Notes
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[1]
François Audigier, Génération gaulliste, l’Union des Jeunes pour le Progrès, une école de formation politique (1965-1975), Nancy, PUN, 2005. Cette thèse repose surtout sur les archives UJP de la Fondation Charles de Gaulle.
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[2]
Les Comités de Défense de la République (CDR) furent lancés en mai 1968 par Jacques Foccart et la direction du SAC pour encadrer, dans une structure a priori apolitique, tous ceux qui voulaient soutenir le régime et de Gaulle sans rejoindre pour autant un parti gaulliste discrédité par sa passivité. Très anticommuniste, l’organisation dénonçait dans son bulletin Citoyen la « gréviculture » française et incitait régulièrement le pouvoir à plus de fermeté sur les dossiers sensibles de l’enseignement, des syndicats, des médias ou de la répression gauchiste.
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[3]
Service d’Action civique fondé par les membres du service d’ordre du mouvement gaulliste.
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[4]
Témoignage de Gilles Le Béguec, le 6 décembre 1997. Gilles Le Béguec avait rencontré Michel Vauzelle lors de dîners-débats du Club Nouvelle Frontière, dont le jeune avocat était un des animateurs.
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[5]
Profil établi à partir des listes détaillées des comités du Lot, de la Dordogne, de l’Aude et de la Sarthe.
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[6]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
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[7]
Le Monde, 4 mai 1974.
-
[8]
Le Monde, 7 mai 1974.
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[9]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
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[10]
Le Monde, 14 mai 1974.
-
[11]
Adhérent UDR et responsable UJP de la Manche, François Digard se souvient du message diffusé sur cassette dans toutes les fédérations par le secrétaire général de l’UDR, appelant à voter Giscard d’Estaing (témoignage de François Digard, le 27 août 1996).
-
[12]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
-
[13]
Épouse d’un journaliste du Monde, Paulette Decraene devint par la suite la secrétaire de François Mitterrand à l’Élysée. Fille d’un compagnon de Résistance de François Mitterrand, cette ancienne élève d’HEC travailla pour le premier secrétaire du PS à partir de 1976.
-
[14]
Jean Charbonnel, À la gauche du Général, Paris, Plon, 1996, p. 265 (Michel Vauzelle fut son attaché de cabinet à partir de 1972).
-
[15]
Ancien de l’UJP qu’il avait quittée en 1969 sur une ligne anti-pompidolienne, Dominique Gallet avait créé un petit mouvement radical, le Front des Jeunes Progressistes.
-
[16]
L’Humanité, 10 mai 1974.
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[17]
Le Monde, 11 mai 1974. Robert Grossmann avait présidé à Strasbourg le comité local de soutien des jeunes à la candidature de Jacques Chaban-Delmas.
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[18]
L’Humanité, 10 mai 1974.
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[19]
Le Monde, 15 mai 1974.
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[20]
Archives UJP, carton 71, Alpes-Maritimes.
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[21]
Archives UJP, carton 74, Indre-et-Loire.
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[22]
Interview de Paul Aurelli, le 12 septembre 1996.
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[23]
Interview d’Yves Deniaud, le 4 novembre 1997.
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[24]
La Nation, 22 et 27 mai 1974.
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[25]
Archives UJP, carton 73, Eure-et-Loire, lettre du délégué Henri-Dominique Laporte à Paul Aurelli, le 12 juin 1974.
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[26]
Le Monde, 23 septembre 1974.
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[27]
Le Monde, 23 septembre 1974.
-
[28]
Interview d’Yves Deniaud, le 4 novembre 1997.
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[29]
Le docteur Claude Peyret, député UDR de la Vienne, dirigeait le Centre d’Étude et de Recherche « Égalité et Libertés » (CEREL), petit club gaulliste de gauche dont l’UJP tenta de prendre le contrôle (Archives UJP, carton 2 et 12).
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[30]
Le Figaro, 23 septembre 1974. La direction annonça en octobre des contacts avec les Royalistes progressistes de la Nouvelle Action Française.
1Lancée en 1965, l’Union des Jeunes pour le Progrès (UJP) était une organisation de jeunes gaullistes fonctionnant comme une école de formation politique [1]. Très tôt, ce mouvement privilégia des thématiques progressistes comme la défense de la Participation. Son premier président, Robert Grossmann, fit de l’UJP un mouvement dynamique dont les effectifs dépassèrent les 10 000 adhérents après 1968. Acquise à Jacques Chaban-Delmas dont le charisme et la modernité sociale séduisaient les cadets, l’UJP se rapprocha encore de l’ancien Premier ministre sous la direction de son nouveau responsable Jean-Paul Fasseau à partir de 1972. L’UDR entretenait en revanche de mauvaises relations avec ces jeunes trop critiques et indépendants.
2Alors que la dégradation de l’état de santé de Georges Pompidou laissait présager à beaucoup des élections anticipées, la formation fut prise au dépourvu par le décès du Président de la République. N’entretenant plus de liens réguliers avec l’Élysée, la direction avait mal apprécié la situation. La préparation en février des “Journées de dialogue de l’UJP” dans 250 villes avait détourné son attention. L’UJP aborda cette présidentielle anticipée dans de mauvaises dispositions. Marginalisée par les options radicales contestataires de son président, paralysée par la conception intégriste d’un gaullisme sanctuarisé, décalée par rapport aux aspirations de modernité de la jeunesse française, la formation allait subir la campagne. Celle-ci fit éclater les contradictions dans lesquelles évoluait l’UJP. Parce que l’organisation n’avait jamais choisi nettement entre la fidélité intransigeante à un gaullisme orthodoxe (Michel Debré), l’ouverture réformiste (Jacques Chaban-Delmas) et le progressisme extrémiste (Louis Vallon), parce qu’elle s’était installée dans la situation d’un opposant, critiquant le conservatisme du gouvernement et de l’UDR tout en bénéficiant des avantages du pouvoir, parce qu’elle se réclamait d’un « gaullisme du souhaitable » tout en composant avec le « gaullisme du possible », l’UJP allait-elle sortir brisée de la présidentielle de 1974, grand jeu de realpolitik ?
La campagne du premier tour : tous derrière Chaban !
3La disparition du Président de la République ne donna pas lieu à de longues condoléances à l’UJP. La direction, qui n’avait jamais versé dans le pompidolisme, resta silencieuse. La rapide entrée en lice de Jacques Chaban-Delmas le 4 avril mobilisa l’équipe cadette qui annonça aussitôt son soutien au maire de Bordeaux. L’occasion tant attendue était enfin arrivée, le champion de l’UJP allait être couronné… L’UJP s’engageait en fait dans une partie qui la dépassait et dont elle ne percevait pas tous les enjeux. Son idéalisme s’accordait mal avec le réalisme opportuniste de certains. La plupart des cadets ne relevèrent pas ainsi le jeu de Pierre Juillet, Marie-France Garaud et Jacques Chirac, occupés à multiplier les prétendants gaullistes afin de contrecarrer les ambitions chabanistes. Les jeunes se concentrèrent sur une campagne de terrain qui constitua l’apothéose militante de l’UJP. Multipliant les communiqués rappelant les espoirs suscités par la Nouvelle Société, insistant dans les quotidiens régionaux sur la politique de concertation et de progrès social promise par le candidat UDR, ils prirent aussi une part active aux campagnes d’affichage aux côtés des équipes CDR [2] et SAC [3].
4Quelques jours après la déclaration de candidature du maire de Bordeaux, son ancien intermédiaire auprès de l’UJP, Michel Vauzelle, monta un “Comité de soutien des jeunes pour Chaban”. Le responsable avait déjà lancé en 1969 un “Comité de soutien des jeunes à Pompidou”, opération téléguidée par Jean Charbonnel [4]. Cette formule du comité (à laquelle les Jeunes Giscardiens eurent aussi recours) permettait d’aider Jacques Chaban-Delmas sans être catalogué “UJP” ou “UDR” ce qui, dans la jeunesse de 1974 sous l’influence d’un discours 68 encore dominant, était plutôt malvenu. La direction demanda à ses représentants locaux de s’abriter derrière l’étiquette neutre des comités pour diffuser leurs communiqués. Candidat de la jeunesse puisque soutenu par ces comités, le maire de Bordeaux incarnerait le dynamisme.
5Autant attirés par le charisme de Jacques Chaban-Delmas que par son programme, de nombreux jeunes rejoignirent les comités. La structure dépassa les 15-20 000 inscrits, ce qui correspondait à des effectifs trois fois supérieurs à ceux de l’UJP de 1974. Si la plupart des adhérents étaient de nouveaux venus, le personnel d’encadrement provenait de l’organisation de jeunesse gaulliste. Dans la Sarthe, à l’exception d’une seule personne, tous les membres du bureau appartenaient à l’UJP à commencer par le président Jean Jourdan. Plus mixtes que les sections UJP, les comités comptaient un tiers de filles. Les adhérents se partageaient à part égale entre étudiants et jeunes salariés (employés et fonctionnaires essentiellement). Peu d’éléments issus de milieux populaires, même si le recrutement était moins élitiste que celui des jeunes giscardiens. Les étudiants provenaient surtout des facultés de Droit et de Sciences économiques, bastions habituels du gaullisme cadet. Plus âgé que celui de l’UJP, le recrutement des comités délaissait les lycéens au profit des étudiants [5].
6La rapide baisse de Jacques Chaban-Delmas dans les sondages n’entama pas la confiance des cadets, elle lui donna simplement le charme romantique des combats perdus d’avance… Les jeunes pouvaient d’autant mieux se mobiliser qu’ils n’avaient pas de situation électorale à défendre. Plus convaincus que leurs aînés, leur engagement fut plus entier. La « trahison » chiraquienne acheva de les mobiliser. Le véritable adversaire n’était plus François Mitterrand mais le leader RI et ses adjuvants gaullistes. Si la logique politique commandait cette attitude (Jacques Chaban-Delmas devait d’abord franchir la primaire du premier tour pour affronter ensuite le candidat de gauche), celle-ci découlait surtout de la rancœur des jeunes gaullistes à l’égard du ministre des Finances, à qui l’on n’avait jamais pardonné son « oui mais » de 1969. La présidentielle offrait l’occasion de régler des comptes avec celui qui, aux yeux des cadets, avait poussé le Général vers la retraite. Le ton et le contenu des slogans révélaient l’esprit antigiscardien des comités. « Dans la plupart des meetings » reconnaît Pierre Charon, un responsable parisien, « on conspuait Giscard – cela nous faisait plaisir – avec des slogans très simples du genre : “Giscard à l’usine” ou “Giscard au rancart”… » [6] Le “complice” Chirac n’était pas oublié. Le slogan récurrent des meetings chabanistes, « Chirac salaud, le peuple aura ta peau ! » que rapportaient les journalistes du Monde en espérant diviser la droite, venaient des jeunes du comité ou de l’UJP.
7Le comité de soutien s’était installé rue Fabert, près des Invalides, dans une permanence distincte du QG chabaniste situé avenue Charles-Floquet. À la différence des jeunes giscardiens qui logeaient avec leurs aînés dans les locaux de la rue de la Bienfaisance pour mieux coordonner les actions militantes, les troupes de Michel Vauzelle avaient préféré s’établir à distance. Les jeunes partisans chabanistes se dispersaient donc en trois lieux : l’UJP, le comité de soutien et la permanence du candidat. Un éclatement peu propice à la mobilisation des énergies. Le comité mena pourtant une campagne active, fournissant une partie importante des colleurs d’affiches et distributeurs de tracts, allant jusqu’à faire la claque des meetings. On monta sur un camion un dispositif projetant par laser une diapositive du candidat gaulliste. Un portrait de 30 m. de haut de Jacques Chaban-Delmas apparut sur la tour Montparnasse avant d’être déplacé au gré des meetings. Indépendants, les comités s’en prenaient à Valéry Giscard d’Estaing, n’étant pas liés comme le reste de l’équipe chabaniste à ce “code de bonne conduite” passé initialement entre les deux candidats de la majorité et que le maire de Bordeaux fut le seul à respecter.
8Le coup de maître du comité resta le dernier meeting de campagne, le 2 mai, au Palais des Sports de Paris. En hommage aux jeunes, Jacques Chaban-Delmas donna la parole à Michel Vauzelle, qui fut l’autre orateur avec Maurice Schumann. Les trois âges du gaullisme, le passé, le présent et l’avenir, se voyaient représentés. La perspective assurée de la défaite avait libéré les cœurs. Le candidat, qui avait enfin retrouvé son allure dynamique, déclencha les ovations des 15 000 spectateurs. Les membres du comité scandèrent les refrains à la mode, « Chaban président, les sondages c’est du bidon ! » ou « Chirac à Moscou ! » (allusion à la “manipulation”de l’opinion via les sondages des RG) tandis que Jacques Chaban-Delmas proposa d’associer la jeunesse à la construction de la Nouvelle Société [7]. À l’issue du meeting, près de 5000 jeunes se rassemblèrent aux cris de « Ce soir à l’Étoile ! » L’objectif initial était d’envahir les Champs-Élysées mais les plus déterminés proposèrent de marcher sur l’Élysée ! À proximité du Palais, un commissaire de police ordonna le demi-tour et les manifestants obtempérèrent. Une partie d’entre eux décida toutefois de remonter les Champs où ils molestèrent trois jeunes giscardiens qui avaient eu le mauvais goût d’arborer leur T-Shirt de campagne.
9De prochabanistes, les jeunes de l’UJP et du comité avaient dérivé vers un anti-giscardisme qui interdisait toute réconciliation entre les deux tours. Pour beaucoup de cadets, le responsable de cette déroute annoncée, Valéry Giscard d’Estaing, devait être puni. Dans la dernière semaine qui précéda le premier tour, se mit en place cette logique du « vote révolutionnaire » en faveur de François Mitterrand. Rue du Faubourg Saint-Honoré (siège de l’UJP) et rue Fabert, des bruits de couloir et des consignes murmurées laissaient entrevoir cette politique du pire. Elle apparut avec évidence lors de la soirée électorale du premier tour. Avenue Charles Floquet où les jeunes s’étaient rassemblés pour une veillée funèbre, les esprits étaient déjà acquis à la vengeance. Ainsi que le constatait Maurice Denuzière pour le compte du Monde, des jeunes filles aux larmes rentrées affirmaient d’un air rageur : « Jamais nous ne voterons pour Giscard » sous le regard attendri d’anciens de la Résistance… [8]
Les déchirures du deuxième tour
10Dès le 6 mai, l’UDR apporta un soutien grommelant au candidat RI. Jacques Chaban-Delmas se prononça en faveur de son vainqueur mais ses intimes recueillaient des confidences différentes. Michel Vauzelle se crut donc autorisé à perturber la campagne du leader libéral et les comités se répandirent en diatribes anti-giscardiennes. Pour les chiraquiens de l’UDR, il était temps de faire taire ces fâcheux. Dès le lendemain du premier tour, le Mouvement gaulliste expulsa les cadets de leur permanence de la rue Fabert, espérant réduire au silence ces indisciplinés. Maladroite, cette mesure renforça la détermination des jeunes qui se constituèrent en un Mouvement du 2 mai, en référence au dernier meeting du Palais des Sports. Dans le bureau figuraient les principaux responsables des comités : Michel Vauzelle, Didier Schüller et Pierre Charon. Le 12 mai, 200 délégués se réunirent à la Maison de la Chimie autour d’un cérémonial dramatique. Les participants montèrent les uns après les autres à la tribune pour jurer fidélité à Chaban-Delmas et proclamer que jamais ils ne voteraient Giscard d’Estaing… [9] Grâce au chèque en blanc signé dans le désordre de l’après campagne par le trésorier chabaniste Pierre Pascal, des milliers de télégrammes furent envoyés en province pour orienter le vote des adhérents.
11Une semaine avant le deuxième tour, les délégués du Mouvement du 2 mai diffusèrent dans le Monde un communiqué virulent dans lequel ils affirmaient que Valéry Giscard d’Estaing représentait « un rassemblement des droites sans précédent depuis Pétain » [10]. Même si cette déclaration ne constituait pas un appel explicite à rejoindre le camp Mitterrand (le Mouvement se prononça en faveur du vote blanc), le message en filigrane était bien celui d’un soutien au candidat socialiste. Dans un entrefilet du Nouvel Observateur, Michel Vauzelle et Pierre Charon récidivèrent avec un papier intitulé « les jeunes gaullistes disent non à Giscard ! » Le clan chiraquien décida de réagir. Au vu du premier tour, chacun savait que le candidat de droite devrait faire le plein des voix gaullistes pour l’emporter au second. Réticente au début, l’UDR s’était laissée convaincre sous l’effet de la logique politique et d’amicales pressions [11]. Mais la défaite chabaniste avait laissé des traces au sein de son électorat, qui expliquait la chute du maire de Bordeaux par une suite de coups bas. Cette rancœur ne demandait qu’à s’exprimer. Libres de toute allégeance à l’inverse des responsables UDR, Michel Vauzelle et ses amis affirmaient ce que beaucoup de gaullistes pensaient tout bas : « Chirac est un traître et Giscard est le fossoyeur du gaullisme. » Les leaders du Mouvement du 2 mai montraient la voie de la résistance. Une perspective inquiétante pour le ministre de l’Intérieur, dont la stratégie de rupture supposait une victoire giscardienne.
12La machine chiraquienne entra alors en jeu. « Et là, la foudre nous est tombée sur la tête » témoigne Pierre Charon, « ils ont tellement eu peur de perdre les élections… » Jacques Chirac fit donner l’appareil d’État. Des préfets téléphonèrent au père du jeune chabaniste, un chirurgien-dentiste gaulliste admirateur de Michel Jobert, pour le mettre en garde sur un ton menaçant : « C’est très grave ce que fait votre fils ! » Les dirigeants du Mouvement du 2 mai furent physiquement inquiétés. Alors que les gros bras du SAC avaient aidé les cadets à coller leurs affiches une semaine auparavant, ils se rendirent dans les permanences pour faire comprendre aux jeunes combien ils gagneraient à modérer leur attitude. « On a été menacé, et quand on a 22 ans, on ne le supporte pas très bien. Les types du SAC sont venus dans ma permanence m’emmerder. Il y avait une ambiance dingue. » [12] Cette pression détermina certains à rejoindre la gauche.
13De leur côté, les mitterrandistes, désireux de toucher l’électorat chabaniste, avaient déjà approché les jeunes contestataires. Quelques jours après l’appel du Nouvel Observateur, Édith Cresson se rendit à la permanence de Pierre Charon, accompagnée de Paulette Decraene [13]. L’entrevue se prolongea au restaurant “Zéro de Conduite” où les trois convives discutèrent politique. « Édith Cresson était superbe, une très jolie femme. Elle m’a parlé comme à un mec : “Quelle belle campagne ! Vous ne pouvez pas vous laisser faire par ce salaud de Giscard !” Moi, j’étais totalement en phase avec ce discours. » Si cette proposition de ralliement resta sans suite, les jeunes chabanistes furent reçus quelques semaines après le deuxième tour par François Mitterrand [14]. Le leader socialiste souhaitait élargir le Front Commun en lui adjoignant une aile gaulliste de gauche. Celle-ci aurait rassemblé les déçus de 1974 qui ne se reconnaissaient plus dans l’UDR chiraco-giscardienne et refusaient la nouvelle majorité. On y aurait croisé des anciens des comités de jeunes, des membres de l’UJP et des personnalités comme Jean Charbonnel et Michel Jobert, avec une frange gaullo-gauchiste incarnée par le FJP de Dominique Gallet [15]. Ce « grand recrutement » connut une fortune diverse. Approché par Gaston Defferre entre les deux tours, Michel Vauzelle accepta de travailler pour le maire de Marseille. Lauréat de la conférence du stage, il allait devenir l’avocat de la radio libre du PS puis gagner ses galons politiques en « descendant » sur Arles. Pierre Charon et Didier Schüller allaient rejoindre le MRG au début 1975. Une partie de l’aile cadette du gaullisme réformateur était passée à gauche.
14L’UJP connut les mêmes déchirements. Quelques jours avant le premier tour, une fois la défaite chabaniste acquise, la direction s’interrogea sur sa position lors du second tour. Elle y était incitée par l’important courrier reçu des délégués provinciaux, soucieux de connaître la ligne du mouvement. La lecture de ces lettres révèle la perplexité des jeunes gaullistes. De fait, il n’y avait pas de bonne solution. L’UJP ne pouvait pas appeler à voter pour « l’homme du coup d’État permanent » et adversaire du Général en 1965, sans renier les idéaux et l’action du gaullisme. L’alliance passée par le leader socialiste avec les communistes excluait tout ralliement au candidat de la gauche. Mais rejoindre l’homme du « oui mais » semblait aussi inconcevable. L’UJP aurait renié sa sensibilité progressiste et couru le risque d’être définitivement classée à droite. Le recours à l’abstention étant exclu (« un gaulliste ne se défile pas »…), restait le vote blanc. Ce dernier présentait un double risque. En cas de victoire mitterrandienne, les cadets seraient accusés d’avoir favorisé la gauche. En cas de victoire giscardienne, l’UJP souffrirait de l’esprit de vengeance de la droite libérale et d’une partie des gaullistes.
15L’horizon politique semblant bouché, la direction décida de maintenir la cohésion de l’organisation. Celle-ci se trouvait déjà déchirée en trois tendances. Quelques-uns, par hostilité à Valéry Giscard d’Estaing et rejet de la « trahison chiraquienne », se déclaraient prêts à soutenir François Mitterrand. Une grosse moitié penchait pour le vote blanc, tandis qu’un tiers des adhérents semblait déterminé à soutenir le candidat de droite. Si le bureau prenait position pour un candidat, la formation s’effondrerait sous les démissions successives. Il fallait opter pour un compromis permettant une sortie de crise rapide car une partie de l’UJP avait basculé dans l’intransigeance en fin de campagne. Sur les panneaux d’affichage, les slogans s’étaient transformés, passant du tranquille « Chaban président ! » au plus offensif « Non à Giscard ! » L’UJP gardoise avait recouvert les murs du département de ce cri vengeur [16]. L’option du “vote révolutionnaire” en faveur de François Mitterrand, d’abord marginale, avait gagné le bureau, où Paul Aurelli se faisait l’avocat du candidat socialiste.
16L’UDR observait l’évolution de l’UJP avec inquiétude. Passe encore que les comités de soutien aient affirmé publiquement leur refus de Valéry Giscard d’Estaing, cette structure provisoire ne pouvait guère influencer l’électorat gaulliste. Il en allait autrement de l’UJP, organisation officielle de la jeunesse gaulliste, forte de 35 000 membres revendiqués, d’une certaine notoriété médiatique et dont la légitimité politique était affirmée au cours d’assises géantes auxquelles assistait le gotha du parti et du gouvernement. Le basculement de l’UJP dans le vote blanc, pire dans le soutien à François Mitterrand, pouvait créer un effet d’entraînement. Une partie des gaullistes de gauche (à l’image de Jean Charbonnel, président du club Nouvelle Frontière et de Gilbert Grandval, dirigeant de l’Union travailliste), ayant déjà annoncé son intention de s’abstenir ou de voter blanc au second tour, il devenait urgent de stopper l’hémorragie. Le temps des pressions était arrivé.
17Le mercredi 8 mai, le Conseil national se réunit afin d’arrêter une ligne concernant le deuxième tour. Composée des membres du BN et des délégués régionaux, cette instance décida à huis clos de recommander le vote blanc ou nul. Le communiqué envoyé aux sections locales ne manquait pas de fermeté. On y rappelait que l’échec de Jacques Chaban-Delmas résultait « de nombreuses trahisons et manœuvres en tous genres » avant de déplorer « la rapidité du ralliement à Giscard de ceux qui n’avaient soutenu Chaban que du bout des lèvres »… On déclarait enfin que les adhérents UJP, parce qu’ils militaient pour les institutions de la Ve République, l’indépendance nationale et le progrès social, ne pouvaient voter Giscard d’Estaing. La direction UDR exigea des cadets qu’ils harmonisent leur position avec celle du parti adulte. Ce coup de semonce étant resté sans effet, Alexandre Sanguinetti demanda à Robert Grossmann, le fondateur de l’UJP toujours auréolé d’un certain prestige chez les cadets, d’annoncer son intention de soutenir le candidat de droite [17]. Le soir même, une déclaration UJP parvint aux journaux, qui affirmait la volonté de la formation de « tout mettre en œuvre pour barrer la route à Giscard » [18]. Une heure plus tard, un démenti fut publié accompagné de l’annonce d’une conférence de presse pour le jeudi 9 mai à 16 heures à l’hôtel Lutétia. Cette confusion reflétait les luttes de tendances entre “mitterrandistes” et partisans du vote blanc, sur fond de pressions UDR.
18Le lendemain à 16 heures, nouveau coup de théâtre. Surgi précipitamment, un mystérieux émissaire annonça que la conférence de presse était annulée. En réaction, une dépêche AFP alimentée par des fuites organisées affirma que des pressions avaient été exercées sur les jeunes gaullistes pour les inciter à réviser leurs positions. Par son interventionnisme répété, l’UDR avait renforcé les jusqu’au-boutistes. Pris entre deux feux, Jean-Paul Fasseau convoqua les responsables pour une AG extraordinaire, le samedi 11 mai. Cette réunion entérina les clivages apparus lors du Conseil national avec une tendance très majoritaire en faveur du vote blanc (78 % des suffrages). En dépit des injonctions de Pierre Messmer, ces résultats furent rendus publics, révélant la division du camp gaulliste et la résistance d’une de ses composantes. Finalement Jean-Paul Fasseau ne donna pas de consignes de vote afin de préserver la cohésion du mouvement.
19Cette réunion ne mit pas fin aux pressions. Dans une conférence de presse le 13 mai, le président UJP évoqua de multiples interventions. Un membre du cabinet du Premier ministre l’avait convoqué pour l’inciter à faire voter Giscard d’Estaing. Désabusé, le responsable concluait : « si j’avais eu encore quelques illusions sur l’attitude de certains dirigeants du gaullisme, je les aurais perdues » [19]. En prenant la presse à témoin, le leader se protégeait des pressions. Pour avoir opté en faveur du vote blanc, les militants UJP des Alpes-Maritimes furent chassés par le responsable UDR local, Roger Binda, de la permanence du mouvement gaulliste [20]. La direction UJP de l’Indre-et-Loire qui avait laissé aux adhérents leur liberté de vote, fut expulsée de ses locaux de la rue Origet à Tours [21]. Paul Aurelli, ancien vice-président et trésorier, se souvient de a visite de Serge Dassault rue du Faubourg Saint-Honoré. L’industriel s’était proposé d’effacer les dettes de la formation à condition que cette dernière corrige sa ligne politique. « Dassault était venu nous voir avec une grosse sacoche, style sacoche de médecin de province. Il ouvre sa valise, elle était pleine de billets de 500 F. Il nous dit : “est ce que vous pensez que ça va vous suffire ?”, d’un air de dire, s’il faut plus… Je ne sais pas s’il y avait cinq millions, en tout cas il y avait beaucoup d’argent. On a refusé. Et je crois qu’il nous a beaucoup méprisés à cause de ça, des gens pas achetables, c’était pas intéressant. » [22]
20Alors que l’UDR avait promis de prendre à sa charge les dépenses, elle annonçait désormais son intention de ne plus honorer ses engagements. Les cadets se trouvaient donc soumis à la pression de leurs créanciers. Certains responsables furent même l’objet de tentatives de corruption personnalisée, comme en témoigne Yves Deniaud. « On nous a proposé… Enfin, j’aurais pu devenir riche à cette époque. On aurait pu tous le devenir, mais isolément. Si je m’étais désolidarisé de mes amis… Il y a eu des propositions concrètes, dans des enveloppes, dans des serviettes en plastique, qui étaient assez énormes… » [23] La direction cadette devait dans le même temps repousser les instrumentalisations socialistes. À Paris, des adhérents ayant reçu par la poste des autocollants « Non à Giscard » démissionnèrent, pensant que le mouvement se trouvait à l’origine de cette initiative. Des cadets ralliés à la gauche avaient en fait utilisé les fichiers pour des mailings clandestins. Dans l’Indre-et-Loire, la formation intenta une procédure auprès du procureur de Tours après qu’un tract gaulliste se réclamant de l’UJP eut rapporté un supposé appel au vote Mitterrand lancé par Jean-Paul Fasseau.
La tentation du désert
21La victoire de Valéry Giscard d’Estaing au second tour et son corollaire gaulliste, la montée en puissance de Jacques Chirac au sein de l’UDR, sonnèrent le glas de l’UJP. Ses deux adversaires se trouvaient à présent aux postes de commande de la nouvelle majorité. L’option du vote blanc marginalisait la formation de jeunesse. Le clan chiraquien (Garaud-Tomasini-Pasqua) lui en voulait d’avoir failli provoquer l’échec de sa stratégie et la méprisait pour son absence de réalisme politique. Les autres leaders gaullistes (Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré, Maurice Couve de Murville, Robert Poujade, Olivier Guichard, Alexandre Sanguinetti, Claude Labbé, Robert Boulin) étaient trop abattus par leur défaite pour résister à l’emprise des chiraquiens et s’intéresser à des cadets jugés turbulents et incontrôlables. Pour beaucoup, l’UJP avait failli, par un vote blanc irresponsable, provoquer la victoire de la gauche. Jean-Paul Fasseau refusait cette lecture, affirmant n’avoir voulu que marquer son opposition à Valéry Giscard d’Estaing au nom d’un gaullisme orthodoxe, sans jamais souhaiter l’arrivée au pouvoir de la gauche. Parce que l’UJP n’envisageait que les intentions de son acte alors que l’UDR ne regardait que les conséquences de celui-ci, l’incompréhension régnait entre les deux parties. Sans compter que l’UJP incarnait la mauvaise conscience de la famille gaulliste. Sa seule présence gênait.
22Le vote blanc n’évita pas l’éclatement de l’UJP. En ne voulant déplaire à personne, la direction mécontenta tout le monde. Des progressistes basculèrent à gauche tandis que d’autres plus conservateurs démissionnèrent ou rejoignirent l’UDR. En mai-juin 1974, Jean-Paul Fasseau et Paul Aurelli reçurent des centaines de lettres de démission, émanant de militants furieux que leur formation n’ait pas soutenu le candidat de droite à l’image du parti. L’UJP subit donc une hémorragie de ses effectifs. Ce reflux s’opéra en plusieurs temps. Il y eut une première vague de départs « à chaud » entre les deux tours. Une deuxième, plus réfléchie, se produisit en juin et durant les vacances. Une troisième, enfin, à l’automne, rassembla ceux qui refusèrent les contacts entre leur formation et les Jeunes Communistes. Fin 1974, l’UJP avait perdu environ le quart de ses effectifs. Ces départs ne furent pas sans conséquences politiques. Épurée de ses éléments modérés, la formation se retrouva composée majoritairement de progressistes engagés, qui avaient voté blanc ou Mitterrand en mai et prônaient désormais la rupture avec l’UDR chiraquienne. Cette évolution interne devait influencer le virage à gauche de la rentrée 1974.
23Aboutissement d’un long processus de marginalisation, la présidentielle mit l’UJP dans une position de rupture par rapport à l’UDR et à la nouvelle majorité. Considérant le fait accompli, Jean-Paul Fasseau engagea sa formation dans une traversée du désert (tentation de tout gaulliste ?). L’UJP allait pouvoir enfin exprimer sa véritable identité, affirmer ses valeurs de participation, de justice sociale et de coopération, bref défendre un gaullisme « authentique » dans l’esprit du Général. Les critiques de l’UDR chiraquienne, les démissions d’adhérents et les problèmes de trésorerie ne firent que renforcer la détermination de la direction. Basculant du côté où elle penchait depuis longtemps, l’UJP versa dans une marginalité critique où les difficultés nourrissaient son ntransigeance. Toutefois, Jean-Paul Fasseau n’installa pas d’emblée l’UJP dans l’opposition. Les déclarations du président à l’issue de la formation du gouvernement Chirac ne relevaient que d’un scepticisme prudent. Ce furent les problèmes que l’UJP rencontra à partir de la présidentielle qui la rangèrent dans l’opposition. La crise était multiforme. Financière avec une banqueroute héritée de la campagne, politique avec une UDR de plus en plus rivale. Mais elle affectait également sur un plan personnel les responsables, confrontés aux représailles d’un pouvoir tout-puissant. Ces difficultés allaient aigrir la direction et l’inciter à durcir sa ligne à l’encontre de l’UDR et de la nouvelle majorité.
24La campagne avait ruiné l’UJP. Si le désengagement financier de l’UDR avait d’abord visé à pousser la formation vers le soutien à Valéry Giscard d’Estaing, il prit ensuite la forme d’une punition. Paul Aurelli recevait régulièrement les huissiers au siège du mouvement. Les cadets ne pouvaient plus prétendre aux subventions « déguisées » des ministères (via les antennes « sports et loisirs » de l’UJP) et autres services publics (comme la Poste). Ils devaient également se passer des encarts publicitaires « bidons », offerts autrefois par des sociétés proches du pouvoir (la Régie immobilière de la ville de Paris). La formation bénéficia heureusement des largesses de mécènes privés, comme Émile Amaury (patron du Parisien) et de l’aide de Jean Charbonnel, qui joua les intermédiaires entre la formation et quelques bailleurs de fonds. L’UJP ne parvint pas toutefois à dissimuler ses difficultés. Son journal, Tribune Gaulliste, vit sa diffusion limitée aux seuls abonnés et adhérents à jour de cotisation. En septembre, la formation lança une souscription pour financer les Journées nationales de Versailles. L’UJP découvrait que l’indépendance politique avait un prix.
25À ces difficultés pratiques s’ajoutaient des problèmes politiques. Alors que l’UDR n’avait promis fin mai qu’un soutien « non systématique » au gouvernement Chirac [24], le mouvement gaulliste devint vite plus compréhensif à l’égard du pouvoir. Confronté à des problèmes financiers et au danger d’une marginalisation politique devant un courant libéral en état de grâce, l’UDR se réfugia dans le giron du Premier ministre dès l’été 1974. Le 8 septembre, lors du déjeuner des secrétaires fédéraux, Jacques Chirac pouvait déjà imposer sa ligne, suggérant de « faire taire les nostalgiques du passé » et menaçant même « les éléments de division ». Cette évolution ne pouvait que nuire à l’UJP, partisane d’une stratégie d’indépendance critique face au pouvoir. Des signes précurseurs indiquèrent à la direction la nouvelle donne, lui montrant que le mouvement gaulliste était devenu son adversaire. Localement, des anciens UJP favorables à Jacques Chirac créèrent dès juin des sections de jeunes UDR, avec l’appui des instances fédérales du Mouvement [25]. Afin de concurrencer l’organisation de Jean-Paul Fasseau, l’UDR s’ouvrit à la rentrée 1974 aux jeunes à partir de 16 ans. À la même époque, une organisation née des remous de Mai 68 refit parler d’elle. Cornaqués par la direction UDR, les Jeunes des CDR exprimèrent publiquement leur réprobation face aux contacts de l’UJP avec la JC [26]. Ultime avertissement de l’UDR, Robert Grossmann mit en garde les jeunes gaullistes contre « l’apprenti sorcier » Fasseau [27]. Toutes ces initiatives devaient aboutir six mois plus tard au lancement de l’UDR-Jeunes et à la réactivation d’anciens responsables UJP comme Michel Barnier et Alain Aubert.
26Les représailles dont furent victimes les responsables UJP influencèrent aussi leur glissement vers l’opposition. L’équipe dirigeante subit les foudres du nouveau pouvoir, avec un acharnement qui en disait long sur la volonté de vengeance du tandem Giscard-Chirac et sur l’obstacle qu’avait représenté la formation lors de la présidentielle. Le trio Fasseau-Aurelli-Deniaud perdit vite certaines facilités. Yves Deniaud dut renoncer à son poste de chargé de mission au ministère de la Coopération. Le Conseil économique et social, autrefois si généreux pour les responsables UJP, leur ferma ses portes. Les trois leaders cadets durent chercher un emploi car l’UJP ne pouvait plus salarier ses responsables. Pour les intéressés, le retour à la base fut plus difficile que prévu car les giscardiens entravèrent leur recherche d’emploi. Après s’être inscrit à l’ANPE, Yves Deniaud chercha du travail dans la région de Caen muni de sa maîtrise de Droit. Toutes ses démarches se heurtèrent à la vigilance de l’homme fort du Calvados, le giscardien Michel d’Ornano. Lors d’un entretien d’embauche, le vice-président UJP comprit les dessous de ses déboires professionnels. Après qu’un PDG d’une société de BTP l’eut sélectionné, Yves Deniaud trouva un patron embarrassé. « Quand je suis revenu, le PDG m’a pris dans son bureau et m’a dit: “Voilà, j’ai voulu m’expliquer de vive voix avec vous. Si je veux garder mes marchés avec la ville de Caen et avec le Calvados, il vaut mieux que je ne vous embauche pas. En tant que PDG, je dois penser à mon entreprise, mais comme je trouve la chose dégueulasse, je tenais à ce que vous le sachiez.” » [28] Le cadet dut s’installer dans l’Orne pour décrocher un emploi dans une société d’assurances en 1976. Paul Aurelli attendit 15 mois et Jean-Paul Fasseau près d’un an et demie…
27Alors que la formation hésitait encore en juin entre la censure et l’approbation nuancée de la politique gouvernementale, elle critiqua en septembre un pouvoir qui selon elle ne maîtrisait ni la situation économique ni les problèmes sociaux et dont la diplomatie restait trop discrète. L’UDR faisait les frais de cette nouvelle ligne. À l’occasion de législatives partielles disputées les 29 septembre et 6 octobre 1974, l’UJP n’apporta son soutien qu’à des chabanistes engagés comme Olivier Guichard et Yves Guéna. Jean-Paul Fasseau rapprocha aussi sa formation de petites organisations et personnalités représentatives d’un gaullisme progressiste critique comme Jean Charbonnel, Michel Jobert ou Claude Peyret [29]. Cette ouverture pouvait prendre des formes plus audacieuses. Le 21 septembre, les lecteurs du Monde apprirent avec surprise la rencontre officielle d’une délégation UJP avec des représentants du Mouvement de la Jeunesse communiste ! La « trahison » du mouvement gaulliste et le ralliement d’une partie des gaullistes de gauche à François Mitterrand avaient brisé les clivages partisans. Libérée de la tutelle adulte, l’UJP s’ouvrait à d’autres sensibilités politiques. L’opération déclencha les foudres des UDR Alexandre Sanguinetti et Claude Labbé. Ce « dialogue tous azimuts » ne s’arrêtait pas aux JC. Le président UJP annonça en octobre des rencontres avec les Radicaux de Gauche et les socialistes [30]. En multipliant ses partenaires, la formation préservait sa marge de manœuvre. Ces ouvertures à gauche témoignaient aussi d’une certaine quête identitaire. Après avoir perdu ses repères dans les remous de la présidentielle, la formation se cherchait en tâtonnant un nouveau programme et de nouveaux partenaires.
28Les Journées nationales des 26 et 27 octobre 1974 à Versailles permirent de mieux situer une formation devenue nomade. À l’issue de ce rassemblement, l’UJP se positionna à la marge de l’échiquier gaulliste, se situant plus près de la contestation que du soutien même critique à la nouvelle majorité. Jean-Paul Fasseau souhaitait fédérer tous les gaullistes qui refusaient, par fidélité au gaullisme orthodoxe ou par progressisme, le ralliement chiraquien à « la société libérale avancée ». Cette ligne mettait fin aux contradictions de l’UJP. La formation cessait d’être déchirée entre ses convictions et la solidarité avec une UDR dont elle ne partageait pas les options conservatrices mais dont elle dépendait. Ce faisant, l’UJP s’engageait dans une impasse politique. Outre les problèmes financiers que cette nouvelle indépendance allait entraîner, ce positionnement particulier, cet « ailleurs », posait le problème de sa viabilité politique. La bipolarisation française ne permettait pas l’expression d’une troisième voie, celle d’un gaullisme indépendant dit « de progrès ». Il n’y avait pas d’espace pour ces solutions marginales, comme allait bientôt le souligner l’échec de la Fédération des Républicains de Progrès de Jean Charbonnel. Ignorée par une gauche qui ne comprenait pas son identité paradoxale et ne cherchait qu’à l’instrumentaliser, combattue par le clan chiraquien qui allait bientôt lancer l’opération UDR-Jeunes (où s’illustrerait le prometteur Nicolas Sarkozy), privée de moyens et d’effectifs, poussée vers l’extrémisme par une base radicale, l’UJP allait vite péricliter.
Mots-clés éditeurs : élection présidentielle de 1974, gaullistes, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Chirac, UJP
Date de mise en ligne : 15/01/2008
https://doi.org/10.3917/parl.008.0069Notes
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[1]
François Audigier, Génération gaulliste, l’Union des Jeunes pour le Progrès, une école de formation politique (1965-1975), Nancy, PUN, 2005. Cette thèse repose surtout sur les archives UJP de la Fondation Charles de Gaulle.
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[2]
Les Comités de Défense de la République (CDR) furent lancés en mai 1968 par Jacques Foccart et la direction du SAC pour encadrer, dans une structure a priori apolitique, tous ceux qui voulaient soutenir le régime et de Gaulle sans rejoindre pour autant un parti gaulliste discrédité par sa passivité. Très anticommuniste, l’organisation dénonçait dans son bulletin Citoyen la « gréviculture » française et incitait régulièrement le pouvoir à plus de fermeté sur les dossiers sensibles de l’enseignement, des syndicats, des médias ou de la répression gauchiste.
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[3]
Service d’Action civique fondé par les membres du service d’ordre du mouvement gaulliste.
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[4]
Témoignage de Gilles Le Béguec, le 6 décembre 1997. Gilles Le Béguec avait rencontré Michel Vauzelle lors de dîners-débats du Club Nouvelle Frontière, dont le jeune avocat était un des animateurs.
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[5]
Profil établi à partir des listes détaillées des comités du Lot, de la Dordogne, de l’Aude et de la Sarthe.
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[6]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
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[7]
Le Monde, 4 mai 1974.
-
[8]
Le Monde, 7 mai 1974.
-
[9]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
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[10]
Le Monde, 14 mai 1974.
-
[11]
Adhérent UDR et responsable UJP de la Manche, François Digard se souvient du message diffusé sur cassette dans toutes les fédérations par le secrétaire général de l’UDR, appelant à voter Giscard d’Estaing (témoignage de François Digard, le 27 août 1996).
-
[12]
Interview de Pierre Charon, le 29 août 1996.
-
[13]
Épouse d’un journaliste du Monde, Paulette Decraene devint par la suite la secrétaire de François Mitterrand à l’Élysée. Fille d’un compagnon de Résistance de François Mitterrand, cette ancienne élève d’HEC travailla pour le premier secrétaire du PS à partir de 1976.
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[14]
Jean Charbonnel, À la gauche du Général, Paris, Plon, 1996, p. 265 (Michel Vauzelle fut son attaché de cabinet à partir de 1972).
-
[15]
Ancien de l’UJP qu’il avait quittée en 1969 sur une ligne anti-pompidolienne, Dominique Gallet avait créé un petit mouvement radical, le Front des Jeunes Progressistes.
-
[16]
L’Humanité, 10 mai 1974.
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[17]
Le Monde, 11 mai 1974. Robert Grossmann avait présidé à Strasbourg le comité local de soutien des jeunes à la candidature de Jacques Chaban-Delmas.
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[18]
L’Humanité, 10 mai 1974.
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[19]
Le Monde, 15 mai 1974.
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[20]
Archives UJP, carton 71, Alpes-Maritimes.
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[21]
Archives UJP, carton 74, Indre-et-Loire.
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[22]
Interview de Paul Aurelli, le 12 septembre 1996.
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[23]
Interview d’Yves Deniaud, le 4 novembre 1997.
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[24]
La Nation, 22 et 27 mai 1974.
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[25]
Archives UJP, carton 73, Eure-et-Loire, lettre du délégué Henri-Dominique Laporte à Paul Aurelli, le 12 juin 1974.
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[26]
Le Monde, 23 septembre 1974.
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[27]
Le Monde, 23 septembre 1974.
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[28]
Interview d’Yves Deniaud, le 4 novembre 1997.
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[29]
Le docteur Claude Peyret, député UDR de la Vienne, dirigeait le Centre d’Étude et de Recherche « Égalité et Libertés » (CEREL), petit club gaulliste de gauche dont l’UJP tenta de prendre le contrôle (Archives UJP, carton 2 et 12).
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[30]
Le Figaro, 23 septembre 1974. La direction annonça en octobre des contacts avec les Royalistes progressistes de la Nouvelle Action Française.