Notes
-
[1]
Professeur au Centre européen des Hautes Études Internationales et à l’American Graduate School, Paris
-
[2]
The International Herald Tribune, 24 janvier 2011.
-
[3]
Radiofarda.com (persan), 18 janvier 2011.
-
[4]
Woodrow Wilson International Center for Scholars Event Summary - Iran : The Year of Reckoning, Center for Strategic and International Studies, CSIS, 7 juin 2010, <www.csis.org/blog/woodrow-wilson-international-center-scholars-event-summary-iran-year-reckoning>.
-
[5]
Oil and Gas Journal, janvier 2010, <www.eia.doe.gov/cabs/Iran/Oil.html>.
-
[6]
« Press and eye-witness reports of events of June 21-23, 2009 », The Economist, 11 juillet 2009.
1 L'échec à Istanbul, en janvier, des dernières discussions à propos du nucléaire iranien, entre les représentants du groupe des P5+1 (les 5 membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne) et ceux de la République islamique, n’aurait dû être une surprise pour personne [2]. Un jour seulement avant la rencontre, Mahmoud Ahmadinejâd, le président iranien au franc-parler bien connu, avait déclaré que ni négociations ni sanctions ne pourraient en aucune manière freiner le programme nucléaire iranien et ses progrès : « Ces puissances arrogantes, malgré leurs milliers de résolutions, ne pourront arrêter la progression du programme nucléaire iranien » [3].
2 Ahmadinejâd n’est pas le seul à considérer les sanctions comme sans effets. Suzanne Malonney, chercheur à la Brookings Institution, semble partager cette opinion. Ne déclarait-elle pas le 4 juin 2010 dans le cadre d'une conférence organisée par le Woodrow Wilson International Center for Scholars sur la question iranienne : « Il est quasi impossible de trouver quiconque ici à Washington croyant que les sanctions feraient une quelconque différence » ? [4]. À cette occasion, l'ancienne collaboratrice des administrations Clinton et Bush ajoutait que le pouvoir iranien refusait depuis toujours les compromis obligés, avant d'ajouter que la République islamique avait dû faire face, tout au long de ses trois décennies d’existence à des pressions diplomatiques et économiques beaucoup plus fortes, surtout pendant la guerre Iran-Irak quand le prix du pétrole était tombé à son plus bas niveau. D’autres spécialistes, participant à la même conférence, ont précisé que de nouvelles sanctions se révéleraient contre-productives, surtout si elles s'accompagnaient de mesures supplémentaires américaines et européennes visant plus spécifiquement les secteurs financiers ou énergétiques, et renforceraient le poids des membres du gouvernement les plus intransigeants derrière lesquels les nationalistes allaient se ranger.
3 Pourtant : le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 1929, renforçant les sanctions internationales à l'égard du régime islamique et de son programme nucléaire et balistique. Adopté à 12 voix – y compris, fait rare, tous les membres permanents du Conseil – contre 2 (Brésil, Turquie) et une abstention (Liban), ce quatrième train de sanctions internationales restreignait non seulement les opérations bancaires du régime iranien en déclarant persona non grata des personnes morales et physiques liées aux activités clandestines du régime, mais il autorisait également les pays membres à arraisonner les navires marchands battant sous pavillon iranien. Alors que le Président Obama qualifiait ces sanctions comme « les plus dures jamais encourues par le gouvernement iranien », d’autres ne partagent pas cet avis. En effet, un projet de résolution avait été discuté au mois de mars par lequel Washington exigeait que l'on interdise à l’Iran non seulement tout accès aux services bancaires et aux marchés financiers internationaux, mais aussi les espaces aérien et maritime. Ces dispositions furent allégées à l’instigation de la Russie et de la Chine lors des discussions. Le plus inquiétant résidait cependant dans le fait que les sanctions adoptées, même allégées, n'allaient pas obliger Téhéran à évoluer. Elles ont eu, certes, des conséquences sur l’économie iranienne, mais le régime ne s'en est pas trouvé forcé pour autant de modifier sa politique ou d'en changer. Les mollahs et leurs Gardiens de la révolution ont au contraire décidé de riposter et entrepris de limiter au maximum les effets des sanctions sans évoluer en rien. Aucune des sanctions adoptées par les Nations unies n’a le pouvoir d’obliger le régime en place à Téhéran à changer de stratégie. De fait, les sanctions onusiennes contre le régime islamique sont systématiquement délayées et par là rendues inefficaces par la Russie et la Chine avant même d’être votées, ces deux pays étant par ailleurs fermement opposés à toute sanction hors Nations unies.
4 Une autre solution, qui n'est pas encore vraiment envisagée, consisterait à s'en prendre aux exportations de pétrole iranien, donc au seul secteur permettant de mesurer réellement l'efficacité de semblables mesures. Mais l'arme est à double tranchant. D'un côté, c’est à l'évidence le point faible de l'Iran, du fait de sa dépendance des revenus pétroliers. Si l’Iran venait à ne plus pouvoir exporter son pétrole, c'est la survie du régime qui serait en question. Cependant, la mesure entraînerait d'importantes perturbations du marché mondial de l'énergie. Même si l’Iran n’exporte pas deux millions de barils par jour, un volume qui pourrait être facilement remplacé par des excédents saoudiens, l'impact psychologique d’une telle mesure sur les marchés internationaux est difficile à prévoir et le cas échéant à réduire [5]. Le fait même que cette solution n’ait jamais été sérieusement envisagée jusqu'à présent prouve bien qu’elle n'est pas, de l'aveu même des décideurs internationaux, du domaine du possible.
VERS OÙ ALLONS-NOUS ?
5 L'actuel jeu du chat et de la souris devra inévitablement cesser, nous laissant face à deux alternatives. Ou bien l’Iran poursuit coûte que coûte la mise en œuvre de son programme nucléaire et arrive éventuellement à se constituer un arsenal nucléaire et la force de frappe correspondante ; ou bien Israël et les États-Unis succomberont à la tentation d’utiliser la force militaire avec toutes les conséquences dramatiques qui en découleront. Comme aucune de ces solutions ne semble acceptable, raisonnable, non plus que tolérable, il faut essayer d’en trouver une autre susceptible de faire évoluer les données et de conduire à un changement d'acteurs. Le peuple iranien qui subit les sanctions et paie ici le prix fort, ce qui serait a fortiori le cas s'il y avait attaque militaire, n’a jamais eu voix au chapitre en matière de programme nucléaire. Il n’a jamais été en mesure d'obliger le gouvernement à changer de politique à ce sujet. Après les événements de juin 2009 et la manière brutale avec laquelle ses revendications légitimes ont été réprimées, il n'est nul besoin de sondages pour prouver l'impopularité d'un régime qui ne se maintient au pouvoir que par la force et la brutalité. On se demande dès lors pourquoi ce facteur indéniable n’a pas été intégré dans l’équation de la démarche face à ce régime [6]. Si les principaux gouvernements exerçaient contre le régime islamique des pressions internationales concertées et ciblées à partir des violations évidentes et répétées des droits de l’homme à l'Assemblée générale des Nations unies et dans le cadre d’autres organisations internationales, ce régime prendrait le même chemin que celui de l’apartheid en Afrique du Sud. Une cause des droits de l’homme qui aurait un bien meilleur écho en Iran et dans l’opinion internationale que le débat martelé sur le programme nucléaire du régime. À l'Est aussi, ce fut la cause des droits de l'homme qui joua un rôle primordial dans la chute du bloc soviétique. En effet, ce qui donna le coup de grâce au communisme, ce fut l’importance accordée à l'observation des accords d’Helsinki. L'Iran est signataire de plusieurs engagements onusiens en matière de droits de l’homme. La preuve de ses manquements à ses engagements, si elle était apportée devant des tribunaux internationaux, jetterait l’opprobre sur ce régime brutal et inhumain et conforterait moralement des millions d’Iraniens en manque de solidarité internationale. A la lumière des événements des ces dernières années, la seule alternative pour l'Iran est un changement de régime. Mais un tel changement ne sera apporté ni par une campagne militaire ni par l'action clandestine. Ce qu’il faut, c’est l'appui officiel et public à la lutte du peuple iranien et à ses aspirations légitimes. Ce qui peut résulter d'actions internationales concertées, identiques à celles qui furent menées contre l’Afrique du Sud de l'apartheid, expulsion des organisations et des manifestations internationales incluse. Semblable politique affaiblirait le régime et accélérerait sa chute à l'instar de ce qui s'est passé récemment en Tunisie. Une action réelle et concertée sur la scène internationale en accord avec la résistance à l’intérieur même du pays affaiblira le régime et le poussera à se rendre. Le peuple iranien, une fois débarrassé de ce régime terroriste monstrueux, le remplacera par un régime légitime de son choix dont la politique étrangère ne sera plus dictée par une quelconque idéologie ou par une doctrine religieuse irrationnelle mais par ses intérêts nationaux. Un gouvernement démocratiquement élu en Iran s’efforcera d’améliorer le bien-être de la nation. L’Iran reprendra pour finir la place qui lui revient dans la communauté internationale, contribuant ainsi à la stabilité et à l’harmonie entre les pays de la région.
Notes
-
[1]
Professeur au Centre européen des Hautes Études Internationales et à l’American Graduate School, Paris
-
[2]
The International Herald Tribune, 24 janvier 2011.
-
[3]
Radiofarda.com (persan), 18 janvier 2011.
-
[4]
Woodrow Wilson International Center for Scholars Event Summary - Iran : The Year of Reckoning, Center for Strategic and International Studies, CSIS, 7 juin 2010, <www.csis.org/blog/woodrow-wilson-international-center-scholars-event-summary-iran-year-reckoning>.
-
[5]
Oil and Gas Journal, janvier 2010, <www.eia.doe.gov/cabs/Iran/Oil.html>.
-
[6]
« Press and eye-witness reports of events of June 21-23, 2009 », The Economist, 11 juillet 2009.