Notes
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[1]
ICG, Conflict Resolution in the South Caucasus : The EU’s Role, Europe Report n° 173, Tbilissi/Bruxelles, 20 mars 2006.
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[2]
Le terme de Transcaucasie – en russe Zakavkaz’e – désigne les territoires situés au-delà de la chaîne montagneuse du Caucase, vus de Russie.
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[3]
D’après le dernier recensement de la population en 2002.
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[4]
Les bases militaires russes d’Akhalkalaki et de Batoumi en Géorgie, et celle de Gyumri en Arménie, forment un arc stratégique, véritable glacis de surveillance, cernant le nord-est de la Turquie frontalier de l’ex-URSS.
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[5]
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe adopta alors la décision en vertu de laquelle « dans le courant de l’année 2000, les parties en présence [Russie et Géorgie] achèveront les négociations relatives à la durée et au fonctionnement des bases militaires russes à Batoumi et à Akhalkalaki et aux installations militaires russes en Géorgie ».
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[6]
Ex-ministre des Affaires étrangères de l’URSS, Édouard Chevardnadze – président de la Géorgie depuis 1995 – fut déchu de sa fonction et remplacé en janvier 2004 par Mikhael Saakashvili, 37 ans, formé notamment aux États-Unis.
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[7]
Par le traité de Batoumi en juin 1918, les Géorgiens abandonnèrent aux Ottomans les districts d’Akhalkalaki et d’Akhaltsikhe. Mais quelques mois plus tard, les Ottomans et les Allemands, vaincus de la Première Guerre mondiale, durent quitter la Transcaucasie. Fin 1918, l’Arménie et la Géorgie entrèrent en conflit à propos d’Akhalkalaki.
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[8]
Le volume d’argent transféré en Djavakhétie laisse entendre que 60 % de la population active masculine émigrent temporairement en Russie chaque année.
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[9]
En 1989, la Géorgie comptait 70% de Géorgiens et 30 % de minoritaires, dont 8,1% d’Arméniens, 6,3 % de Russes, 5,7 % d’Azéris, 3 % d’Ossètes, 1,9 % de Grecs et 1,8 % d’Abkhazes. D’après le dernier recensement de la population en 2002, qui n’inclut pas l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, la Géorgie compte désormais 83,7 % de Géorgiens et 16,3 % de minorités, dont 5,7 % d’Arméniens, 1,7 % de Russes et 6,5 % d’Azéris.
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[10]
L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont obtenu respectivement les statuts de république et de région autonome de Géorgie.
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[11]
Avant l’éclatement des conflits dans les provinces autonomes de Géorgie, les Abkhazes ne constituaient plus que 17,8 % de la population d’Abkhazie, soit 93 500 personnes d’après le dernier recensement soviétique en 1989; 5 000 vivaient en Géorgie. En grande partie islamisés sous l’occupation ottomane, ils avaient massivement émigré en Turquie depuis l’annexion par les Russes de leur territoire au début du XIXe siècle et y étaient par conséquent devenus minoritaires. L’Ossétie du Sud, quant à elle, comptait 66 % d’Ossètes en 1989, soit 65 000 personnes ; 100 000 autres vivaient en Géorgie. En Djavakhétie, par contre, la situation ne dégénéra pas en conflit armé bien que les Arméniens aient constitué plus de 90 % de la population locale, soit 97 000 personnes, 340 000 autres vivant dans le reste de la Géorgie. Ils représentaient alors la première minorité nationale du pays.
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[12]
La Géorgie est après le Daghestan la république du Caucase qui compte le plus grand nombre de nationalités.
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[13]
Les langues du groupe caucasique du Nord-Ouest sont parlées dans les républiques autonomes d’Abkhazie, d’Adyghéie, de Karatchaevo-Tcherkessie, et de Kabardino-Balkarie.
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[14]
45,7 % de Géorgiens vivant en Abkhazie en 1989 étaient des Mingréliens.
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[15]
Zones ethnolinguistiques parentes : Abkhazie et Caucase du Nord-Ouest, Ossétie du Sud et Ossétie du Nord, Djavakhétie et Arménie, Kvémo-Kartlie et Azerbaïdjan.
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[16]
Conformément à la loi électorale adoptée en août 1991 et fondée sur des quotas, 26 sièges avaient été attribués aux Géorgiens contre 28 aux Abkhazes bien qu’ils fussent minoritaires; les Arméniens avaient 6 sièges et les autres groupes ethniques les 5 restants. Le bloc des minorités totalisait ainsi 39 sièges sur 65.
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[17]
Alors région autonome de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, le Nagorno-Karabakh demanda son unification avec l’Arménie dès 1988. La guerre éclata à l’automne 1991 et se termina en 1994 par la signature d’un cessez-le-feu.
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[18]
Le Kavburo (Kavkazbjuro) était la section caucasienne du parti communiste. Après l’annexion de la Transcaucasie par les bolcheviks, la délimitation des frontières fut tranchée par le Kavburo qui était sous l’emprise de Staline, alors commissaire du peuple aux Nationalités. Dès les premiers signes de détente du régime et d’affranchissement des peuples de leur gouvernement tutélaire, les conflits proliférèrent dans la Caucase suivant le même schéma, en conséquence de la politique stalinienne de frustration des identités. Plus grave, la multiplication des conflits a provoqué des déplacements massifs de communautés et l’homogénéisation ethnique croissante des populations et des territoires devenus de plus en plus imperméables. En définitive, la politique stalinienne a réduit le Caucase à un foyer de nationalismes.
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[19]
Corridor de transit routier en direction de la mer Noire : Bakou-Tbilissi-Poti et Batoumi. Corridors de transit énergétique en direction de la Méditerranée et de la mer Noire : le nouvel oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) passe par Tsalka et Akhaltsikhe en Samtskhe-Djava-khétie et poursuit jusqu’au port turc de Ceyhan en Méditerranée ; gazoduc SCP (South Caucasus Pipeline) dont le tracé, parallèle au BTC jusqu’à la frontière turco-géorgienne, va jusqu’à Erzeroum en Turquie où il est connecté au réseau domestique gazier. Oléoduc et gazoduc Bakou-Tbilissi-Supsa. Voie ferrée reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie via la Djavakhétie, pour laquelle le lancement des travaux a été inauguré le 21 novembre 2007 : Bakou-Tbilissi (rail existant), Tbilissi-Akhalkalaki (rail à réhabiliter), Akhalkalaki-Kars (rail à construire). Un nouveau Fonds pour les défis du millénaire – Millennium Challenge Account – a été créé en 2004 dans le cadre d’une augmentation sensible de l’aide publique au développement (ADP) américaine décidée par le président George W. Bush ; 295,3 millions de dollars ont été à ce titre accordés à la Géorgie en 2005, dont 102,2 devraient être utilisés pour la réhabilitation et la construction de 245 km de routes en Samtskhe-Djava-khétie ; Turquie et Géorgie seront ainsi reliées via la Djavakhétie, les travaux devaient commencer en 2007.
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[20]
Entretien conduit par Florence Mardirossian à Tbilissi avec Salomé Zourabichvili, alors ministre des Affaires étrangères de Géorgie, « L’extension du voisinage de l’UE à l’Est : une nouvelle réalité de la géopolitique européenne ? », Diplomatie, mars-avr. 2005.
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[21]
À environ un an d’intervalle, en juin 2005 et en mars 2006, deux dispositions législatives semblables ont été présentées à la Chambre des représentants puis au Sénat américain. Elles prévoient d’interdire le soutien financier des États-Unis à l’aménagement de cette liaison ferroviaire excluant expressément l’Arménie, et donc considérée comme une initiative antiarménienne de plus. Cette mesure vise à enrayer la campagne que mène la Turquie pour « isoler l’Arménie économiquement, politiquement et socialement » en exacerbant le double blocus turco-azéri. À l’instar de « la politique des États-Unis dans le Caucase du Sud [qui] cherche à promouvoir la coopération régionale et l’intégration économique », l’Union européenne (UE) est prête à soutenir tout processus régional. Cependant, comme l’a rappelé le commissaire européen aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, lors de sa visite dans le Caucase du Sud en février 2006, « l’Union européenne ne financera pas la construction de la voie ferrée Kars-Akhalkalaki puisque ce projet exclut l’Arménie, ce qui est en contradiction avec la politique européenne de voisinage ». Le nouveau représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud, Peter Semneby, a confirmé cette décision lors de sa visite inaugurale dans la région en avril 2006. Par ailleurs, ce projet estimé entre 500 millions et 1 milliard de dollars a été jugé « inutile et inefficace » par la Direction générale des transports et de l’énergie de la Commission européenne, compte tenu de l’existence de la ligne de chemin de fer Kars-Gyumri-Tbilissi.
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[22]
En mars 2003, dans le cadre de l’Europe élargie, l’UE lança sa politique européenne de voisinage (PEV ) avec les pays situés aux frontières extérieures de l’Union et dont fut explicitement exclu le Caucase du Sud. Un an après, en juin 2004, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, en tant que composantes d’un ensemble géopolitique indissociable, furent intégrés à la PEV. L’une des raisons de cette intégration tardive était la persistance des conflits gelés dans la région, donc d’un obstacle à la coopération régionale. L’UE, qui considère la stabilité du Caucase méridional comme primordiale pour la sécurisation de ses propres frontières, a donc décidé en définitive de s’engager davantage dans la région, sa priorité étant de promouvoir le règlement des conflits, comme s’en est expliqué récemment Peter Semneby. En revanche, le renforcement des lignes de fracture dans la région affaiblirait l’équilibre déjà très précaire entre les trois Républiques et augmenterait l’insécurité aux portes de l’Europe. Ce cas de figure entamerait encore la cohérence géopolitique du Sud-Caucase et ses perspectives d’intégration économique au marché mondial. Actuellement en cours de négociation de leur plan d’action PEV, les républiques du Sud-Caucase ont reçu un message clair du représentant de l’UE pour le Caucase du Sud à propos des « conséquences majeures [qu’aurait] un quelconque recours à une solution militaire ».
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[23]
Depuis l’indépendance, les mouvements politiques de Djavakhétie ont toujours plaidé en faveur d’une plus grande autonomie régionale au sein de la Géorgie sans jamais céder au séparatisme pourtant très marqué au Caucase, ceci notamment en raison de l’opposition systématique des gouvernements successifs d’Arménie à cette perspective.
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[24]
Akhaltsikhe est le centre administratif de Samtskhe-Djavakhétie.
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[25]
Cet accord, jamais ratifié, fut passé dans un contexte de détente des relations russogéorgiennes, au moment où la Géorgie rejoignait une CEI que Gamsakhourdia avait refusé de rallier lors de sa création en 1991. Chevardnadze concéda l’adhésion géorgienne en échange d’un soutien russe contre les forces zviadistes – partisans de Gamsakhourdia – qui occupaient l’ouest du pays.
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[26]
Rattaché à la province de Kvémo-Karthlie à majorité azérie, Tsalka est aujourd’hui un district à majorité arménienne par lequel passent les oléoducs BTC et SCP. Auparavant, Tsalka était presque exclusivement peuplé d’Arméniens et surtout de Grecs dont une partie importante a migré vers Grèce et la Russie après l’indépendance. Ces derniers ont été remplacés par de nouveaux migrants, des montagnards venus d’Adjarie et de Svanétie, région de haute montagne du nord-est de la Géorgie qui jouxte l’Abkhazie, occupant à présent les maisons des Grecs qui ont émigrés. Depuis, Tsalka est devenu un foyer de tensions ethniques. Le président du Conseil mondial des Hellènes à l’étranger a d’ailleurs à plusieurs reprises attiré l’attention du président Saakachvili sur les violations des droits des Grecs à Tsalka, commises par des bandes criminelles qui s’approprient illégalement leurs maisons. Malgré ces appels à la vigilance, la situation semble ne pas s’être améliorée. La situation pourrait dégénérer avec menace par voie de conséquence sur les intérêts occidentaux à proximité.
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[27]
Personne chargée de défendre les droits du citoyen face aux pouvoirs publics.
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[28]
Florence Mardirossian, « Géorgie-Russie, les raisons d’une escalade », Monde diplomatique, nov. 2006, <www. monde-diplomatique. fr/ 2006/ 10/ MARDIROSSIAN/ 14166>.
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[29]
Lire l’entretien avec Serzh Sargsyan, président de la République d’Arménie, conduit par Florence Mardirossian et le recteur Gérard-François Dumont, « L’Arménie face à un certain enclavement géopolitique », <www. diploweb. com/ forum/ armenie08038. htm>,Erevan, juin 2006.
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[30]
Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH /ODIHR ) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération (OSCE) en Europe est le principal organe d’observation électorale dans la zone Eurasie. Lire les rapports électoraux de l’ODIHR sur <www. osce. org/ odihr-elections/ 14207. html>.
1Sur fond de tensions interethniques, le sud de la Géorgie cristallise les oppositions et les appartenances stratégiques divergentes des trois républiques du Sud-Caucase. Cet espace, jadis enclavé entre les empires russe et ottoman, récemment devenu nouveau voisinage de l’Europe, est aujourd’hui soumis à la confrontation entre une stratégie de déstabilisation régionale qui a pour but de proroger la présence russe dans la Caucase du Sud, et la sécurisation des intérêts occidentaux de la zone.
2En pleine crispation sur l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et le Nagorno-Kara-bakh, l’International Crisis Group (ICG), une ONG américaine influente, publiait un rapport sur les risques potentiels de guerres dans le Sud-Caucase [1] et interpellait l’Union européenne quant au rôle que celle-ci doit jouer dans la résolution des conflits de son voisinage direct. Mais les foyers de crise dans cette région ne se limitent pas aux cadres russo-géorgien et arméno-turc. En effet, le conflit concernant la frontière arméno-géorgienne, lui, remonte à la première indépendance des Républiques de Transcaucasie [2] en 1918.
La position stratégique du Sud-Ouest géorgien à la croisée des intérêts russo-turcs
3Le Caucase du Sud a longtemps été un terrain de convoitises, opposant les Russes aux Turcs dès la fin du XVIIIe siècle quand la Russie posta des troupes en Géorgie, qui avait sollicité le protectorat de son puissant voisin pour garantir la sécurité du pays contre les invasions ottomane et perse. La lutte russo-turque pour la conquête du Sud-Caucase a, de manière tangible, mis en concurrence des voies stratégiques exclusives : alors que la politique russe de désenclavement nord-sud affectait principalement la Géorgie voisine dont les régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud constituent des sources de tensions russo-géorgiennes croissantes depuis la chute de l’URSS, l’expansionnisme turc, lui, menaçait surtout l’Arménie et le sud-ouest de la Géorgie, avec pour objectif la liaison est-ouest des peuples turcs.
4La province à majorité arménienne de Samtskhe-Djavakhétie, située précisément au sud-ouest de la Géorgie aux frontières de la Turquie et de l’Arménie, se trouve donc à l’intersection des axes stratégiques russo-turcs. Composée des districts d’Akhalkalaki et de Ninotsminda peuplés à plus de 95 % d’Arméniens [3], la Djavakhétie, jadis occupée par les troupes russes qui combattaient les Ottomans pour le contrôle de cette zone frontière, devint par la suite un avantposte soviétique aux marches orientales de l’OTAN dont la Turquie est membre depuis 1952. Abritant l’une des trois bases militaires russes de Transcaucasie occidentale [4], cette région se situe immédiatement sur la voie d’interconnexion turco-azérie contournant l’Arménie par le nord. Sa valeur stratégique s’est révélée en 1999 lors du sommet de l’OSCE à Istanbul, au cours duquel la question épineuse de la fermeture des bases russes du Sud-Ouest géorgien fut discutée [5]. Avec la « révolution des roses » et le changement de pouvoir à Tbilissi [6] en janvier 2004, la présence militaire russe à la frontière turque en Géorgie, devenue depuis le partenaire privilégié des Occidentaux dans le Caucase du Sud, provoquait une critique croissante. Le compromis russo-géorgien sur l’évacuation des troupes russes d’Akhalkalaki et de Batoumi dégagé au sommet d’Istanbul n’en est que plus stratégique puisque, avec semblable désengagement, c’est l’influence de la Russie aux frontières septentrionales du Sud-Caucase qui est refoulée après près de deux siècles de présence militaire en Géorgie méridionale. Néanmoins, malgré la pression internationale, la population locale arménienne reste fermement opposée à ce retrait pour des raisons sécuritaires et économiques.
Les origines de la crise en Djavakhétie et son contexte historique
5Envahie par les Turcs au XVIIe siècle, la Djavakhétie rentra dans le giron russe au début du XIXe siècle, à l’instar de l’ensemble de la Transcaucasie, jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique. Toutefois, lorsque les républiques du Caucase méridional proclamèrent leur indépendance dans la foulée de la révolution russe de 1917, un conflit armé éclata entre la Géorgie et l’Arménie en décembre 1918 à propos de la Djavakhétie et de la région du Lori dans le nord de l’Arménie. Les Alliés offrirent leur médiation pour sortir de la crise, à l’issue de laquelle la Djavakhétie, alors peuplée à 82 % d’Arméniens, devait provisoirement être administrée par Tbilissi. Mais en 1921, après la soviétisation de la Transcaucasie, une commission chargée de délimiter les frontières des trois Républiques afin de mettre fin aux conflits frontaliers, décida que la Géorgie conserverait la Djavakhétie.
6Pendant la période communiste, la Djavakhétie demeura une zone militarisée dont le strict régime soviétique aux frontières l’isola davantage encore du reste de la Géorgie. Les rivalités Est-Ouest s’étant exacerbées durant la guerre froide, son statut de région frontière des confins méridionaux de l’URSS, au seuil de l’Alliance atlantique, la coupa politiquement, économiquement et culturellement de Tbilissi. L’isolement de la Djavakhétie remontait à la guerre russoturque de 1828-1829, à l’issue de laquelle la Russie prit le contrôle de l’ensemble de la Transcaucasie. Depuis, la région avait servi de base opérationnelle à l’armée russe. À l’époque soviétique, la population locale arménienne vivait donc indépendamment du reste de la Géorgie, la base assumant tacitement les fonctions traditionnelles de l’État : sécurité, emploi, éducation et social. Ainsi l’administration de la Djavakhétie pouvait se comparer avec celle d’une région autonome d’URSS.
7Néanmoins la priorité de la population demeurait le maintien des Turcs hors de la Djavakhétie qu’ils avaient occupée pendant deux siècles, avant d’avoir été refoulés par les Russes. Car lors du bref épisode de l’indépendance des républiques de Transcaucasie de 1918 à 1920-1921, la Djavakhétie, qui dépendait alors du gouvernement de Tbilissi, fut de nouveau attaquée par l’armée turque à laquelle les locaux ne pouvaient à eux seuls résister [7]. Une partie importante de la population locale, qui tenta d’échapper à l’offensive turque, succomba à la famine et au froid, n’ayant pu se réfugier ni en Géorgie ni en Arménie, elle-même assaillie par les troupes turques après le retrait des bolcheviks hors de Transcaucasie en 1918. Cet épisode tragique allait imprégner la mémoire collective de la population de Djavakhétie, déjà irréversiblement marquée par le génocide des Arméniens d’Anatolie perpétré par le gouvernement « jeune-turc » entre 1915 et 1918. La population estimait dès lors que seuls les Russes pouvaient garantir sa sécurité face au voisin turc. Ces éléments de l’histoire de la Djavakhétie fondent le sentiment de non-appartenance de la population locale arménienne à la communauté nationale géorgienne.
L’oppression des minorités à la base des séparatismes
8Depuis l’indépendance des Républiques du Sud-Caucase en 1991 et l’intégration administrative réelle de la Djavakhétie à l’État géorgien, les relations de la population locale arménienne avec Tbilissi n’ont cessé de se détériorer. En raison notamment de l’isolement croissant et de la marginalisation de la région dans un environnement pourtant progressivement libéralisé à partir des années 1970, la proportion d’Arméniens s’est continuellement accrue. Le cloisonnement de la Djavakhétie et de sa population, qui a vécu focalisée sur la base russe, n’a pas permis d’interactions socioculturelles avec les Géorgiens des autres provinces ni, par conséquent, l’apprentissage de leur langue. Comme la région avait été administrée via la base dans le cadre d’un régime fédéral spécial de l’URSS, l’arménien et le russe étaient jusqu’à présent les deux langues véhiculaires de la Djavakhétie, la population locale n’ayant eu ni le besoin ni l’occasion de pratiquer le géorgien. En outre, depuis la crise économique provoquée en Géorgie par le déclin de l’Union soviétique, la Djavakhétie était devenue une région de forte émigration saisonnière à destination de la Russie [8]. Ce phénomène social explique l’usage de la langue russe en Djavakhétie au-delà de la période soviétique.
9La polémique actuelle sur la langue officielle d’État, le géorgien, et les langues minoritaires, notamment l’arménien, dans un pays historiquement multiethnique, multilingue et multiconfessionnel, est révélateur des tensions croissantes entre communautés. Depuis la dislocation de l’URSS, le pays a perdu près de la moitié de son élément minoritaire, dont une petite partie est localisée dans les régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, et près de 20 % de sa population totale, soit plus d’un million d’habitants [9]. Les minorités ne bénéficient effectivement plus de la protection du gouvernement central soviétique qui garantissait leurs droits civils et politiques dès lors que les Républiques du Sud-Caucase sont devenues indépendantes.
10Les premières années de l’indépendance géorgienne furent empreintes d’un nationalisme dont le caractère belliqueux provoqua des réactions séparatistes aux régions frontières où sont densément localisées les minorités nationales. Sous Zviad Gamsakhourdia, élu premier président de la République de Géorgie en 1991, de violents affrontements armés aux allures de guerre civile éclatèrent à Tbilissi en réaction à la politique autoritaire et répressive de cet opposant acharné au régime soviétique. Son discours chauvin sur « la Géorgie aux Géorgiens », qui stigmatisait les non-Géorgiens considérés comme des « invités », et la flambée nationaliste alarmèrent les minorités désormais confrontées seules au pouvoir central de Tbilissi et dépourvues de la protection soviétique.
11Dès la fin des années1980, dans le contexte de la libéralisation du système soviétique puis de la chute du mur de Berlin, des mouvements autonomistes et indépendantistes se sont simultanément manifestés en Géorgie. La Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud proclamèrent leur souveraineté au début des années 1990. Certes, la Djavakhétie n’avait obtenu aucun statut politique particulier au sein de la Géorgie pendant la période soviétique, contrairement à l’Abkhazie ou à l’Ossétie du Sud [10], mais le mouvement Djavakhk, qui plaidait pour une plus grande autonomie de la région, jouissait d’un très large soutien de la population locale [11].
Les luttes identitaires sur fond de conflit linguistique
12Le facteur de déclenchement des séparatismes en Géorgie a invariablement été de nature linguistique. Dans le contexte de la perestroïka géorgienne, la Société Saint Ilia le Juste – amalgame de société religieuse et de parti politique – fut la première organisation politique géorgienne à avoir été légalement constituée en 1987 par les principaux instigateurs de la refondation nationale, parmi lesquels Zviad Gamsakhourdia. Elle portait le nom du célèbre écrivain canonisé par l’Église orthodoxe géorgienne, Ilia Chavchavadze, chez qui l’identité nationale se résumait au credo « Langue, Patrie, Foi » qualifié de « sainte Trinité » du nationalisme géorgien. Cette prééminence de la langue dans la structure identitaire géorgienne a constitué un obstacle réel à l’intégration culturelle et politique des minorités nationales, elles-mêmes issues de peuples habitant le Caucase depuis des siècles. Durant la période soviétique, l’ethnicité, dont le principal indicateur était la langue natale, fondait la nationalité [12] et les divisions administratives du territoire de l’URSS. Son institutionnalisation par le système soviétique a renforcé les identités culturelles et, par voie de conséquence, les liens linguistiques au sein des différents groupes ethniques. La situation actuelle en Géorgie est largement marquée par ce double héritage, nationaliste et soviétique, menaçant l’équilibre de la société, qui a précisément été rompu par les guerres dans l’immédiat postcommunisme.
13Dès que Lavrenti Beria devint secrétaire du parti communiste de Géorgie en 1931, l’Abkhazie fut rattachée à la Géorgie dont elle devint une république autonome. Commença alors ce que les Abkhazes qualifièrent de « géorgianisation » de leur pays, avec notamment l’interdiction de la langue abkhaze qui appartient au groupe caucasique du Nord-Ouest [13] dont les peuples de tradition musulmane sunnite ont longtemps été connus sous le nom de Circassiens. En outre, la nouvelle politique migratoire mise en place sous Beria entraîna une forte immigration en provenance de l’ouest de la Géorgie, en particulier de Mingrélie [14] – région côtière au sud-est de l’Abkhazie – d’où il était originaire comme Zviad Gamsakhourdia, et s’accompagna d’une restriction de la représentation abkhaze dans l’administration de la république autonome.
14L’essor des mouvements de libération en Transcaucasie fut favorisé par la dynamique libérale initiée sous Gorbatchev. Mais ce fut la répression par les troupes soviétiques des manifestations populaires pour la souveraineté de la Géorgie sur l’ensemble des territoires de la République socialiste soviétique, lors de laquelle dix-neuf personnes furent tuées à Tbilissi en avril 1989, qui provoqua la dérive nationaliste de la société géorgienne. Dans le prolongement de ces événements, des affrontements armés éclatèrent au mois de juillet en Abkhazie entre Géorgiens et Abkhazes à propos de l’ouverture programmée à Soukhoumi d’une branche de l’université d’État de Tbilissi lors desquels vingt-deux personnes trouvèrent la mort. Un programme d’État pour la langue géorgienne fut voté dans la foulée sans que fussent évoquées les langues minoritaires. Des tests obligatoires en langue et en littérature géorgiennes furent introduits à l’entrée de la plupart des établissements d’enseignement supérieur. Le géorgien devint la seule langue officielle de l’ensemble des territoires. Alors que les minorités nationales qui peuplent densément les régions situées aux extrémités de la Géorgie, aux frontières de leur zone ethnolinguistique parente [15], l’ignorent très majoritairement En dehors de leur langue natale, elles utilisent le russe qui a statut véhiculaire dans les relations interethniques depuis 1978. Les non-Géorgiens se sentaient donc menacés par cette nouvelle législation qui ne leur reconnaissait pas de droits culturels.
Les guerres en Géorgie dans l’immédiat postcommunisme
15Le Front populaire d’Ossétie du Sud, qui venait alors d’accéder au pouvoir, décida d’octroyer à la région un statut de république autonome. En réponse à l’annulation de cette décision par Tbilissi provoquant des affrontements dans sa capitale, Tskhinvali, l’Ossétie du Sud proclama son indépendance en 1990. Quand le Soviet suprême géorgien eut dissout la région autonome, le conflit entra dans sa phase armée. Il s’acheva en 1992 par un cessez-le-feu et par le déploiement de forces mixtes russe, ossète et géorgienne de maintien de la paix, aujourd’hui extrêmement contestées par le pouvoir géorgien. L’Ossétie du Sud est depuis 1992 de fait une république indépendante.
16Après maintes demandes de restauration de l’indépendance dont l’Abkhazie jouissait avant 1931, le Soviet suprême de la république autonome déclara la souveraineté de l’Abkhazie en 1990. Une déclaration immédiatement annulée par Tbilissi, qui menaça d’abolir l’autonomie de la région à l’instar de ce qui venait de se produire pour l’Ossétie du Sud. Après l’accession à l’indépendance de la Géorgie, les élections locales en Abkhazie divisèrent le Parlement entre représentants géorgiens et représentants abkhazes alliés aux autres minorités de la République [16]. Dans cette configuration électorale à laquelle ne participaient pas les députés géorgiens, l’Abkhazie proclama son indépendance. La guerre éclata, alors que venait à peine de cesser celle d’Ossétie du Sud. Les Abkhazes furent soutenus par la Confédération des peuples montagnards du Caucase, résurgence de l’Assemblée des peuples du Nord-Caucase qui s’étaient solidarisés dès la chute du régime tsariste en 1917. Le conflit se poursuivit jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu en 1993, suivi par une ultime offensive abkhaze expulsant les forces géorgiennes d’Abkhazie et le déploiement de forces russes de maintien de la paix sous l’égide de la Communauté d’États indépendants (CEI). Située aux frontières de son espace ethnolinguistique parent fédéré au sein de la Russie, l’Abkhazie est avec l’Ossétie du Sud la seconde région à la périphérie de la Géorgie à être devenue une république indépendante de fait à l’issue d’un conflit l’opposant au pouvoir central géorgien, alors engagé dans un processus politique de reconquête des territoires.
L’interdépendance des républiques du Sud-Caucase
17Au moment de la chute du régime soviétique, la Géorgie traversa une période très troublée de son histoire : ayant joué la carte nationaliste pour recouvrer son indépendance, la société géorgienne s’engouffra dans une polémique nationale et une guerre civile à Tbilissi alors que le gouvernement entrait en conflit avec les deux provinces autonomes de son territoire. Bien que la tension des relations entre la population de Djavakhétie et les autorités géorgiennes ait été à son comble au début des années 1990, la situation ne dégénéra pas en conflit armé comme aux frontières septentrionales de la Géorgie. L’ouverture d’un troisième front à sa frontière méridionale aurait probablement ébranlé le pays, les autres foyers de tension ayant déjà sévèrement entamé son équilibre.
18Par ailleurs les Arméniens, parmi lesquels des partisans de Djavakhétie, étaient déjà engagés sur le front du Nagorno-Karabakh [17]. Cette région, peuplée en 1989 à 76,9 % d’Arméniens, avait été attribuée en 1921 à l’Azerbaïdjan par le Kavburo [18], sous l’influence de Staline, afin de « maintenir la paix entre musulmans et Arméniens ». Solidaires sur la question du Nagorno-Karabakh, Azerbaïdjan et Turquie ont fermé leur frontière avec l’Arménie depuis que le conflit a éclaté en 1989 et en 1992 respectivement. L’Arménie est d’autant plus isolée au sein de la région qu’elle est le seul pays à ne pas disposer d’un accès maritime. Elle n’aurait pas non plus été capable de tenir un deuxième front face au voisin géorgien à sa frontière nord, sa seule voie réelle de désenclavement traversant précisément la Géorgie. Géographiquement handicapée et frappée d’un double blocus, l’Arménie est prise en étau sur l’axe turco-azéri ; elle est par conséquent économiquement dépendante de sa relation avec la Géorgie.
19L’Azerbaïdjan, quant à lui, se trouve dans un rapport de dépendance réciproque avec la Géorgie dont il utilise la voie de communication est-ouest à travers les provinces de Kvémo-Karthlie et de Samtskhe-Djavakhétie pour le transport des ressources énergétiques de la Caspienne. D’où un soutien prudent à la population azérie de Géorgie dont le territoire représente, depuis le conflit avec l’Arménie, la principale route de désenclavement de l’Azerbaïdjan en direction de l’ouest. La majorité des grandes voies de communication, existantes ou en projet, reliant l’Azerbaïdjan à la mer Noire et à la Méditerranée via la Turquie, passent en effet par la Géorgie [19] (cf. carte 3).
L’avènement de l’axe Bakou-Tbilissi-Ceyhan et la marginalisation de l’Arménie
20Sa situation de pays transitaire fonde économiquement et géostratégiquement la Géorgie sur l’échiquier caucasien, le blocus de l’Arménie par les deux principaux clients du transit est-ouest apportant une plus-value non négligeable. La Géorgie est donc tributaire de l’Azerbaïdjan et de la Turquie pour le transport énergétique, alors qu’elle espère devenir un carrefour des routes du pétrole et du gaz par l’acheminement des ressources du bassin de la Caspienne vers le marché européen; elle réduirait ainsi de surcroît sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie [20]. Les intérêts économiques qu’ont en commun la Turquie, l’Azerbaïdjan et une Géorgie toujours plus en rupture avec le voisin russe consacrent l’axe du désenclavement est-ouest des richesses de la Caspienne.
21L’Arménie se situant dans l’axe direct d’interconnexion turco-azérie, son contournement par le nord contraint à emprunter une voie alternative à travers le Sud géorgien au relief hostile. Et il faut traverser la Djavakhétie, dont la population reste majoritairement réfractaire, car l’isolement de l’Arménie s’en trouverait encore aggravé. La voie ferrée projetée de Kars en Turquie à Tbilissi et à Bakou par Akhalkalaki qui se substituerait à celle qui passe par Gyumri en Arménie et dont le trafic est interrompu depuis près de quinze ans par la Turquie, illustre bien une volonté d’exclure l’Arménie du processus de développement régional [21]. À l’instar du nouveau corridor de transit énergétique par lequel passent les pipelines BTC et SCP, ce projet ferroviaire, qui assurerait une liaison supplémentaire entre l’Azerbaïdjan et la Turquie via la Géorgie, marginaliserait davantage l’Arménie. Offrant une alternative politiquement acceptable à la Turquie et à l’Azerbaïdjan, la Géorgie risquerait toutefois de provoquer un conflit d’intérêts en Djavakhétie où se mobiliserait la population contre la politique d’asphyxie de l’Arménie.
La Djavakhétie face aux priorités stratégiques des Arméniens dans le Caucase du Sud
22La cohérence géopolitique du Sud-Caucase s’est manifestée après la dislocation de l’URSS, dans le cadre de la construction européenne [22], principalement à partir d’une fonction de corridor de désenclavement des ressources du bassin de la Caspienne, la traversée de l’isthme du Caucase ouvrant à celles-ci un débouché maritime en Europe. L’interdépendance économique et politique des trois Républiques du Sud-Caucase incite l’Arménie et l’Azerbaïdjan à ne pas trop intervenir dans les affaires qui opposent les populations arménienne et azérie de Géorgie à Tbilissi. Ceci vaut en particulier pour le conflit en Djavakhétie qui menace le seul axe de désenclavement de l’Arménie.
23À la phase critique de frustration et d’exacerbation réactionnelle des identités culturelles sous Gamsakhourdia allait succéder une période d’apparente accalmie en Djavakhétie sous Chevardnadze. Ce dernier stabilisa en surface la région, confiant son administration à des fidèles issus de l’élite locale et à des chefs de clans arméniens sur lesquels il s’appuya pour la contrôler. En outre, pour affaiblir davantage l’impact du mouvement autonomiste [23] sur la population, la région fut incorporée de facto en 1994 à un vaste espace administratif hétérogène, la province de Samtskhe-Djavakhétie, dont le contrôle a jusqu’à présent toujours été confié à un gouverneur géorgien nommé par le président. Le pouvoir régional ayant été en partie transféré aux hommes du président et délocalisé d’Akhalkalaki à Akhaltsikhe [24], la Djavakhétie fut dès lors structurellement et politiquement affaiblie avec l’assentiment des autorités arméniennes. Dépossédée de sa capacité de réaction, la population locale s’accommoda néanmoins de la situation en raison de la conclusion par Chevardnadze, en 1993, d’un accord sur la présence prolongée jusqu’en 2008 des bases russes de Géorgie, dont celle d’Akhalkalaki [25].
La « révolution des roses » et l’ouverture de la crise en Djavakhétie
24Le tournant dans les relations entre les Arméniens de Djavakhétie et les autorités géorgiennes date de 1999 et du sommet de l’OSCE à Istanbul, au cours duquel un accord de principe relatif au retrait des bases russes d’Akhalkalaki et de Batoumi fut trouvé. Le mouvement de protestation contre le départ des Russes s’amplifia dès lors, la base comblant les déficits structurels dus à l’absence de politiques économique et sociale en Djavakhétie et garantissant de surcroît la sécurité des Arméniens de la région face à « l’ennemi » turc stigmatisé par quatre siècles d’histoire commune.
25Depuis la révolution « démocratique » des roses en Géorgie et l’accession au pouvoir du leader emblématique du nouveau Mouvement national, les tensions arméno-géorgiennes dans le pays ne se sont pas apaisées, loin de là. La politique actuelle de reconquête territoriale rappelle la détérioration du climat politique de la phase qui avait immédiatement précédé les conflits abkhaze et sud-ossète. Dans les faits, depuis l’entrée en fonctions de Mikhael Saakachvili et de son équipe début 2004, les heurts entre autorités et population se sont succédé en Djavakhétie, jusqu’aux manifestations de mars 2006 à Akhalkalaki qui ont tourné à l’émeute. Celles-ci faisaient suite au meurtre d’un jeune Arménien de Tsalka lors d’une agression d’un groupe de Svanes contre des Arméniens [26]. Pendant l’émeute, trois institutions symboles d’un conflit jusqu’à présent larvé ont été attaquées par les manifestants. La branche locale de l’université d’État de Tbilissi à Akhalkalaki, requérant la maîtrise du géorgien à l’entrée, et qui n’a admis en 2005 que quatre candidats originaires de Djavakhétie en première année, parmi lesquels deux Arméniens sur une promotion de quatre-vingts étudiants. Les jeunes Arméniens sont, par voie de conséquence, obligés de quitter la Djavakhétie pour aller étudier en Arménie ou bien en Russie s’ils désirent poursuivre leur formation. Ensuite la Cour de justice d’Akhalkalaki qui a dû se séparer en février 2006 de trois juges arméniens, lesquels ont été, faute de connaissance du géorgien, révoqués en deux temps par les autorités centrales de Tbilissi ; celles-ci avaient dû les réintégrer une première fois à la suite des protestations de la population locale. Enfin, l’éparchie de l’Église orthodoxe géorgienne a également été visée. La consécration officielle en janvier 2006, en présence de la présidente du Parlement géorgien Nino Bourdjanadze, d’une école maternelle d’Akhalkalaki transformée en église orthodoxe géorgienne a été vécue comme une provocation par la population locale, cela à un moment où le dialogue interreligieux s’est nettement tendu. Les autorités géorgiennes n’avaient en effet jamais donné suite aux recours répétés de l’Église apostolique arménienne pour que son antique diocèse de Géorgie obtienne une reconnaissance juridique dont seule bénéficie aujourd’hui l’Église orthodoxe géorgienne, et récupère six églises du patrimoine historique arménien en Géorgie qui compterait 638 lieux de culte selon le porte-parole du Saint-Siège d’Etchmiadzin en Arménie. Fin 2005, ces doléances ont déclenché une vive polémique entre les deux Églises autocéphales dont se sont emparé les médias géorgiens et arméniens et qui a donc dépassé le simple cadre national de la Géorgie. Dans la foulée, l’ombudsman géorgien [27] a présenté au Parlement en février 2006 un rapport très critique sur les discriminations culturelles et religieuses des minorités nationales, provoquant par là l’ire des députés géorgiens. C’est dans ce climat délétère où il est question d’usurpations et d’altérations flagrantes d’églises arméniennes par le clergé géorgien, et ce jusqu’en en plein centre de Tbilissi, que l’Église orthodoxe géorgienne a décidé à la même date d’étendre son diocèse de Dmanissi, en Kvémo-Karthlie (sud de la Géorgie) à la région du Lori au nord de l’Arménie où elle ne compte aucun fidèle, sans en avoir même avisé l’Église apostolique arménienne. Une décision unilatérale qui a rendu méfiant Etchmiadzin et qui renvoie à la guerre de 1918 ayant opposé l’Arménie à la Géorgie précisément à propos de la Djavakhétie et du Lori.
26L’escalade des tensions entre minorité arménienne et autorités géorgiennes a persisté en 2006. Le 5 octobre ont eu lieu les élections municipales en Géorgie. Une échéance de taille pour le président géorgien. Alors que l’opposition mettait toujours davantage en cause la gouvernance de l’ex-leader de la « révolution des roses », accusé de dérive autoritaire, ces élections de mi-mandat allaient permettre à son parti de conforter son assise dans le pays. Suite à l’interpellation le 27 septembre à Tbilissi de cinq militaires russes soupçonnés d’espionnage, la Russie a suspendu ses liaisons aériennes, ferroviaires, routières, maritimes et postales avec la Géorgie le 2 octobre. Mikhael Saakachvili a activement recherché, depuis lors, des soutiens à l’Ouest. Ainsi, en pleine crise avec Moscou [28], la validation de ces élections par la communauté internationale aurait dû encore rapprocher la Géorgie de ses partenaires occidentaux. Mais alors que des « travaillistes » aux « républicains » géorgiens en passant par les minorités nationales l’opposition dénonçait les fraudes électorales, le parti de la majorité présidentielle fut déclaré vainqueur, même dans le district d’Akhalkalaki où des membres de la très populaire union des organisations arméniennes Djavakhk uni s’étaient portés candidats. Ainsi fallait-il à tout prix contenir le mouvement de protestation des Arméniens de Djavakhétie dont les meneurs avaient publiquement réclamé au président géorgien d’invalider les résultats du scrutin d’Akhalkalaki et en avaient même appelé à la communauté internationale. Le 9 octobre, la Commission électorale centrale de Géorgie rendait publique la victoire du parti au pouvoir de Saakachvili à Akhalkalaki. Les supporters de Djavakhk uni prirent d’assaut le bâtiment de la préfecture où siégeait la commission électorale du district. Le lendemain, la voiture du leader de l’union des ONG arméniennes de Djavakhétie, Vahagn Tchakhalian, fut attaquée par des inconnus et un autre membre de l’organisation poignardé. Quelques heures après l’incident, le chef de file de Djavakhk uni était arrêté par les services arméniens de Sécurité nationale. Cette arrestation allait entraîner de nombreuses protestations en Djavakhétie où l’organisation appela la population à manifester à proximité du poste frontière arménien, mais aussi en Arménie où quinze parlementaires de l’opposition, rejoints ensuite par des membres de la coalition gouvernementale, signèrent une déclaration commune demandant la libération du leader politique de Djavakhétie, qui se produisit en définitive le 30 octobre. Faut-il voir dans cet enchaînement de faits une simple coïncidence ou bien une manoeuvre conjointe de Tbilissi et Erevan pour neutraliser la principale force fédératrice en Djavakhétie ? Djavakhk uni est considéré par le gouvernement géorgien comme un obstacle à la restauration de son autorité dans la région alors que l’Arménie pouvait appréhender ici une menace pour l’entente cordiale entre les deux voisins, donc sur sa seule voie de désenclavement vers la mer [29].
27Le rapprochement entre les deux pays s’est confirmé lors des dernières présidentielles qui ont successivement eu lieu début 2008 en Géorgie et en Arménie. Alors que les manifestations de l’opposition menaçaient de se transformer en mouvement de protestation générale, l’état d’urgence a pareillement été décrété par les autorités à Tbilissi et à Erevan au motif, notamment, d’échapper à une tentative de coup d’État. Dans les deux cas, l’OSCE a publié des rapports post-électoraux formulant de sérieuses réserves quant aux contextes dans lesquels se sont déroulés les scrutins [30].
La politique des minorités en Géorgie et le risque de conflit en Djavakhétie
28La dynamique des populations reposant de manière significative sur la géographie et la politique linguistique, les nouvelles mesures coercitives liées à la connaissance du géorgien pousseront les Arméniens à émigrer davantage, la structure démographique de la Djavakhétie s’en trouvant altérée. Or, la Géorgie a contracté des engagements à l’égard du Conseil de l’Europe lors de son adhésion en 1999. Mais la convention-cadre pour la protection des minorités nationales n’est entrée en vigueur qu’en avril 2006. En outre, la charte européenne des langues régionales et minoritaires qui aurait dû être ratifiée avant septembre 2005, n’a toujours pas été signée.
29À la différence des conflits abkhaze et sud-ossète qui ont coïncidé avec la fin du communisme soviétique, le paramètre religieux est venu se greffer à la crise qui s’est installée en Djavakhétie. Vecteur de la refondation nationale, l’expansionnisme de l’Église orthodoxe géorgienne donne une dimension régionale au conflit.
30La politique géorgienne est en réalité guidée par une angoisse permanente d’éclatement du pays. Ses minorités nationales, qui peuplent majoritairement les territoires à la périphérie, aux frontières des pays parents, sont en effet considérées comme une menace pour l’unité. De surcroît, l’éventualité d’un exode des Arméniens hors de Djavakhétie amplifie le risque d’un conflit à la frontière arméno-géorgienne, lui-même provoqué par un sentiment toujours plus aigu d’enfermement chez les Arméniens du Sud-Caucase.
Le Caucase du Sud entre l’emprise russe et l’entrée en jeu de la Turquie
31Après près de deux siècles d’occupation, le Caucase du Sud s’est affranchi de la tutelle russe. Cependant, même si la Russie a été déchue de son autorité, sa présence dans la région ne s’y est jamais démentie après la fin de l’URSS, et ce malgré l’entrée en jeu des Américains et les projets d’intégration politique et économique du Sud-Caucase à la sphère d’influence européenne. Dès l’accession à l’indépendance des Républiques socialistes, les Russes recouvrèrent en effet leur emprise sur les zones de conflits d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud du nord géorgien. En outre, ils ont occupé jusqu’en 2007 les bases militaires d’Akhalkalaki et de Batoumi qui leur ont assuré, avec la base de Gyumri, la quasi-maîtrise des territoires du Sud-Caucase limitrophes de la Turquie. Ils ont finalement dû se retirer de Géorgie conformément à l’accord signé à Sotchi en avril 2006.
32Finalement, la « russification » des régions en conflit situées à la périphérie de la Géorgie fonde la stratégie russe de reconquête du Sud-Caucase. Les autorités abkhazes avaient prétendu que l’ensemble de la population aurait un passeport russe d’ici la fin 2005. Moscou aurait accordé la nationalité russe à une écrasante majorité des populations abkhaze et sud-ossète. Par ailleurs, l’introduction en 2000 par la Russie d’un système de visas pour les citoyens géorgiens incite les saisonniers de Djavakhétie à s’établir en Russie. D’après une étude menée fin 2002 par l’Organisation internationale pour les migrations, près de 44 % des familles interrogées dans le district d’Akhalkalaki auraient un membre installé à l’étranger, en Russie principalement. L’intégration de ces zones de conflit et de crise à l’espace politique et économique de la Russie a pour objectif de rétablir l’emprise russe sur le Caucase du Sud. De surcroît, la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par une partie de la communauté internationale et la dénonciation par Moscou de la politique de deux poids deux mesures de l’Occident n’ont fait que renforcer l’influence de Moscou sur ces territoires.
33En 1783, la Géorgie avait sollicité la protection de la Russie qui y posta ses troupes pour garantir la sécurité du pays contre les Ottomans. Depuis le changement d’alliance à Tbilissi, les Arméniens de Djavakhétie, en proie à une angoisse de « turcification » de leur territoire situé sur la voie d’interconnexion turco-azérie, avaient engagé un vaste mouvement de protestation contre le retrait de la base russe d’Akhalkalaki ou le projet de voie ferrée Bakou-Akhla-kalaki-Kars. En définitive, la désintégration de l’URSS a exacerbé les nationalismes du Sud-Caucase et réactivé la lutte russo-turque pour le contrôle de la région.
Notes
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[1]
ICG, Conflict Resolution in the South Caucasus : The EU’s Role, Europe Report n° 173, Tbilissi/Bruxelles, 20 mars 2006.
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[2]
Le terme de Transcaucasie – en russe Zakavkaz’e – désigne les territoires situés au-delà de la chaîne montagneuse du Caucase, vus de Russie.
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[3]
D’après le dernier recensement de la population en 2002.
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[4]
Les bases militaires russes d’Akhalkalaki et de Batoumi en Géorgie, et celle de Gyumri en Arménie, forment un arc stratégique, véritable glacis de surveillance, cernant le nord-est de la Turquie frontalier de l’ex-URSS.
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[5]
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe adopta alors la décision en vertu de laquelle « dans le courant de l’année 2000, les parties en présence [Russie et Géorgie] achèveront les négociations relatives à la durée et au fonctionnement des bases militaires russes à Batoumi et à Akhalkalaki et aux installations militaires russes en Géorgie ».
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[6]
Ex-ministre des Affaires étrangères de l’URSS, Édouard Chevardnadze – président de la Géorgie depuis 1995 – fut déchu de sa fonction et remplacé en janvier 2004 par Mikhael Saakashvili, 37 ans, formé notamment aux États-Unis.
-
[7]
Par le traité de Batoumi en juin 1918, les Géorgiens abandonnèrent aux Ottomans les districts d’Akhalkalaki et d’Akhaltsikhe. Mais quelques mois plus tard, les Ottomans et les Allemands, vaincus de la Première Guerre mondiale, durent quitter la Transcaucasie. Fin 1918, l’Arménie et la Géorgie entrèrent en conflit à propos d’Akhalkalaki.
-
[8]
Le volume d’argent transféré en Djavakhétie laisse entendre que 60 % de la population active masculine émigrent temporairement en Russie chaque année.
-
[9]
En 1989, la Géorgie comptait 70% de Géorgiens et 30 % de minoritaires, dont 8,1% d’Arméniens, 6,3 % de Russes, 5,7 % d’Azéris, 3 % d’Ossètes, 1,9 % de Grecs et 1,8 % d’Abkhazes. D’après le dernier recensement de la population en 2002, qui n’inclut pas l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, la Géorgie compte désormais 83,7 % de Géorgiens et 16,3 % de minorités, dont 5,7 % d’Arméniens, 1,7 % de Russes et 6,5 % d’Azéris.
-
[10]
L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont obtenu respectivement les statuts de république et de région autonome de Géorgie.
-
[11]
Avant l’éclatement des conflits dans les provinces autonomes de Géorgie, les Abkhazes ne constituaient plus que 17,8 % de la population d’Abkhazie, soit 93 500 personnes d’après le dernier recensement soviétique en 1989; 5 000 vivaient en Géorgie. En grande partie islamisés sous l’occupation ottomane, ils avaient massivement émigré en Turquie depuis l’annexion par les Russes de leur territoire au début du XIXe siècle et y étaient par conséquent devenus minoritaires. L’Ossétie du Sud, quant à elle, comptait 66 % d’Ossètes en 1989, soit 65 000 personnes ; 100 000 autres vivaient en Géorgie. En Djavakhétie, par contre, la situation ne dégénéra pas en conflit armé bien que les Arméniens aient constitué plus de 90 % de la population locale, soit 97 000 personnes, 340 000 autres vivant dans le reste de la Géorgie. Ils représentaient alors la première minorité nationale du pays.
-
[12]
La Géorgie est après le Daghestan la république du Caucase qui compte le plus grand nombre de nationalités.
-
[13]
Les langues du groupe caucasique du Nord-Ouest sont parlées dans les républiques autonomes d’Abkhazie, d’Adyghéie, de Karatchaevo-Tcherkessie, et de Kabardino-Balkarie.
-
[14]
45,7 % de Géorgiens vivant en Abkhazie en 1989 étaient des Mingréliens.
-
[15]
Zones ethnolinguistiques parentes : Abkhazie et Caucase du Nord-Ouest, Ossétie du Sud et Ossétie du Nord, Djavakhétie et Arménie, Kvémo-Kartlie et Azerbaïdjan.
-
[16]
Conformément à la loi électorale adoptée en août 1991 et fondée sur des quotas, 26 sièges avaient été attribués aux Géorgiens contre 28 aux Abkhazes bien qu’ils fussent minoritaires; les Arméniens avaient 6 sièges et les autres groupes ethniques les 5 restants. Le bloc des minorités totalisait ainsi 39 sièges sur 65.
-
[17]
Alors région autonome de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, le Nagorno-Karabakh demanda son unification avec l’Arménie dès 1988. La guerre éclata à l’automne 1991 et se termina en 1994 par la signature d’un cessez-le-feu.
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[18]
Le Kavburo (Kavkazbjuro) était la section caucasienne du parti communiste. Après l’annexion de la Transcaucasie par les bolcheviks, la délimitation des frontières fut tranchée par le Kavburo qui était sous l’emprise de Staline, alors commissaire du peuple aux Nationalités. Dès les premiers signes de détente du régime et d’affranchissement des peuples de leur gouvernement tutélaire, les conflits proliférèrent dans la Caucase suivant le même schéma, en conséquence de la politique stalinienne de frustration des identités. Plus grave, la multiplication des conflits a provoqué des déplacements massifs de communautés et l’homogénéisation ethnique croissante des populations et des territoires devenus de plus en plus imperméables. En définitive, la politique stalinienne a réduit le Caucase à un foyer de nationalismes.
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[19]
Corridor de transit routier en direction de la mer Noire : Bakou-Tbilissi-Poti et Batoumi. Corridors de transit énergétique en direction de la Méditerranée et de la mer Noire : le nouvel oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) passe par Tsalka et Akhaltsikhe en Samtskhe-Djava-khétie et poursuit jusqu’au port turc de Ceyhan en Méditerranée ; gazoduc SCP (South Caucasus Pipeline) dont le tracé, parallèle au BTC jusqu’à la frontière turco-géorgienne, va jusqu’à Erzeroum en Turquie où il est connecté au réseau domestique gazier. Oléoduc et gazoduc Bakou-Tbilissi-Supsa. Voie ferrée reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie via la Djavakhétie, pour laquelle le lancement des travaux a été inauguré le 21 novembre 2007 : Bakou-Tbilissi (rail existant), Tbilissi-Akhalkalaki (rail à réhabiliter), Akhalkalaki-Kars (rail à construire). Un nouveau Fonds pour les défis du millénaire – Millennium Challenge Account – a été créé en 2004 dans le cadre d’une augmentation sensible de l’aide publique au développement (ADP) américaine décidée par le président George W. Bush ; 295,3 millions de dollars ont été à ce titre accordés à la Géorgie en 2005, dont 102,2 devraient être utilisés pour la réhabilitation et la construction de 245 km de routes en Samtskhe-Djava-khétie ; Turquie et Géorgie seront ainsi reliées via la Djavakhétie, les travaux devaient commencer en 2007.
-
[20]
Entretien conduit par Florence Mardirossian à Tbilissi avec Salomé Zourabichvili, alors ministre des Affaires étrangères de Géorgie, « L’extension du voisinage de l’UE à l’Est : une nouvelle réalité de la géopolitique européenne ? », Diplomatie, mars-avr. 2005.
-
[21]
À environ un an d’intervalle, en juin 2005 et en mars 2006, deux dispositions législatives semblables ont été présentées à la Chambre des représentants puis au Sénat américain. Elles prévoient d’interdire le soutien financier des États-Unis à l’aménagement de cette liaison ferroviaire excluant expressément l’Arménie, et donc considérée comme une initiative antiarménienne de plus. Cette mesure vise à enrayer la campagne que mène la Turquie pour « isoler l’Arménie économiquement, politiquement et socialement » en exacerbant le double blocus turco-azéri. À l’instar de « la politique des États-Unis dans le Caucase du Sud [qui] cherche à promouvoir la coopération régionale et l’intégration économique », l’Union européenne (UE) est prête à soutenir tout processus régional. Cependant, comme l’a rappelé le commissaire européen aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, lors de sa visite dans le Caucase du Sud en février 2006, « l’Union européenne ne financera pas la construction de la voie ferrée Kars-Akhalkalaki puisque ce projet exclut l’Arménie, ce qui est en contradiction avec la politique européenne de voisinage ». Le nouveau représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud, Peter Semneby, a confirmé cette décision lors de sa visite inaugurale dans la région en avril 2006. Par ailleurs, ce projet estimé entre 500 millions et 1 milliard de dollars a été jugé « inutile et inefficace » par la Direction générale des transports et de l’énergie de la Commission européenne, compte tenu de l’existence de la ligne de chemin de fer Kars-Gyumri-Tbilissi.
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[22]
En mars 2003, dans le cadre de l’Europe élargie, l’UE lança sa politique européenne de voisinage (PEV ) avec les pays situés aux frontières extérieures de l’Union et dont fut explicitement exclu le Caucase du Sud. Un an après, en juin 2004, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, en tant que composantes d’un ensemble géopolitique indissociable, furent intégrés à la PEV. L’une des raisons de cette intégration tardive était la persistance des conflits gelés dans la région, donc d’un obstacle à la coopération régionale. L’UE, qui considère la stabilité du Caucase méridional comme primordiale pour la sécurisation de ses propres frontières, a donc décidé en définitive de s’engager davantage dans la région, sa priorité étant de promouvoir le règlement des conflits, comme s’en est expliqué récemment Peter Semneby. En revanche, le renforcement des lignes de fracture dans la région affaiblirait l’équilibre déjà très précaire entre les trois Républiques et augmenterait l’insécurité aux portes de l’Europe. Ce cas de figure entamerait encore la cohérence géopolitique du Sud-Caucase et ses perspectives d’intégration économique au marché mondial. Actuellement en cours de négociation de leur plan d’action PEV, les républiques du Sud-Caucase ont reçu un message clair du représentant de l’UE pour le Caucase du Sud à propos des « conséquences majeures [qu’aurait] un quelconque recours à une solution militaire ».
-
[23]
Depuis l’indépendance, les mouvements politiques de Djavakhétie ont toujours plaidé en faveur d’une plus grande autonomie régionale au sein de la Géorgie sans jamais céder au séparatisme pourtant très marqué au Caucase, ceci notamment en raison de l’opposition systématique des gouvernements successifs d’Arménie à cette perspective.
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[24]
Akhaltsikhe est le centre administratif de Samtskhe-Djavakhétie.
-
[25]
Cet accord, jamais ratifié, fut passé dans un contexte de détente des relations russogéorgiennes, au moment où la Géorgie rejoignait une CEI que Gamsakhourdia avait refusé de rallier lors de sa création en 1991. Chevardnadze concéda l’adhésion géorgienne en échange d’un soutien russe contre les forces zviadistes – partisans de Gamsakhourdia – qui occupaient l’ouest du pays.
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[26]
Rattaché à la province de Kvémo-Karthlie à majorité azérie, Tsalka est aujourd’hui un district à majorité arménienne par lequel passent les oléoducs BTC et SCP. Auparavant, Tsalka était presque exclusivement peuplé d’Arméniens et surtout de Grecs dont une partie importante a migré vers Grèce et la Russie après l’indépendance. Ces derniers ont été remplacés par de nouveaux migrants, des montagnards venus d’Adjarie et de Svanétie, région de haute montagne du nord-est de la Géorgie qui jouxte l’Abkhazie, occupant à présent les maisons des Grecs qui ont émigrés. Depuis, Tsalka est devenu un foyer de tensions ethniques. Le président du Conseil mondial des Hellènes à l’étranger a d’ailleurs à plusieurs reprises attiré l’attention du président Saakachvili sur les violations des droits des Grecs à Tsalka, commises par des bandes criminelles qui s’approprient illégalement leurs maisons. Malgré ces appels à la vigilance, la situation semble ne pas s’être améliorée. La situation pourrait dégénérer avec menace par voie de conséquence sur les intérêts occidentaux à proximité.
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[27]
Personne chargée de défendre les droits du citoyen face aux pouvoirs publics.
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[28]
Florence Mardirossian, « Géorgie-Russie, les raisons d’une escalade », Monde diplomatique, nov. 2006, <www. monde-diplomatique. fr/ 2006/ 10/ MARDIROSSIAN/ 14166>.
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[29]
Lire l’entretien avec Serzh Sargsyan, président de la République d’Arménie, conduit par Florence Mardirossian et le recteur Gérard-François Dumont, « L’Arménie face à un certain enclavement géopolitique », <www. diploweb. com/ forum/ armenie08038. htm>,Erevan, juin 2006.
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[30]
Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH /ODIHR ) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération (OSCE) en Europe est le principal organe d’observation électorale dans la zone Eurasie. Lire les rapports électoraux de l’ODIHR sur <www. osce. org/ odihr-elections/ 14207. html>.