Couverture de OUTE_035

Article de revue

Géopolitique des réfugiés climatiques

Pages 91 à 97

Notes

  • [1]
    Doctorant à l’Université « Kore » d’Enna ; vice-directeur de WeST-Welfare, Society and Territory, membre du comité de rédaction d’Outre-Terre.
  • [2]
    Hans Magnus Enzensberger, La Grande Migrazione, Turin, Einaudi, 1993, p. 10-12.
  • [3]
    Cf. Catherine Witold de Wenden, La globalisation humaine, PUF, Paris, 2009, p. 206.
  • [4]
    Créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations unies pour l’environnement.
  • [5]
    Cf. Et Maurizio Gubbiotti, Tiziana Finelli, Elena Peruzzi, Profughi ambientali: Cambiamento climatico e migrazioni forzate, Legambiente Onlus, Rome, juin 2012, p. 10.
  • [6]
    Cf. Carolina Fritz, Climate Change and Migration: Sorting through Complex Issues without the Hype, Migration Policy Institute, 4 mars 2010.
  • [7]
    UK Government, Migration and global environmental change, The Government Office for Science, Londres, octobre 2011.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Cf. Carolina Fritz, Climate Change and Migration, op. cit.

1 S’il est vrai comme l’affirmait dans son chef-d’œuvre [2] Hans Magnus Enzensberger que chaque migration reste difficile à traiter indépendamment des causes qui l’ont provoquée, des objectifs qu’elle se fixe, du fait qu’elle soit spontanée ou contrainte, des dimensions qu’elle assume, l’histoire et surtout le quotidien des « réfugiés climatiques » en sont la preuve maîtresse. D’autant qu’il n’y a toujours pas d’accord unanime sur leur définition et leur statut juridique dans la communauté internationale. Si bien qu’on n’a pas non plus de certitude sur leur nombre actuel ni a fortiori quant aux chiffres pour l’avenir proche. Car les calculs portant sur cette catégorie particulière de migrants varient en fonction des organisations internationales qui s’en occupent. Selon le Norwegian Refugee Council (NRC), rien que pour 2010 ce sont au moins 42 millions de personnes au monde qui ont été forcées d’abandonner la mère patrie en raison de catastrophes environnementales résultant d’événements naturels imprévus. Pour le United Nations University Institute for Environment and Human Security (Bonn), le nombre de réfugiés climatiques atteindra par contre un quota de 50 millions en 2050. Alors que pour l’Organisation internationale pour les migrations, ce chiffre pourrait tourner en 2050 autour de 200/250 millions.

2 Il apparaît donc évident que nous sommes confrontés à un phénomène peu connu et pour parler par euphémisme peu discuté. À quoi est due semblable incertitude ? Qui sont réellement les réfugiés climatiques ? Et surtout, pourquoi n’y a-t-il pas en fait une législation internationale qui les protège ?

HISTOIRE

3 Les mouvements de populations liés aux changements climatiques ne sont pas une nouveauté. Dans l’histoire de l’humanité les personnes se sont toujours déplacées en raison de changements environnementaux qui rendaient difficile sinon impossible la survie dans l’espace natal. Si l’on se tourne vers le passé, on rencontre aisément « beaucoup de vagues migratoires liées à des crises écologiques, manque d’eau, sols moins riches, abandon de territoires suite à des catastrophes naturelles : maladie de la pomme de terre en Irlande et de la vigne en France et en Grèce – phylloxéra – au XIXe siècle, vague de poussière – le dust bowl – dans les États-Unis et le Canada des années 1930 qui poussent 500 000 fermiers vers l’Ouest » [3]. La nouveauté, c’est que l’impact de l’activité humaine sur l’environnement a pris au cours des décennies qui précèdent des proportions jamais enregistrées dans l’histoire de l’humanité. Comme le montre entre autres le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Intergovernmental Panel on Climate Change, IPPC) [4]. dans son rapport d’évaluation de 2007. Il en ressort que les températures moyennes dans l’Arctique ont augmenté pratiquement deux fois plus vite que les températures mondiales au cours des cent dernières années ; à partir de 1978, on a relevé une diminution constante de l’étendue annuelle moyenne des glaces dans l’océan Arctique ; depuis les années 1980, les températures à la surface du pergélisol se sont globalement accrues jusqu’à 3 % dans l’Arctique ; il est probable que la sécheresse a progressé à l’échelle du globe depuis les années 1970, les vagues de chaleur devenant plus fréquentes sur la majeure partie des terres émergées ; à partir de la même date environ s’observe une augmentation de l’activité cyclonique intense dans l’Atlantique Nord, conjuguée à une hausse des températures moyennes des océans à des profondeurs de 3 000 mètres.

4 Sur la base des ces observations, les auteurs du rapport du GIEC énoncent la thèse majeure : « Le réchauffement général observé de l’atmosphère et de l’océan ainsi que la perte de masse glaciaire confirment qu’il est extrêmement improbable que les changements climatiques planétaires des 50 dernières années puissent s’expliquer sans forçages externes » [5]. En somme, il faut tenir compte des activités humaines. Une réalité qui peut être perçue de façon plus immédiate en observant les figures 1 et 2 infra lesquelles apportent respectivement des synthèses des coûts économiques et en termes de vies humaines entraînés par les catastrophes environnementales dans le monde.

Figure 1

Coût annuel des catastrophes environnementales dans le monde : 1980-2011

figure im1

Coût annuel des catastrophes environnementales dans le monde : 1980-2011

International disaster database, Université Catholique de Louvain-Bruxelles, Belgique
Figure 2

Impact des catastrophes environnementales sur les populations : 2001-2011

figure im2

Impact des catastrophes environnementales sur les populations : 2001-2011

International disaster database, Université Catholique de Louvain- Bruxelles, Belgique

5 S’il est vrai que la communauté scientifique et politique commence à s’occuper sérieusement du rapport entre activités humaines et catastrophes naturelles, la première conférence sur le climat se tint en 1979 et décida de créer le World Climate Programme (programme climatologique mondial), rien d’étonnant à ce que l’expression de « réfugié climatique » ait fait alors son apparition. C’est plus précisément en 1970 que le spécialiste américain de l’environnement Lester Brown utilisa pour la première fois ce néologisme dans la revue Science. Mais il fallait attendre l’année 1985 pour que le terme acquière une plus grande visibilité à l’échelle mondiale. C’est le chercheur égyptien Essam El-Hinnawi, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, qui s’employa à en donner une définition plus précise mais qui n’est toujours pas unanimement admise : les réfugiés climatiques sont des personnes ou groupes de personnes qui, en raison de changements soudains ou progressifs de leur environnement affectant leur vie ou mode de vie, sont contraints de quitter leur lieu de résidence, ou choisissent de le faire, de façon temporaire ou permanente, et qui se déplacent dans leur propre pays ou à l’étranger.

6 El-Hinnawi distingue en l’occurrence trois grandes catégories de réfugiés cliamatiques : les personnes qui se déplacent temporairement en raison de catastrophes écologiques (naturelles ou provoquées par l’homme), mais qui dans une phase suivante ont l’opportunité de rentrer dans leur patrie ; les personnes contraintes d’abandonner définitivement et de façon permanente leur espace parce que victimes de très graves catastrophes écologiques (naturelles ou provoquées par l’homme) ; les personnes qui émigrent de façon temporaire ou définitive parce que leurs terres ont été rendues stériles par des catastrophes écologiques et ne suffisent donc plus comme moyens d’existence.

7 On peut soutenir 40 ans plus tard que les efforts de l’expert égyptien et d’autres sont restés lettre morte. Déjà (cf. supra) parce qu’il n’y a toujours pas de définition et de statut juridiques unanimement reconnus sur le plan international du réfugié climatique. Un aspect sur lequel il vaut la peine de s’arrêter. Malgré la dimension planétaire du problème, il n’existe encore pas de législation susceptible de protéger les migrants climatiques et leurs droits. Les victimes de changements climatiques, comme elles ne sont pas sujettes à la violence ou à l’oppression, ne répondent pas aux critères de la Convention de Genève de 1951. Il en résulte que cette catégorie particulière de migrants forcés n’est pas reconnue par le droit international. C’est en outre la raison pour laquelle ils ne peuvent pas non plus compter sur l’assistance des organisations internationales lesquelles n’ont pas de mandat officiel pour les protéger. En conséquence, après avoir abandonné leur mère patrie les réfugiés climatiques sont contraints de vivre dans des sortes de limbes juridiques.

8 À quoi est due semblable indifférence de la communauté internationale à l’égard des réfugiés climatiques ? Il y a deux raisons particulières.

9 La première est de nature purement objective. En fait : « Il n’y a pas de relation linéaire entre changement climatique et migration ; le lien est ici plus complexe, imprévisible et marqué par des facteurs d’ordre social, économique et politique plus larges qui forment l’interaction des sociétés avec leur environnement » [6]. En d’autres termes, à part les cas de catastrophes naturelles proprement avérées qui provoquent l’évacuation subite des populations concernées, il n’est pas simple de distinguer les facteurs environnementaux d’autres variables comme la pauvreté et la démographie quand on analyse les raisons des migrations internationales des populations. À l’occasion de Katrina, l’ouragan qui avait frappé la Nouvelle-Orléans, une moitié de la population allait abandonner définitivement la ville, mais l’autre moitié rentrer une fois surmontée l’urgence initiale.

10 La seconde raison est de pure opportunité. Beaucoup d’États et organisations internationales craignent de devoir investir des ressources économiques extrêmement considérables afin de protéger une nouvelle et de plus en nombreuse catégorie de réfugiés. Reconnaître éventuellement un statut aux réfugiés climatiques impliquerait nécessairement une envolée des coûts affectés à la protection, à l’assistance et à la réinstallation des personnes.

11 Et pourtant : nous ne pouvons plus fermer les yeux devant des urgences extrêmes comme ce qui s’est passé à Kutubdia (Chittagong) au Bangladesh ; au cours des trente dernières années, l’élévation du niveau de la mer a littéralement provoqué la disparition des deux tiers de la zone et l’émigration de milliers de personnes dans les zones urbaines.

12 Comment sortir de cette véritable impasse ?

SUGGESTIONS AUX DÉCIDEURS POLITIQUES

13 Il n’y pas de doute que la voie royale pour garantir aux réfugiés climatiques la protection dont ces derniers ne jouissent pas actuellement serait de modifier la Convention de Genève de 1951. Exactement comme on l’a fait avec le Protocole de 1967 qui abolit les limitations dans le temps et dans l’espace pour conférer le statut de réfugié. Entendons-nous : il ne s’agirait certes pas de concéder un statut de réfugié climatique tout court (en français dans le texte, ndlr), mais plutôt d’établir des critères sérieux et précis au bénéfice de ceux qui en ont réellement besoin. Une réforme qui apparaît aujourd’hui, pour souhaitable qu’elle soit, difficile à réaliser et c’est un euphémisme. Mais il n’est pas nécessaire pour autant de se résigner. On pourrait éventuellement, faute de réviser la Convention de Genève, emprunter deux voies alternatives étroitement liées entre elles.

14 La première consiste à ne plus diaboliser et à ne plus appréhender les flux migratoires liés aux changements climatiques comme une menace. En d’autres termes, et comme il ressort d’une des plus importantes études jamais réalisée sur le sujet et commanditée par le gouvernement britannique en 2011 avec la participation de plus de 350 experts de réputation internationale, Foresight : Migration and Global Environmental Change, on ne peut ignorer le fait suivant : « Dans certaines circonstances et cela vaut en particulier pour les pays à bas revenus, la migration peut être le moyen pour une collectivité de faire face à des changements environnementaux » [7]. Pour une simple raison : « Le déplacement d’individus ou de petits groupes, même à une échelle locale ou régionale, est susceptible d’accroître la résilience future de collectivités importantes, réduisant par là la menace à la fois de catastrophe humanitaire et de migration de masse potentiellement déstabilisatrice dans des conditions très risquées » [8]. Une théorie qui s’est déjà avérée concrètement dans le cas désormais bien connu de l’archipel de Tuvalu en Polynésie ; le gouvernement néo-zélandais a conclu avec les autorités locales un accord en vertu duquel la Nouvelle-Zélande accueillera tous les ans pendant 30 ans 75 citoyens de Tuvalu avec pour objectif non seulement de fournir une subsistance à ceux qui resteront par les transferts des expatriés, mais aussi d’exporter du know-how, des technologies et tous les outils susceptibles de permettre aux habitants de Tuvalu d’éviter des catastrophes environnementales éventuelles ou au moins de contenir et affronter ces dernières.

15 Nous voilà rendus à la seconde voie. Celle-ci devrait amener les nations plus développées à promouvoir des programmes de coopération/développement qui, pour être coûteux, se révéleront assurément moins onéreux que les investissements alloués à la prise en charge de véritables urgences humanitaires. Comme cela s’est avéré en Haïti. En quoi consisteraient dans le détail semblables programmes ? « Formation et prise de conscience, mesures techniques, diversification des options en matière de subsistance, gestion par la collectivité des ressources naturelles et réduction des risques de catastrophe naturelle » [9], autant de mesures qui ont fonctionné là où on les a mises en pratique. Ce qu’illustre l’exemple de Cuba. À la différence du reste de la Caraïbe et pour être chaque année exposée à des ouragans des plus violents, l’île a toujours enregistré un nombre de victimes moins élevé dans sa population que chez les voisins. Cela grâce à une activité de prévention, de mécanismes d’alerte efficaces et plus généralement à une préparation de la population et des autorités locales face à ce genre de phénomènes.


Date de mise en ligne : 11/07/2013

https://doi.org/10.3917/oute.035.0091

Notes

  • [1]
    Doctorant à l’Université « Kore » d’Enna ; vice-directeur de WeST-Welfare, Society and Territory, membre du comité de rédaction d’Outre-Terre.
  • [2]
    Hans Magnus Enzensberger, La Grande Migrazione, Turin, Einaudi, 1993, p. 10-12.
  • [3]
    Cf. Catherine Witold de Wenden, La globalisation humaine, PUF, Paris, 2009, p. 206.
  • [4]
    Créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations unies pour l’environnement.
  • [5]
    Cf. Et Maurizio Gubbiotti, Tiziana Finelli, Elena Peruzzi, Profughi ambientali: Cambiamento climatico e migrazioni forzate, Legambiente Onlus, Rome, juin 2012, p. 10.
  • [6]
    Cf. Carolina Fritz, Climate Change and Migration: Sorting through Complex Issues without the Hype, Migration Policy Institute, 4 mars 2010.
  • [7]
    UK Government, Migration and global environmental change, The Government Office for Science, Londres, octobre 2011.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Cf. Carolina Fritz, Climate Change and Migration, op. cit.

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