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Article de revue

Invisibiliser le relèvement de l’indemnité des parlementaires français, un enjeu de l’entre-deux-guerres

Pages 177 à 200

Notes

  • [1]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 12 juillet 1909, p. 2005.
  • [2]
    Idem.
  • [3]
    Sur l’instauration de l’indemnité législative aux xviiie et xixe siècles, Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Une norme disputée : l’indemnité parlementaire en France (1789-1914) », Cahiers Jaurès, no 235-236, juin 2020, p. 15-36.
  • [4]
    Pierre Eugène, Traité de droit parlementaire électoral et parlementaire, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1910, p. 941. L’auteur reprend dans les pages 941 à 943 les principaux éléments du rapport de député radical de l’Oise Auguste Bauton qui justifient l’intérêt de la mesure, entre autres l’inadéquation entre le montant de l’indemnité et « la cherté croissante des choses ». Sur la situation économique des députés et les frais occasionnés par leur mandat (frais postaux, secrétariat, double résidence pour les élus de province…), Billard Yves, Le métier de la politique sous la IIIe République, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2003.
  • [5]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique. Les “quinze mille”, le mandat et le métier », Politix, no 20, 1992, p. 7-34 ; Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Présentation des textes de Jaurès de novembre 1906 sur le relèvement de l’indemnité parlementaire et les frais électoraux », Cahiers Jaurès, no 235-236, juin 2020, p. 93-104.
  • [6]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique… », art. cité, p. 9.
  • [7]
    Selon Alain Garrigou, « La mesure fut l’occasion de violentes attaques avant les élections de 1910 et même de 1914 contre les partisans » (ibid., p. 10). Dans un article de science administrative, Jules Priou, note que « l’hostilité contre les quinze mille perdura ; selon Seignobos, elle explique le choix lors des élections générales de 1910 de 234 nouveaux membres. » Priou Jules, « L’indemnité législative », Revue des Deux Mondes, octobre 1972, p. 85.
  • [8]
    Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Présentation des textes… », art. cité, p. 98.
  • [9]
    Sur la construction sociale des scandales, Lascoumes Pierre, « Des cris au silence médiatique : les limites de la scandalisation », Éthique publique, no 2, 2016 ; de Blic Damien, Lemieux Cyril, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, no 71, 2005, p. 9-38.
  • [10]
    Pierre Eugène, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1893, p. 1153-1157 ; Baron André, Du caractère juridique de l’indemnité parlementaire, Paris, Pédone, 1905 ; Gloria Fernand, De l’indemnité parlementaire, Imprimerie Adeline, Caen, 1902 ; Séchet Jean, De l’indemnité parlementaire et autre avantages accessoires, Thèse pour le doctorat politique et économique, Université de Poitiers, 1909 ; Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », Revue politique et parlementaire, no 580, 1948, p. 46-56 ; Priou Jules, « L’indemnité législative », art. cité ; Buge Éric, Droit de la politique, Paris, PUF, 2018, p. 489-494.
  • [11]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique… », art. cité, p. 30.
  • [12]
    La Constitution de 1946 (art. 23) se réfère à ce principe dont l’application formelle qui fait explicitement référence au traitement des conseillers d’État est fixée par le décret du 13 janvier 1948. Ce moyen d’indexation est repris en 1958 par l’ordonnance 58-1210 du 13 décembre 1958 qui précise les modalités, toujours en vigueur aujourd’hui, de détermination de l’indemnité des parlementaires (députés et sénateurs). Pour une présentation de cette législation, Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », art. cité, p. 53.
  • [13]
    Sauvy Alfred, Histoire économique de la France entre les deux guerres, de l’armistice à la dévaluation de la livre, Paris, Fayard, 1965 ; Monier Frédéric, Les années vingt (1919-1930), Paris, Le Livre de Poche, 1999 ; Bernard Mathias, « L’antiparlementarisme de droite dans la France des années 1930 », Parlement[s], Revue d’histoire politique, hors-série no 9, 2013, p. 99-111.
  • [14]
    Dans la première moitié du xxe siècle, les élus classés à droite sont très majoritairement issus de la bourgeoisie avec une surreprésentation d’avocats, de hauts fonctionnaires, d’officiers et des propriétaires fonciers. Dogan Mattei, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, vol. 8, no 4, 1967, p. 468-492.
  • [15]
    Les députés communistes conservent l’équivalent du montant du salaire d’un ouvrier qualifié.
  • [16]
    Cette augmentation concerne les députés et les sénateurs puisque conformément au principe inscrit dans la loi du 2 août 1875 relative aux élections des sénateurs, ces derniers reçoivent la même indemnité que les députés.
  • [17]
    La loi du 23 novembre 1906 ne contient qu’un article qui porte l’indemnité législative à 15 000 F. Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 22 novembre, 23 novembre 1906, p. 7793. Cette disposition est néanmoins centrale dans la mesure où elle sert de référence au calcul d’indexation de l’indemnité jusqu’à l’ordonnance du 13 décembre 1958.
  • [18]
    La loi du 27 mars 1920 précise qu’il est alloué, à partir du 1er mars 1920, à chaque sénateur et député, une indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F pour frais de double résidence, de correspondance et autres inhérents à l’exercice du mandat législatif.
  • [19]
    Il semble que l’opportunité du relèvement fasse l’objet d’un consensus auprès des questeurs de la Chambre. À deux reprises au cours des débats publics, le rapporteur du projet, Étienne Rognon, souligne que « la proposition est présentée par les questeurs de la Chambre » ou « qu’il s’agit d’une proposition des questeurs ». Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance du 8 juin 1926, p. 2403
  • [20]
    Ibid., p. 2404.
  • [21]
    Ibid., p. 2418. Cet alignement sur le traitement de ces hauts fonctionnaires permettrait à l’indemnité d’atteindre un montant annuel de 48 000 F.
  • [22]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2403.
  • [23]
    Ibid., p. 2408.
  • [24]
    Ibid., p. 2405.
  • [25]
    Ibid., p. 2407.
  • [26]
    En 1926, ce groupe composé de 14 députés démocrates-chrétiens est une des composantes de la droite alors minoritaire à la Chambre.
  • [27]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415.
  • [28]
    À la suite de l’intervention des élus démocrates, Étienne Rognon prend la parole en indiquant : « Messieurs, j’ai été ému comme tous mes collègues par les paroles éloquentes que nous venons d’entendre, et je désire vivement que ce débat se termine sinon par un votre unanime, du moins par l’adoption d’un texte voté par une majorité aussi large que possible. Je vous demande donc de renvoyer la suite de la discussion à vingt et une heure afin de permettre à la commission de délibérer. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415.
  • [29]
    L’article ainsi rerédigé précise : « À partir du 1er juin 1926, l’indemnité législative, y compris l’indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F, est égale au traitement des conseillers d’État. Il sera attribué aux parlementaires mariés une indemnité annuelle de 3 000 F et une indemnité annuelle de 1 200 F par enfant à charge âgé de moins de vingt et un ans ainsi que par personne légalement à charge. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415. Le traitement des conseillers d’État est de 36 000 F par an.
  • [30]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2411. Le Journal Officiel ne donne pas la répartition du vote selon les groupes parlementaires. L’Humanité dans son édition du 9 juin 1926 indique sans plus de précision que « la plus grande partie de la droite a voté contre ».
  • [31]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, page 2418.
  • [32]
    La Croix, 10 juin 1926.
  • [33]
    Le Temps, 10 juin 1926.
  • [34]
    L’Humanité, 9 juin 1926.
  • [35]
    L’Œuvre, 6 juin 1926.
  • [36]
    Jeanneney Jean-Noël, Leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir : la faillite du cartel (1924-1926), Paris, Seuil, 1977.
  • [37]
    Le 21 juillet 1926, rassemblée devant le Palais-Bourbon, une foule invective le président du Conseil : « À bas Herriot », « La République à la poubelle ». Monier Frédéric, Les années vingt…, op. cit., p. 121.
  • [38]
    Le gouvernement Poincaré va durer plus de deux ans. Cette longévité est à souligner. Entre octobre 1925 et juillet 1926, la France a connu six gouvernements différents. Mayeur Jean-Marie, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Seuil, 1984, p. 284-290.
  • [39]
    Comme le précise le ministre de la Justice, au nom du gouvernement : « Je le dis, le Gouvernement est favorable au relèvement. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 31 juillet 1926, p. 3112.
  • [40]
    Idem.
  • [41]
    Idem.
  • [42]
    Journal Officiel, Sénat, séance du 3 août 1926, p. 1468 à 1471.
  • [43]
    Le Temps, 4 août 1926.
  • [44]
    L’Humanité, 4 août 1926.
  • [45]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3733.
  • [46]
    Ibid., p. 3734.
  • [47]
    Ibid., voir l’intervention de J. M. Clamamus, p. 3737. En 1928, le groupe communiste est composé de 11 élus.
  • [48]
    Ibid., p. 3735. Le groupe compte 100 élus soit 17 % des députés. Wahl Alfred, « Les députés SFIO de 1924 à 1940 : essai de sociologie », Le Mouvement Social, no 106, janvier-mars 1979, p. 25-44.
  • [49]
    Idem.
  • [50]
    Idem.
  • [51]
    Le Temps, 15 décembre 1928.
  • [52]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3735 et 3736.
  • [53]
    Ibid., p. 3738
  • [54]
    La répartition des votes présentée par groupes parlementaires et nominativement a été publié par L’Œuvre, le 15 décembre 1928 et par L’Humanité, le 16 décembre 1928. Avec cette information a priori factuelle, L’Humanité qui titre « Les 352 députés qui, par leur vote ou leur abstention, ont institué les 60 000 », cherche à stigmatiser les « releveurs ».
  • [55]
    Berstein Serge, Histoire du Parti Radical, crise du radicalisme, 1926-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1982, p. 75-78.
  • [56]
    Après l’abandon du scrutin de liste en 1927 et l’introduction du scrutin uninominal pour les élections législatives de 1928, deux tiers des députés radicaux ont été élus au second tour grâce au report de voix socialistes voire communistes. Mayeur Jean-Marie, La vie politique…, op. cit., p. 288. Par exemple, Édouard Daladier, président du Parti radical et porte-parole de son aile gauche, a voté pour le relèvement.
  • [57]
    Le pointage des voix par les scrutateurs a pris un temps relativement long (environ 2 heures au lieu de 30 minutes habituellement), il semble que ce délai soit dû à la recherche de voix auprès de quelques députés abstentionnistes afin d’obtenir un écart de vote plus significatif. La presse entretient d’ailleurs une forte suspicion sur la régularité de ces pratiques parlementaires. Selon L’Humanité, un premier décompte aurait donné un vote défavorable avec 29 voix de majorité contre la mesure (326 contre/287 pour) et le journal de conclure : « Du mystère des urnes, le talent de trois secrétaires et d’un questeur arriva à faire sortir le résultat : pour 262 contre 254. » L’Humanité, 15 décembre 1928. Le Temps insiste également sur les différences observées dans la procédure de décompte des voix (15 décembre 1928).
  • [58]
    Le Temps, 15 décembre 1928.
  • [59]
    Le Figaro, 21 décembre 1928.
  • [60]
    L’Action française, 19 décembre 1928.
  • [61]
    Le Temps publie « la lettre de la fédération lozérienne des associations de combattants adressée aux députés du département ». Le Temps, 13 décembre 1928. Le Figaro publie « la lettre de l’association des contribuables et des croix de feu adressés au président de la République » (28 décembre 1928).
  • [62]
    Lettre du député de Paris, Georges Scapini, Le Figaro, 21 décembre 1928. Élu en 1928 député indépendant de Paris, Georges Scapini, favorable dès les années 1930 à une collaboration avec l’Allemagne nazie, sera nommé, par le régime de Vichy, ambassadeur à Berlin en charge des prisonniers de guerre en 1940.
  • [63]
    À propos de cette mobilisation, Le Figaro titre « Wagram, 60 000 = zéro, zéro » (22 décembre 1928). Quelques jours plus tard, le même quotidien signale : « Des milliers de citoyens, accourus le 19 décembre à la salle Wagram, considèrent que le relèvement de l’indemnité parlementaire n’est justifié ni en droit, ni en fait à l’heure surtout où les plus lourds sacrifices sont imposés aux contribuables » (28 décembre 1928). Pour sa part, l’Action Française annonce : « Hier soir, salle Wagram, un très nombreux public avait répondu à l’appel pour protester contre le relèvement à 60 000 francs de l’indemnité des parlementaires. […] Les assistants se déclarent résolus à obtenir l’annulation d’un scrutin qui révolte la conscience nationale » (L’Action française, 20 décembre 1928).
  • [64]
    L’Humanité, le 14 décembre 1928.
  • [65]
    L’Œuvre, 19 décembre 1928.
  • [66]
    Vincent Auriol y fait d’ailleurs allusion dans son intervention à la Chambre le 13 décembre 1928 pour défendre le relèvement, au motif que ce type de scandale instrumentalisé par la presse d’extrême droite alimente l’antiparlementarisme. Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3735. L’affaire concerne un journal de conseils en placements boursiers et financiers. Dans le prolongement de cette entreprise éditoriale, sa directrice, Marthe Hanau fonde un établissement financier qui connaît un rapide succès au point d’inquiéter les grandes banques françaises d’autant plus que cet établissement ne dispose pas des actifs nécessaires pour supporter un tel dynamisme. Dubasque François « L’affaire Hanau, entre indignation, pratiques politiques déviantes et tentatives de normalisation de la vie publique au tournant des années 1930 », in Olivier Dard, Jens Ivo Engels, Andreas Fahrmeir et Frédéric Monier (dir.), Scandales et corruption à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, 2014, p. 96-108.
  • [67]
    Cette posture s’observe entre autres dans la non-participation des ministres députés au vote du 13 décembre. Mais cette neutralité gouvernementale est très relative dans la mesure où le Président du Conseil Raymond Poincaré, avant même l’examen parlementaire, avait publiquement manifesté sa désapprobation quant au relèvement de l’indemnité parlementaire, Le Journal, 28 décembre 1928.
  • [68]
    Sur ce point L’Humanité titre « Poincaré reprend à son compte les 60 000. Il baptise l’augmentation indemnité de logement » (21 décembre 1928).
  • [69]
    D’autres pistes avaient été suggérées comme celle de n’accorder une augmentation d’indemnité de 12 000 F qu’aux parlementaires dont la circonscription est éloignée de plus de 50 ou 100 km de Paris ; ou bien de revenir au principe de l’allocation familiale de 3 000 F pour les parlementaires mariés et 3 000 F par enfants. Sur ces options, voir Paris-Soir, 22 décembre 1928.
  • [70]
    Berstein Serge, Histoire du Parti radical…, op. cit., p. 77.
  • [71]
    Le Temps du 27 décembre 1928 dans une analyse mobilisant le droit parlementaire tend à montrer que « c’est bien le Sénat qui prendrait l’initiative d’un relèvement ». Plus ironique, L’Humanité titre le 22 décembre : « Les députés ne se sont pas augmentés… ils toucheront simplement 15 000 francs de plus. »
  • [72]
    Journal Officiel, Sénat, 2e séance, 28 décembre 1928, p. 1664.
  • [73]
    Journal Officiel, Sénat, 2e séance, 28 décembre 1928, p. 1667.
  • [74]
    Ibid., p. 1674.
  • [75]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 29 décembre 1928, p. 3929.
  • [76]
    À la fin des années 1920, le salaire annuel d’un instituteur débutant est d’environ 10 000 F.
  • [77]
    Bernard Mathias, « L’antiparlementarisme de droite… », art. cité.
  • [78]
    Sur les affaires politico-financières de la IIIe République, Thiveaud Jean-Marie, « Crises et scandales financiers en France sous la Troisième République », Revue d’économie financière, no 41, 1997, p. 25-53.
  • [79]
    Sur les exploitations politiques de la crise de février 1934, notamment sur les accusations de corruption et de vénalité des élus, Berstein Serge, Histoire du Parti radical…, op. cit., p. 292-302.
  • [80]
    En 1932, le taux de renouvellement est de 32 %. Dogan Mattei, « La stabilité du personnel parlementaire sous la Troisième République », Revue française de science politique, vol. 3, no 2, 1953, p. 322.
  • [81]
    Idem.
  • [82]
    Les députés des catégories populaires (ouvriers, employés, fonctionnaires d’exécution) passent de 56 en 1932 à 105 en 1936, les instituteurs de 16 à 33, les agriculteurs de 47 à 62, les médecins de 60 à 47 et les avocats de 167 à 121. Dogan Mattei, « La stabilité du personnel parlementaire… », art. cité, p. 472. Voir également, Le Béguec Gilles, « De l’avant-guerre à l’après-guerre : le personnel parlementaire français, continuité et renouvellement », Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, no 3-4, 1995, p. 7-14.
  • [83]
    Les fondements juridiques de cette justification légale sont d’ailleurs attaqués lors des discussions en séance publique à la Chambre, le 28 décembre 1937, notamment parce que l’augmentation de 10 % n’est possible que sur décret du ministre des Finances contresigné du Président du Conseil et que, de plus, l’indemnité des députés est supérieure à 30 000 F. Voir l’intervention du député de Droite Louis Marin, Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 28 décembre 1937, p. 3282 et 3283.
  • [84]
    Hormis un entrefilet dans Le Temps daté du 3 juillet 1937, il ne semble pas que la presse l’ait autrement évoquée. De même, les sénateurs ne semblent pas particulièrement informés. À plusieurs reprises, devant les membres du Bureau, le Président du Sénat insiste sur son ignorance des faits. Archives du Sénat, 7S7, réunion du Bureau du Sénat du 7 juillet 1937, p. 5.
  • [85]
    « L’indemnité est trop basse. Nous serons, je crois, unanimes sur ce point. La commission de Comptabilité estime que nous devrions être assimilés aux conseillers d’État et recevoir comme indemnité ce que ceux-ci ont obtenu comme traitement. » Joseph Loubet, Président de la commission de comptabilité (Archives du Sénat, 7S7 réunion du Bureau du Sénat du 7 juillet 1937). Lors de la même réunion, Georges Dentu (sénateur de l’Orne, Gauche républicaine) renchérit : « J’estime moi aussi l’indemnité parlementaire insuffisante. »
  • [86]
    Comme l’indique le président du Sénat, Jules Jeanneney : « Le budget du Sénat pour 1937 ne contient aucune disponibilité qui permette de servir aux sénateurs, en cours d’année, une allocation supplémentaire » (idem).
  • [87]
    Archives du Sénat, 7S7, Lettre du Président du Sénat au Président du Conseil, 23 novembre 1937.
  • [88]
    Archives du Sénat, 7S7, Lettre du président du Conseil au Président du Sénat, 28 novembre 1937.
  • [89]
    L’indemnité passe ainsi à 75 000 F. Ibid.
  • [90]
    Jules Jeanneney informe Camille Chautemps de son « adhésion personnelle à la méthode que vous proposez ». Archives du Sénat, 7S7, Lettre du Président du Sénat, 8 décembre 1937.
  • [91]
    Archives du Sénat, 7S7, Compte rendu de la séance du Bureau du Sénat du 10 février 1938.
  • [92]
    La proposition de loi ne contient que deux articles.
  • [93]
    Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 1er février 1938, p. 173.
  • [94]
    Ibid., p. 169.
  • [95]
    « Que le Parlement réalise le fonds national du chômage, qu’il donne la retraite aux vieux travailleurs et, après, qu’il décide de son sort ». Jacques Grésa, député communiste de la Seine, Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 1er février 1938, p. 169.
  • [96]
    Ibid., p. 171.
  • [97]
    « Si vous décidez dès aujourd’hui d’augmenter l’indemnité parlementaire que pensera l’opinion publique, alors que M. le ministre des Finances a déclaré, hier, que les économies devaient être la première préoccupation de tous et que la faillite était le danger le plus grave auquel le pays est exposé ? », ibid., p. 172.
  • [98]
    Ibid., p. 176.
  • [99]
    Journal Officiel, Sénat, 3 février 1938, p. 85. La loi Tendant à affecter l’indemnité législative fixée par la loi du 23 novembre 1906 d’un coefficient tenant compte de l’élévation du coût de la vie est promulguée le 4 février 1938.
  • [100]
    À la différence des commentaires acerbes de la presse à propos des lois de 1926 et 1928, pour la loi de 1938, les journaux se contentent de présenter le déroulement des débats. Voir, entre autres, Le Temps, 3 février 1938, L’Humanité, 2 février 1938 et Le Populaire, 2 février 1938.
  • [101]
    Le décret d’application du 14 janvier 1938 précise : « À compter du 1er janvier 1939, il est attribué aux fonctionnaires de l’État, une majoration de l’indemnité spéciale temporaire instituée par le décret du 11 décembre 1937. Pour les agents, cette majoration est fixée à 5 % du traitement du salaire brut sans pouvoir être inférieure à 1 200,00 F par an. » Archives du Sénat, 301 S. Lettre du Président du Sénat au ministre des Finances, 27 janvier 1939.
  • [102]
    Archives du Sénat, 7S8, Lettre du ministre des Finances au Président du Sénat, 15 février 1939.
  • [103]
    Archives du Sénat, 7S8, Compte rendu réunion du Bureau, Séance du 9 novembre 1939.
  • [104]
    Sur l’autonomisation des instruments de l’action publique, Lascoumes Pierre, Le Galès Patrick, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
  • [105]
    Loi du 11 août 1941 portant suppression de l’indemnité parlementaire. Pour autant ce même régime attribue aux membres du Conseil national une indemnité égale au traitement des conseillers d’État. Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », art. cité, p. 47.

1En juillet 1909, moins d’un an avant les élections législatives de 1910, dans le cadre des discussions engagées à la Chambre des députés sur la politique générale du gouvernement, Georges Clemenceau, encore pour quelques jours Président du Conseil et ministre de l’Intérieur, précise :

2

Rien ne saurait justifier la campagne électorale qui consiste à reprocher aux députés d’abandonner leur carrière, de rompre toute leur vie et de donner le meilleur de leur travail, pour une somme qui est inférieure à ce que la moyenne d’entre eux pourraient gagner chez eux. Je dis qu’il y a là une critique qui ne peut porter en aucun cas [1].

3À cet avertissement adressé aux députés de droite, l’un de leurs représentants, le député conservateur de la Seine Paul Pugliesi-Conti répond :

4

Ce n’est pas, vous le savez bien, le principe même de l’indemnité – principe essentiellement démocratique et équitable – que nous avons critiqué. Nous avons simplement discuté le fait tout à fait scandaleux d’une assemblée s’augmentant elle-même, dans la situation d’un caissier infidèle majorant ses appointements avec les deniers dont il avait la garde [2].

5Cette confrontation est révélatrice d’un des enjeux qui organise les controverses politiques sur l’indemnité parlementaire dans la première moitié de xxe siècle. Il ne s’agit plus de remettre en cause la légitimité de ce type d’allocation mais d’en discuter les augmentations. En effet, depuis sa première instauration en 1848, son montant n’a pas fait l’objet d’une revalorisation [3]. C’est précisément au motif d’un nécessaire ajustement du niveau de l’indemnité au coût de la vie qu’avait été adoptée sans débat parlementaire, le 23 novembre 1906, une mesure qui autorise le relèvement de l’indemnité législative de 9 000 F par an à 15 000 F annuels [4]. Dès son vote, cette disposition fait l’objet de vives polémiques notamment entretenues par la presse nationaliste et antiparlementaire [5]. Les « quinzemillistes » sont stigmatisés. Alors que la presse conservatrice hostile à la disposition qualifie les parlementaires de « fumistes », de « voyous » ou encore de « voleurs », les journaux plus favorables à la majorité gouvernementale manifestent eux aussi une certaine distance par rapport au vote de la Chambre en évoquant le sujet avec ironie [6]. Cependant, loin de n’être qu’un sujet de morale publique pouvant être réactivé dans le cadre de compétitions électorales [7], la question de l’augmentation de l’indemnité parlementaire renvoie, au début du xxe siècle, à un enjeu central pour la structuration du champ politique puisqu’elle contribue à définir les contours des populations qui peuvent s’engager en politique et s’y maintenir. En ce sens, augmenter les revenus des élus permet à des hommes peu fortunés ou modestes de s’investir et d’exercer durablement leur mandat. Pour autant, comme le précise Jean Jaurès dans L’Humanité, le 24 novembre 1906, « le relèvement de l’indemnité législative peut scandaliser la classe ouvrière [8] ». Ainsi, lorsqu’ils sont amenés à déterminer le niveau de leur indemnité, les parlementaires sont placés dans un jeu de tensions entre l’intérêt démocratique à soutenir la mesure et la mise à distance de son potentiel effet de « scandalisation [9] ».

6Après la Première Guerre mondiale, pour échapper à cette injonction contradictoire, des dispositifs spécifiques sont envisagés afin de rendre moins visible le relèvement du montant de l’indemnité. Une première méthode consiste à conserver le niveau existant tout en augmentant l’enveloppe financière consacrée à la prise en charge des frais de mandat. Si ce moyen masque en partie l’augmentation des revenus des parlementaires, les délibérations nécessaires à son adoption lui assurent en revanche une certaine publicité. Aussi, à ce procédé, est-il préféré un principe d’automaticité des revalorisations qui s’impose définitivement à la fin des années 1930.

7Bien que ce travail d’invisibilisation soit essentiel dans le processus de naturalisation de la rémunération des mandats parlementaires, les différentes publications académiques qui s’intéressent à l’indemnisation des représentants nationaux sont relativement discrètes sur le sujet. Ces contributions, dont la plupart relèvent d’une approche juridique, renseignent plus sur l’adoption du principe d’indemnisation des élus et, dès lors, sur des entreprises de codification qui se situent principalement au xixe siècle [10]. Autrement dit, le travail politique de dissimulation du relèvement de l’indemnité parlementaire, dont la séquence correspond à l’entre-deux-guerres, n’a pas retenu toute l’attention de la recherche, au point que certains auteurs semblent convaincus que « dans l’entre-deux-guerres, de nouvelles augmentations de l’indemnité parlementaire furent réalisées sans débat [11] ». Cet article vise précisément à rendre compte des confrontations et de jeux de négociations qui, durant cette période, ont contribué à normaliser l’invisibilisation du relèvement de l’indemnité parlementaire.

8Entre 1919 et 1939, l’indemnité des parlementaires a fait l’objet de quatre lois qui, si elles en revalorisent le montant, s’inscrivent plus centralement dans la recherche de dispositifs qui rendent ces augmentations discrètes. Il convient toutefois de distinguer le début des années 1920 qui se caractérise par des tentatives plus ou moins avortées dans la recherche d’un principe d’indexation. La fin des années 1920 et le début de la décennie suivante marquent à la fois un paroxysme et un effacement du sujet dans les débats publics. La fin des années 1930 constitue l’aboutissement de ce travail politique avec l’alignement de l’indemnité des parlementaires sur les augmentations du traitement des conseillers d’État, préfigurant l’adoption ultérieure, en 1946 et 1958, de dispositions qui stabilisent et solidifient cette réglementation [12]. Dans un contexte marqué, au cours des années 1920, par une dépréciation du franc et une forte inflation puis, avec la Grande dépression, par une déstabilisation de l’économie française et un vif regain de l’antiparlementarisme [13], les augmentations de l’indemnité parlementaire font l’objet de critiques. Pour autant, la plupart des parlementaires et les différents gouvernements sont favorables à ces relèvements. De sorte que les oppositions politiques prennent plus la forme de luttes dont l’objet ne porte pas sur le principe d’une augmentation mais sur l’opportunité du moment à intervenir. Ces oppositions qui mobilisent principalement les élus les moins dépendants économiquement du mandat parlementaire, c’est-à-dire les parlementaires de droite, souvent de condition sociale privilégiée [14], et les élus communistes qui reversent une part importante de leur indemnité au Parti [15], ne remettent pas fondamentalement en cause l’orientation des différentes réformes examinées par les parlementaires. Elles obligent, néanmoins, à construire des compromis qui retardent l’adoption d’un mécanisme d’automatisation du relèvement de l’indemnité attaché aux mandats nationaux.

Les années 1920, l’automaticité discutée

9En 1920, l’indemnité parlementaire fait l’objet d’un premier relèvement qui la porte de 15 000 à 27 000 F annuels [16]. Il ne s’agit pas d’une augmentation directe. L’indemnité reste toujours fixée à 15 000 F conformément à la loi du 23 novembre 1906 [17], mais s’y ajoute une indemnité mensuelle spéciale pour frais de mandat équivalent à 1 000 F par mois soit 12 000 F par an [18]. Cette première augmentation, indirecte puisqu’affectée à des frais et par conséquent moins visible, n’a pas fait l’objet de controverses particulières. En revanche, cinq ans plus tard, le projet de fixer le montant de l’indemnité elle-même à 45 000 F soulève plus d’oppositions. Cette proposition de relèvement est initiée en 1925 par les questeurs de la Chambre des députés [19]. Les arguments avancés portent principalement sur des questions matérielles associées aux charges du mandat. C’est dans ce sens que le rapporteur de la proposition, le député socialiste du Rhône Étienne Rognon, indique à la Chambre :

10

Je ne discuterai pas la situation des heureux de fortune, je l’examinerai à partir de celle des plus humbles d’entre nous. Obligations pour le député d’avoir logement en province, logement à Paris, déplacement à Paris, déplacement en province, cotisations nombreuses. Si je voulais vous donner des détails et vous indiquer quelques situations précises, vous seriez surpris, messieurs, de connaître la situation critique dans laquelle se trouvent certains d’entre vous [20].

11Le projet prévoit d’indexer l’indemnité des parlementaires sur le traitement des présidents de section du conseil d’État. Son unique article précise :

12

À partir du 1er juin 1926, l’indemnité législative, y compris l’indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F, est égale au traitement des présidents de section du conseil d’État [21].

13Lors de l’examen du texte en séance publique, des députés indépendants ou représentant la droite minoritaire à la Chambre, notamment des membres du groupe de l’Union républicaine démocratique, ainsi que les députés communistes s’opposent à la proposition. Pour autant, et comme la plupart des députés considèrent qu’il est légitime de relever le montant de l’indemnité, les prises de position ne donnent pas lieu à une opposition frontale contre le relèvement mais à des demandes d’ajournement des débats. C’est ce que tentent, sans succès, d’obtenir les élus de droite et les élus communistes, en mobilisant des arguments qui, s’ils sont différents, portent en définitive sur l’opportunité de la mesure.

14Les interventions du député vendéen indépendant Anatole Biré, opposé aux socialistes et radicaux majoritaires à la Chambre, sont tout à fait significatives de cette stratégie :

15

Si légitime, si désirable, si nécessaire, je ne le conteste pas, que soit l’augmentation de l’indemnité parlementaire, le moment est certainement mal choisi pour réaliser cette réforme […] Je me demande pourquoi, au moment où les revenus de tous diminuent, les parlementaires exigeraient une augmentation de leur indemnité [22].

16Ainsi, ajoute-t-il, « si je présente cette proposition d’ajournement, c’est parce que je crois qu’il y a une considération qui domine tout le débat, c’est que le moment n’est pas opportun [23] ». Dans la même perspective, le député communiste de la Seine, Alexandre Picquemal, suggère d’ajourner les débats au motif qu’il est inopportun d’intervenir sur la rémunération des parlementaires alors qu’il existe des problèmes sociaux autrement prioritaires :

17

Vous ne pouvez pas augmenter l’indemnité parlementaire. Regardez autour de vous, regardez le pays monsieur Rognon, vous verrez des petits pensionnés, des vieux travailleurs qui ont 500 F et moins actuellement. Ces gens malheureux attendent quelque chose de vous. Vous avez le droit de légiférer pour vous, mais vous avez le devoir de légiférer d’abord pour eux [24].

18Contre ces demandes d’ajournement, Léon Blum, député de Narbonne, oppose l’enjeu démocratique que représente l’indemnisation des fonctions électives :

19

Le moment est mauvais dites-vous. Mais quel sera le bon ? […] Quand vous aurez mis non pas dans la loi mais dans la réalité que peut seul être député celui qui tire de son revenu ou de l’exercice de sa profession sa subsistance, ne tirant de l’indemnité parlementaire que le complément et l’appoint, ce jour-là vous aurez rendu inéligibles en fait l’ouvrier, le fonctionnaire et même le médecin de campagne. La conséquence, c’est le régime censitaire. Oui, le moment est défavorable, ne le nions pas, c’est l’évidence. Néanmoins, puisqu’il est posé, je vous en supplie ne l’ajournez pas davantage. Répondez au fond. Tranchez le débat [25].

20Alors que les discussions à la Chambre s’organisent autour d’une opposition entre des arguments de priorité sociale et des arguments de sélection sociale, l’intervention du député Victor Balanant, membre du groupe des Démocrates populaires, favorable à l’augmentation de l’indemnité, déplace en partie le débat. Afin de rendre la mesure plus acceptable, il propose au nom de son groupe [26] de conditionner le relèvement de l’indemnité à la situation familiale des élus. Suivant cette perspective, l’indemnité resterait fixée à 27 000 F mais serait augmentée de 5 000 F annuels pour les élus mariés et de 3 000 F supplémentaires par enfant et ascendant à charge [27]. L’introduction de ce nouveau principe d’allocation, a priori non anticipé, rencontre un grand succès auprès des députés au point que la séance est interrompue quelques heures pour que les membres de la commission de comptabilité puissent l’apprécier et surtout que son rapporteur, Étienne Rognon, obtienne un large vote d’approbation afin de renforcer la légitimité de la mesure [28]. À l’issue de ce rapide examen, la nouvelle proposition présentée par Étienne Rognon comme un texte de conciliation conserve la référence au traitement des membres du conseil d’État, mais substitue à celui des présidents des sections la rémunération moins élevée des conseillers d’État, tout en y associant une part variable dépendant de la situation familiale de l’élu [29]. Bien que relevant de la recherche d’un consensus, la nouvelle proposition n’est pas retenue. Le résultat du vote est néanmoins très serré : 246 voix contre l’adoption et 234 voix pour [30]. Ce résultat, interprété comme un désaveu par le rapporteur, le pousse à quitter la séance. Ce départ crée une certaine confusion. Le président de la Chambre Édouard Herriot à la suite d’une intervention du député socialiste Henri Barabant réintroduit le texte initial qu’il soumet au scrutin public à la tribune, c’est-à-dire selon un mode de votation où seuls les députés présents s’expriment. Là encore, l’article est repoussé : 150 voix contre l’adoption, 128 pour [31].

21Commentant cette séance parlementaire, la presse de droite insiste sur la rouerie des socialistes :

22

Du coup M. Rognon se fâche, et s’en va sous les rires. Plus de texte, plus de rapporteur… À quoi bon, dès lors, siéger plus longtemps ? La question était réglée. Mais, M. Herriot, au courant sans doute de la manœuvre que projetaient les socialistes, fit tout pour que le débat rebondît [32].

23Selon le journal conservateur, Le Temps,

24

la Chambre a pris ce matin vers une heure une décision sage après une journée et une soirée de discussion folle. Elle a refusé de relever de 27 000 F à 42 000 F l’indemnité législative. Elle s’est dérobée aux chants désespérés – qui n’étaient pas parmi les plus beaux – du rapporteur, M. Rognon, aux raisonnements captieux de M. Léon Blum, aux erreurs élégantes de M. Piétri [33].

25Sous un autre registre, L’Humanité titre : « Débat sordide à la Chambre sur les 42 000. » Reprenant les arguments avancés par les députés communistes selon lesquels la priorité est à l’aide aux plus démunis et aux bas salaires et non à l’augmentation des revenus des parlementaires, le journaliste et député communiste de la Seine Paul Vaillant-Couturier fustige ses collègues : « L’échelle mobile demandée par nos amis pour tous les travailleurs a été repoussée. “Nous d’abord !”, ont dit les députés. C’est là le fait essentiel du jour [34]. » Moins critique mais cependant sarcastique, L’Œuvre, de sensibilité de gauche, conclut sa reprise du déroulement de la séance par les mots suivants :

26

À 1. h. 35, M. Herriot proclame le résultat. Le relèvement de l’indemnité parlementaire est repoussé par 150 voix contre 128. Les députés continueront à toucher 27 000 francs. Il a fallu huit heures de débats pour en arriver à ce brillant résultat [35].

27Ces débats se déroulent dans un contexte de fortes critiques adressées au Cartel des gauches sur ses capacités à gouverner [36]. C’est d’ailleurs dans une situation quasi insurrectionnelle que le Président du Conseil, Édouard Herriot, est remplacé le 22 juillet 1926 par Raymond Poincaré [37]. Ce dernier forme un gouvernement d’Union nationale qui marque une inflexion politique vers le centre-droit et, par un subtil équilibre, notamment dans la distribution des portefeuilles ministériels, sa volonté de rétablir une relative stabilité gouvernementale [38]. Aussi est-il central pour ce nouveau gouvernement de réinstaurer la confiance avec le Parlement. C’est dans cette perspective qu’il convient d’apprécier l’introduction discrète, le 31 juillet 1926, d’une nouvelle proposition visant à relever l’indemnité parlementaire. La disposition est présentée dans le cadre du débat sur le projet de loi de finance déposé le 27 juillet par le nouveau Président du Conseil en vue de réduire le déséquilibre budgétaire de la France. La nouvelle politique budgétaire passe par le rappel de dispositifs incitant à la réorganisation des administrations publiques (fusion de services, transformation d’emplois…) mais, surtout, elle se caractérise par l’instauration de nombreuses nouvelles mesures fiscales (taxes sur les transports, le chiffre d’affaires, les valeurs mobilières, les boissons…). Les orientations budgétaires concernent également le traitement des fonctionnaires et la solde des militaires qui sont relevés jusqu’à la prochaine loi de finance. C’est précisément à la suite de ces mesures relatives au relèvement des revenus des agents publics qu’est ajouté en séance publique, sur proposition de la commission des finances de la Chambre et avec l’approbation du gouvernement [39], un article additionnel qui précise : « À partir du 1er août 1926, l’indemnité législative, y compris l’indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F, est fixée à 45 000 F par an [40]. » Prenant la parole pour commenter la proposition, le député de droite Pierre de Monicault indique que son groupe, l’Union républicaine démocratique (104 députés), s’oppose à la mesure tout en soulignant l’embarras dans lequel les place l’introduction soudaine de la mesure :

28

Si nous sommes obligés de faire cette déclaration [contre le relèvement], c’est parce que cet article est inséré dans une loi dont nous sommes décidés à voter l’ensemble et que nous ne voudrions pas qu’il y ait méprise ou malentendu [41].

29Le texte voté à main levée, c’est-à-dire sans possibilité de consigner individuellement les votes, est adopté le 31 juillet 1926 puis, après un bref débat, le 3 août 1926 au Sénat [42]. Cette mesure dissimulée dans l’examen du projet de loi de finance du gouvernement n’a pas fait l’objet des réactions particulières. Le Temps comme L’Humanité en évoquent simplement l’existence au détour de critiques plus appuyées sur les révisions salariales. « Le gouvernement, après les 669 millions accordés pour les cinq derniers mois de 1926 à ses fonctionnaires, a consenti aux parlementaires l’indemnité de 45 000 francs qu’ils déclarent indispensable à leur misérable existence [43] », lit-on dans Le Temps. L’Humanité écrit : « Fonctionnaires, il est temps d’enlever les œillères. Allez-vous supporter que les parlementaires s’attribuent 45 000, pendant qu’on vous jette une misère [44] ? »

30Cependant, alors même que cette disposition relève l’indemnité parlementaire, conjointement elle en fixe définitivement le montant, puisque celui-ci ne fait pas l’objet d’une indexation. De sorte que seule une nouvelle loi peut le modifier et ainsi, de nouveau alimenter, par cette relative mise en visibilité du sujet, les suspicions quant à la vénalité des élus.

Le tournant des années 1920-1930, une situation paroxysmique et un effacement du sujet

31Après les élections législatives d’avril 1928, pour lutter contre les représentations stigmatisantes et impopulaires associées à l’augmentation de l’indemnité, et alors qu’avait été réintroduite l’idée d’assimiler l’indemnité parlementaire au traitement des présidents de section du conseil d’État, ce principe de réévaluation est définitivement abandonné par la commission de comptabilité de la Chambre au profit d’une autre modalité d’indexation qui semble publiquement plus acceptable. Cette dernière est définie à partir du coefficient de majoration utilisé pour revaloriser le traitement de hauts fonctionnaires les moins favorisés à cet égard, c’est-à-dire les directeurs de ministères. Suivant ce principe, l’indemnité parlementaire serait automatiquement portée à 60 000 F en 1929 puis à 67 000 F en 1930 et à 75 000 F en 1931. Bien que cette suggestion de relèvement progressif ne fasse pas l’unanimité au sein de la commission des finances, ses membres, sous l’impulsion des députés socialistes, approuvent par 30 voix contre 16 et 5 abstentions le principe d’insérer cette nouvelle disposition dans la loi de finances pour 1929.

32Dans une formulation absconse, le texte examiné en séance publique le 13 décembre 1928 indique que « l’indemnité législative sera soumise, en ce qui concerne le coefficient de revalorisation, aux règles fixées par les administrations centrales, en prenant pour base le chiffre prévu par la loi du 23 novembre 1906 et le coefficient le moins élevé [45] ». Des députés indépendants de gauche comme Victor Augagneur ou de droite comme Pierre de Haut de Sigy s’opposent à cette disposition au motif récurrent qu’elle est inopportune [46]. Mobilisant le registre des priorités sociales comme pour la proposition de 1926, les élus communistes s’opposent eux aussi au projet [47].

33À ces arguments, Vincent Auriol, alors secrétaire du groupe socialiste à la commission des finances, « apportant l’adhésion du groupe socialiste [48] », oppose l’argument de l’enjeu démocratique.

34

J’ai relu les débats parlementaires de 1906, de 1919, de 1926. Toujours on a dit : ce n’est pas le moment ! Ce sont surtout les adversaires du régime parlementaire et de la démocratie qui parlent ainsi, ce sont les adversaires de la République. […] Si l’on suivait ceux qui veulent que l’indemnité parlementaire ne soit que le complément du revenu professionnel on reviendrait au régime censitaire, contraire au régime démocratique [49].

35Il cherche, par ailleurs, à contenir les critiques assimilant les députés à une élite privilégiée :

36

Dans un texte logique et délicat, la commission de comptabilité et la commission des finances disent que l’indemnité parlementaire sera affectée d’un coefficient qui sera le coefficient le moins élevé appliqué aux fonctionnaires des administrations publiques. J’aurais combattu un texte assimilant les députés aux conseillers d’État ou aux présidents de section du conseil d’État. De même, nous n’aurions pas accepté le relèvement à 75 000 F Toute augmentation injustifiée, excessive aurait été combattue par nous [50].

37Parallèlement à ces arguments qualifiés de démagogiques par la presse libérale [51], Vincent Auriol énonce très clairement l’enjeu de la mesure. Le texte soumis permet

38

de ne pas laisser poser constamment la question irritante de l’indemnité parlementaire. C’est par l’automatisme même de la détermination que se fixera désormais l’indemnité législative. […] Messieurs, j’ai terminé. Je vous ai dit quelle était la portée du texte, ce n’est pas une augmentation mais la détermination d’un moyen de calculer l’indemnité parlementaire pour mettre fin à une humiliation incompatible avec notre dignité [52].

39Dans une formulation plus abrupte, le député démocrate populaire François-Xavier Reille Soult précise : « Je me félicite de voir que désormais, nous n’aurons plus à nous préoccuper de pareilles contingences [53]. » Malgré ces soutiens, lors du scrutin, seule une très faible majorité se dégage : l’article est approuvé par 262 voix pour, 254 contre, 67 abstentions et 23 absents.

40Le détail des votes [54] montre que, dans les rangs des députés conservateurs et de droite, la discipline partisane s’est largement imposée puisque, sur les 29 membres du groupe Action démocratique et sociale, 25 ont voté contre, comme 83 des 102 députés de l’Union républicaine démocratique. Les votes des communistes et des socialistes sont quant à eux encore plus homogènes. Les 11 députés communistes ont tous voté contre. Selon un positionnement inverse, les 100 élus socialistes se sont prononcés à l’unanimité en faveur de l’article. Les prises de position sont beaucoup moins disciplinées chez les radicaux et au centre, précisément dans les groupes sur lesquels le gouvernement d’Union nationale de Raymond Poincaré s’appuie. Cette dispersion est tout à fait révélatrice des divisions qui traversent les radicaux et qui sont particulièrement saillantes et visibles depuis le congrès d’Angers des 3, 4 et 5 novembre 1928, au terme duquel les quatre ministres radicaux alors membres du gouvernement ont été contraints de démissionner pour des raisons de tactiques politiques [55]. Dans un parti profondément divisé et qui se recentre sur les plus modérés, 74 des 125 députés du groupe Radical et Radical socialiste ont voté pour le relèvement renvoyant par-là à leurs proximités idéologiques mais aussi électorales avec les socialistes [56], alors que 28 d’entre eux ont voté contre et 18 se sont abstenus, soit un peu plus d’un tiers des députés radicaux qui n’ont pas soutenu la proposition. Ces divergences sont encore plus visibles chez les députés du centre-gauche. Les votes additionnés des Indépendants de gauche, des Républicains socialistes et des membres du Parti républicain socialiste et socialiste français, se répartissent de façon quasiment égale, puisque 20 députés ont voté pour et 24 autres se sont positionnés contre. Cette structuration dans la répartition des voix se retrouve également au centre-droit. Sur ses trois composantes (Républicains de gauche, Gauche unioniste et sociale et Gauche radicale), qui représentent au total 135 députés, 48 ont voté pour le relèvement.

41Ce score serré et les tensions qu’il révèle au sein du Parti radical, mais aussi les conditions d’enregistrement du score du scrutin [57], sont autant d’occasions saisies par la presse, notamment de droite ou d’extrême droite, pour disqualifier la majorité parlementaire. Des journaux comme Le Temps, Le Figaro ou L’Action française soulignent avec force le caractère injustifié et inopportun du projet. « Nulle part, en Europe, les députés ne sont soit aussi nombreux, soit aussi payés que les députés français [58] » ; « Les citoyens sont en immense majorité opposés au relèvement de l’indemnité parlementaire. Ils la jugent inopportune au fond, scandaleuse dans la forme [59] » ; « Les amateurs des 60 000 s’efforceront d’obtenir qu’il y ait vote à mains levées, c’est-à-dire confusion et aggravation des falsifications [60]. » Les mêmes organes publient des courriers invitant des responsables politiques à lutter contre le relèvement [61], voire des lettres de députés qui bien qu’ayant voté l’augmentation, suggèrent au Président de la République, devant l’hostilité que soulève la mesure, de faire revoter la Chambre [62]. Le 19 décembre, relayé par le journal d’extrême droite L’Ami du Peuple, les Croix de feu et la Fédération nationale des contribuables lancent un appel à la population pour réclamer l’annulation du vote [63]. La presse d’extrême gauche, quant à elle, n’appelle pas à la mobilisation populaire mais elle se saisit de la situation pour mieux souligner le rôle du Parti communiste, notamment par rapport à ses concurrents socialistes, comme l’unique défenseur de la classe ouvrière. Aussi L’Humanité titre-t-elle le 14 décembre 1928 : « La chambre d’Union nationale élève de 45 à 60 000 l’indemnité parlementaire », avec en chapeau : « En dehors du refus communiste, cette mesure, proposée par le SFIO Payra, appuyée par Renaudel et Vincent Auriol, ne s’est heurtée, qu’aux fausses protestations de la démagogie de droite [64]. » La ligue Française pour le Droit des Femmes s’offusque que les députés puissent s’auto-augmenter alors que quinze jours auparavant la Chambre peinait à trouver des crédits pour venir en aide aux femmes qui viennent d’accoucher [65]. Au-delà de ces tentatives qui émanent de la presse ou d’organisations politiques, pour construire une réaction populaire hostile aux prises de position des parlementaires voire plus largement, pour les ligues de droite, au régime parlementaire, les contestations du relèvement de l’indemnité se nourrissent aussi du contexte de défiance vis-à-vis des responsables politiques. Ce scepticisme est entretenu par la révélation, à la fin de l’année 1928, de l’affaire de La Gazette du Franc, un nouveau scandale politico-financier qui met indirectement en cause le Président du Conseil Raymond Poincaré et plusieurs parlementaires radicaux qui avaient collaboré à ce journal [66].

42Ces opérations de scandalisation et ces démonstrations de franche hostilité vis-à-vis des parlementaires inquiètent le gouvernement alors que le Parlement est en pleine discussion de la loi de finance. Pour tenter de sortir de cette difficulté, et alors que jusque-là le gouvernement avait fait preuve d’une relative neutralité [67], une réunion est organisée, le 22 décembre, sous l’impulsion du ministre des Finances, Henri Chéron. Elle mobilise le président du Sénat, Paul Doumer, les bureaux des deux chambres, les présidents et rapporteurs des commissions des finances et de comptabilité des deux assemblées. À l’issue de cette rencontre, un accord est trouvé. Celui-ci pose comme principe de ne pas intervenir directement sur l’indemnité [68] mais, comme en 1920, de la compléter par une indemnité de résidence qui serait portée à 1 250 F par mois [69]. Si cette modification a pour objet de favoriser l’acceptation populaire du relèvement dans la mesure où l’indemnité reste officiellement fixée à 45 000 F, pour le gouvernement, elle a surtout pour enjeu de ne pas s’aliéner la confiance du Sénat, qui est un de ses principaux soutiens [70], en laissant à la Chambre Haute la responsabilité de voter le relèvement. L’augmentation, ainsi plus ou moins invisibilisée [71], est présentée en séance au Sénat, le 28 décembre 1928 :

43

L’indemnité mensuelle spéciale attribuée aux sénateurs et députés pour frais de double résidence, de secrétariat et pour toutes autres dépenses inhérentes à l’exercice du mandat législatif est relevée de 1 250 F à dater du 1er janvier 1929 [72].

44Amené à s’exprimer devant les sénateurs pour défendre la nouvelle disposition, le ministre des Finances rappelle que la nouvelle rédaction de l’article est le résultat d’un accord passé entre les principaux représentants des deux assemblées et de ce fait ne peut qu’être soutenue [73]. Le texte est adopté par le Sénat avec 140 voix pour et 107 contre [74] et définitivement par la Chambre des députés, le 29 décembre, par 287 voix pour et 234 contre [75]. Bien qu’avec ce vote, les parlementaires augmentent leur revenu, qui passe de 45 000 F à 60 000 F [76], cette progression, comme en 1926, reste figée, étant donné que l’indemnité n’est toujours pas indexée, ce qui signifie que, de nouveau, les futures revalorisations devront faire l’objet d’un examen parlementaire et, par la relative publicité qu’elles engagent, exposeront là encore aux critiques les pratiques du Parlement.

Les années 1930 : l’indexation adoptée

45Il est possible de considérer que c’est pour éviter d’alimenter l’antiparlementarisme, particulièrement exacerbé à la fin des années 1920 et au début des années 1930 [77], qu’aucune mesure de revalorisation des indemnités des parlementaires n’a été proposée après les élections législatives de mai 1932 alors qu’auparavant, c’était toujours dans l’année qui suivait la nouvelle législature que des dispositions étaient prises en ce sens. L’affaire Oustric en 1930, et sans doute plus encore le scandale Stavisky en 1933 [78] ainsi que les manifestations antiparlementaires du 6 février 1934, ont aussi probablement contribué à empêcher leur mise à l’agenda [79]. De plus, les élections législatives de 1932 sont marquées par un fort taux de réélection. On peut donc faire l’hypothèse que, pour une bonne partie, les députés qui siègent à la Chambre se sont accommodés des conditions matérielles dans lesquelles ils exerçaient leur mandat [80]. À la suite des élections de 1936, les conditions sont différentes. Le taux de renouvellement est plus important (42 %) [81], la présence d’élus issus des catégories populaires (ouvriers et employés), d’enseignants du primaire ou encore d’agriculteurs est plus affirmée. À l’inverse, les représentants des professions libérales (avocats et médecins) sont désormais moins nombreux à siéger à la Chambre [82]. Ce changement crée un contexte favorable à la question de l’indemnité des élus. C’est ainsi que dans la plus grande discrétion, sous l’impulsion des questeurs de la Chambre, en mai 1937, les députés obtiennent un crédit supplémentaire de 600 F mensuels pour financer leurs charges de mandat. De manière plus ou moins hasardeuse du point de vue du droit, ce supplément financier est justifié par l’application de la loi du 26 mars 1937 qui permet d’augmenter de 10 % les indemnités de résidence des fonctionnaires dont le traitement annuel est inférieur à 30 000 F [83]. Ce relèvement confidentiel de l’indemnité des députés [84] alimente les discussions au Sénat car, conformément à la loi du 2 août 1875, les députés et les sénateurs doivent bénéficier du même montant d’indemnisation. Pour autant, les membres du Bureau du Sénat n’envisagent pas d’augmenter l’indemnité des sénateurs, même s’ils estiment qu’elle est trop faible [85], le budget 1937 de la Haute Assemblée ne le permettant pas [86]. Aussi, le Président du Sénat, Jules Jeanneney, un radical de gauche, s’engage-t-il auprès de ses pairs à mobiliser le Président du Conseil, Camille Chautemps, un radical, pour trouver une solution.

46À l’automne, des échanges ont lieu entre Jules Jeanneney et Camille Chautemps. Le premier insiste sur la nécessité de régler très rapidement la situation, notamment en raison des nombreuses sollicitations adressées aux questeurs et au président de la commission de comptabilité [87]. Fin novembre, le Président du Conseil lui répond et propose trois pistes qui présentent le champ des possibilités techniques mais surtout les conceptions politiques de leur acceptabilité.

47

1o Prendre acte de la décision de la Chambre et déposer un projet de loi pour la régulariser et l’étendre aux sénateurs ; 2o Régler sous une forme entièrement nouvelle le problème de l’indemnité, en assimilant le mandat législatif à l’exercice de l’une des fonctions publiques, l’indemnité des parlementaires étant fixée une fois pour toutes, à un montant égal au traitement de la catégorie de fonctionnaires ainsi choisie ; 3o Maintenir à l’indemnité son caractère particulier de remboursement de frais et confier au Gouvernement le soin de fixer le montant par décret. La première aurait l’inconvénient de mettre en lumière une décision du Bureau de la Chambre susceptible de soulever des polémiques. La seconde, est, au premier examen, la plus tentante. Mais il serait impossible, pour l’autorité parlementaire, d’assimiler les sénateurs et députés à d’autres fonctionnaires qu’à ceux des grands corps de l’État, par exemple aux conseillers d’État. Or, le traitement de ceux-ci a été élevé à 100 000 F et il ne peut échapper qu’un relèvement si considérable de l’indemnité parlementaire, au moment même où la situation financière oblige l’État à réduire une demande de fonctionnaires tendant au versement d’une augmentation annuelle de 1 800 F soulèverait de trop faciles et fâcheuses critiques dans l’opinion publique [88].

48Tenant compte de ces considérations, Camille Chautemps suggère que la seule solution envisageable, et assurément la plus discrète, consiste pour « le Gouvernement de prendre lui-même, à la suite d’un projet de loi sur les remboursements de frais aux fonctionnaires, l’initiative de relever, en même temps que les autres, l’indemnité des élus parlementaires [89] » .

49Cette option est acceptée par le Président du Sénat [90] mais la proposition gouvernementale est rejetée par la commission des Finances de la Chambre des députés. À la suite de ce rejet et à l’initiative du Président du Sénat, une réunion est organisée le 27 janvier 1938, à laquelle participent le Président de la Chambre Édouard Herriot, les questeurs et les présidents des commissions de comptabilité des deux assemblées [91]. À l’issue de cette rencontre, un accord est trouvé sur un texte qui constitue l’article premier d’une proposition de loi relative à l’indemnité législative [92]. Cet article combine deux principes d’indexation. L’un permet d’augmenter immédiatement et légalement l’indemnité parlementaire notamment celle des sénateurs et l’autre introduit pour l’avenir une automaticité des augmentations. Dans une formulation peu explicite pour les profanes, le texte indique :

50

À partir du 1er janvier 1938, le coefficient 5,5 est appliqué à l’indemnité fixée à 15 000 francs par la loi du 23 novembre 1906. Les distinctions résultant des lois des 27 mars 1920, 3 août 1926 et 30 décembre 1928 sont proportionnellement maintenues. Cette indemnité sera assujettie proportionnellement et de plein droit aux variations qui atteindraient ultérieurement le traitement des conseillers d’État [93].

51La proposition, formellement présentée par Édouard Herriot, et Joannès Ravanat (président de la commission de comptabilité, socialiste), est examinée le 1er février par la Chambre des députés. Au début des débats, le rapporteur Joannès Ravanat rappelle, pour mieux affirmer l’unanimité autour du projet et contenir les oppositions, que le texte a été adopté le matin même par le Bureau de la Chambre et par la commission de comptabilité mais également par le Président, les questeurs et le Président de la commission de comptabilité du Sénat, de sorte qu’il serait malvenu que le sujet fasse l’objet de longs débats en séance publique [94]. Ainsi neutralisé, l’examen de la loi se déroule en moins de trois heures. Les communistes s’opposent à la réforme au motif habituel qu’il convient, avant de s’attarder sur la revalorisation de l’indemnité des parlementaires, de traiter des urgences sociales beaucoup plus prioritaires comme la retraite des vieux travailleurs ou l’augmentation de l’allocation-chômage [95]. Quelques représentants de la droite conservatrice comme Eugène Pébellier au nom du Parti social français ou Louis Marin posent eux aussi des préalables à l’acceptation du relèvement de l’indemnité. Pour le premier, il conviendrait de réduire le nombre de députés et de renforcer les incompatibilités parlementaires [96] ; quant au second, il demande d’ajourner les débats compte tenu de leur inopportunité conjoncturelle [97]. Dans ces conditions et ne suscitant pas de clivages majeurs, la proposition est adoptée par 381 voix pour et 161 contre [98]. Examinée par le Sénat deux jours plus tard, elle est adoptée sans discussion [99] et permet aux parlementaires de bénéficier d’une indemnité de 82 500 F par an.

52Cette réforme en partie dépassionnée [100], hormis l’opposition constante des communistes, contient une disposition majeure : l’indemnité, indexée sur le traitement d’un corps de fonctionnaires, peut désormais être augmentée en toute discrétion, l’automaticité invisibilisant l’imputation du relèvement de l’indemnité parlementaire. Mais bien que contenu dans la loi de 1938, ce dispositif n’est pas tout à fait maîtrisé à la fin des années 1930. Ainsi, en janvier 1939, le Président du Sénat demande au ministre des Finances de lui confirmer la possibilité pour les parlementaires de bénéficier d’une augmentation de leur indemnité de 5 % conformément à l’application du décret-loi du 12 novembre 1938 qui concerne le régime indemnitaire des fonctionnaires [101]. Après vérification par les services juridiques du ministère des possibilités légales d’accorder ce relèvement aux parlementaires, le ministre Paul Reynaud indique à Jules Jeanneney : « Rien ne s’oppose, selon moi, à ce que la nouvelle majoration de 5 p. 100 porte sur l’ensemble de l’indemnité législative [102]. » Alors qu’au début de l’année 1939 des vérifications juridiques sont nécessaires pour confirmer l’automaticité des augmentations, dès la fin de l’année, le principe s’impose comme une évidence. En ce sens, la réunion du Bureau du Sénat du 9 novembre 1939 est particulièrement significative. Le président de Sénat indique aux membres présents :

53

Une contribution nationale extraordinaire, instituée en 1938, sur les traitements avait fait l’objet d’une délibération du Bureau pour son application à l’indemnité sénatoriale, suivant les taux de ce moment. Ces taux viennent d’être augmentés par décret-loi au 1er septembre 1939. MM les questeurs ont admis, sans juger nécessaire de vous en référer, d’appliquer d’office les taux nouveaux [103].

54Ainsi institutionnalisé, le relèvement automatique de l’indemnité parlementaire s’autonomise [104]. Le principe de l’indexation, établi à la fin des années 1930, ne sera plus remis en cause, sauf par le régime de Vichy qui, en août 1941, supprime l’indemnité parlementaire [105]. Aussi, dans l’entre-deux-guerres, le travail législatif engagé par et pour les parlementaires a-t-il contribué à sécuriser financièrement les mandats nationaux, tout en euphémisant leur dimension vénale, dans la mesure où le relèvement de l’indemnité est désormais lié à l’évolution peu visible du traitement d’une catégorie de hauts fonctionnaires.


Mots-clés éditeurs : indemnité, Parlementaires, indemnisation, financement politique, argent

Date de mise en ligne : 16/09/2021

https://doi.org/10.3917/parl2.034.0177

Notes

  • [1]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 12 juillet 1909, p. 2005.
  • [2]
    Idem.
  • [3]
    Sur l’instauration de l’indemnité législative aux xviiie et xixe siècles, Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Une norme disputée : l’indemnité parlementaire en France (1789-1914) », Cahiers Jaurès, no 235-236, juin 2020, p. 15-36.
  • [4]
    Pierre Eugène, Traité de droit parlementaire électoral et parlementaire, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1910, p. 941. L’auteur reprend dans les pages 941 à 943 les principaux éléments du rapport de député radical de l’Oise Auguste Bauton qui justifient l’intérêt de la mesure, entre autres l’inadéquation entre le montant de l’indemnité et « la cherté croissante des choses ». Sur la situation économique des députés et les frais occasionnés par leur mandat (frais postaux, secrétariat, double résidence pour les élus de province…), Billard Yves, Le métier de la politique sous la IIIe République, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2003.
  • [5]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique. Les “quinze mille”, le mandat et le métier », Politix, no 20, 1992, p. 7-34 ; Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Présentation des textes de Jaurès de novembre 1906 sur le relèvement de l’indemnité parlementaire et les frais électoraux », Cahiers Jaurès, no 235-236, juin 2020, p. 93-104.
  • [6]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique… », art. cité, p. 9.
  • [7]
    Selon Alain Garrigou, « La mesure fut l’occasion de violentes attaques avant les élections de 1910 et même de 1914 contre les partisans » (ibid., p. 10). Dans un article de science administrative, Jules Priou, note que « l’hostilité contre les quinze mille perdura ; selon Seignobos, elle explique le choix lors des élections générales de 1910 de 234 nouveaux membres. » Priou Jules, « L’indemnité législative », Revue des Deux Mondes, octobre 1972, p. 85.
  • [8]
    Monier Frédéric, Portalez Christophe, « Présentation des textes… », art. cité, p. 98.
  • [9]
    Sur la construction sociale des scandales, Lascoumes Pierre, « Des cris au silence médiatique : les limites de la scandalisation », Éthique publique, no 2, 2016 ; de Blic Damien, Lemieux Cyril, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, no 71, 2005, p. 9-38.
  • [10]
    Pierre Eugène, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1893, p. 1153-1157 ; Baron André, Du caractère juridique de l’indemnité parlementaire, Paris, Pédone, 1905 ; Gloria Fernand, De l’indemnité parlementaire, Imprimerie Adeline, Caen, 1902 ; Séchet Jean, De l’indemnité parlementaire et autre avantages accessoires, Thèse pour le doctorat politique et économique, Université de Poitiers, 1909 ; Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », Revue politique et parlementaire, no 580, 1948, p. 46-56 ; Priou Jules, « L’indemnité législative », art. cité ; Buge Éric, Droit de la politique, Paris, PUF, 2018, p. 489-494.
  • [11]
    Garrigou Alain, « Vivre de la politique… », art. cité, p. 30.
  • [12]
    La Constitution de 1946 (art. 23) se réfère à ce principe dont l’application formelle qui fait explicitement référence au traitement des conseillers d’État est fixée par le décret du 13 janvier 1948. Ce moyen d’indexation est repris en 1958 par l’ordonnance 58-1210 du 13 décembre 1958 qui précise les modalités, toujours en vigueur aujourd’hui, de détermination de l’indemnité des parlementaires (députés et sénateurs). Pour une présentation de cette législation, Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », art. cité, p. 53.
  • [13]
    Sauvy Alfred, Histoire économique de la France entre les deux guerres, de l’armistice à la dévaluation de la livre, Paris, Fayard, 1965 ; Monier Frédéric, Les années vingt (1919-1930), Paris, Le Livre de Poche, 1999 ; Bernard Mathias, « L’antiparlementarisme de droite dans la France des années 1930 », Parlement[s], Revue d’histoire politique, hors-série no 9, 2013, p. 99-111.
  • [14]
    Dans la première moitié du xxe siècle, les élus classés à droite sont très majoritairement issus de la bourgeoisie avec une surreprésentation d’avocats, de hauts fonctionnaires, d’officiers et des propriétaires fonciers. Dogan Mattei, « Les filières de la carrière politique en France », Revue française de sociologie, vol. 8, no 4, 1967, p. 468-492.
  • [15]
    Les députés communistes conservent l’équivalent du montant du salaire d’un ouvrier qualifié.
  • [16]
    Cette augmentation concerne les députés et les sénateurs puisque conformément au principe inscrit dans la loi du 2 août 1875 relative aux élections des sénateurs, ces derniers reçoivent la même indemnité que les députés.
  • [17]
    La loi du 23 novembre 1906 ne contient qu’un article qui porte l’indemnité législative à 15 000 F. Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 22 novembre, 23 novembre 1906, p. 7793. Cette disposition est néanmoins centrale dans la mesure où elle sert de référence au calcul d’indexation de l’indemnité jusqu’à l’ordonnance du 13 décembre 1958.
  • [18]
    La loi du 27 mars 1920 précise qu’il est alloué, à partir du 1er mars 1920, à chaque sénateur et député, une indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F pour frais de double résidence, de correspondance et autres inhérents à l’exercice du mandat législatif.
  • [19]
    Il semble que l’opportunité du relèvement fasse l’objet d’un consensus auprès des questeurs de la Chambre. À deux reprises au cours des débats publics, le rapporteur du projet, Étienne Rognon, souligne que « la proposition est présentée par les questeurs de la Chambre » ou « qu’il s’agit d’une proposition des questeurs ». Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance du 8 juin 1926, p. 2403
  • [20]
    Ibid., p. 2404.
  • [21]
    Ibid., p. 2418. Cet alignement sur le traitement de ces hauts fonctionnaires permettrait à l’indemnité d’atteindre un montant annuel de 48 000 F.
  • [22]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2403.
  • [23]
    Ibid., p. 2408.
  • [24]
    Ibid., p. 2405.
  • [25]
    Ibid., p. 2407.
  • [26]
    En 1926, ce groupe composé de 14 députés démocrates-chrétiens est une des composantes de la droite alors minoritaire à la Chambre.
  • [27]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415.
  • [28]
    À la suite de l’intervention des élus démocrates, Étienne Rognon prend la parole en indiquant : « Messieurs, j’ai été ému comme tous mes collègues par les paroles éloquentes que nous venons d’entendre, et je désire vivement que ce débat se termine sinon par un votre unanime, du moins par l’adoption d’un texte voté par une majorité aussi large que possible. Je vous demande donc de renvoyer la suite de la discussion à vingt et une heure afin de permettre à la commission de délibérer. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415.
  • [29]
    L’article ainsi rerédigé précise : « À partir du 1er juin 1926, l’indemnité législative, y compris l’indemnité mensuelle spéciale de 1 000 F, est égale au traitement des conseillers d’État. Il sera attribué aux parlementaires mariés une indemnité annuelle de 3 000 F et une indemnité annuelle de 1 200 F par enfant à charge âgé de moins de vingt et un ans ainsi que par personne légalement à charge. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2415. Le traitement des conseillers d’État est de 36 000 F par an.
  • [30]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, p. 2411. Le Journal Officiel ne donne pas la répartition du vote selon les groupes parlementaires. L’Humanité dans son édition du 9 juin 1926 indique sans plus de précision que « la plus grande partie de la droite a voté contre ».
  • [31]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 8 juin 1926, page 2418.
  • [32]
    La Croix, 10 juin 1926.
  • [33]
    Le Temps, 10 juin 1926.
  • [34]
    L’Humanité, 9 juin 1926.
  • [35]
    L’Œuvre, 6 juin 1926.
  • [36]
    Jeanneney Jean-Noël, Leçon d’histoire pour une gauche au pouvoir : la faillite du cartel (1924-1926), Paris, Seuil, 1977.
  • [37]
    Le 21 juillet 1926, rassemblée devant le Palais-Bourbon, une foule invective le président du Conseil : « À bas Herriot », « La République à la poubelle ». Monier Frédéric, Les années vingt…, op. cit., p. 121.
  • [38]
    Le gouvernement Poincaré va durer plus de deux ans. Cette longévité est à souligner. Entre octobre 1925 et juillet 1926, la France a connu six gouvernements différents. Mayeur Jean-Marie, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940, Paris, Seuil, 1984, p. 284-290.
  • [39]
    Comme le précise le ministre de la Justice, au nom du gouvernement : « Je le dis, le Gouvernement est favorable au relèvement. » Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 31 juillet 1926, p. 3112.
  • [40]
    Idem.
  • [41]
    Idem.
  • [42]
    Journal Officiel, Sénat, séance du 3 août 1926, p. 1468 à 1471.
  • [43]
    Le Temps, 4 août 1926.
  • [44]
    L’Humanité, 4 août 1926.
  • [45]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3733.
  • [46]
    Ibid., p. 3734.
  • [47]
    Ibid., voir l’intervention de J. M. Clamamus, p. 3737. En 1928, le groupe communiste est composé de 11 élus.
  • [48]
    Ibid., p. 3735. Le groupe compte 100 élus soit 17 % des députés. Wahl Alfred, « Les députés SFIO de 1924 à 1940 : essai de sociologie », Le Mouvement Social, no 106, janvier-mars 1979, p. 25-44.
  • [49]
    Idem.
  • [50]
    Idem.
  • [51]
    Le Temps, 15 décembre 1928.
  • [52]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3735 et 3736.
  • [53]
    Ibid., p. 3738
  • [54]
    La répartition des votes présentée par groupes parlementaires et nominativement a été publié par L’Œuvre, le 15 décembre 1928 et par L’Humanité, le 16 décembre 1928. Avec cette information a priori factuelle, L’Humanité qui titre « Les 352 députés qui, par leur vote ou leur abstention, ont institué les 60 000 », cherche à stigmatiser les « releveurs ».
  • [55]
    Berstein Serge, Histoire du Parti Radical, crise du radicalisme, 1926-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1982, p. 75-78.
  • [56]
    Après l’abandon du scrutin de liste en 1927 et l’introduction du scrutin uninominal pour les élections législatives de 1928, deux tiers des députés radicaux ont été élus au second tour grâce au report de voix socialistes voire communistes. Mayeur Jean-Marie, La vie politique…, op. cit., p. 288. Par exemple, Édouard Daladier, président du Parti radical et porte-parole de son aile gauche, a voté pour le relèvement.
  • [57]
    Le pointage des voix par les scrutateurs a pris un temps relativement long (environ 2 heures au lieu de 30 minutes habituellement), il semble que ce délai soit dû à la recherche de voix auprès de quelques députés abstentionnistes afin d’obtenir un écart de vote plus significatif. La presse entretient d’ailleurs une forte suspicion sur la régularité de ces pratiques parlementaires. Selon L’Humanité, un premier décompte aurait donné un vote défavorable avec 29 voix de majorité contre la mesure (326 contre/287 pour) et le journal de conclure : « Du mystère des urnes, le talent de trois secrétaires et d’un questeur arriva à faire sortir le résultat : pour 262 contre 254. » L’Humanité, 15 décembre 1928. Le Temps insiste également sur les différences observées dans la procédure de décompte des voix (15 décembre 1928).
  • [58]
    Le Temps, 15 décembre 1928.
  • [59]
    Le Figaro, 21 décembre 1928.
  • [60]
    L’Action française, 19 décembre 1928.
  • [61]
    Le Temps publie « la lettre de la fédération lozérienne des associations de combattants adressée aux députés du département ». Le Temps, 13 décembre 1928. Le Figaro publie « la lettre de l’association des contribuables et des croix de feu adressés au président de la République » (28 décembre 1928).
  • [62]
    Lettre du député de Paris, Georges Scapini, Le Figaro, 21 décembre 1928. Élu en 1928 député indépendant de Paris, Georges Scapini, favorable dès les années 1930 à une collaboration avec l’Allemagne nazie, sera nommé, par le régime de Vichy, ambassadeur à Berlin en charge des prisonniers de guerre en 1940.
  • [63]
    À propos de cette mobilisation, Le Figaro titre « Wagram, 60 000 = zéro, zéro » (22 décembre 1928). Quelques jours plus tard, le même quotidien signale : « Des milliers de citoyens, accourus le 19 décembre à la salle Wagram, considèrent que le relèvement de l’indemnité parlementaire n’est justifié ni en droit, ni en fait à l’heure surtout où les plus lourds sacrifices sont imposés aux contribuables » (28 décembre 1928). Pour sa part, l’Action Française annonce : « Hier soir, salle Wagram, un très nombreux public avait répondu à l’appel pour protester contre le relèvement à 60 000 francs de l’indemnité des parlementaires. […] Les assistants se déclarent résolus à obtenir l’annulation d’un scrutin qui révolte la conscience nationale » (L’Action française, 20 décembre 1928).
  • [64]
    L’Humanité, le 14 décembre 1928.
  • [65]
    L’Œuvre, 19 décembre 1928.
  • [66]
    Vincent Auriol y fait d’ailleurs allusion dans son intervention à la Chambre le 13 décembre 1928 pour défendre le relèvement, au motif que ce type de scandale instrumentalisé par la presse d’extrême droite alimente l’antiparlementarisme. Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 13 décembre 1928, p. 3735. L’affaire concerne un journal de conseils en placements boursiers et financiers. Dans le prolongement de cette entreprise éditoriale, sa directrice, Marthe Hanau fonde un établissement financier qui connaît un rapide succès au point d’inquiéter les grandes banques françaises d’autant plus que cet établissement ne dispose pas des actifs nécessaires pour supporter un tel dynamisme. Dubasque François « L’affaire Hanau, entre indignation, pratiques politiques déviantes et tentatives de normalisation de la vie publique au tournant des années 1930 », in Olivier Dard, Jens Ivo Engels, Andreas Fahrmeir et Frédéric Monier (dir.), Scandales et corruption à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, 2014, p. 96-108.
  • [67]
    Cette posture s’observe entre autres dans la non-participation des ministres députés au vote du 13 décembre. Mais cette neutralité gouvernementale est très relative dans la mesure où le Président du Conseil Raymond Poincaré, avant même l’examen parlementaire, avait publiquement manifesté sa désapprobation quant au relèvement de l’indemnité parlementaire, Le Journal, 28 décembre 1928.
  • [68]
    Sur ce point L’Humanité titre « Poincaré reprend à son compte les 60 000. Il baptise l’augmentation indemnité de logement » (21 décembre 1928).
  • [69]
    D’autres pistes avaient été suggérées comme celle de n’accorder une augmentation d’indemnité de 12 000 F qu’aux parlementaires dont la circonscription est éloignée de plus de 50 ou 100 km de Paris ; ou bien de revenir au principe de l’allocation familiale de 3 000 F pour les parlementaires mariés et 3 000 F par enfants. Sur ces options, voir Paris-Soir, 22 décembre 1928.
  • [70]
    Berstein Serge, Histoire du Parti radical…, op. cit., p. 77.
  • [71]
    Le Temps du 27 décembre 1928 dans une analyse mobilisant le droit parlementaire tend à montrer que « c’est bien le Sénat qui prendrait l’initiative d’un relèvement ». Plus ironique, L’Humanité titre le 22 décembre : « Les députés ne se sont pas augmentés… ils toucheront simplement 15 000 francs de plus. »
  • [72]
    Journal Officiel, Sénat, 2e séance, 28 décembre 1928, p. 1664.
  • [73]
    Journal Officiel, Sénat, 2e séance, 28 décembre 1928, p. 1667.
  • [74]
    Ibid., p. 1674.
  • [75]
    Journal Officiel, Chambre des députés, 29 décembre 1928, p. 3929.
  • [76]
    À la fin des années 1920, le salaire annuel d’un instituteur débutant est d’environ 10 000 F.
  • [77]
    Bernard Mathias, « L’antiparlementarisme de droite… », art. cité.
  • [78]
    Sur les affaires politico-financières de la IIIe République, Thiveaud Jean-Marie, « Crises et scandales financiers en France sous la Troisième République », Revue d’économie financière, no 41, 1997, p. 25-53.
  • [79]
    Sur les exploitations politiques de la crise de février 1934, notamment sur les accusations de corruption et de vénalité des élus, Berstein Serge, Histoire du Parti radical…, op. cit., p. 292-302.
  • [80]
    En 1932, le taux de renouvellement est de 32 %. Dogan Mattei, « La stabilité du personnel parlementaire sous la Troisième République », Revue française de science politique, vol. 3, no 2, 1953, p. 322.
  • [81]
    Idem.
  • [82]
    Les députés des catégories populaires (ouvriers, employés, fonctionnaires d’exécution) passent de 56 en 1932 à 105 en 1936, les instituteurs de 16 à 33, les agriculteurs de 47 à 62, les médecins de 60 à 47 et les avocats de 167 à 121. Dogan Mattei, « La stabilité du personnel parlementaire… », art. cité, p. 472. Voir également, Le Béguec Gilles, « De l’avant-guerre à l’après-guerre : le personnel parlementaire français, continuité et renouvellement », Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, no 3-4, 1995, p. 7-14.
  • [83]
    Les fondements juridiques de cette justification légale sont d’ailleurs attaqués lors des discussions en séance publique à la Chambre, le 28 décembre 1937, notamment parce que l’augmentation de 10 % n’est possible que sur décret du ministre des Finances contresigné du Président du Conseil et que, de plus, l’indemnité des députés est supérieure à 30 000 F. Voir l’intervention du député de Droite Louis Marin, Journal Officiel, Chambre des députés, 2e séance, 28 décembre 1937, p. 3282 et 3283.
  • [84]
    Hormis un entrefilet dans Le Temps daté du 3 juillet 1937, il ne semble pas que la presse l’ait autrement évoquée. De même, les sénateurs ne semblent pas particulièrement informés. À plusieurs reprises, devant les membres du Bureau, le Président du Sénat insiste sur son ignorance des faits. Archives du Sénat, 7S7, réunion du Bureau du Sénat du 7 juillet 1937, p. 5.
  • [85]
    « L’indemnité est trop basse. Nous serons, je crois, unanimes sur ce point. La commission de Comptabilité estime que nous devrions être assimilés aux conseillers d’État et recevoir comme indemnité ce que ceux-ci ont obtenu comme traitement. » Joseph Loubet, Président de la commission de comptabilité (Archives du Sénat, 7S7 réunion du Bureau du Sénat du 7 juillet 1937). Lors de la même réunion, Georges Dentu (sénateur de l’Orne, Gauche républicaine) renchérit : « J’estime moi aussi l’indemnité parlementaire insuffisante. »
  • [86]
    Comme l’indique le président du Sénat, Jules Jeanneney : « Le budget du Sénat pour 1937 ne contient aucune disponibilité qui permette de servir aux sénateurs, en cours d’année, une allocation supplémentaire » (idem).
  • [87]
    Archives du Sénat, 7S7, Lettre du Président du Sénat au Président du Conseil, 23 novembre 1937.
  • [88]
    Archives du Sénat, 7S7, Lettre du président du Conseil au Président du Sénat, 28 novembre 1937.
  • [89]
    L’indemnité passe ainsi à 75 000 F. Ibid.
  • [90]
    Jules Jeanneney informe Camille Chautemps de son « adhésion personnelle à la méthode que vous proposez ». Archives du Sénat, 7S7, Lettre du Président du Sénat, 8 décembre 1937.
  • [91]
    Archives du Sénat, 7S7, Compte rendu de la séance du Bureau du Sénat du 10 février 1938.
  • [92]
    La proposition de loi ne contient que deux articles.
  • [93]
    Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 1er février 1938, p. 173.
  • [94]
    Ibid., p. 169.
  • [95]
    « Que le Parlement réalise le fonds national du chômage, qu’il donne la retraite aux vieux travailleurs et, après, qu’il décide de son sort ». Jacques Grésa, député communiste de la Seine, Journal Officiel, Chambre des députés, séance du 1er février 1938, p. 169.
  • [96]
    Ibid., p. 171.
  • [97]
    « Si vous décidez dès aujourd’hui d’augmenter l’indemnité parlementaire que pensera l’opinion publique, alors que M. le ministre des Finances a déclaré, hier, que les économies devaient être la première préoccupation de tous et que la faillite était le danger le plus grave auquel le pays est exposé ? », ibid., p. 172.
  • [98]
    Ibid., p. 176.
  • [99]
    Journal Officiel, Sénat, 3 février 1938, p. 85. La loi Tendant à affecter l’indemnité législative fixée par la loi du 23 novembre 1906 d’un coefficient tenant compte de l’élévation du coût de la vie est promulguée le 4 février 1938.
  • [100]
    À la différence des commentaires acerbes de la presse à propos des lois de 1926 et 1928, pour la loi de 1938, les journaux se contentent de présenter le déroulement des débats. Voir, entre autres, Le Temps, 3 février 1938, L’Humanité, 2 février 1938 et Le Populaire, 2 février 1938.
  • [101]
    Le décret d’application du 14 janvier 1938 précise : « À compter du 1er janvier 1939, il est attribué aux fonctionnaires de l’État, une majoration de l’indemnité spéciale temporaire instituée par le décret du 11 décembre 1937. Pour les agents, cette majoration est fixée à 5 % du traitement du salaire brut sans pouvoir être inférieure à 1 200,00 F par an. » Archives du Sénat, 301 S. Lettre du Président du Sénat au ministre des Finances, 27 janvier 1939.
  • [102]
    Archives du Sénat, 7S8, Lettre du ministre des Finances au Président du Sénat, 15 février 1939.
  • [103]
    Archives du Sénat, 7S8, Compte rendu réunion du Bureau, Séance du 9 novembre 1939.
  • [104]
    Sur l’autonomisation des instruments de l’action publique, Lascoumes Pierre, Le Galès Patrick, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
  • [105]
    Loi du 11 août 1941 portant suppression de l’indemnité parlementaire. Pour autant ce même régime attribue aux membres du Conseil national une indemnité égale au traitement des conseillers d’État. Sauvageot André, « L’indemnité parlementaire », art. cité, p. 47.

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