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Article de revue

Laetitia de Witt, L’Aiglon. Le rêve brisé de Napoléon, Paris, Tallandier, 2020, 494 p.

Pages 229 à 231

1 Edmond Rostand, en lui consacrant une pièce en 1900, savait que l’histoire de la vie de l’Aiglon ne pouvait connaître que le succès. L’héritier du trône, incarné par Sarah Bernhardt, n’a, depuis, jamais quitté l’affiche. Mais que sait-on de cet enfant au funeste destin ? Fruit de l’union des Bonaparte et des Habsbourg, espoir des temps anciens et nouveaux, il était promis à voler sur les traces de son père mais dut finalement se contenter de briller par intermittence aux Tuileries, puis dans les salons feutrés de Schönbrunn. Trop tôt délaissé par une mère finissant de régner à Parme, lui-même devenu orphelin d’un père exilé puis mort à Sainte-Hélène, son existence se résuma à des drames successifs.

2 Le récent ouvrage de Laetitia de Witt rappelle les étapes successives de l’existence de cet héritier tant espéré, veillé par un père aimant, choyé par une mère attentive, éduqué par une gouvernante soucieuse, avant de prendre la route de l’exil vers un monde nouveau symbolisé par un titre de duc de Reichstadt. Cette exceptionnelle biographie n’omet rien d’un parcours hors du commun. Il est vrai que l’auteure, ayant déjà signé un Prince Victor Napoléon remarqué, a consulté lettres, documents et archives d’un parcours achevé à vingt et un ans sans couronne ni descendance. Elle-même descendante des Bonaparte par le dernier frère de Napoléon, elle explique dans son avant-propos avoir longtemps côtoyé la figure de l’adolescent éternel aux adorables boucles blondes dans les salons familiaux avant de se décider à lui consacrer une analyse méritée.

3 L’héritier impérial trop vite oublié a commencé sa vie sous les meilleurs auspices même si, entre un empereur au bicorne dominateur et un cousin réformateur aux moustaches frémissantes, il lui a été difficile de s’imposer et de trouver sa place. Tout débute pour lui deux ans avant sa naissance. La victoire de son père à Wagram en 1809 consacre non seulement le triomphe d’un génie stratégique mais aussi l’acmé diplomatique d’une épopée débutée à Arcole. L’Empereur des Français ne cherche pas tant à humilier l’adversaire autrichien sur ses propres terres qu’à assurer un armistice définitif pour le continent. Il scelle la paix en signant un traité avec son homologue, mais exige quelques mois plus tard d’en épouser la fille.

4 L’archiduchesse Marie-Louise est donc choisie pour offrir l’héritier tant attendu de la quatrième dynastie française. En grande pompe, le mariage est célébré à Saint-Cloud, puis au Louvre en avril 1810, après une cérémonie par procuration qui fait entrer un Bonaparte dans la grande famille des rois. Le nouveau couple impérial transcende les codes et s’entend à merveille. L’arrivée de son unique enfant, onze mois plus tard, le 20 mars 1811, est donc accueillie dans une allégresse indescriptible : cent et un coups de canons tirés dans Paris, scènes de liesse populaires, œuvres et pièces de circonstance, baptême à Notre-Dame en présence des corps constitués… Rien n’est trop grand, ni trop beau pour lui.

5 Napoléon a désormais un fils, et il souhaite le faire savoir. On titre le nouveau-né Roi de Rome, ultime référence carolingienne rappelant la domination sur la Ville éternelle tandis que le Saint-Père demeure prisonnier. Les fées se penchent sur son berceau. Mais en quelques mois à peine, le sort s’inverse. Après la défaite en Russie puis en Saxe, la famille impériale doit se séparer en janvier 1814. L’enfant ne reverra plus son père.

6 Napoléon part pour un premier exil à l’île d’Elbe tandis que le jeune garçon suit sa mère vers l’Autriche. Désormais, son grand-père secondé par le chancelier Metternich veillera sur son éducation. L’épisode des Cent-Jours ne changera rien, pas même la seconde abdication du vaincu de Waterloo à l’Élysée : jamais Napoléon II ne régnera vraiment sur la France. Les Chambres et le gouvernement provisoire ne reconnaîtront à aucun moment son pouvoir.

7 Resté prisonnier dans une cage dorée, il devient alors un Habsbourg à part entière. On tente d’effacer de sa mémoire tout souvenir d’un géniteur voué aux gémonies. L’adolescent, devenu duc de Reichstadt et prince autrichien, réside de manière ostentatoire à la Hofburg, dispose d’une maison militaire et se trouve surtout placé sous l’autorité du précepteur Dietrichstein, qui doit le préparer à ses futures fonctions.

8 1821 sonne le glas de ses dernières illusions. La disparition longtemps cachée de son père en plein Atlantique Sud ne parvient pas à lui rendre une indépendance longtemps espérée. L’Europe redécouvre à peine sa propre existence car la cour viennoise tremble à l’idée de devoir s’en séparer. Est-il possible qu’un Bonaparte remonte sur un trône ? En réalité, les tentatives politiques, notamment à Paris ou à Bruxelles, ont beau se succéder, rien ne fera changer la surveillance accrue qui étouffe dans l’œuf toute velléité d’insoumission. Même les révolutions qui embrasent le continent à partir de 1830, et notamment sur les ruines encore fumantes d’une Restauration instable, ne changent rien. L’auguste adolescent retombe dans un relatif anonymat. Il forge une amitié avec le chevalier Anton Prokesch puis s’amourache de quelques jeunes femmes, ce qui lui fait (un peu) oublier les remariages de sa mère avec Neipperg puis Bombelles, et les éloignements successifs d’anciens soutiens.

9 L’ouvrage insiste aussi sur l’ambivalence des monarchies coalisées vis-à-vis du fils de Napoléon, tour à tour employé comme recours puis exemple de subordination assumée. Sa mort, le 22 juillet 1832, provoque une émotion générale, l’Europe s’emparant de sa figure de martyr pour l’élever au rang de héros romantique. Il inspire écrivains et dramaturges, puis cinéastes dans des adaptations hallucinées de la pièce de Rostand (Tourjanski en 1931, Boissol trente ans plus tard). Un ultime chapitre, intitulé « la revanche de la postérité », n’oublie pas de rappeler l’ultime affront du retour de ses cendres à Paris, en décembre 1940, un siècle après son père, mais cette fois dans les fourgons nazis.

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