiques et institutionnelles de la colonisation de la Rome antique à nos jours, Poitiers, LGDJ, 2014, à paraître.
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[8]
Paul Beau, Situation de l’Indochine de 1902 à 1907, Saigon, Rey, 1908, t. 1, p. 169.
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[9]
Aspects de l’évolution gouvernementale de l’Indochine française, Saigon-Paris, SILI-Sirey, 1946, p. 29.
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[10]
Patrice Morlat, Indochine années vingt : le rendez-vous manqué, Paris, Les Indes savantes, 2005, p. 326.
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[11]
Cf. Trinh Van Thao, L’école française en Indochine, Paris, Karthala, 1995, p. 11-38.
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[12]
Voir Vu Quoc Thong, La décentralisation administrative au Viet-Nam, Hanoï, PU du Viet-Nam, 1952, p. 162-200 et Guy Lebel, Deux aspects de l’évolution du protectorat français en Annam-Tonkin, thèse droit, Paris, A. Mechelinck, 1932, p. 93-99 et 103-106.
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[13]
Roger Pinto, Les assemblées des villages convoquées par l’amiral gouverneur Ohier, extrait du Bulletin de la Société des études indochinoises, 1er trim. 1944, 49 p.
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[14]
NDLR : cf. Philippe Tanchoux, « Les « pouvoirs municipaux » de la commune entre 1800 et 1848 : un horizon chimérique ? », supra, p. 35-48.
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[15]
Cf. Éric Gojosso, « Contribution à l’histoire de l’administration territoriale en Indochine. La commune annamite de Cochinchine comme instrument juridique de pacification », Storia Amministrazione Costituzione, 2013, n° 21, p. 33-48.
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[16]
Circulaire de Paulin Vial du 10 mai 1886, in Désiré Ganter, Recueil de la législation, Hanoï, Schneider, 2e éd. 1895, p. 92.