Pardès 2016/1 N° 58

Couverture de PARDE_058

Article de revue

Paul de Tarse et le péché

Pages 73 à 80

Notes

  • [1]
    Franz Kafka, Le Procès, Gallimard (1987).
  • [2]
    Schalom Ben-Chorin, Paul – Un regard juif sur L’apôtre Des Gentils, Desclée de Brouwer (1999), p. 71-72.

1 On ne fait pas toujours ce qu’on croit être le bien dans la vie. On ne fait pas toujours ce qu’on veut, et on est quelquefois animé, à notre insu ou pas, par les pulsions du Mal. Que celui d’entre nous qui pourrait prétendre échapper à ça vienne ici le démontrer.

2 Le midrash nous soulage des rigueurs de la loi et montre que pour entrer dans la Loi, il n’y a pas qu’une porte comme valorisait le christianisme post-paulinien. Problématique qui était déjà inscrite d’une manière parlante et imagée : la porte unique pour entrer dans la Loi, dans la parabole de Kafka, « l’homme devant la Loi » à la fin du Procès[1]. Je précise que le grand intérêt de ce midrash kafkaïen, c’est qu’il est raconté dans une cathédrale par un prêtre. Il situe donc de façon très habile cette question là au cœur même de la jonction du judaïsme et du christianisme. Soit d’un homme qui se présente devant une grotte gardée par un immense gardien, et qui veut rentrer parce qu’on lui a dit que dans cette grotte (il y a presque une métaphore du lieu même de la Torah dans une synagogue) se tenait la Loi. Le gardien l’en dissuade : « Ne rentre pas, et ne t’avise pas de me désobéir parce que si tu passes ce premier sas, il y a derrière un gardien encore plus puissant que moi. » L’homme lui demande ce qu’il doit faire, et le gardien lui enjoint d’attendre l’autorisation.

3 Il y a deux versions de cette histoire chez Kafka mais dans Le Procès, l’homme s’installe sur un banc et attend qu’on lui donne l’autorisation. De temps en temps, il appelle le gardien et lui demande quand il pourra entrer. L’autre lui répond toujours d’attendre. Kafka dit que l’homme a le temps d’observer ce gardien de la Loi, et il ajoute qu’il le connaissait « jusqu’aux puces de son col de fourrure ». Et comme il attend, il va bientôt en mourir et dans un quasi dernier souffle, il appelle le gardien et lui dit : « J’ai une question à te poser. » Et le gardien, peu compatissant, lui dit : « Décidément, tu es insatiable ! Quelle est ta question ? »

4 « Je croyais que la Loi était pour tout le monde. Comment se fait-il que depuis tant de temps que je suis ici pour essayer de pénétrer dans la Loi, comment se fait-il que personne d’autre que moi ne soit venu pour entrer ? » À quoi le gardien répond : « Cette porte n’était destinée qu’à toi, maintenant, tu vas mourir, et je ferme. »

5 C’est à la fin du Procès, c’est-à-dire à la fin de ce qui est un vaste midrash d’un homme qui doit répondre d’une faute qu’il ne sait pas avoir commise. Un homme qui est coupable par essence, coupable par le seul fait d’exister mais qui va devoir se défendre.

6 Ça ne s’appelle pas par hasard Le Procès, parce que ça met effectivement en jeu le rapport à la loi et à la question de savoir quels sont les textes de loi qui régissent la responsabilité, la culpabilité éventuelle d’un individu, indépendamment des fautes qu’il a commises ou qu’il va se permettre de commettre, ou qu’il sera tenu de commettre parce qu’il est humain (et fut-il un être divin qu’il en commettrait aussi).

7 Ce problème n’est pas nouveau, puisque même si on peut remonter encore plus loin dans le temps, il y a au moins une chose de sûre, c’est qu’il date dans sa version historique pleine et entière au moins de Saint Paul (Saul de Tarse).

8 Examinons les choses dans le passage de l’Épître aux Romains, chapitre 7, verset 7, où j’ai retenu quelques lignes que je développerai après. Paul dit en s’adressant aux romains : « Que dirons-nous donc ? Que la Torah est faute ? Certes non. Mais je n’ai connu la faute que par la Torah. Je ne connaîtrais pas la convoitise si la Torah n’avait dit : “Tu ne convoiteras pas”. Et la faute (et c’est là un point très important), par le moyen de la loi saisit l’occasion et provoque en moi toute convoitise. Oui, sans la Torah, la faute est morte. »

9 Ce qui pose évidemment quantité de problèmes, et toute réflexion sur la faute et la loi s’inspire et part d’une réflexion sur ce qu’il s’est passé au Jardin d’Eden entre Adam et Ève. Je ne sais pas si ma version de la chose est particulièrement originale mais je vais aussi m’appuyer en partie sur ce texte. Pourtant, Paul dans l’Épître aux Romains, ne s’appuie pas sur le rapport à la loi tel qu’il découle du récit du Jardin d’Eden, mais sur un Commandement qui est l’interdit de la convoitise. Ce qui est tout à fait particulier. Il aurait pu s’appuyer sur l’interdit de l’idolâtrie ou sur « Tu honoreras ton père et ta mère ». Mais il prend précisément ce point-là. Pourquoi ?

10 On entend dans le texte qu’il dit : « Que dirons-nous donc ? Que la Torah est faute ? » Alors pourquoi la Torah ? J’ai choisi la traduction de Chouraqui, parce que dans les autres traductions, on dit « la loi ». Or ce n’est pas si simple. N’oublions pas que Saul de Tarse est un Pharisien au départ, un élève de Gamaliel. Quand il dit « La Torah », il ne dit pas autre chose. Il est compliqué de savoir à quelle partie de la loi il se réfère même si la Torah, c’est la loi. Se réfère-t-il aux lois morales, l’interdit de l’adultère, de la convoitise, etc., ou aux lois rituelles, comme les lois de la cacherout, du shabbat, des fêtes, ce qu’on appelle les mitzvot maassioth ? À quoi pense-t-il exactement ? Il joue un peu sur les deux tableaux parce qu’au nom de ce qu’il va dire sur « Je n’aurais pas connu la faute si je n’avais pas connu la Torah », il promulguera ou favorisera l’abrogation des lois rituelles. Mais l’exemple qu’il choisit est paradoxalement une loi morale. C’est la loi sur la convoitise, soit la loi sur le désir. C’est donc un peu complexe. On ne va pas pousser l’exégèse très loin sur ce sujet mais ça mérite d’être relevé. Il y a une espèce de flou qui devient compréhensible si on se réfère au contexte historique et à qui il parle. On pourrait dire qu’à ce moment-là, c’est un Pharisien qui s’adresse aux Sadducéens. C’est une des interprétations possibles. Mais au-delà de ça, une chose qu’on peut remarquer, c’est que si ça aboutit au fait que seront abolies les lois du rituel, donc essentiellement la Brith Mila mais aussi la cacherout et les fêtes, il est en pleine contradiction avec le Christ, qui au moins à deux reprises dit, une première fois : « Je ne suis pas venu pour abolir la loi mais pour la parfaire », et une deuxième fois : « pas un iota de la loi ne sera aboli avant que mon règne ne s’accomplisse ». Le moins que l’on puisse dire est qu’à ce moment-là, à la différence d’aujourd’hui, son règne ne s’était pas encore accompli et il n’y avait donc pas de raison de changer un iota de la loi. Lui prend le parti de dire qu’il y a des lois qui non seulement n’insufflent pas la vie mais qui l’étouffent.

11 Il n’est pas le seul à penser les choses comme ça, et je vais rapidement citer un passage de Schalom Ben-Chorin, un ami et collègue de Martin Buber qui, parlant de l’interprétation paulinienne de la loi, en vient à dire la chose suivante :

12

« Cependant, on ne peut comprendre cette interprétation (l’interprétation paulinienne de la loi) qu’à partir de la souffrance par la Loi qui fut celle de Paul. Six cent treize commandements positifs et négatifs ont été instaurés par les sages d’Israël. Ceux-ci ont ainsi créé un univers entièrement régi par la Loi et la tradition. C’est là leur force et leur faiblesse. Rien, dans la vie du juif individuel et du peuple juif, ne se situe en dehors de la Loi. N’importe quelle situation que l’on puisse concevoir relève de la Loi et est réglée par elle. C’est pourquoi il est dit dans les Maximes des Pères qu’aucun ignorant ne peut être vraiment pieux, car seul l’homme qui étudie la Loi jour et nuit peut faire face à toutes les circonstances. Il sait (théoriquement) toujours ce qu’il a à faire : s’il ne le sait pas, il doit questionner son Rabbi qui lui fournira la réponse. En effet, il n’existe aucun problème qui n’ait été prévu par la Loi.
Dans ces conditions, nous devons nous représenter le jeune Saul de Tarse comme un garçon à l’esprit ouvert, qui a quitté la Diaspora pour Jérusalem, centre de l’érudition pharisienne. Il a une sœur dans cette ville, mais on peut penser qu’il trouve sa véritable famille parmi ses condisciples, couchés comme lui au pied de Rabban Gamaliel dont il suit l’enseignement, mais dont pour sa part, il n’adopte pas l’attitude modérée. Nous pouvons rencontrer de nos jours à Jérusalem (on est dans les années 1920), ce type d’étudiant de yeshiva, passablement fanatique, venant de la Diaspora. Non de Tarse, certes, mais de New York ou de Londres. Dans les manifestations dirigées contre les paisibles citoyens, qui utilisent leurs voitures le jour du shabbat, ces étudiants du Talmud venus de l’étranger sont bien souvent présents parmi les zélateurs de la loi, qui n’hésitent pas à lancer des pierres sur les véhicules ou leurs conducteurs. Il est probable qu’à New York ou à Londres, ils ne réagiraient pas de cette manière extrême à la profanation formelle du shabbat : mais à Jérusalem, ils entendent se légitimer en tant que Juifs vouant à la Torah une fidélité plus qu’absolue. Je crois bien que c’est ainsi que nous devons nous représenter le jeune Saul de Tarse, qui soulignera d’ailleurs lui-même par la suite, que dans sa conduite, il a été plus juif que beaucoup d’autres, qu’il a manifesté un zèle extrême pour la loi, et qu’il s’est réjoui de la lapidation de « l’hérétique » Étienne (comme tout cela est pour nous familier et actuel !)[2] . »

13 Donc voilà la situation du problème. Cela nous met sur une voie très simple pour comprendre le fanatisme, auquel nous avons affaire dans d’autres sphères que les nôtres (mais aussi dans les nôtres). Le fanatique est celui qui croit qu’il n’y a qu’une voie pour rentrer dans la loi. C’est celui qui est convaincu que non seulement il n’y en a qu’une mais qu’il la connaît, et que le reste du monde se trompe de route.

14 Ceci étant, revenons à ce que dit Paul lui-même.

15

« Que dirons-nous ? Que la Torah est faute. Certes non, mais je n’ai connu la faute que par la Torah. Je ne connaîtrais pas la convoitise si la Torah n’avait dit « Tu ne convoiteras pas » et la faute par le moyen de la loi saisit l’occasion et provoque en moi toute convoitise. Oui, sans Torah, la faute est morte. Moi-même, je vivais jadis sans Torah. Quand la loi est venue, la faute a pris vie. Et moi, je suis mort. Et la loi elle-même, donnée pour la vie, je l’ai rencontrée pour la mort. Oui, la faute saisit l’occasion. À travers la loi, elle me séduit et me tue par elle. Ainsi donc, la Torah est sacrée, et la loi sacrée juste et bonne. Le bien deviendrait-il donc pour moi mort ? Au contraire ! Mais la faute pour apparaître en tant que faute par l’entremise du bien provoque en moi la mort. Pour que la faute soit fautive à l’extrême par l’entremise de la loi. »

16 C’est difficilement saisissable. La clinique psychanalytique peut nous mettre sur la voie d’une certaine intelligibilité de ce que dit Paul à cet endroit-là. Prenons un exemple simple et dont je vous prie d’excuser la trivialité : la masturbation infantile, celle du tout petit enfant. Quand il se fait du bien, il n’a pas une seconde l’idée qu’il est en train de transgresser une loi. Il est vivant dans le rapport à son corps. Puis à un moment ou à un autre, il sera confronté au fait qu’il y a une loi non écrite ou écrite qui interdit l’onanisme. Alors, par le détour de la loi, et c’est ce que dit Paul, son acte devient une faute et il meurt à la loi. On pourrait dire que ça se passe comme ça. La version que nous avons habituellement de ce genre de choses n’est pas que le sujet s’est interdit par lui-même de satisfaire sa pulsion après avoir eu connaissance de la loi. Bien au contraire il invente, voire raconte quand ça lui ait arrivé, que quelqu’un lui a interdit l’onanisme et même l’a menacé s’il transgressait. Du coup il reporte la faute non seulement sur celui qui lui a interdit, mais sur la loi au nom de laquelle l’interdicteur l’a conduit à réprimer en lui sa pulsion, ou en tous cas à y renoncer.

17 La question qui se pose alors, du point de vue qui est mon souci en tant que clinicien, sera de savoir si nous refoulons ce qui est asocial, ce qui ne permet pas d’établir des liens entre les individus. Est-ce que nous le refoulons parce qu’une loi nous l’impose, parce qu’une loi nous avertit que nous serons réprimés si nous la transgressons, ou n’est-ce pas au contraire parce que nous refoulons que nous faisons surgir des figures de la loi, comme dans le procès de Kafka, qui sont là bien utiles pour être utilisées pour être les vecteurs de la répression ? Autrement dit, est-ce que c’est la loi qui m’interdit de céder à ma pulsion, ou est-ce que c’est parce que je sais moi-même que je dois m’imposer une loi, c’est-à-dire renoncer à satisfaire toutes mes pulsions, que je me fabrique des figures tutélaires ou pas, qui seront dites responsables de ma frustration consistant à ne plus satisfaire mon désir ?

18 Pour illustrer autrement, revenons au Jardin d’Éden. Rappelons-nous ce passage que les Maîtres avaient épinglé depuis longtemps, et on en trouve des commentaires notamment dans Rachi, à savoir que le serpent s’adressant à Ève lui dit : « Est-il vrai que Dieu vous a dit de ne pas manger du fruit de l’arbre ? » Et Ève acquiesce en précisant qu’ils ne devaient ni le manger, ni le toucher. Les Maîtres insistent pour remarquer que Dieu a juste dit qu’ils n’avaient pas le droit d’en manger mais n’a jamais parlé de toucher. Ève ajoute donc à la loi. Et certains commentateurs, dont Maïmonide par exemple, disent que si retrancher de la loi est une faute, ajouter à la loi en est une aussi. Donc celui qui ajoute à la loi est autant un hors-la-loi que celui qui retranche de la loi, même s’il le fait par souci de protéger la loi elle-même ou de se mettre à l’abri de l’éventuel désir de transgression. On voit bien comment Ève invente elle-même la loi à laquelle elle entend se soumettre, mais qui n’est pas la loi ; qui est, pour le dire en terme analytique, la loi de son surmoi. Son surmoi lui impose de jouir. C’est éminemment une affaire de jouissance dans cette histoire. Pourquoi est-ce une affaire de jouissance, à prendre au sens sexuel du mot ? Parce que dans l’histoire, la sanction qui va tomber sur Adam et Ève portera, non pas sur le fait qu’ils ont mangé du fruit interdit, mais sur le fait que tout d’un coup, ils s’aperçoivent qu’ils sont nus. « Où es-tu ? » demande l’Éternel. Nous pouvons avant tout nous poser la question de savoir pourquoi c’est cette question-là qui leur est posée. On n’imagine évidemment pas Dieu ne sachant pas où sont passés Adam et Ève. Pourquoi donc pose-t-Il cette question ? Parce qu’après la jouissance, la question est de savoir où est passé le sujet. C’est un fait qu’il est perdu. Mais il est perdu par excès de jouissance. Or si on le rapporte à la scène primitive de la Genèse, elle raconte qu’une première loi est tombée sur l’être humain : « Tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal ». Ils en mangent, et la sanction est qu’ils sont chassés du paradis, pour avoir à la fois satisfait leur besoin pulsionnel, une pulsion qui les a poussés à trahir ou à transgresser l’interdit, mais aussi pour avoir contrevenu à quelque chose qui excède la satisfaction de la pulsion et qui est la satisfaction d’un désir. D’où le fait qu’en hébreu, connaissance et coït sont le même mot. Ils sont donc passés de l’autre côté en ayant transgressé non pas pour avoir pris le lait du sein, mais pour la jouissance érotique qu’ils ont éprouvée à être au sein de l’arbre, si je puis dire.

19 Je terminerai sur ce point en soulignant que, puisqu’Adam et Ève savent, et le serpent le leur rappelle, qu’ils vont mourir s’ils mangent du fruit – imaginez un de vos enfants ou un adolescent qu’on a prévenu qu’en cas de transgression, il sera puni de manière redoutable – on peut en déduire très facilement que dans le rapport à la loi, ce qui s’insinue pour Adam et Ève, c’est un désir de mort. Ce désir de mort ne sera pas comblé puisqu’ils ne vont pas en mourir, mais il articule la loi et la pulsion qui vient du corps. Ce que Paul aura introduit dans l’affaire, c’est l’idée que la mort n’occupera plus la même place. Quelle place occupera-t-elle ?

20 Laissons la parole à Saul de Tarse : « Nous le savons, la Torah est souffle. Mais moi, je suis chair et vendu par la faute. Car ce que je fais, je ne le sais pas. Car je ne réalise pas ce que je veux, et ce que je hais, c’est ce que je fais. Mais si ce que je ne veux pas, je le fais, j’accepte que la Torah est bonne. Maintenant, ce n’est pas moi-même qui œuvre, mais la faute qui habite en moi ».

21 Pour conclure je dirais qu’il y a un rapport dialectique du désir et de la loi tel que Paul le formule. La mort va venir comme médiatrice par la figure du Christ mort sur la croix. C’est dans le rapport au Christ mort sur la croix que vont venir s’articuler le désir et la loi. D’où le fait que la lettre de la loi n’est plus nécessaire, puisqu’on a d’un côté le désir donc la pulsion que Paul condamne, et de l’autre côté, si on supprime la loi au sens de la Torah, au sens judaïque du mot, il reste l’incarnation du Christ mort par amour pour nous. On se retrouve dans une situation totalement inverse à celle connue jusque là, où tout d’un coup, c’est l’articulation de la mort à l’amour qui fait loi. Le désir dans le judaïsme s’incarne dans la loi. Là, il s’incarne dans un être de rédemption qui rachète nos fautes. Ça change complètement la donne parce que la mort n’est plus à la même place. Adam et Ève sont animés d’une certaine manière par un désir de mort. Mais c’est un désir de mort noué à leur désir sexuel. C’est inévitable mais l’incarnation ne les dispense pas d’un rapport à la lettre de la loi. Alors que la lecture paulinienne de l’aventure christique proposera la suppression de la lettre pour la remplacer par la figure du Christ mort sur la croix.

22 Si je pouvais ajouter un mot, je dirais que c’est une articulation d’un certain type clinique dont je n’hésiterais pas à dire que ça a le plus grand rapport avec le masochisme. Mais ça reste à développer.

23 Vous remarquerez que c’est dans l’après-coup qu’on peut dire qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de partir du Jardin d’Éden pour avoir des enfants et perpétrer la vie humaine. Ils ne peuvent pas faire autrement puisque c’est ce qu’ils ont fait. Mais c’est tout le rapport du désir et de la transgression. On pourrait ajouter à ça, mais lors d’un autre colloque, qu’il y a une espèce de ruse dans l’affaire. Pour faire image, c’est comme si vous aviez un enfant à qui vous disiez : « Il y a un pot de confiture de groseilles et un pot de marmelade en haut du placard. Je t’interdis de toucher à la groseille sinon je t’envoie en pension ». Mais vous ne dites pas un mot sur la marmelade. Évidemment, il ne va pas aller du côté de la marmelade. Il va aller du côté du pot de groseilles. Moyennant quoi vous avez protégé la marmelade avec votre interdit. C’est une ruse extrêmement astucieuse. La preuve dans le texte de la Genèse en est que lorsqu’ils sont chassés du paradis, ils ne le sont pas seulement parce qu’ils ont transgressé l’interdit mais pour qu’ils ne mangent pas du fruit dont personne ne leur avait dit qu’ils ne devaient pas en manger, qui est le fruit de l’arbre de vie. Cet interdit protégeait un autre interdit bien plus puissant qui était de manger du fruit de l’arbre de vie.

Notes

  • [1]
    Franz Kafka, Le Procès, Gallimard (1987).
  • [2]
    Schalom Ben-Chorin, Paul – Un regard juif sur L’apôtre Des Gentils, Desclée de Brouwer (1999), p. 71-72.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.169

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions