Notes
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[1]
Pour une histoire des médecins et de la Commune de Paris voir, entre autres, Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, l’assistance publique et les hôpitaux en 1871, Paris, L’Harmattan, 2004, et Marcel Guivarc’h, Chirurgie et médecine pendant la guerre et la Commune, Paris, L. Pariente, 2006.
-
[2]
Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (puis GHMC), n°30, 29 juillet 1870, p. 480.
-
[3]
AN : AJ16/6255 assemblée des professeurs du 10 août 1870.
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[4]
Liste des professeurs dans Mary Putnam, De la graisse neutre et des acides gras (th. Med. n°33) p. 2 : 29 professeurs, 26 agrégés en exercices, 5 agrégés libres.
-
[5]
Journal de médecine et de chirurgie pratique (puis JMCP), prescription et formules, article 9002 « recettes applicables à la préparation de la viande de cheval », novembre 1870, p. 510.
-
[6]
JMCP, art. 9068, mai 1871, p. 144.
-
[7]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 3 janvier 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 6.
-
[8]
Le traité de Francfort est signé le 10 mai 1871.
-
[9]
GHMC, n°6, 10 mars 1871, p. 108. En effet, depuis 1862, l’agrégation n’est plus obligatoire pour le professorat ; la Faculté voudrait la voir rétablie.
-
[10]
GHMC, année 1871, page d’introduction.
-
[11]
GHMC, n°3, 17 février 1871, p. 36.
-
[12]
« Variétés », JMCP, article 9068, février 1871, p. 143.
-
[13]
En effet le terme « Communard » n’apparaît que bien longtemps après la Commune dans un sens péjoratif. Ainsi à l’instar d’Encrevé ou de Beyer et de bien d’autres historiens, seul le terme « Communeux » sera utilisé pour non seulement porter le moins de suggestivité possible, mais également pour ne pas écrire d’anachronisme. Voir André Encrevé, « Les protestants et la Commune de Paris », Christianisme social, n°2 de 1971, p. 388 et Roland Beyer, « Un combat pour la liberté : les deux cents Alsaciens de la Commune de Paris », La Commune : Revue d’histoire de l’association des amis de la Commune de Paris 1871, n°13, 1979, p. 9-40.
-
[14]
William Serman, La Commune de Paris, Paris, Fayard, 1986, p. 405-424.
-
[15]
Jean Elleinstein (dir.), Histoire de la France contemporaine, t. 3, 1835-1871, Paris, Éditions sociales / Livre club Diderot, 1979, p. 343.
-
[16]
« Enlèvement d’un savant par les Prussiens », JMCP, article 9024, janv. 1871, p. 5.
-
[17]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 7 mars 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 130 - Variétés, JMCP, avril 1871, article 9078, p. 183.
-
[18]
GHMC, n°8, 24 mars 1871, p. 138.
-
[19]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 14 mars 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 146.
-
[20]
GHMC, n°7, 17 mars 1871, p. 114.
-
[21]
JMCP, avril 1871, article 9080, p. 190.
-
[22]
Archives de l’Académie de médecine, registre des présences de 1871.
-
[23]
Appel des membres de la Commune délégués à la commission de l’enseignement du 17 avril 1871, Journal officiel – publication de la commune, n°79, 20 mars 1871, n°144, 24 mai 1871, 3e année, Paris, s. n.p. 301.
-
[24]
JMCP, avril 1871, article 9060, p. 145.
-
[25]
L’appel de la Commune envers Piorry sera multiple. Voir Natalie Pigeard, Wurtz : un savant dans la tourmente, Paris, Hermann, 2011 et GHMC, n°20, 16 juin 1871 p. 328.
-
[26]
JMCP, mai 1871, article 9096, p. 238.
-
[27]
Notice « Dupré (Docteur) », dans Jean Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français [Ressource électronique, CD Rom] : le Maitron / [Jean Maitron] ; sous la dir. de Claude Pennetier, Paris : Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 1997.
-
[28]
Appel des membres de la Commune délégués à la commission de l’enseignement du 17 avril 1871, op. cit.
-
[29]
Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, op. cit., p. 71.
-
[30]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture sous la Commune, Paris, Éditions-librairie de l’Étoile, 1964, p. 32.
-
[31]
GHMC, n° 13, 28 avril 1871, p. 224.
-
[32]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture, op. cit., p. 120.
-
[33]
Journal officiel – publication de la commune, 10 mai 1871, Paris, [s. n.], p.521.
-
[34]
A. Linas, « la Faculté vit encore. – les cours de clinique à l’hôpital Beaujon », GHMC, n°16, 19 mai 1871, p. 258.
-
[35]
Notice « Léonce Levraud », dans Jean Maitron, op. cit.
-
[36]
En effet, on a déjà vu que l’amphithéâtre servait, avec autorisation du doyen, de lieu de réunion non seulement pour les étudiants de médecine et de droit mais aussi pour des ouvriers. Wurtz donnait son accord au Ministre contre le vice-recteur pour des réunions d’étudiants ou d’ouvriers dans le grand amphithéâtre. Voir Natalie Pigeard, Wurtz doyen de la Faculté de médecine, thèse de doctorat sous la direction de Bernadette Bensaud-Vincent, Paris X, 2007, chp. « Des hommes et des doctrines ».
-
[37]
Sur la ligue, voir André Lefevre, Histoire de la ligue d’union républicaine des droits de Paris, Paris, G. Charpentier, 2003 [1881], 364 p. notamment p. 28, sur le programme de la Ligue d’Union républicaine des droits de Paris.
-
[38]
Les révolutions du XIXe siècle, 1852-1872, Affiches, feuilles volantes, documents divers, Paris, Edhis, 1988, n. p., et William Serman, La Commune de Paris (1871), Paris, Fayard, 1986, p. 234 et suiv., p. 437 et suiv.
-
[39]
Floquet et Scheurer-Kestner sont beaux-frères.
-
[40]
Sur la participation de Charles Lauth à la ligue voir AN : 49AP1 « Charles Floquet », notamment les procès verbaux des séances de la Ligue.
-
[41]
Pour en savoir plus, voir Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 109 et suiv. Sur les rapports entre Clemenceau et Grimaux voir Claude Viel, Marie-Christine Journaux et Michel Marché, « Un pharmacien Rochefortais célèbre, Édouard Grimaux, Membre de l’Académie des sciences », Roccafortis, 3e série, t. III, n°19, janv. 1977, p. 126-138. [En ligne] http://seucaj.ifrance.com/grimaux.htm, consulté le 20 novembre 2006.
-
[42]
« Ligue d’union républicaine des droits de Paris, comité du 6e arrondissement », reproduite dans Les révolutions du XIXe siècle, Paris, Edhis, 1988, non paginé.
-
[43]
Idem.
-
[44]
André Lefevre, Histoire de la ligue d’union républicaine, op. cit., p. 28.
-
[45]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 23 mai 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 305.
-
[46]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture, op. cit., p. 120.
-
[47]
Voir par exemple le massacre à l’hôpital Saint-Martin et celui du séminaire Saint-Sulpice où le docteur Faneau et 80 blessés qu’il soignait furent exécutés d’une balle dans la tête. Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, op. cit., p. 234-238, 266-267.
-
[48]
JMCP, juin 1871, article 9097, p. 241.
-
[49]
Catherine Glazer, « De la Commune comme maladie mentale », Romantisme, 1985, n°48, p. 63.
-
[50]
Archives de l’Académie de médecine, registre des présences de 1871.
1En temps de guerre, les institutions médicales et surtout leurs membres jouent un rôle de premier plan. Chaque conflit armé mobilise ceux qui vont panser les plaies. Or l’efficacité des soins portés aux blessés dépend de l’organisation de ces institutions. Le serment d’Hippocrate interdit aux médecins de choisir vers qui vont leurs soins. De la guerre de 1870 à la Commune de Paris, les médecins vont majoritairement rester dans Paris intra-muros soigner les Français et les Prussiens, puis les Communeux comme les Versaillais. L’attitude du gouvernement de la Commune envers la communauté médicale et surtout l’assistance publique des hôpitaux, et réciproquement, a déjà été étudiée [1]. Cependant, il peut être pertinent de s’interroger sur l’implication des institutions académiques médicales durant la Commune de Paris. Quelles ont été les relations entre la Faculté et l’Académie de médecine et le nouveau gouvernement politique ? Afin de comprendre ces articulations historiques, le contexte immédiat doit être rappelé.
De la guerre de 1870 à la Commune
2Le temps de la guerre. La France déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. D’emblée s’organise le service médical pour prendre en charge les futurs blessés. Plus de 200 docteurs, 500 étudiants en médecine, 500 pharmaciens et autant d’élèves se sont portés volontaires au service des blessés [2].
3La Faculté de médecine ne peut rester en dehors de ce mouvement. Aussi, le 10 août, Charles Adolphe Wurtz, son doyen, propose « d’offrir les services de la Faculté de médecine, professeurs, agrégés et élèves à M. le Ministre de la Guerre pour soins à donner aux blessés et aux malades militaires » [3]. La Faculté est alors forte de soixante enseignants dont vingt-neuf professeurs [4].
4Le 2 septembre 1870, l’armée de Mac-Mahon capitule à Sedan et Napoléon III se rend. Le nouveau gouvernement de la Défense nationale de Gambetta proclame la fin de l’Empire et l’avènement de la République le 4 septembre. Il ne faut pas quinze jours pour que Paris soit encerclée par l’armée prussienne.
5Le siège de Paris mobilise davantage la communauté médicale et scientifique. Pendant que l’Académie des sciences discourt sur le ravitaillement alimentaire du peuple de Paris, l’Académie de médecine propose au gouvernement de vacciner systématiquement les gardes mobiles contre la variole qui ne cesse de progresser. À la faculté, tous les cours sont tournés vers la situation exceptionnelle de guerre et de siège. On discute des anesthésies, des sparadraps, etc. Le Journal de médecine et de chirurgie offre des recettes à base de viande chevaline afin de faire accepter à la population l’idée de manger du cheval, ce qui était loin d’être dans les us et coutumes de l’époque [5]. Ni l’Académie, ni la Faculté n’imaginent encore l’ampleur des dégâts humains dans la population de Paris assiégée. Mais Paris se meurt. De septembre 1870 à février 1871, Paris compte 64 154 morts, soit trois fois plus que l’année précédente pour la même période [6].
6Le temps passe et la famine s’installe. Pendant que les professeurs de la Faculté continuent à donner des cours pour soigner les blessés, l’Académie, après s’être réunie en toute fin d’année 1870 sur des problèmes de santé publique, célèbre la nouvelle année avec une nouvelle présidence. Dès le 3 janvier 1871, le doyen de la Faculté de médecine de Paris s’installe dans le fauteuil de président de l’Académie de médecine. Dans son discours d’introduction, Wurtz rappelle qu’il est Alsacien : « J’insiste à dessein sur cette coïncidence purement fortuite. Puisse-t-elle être de bon augure au point de vue de nos communes espérances ! » [7] À cette date, l’Alsace n’est pas encore officiellement annexée par la Prusse. Mais le résultat des négociations entre Thiers et Bismarck ne fait aucun doute [8].
7Le temps d’un répit. Le 28 janvier 1871, Paris capitule. La capitulation, suivie immédiatement de la fin du siège, est perçue par certains comme une renaissance, par d’autres comme une trahison.
8Pour les premiers, il va être possible de reprendre le cours normal des choses. Ainsi la Faculté de médecine profite du relatif calme pour se pencher sur des problèmes d’organisation interne, comme le retour du concours d’agrégation [9]. À l’Académie de médecine, le principal sujet qui préoccupe les savants durant ce relatif calme est l’alcoolisme et ses effets physiologiques. Toutes les séances hebdomadaires de février sont centrées sur cette problématique. Enfin, même si les professeurs reprennent très vite leurs occupations administratives et professorales, le siège de Paris, suivi de la capitulation, ne peut s’oublier immédiatement. Les événements les obligent à s’intéresser aux mouvements politiques. La Prusse voulant signer l’Armistice avec un gouvernement légitime, des élections législatives sont prévues le 8 février 1871. Pour beaucoup apparaît la possibilité de conférer une légitimité à la nouvelle République, imposée le 4 septembre comme un « coup d’État » contre le coup d’État du 2 décembre 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte [10]. Plusieurs médecins se présentent aux élections, surtout aux élections municipales de Paris : Clemenceau, Jaclard, Bertillon, Axenfeld, Onimus, Broca, Regnard, Poupon, Labat, Gonnard. Clemenceau est élu maire du XVIIIe arrondissement, bien qu’il soit déjà député de Paris [11]. Ils sont tous républicains.
9Le 8 février 1871, Paris a voté républicain et contre la capitulation. La France a, quant à elle, majoritairement voté pour les représentants de la Monarchie. Adolphe Thiers devient chef du pouvoir exécutif, pouvoir qui d’emblée s’oppose aux Parisiens.
10La capitulation ne peut être admise par le peuple de Paris qui a le sentiment d’avoir enduré inutilement la famine, avant de subir l’humiliation de la défaite. Dès la fin 1870, on entend parler des partisans de la Commune [12] qui ont fondé l’espoir d’une nouvelle république. Leur rêve fut ébranlé par un gouvernement qu’ils n’ont pas choisi et qui a décidé pour eux la reddition. Ces Communeux (comme on les appelle alors) [13] décident de constituer leur propre pouvoir à l’intérieur de Paris mais aussi dans d’autres grandes villes comme Lyon, Saint-Étienne, Dijon, Narbonne, Toulouse, Marseille et Limoges [14].
11Un mois de mars agité. À Paris, règne, depuis la proclamation de la République, un esprit de « lutte à outrance ». Le général Trochu disposait d’une force militaire telle que la défaite ne pouvait être envisagée par le peuple. Près de 185 000 soldats, marins ou mobiles, appuyés par une garde nationale de 380 000 hommes mal entraînés et mal armés, car issus pour beaucoup du peuple volontaire de Paris, sont là pour combattre les Prussiens [15]. L’idée de résistance est donc bien ancrée ; elle glisse peu à peu vers celle de révolution.
12Les Communeux, refusant la capitulation, obligent le gouvernement de Thiers à s’installer à Versailles. Thiers, chef du gouvernement, ordonne l’enlèvement des canons que la Garde nationale a conservés. Les Parisiens des quartiers Est et Centre se soulèvent, n’acceptant pas la défaite et surtout que l’on retire à ses soldats les canons payés par le peuple de Paris.
13« L’Affaire des canons » du 18 mars marque le début de la révolte des Parisiens. Le 26 mars, les insurgés organisent des élections municipales. Quarante-huit pour cent de la population parisienne se déplacent aux urnes. Le 28 mars, le gouvernement de la Commune est décrété à Paris.
14Le nouveau gouvernement parti pour Versailles, les savants restent en grande majorité à Paris. Les membres de l’Académie, depuis début mars, tournent leurs préoccupations vers les conséquences de la guerre franco-prussienne. L’internement des otages de Dijon, dont l’Académicien des sciences Paul Thenard [16], les hôpitaux touchés par les bombardements, le détournement d’une ambulance mobile, vont susciter chez les savants un sentiment de révolte. Alors se pose la question du boycott. Faut-il, oui ou non, bannir des académies et sociétés savantes les membres correspondants allemands ? Le 14 mars, l’Académie de médecine consacre sa séance à une proposition de Behier faite à la séance précédente, demandant que la motion suivante soit votée : « tous les membres associés ou correspondants étrangers de l’Académie de médecine qui habitent la Prusse ou les pays qui ont aidé cette puissance dans la dernière guerre sont rayés de la liste de l’Académie » [17].
15Mais exclure les scientifiques allemands, n’est-ce pas se priver des résultats des savants allemands ? Béclard défend alors les savants au nom de la perte scientifique que leur éviction représenterait. Évincer Liebig, Vogel, Stromeyer, Wölher, Bischoff, Jacobi, Helmholtz… serait une perte pour les progrès de la science en France [18]. La question est renvoyée devant le Conseil de l’Académie, qui rend publique sa décision, via son rapporteur Béclard, le 14 mars :
« L’Académie, tout en s’associant aux sentiments de patriotique indignation exprimés par notre confrère M. Behier, passe à l’ordre du jour sur la motion qu’il avait proposée : mais elle saisit l’occasion qui lui est offerte pour protester au nom de la science, au nom de la civilisation et au nom de l’humanité, contre la guerre sauvage qui nous a été faite et contre le bombardement de nos établissements scientifiques et de nos hôpitaux. » [19]
17Tous s’accordent néanmoins à féliciter les savants français d’avoir demandé par écrit d’être rayés des listes des sociétés savantes allemandes. Béclard insiste alors sur le fait que ces dernières sont composées de scientifiques qui, pour la plupart, ont dénoncé la guerre. Il s’agit de gestes politiques qui ne doivent pas remettre en cause les relations scientifiques. Dans son feuilleton, Amédée Dechambre résume bien la pensée de Béclard dans la Gazette hebdomadaire :
« La politique est bornée, géographique, égoïste, jalouse […]. La science est cosmopolite, généreuse, appliquée au progrès universel et continu de l’humanité. […] Mais l’exclusion en masse que demande M Behier, pour avoir quelque apparence d’équité, supposerait que toute une nation est responsable des actes de son gouvernement ou que nos confrères de la Confédération (allemande) ont approuvé tous ceux du gouvernement prussien. » [20]
19Le 21 mars, l’assemblée explique la nécessité de relever la tête face à la Prusse en reprenant la discussion sur l’infection purulente arrêtée un an plus tôt. Le 27 mars, à l’Académie, on parle de la guerre qui vient de se terminer, sans évoquer une autre guerre, civile cette fois, qui s’installe.
20À la faculté de médecine, la situation semble plus réaliste. Les cours d’été, qui devaient reprendre le 27 mars, sont officiellement ajournés sine die. La plupart des professeurs restent à Paris et assurent leur service dans les hôpitaux. Ce service devient d’autant plus difficile que le trésorier de l’Assistance publique rejoint Versailles le 29 mars, en emportant toute la trésorerie, soit 75 millions de francs or qui devaient servir au ravitaillement des hôpitaux.
21Les premières mesures du gouvernement de la Commune concernent l’ensemble de la population. En quelques jours, de nombreux décrets paraissent : les loyers dus depuis le moratoire du 13 août 1870 sont annulés, la vente des objets déposés au Mont-de-Piété est suspendue. La conscription militaire et l’armée de métier sont abolies. Vient immédiatement la séparation de l’Église et de l’État. Le budget des cultes est supprimé ; l’école primaire devient laïque et gratuite, tout comme les hôpitaux. Les traitements des fonctionnaires ne pourront plus dépasser 6 000 francs annuels…
Le temps des cerises
22Une faculté de médecine fermée. Au tout début avril, la Garde nationale lance une attaque sur Versailles en même temps qu’elle essuie des assauts dans tout l’ouest de Paris. Aussi, la Commune prend rapidement conscience de la nécessité de faire rouvrir la Faculté de médecine pour former très rapidement les médecins. La Commune veut réformer l’enseignement médical pour vite transformer les étudiants en médecins. Mais voilà, il n’y a plus personne à la tête de la Faculté. Wurtz est parti pour Versailles le 31 mars. Les cours sont fermés ; les professeurs et étudiants sont soit à Versailles soit dans les hôpitaux de la capitale. Pourtant, même exilé à Versailles, Wurtz revendique ses fonctions de doyen, et le 1er avril, fait publier une lettre au journal Le Gaulois :
« Monsieur le rédacteur,
Dans votre numéro du 31 mars, vous annoncez que j’aurais été obligé de donner ma démission de doyen de la Faculté de médecine de Paris. Je prends la liberté de vous informer que je n’ai pas cessé de remplir ces fonctions et que je suis resté à mon poste, à Paris, jusqu’au 31 mars, jour où M. le ministre de l’Instruction publique m’a donné l’ordre de le quitter pour me rendre à Versailles. » [21]
24Si Wurtz est à Versailles, qui préside l’Académie de médecine ? Durant ces mois d’avril et de mai de la Commune, les académiciens continuent à se réunir toutes les semaines sous diverses présidences un peu improvisées. Alors que les combats et les blessés se multiplient dans les rues, les académiciens sont, le 11 avril, quarante-trois sur cent cinq à se rendre rue des Saints-Pères pour élire de nouveaux membres [22]. Il n’est fait aucune mention de la situation parisienne. Ce sont toujours les infections purulentes qui retiennent leur attention.
25La Faculté fermée, l’Académie penchée sur d’autres sujets que les problèmes de la rue, le gouvernement de la Commune se retrouve face à un désert d’institutions médicales qui l’empêche de réaliser les réformes nécessaires à la situation.
26Le 17 avril 1871, le Journal officiel de la Commune de Paris écrit : « Les professeurs de l’École de médecine ont abandonné leur poste ; les cours sont suspendus. Vue l’urgence de faire cesser un pareil état de choses, la commission de l’enseignement décide » [23] que chaque corporation médicale se réunira pour élire des délégués. Ces délégués auront pour charge de nommer de nouveaux professeurs et réformer l’enseignement afin que les étudiants soient opérationnels le plus rapidement possible. Un professeur de la Faculté répond immédiatement à ce qu’il juge être une provocation.
« L’officiel a publié ce matin : “les professeurs de l’école de médecine ont abandonné leur poste”. […] Mes collègues ont, pendant le siège, rempli leurs devoirs avec patriotisme. Nous avons fait des médecins pendant tout le bombardement. Depuis la guerre civile, nous avons obéi au seul chef que nous reconnaissons, le Doyen, élu par nous. Ouvrir les cours aujourd’hui est une pensée folle. Comment un homme éclairé, un penseur, un professeur, se désintéresserait des malheurs de la patrie, au point de conserver le calme et la froideur d’esprit nécessaires aux questions scientifiques !
Comment, les élèves, ces jeunes gens instruits, aux idées généreuses, écouteraient, avec tranquillité, la parole de leurs maîtres, quand le sang ruisselle des deux côtés !
Quels Français, quels citoyens serions-nous donc !
Non, nous n’avons point abandonné notre poste, nous avons interrompu un enseignement impossible. » [24]
28Pajot, simple professeur d’accouchement et des maladies des femmes, répond à cette attaque au nom de l’ensemble de la Faculté. Pajot fait en effet partie de ses nombreux professeurs qui ont lâché leur enseignement pour se consacrer aux blessés dans les hôpitaux et ambulances.
29Le décanat, “abandonné” par son titulaire, la Commune décide de choisir elle-même le doyen de la Faculté de médecine. Elle fait d’abord appel à Alfred Naquet, élève de Wurtz, qui se trouve dans le Vaucluse, où il vient d’être élu député. Naquet refuse. La Commune appelle alors le professeur retraité Pierre Adolphe Piorry (1794-1879) qui n’a, lui non plus, fait aucune démarche dans ce sens et refuse à son tour [25]. Cependant Piorry accède, par arrêté du 11 mai 1871 de la Commune, à la fonction de chirurgien de bataillon dans les milices fédérées. Mais tout comme pour le poste de doyen, apparemment, Piorry n’était pas du tout au courant de cette nomination. Aussi, écrit-il au Journal officiel :
« Je viens de lire au Journal officiel ma nomination comme médecin d’un bataillon de la garde nationale.
Je déclare formellement que cette nomination a été faite à mon insu et que je ne puis l’accepter. Je ne refuserai jamais mes soins à qui que ce soit, à quelque parti que les malades appartiennent, mais j’ai rendu assez de services à l’humanité pour vouloir et pouvoir garder dans toutes les circonstances la liberté de mes actions. » [26]
31Durant les deux mois de la Commune, celle-ci ne trouvera pas de doyen pour la Faculté de médecine, qui reste fermée aux enseignements.
32La Commune et les médecins. La Commune a besoin, pour fonctionner et être reconnue comme gouvernement, non seulement de réformer l’administration mais aussi d’assurer les services publics. Considérant que la fuite du doyen et celle des professeurs retardent l’avènement de son organisation sociale et surtout ayant besoin de médecins pour les nombreux blessés, la Commune engage la Faculté dans deux réformes qui vont vite avorter.
33La première mission d’Édouard Vaillant, délégué à l’Instruction publique, est de rétablir l’enseignement, interrompu à l’École de médecine le 17 mars. Il décide de reprendre une décision votée le 17 avril, qui consiste à laisser aux médecins, professeurs et étudiants eux-mêmes le soin de réorganiser cet enseignement avec la liberté d’en modifier les structures.
34Afin d’engager ces changements, la Commune charge les professeurs et docteurs Dupré, Rambaud et Reclus de mettre en place une réforme de l’enseignement médical [27]. Pour ce faire, il faut nommer une commission représentative du personnel médical. Un appel est lancé dans ce sens. Cette commission doit être composée d’un médecin délégué par arrondissement, de trois délégués élus parmi les professeurs libres et de dix parmi les étudiants. L’ensemble des délégués rédigerait un projet de réorganisation qui serait remis à la commission de l’enseignement puis présenté par elle à la Commune pour décision. Chacune de ces trois catégories doit donc se rassembler pour élire ses propres délégués.
« Les docteurs en médecine et les officiers de santé de chaque arrondissement, exerçant à Paris, sont invités à se réunir samedi prochain, 22 avril, heure de midi, à leurs mairies respectives, à l’effet de nommer deux délégués par arrondissement.
Les étudiants en médecine inscrits à l’École, les internes et externes des hôpitaux, sont également invités à se réunir samedi prochain, 22 avril, heure de midi, au grand amphithéâtre de l’École afin de nommer dix délégués.
Les citoyens docteurs Dupré et Rambaud convoqueront leurs collègues, professeurs libres, à une réunion spéciale dans laquelle il sera procédé à l’élection de trois délégués.
Ces divers mandataires, ainsi désignés, munis de leurs pouvoirs, se réuniront le dimanche suivant, 23 avril, heure de midi, au grand amphithéâtre de l’École de médecine, où ils arrêteront un projet de réorganisation médicale, sous la direction d’un président et de deux assesseurs nommés par l’assemblée. Dans le cas où ils le jugeraient nécessaire, ils composeront une commission de cinq membres, chargés de fixer les bases de ce projet, qui sera ensuite discuté en réunion générale des délégués chargés de la convoquer le plus tôt possible.
Le projet, ainsi que le procès-verbal résumant les discussions, seront communiqués à la commission de l’enseignement, siégeant à l’hôtel de ville, et présentés par elle en séance générale de la Commune, appelée à statuer définitivement.
Les citoyens délégués aux mairies sont invités à mettre une salle à la disposition des intéressés.
Paris, le 17 avril 1871.
Les membres de la Commune délégués à la commission de l’enseignement. » [28]
36Cinq cents élèves et médecins se sont réunis, sous la présidence de Paul Reclus, assisté de Rambaud et Dupré, dans le grand amphithéâtre. Ils se déclarent nettement contre toute ingérence de la Commune dans leurs affaires [29]. Ils refusent, par conséquent, d’élire leurs délégués « pour ne reconnaître d’aucune manière la Commune » [30]. Quant aux médecins d’arrondissement, ils ne se sont même pas réunis ; pas plus que les professeurs libres [31].
37La deuxième réforme n’est qu’un palliatif au manque de personnel soignant. Édouard Vaillant crée, le 21 avril, une commission de l’enseignement composée de Courbet, Verdure, Miot, Vallès, et Clément. À l’assemblée du 27 avril, contre l’avis de Vallès, Miot propose que les étudiants de médecine ayant subi leurs cinq examens de doctorat et qui se trouvent dans l’impossibilité de présenter une thèse, soient autorisés à exercer. Ils auraient le titre de docteur, sur simple production d’un certificat de l’École, à condition de soutenir leur thèse dans un délai d’un an. Réforme d’emblée caduque, puisque les étudiants de médecine, surtout les internes, qui sont logés dans les hôpitaux, exercent déjà leur art dans les ambulances et hôpitaux.
38La Commune, pour ne pas se placer en porte-à-faux avec ces derniers, abandonne assez rapidement son projet. Pourtant, le service médical et chirurgical de la Garde nationale est si désorganisé par le manque de personnel que la Commune fait, de nouveau, appel à deux reprises aux étudiants de médecine. Le 28 avril, le chirurgien principal de la 10e légion, le docteur Briguel, leur demande de venir s’inscrire à la mairie du 10e arrondissement. Le 16 mai, le docteur Debeney, chirurgien principal de la 18e légion, leur rappelle qu’un décret de réorganisation les admet dans le service médical au rang de chirurgiens aides-majors pour les titulaires de 16 inscriptions [32]. Or, tous ces appels n’étant pas entendus, la Commune prend la décision de se tourner vers l’Assistance publique des hôpitaux :
« Le directeur général de l’Assistance publique,
Considérant qu’un très grand nombre de médecins et autres agents du service médical des hôpitaux et hospices ont abandonné leurs fonctions et déserté leur poste où les appelaient les besoins des malades et des blessés ;
Considérant qu’il y a lieu de pourvoir à ces vacances, de façon à ce que les malades ne souffrent en aucune façon de ces coupables désertions, et qu’il convient que le directeur de l’Assistance publique s’appuie sur les lumières et l’expérience d’hommes spéciaux, qui soient à la fois pratiques et républicains,
arrête :
Une commission médicale de trois membres est instituée auprès du directeur de l’Assistance publique, et, sur sa proposition, étudiera, et au besoin inspectera les services, de façon à ce que le directeur, sous les rapports et les présentations qui lui seront proposés, puisse aviser et pourvoir à tous les services en souffrance, et prendre telles mesures qui lui paraîtront justes et convenables ;
Cette commission est composée des citoyens : Regnard, docteur en médecine, ex-interne des hôpitaux ; Gadaud, docteur en médecine ; L. Levraud, docteur en médecine.
Le directeur général, TREILLARD » [33].
40La Commune sait en effet qu’elle trouvera les professeurs qu’elle cherche dans les hôpitaux. Car de nombreux professeurs - et surtout professeurs attachés aux hôpitaux - sont restés à Paris tout le temps de la Commune, y compris pendant la Semaine sanglante. Parmi les enseignants en place, on peut noter : Gavarret, Lannelongue, Pajot, Broca, Depaul, Verneuil, Brouardel, etc. Paul Broca demande, dès le début de la Commune, au personnel soignant et administratif des hôpitaux de rester à son poste.
41Un petit groupe de professeurs menés par Gavarret décide même de faire cours à l’Hôpital Beaujon. Axenfeld, Gubler et Dolbeau ainsi qu’un agrégé, Duplay, ont inauguré le 1er mai des cours théoriques et pratiques très suivis par les élèves [34]. Ainsi, même si la Faculté est fermée, les enseignements n’ont pas totalement disparu. Ils se sont délocalisés pour être au plus près des blessés.
42Médecins communeux. Durant la Commune, quelques médecins font beaucoup parler d’eux. Anciens de la Faculté, ils en ont été souvent expulsés pour opposition à l’Empire. Albert Regnard, élève interne des hôpitaux en 1865, est, durant la Commune, médecin légiste et secrétaire général de la préfecture de Police. Collaborateur du Journal officiel de la Commune de Paris, il a fait également partie d’une Commission médicale comprenant les docteurs Gadaud et Léonce Levraud (accusé d’être monté en chaire pour défendre Sée en 1867), adjoint de Treillard, directeur de l’Assistance publique [35].
43Charles Victor Jaclard, est aussi un habitué des manifestations politiques des étudiants de la Faculté. Élu adjoint au maire du XVIIIe arrondissement de Paris, Georges Clemenceau – également médecin –, il démissionne avec Clemenceau fin mars 1871. Il s’engage alors dans les bataillons de la Garde nationale. Arrêté en juin 1871 et condamné aux travaux forcés à perpétuité comme Communeux, il s’évade de la prison de Versailles.
44Quant à Paul Reclus, autre médecin de la Commune, il est un jeune frère d’Élie et d’Élisée. Depuis le début de l’année scolaire 1870/1871, il est élève interne. Comme Dupré, il ne sera pas condamné après la Commune mais deviendra professeur de chirurgie et sera surtout connu pour avoir mis au point le principe de l’anesthésie locale.
La Commune, la Faculté et l’Académie
45L’école de médecine, lieu de rassemblement. Si les cours n’ont pas lieu, le grand amphithéâtre de la Faculté reste comme de coutume un lieu de rassemblement [36]. La seule différence est que l’autorisation du doyen, pour l’occupation du grand amphithéâtre, n’est, du moins après son départ, ni demandée, ni accordée.
46L’une des premières réunions qui a lieu dans le grand amphithéâtre de la Faculté est celle du club de l’École de médecine. Ce club a adhéré en bloc à l’Association internationale des travailleurs (AIT) en janvier 1871. Son objectif premier est la résistance contre la Prusse. Le club de l’École de médecine est l’un de ces clubs qui gagnent avec la Commune un pouvoir politique. Aucun nom d’étudiant en médecine ou de médecin ne figure parmi ses membres.
47Dans le grand amphithéâtre s’est réunie également, le 13 avril 1871, la Ligue d’union républicaine des droits de Paris, ancien Comité de conciliation [37]. Elle est fondée le 5 avril 1871 pour rechercher une médiation entre Paris et Versailles. Cette ligue n’accepte ni l’Armistice, ni la Commune et joue en vain les médiateurs politiques [38]. Parmi les premiers de cette ligue, outre Charles Floquet, Victor Schoelcher, Jean Greppo – tous trois proches d’Auguste Scheurer-Kestner [39], issu du laboratoire de Wurtz –, de nombreux membres sont liés à la Faculté de médecine : Charles Lauth, du laboratoire de Wurtz [40], Clemenceau, de l’École de médecine [41], les docteurs Dubois – ancien doyen de l’École de médecine –, Onimus, Villeneuve, Bertillon, Coldereau, Collineau, Dereins, Paul Reclus. La plupart, « non hostiles à la Commune sans l’approuver, et surtout sans la soutenir par quelque action que ce soit, ont pu secourir parfois les fédérés et firent campagne pour l’Amnistie » [42].
48À la réunion du 13 avril, la Ligue vote la « Reconnaissance des droits de Paris à se gouverner, à régler, par le conseil librement élu et souverain dans la limite de ses attributions, sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement et l’exercice de la liberté de conscience » [43]. La Ligue avait déjà voté le 5 avril 1871, que la garde de Paris soit exclusivement confiée à la Garde nationale composée de tous les électeurs valides [44]. Autrement dit, cette ligue qui se veut conciliatrice reconnaît implicitement le gouvernement de la Commune, puisqu’elle reconnaît à Paris le droit de se gouverner et d’être défendue par une garde nationale que Thiers combat par une armée dite régulière.
49Enfin le 14 avril 1871, lendemain de la réunion de la Ligue, le grand amphithéâtre de la Faculté accueille Gustave Courbet et plus de 400 personnes pour la première réunion de la Commission fédérale des artistes. Cette commission, présidée par Courbet, rassemble quelques grands noms comme Honoré Daumier, Eugène Pottier, Jean-Baptiste Corot, André Gill, etc.
50Les Institutions médicales hors du temps. Les locaux de l’École de médecine sont donc loin d’être désertés. Qui organise le planning d’occupation de l’amphithéâtre ? Qui donne l’autorisation de réunion ? Qui ouvre les portes ? Le secrétaire et le gestionnaire de l’École, le doyen et ses assesseurs ont quitté Paris dès le début. Pourtant, on l’a dit, les professeurs ne sont pas tous partis à Versailles : ceux qui sont aussi académiciens répondent présents à l’Académie de médecine. Sur les vingt-neuf professeurs en chaire, vingt-trois sont académiciens. Parmi eux, une dizaine se déplace chaque semaine de mars et d’avril pour se rendre rue des Saints-Pères. Certains ne se présentent que très peu aux séances, préférant troquer l’habit d’académicien pour celui de médecin ou chirurgien.
51En effet, les académiciens se réunissent toujours. Exception faite pour la Semaine sanglante, les séances de l’Académie de médecine se sont tenues toutes les semaines comme si de rien n’était durant tout le Siège et la Commune de Paris, c’est-à-dire de septembre 1870 à juin 1871. Si leurs préoccupations durant le Siège ont été tournées presque exclusivement vers des problèmes qui lui étaient relatifs (nourriture, hygiène, crémation des corps…), durant la Commune, les communications scientifiques semblent s’éloigner en général du contexte politique.
52Une séance de l’Académie de médecine n’a pas eu lieu, celle du mardi 23 mai 1871. « En raison des graves événements qui avaient lieu ce jour-là, l’Académie n’a pu tenir sa séance. » [45] La Semaine sanglante a déjà commencé, aucun académicien sauf le docteur Gaultier de Claubry, qui est le seul à avoir signé la feuille de présence, ne prend alors le risque de traverser Paris. La semaine suivante, le 30 mai, les académiciens sont là sous la présidence de Wurtz revenu dès que possible de Versailles.
53La fin de la Commune. Aux premiers jours de juin 1871, suite à la Semaine sanglante, le gouvernement de la Commune n’existe plus. Du côté des dégâts matériels qu’auraient pu occasionner les combats, l’école n’a que très peu souffert. Un commencement d’incendie a éclaté dans un laboratoire à la suite d’une chute de deux bocaux de matière inflammable. Les murs ont souffert de quelques éclats d’obus [46]. Le Journal de médecine et de chirurgie célèbre la fin de la Commune et les représailles versaillaises. Le rapport de la communauté médicale est unanime : les médecins restés à Paris ont tout simplement respecté leur serment. Ils ont soigné tous les blessés Communeux ou Versaillais. Durant la Semaine sanglante, plusieurs témoignent avoir caché des Communeux face à la répression sanglante de Versailles, qui n’hésite pas à entrer dans les hôpitaux pour achever les blessés [47]. Un seul professeur est accusé d’avoir, devant la crainte des représailles, dénoncé un Communeux. Que ce soit vrai ou non, il en fut blâmé durant plusieurs années par l’ensemble de la communauté médicale et essuya, à la reprise des cours, de violentes manifestations pour ne pas avoir respecté le caractère d’hôte d’un blessé. La Commune n’est plus ; « Nos Facultés, nos écoles, nos cours se rouvrent de toutes parts devant des auditeurs avides d’instruction » [48].
54Le 30 mai, Wurtz retrouve son poste de doyen, ses laboratoires, ses élèves et son siège de président de l’Académie de médecine, s’excusant de son absence, qu’il justifie par l’obéissance à un ordre du gouvernement. À la Faculté, c’est le 12 juin que les cours reprendront, et ce jusqu’au 15 août 1871. Les examens se dérouleront jusqu’au 31 août. Au mois d’août, la célèbre cérémonie de fin d’année a bien lieu, avec la distribution des prix et récompenses pour les années universitaires 1869/1870 et 1870/1871.
55Tout semble reprendre son cours normal.
56Si la Commune de Paris n’a eu de cesse de faire appel aux médecins et à la Faculté de médecine, il semble qu’elle se soit totalement désintéressée de l’Académie de médecine. Ce qui a été réciproque comme nous l’avons vu. La légende veut que Charcot, parlant des « événements que l’on sait », raconte faire son chemin tous les matins vers l’hôpital, indifférent à d’éventuels projectiles autant qu’à « cette folie collective » [49].
57Dans la publication de la liste dénonciatrice des participants de la Commune de Georges d’Helly, on peut relever la présence de 244 médecins ou chirurgiens. Parmi eux, certains, comme Piorry, s’élèvent contre leur présence dans cette liste. Pour eux, ils n’ont fait que leur devoir en restant sur Paris durant la Commune, comme durant le Siège. Pour la Faculté, pas de grand changement non plus entre sa situation durant le Siège et durant la Commune : les cours s’exilent dans les hôpitaux, les examens annulés, l’école pratique fermée et le grand amphithéâtre occupé.
58Certaines réformes médicales du gouvernement de la Commune ont été reprises et décrétées bien après, comme la laïcisation des hôpitaux. L’enseignement de la Faculté de médecine a lui aussi souvent changé mais jamais la communauté médicale n’a retrouvé l’opportunité que lui avait offerte la Commune, et qu’elle a refusée, de choisir ces changements par un vote démocratique, avec l’ensemble des concernés, qu’ils soient médecins libéraux, étudiants ou professeurs.
59En conclusion, si les médecins sont restés à Paris et ont continué, de manière souvent exemplaire, à assurer les soins aux blessés et malades, les institutions médicales comme la Faculté et l’Académie ont vécu les événements de la Commune comme étrangers à leurs préoccupations. La plupart des académiciens, professeur de la Faculté ont, comme Gavarret, Behier, Laugier, Gosselin, Longet, tout simplement oublié l’Académie de médecine durant deux mois pour se consacrer aux hôpitaux ; d’autres comme Wurtz, Denonvillier, sont partis pour Versailles ; enfin certain comme Broca et Robin, sont restés durant ces deux mois, à la fois académiciens et médecins [50].
Notes
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[1]
Pour une histoire des médecins et de la Commune de Paris voir, entre autres, Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, l’assistance publique et les hôpitaux en 1871, Paris, L’Harmattan, 2004, et Marcel Guivarc’h, Chirurgie et médecine pendant la guerre et la Commune, Paris, L. Pariente, 2006.
-
[2]
Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (puis GHMC), n°30, 29 juillet 1870, p. 480.
-
[3]
AN : AJ16/6255 assemblée des professeurs du 10 août 1870.
-
[4]
Liste des professeurs dans Mary Putnam, De la graisse neutre et des acides gras (th. Med. n°33) p. 2 : 29 professeurs, 26 agrégés en exercices, 5 agrégés libres.
-
[5]
Journal de médecine et de chirurgie pratique (puis JMCP), prescription et formules, article 9002 « recettes applicables à la préparation de la viande de cheval », novembre 1870, p. 510.
-
[6]
JMCP, art. 9068, mai 1871, p. 144.
-
[7]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 3 janvier 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 6.
-
[8]
Le traité de Francfort est signé le 10 mai 1871.
-
[9]
GHMC, n°6, 10 mars 1871, p. 108. En effet, depuis 1862, l’agrégation n’est plus obligatoire pour le professorat ; la Faculté voudrait la voir rétablie.
-
[10]
GHMC, année 1871, page d’introduction.
-
[11]
GHMC, n°3, 17 février 1871, p. 36.
-
[12]
« Variétés », JMCP, article 9068, février 1871, p. 143.
-
[13]
En effet le terme « Communard » n’apparaît que bien longtemps après la Commune dans un sens péjoratif. Ainsi à l’instar d’Encrevé ou de Beyer et de bien d’autres historiens, seul le terme « Communeux » sera utilisé pour non seulement porter le moins de suggestivité possible, mais également pour ne pas écrire d’anachronisme. Voir André Encrevé, « Les protestants et la Commune de Paris », Christianisme social, n°2 de 1971, p. 388 et Roland Beyer, « Un combat pour la liberté : les deux cents Alsaciens de la Commune de Paris », La Commune : Revue d’histoire de l’association des amis de la Commune de Paris 1871, n°13, 1979, p. 9-40.
-
[14]
William Serman, La Commune de Paris, Paris, Fayard, 1986, p. 405-424.
-
[15]
Jean Elleinstein (dir.), Histoire de la France contemporaine, t. 3, 1835-1871, Paris, Éditions sociales / Livre club Diderot, 1979, p. 343.
-
[16]
« Enlèvement d’un savant par les Prussiens », JMCP, article 9024, janv. 1871, p. 5.
-
[17]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 7 mars 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 130 - Variétés, JMCP, avril 1871, article 9078, p. 183.
-
[18]
GHMC, n°8, 24 mars 1871, p. 138.
-
[19]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 14 mars 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 146.
-
[20]
GHMC, n°7, 17 mars 1871, p. 114.
-
[21]
JMCP, avril 1871, article 9080, p. 190.
-
[22]
Archives de l’Académie de médecine, registre des présences de 1871.
-
[23]
Appel des membres de la Commune délégués à la commission de l’enseignement du 17 avril 1871, Journal officiel – publication de la commune, n°79, 20 mars 1871, n°144, 24 mai 1871, 3e année, Paris, s. n.p. 301.
-
[24]
JMCP, avril 1871, article 9060, p. 145.
-
[25]
L’appel de la Commune envers Piorry sera multiple. Voir Natalie Pigeard, Wurtz : un savant dans la tourmente, Paris, Hermann, 2011 et GHMC, n°20, 16 juin 1871 p. 328.
-
[26]
JMCP, mai 1871, article 9096, p. 238.
-
[27]
Notice « Dupré (Docteur) », dans Jean Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français [Ressource électronique, CD Rom] : le Maitron / [Jean Maitron] ; sous la dir. de Claude Pennetier, Paris : Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, 1997.
-
[28]
Appel des membres de la Commune délégués à la commission de l’enseignement du 17 avril 1871, op. cit.
-
[29]
Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, op. cit., p. 71.
-
[30]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture sous la Commune, Paris, Éditions-librairie de l’Étoile, 1964, p. 32.
-
[31]
GHMC, n° 13, 28 avril 1871, p. 224.
-
[32]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture, op. cit., p. 120.
-
[33]
Journal officiel – publication de la commune, 10 mai 1871, Paris, [s. n.], p.521.
-
[34]
A. Linas, « la Faculté vit encore. – les cours de clinique à l’hôpital Beaujon », GHMC, n°16, 19 mai 1871, p. 258.
-
[35]
Notice « Léonce Levraud », dans Jean Maitron, op. cit.
-
[36]
En effet, on a déjà vu que l’amphithéâtre servait, avec autorisation du doyen, de lieu de réunion non seulement pour les étudiants de médecine et de droit mais aussi pour des ouvriers. Wurtz donnait son accord au Ministre contre le vice-recteur pour des réunions d’étudiants ou d’ouvriers dans le grand amphithéâtre. Voir Natalie Pigeard, Wurtz doyen de la Faculté de médecine, thèse de doctorat sous la direction de Bernadette Bensaud-Vincent, Paris X, 2007, chp. « Des hommes et des doctrines ».
-
[37]
Sur la ligue, voir André Lefevre, Histoire de la ligue d’union républicaine des droits de Paris, Paris, G. Charpentier, 2003 [1881], 364 p. notamment p. 28, sur le programme de la Ligue d’Union républicaine des droits de Paris.
-
[38]
Les révolutions du XIXe siècle, 1852-1872, Affiches, feuilles volantes, documents divers, Paris, Edhis, 1988, n. p., et William Serman, La Commune de Paris (1871), Paris, Fayard, 1986, p. 234 et suiv., p. 437 et suiv.
-
[39]
Floquet et Scheurer-Kestner sont beaux-frères.
-
[40]
Sur la participation de Charles Lauth à la ligue voir AN : 49AP1 « Charles Floquet », notamment les procès verbaux des séances de la Ligue.
-
[41]
Pour en savoir plus, voir Jean-Baptiste Duroselle, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 109 et suiv. Sur les rapports entre Clemenceau et Grimaux voir Claude Viel, Marie-Christine Journaux et Michel Marché, « Un pharmacien Rochefortais célèbre, Édouard Grimaux, Membre de l’Académie des sciences », Roccafortis, 3e série, t. III, n°19, janv. 1977, p. 126-138. [En ligne] http://seucaj.ifrance.com/grimaux.htm, consulté le 20 novembre 2006.
-
[42]
« Ligue d’union républicaine des droits de Paris, comité du 6e arrondissement », reproduite dans Les révolutions du XIXe siècle, Paris, Edhis, 1988, non paginé.
-
[43]
Idem.
-
[44]
André Lefevre, Histoire de la ligue d’union républicaine, op. cit., p. 28.
-
[45]
Bulletin de l’Académie de médecine, séance du 23 mai 1871, t. 36, Paris, J.-B. Baillière, 1871, p. 305.
-
[46]
Maurice Dommanget, L’enseignement, l’enfance et la culture, op. cit., p. 120.
-
[47]
Voir par exemple le massacre à l’hôpital Saint-Martin et celui du séminaire Saint-Sulpice où le docteur Faneau et 80 blessés qu’il soignait furent exécutés d’une balle dans la tête. Jean-Paul Martineaud, La Commune de Paris, op. cit., p. 234-238, 266-267.
-
[48]
JMCP, juin 1871, article 9097, p. 241.
-
[49]
Catherine Glazer, « De la Commune comme maladie mentale », Romantisme, 1985, n°48, p. 63.
-
[50]
Archives de l’Académie de médecine, registre des présences de 1871.