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Article de revue

Bénin : le service minimum !

Pages 363 à 367

Notes

  • [1]
    Journaliste, prépare actuellement une thèse en sciences de l’information et de la communication ; EA (4147) – Université de Lyon.
  • [2]
    À ce jour, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (l’équivalent du CSA en France) a recensé 40 quotidiens, 71 radios et 5 télévisions majoritairement concentrés dans les grands centres urbains.
  • [3]
    Philippe Hado, L’Autre Quotidien, 1er mars 2007.
  • [4]
    Philippe Hado, L’Autre Quotidien, 4 septembre 2006.

1L’expérience démocratique que vit la république du Bénin depuis l’historique conférence des forces de la nation en février 1990 s’est accompagnée d’un développement spectaculaire de l’environnement médiatique  [2]. Mais qu’il s’agisse de la presse écrite, de la radio ou de la télévision, le traitement de l’actualité demeure largement dominé par des nouvelles ayant trait au quotidien des Béninois. C’est le fameux principe de « mort-kilomètre » ou loi de la proximité géographique qui postule que ce qui touche de près l’être humain l’intéresse plus que ce qui se passe loin de lui. Cruelle réalité. Au Bénin, le traitement médiatique de l’actualité suit un schéma presque immuable ne variant que très peu d’un organe de presse à un autre : du local à l’international en passant par le national, le régional puis le continental. Encore que, en dehors de l’échelon national, les journalistes béninois, faute de moyens et d’envoyés spéciaux sur le terrain, se contentent dans le meilleur des cas de reprendre in extenso les dépêches d’agences ou les reportages « prêts à diffuser » qu’ils reçoivent dans le cadre du partenariat CFI/AITV et les télévisions africaines. Cette dépendance informationnelle ne date pas d’hier et les timides tentatives amorcées depuis le Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication (NOMIC) soutenu, à l’époque, par l’UNESCO n’ont pas changé grand-chose.

2Du coup, la crise du Darfour et les précédents conflits soudanais n’ont pas eu les « faveurs » de la presse béninoise. Certes, les journalistes béninois auraient pu manifester plus d’intérêt à couvrir médiatiquement cette actualité si les forces armées béninoises avaient été engagées dans le cadre de l’Union africaine. Ce qui ne fut pas le cas. Donc : en dehors des dépêches, un seul journaliste a consacré quelques éditoriaux à la crise soudanaise. Il s’agit de Philippe Hado. Cet ex-responsable de la page « International » de L’Autre Quotidien a accepté de répondre à nos questions ; nous avons choisi de reproduire avec son aimable autorisation deux de ses éditoriaux déjà parus.

Trois questions à…
Philippe HADO, ancien éditorialiste à « L’Autre Quotidien »
Combien d’éditoriaux avez-vous consacré à la crise soudanaise dans L’Autre Quotidien ?
Je ne saurais avancer de chiffres précis. Mais je pense avoir écrit une dizaine d’éditoriaux au fil des rebondissements de l’actualité sur le Darfour. C’est à la fois peu et beaucoup puisque la tradition ici au Bénin est de reproduire des dépêches d’agence sans les accompagner de commentaires. À l’époque, « L’Autre Quotidien » était la seule publication à consacrer une colonne de commentaire à un fait majeur de l’actualité internationale et ce commentaire paraissait un jour sur deux. Cette rupture par rapport aux habitudes de la presse béninoise n’a duré que quelques années. Elle n’a malheureusement pas survécu à mon départ de L’Autre Quotidien en août 2007.
Quant à la crise du Darfour, il m’a paru urgent de montrer l’extrême gravité de la situation des droits de l’homme avec l’interférence des janjawid épaulés par le pouvoir central avec tous les abus qu’on pouvait craindre : les viols, les meurtres, les persécutions, les déplacements massifs des populations...
Je me souviens avoir également, et cela à plusieurs reprises, traité des diverses tentatives de règlement de la crise, des tentatives parrainées par l’Union africaine.
La qualification par certains de génocide vous paraît-elle excessive ?
On pouvait a priori imaginer que l’Occident chrétien avait tout intérêt à dénoncer les crimes et les abus de toutes sortes qui se sont développés à la faveur de cette guerre en tant que propagande internationale contre le pouvoir central et ses soutiens qui, tous ou presque, se revendiquent de l’Islam. Mais les images relayées par les chaînes de télévision ainsi que les déclarations et prises de position des instances internationales, à commencer par l’Union africaine, loin de contredire les points de vue avancés par les Occidentaux, n’ont fait que confirmer l’ampleur des crimes.
Quelle est la position officielle du Bénin sur cette crise ? A-t-elle influé sur vos analyses ?
Les autorités béninoises, à ma connaissance, se sont fendues d’un ou de deux communiqués appelant au règlement de la crise. Des positions qui ne peuvent évidemment pas peser sur une appréciation de la situation au Darfour. Toutefois, au-delà du Bénin, la crise du Darfour a révélé les limites de l’Union africaine ainsi que les difficultés à concilier les points de vue de l’Afrique subsaharienne et du monde arabe au sein de l’institution panafricaine. Les clivages ne peuvent que s’accentuer avec une crise qui déborde sur le Tchad voisin et des relents quelque peu racistes.
Propos recueillis par Henri ASSOGBA

« Darfour : les limites de la fin de l’impunité »  [3]

3« Cela fait longtemps maintenant que l’épée de Damoclès planait. Elle n’est pas encore tombée mais vient de s’immobiliser sur deux têtes. Pas des moindres : deux ministres du gouvernement soudanais sont suspectés de crimes de guerre au Darfour. Ahmad Muhammad Har?n, ancien Ministre délégué chargé de l’Intérieur, et ‘Ali Kushayb, dirigeant des milices janjawid (cavaliers arabes et alliés du gouvernement), auraient commis de concert des crimes contre la population civile de l’ouest du Soudan. C’est ce que révèle Luis Moreno-Ocampo, procureur près la Cour Pénale Internationale (CPI) qui a présenté, ce mardi 27 février 2007, des éléments de preuve qui indiquent que les mis en cause ont agi en poursuivant l’objectif commun de mener des attaques contre les populations civiles. Recueillis au cours des 20 derniers mois, ces éléments montrent qu’Ahmad Harun et Ali Kushayb portent la responsabilité pénale en ce qui concerne 51 chefs d’accusations de crimes présumés contre l’humanité et de crimes de guerre en 2003 et 2004.

4‘Ali Kushayb aurait incité les milices janjawid à persécuter les populations civiles au travers de « viols en masse et autres abus sexuels, de meurtres, de tortures, d’actes inhumains, de pillages et de mises à sac de résidences et de places de marché, de déplacement de la communauté sur place ainsi que d’autres actes criminels présumés ». Ahmad Har?n, lui aussi, serait dans le même esprit criminel comme en témoigne l’un de ces discours dans lequel il a déclaré publiquement : « puisque les enfants des Four étaient devenus des rebelles, tous les Four et tout ce qu’ils possédaient étaient devenus des prises de guerre des janjawid ».

5Pour réunir les preuves, l’équipe de Luis Moreno-Ocampo a effectué plus de 70 missions dans 17 pays, a étudié les cas de centaines de victimes potentielles et a réalisé une centaine d’entretiens avec des témoins. Les juges de la CPI vont examiner ces preuves une à une ; l’opération va prendre des mois entiers. Pendant ce temps, le Soudan organise sa défense et avance deux arguments qui mettent en péril la poursuite du processus.

6Premièrement, le gouvernement soudanais a immédiatement récusé la compétence de la CPI et exclut d’extrader l’ancien secrétaire d’État à l’Intérieur Ahmad Har?n actuellement secrétaire d’État aux Affaires humanitaires. « Toutes les preuves présentées par les procureurs sont des mensonges qui leur ont été racontés par des individus qui ont pris les armes contre le gouvernement, pris les armes contre les citoyens et tué des citoyens innocents au Darfour », a déclaré le ministre de la Justice Mohamed ‘Al? al Mardi.

7Deuxième limite du travail de la CPI : Khartoum a incarcéré depuis novembre 2006 l’un des mis en cause, ‘Al? Kushayb, soupçonné d’avoir enfreint le droit soudanais. Or, la CPI ne peut intenter des procédures que si l’État concerné n’a pas voulu ou n’a pas été capable de mener à bien des poursuites. Khartoum estime qu’il a mené sa propre enquête sur les violences commises au Darfour, et que plusieurs personnes, dont des militaires et des membres des forces paramilitaires, pourraient être poursuivies par la justice soudanaise. Un argument que ne récusent par les procureurs de la CPI qui affirment cependant que leur requête reste recevable car elle porte sur un plus grand nombre d’accusations.

8La guéguerre judiciaire vient ainsi d’être lancée, et les questions de procédure risquent bien de noyer la vérité sur ce conflit qui a fait environ 200 000 morts et 2,5 millions de réfugiés. Mais au-delà de tout, l’intérêt de cette action de la Cour est, comme le rappelle Moreno-Ocampo, d’avoir envoyé un message clair : « ceux qui commettent des atrocités ne peuvent pas le faire dans l’impunité ». Le monde entier veille au grain et plus aucun grand ou puissant n’est à l’abri pour ses forfaitures.

Darfour : la résistance soudanaise  [4]

9« Khartoum a toujours été farouchement opposé à l’intervention étrangère au Darfour. Pour les autorités de ce pays, une telle intervention serait synonyme de bourbier comparable à celui de l’Irak, susceptible d’inciter les mouvements islamistes à faire du Soudan un ring ‘jihadiste ». Après la signature de l’accord du 5 mai 2006, le gouvernement soudanais a mis de l’eau dans son vin : il n’excluait plus l’éventualité d’un déploiement des casques bleus mais souhaitait que les promoteurs de l’initiative obtinssent d’abord son accord.

10Aujourd’hui, la donne a complètement changé avec l’adoption de la résolution 1706 par le Conseil de sécurité le jeudi 31 août 2006. Une résolution qui « prévoit de faire passer les effectifs de la Mission de l’ONU au Soudan (MINUS ) de 12 273 casques bleus (jusque là déployés au Sud-Soudan) à 17 300 soldats et 3 300 policiers, pour relayer la mission de l’Union africaine au Darfour.

11Cette résolution a été aussitôt rejetée par le Soudan qui la juge « totalement inacceptable » parce que susceptible d’« inciter à la sédition ». Le Soudan ne se contente pas de rejeter la résolution, il s’apprête à la combattre sur le terrain. « Nous avons des options et des plans pour faire face à l’intervention étrangère », a déclaré le vice-président soudanais ‘Al? Osman Taha, précisant que « la bataille avec la communauté internationale requiert de la patience et de strictes précautions ». Depuis hier, Khartoum est sérieusement passé à l’acte en renforçant l’offensive lancée il y a une semaine au Nord-Darfour. De jour comme de nuit, cette région est le théâtre de raids de bombardements larvés. L’objectif officiel de cette offensive : déloger les guérilleros du Front de rédemption nationale du nord d’El-Fasher, capitale provinciale du Darfour. Selon la rébellion, l’offensive soutenue par des milliers de soldats gouvernementaux a fait de nombreuses victimes civiles. Khartoum est-il en train de dépêcher 10 000 de ses propres hommes au Darfour comme il l’a proposé en lieu et place d’un déploiement de Casques bleus ? En tout cas, les autorités soudanaises sont décidées à faire échec à l’intervention étrangère. À ce sujet, elles multiplient les sous-entendus, parlant par exemple de possible confrontation entre l’armée soudanaise et les forces de l’ONU. L’allusion est encore plus parlante, à écouter M. Taha disant : « Nous avons vu ce que le Hezbollah [libanais] a fait dans les rangs de l’armée de l’ennemi sioniste [Israël] grâce à la détermination, la patience et la volonté politique que le parti [le Hezbollah] affiche ». Ce qui exaspère fondamentalement Khartoum, c’est de n’avoir pas été consulté sur la résolution 1706. Aurait-elle dû l’être ? Pour la communauté internationale, c’est juste une question d’élégance. La résolution invite à obtenir l’accord du Soudan mais selon la secrétaire d’État adjointe aux organisations internationales, Kristen Silverberg, le texte n’exige pas un accord préalable. Si de telles dispositions sont fréquemment appliquées avec l’accord du gouvernement concerné, elles ne nécessitent pas l’accord ni la coopération du gouvernement concerné, explique-t-elle.

12Dans le camp des rebelles, la résolution favorablement accueillie est « une planche de salut pour les déplacés et les immigrés du Darfour ». « Ceux qui rejettent la résolution expriment leurs intérêts personnels et sont loin (de défendre) les intérêts du peuple du Darfour », a déclaré Mahj?b Hussein, porte-parole de la faction du mouvement de libération du Soudan.

13La région du Darfour qui connaît une crise humanitaire sans précédent mérite enfin la paix. Face à l’incurie des 7 000 hommes de la mission d’interposition de l’Union africaine mal équipée, il est grand temps que de nouvelles forces interviennent. Au-delà des bavures et autres dommages collatéraux de ce genre d’opérations, cela aura toutefois le mérite de faire briller l’attention de la communauté internationale sur cette région si oubliée et à l’atrocité facile.

Notes

  • [1]
    Journaliste, prépare actuellement une thèse en sciences de l’information et de la communication ; EA (4147) – Université de Lyon.
  • [2]
    À ce jour, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (l’équivalent du CSA en France) a recensé 40 quotidiens, 71 radios et 5 télévisions majoritairement concentrés dans les grands centres urbains.
  • [3]
    Philippe Hado, L’Autre Quotidien, 1er mars 2007.
  • [4]
    Philippe Hado, L’Autre Quotidien, 4 septembre 2006.
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