Notes
-
[1]
Anthropologue, associé au Cemaf, ancien responsable de l’antenne du Cedej à Khartoum (1998-2002), membre de la mission internationale sur l’esclavage au Soudan (2002).
-
[2]
R.C. Stevenson, The Nuba People of Kordofan Province, Graduate College Publications, University of Khartoum, 1984.
-
[3]
Cf. S. F. Nadel, The Nuba, An Anthropological Study of the Hill Tribes in Kordofan, Oxford University Press, 1947.
-
[4]
Ahmed Uthman Muhammad Ibrahim, The Dilemma of British Rule in the Nuba Mountains 1898-1947, Graduate College Publications, University of Khartoum, 1985.
-
[5]
Omar Abdelgabar, Mechanised Farming and Nuba Peasants, Spektrum 48, Hamburg, 1997
-
[6]
Gerd Baumann, National Integration and Local Integrity, The Miri of the Nuba Mountains in the Sudan, Clarendon Press, Oxford, 1987.
-
[7]
African Rights, Facing Genocide : The Nuba of Sudan, 1995 ; Justice in the Nuba Moun-African Rights, Facing Genocide : The Nuba of Sudan, 1995 ; Justice in the Nuba Mountains… 1995-1997 ; A Desolate « Peace », Human Rights in the Nuba Mountains, 1997.
-
[8]
Delmet Christian, « The Native Administration System in Eastern Sudan : From its Liqui-Delmet Christian, « The Native Administration System in Eastern Sudan : From its Liquidation to its Revival », in Catherine Miller (éd.) Land, Ethnicity and political Legitimacy in Eastern Sudan, Cedej/DSRC, 2005, p. 145-171.
1La population nouba est estimée à 1,1 million selon le recensement de 1993, à 2 millions (dont les deux tiers dans les collines et un tiers en migration) selon certaines organisations proches de l’ancienne rébellion, le SPLM/A (Sudan People’s Liberation Movement/Army) en ayant pour sa part recensé plus de 300 000 dans les seuls territoires sous son contrôle en 1992. Le terme Nouba a été créé par les Britanniques pour désigner des populations diverses n’ayant le plus souvent en commun que le fait d’occuper cette région de collines du Nord-Soudan, où elles furent poussées par diverses invasions. Si les langues parlées par les tribus nyimang, dilling… sont proches du Nubien, la plupart des autres sont totalement différentes et peuvent être classées en trois groupes :
- Masakin : Talodi, Masakin, Eliri…
- Koalib/Moro : Heiban, Otoro, Tira, Kau, Fungor…
- Kadugli : Korongo, Miri, Tulushi… [2]
2Des contacts anciens (XVIIe siècle) avec les musulmans, et plus récents avec les chrétiens est sortie une carte religieuse complexe d’où les cultes traditionnels n’ont pas complètement disparu. Les chrétiens sont majoritaires à Moro, Heiban, Tulushi, Koalib, Tira, Katcha, Nyimang… les musulmans à Miri, Kadugli, Tegali, Ghulfan, Debri, Talodi…
3Toutes les formes d’organisation sociale (filiation, résidence, mariage) sont présentes dans cet ensemble disparate [3] que l’histoire a néanmoins doté d’une identité collective par opposition aux populations arabes environnantes et en résistance aux politiques de Khartoum.
4Les Nouba fournirent très tôt de la main d’œuvre servile aux cités et États de la vallée du Nil. En 1926 les Britanniques déclarèrent Closed District une région qu’ils ouvrirent aux missions chrétiennes [4].
5La Province des Monts Nouba créée en 1910 fut supprimée en 1928 pour satisfaire les Arabes baqq?ra (installés depuis la fin du XIXe siècle) et les commerçants (jall?ba) inquiets pour leur suprématie politique et économique en cas d’émergence d’un pouvoir nouba réel. Après l’indépendance les leaders des organisations syndicales et politiques nouba furent régulièrement soupçonnés de menacer la sécurité nationale. En 1969 les militants du Nuba Mountains General Union et d’autres partis locaux furent accusés de vouloir renverser Nimeiri et incarcérés. Ce fut le début d’une persécution qui s’exerça presque sans discontinuer jusqu’aux accords de cessez-le-feu en janvier 2002.
6La question foncière constitua l’essentiel du différend, avant même la loi de 1971 qui déclara domaniales (et cessibles par l’État central) toutes les terres non enregistrées. Les commerçants « arabes » s’accaparèrent les terres des plaines fertiles. Dès le milieu des années 1960, les Nouba s’insurgèrent contre cette spoliation accélérée par le développement de l’agriculture mécanisée au profit d’étrangers devenus, dès 1984, « propriétaires » de la quasi-totalité des meilleures terres [5].
7La question culturelle et religieuse constitua l’autre volet du contentieux. En 1972 fut lancée une campagne d’interdiction des pratiques locales : élevage du porc et tenue vestimentaire (nudité), combats rituels [6]. Il fut interdit de parler nouba dans les écoles.
8La discrimination socio-politique et économique devint la règle : chrétiens et animistes furent assez peu considérés, voire « incités » à changer de culture et de religion. Au début des années 1980, émergèrent de nombreuses organisations lycéennes, universitaires, syndicales, pour la défense des droits sociaux et culturels des Nouba, entraînant en réaction un mouvement pour la promotion des valeurs et droits des Arabes soutenu par le parti baath (pro-arabe, laïque) chez les Baqq?ra .
9Le code pénal de 1983 fut bien entendu appliqué chez les Nouba. Celui de 1991 – dont le Sud fut en partie exempté – y fut également imposé.
10En 1983, la reprise de la guerre au Sud ferma les routes habituelles de transhumance des nomades baqq?ra qui se dirigèrent vers le sud-ouest, évitant les fermes des « colons » et investissant celles des Nouba. En retour une faction nouba du SPLM/A attaqua les Arabes à Talodi, Liri, Gardud. En réponse se constitua l’Union arabe. Mahdistes (partisans du Mahdi, vainqueur des Turco-Egyptiens en 1881-1885 et fondateur d’un premier État théocratique au Soudan) de longue date, les Baqq?ra furent armés par le gouvernement en 1986 pour arrêter la poussée SPLA, mais ils s’appliquèrent davantage à chasser les Nouba des terres qui leur restaient qu’à combattre les rebelles plus au sud. La perte de plusieurs sièges par le parti Umma (expression politique de la confrérie Mahdiya) aux élections de 1986 au profit des partis locaux entraîna des représailles contre les villages nouba, musulmans compris, dès lors catalogués comme pro-SPLM/A. Attaqués par l’armée et les milices, de nombreux Nouba se réfugièrent dans la ville de Kadugli où ils étaient plus de 40 000 à la fin 1987. En réaction à l’avancée du SPLA dans le Sud du pays nouba, les autorités arrêtèrent et déportèrent ou liquidèrent des dizaines d’intellectuels nouba. Fin 1989 de nombreux villages furent de nouveau attaqués par l’armée et ses supplétifs : Kamda, Taroji, Tulushi, Tima… De nombreuses atrocités furent commises contre les populations tout au long des années qui suivirent.
11La liaison avec le SPLM/A s’était faite à la fin des années 1980 sous l’impulsion de Y?suf Kuwa Mekki et de ses lieutenants, Ismail Khamis Jellab, Y?sif Kara H?r?n et Mohamed Juma Nayel, qui commandèrent d’abord des bataillons nouba dans le Sud-Soudan.
12Le retour de ces combattants provoqua une nouvelle escalade de la violence contre les villages des collines, ralliés ou non au mouvement rebelle. Entre 1989 et 1992, les attaques aériennes et au sol détruisirent des dizaines de villages dont les survivants (167 000 en septembre 1992 dont 80 % de femmes et d’enfants) furent parqués dans des « villages de la paix » gardés par les Forces de défense populaire. En 1993 plus de 250 000 Nouba avaient été déplacés, leurs terres redistribuées aux « colons » arabes ou aux officiers supérieurs des SAF (Sudan Armed Forces, l’armée soudanaise) : la quasi-totalité du pays nouba était « pacifiée ». Y?suf Kuwa Mekki ayant perdu le contact avec le SPLM/A et ne pouvant plus monter d’opérations militaires importantes, regagna le Sud d’où il revint en mai 1995 pour relancer des opérations qui entraînèrent la reprise des raids terrestres et aériens par la SAF [7].
13Sur la question de l’autodétermination des Monts Nouba, les signataires de la Déclaration d’Asmara (juin 1995) étaient partagés : le SPLM/A l’appuyait mais les partis nordistes, l’Umma en particulier, la refusaient en fait. Certains Nouba commencèrent même à douter (de la poursuite) du soutien réel du mouvement sudiste à leur cause une fois ce dernier ayant atteint ses propres objectifs, persuadés que si le Sud obtenait l’autodétermination, le GOS n’accepterait jamais de l’accorder aux Nouba, et que les sudistes ne reprendraient pas les armes pour eux. Ainsi Muhammad H?r?n Kafi, commandant du Nuba Mountains Central Committee du SPLA, signa-t-il un accord avec le GOS le 31 juillet 1996, ratifié le 21 avril 1997 : le règlement de la crise et la réparation des préjudices subis par les Nouba se fera dans le cadre d’un Soudan uni ; la sh?ri’a et les lois coutumières seront les deux sources du droit dans l’« État des Monts Nouba » qui partagerait équitablement ressources et pouvoir avec l’État fédéral. Les citoyens participeraient pleinement et démocratiquement au gouvernement et au développement de leur région et à ceux de l’Ètat fédéral. Les injustices seraient réparées en particulier dans le domaine foncier. Outre des opérations humanitaires un programme de réhabilitation et de développement serait entrepris…
14Cet « accord » réalisé dans le cadre de l’opération du GOS « Peace from within » (Paix de l’intérieur) n’eut pas plus d’effet immédiat pour le retour à la paix au Soudan que le Sudan Peace Agreement négocié avec Riak Machar (South Sudan Independence Movement SSIM), Kerubino Kwanyin (SPLA/Bahr al-Ghazal Group) et d’autres groupes sudistes, ou celui signé avec Lam Akol (SPLA/United) l’année suivante. Contrairement à ces derniers il condamnait toute tendance séparatiste :
Les deux parties réaffirment (…) l’unité de la nation soudanaise et condamnent toute tendance au séparatisme. Les deux parties s’engagent à promouvoir le droit des citoyens des Mont Nouba à occuper leur juste place dans un Soudan unifié et démocratique.
16H?r?n Kafi devint ministre du GOS quelques mois plus tard, mettant un terme à un combat qui sombrait dans un arrangement personnel avec le pouvoir.
17Ces défections dans les rangs du SPLM ne firent pas cesser la résistance. Le Sudan National Party (de Phillip Ghabbush) rejoignit le SPLM/A et ouvrit un camp d’entraînement en Érythrée. Une conférence tenue en novembre 1997 décida la poursuite de la lutte armée sous la direction de John Garang et Y?suf Kuwa. En mai 1998 les Nations unies furent enfin autorisées à intervenir dans la région jusque là fermée à toute intervention humanitaire parce qu’incluse dans le Nord-Soudan.
18En juin 1999, à Londres, moins d’un an avant sa mort (juin 2000), Y?suf Kuwa précisa la position de son mouvement : les Nouba n’exigeaient pas la sécession et préféraient le maintien de l’unité d’un Soudan décentralisé dans lequel ils auraient un gouvernement autonome. Pendant la période intérimaire précédant le vote d’autodétermination, ils demandèrent le même régime que celui qui serait appliqué au Sud dont eux souhaiteraient qu’il demeure dans un Soudan unifié, mais dont ils respecteraient la volonté de séparation le cas échéant. Dans ce cas les Nouba choisiraient entre leur intégration à l’État du Sud, leur intégration au Nord et la création de leur propre État. Cette déclaration qui ouvrait une voie nouvelle fut considérée comme un aveu de faiblesse par le GOS et de 1999 à 2001, l’armée soudanaise poursuivit ses attaques contre les villages Nouba : Buram, Fama, Lado, Kalulu, Daroka, Karongo, Kadugli Ouest, Heiban, Umsaradiba, Kawalib, Lumon… provoquant le déplacement de dizaines de milliers de réfugiés et – vol, perte des animaux, destructions (dont l’hôpital de Heiban en mai 2001), sécheresse aidant – la détérioration de la situation alimentaire dans les zones contrôlées par le SPLM/A (Delami, Heiban, Nagurban, Lagowa, Dilling, Buram, Kadugli Ouest…) soit 20 % de la superficie de l’État du Sud-Kordofan.
19« Inaccessibles » à partir de Khartoum, 370 000 personnes purent bénéficier de quelques ravitaillements par avion à partir de Lokichokio à la frontière kenyane, base de toute opération vers le Sud-Soudan. En 1999, pour la première fois depuis dix ans, une mission humanitaire parcourut le pays nouba mais aucune suite ne put être donnée à ses recommandations, Khartoum refusant même l’accès à partir d’El-Obeïd pour la poursuite d’une campagne de vaccination contre la poliomyélite, et accusant les humanitaires de transporter des armes en zone rebelle. Une seconde mission (FAO, UN World Food Programme, Christian Aid...) ne put rester que deux heures le 19 septembre 2001 sur le terrain d’atterrissage d’une zone SPLM/A où elle eut des entretiens avec nombre de responsables locaux et d’ONG, pour conclure :
Le gouvernement du Soudan est concrètement en train d’affamer le peuple des Monts Nouba dans les zones contrôlées par le SPLM en ajoutant à la famine liée à la guerre un blocus efficace de l’aide humanitaire. Sans aide extérieure à grande échelle, sans la possibilité pour la communauté internationale d’accéder de manière impartiale et neutre aux personnes dans le besoin, la situation humanitaire continuera de se déteriorer, et de plus en plus d’enfants, ainsi que la partie la plus vulnérable de la communauté succomberont à la faim et aux maladies qu’elle entraîne.
21Consécutivement aux démarches de l’envoyé américain John Danforth dont le cessez-le-feu et l’arrêt des bombardements des populations civiles Nouba étaient un des quatre objectifs destinés à tester la volonté du GOS et du SPLM/A d’entreprendre de véritables négociations pour le retour de la paix au Soudan, une trêve de quatre semaines et l’autorisation d’utiliser l’aéroport d’El-Obeïd permit l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones SPLM/A, en novembre 2001.
22L’intervention de plusieurs États Européens, du Canada et, donc, des États-Unis, aux côtés de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD )
aboutit à la signature en Suisse (Bürgenstock) le 19 janvier 2002 d’un cessezlefeu de six mois renouvelable, le Nuba Mountains Cease-Fire Agreement). Cet
accord très détaillé pour les modalités de retrait des troupes, d’assistance et de
contrôle international, fut salué comme pouvant montrer la voie au règlement
des autres conflits soudanais, ainsi que l’entendait ses initiateurs (et il sera de fait
suivi par le protocole de Machakos le 20 juillet).
23Le retrait et le redéploiement des combattants s’effectuèrent sous le contrôle d’une Joint Military Commission (Commission militaire conjointe) composée de trois représentants de chaque parti et de trois représentants des pays facilitateurs de la négociation. Une autre structure (International Monitoring Unit) constituée d’une quinzaine de militaires et civils européens et américains fut chargée de veiller au respect et d’enquêter sur les violations du cessez-le-feu. Cette organisation de la période post-conflit a été relativement efficace : les combats violents cessèrent ; la « réconciliation » et la reconstruction devinrent les objectifs prioritaires. Régulièrement renouvelé depuis sa proclamation ce cessez le feu a permis enfin de porter assistance aux populations. Le déminage de nombreuses routes et pistes (Kadugli-Talodi, Kadugli-Kauda, Dilling-Julud…) était terminé en 2004, facilitant l’acheminement de l’aide humanitaire et le retour à l’activité de populations qui avaient été davantage victimes et otages qu’acteurs du conflit, et retrouvaient la sécurité et une vie relativement normale en attendant le retour à une paix définitive.
24Dans la foulée une mission des Nations unies évalua les besoins humanitaires et de reconstruction dans les deux secteurs, notant à cette occasion que celui du SPLM/A ne disposait que de trois médecins, quatre assistants de santé et six infirmières, soit un médecin pour 123 000 habitants, une infirmière pour 50 000, une sage-femme pour 26 000… Le secteur GOS n’était en fait guère mieux loti : les 167 000 habitants de la province de Lagowa disposaient de 19 centres de santé, les 100 000 des 92 villages de la région plus dense et urbanisée d’El Buram de 38 centres, mais tous étaient également peu pourvus en praticiens, équipements, et médicaments…
25Sous l’impulsion de l’Unicef plusieurs conférences réunirent Nouba et Arabes : à Lagowa en 2001 entre Mess?riya et Nouba Tullushi, Kamda, Tima ; à Keilak entre Mess?riya Messriya et Nouba Kanga, Korongo, Lima ; à Tullishi – qui avait été un bastion SPLM/A – en 2002, où un accord fut signé sur les routes de transhumance des Mess?riya sur les terres nouba et l’ouverture d’un marché ; à Dilling en 2002 également, entre deux clans Arabes hawazma (pasteurs Bakhota contre paysans Awl?d Hilal).
26La conférence tenue avec l’accord du GOS à Kauda en décembre 2002 réunit les Nouba des deux secteurs (GOS et SPLM) et les trois partis politiques nouba, en présence de John Garang. Elle eut une tonalité plus politique puisqu’elle demanda :
- La reconnaissance de la spécificité des Nouba,
- L’autodétermination et un gouvernement représentatif autonome,
- La liberté religieuse,
- L’autonomie régionale en matière de développement,
- La maîtrise des initiatives économiques et de la politique foncière,
- La relance du dialogue Nouba/Baqq?ra.
27Le GOS ne souscrivit pas à ces demandes qu’il considéra comme de la pure propagande SPLM/A car il n’envisageait pas de donner plus qu’une certaine autonomie à cette région qui demeurerait dans sa sphère de souveraineté : le Soudan septentrional.
28Le programme de l’ONU /United Nations Development Programme (Nuba Mountains Programme Advancing Conflict Transformation) se mit en place après la signature du cessez-le-feu pour « promouvoir la paix par le développement ». La situation foncière étant centrale l’UNDP et USAID initièrent une étude systématique qui devait rétablir les réalités économiques et humaines d’avant la guerre (et le déplacement de la plupart des Nouba sous contrôle SPLM/A dans les zones les moins fertiles). Plusieurs conférences sur la question et sur le système politique traditionnel et les mécanismes d’arbitrage intertribaux devaient permettre ainsi de reconstituer un modèle susceptible d’aider à transformer le cessez-le-feu en véritable paix.
29Les négociations décisives reprirent en mars 2003 sans l’assistance de certains membres de l’IGAD (Ouganda, Éthiopie, Érythrée), le GOS considérant que le rôle de cette instance était limité au règlement Nord/Sud et qu’elle avait déjà émis un avis en octobre 2000 sur le droit des régions de transition à se prononcer sur leur avenir, y compris l’autodétermination (mais sans toutefois leur accorder la possibilité de se joindre au Sud). Les points importants concernaient le degré d’autonomie pendant la période intérimaire et l’alternative à l’issue de cette dernière. Autres questions cruciales : celles de la propriété foncière et du retour des terres des plaines à leurs anciens « propriétaires », de la réhabilitation et de la reconstruction. En octobre 2003, le GOS n’était toujours pas prêt à appréhender ces régions au même titre que le Sud, et encore moins à les considérer comme devant y être intégrées.
30Les accords de Machakos n’avaient pas vraiment abordé la question des Monts Nouba. Ceux de Naivasha du 26 mai 2004, rappellent sur plusieurs points celui de 1997 mais l’engagement du GOS est plus sincère et contraint par la pression américaine, la situation dans l’Est et au Darfour, le partenaire étant plus important que H?r?n Kafi.
31Dans l’attente d’élections générales prévues trois années après la cessation des hostilités, la région qui correspond à l’ancienne province du Sud-Kordofan et dont le nom demeure provisoirement « Sud-Kordofan/Monts Nouba » (Southern Kordofan/Nuba Mountains), est conjointement gouvernée par le SPLM et le National Congress Party (NCP) qui se partagent l’assemblée (Legislative Council) de transition : 55 % NCP et 45 % SPLM. Le gouvernorat est exercé alternativement par chacun des deux partis ; le nouvel État est également représenté dans les instances « fédérales » à Khartoum. Le parti vainqueur des élections (reportées en 2008 ou 2009 ?) obtiendra définitivement le poste de gouverneur et formera le gouvernement.
32Une commission est chargée d’étudier et d’arbitrer les conflits fonciers, ordonnant des compensations ou des restitutions aux anciens propriétaires spoliés pendant le conflit.
33Une division d’infanterie (6 000 hommes) composée d’unités mixtes (Joint Integrated Units) a son état-major à Kadugli ; ses deux brigades sont basées à Heiban et Deleng avec des détachements à Heiban, El Buram, Talodi pour la première et Jebel Eried, Julud et Um Sidibba pour la seconde. Les forces armées soudanaises seront ramenées à leur effectif de temps de paix et restent sous l’autorité du président al-Bashir. Le retrait et le redéploiement de la SPLA se fait sous l’autorité du SPLM/A et de la mission de l’ONU.
34L’État recevra 2 % des revenus du pétrole extrait de son sol, et partagera avec le Nil-Bleu 75 % des moyens du Fonds national de reconstruction et de développement.
35Une autre priorité est la remise en état de la société civile et d’un système politique équitable et efficace. A cette fin une attention particulière est portée à ce qu’était autrefois la Native Administration avant sa suppression par Nimeiri en 1970. Des colloques sont organisés afin de « redécouvrir » la société nouba. Il ne s’agit pas d’un simple mouvement revivaliste mais de la conviction que les structures socio-politiques traditionnelles doivent avoir un rôle non seulement dans la phase actuelle de reconstruction, mais tout autant comme un des rouages d’une « meilleure gouvernance » pour l’avenir. De la même façon, intellectuels et politiques se penchent sur les structures et les modalités traditionnelles d’arbitrage des conflits. Le remplacement des conseils intertribaux par « la justice moderne » n’a pas été un franc succès, loin de là, dans les campagnes soudanaises, en pays nouba ou ailleurs [8], où l’on sait que l’important n’est pas de punir mais de réconcilier. Sans réconciliation après un dommage, un affront, un crime, les relations intertribales sont impossibles.
36À l’initiative de la Nuba Relief, Rehabilitation Development Organisation/ SPLM, et avec le soutien du ministère suisse des affaires étrangères, et sous le patronage de Ismail Khamis Jallab, chef historique du SPLM/A dans les Monts Nouba, les chefs locaux des deux anciennes zones de conflit se sont réunis pour la première fois du 17 au 22 juillet 2005 à Julud. Le premier objectif est de réconcilier les deux parties du pays nouba qui furent soit opposées, soit manipulées par l’un ou l’autre camp : SPLM et GOS. En dépit de certains obstacles du fait du GOS à la venue de certains leaders plus de 150 chefs traditionnels du pays nouba ont participé à ces débats sur leur rôle, la coexistence interethnique, l’accès à la terre… Ils ont adopté des résolutions et émis des recommandations pour leur réintégration démocratique et modernisée, à leur niveau, comme garant de la cohésion sociale, de la gestion partagée et raisonnée des ressources (terre, eau, pâturages) et comme intermédiaires entre les communautés et les autorités administratives et politiques supérieures.
Bibliographie
Rapports et sites consultés :
- Profile of Internal Displacement : Sudan, Norwegian Refugee Council/ Global IDP Project, mars 2002
- Local Peace Processes in Sudan, UK Government Department for International Development, Rift Valley Institute, 2006
- The Nuba Mountains Cease-Fire Agreement, US State Dept. 22/02/2002
- WFP/Sudan Southern Sector, Nuba Mission Report, 11 nov./9 dec. 2001
- UN-led Rapid Needs Assessment Mission to GOS and SPLM/A controlled Nuba Areas (January 2002)
- United Nations System in the Sudan, Humanitarian Co-ordinator/Nuba Mountains Programme, 23 janv. 2001
- Report of the Inter-Agency Assessment Mission to the SPLM Areas of the Nuba Mountains, sept. 2001
- The First Traditional Leaders Conference in Nuba Mountains, Julud, Comprehensive Report
- International Crisis Group
- Sudaneseonline
- Sudan Tribune
- Nafir
- IRINnews
- United Nations Weekly Situation reports
- The CPA Monitor (UNMIS )
- USAID Monthly Update
Notes
-
[1]
Anthropologue, associé au Cemaf, ancien responsable de l’antenne du Cedej à Khartoum (1998-2002), membre de la mission internationale sur l’esclavage au Soudan (2002).
-
[2]
R.C. Stevenson, The Nuba People of Kordofan Province, Graduate College Publications, University of Khartoum, 1984.
-
[3]
Cf. S. F. Nadel, The Nuba, An Anthropological Study of the Hill Tribes in Kordofan, Oxford University Press, 1947.
-
[4]
Ahmed Uthman Muhammad Ibrahim, The Dilemma of British Rule in the Nuba Mountains 1898-1947, Graduate College Publications, University of Khartoum, 1985.
-
[5]
Omar Abdelgabar, Mechanised Farming and Nuba Peasants, Spektrum 48, Hamburg, 1997
-
[6]
Gerd Baumann, National Integration and Local Integrity, The Miri of the Nuba Mountains in the Sudan, Clarendon Press, Oxford, 1987.
-
[7]
African Rights, Facing Genocide : The Nuba of Sudan, 1995 ; Justice in the Nuba Moun-African Rights, Facing Genocide : The Nuba of Sudan, 1995 ; Justice in the Nuba Mountains… 1995-1997 ; A Desolate « Peace », Human Rights in the Nuba Mountains, 1997.
-
[8]
Delmet Christian, « The Native Administration System in Eastern Sudan : From its Liqui-Delmet Christian, « The Native Administration System in Eastern Sudan : From its Liquidation to its Revival », in Catherine Miller (éd.) Land, Ethnicity and political Legitimacy in Eastern Sudan, Cedej/DSRC, 2005, p. 145-171.