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Article de revue

La situation géopolitique de l'Équateur en 2007 : vers la sortie d'une période d'instabilité chronique ?

Pages 361 à 373

Notes

  • [1]
    Si l’on excepte l’éphémère présidence constitutionnelle de Rosalía Arteaga du 8 au 11 février 1997.
  • [2]
    Même si les étrangers inscrits dans les consulats peuvent voter, le nombre de clandestins est tel que beaucoup d’habitants n’ont pu voter.
  • [3]
    J. P. Deler, Genèse de l’espace équatorien. Essai sur le territoire et la formation de l’État national, Association pour la diffusion de la pensée française (éd.), collection Recherche sur les grandes civilisations, Paris, 1981.
  • [4]
    D’après Carlos Xavier Gutierrez dans l’hebdomadaire Vistazo, 1er déc. 2006.
  • [5]
    Ce dernier, créé au début des années 1980, a capté l’héritage de Concertación de Fuerzas Populares (CFP), aujourd’hui marginal.
  • [6]
    Le Monde, 29 sept. 2007.
  • [7]
    Osvaldo Hurtado, vice-président de Jaime Roldós, est devenu président de la République à la suite du décès de ce dernier en 1981.
  • [8]
    A. Gastambide, A. Sierra, « La dollarisation de l’Équateur à la loupe », Le Monde, 12 janv. 2003.
  • [9]
    Les négociations sur les concessions pétrolières et la lutte contre les narcotrafiquants colombiens ont largement contribué à la crise politique de 2005 et aux critiques émises par Rafael Correa à l’encontre de Luis Alfredo Palacio ; voir <www. cidob. org>.

1Le 26 novembre 2006, Rafael Correa a été élu président de la République au second tour d’un scrutin particulièrement tendu. Il sera le douzième président du pays depuis la restauration de la démocratie multipartiste en 1978 et le septième en dix ans [1]. En effet, depuis 1996, le pays connaît une instabilité politique chronique sur fond de crise économique. L’élection de Rafael Correa prolonge en Amérique latine la série d’élections qui ont porté au pouvoir des présidents marqués à gauche depuis Lagos au Chili en 2000 et Lula au Brésil en 2003. Correa occupe sur cet échiquier politique latino-américain une position intermédiaire entre la social-démocratie du président brésilien et le nationalisme de gauche de Hugo Chávez, ce dernier ayant largement soutenu sa candidature. Rafael Correa, dont la popularité est grande, se trouve dans une situation encore fragile. Les élections législatives concomitantes à l’élection présidentielle ne lui ont pas donné de majorité au Congrès. Le mouvement qu’il a créé pour porter sa candidature, Alianza País, n’avait pas présenté de candidats aux élections législatives faute d’être un parti politique structuré et enraciné. Cependant, comme Hugo Chávez au Venezuela, il a réussi à lancer un processus de révision constitutionnelle qui lui a apporté une très forte légitimité. Le référendum organisé en avril 2007 approuvant ce processus puis le raz-de-marée des partisans de Correa à l’Assemblée constituante élue en novembre de la même année se sont transformés en véritable plébiscite pour le président. C’est pourquoi Rafael Correa pourrait casser le cercle vicieux de l’instabilité politique de la dernière décennie. Aussi, pour comprendre le mouvement qui parcourt aujourd’hui l’Équateur, ne suffit-il pas de situer l’élection du nouveau président dans le contexte latino-américain favorable à la gauche. Il faut l’analyser dans un contexte national tourmenté depuis une dizaine d’années, en tenant compte de la géopolitique intérieure de ce pays de 283 000 km2 et de 13,4 millions d’habitants (2005).

Un régionalisme apparent

2Ce sont 13 candidats qui se sont affrontés au premier tout des élections présidentielles de 2006 (voir tableau). Au second tour, Rafael Correa entrait en lice contre Álvaro Noboa, candidat du parti populiste de droite, le Parti rénovateur institutionnel action nationale (PRIAN ) créé par celui-ci. Le premier enseignement de ce scrutin tient au taux d’abstention, un des plus élevés jamais enregistrés, 28 % des inscrits ne s’étant pas déplacés alors même que le vote est obligatoire pour les personnes alphabétisées de moins de soixante-cinq ans. Expliquent ces chiffres la lassitude et le scepticisme à l’égard de la classe politique, d’une part, et un nombre d’émigrés fortement accru [2].

tableau im1
Candidat Parti Résultats Alvaro Noboa PRIAN 26,8 % Rafael Correa Alianza País 22,8 % Gilmar Gutierrez PSP 17,4 % Leon Roldos ID 14,8 % Cynthia Viteri PSC 9,6 % Luis Macas MUPP - NP 2,2 % Fernando Rosero PRE 2,1 % Marco Proaño MRD 1,4 % Luis Villacis MPD 1,3 % Jaime Damerval CFP 0,5 % Marcelo Larrea Ind. 0,4 % Lenin Torres Ind. 0,3 % Carlos Sanay Ind. 0,2 % Source : Tribunal Supremo Electoral, Équateur.

Tribunal Supremo Electoral, Équateur.
Figure 1.

Provinces dans lesquelles Alvaro Noboa (PRIAN ) est arrivé en tête au second tour

Figure 1.
Figure 1. Provinces dans lesquelles Alvaro Noboa (PRIAN ) est arrivé en tête au second tour

Provinces dans lesquelles Alvaro Noboa (PRIAN ) est arrivé en tête au second tour

3Les résultats par province traduisent la persistance du régionalisme dans la géographie électorale (figure 1). La géographie équatorienne illustre en effet un dualisme entre les provinces côtières, la Costa, et les provinces andines de la Sierra [3]. Ce dualisme est nuancé par la croissance des provinces amazoniennes de l’Oriente et les différences internes à la Sierra et à la Costa. Mais les résultats du second tour montrent à quel point cette représentation duale du pays reste vivace. Les provinces côtières ont apporté leurs suffrages à Álvaro Noboa, candidat de la Costa et des intérêts de l’oligarchie guayaquilègne. Riche entrepreneur surnommé le « tsar de la banane », ce milliardaire en dollars possède une dizaine de plantations géantes et une centaine d’entreprises dont une banque, deux compagnies d’assurances, quatre sociétés de navigation maritime et plusieurs entreprises agroalimentaires. Son empire, le Grupo Noboa, est une multinationale qui contrôle 9 % du marché mondial de la banane. Candidat en 1998, il représente le Partido Roldosista Ecuatoriano, le parti populiste du président corrompu et destitué Abdalá Bucaram. Son score de 49 % face au démocratechrétien Jamil Mahuad, montre quel écho le discours populiste peut avoir dans un pays en crise. Candidat malheureux face à Lucio Gutiérrez en 2002, il surprend de nouveau en 2006 en arrivant en tête au premier tour des élections présidentielles, pour réaliser son plus faible score toutefois, de 43 % des suffrages, au second tour. Ses campagnes sont exemplaires du clientélisme et du populisme latino-américain. Sa fortune personnelle lui a permis, à lire la presse nationale, de dépenser en moyenne 9,5 dollars par vote contre 1,65 dollars à Rafael Correa. Il a ainsi distribué des chaises roulantes pour les handicapés et des milliers de T-shirts, facilité des prêts, distribué de l’argent liquide [4] … Un style d’emblée théâtral, mis en scène, le candidat allant jusqu’à s’agenouiller pour implorer le Seigneur tout en développant un credo ultralibéral. Bien que son parti soit implanté dans toutes les provinces, il suscite depuis longtemps la méfiance des habitants de la Sierra.

4Rafael Correa avait, lui, l’avantage d’être à la fois guayaquilègne par sa naissance, son enfance et ses études et quiténien de par sa résidence et sa profession. Au-delà de son positionnement idéologique, il pouvait donc apparaître comme représentant plus complètement que son adversaire l’Équateur. Il a été également perçu comme un homme neuf face à Alvaro Noboa qui en était à sa troisième élection et qui représente une forme d’élite contrôlant un pouvoir économique. Candidat pour la première fois, Rafael Correa n’a été ministre de l’Économie que durant quatre mois en 2005. Il s’est fait connaître pour ses positions radicalement à gauche et antiaméricaines, mâtinées de catholicisme social. Autant de caractéristiques qui pouvaient rassurer une nation qui se méfie des États-Unis et voit dans le christianisme une source de morale et d’identité.

Le rejet des partis traditionnels

5Le désir de changement incarné dans une personnalité nouvelle n’est pas sans rappeler ce qui s’est produit en Équateur avec l’élection de Lucio Gutiérrez en 2002, celle d’Alberto Fujimori au Pérou en 1990, celle d’Alejandro Toledo en 2000, la percée de Ollanta Humala en 2006, ou encore l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez au Venezuela. La situation est différente avec des candidatures longuement construites et assises sur des partis traditionnels comme celle de Lula au Brésil ou de Michelle Bachelet au Chili.

6Autre enseignement de ces élections, l’évolution du poids des partis traditionnels. Ont dominé l’Équateur depuis le retour de la démocratie quatre ou cinq partis : la Izquierda Democrática (ID, social-démocrate), la Democracia Popular (DP, démocrate-chrétien), le Partido Social Cristiano (PSC, droite) et le Partido Roldosista Ecuatoriano (PRE, droite populiste) [5]. Ces partis accèdent alternativement à la présidence de la République jusqu’en 1998. En revanche, les deux derniers présidents élus ainsi que leur vice-président ont été des candidats indépendants (figure 2).

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Figure 2.

7En 2006, nous retrouvons en Équateur la configuration vénézuélienne favorable à Chávez, c’est-à-dire une victoire en opposition aux partis qui s’étaient jusque-là partagé le pouvoir. Les trois candidats obtenant le plus grand nombre de suffrages au premier tour des élections présidentielles sont ceux qui ont créé leur propre mouvement politique et rompu avec les partis traditionnels. Ainsi, Álvaro Noboa, Rafael Correa et Gilmar Gutiérrez totalisent les deux tiers des votes alors que Leon Roldós soutenu par ID et Cynthia Viteri, candidate du PSC, ne recueillent à eux deux qu’un quart des votes. Le reste des suffrages se répartit sur huit autres candidats qui obtiennent moins de 3 % chacun (voir tableau). Cette évolution illustre bien le rejet du système politique traditionnel.

8Les élections législatives aboutissent à des résultats similaires. Jusqu’en 2002, les quatre partis traditionnels contrôlaient l’Assemblée. Depuis les dernières élections, celle-ci est contrôlée par deux partis, le Partido Renovador Institucional Acción Nacional et le Partido Sociedad Patriótica del 21 de enero (PSP) qui sont de création récente. Le premier a été créé en 2000 par Álvaro Noboa en tant que scission du PRE dont l’électorat lui est aujourd’hui pour l’essentiel acquis. Le second a été créé par Lucio Gutiérrez à la suite du soulèvement de janvier 2000 pour accéder à la présidence en 2003. La présence de ces deux partis dominants illustre la complexité de la situation électorale et législative que doit gérer Rafael Correa. Du fait de sa forte implantation dans la Sierra, le PSP a la même base électorale que le président élu. Les électeurs du PSP ont majoritairement voté pour lui, ce qui explique par exemple sa nette victoire dans les provinces amazoniennes, là où Gilmar Gutiérrez, candidat du PSP, était arrivé en tête au premier tour (figure 3). Quant aux autres partis, ils résistent essentiellement dans leurs fiefs d’origine, à savoir la région de Quito pour ID (figure 4) et celle de Guayaquil pour le PSC (figure 5).

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Figure 3.

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Figure 4.

9Le nouveau président a donc devant lui un obstacle parlementaire. Les réformes constitutionnelles envisagées tendent précisément à contourner ce frein potentiel à sa politique. Comme il s’y était engagé lors de sa campagne électorale, Rafael Correa a organisé le 15 avril 2007 un référendum sur la convocation d’une Assemblée constituante et obtenu plus de 78 % de suffrages positifs, le scrutin se transformant en plébiscite. Fort de ce score, il a engagé le processus : de nouvelles élections sont organisées et l’Assemblée aura les pleins pouvoirs pour modifier la Constitution et l’organisation politique du pays. Les élections du 30 septembre 2006 lui ont accordé une victoire écrasante : avec 69 % des suffrages, son mouvement, Alianza País, remporte 73 sièges sur 130 ! Le PSP et le PRIAN n’atteignent pas 14 % à eux deux et des partis plus anciens, comme le PSC et la ID, sont laminés. Ces deux derniers n’arrivent d’ailleurs à sauver quelques sièges que dans leurs bastions traditionnels, le Guayas pour le premier et le Pichincha pour le second. Cette victoire électorale permet à Rafael Correa de dissoudre le Congrès. L’Assemblée constituante qui le remplace doit rédiger la nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum en 2008. De nouvelles élections générales doivent avoir lieu avec son adoption. Ici encore on retrouve le processus instauré au Venezuela sans qu’il faille appréhender ce dernier pays en tant que modèle importé, Rafael Correa affirmant lui-même que le « socialisme du XXIe siècle en Équateur ne sera pas celui de Chávez [6] ». Cette réforme constitutionnelle montre cependant l’importance, pour la majorité de l’opinion publique, de trouver un remède à l’instabilité politique et de restaurer l’autorité publique nationale.

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Figure 5.

Une décennie d’instabilité et de faiblesse de l’État

10La situation en Équateur n’est pas nouvelle et l’histoire des dix dernières années enseigne à quel point le défi que doit relever Rafael Correa est grand : trouver des relais législatifs et dans les provinces, mais aussi redonner au pays une stabilité politique perdue depuis 1996 (figure 2).

11Mise de la sorte en perspective, la présidence de Rafael Correa, pour le moment dépourvue de majorité parlementaire, apparaît d’autant une gageure qu’aucun président élu depuis 1996 n’a pu aller au terme de son mandat. Trois présidents élus (A. Bucarám, J. Mahuad, L. Gutiérrez) ont été destitués sur fond de crise économique, financière, sociale et morale. Trois présidents (F.Alarcón, G. Noboa, L. A. Palacio) n’ont pas été élus, ils ont succédé à ces présidents destitués. Faiblement légitimés et dépendants du jeu des partis au Congrès, ils n’ont pas eu l’assise politique que confère une élection directe pour mener des réformes profondes. Ils ont été des présidents gestionnaires qui n’ont fait que retarder la rénovation du système politique et économique, même si leur mandat a été aussi long que celui des présidents élus. La période est d’autant plus surprenante que depuis le retour à la démocratie en 1978 et jusqu’en 1996, il y a eu alternance normale avec 5 présidents dont 4 élus [7]. La situation se renverse en 1996 et la présidence de Abdalá Bucaram sera la plus courte de la période. Très largement contesté, Abdalá Bucaram est destitué par le Congrès qui désigne anticonstitutionnellement Fabión Alarcón pour lui succéder. Cette procédure anticrise crée un précédent : en 2000 et en 2005, le Congrès destituera le président ou le contraindra à démissionner sous la pression populaire. En 1997, Fabián Alarcón avait cependant cherché à se légitimer en organisant un plébiscite qu’il remporta puis des élections pour convoquer une Assemblée constituante. La comparaison avec la situation actuelle s’arrête là. En effet, à l’époque le Congrès parvint à limiter le pouvoir de cette Constituante. La réforme constitutionnelle ne devait pas modifier l’équilibre des pouvoirs : elle régla la question de la succession présidentielle et se borna à établir de nouveaux droits et devoirs. Quand Jamil Mahuad est élu en 1998, aucune réforme de fond n’a été engagée pour faire face à la crise financière dont la violence allait prendre les autorités de court. Quand il décide de dollariser le pays à marche forcée, le train de mesures est si impopulaire que les manifestations parviennent à bloquer le pays. Les mouvements indigènes prennent le Congrès ; un comité de salut public dirigé par le président de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE ) et par le colonel Lucio Gutiérrez se met en place. Ce dernier remportera les élections de 2002 sur un discours assez radical, mais semble tourner le dos à son programme sitôt élu en acceptant la dollarisation effectuée et en s’alignant sur les institutions internationales. Un mouvement similaire à celui auquel il avait participé le balaie alors qu’il est accusé de népotisme et qu’il a consenti à une privatisation du secteur pétrolier. Rafael Correa devient par la suite le troisième président élu dans un contexte de crise, de grande méfiance à l’égard des pouvoirs publics et de présidence affaiblie en termes de légitimité du fait de ces destitutions à répétition. Dans ce contexte, deux protagonistes ont compté : l’armée et la communauté indienne.

Le rôle de l’armée

12L’armée, comme dans beaucoup d’États latino-américains, a été un protagoniste dominant de la vie politique. L’Équateur a connu une dictature militaire de 1973 à 1978. L’armée a conservé un très grand poids politique et économique après le retour à la démocratie. Elle contrôle de nombreuses entreprises : de la finance (Banco Rumiñahui) à l’aviation civile (TAME ), en passant par le secteur touristique (Amazonica SA). Elle contrôle en particulier la HoldingDine SAqui a des actions dans la sidérurgie, les mines, le bâtiment, l’armement, le textile, l’agroalimentaire, les bananeraies, la floriculture et les compagnies de navigation maritime. En 1997, lors de la destitution de Abdalá Bucaram, c’est l’armée qui a assuré la médiation entre les différents protagonistes, couvert le départ du président déchu et assuré la transition. Le chef d’état-major de l’époque, Paco Moncayo, est depuis devenu maire de Quito. L’armée bénéficie également d’une certaine confiance de la population, car elle est l’une des rares institutions ayant assuré la continuité de l’État. Elle joue également un rôle dans l’intégration nationale par le biais du service militaire. Cela explique sa capacité de médiation en cas de crise ou, comme en 2000, le fait qu’elle ait pu basculer du côté du soulèvement populaire. C’est de l’alliance entre le parti indien PachakutikNuevo País (MUPP - NP ) et le PSP de Lucio Gutiérrez qui permettra à ce dernier de remporter les élections présidentielles de novembre 2002. La communauté indienne apparaît ainsi comme l’autre protagoniste majeur des soubresauts politiques des dernières années.

Les organisations amérindiennes comme nouvel acteur politique

13Selon le recensement de 2005, les Amérindiens représentent 25 % de la population équatorienne. Ils se répartissent officiellement entre peuples et nationalités. La Sierra abrite les plus nombreux avec la nationalité quechua et ses treize peuples. Une dizaine de peuples amérindiens vivent en Amazonie. Dans les années 1980 et 1990, les communautés amérindiennes ont cherché à faire reconnaître leur identité et à faire constater l’état d’infériorité dans lequel la colonisation puis la République les avaient laissées. Plusieurs associations indiennes créèrent à cet effet la CONAIE en 1986. La pression exercée débouchera sur une intégration de leurs droits collectifs dans la réforme constitutionnelle de 1998. Une section de la Constitution est ainsi consacrée à la promotion de leur culture, de leur langue et de leurs savoirs ainsi qu’à la reconnaissance de leur organisation collective en tant qu’interlocuteur privilégié du pouvoir (art. 83,84,85). En 1996, une partie des organisations indiennes crée le MUPP - NP et présente des candidats. Ici aussi l’année 1996 sera décisive. D’une part, le MUPP - NP intervient directement dans la campagne en soutenant un candidat indépendant, le journaliste Freddy Ehlers. Celui-ci trouble fortement le jeu électoral en arrivant en troisième position. D’autre part, lors des élections législatives qui ont lieu au même moment, Luis Macas, président de la CONAIE, est le premier Indien à se faire élire député. Dès lors, le MUPP - NP est représenté au Congrès même s’il y reste très minoritaire. Il est essentiellement implanté dans les provinces du centre de la Sierra (figure 6). La géographie électorale de ce parti explique pourquoi il ne peut être majoritaire tout en jouant un rôle d’acteur clé dans la constitution d’alliances électorales. Cette présence électorale ne suffit pas pour autant à canaliser la révolte des communautés indiennes et paysannes. Leur mobilisation a par exemple été à l’origine de la destitution de Jamil Mahuad en 2000. Si Luis Macas, candidat de la CONAIE et du MUPP - NP n’a obtenu que 2,2 % aux élections présidentielles de 2006, le MUPP - NP obtient en moyenne 12 % aux élections législatives et son électorat s’est massivement reporté sur Rafael Correa, contribuant à sa victoire finale. Pour l’heure, cette frange de la population ne semble pas lui faire défaut. Le résultat désastreux du MUPP - NP à l’élection constituante (moins de 1 %) semble montrer que le mouvement du président parvient à canaliser à son profit les revendications des communautés indiennes.

Figure 6.

Vote en faveur du Mouvement Pachakutik Nuevo País

Figure 6.
Figure 6. Vote en faveur du Mouvement Pachakutik Nuevo País

Vote en faveur du Mouvement Pachakutik Nuevo País

Un enjeu géopolitique régional

14Aujourd’hui, le nouveau président semble surmonter les tensions entre ces différentes forces internes au pays. À cela s’ajoute l’influence traditionnelle des États-Unis et celle, nouvelle, du Venezuela. Il faut en effet rappeler que depuis la dollarisation du pays en 2000 la politique monétaire de l’Équateur est conduite par la Banque fédérale des États-Unis [8]. Bien qu’hostile à cette dollarisation pour des raisons de souveraineté nationale, Rafael Correa ne la remet pas en cause, car non seulement les acteurs économiques ne la souhaitent pas mais aussi parce qu’un consensus s’est finalement dégagé autour de ce remède à l’inflation. L’Équateur compte également au plan stratégique : il y a d’abord la lutte contre le trafic de drogue alors que le pays est devenu ces dernières années un espace de repli des narcotrafiquants et des guérilleros colombiens. Et il y avait jusqu’ici la base militaire américaine de Manta (dont le bail ne devrait pas être renouvelé en 2009). Enfin, les compagnies américaines s’intéressent au pétrole des provinces amazoniennes [9]. La crainte d’un abandon de souveraineté et la proximité de l’oligarchie guayaquilègne aux intérêts nord-américains ont joué dans l’élection de Rafael Correa, développant lui-même largement un discours nationaliste du type de celui d’Hugo Chávez. Ce dernier voudrait quant à lui faire de l’Équateur un allié dans sa politique régionale. Et l’Équateur a participé à la création de la Banque du Sud en tant qu’alternative à la Banque mondiale et à la Banque interaméricaine de développement. L’évolution de l’Équateur est donc maintenant un enjeu dans la bataille géopolitique que se livrent les administrations nord-américaine et vénézuélienne. Toute la question est de savoir comment Rafael Correa parviendra à gouverner dans la situation politique intérieure et internationale et s’il arrivera à mettre fin à l’instabilité politique qu’a connue l’Équateur ces dix dernières années, tout en améliorant la vie des 14 millions d’Équatoriens.

Notes

  • [1]
    Si l’on excepte l’éphémère présidence constitutionnelle de Rosalía Arteaga du 8 au 11 février 1997.
  • [2]
    Même si les étrangers inscrits dans les consulats peuvent voter, le nombre de clandestins est tel que beaucoup d’habitants n’ont pu voter.
  • [3]
    J. P. Deler, Genèse de l’espace équatorien. Essai sur le territoire et la formation de l’État national, Association pour la diffusion de la pensée française (éd.), collection Recherche sur les grandes civilisations, Paris, 1981.
  • [4]
    D’après Carlos Xavier Gutierrez dans l’hebdomadaire Vistazo, 1er déc. 2006.
  • [5]
    Ce dernier, créé au début des années 1980, a capté l’héritage de Concertación de Fuerzas Populares (CFP), aujourd’hui marginal.
  • [6]
    Le Monde, 29 sept. 2007.
  • [7]
    Osvaldo Hurtado, vice-président de Jaime Roldós, est devenu président de la République à la suite du décès de ce dernier en 1981.
  • [8]
    A. Gastambide, A. Sierra, « La dollarisation de l’Équateur à la loupe », Le Monde, 12 janv. 2003.
  • [9]
    Les négociations sur les concessions pétrolières et la lutte contre les narcotrafiquants colombiens ont largement contribué à la crise politique de 2005 et aux critiques émises par Rafael Correa à l’encontre de Luis Alfredo Palacio ; voir <www. cidob. org>.
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