À l’instar d’Eric Hobsbawm, Jean Piel s’est engagé pendant quarante ans dans une histoire marxiste, totale, inspirée par l’École des Annales, et dans laquelle engagement politique et préoccupations intellectuelles sont pleinement associés. Ce type d’approche, qui au vingtième siècle a été particulièrement productif pour la connaissance de l’histoire des sociétés, a été finalement rare en Amérique latine, où d’autres disciplines comme la sociologie ou l’anthropologie ont eu souvent le premier rôle. Pourtant, le terrain de l’Amérique latine s’y prêtait largement. Car il pose des questions essentielles pour la pensée marxiste en général, auxquelles Jean Piel s’est confronté : y a-t-il une révolution paysanne ? Comment définir les rapports de force post-coloniaux entre sociétés indiennes et oligarchie ? Dans des régions indiennes qui ont été au cœur de l’État colonial hispanique – les Andes, les hauts plateaux du Guatemala – Jean Piel a questionné dans la longue durée ces dynamiques sociales, s’appuyant sur toutes les sources et disciplines qui permettaient de nourrir ses interrogations : anthropologie, archéologie, sociologie politique, géographie. En revenant ici sur son parcours scientifique, intellectuel, politique, il retrace un certain « court vingtième siècle » latino-américaniste.
CC-AM : Avant tout, peux-tu revenir sur tes origines, ta trajectoire et ce qui t’as amené à l‘histoire ?
Je viens d’une famille ni pauvre, ni riche. On vivait à quatre dans 32 m2 à la Garenne-Colombes, sans salle de bain, ni confort…