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Article de revue

Colombie : le lourd héritage des FARC pèsera longtemps

Pages 471 à 473

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, www. population-demographie. org.
  • [2]
    Tous ceux qui attachent une grande valeur à l’honnêteté auront apprécié l’autocritique de Robert Ménard, président de Reporters Sans Frontières, le mercredi 2 juillet 2008 au soir, reconnaissant qu’il avait mal jugé le président Uribe.
  • [3]
    Il est à noter que toutes les cartes publiées en France depuis deux ans à propos des zones soi-disant contrôlées par les FARC sont fausses, y compris celle publiée dans Le Monde du 4 juillet 2008 qui leur attribue des régions reconquises par le gouvernement colombien.

1Un post-scriptum de Gérard-François Dumont à son article « Une découverte en Amérique latine : le modèle colombien de développement et de lutte contre la violence », Outre-Terre, revue française de géopolitique, n° 18,2008, p. 351-354.

2Le présent continue toujours d’avoir à soigner les cicatrices de l’histoire. Certes, comme on peut l’espérer selon le processus enclenché ces dernières années sous l’autorité du président Alvaro Uribe  [2], la guérilla marxiste des FARC pourrait cesser progressivement de nuire à la sécurité de la Colombie, mais aussi de la région andine. Mais les conséquences de son action vont continuer à peser longtemps sur la Colombie. En effet, ce sont les civils qui ont payé le plus lourd tribut, directement par des assassinats, ou indirectement, de la violence des FARC. Depuis des années, de nombreux Colombiens, subissant cette violence des FARC, mais aussi celle des groupes paramilitaires, dont l’existence tient en partie aux FARC, ont fui la terreur régnant dans leur région pour aller s’entasser là où ils trouvaient au moins une certaine sécurité physique, à la porte ou à proximité des grandes villes.

3Le nombre de ces personnes « déplacées » dans leur propre pays depuis 1995 est évalué à près de 2 millions par le gouvernement colombien. La Conférence Épiscopale de Colombie (CEC) et l’organisation non gouvernementale COD-HES (Consultoria para los Derechos Humanos y el Desplazamiento – Bureau de consultation pour les droits humains et le déplacement), dans un rapport intitulé « Défis pour construire une nation. Le pays face au déplacement, au conflit armé et à la crise humanitaire 1995-2005 », chiffre à environ 3 millions ces Colombiens réfugiés dans leur propre pays.

4Malgré les progrès économiques de la Colombie, ces « déplacés » nourrissent la pauvreté en bordure des grandes villes, là où ils se sont installés dans des conditions inévitablement précaires. Ces « déplacés » relèvent d’un double défi. D’une part, il convient de les sortir de la pauvreté ; d’autre part, l’espoir d’une paix revenue dans leur région d’origine suppose d’organiser leur retour. Des initiatives ont déjà commencé dans ce sens avec des résultats variables. Certains anciens bidonvilles situés dans le pourtour limitrophe des grandes villes colombiennes témoignent d’une véritable intégration avec une amélioration progressive des conditions de vie, des logements, des infrastructures, de l’urbanisme, des réseaux urbains, grâce à l’action de l’État, des provinces, des municipalités, des nombreuses associations de la société civile, des « déplacés » eux-mêmes se mobilisant avec courage… Mais l’entreprise reste gigantesque en raison même du nombre très élevé de « déplacés » parfois mal accueillis. Nos hommes politiques français qui ont eu tant de joie, le 3 juillet 2008, à se faire filmer ou photographier devant des photos d’Ingrid Betancourt, sont-ils prêts à faire quelque chose pour les « déplacés » colombiens ? D’autant que d’autres « déplacés », surtout lorsqu’ils se retrouvent installés dans des bidonvilles situés assez loin du centre des grandes villes, sans possibilité de transports vers les zones d’emploi, restent confrontés à des situations d’extrême pauvreté.

5Pour ce qui est du retour des « déplacés » dans leur région d’origine, il est directement lié à la restauration de la sécurité, soit la condition du développement des régions concernées. Déjà, une partie du territoire colombien, auparavant sous le contrôle militaire des FARC  [3], a été libérée de leur violente présence, rendant possible la réinstallation de populations et la création d’entreprises. On connaît l’histoire de ce forain qui a retrouvé la possibilité et le goût de vivre depuis qu’il peut aller installer son manège ambulant dans des territoires libérés et pacifiés par le gouvernement.

6La victoire de la libération d’Ingrid Betancourt est historique. Après, on l’oublie souvent, des années de préparation et des actions militaires antérieures qui ont permis l’opération de libération, l’armée a pu la réussir dans un temps très court. Mettre en œuvre tous les moyens permettant de lutter contre les conséquences néfastes de la longue guérilla des FARC prendra beaucoup plus de temps.

Post-scriptum au post-scriptum : une autre victoire de la Colombie sur le Venezuela

7À priori, dans la lutte contre la pauvreté, le Venezuela, riche de son pétrole, a et avait toutes les chances de battre la Colombie, elle-même minée par plusieurs conflits civils, comme celui des FARC, qui obèrent la sécurité propice au développement.

8Or, les dernières statistiques de la FAO, Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, livre une histoire économique récente qui se résume dans le tableau suivant :

L’évolution de la sous-alimentation en Colombie et au Venezuela

tableau im1
L’évolution de la sous-alimentation en Colombie et au Venezuela es Nombre de personnes sous- Proportion des personns alimentées (en millions) sous-alimentées danla population totale 1990-1992 2001-2003 1990-1992 2001-2003 Colombie 6,1 5,9 17 % 14 % Venezuela 2,3 4,5 11 % 18 %

L’évolution de la sous-alimentation en Colombie et au Venezuela

9 Donc, du début des années 1990 à celui des années 2000, le nombre des personnes sous-alimentées a presque doublé dans le « riche » Venezuela alors que la Colombie est parvenue à le faire légèrement diminuer, malgré les facteurs d’instabilité qu’elle subit.

10En pourcentage de personnes sous-alimentées dans la population totale de chaque pays, la divergence d’évolution est encore plus incontestable. Au début des années 1990, ce pourcentage est nettement plus élevé en Colombie qu’au Venezuela. Dix ans après, les proportions se sont presque inversées avec un pourcentage plus élevé au Venezuela.

11Ainsi l’histoire économique récente, mesurée par ce double indicateur, don-ne-t-elle à réfléchir sur la qualité respective des politiques de développement conduites dans ces deux pays.

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, www. population-demographie. org.
  • [2]
    Tous ceux qui attachent une grande valeur à l’honnêteté auront apprécié l’autocritique de Robert Ménard, président de Reporters Sans Frontières, le mercredi 2 juillet 2008 au soir, reconnaissant qu’il avait mal jugé le président Uribe.
  • [3]
    Il est à noter que toutes les cartes publiées en France depuis deux ans à propos des zones soi-disant contrôlées par les FARC sont fausses, y compris celle publiée dans Le Monde du 4 juillet 2008 qui leur attribue des régions reconquises par le gouvernement colombien.
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