Notes
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[1]
Bien que le Xinjiang ait été doté du statut de région autonome en 1955, cette autonomie reste en réalité factice du fait que les institutions régionales sont sous la coupe du Parti communiste chinois, lui-même tenu essentiellement par des Han inféodés à Pékin.
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[2]
Pour un récapitulatif de ces troubles, cf. R. Castets, « Nationalisme, Islam et opposition politique chez les Ouïghours du Xinjiang », Études du CERI, n° 110, oct. 2003; J. Millward, Violent Separatism in Xinjiang : A Critical Assessment, Washington, D.C., East-West Center (Policy Studies, 6), juin 2004.
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[3]
Sur les formes politiques prises par l’opposition ouïghoure, cf. R. Castets, op. cit.
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[4]
Les territoires du Xinjiang, la « nouvelle frontière » des Chinois, ont été dénommés ainsi au milieu du XIXe siècle, à la suite de leur conquête par la dynastie Qing.
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[5]
Cette région est limitrophe de la Mongolie, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde.
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[6]
Le Xinjiang est, après le Heilongjiang et le Shandong, la troisième province productrice de pétrole de Chine. Elle dispose d’importantes réserves de gaz naturel et de métaux non ferreux (cuivre, nickel…).
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[7]
La politique chinoise des nationalités, largement inspirée de celle des Soviétiques, reconnaît l’existence de 55 minorités nationales (shaoshu minzu) formant avec le minzu han la nation chinoise (zhonghua minzu). Cette politique est assortie d’une reconnaissance théorique des particularismes de ces populations, d’un système d’autonomie en réalité factice et d’une série d’avantages matériels et statutaires.
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[8]
Avec 8,9 millions d’individus, les Ouïghours constituent la minorité turcophone la plus nombreuse du Xinjiang et la deuxième minorité musulmane de Chine, juste derrière les Hui. La région compte aussi 1,3 million de Kazakhs dans le Nord, environ 171 000 Kirghiz, 14 000 Ouzbeks et 5 000 Tatars. Les turcophones représentaient en 2004 environ 53,7 % de la population de la province.
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[9]
La RPC compte à ce jour environ 20 millions de musulmans, dont la moitié au Xinjiang, où ils représentaient 58,6 % de la population en 2001. Ces populations ont pour point commun de pratiquer un islam sunnite de rite hanafite marqué par le soufisme. Seuls les Tadjiks du Pamir dérogent à cette règle et pratiquent un islam se rattachant à la branche ismaïlienne du chiisme.
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[10]
Cf. A. Papas, Soufisme et politique, Entre Chine, Tibet et Turkestan, Paris, Maisonneuve, 2005 ; J. Rudelson, Oasis Identities : Uyghur Nationalism Along China’s Silk Road, New York, Columbia University Press, 1997.
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[11]
Le jadidisme, qui s’est en partie confondu avec le panturquisme en Asie centrale, se développa dans les années 1880 chez les Tatars de Russie. Ce mouvement de réforme avait pour objectif de restituer un poids politique aux peuples türks musulmans en modernisant ces sociétés par une réforme de l’éducation, du statut de la religion… L’idéologie panturco-jadid devait permettre la prise de conscience et la mobilisation des populations turcophones contre le colonisateur chinois.
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[12]
La mouvance anticoloniale nomme la région « Turkestan oriental » (Shärki Turkistan en ouïghour) pour souligner son appartenance au monde türk et non au monde chinois. L’emploi inconsidéré de cette appellation (Dong Tujuesitan ou Dongtu en chinois) est assimilé par les autorités chinoises à des velléités de séparatisme et peut entraîner de graves sanctions. Par analogie avec les ex-Républiques soviétiques turcophones d’Asie centrale aujourd’hui indépendantes, une partie des militants nationalistes ouïghours tend aussi à promouvoir l’emploi du terme Uyghuristan (pays des Ouïghours).
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[13]
L’Émirat indépendant de Yacoub Beb (1864-1877), centré sur le bassin du Tarim ; la République dite « turque islamique » du Turkestan oriental (novembre 1933-février 1934), centrée sur la région de Khotan et de Kachgar ; enfin, la République du Turkestan oriental (1944-1949), établie sur les trois districts du nord du Xinjiang frontaliers de l’URSS.
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[14]
En chinois : Xinjiang shengchan jianshe bingtuan.
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[15]
L’implantation de colonies militaires et la promotion de l’immigration han ont de tout temps joué un rôle clé dans la politique de contrôle du Xinjiang. Que ce soit pendant les intermèdes de domination sous les dynasties Han et Tang, sous les Qing, ou durant la période républicaine, les soldats, administrateurs ou simples sujets han ont constitué les principaux auxiliaires d’une administration chinoise confrontée à des populations indigènes parfois hostiles. Même si le rapprochement du seigneur de la guerre Sheng Shicai avec les Soviétiques entre 1933 et 1942 avait permis à Moscou de former des élites indigènes procommunistes, ces dernières étaient largement et plus ou moins ouvertement prosoviétiques et anticoloniales .
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[16]
Provenant en majorité du Sichuan, du Henan et du Gansu.
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[17]
Il est difficile d’évaluer le nombre réel de Han vivant au Xinjiang, car les statistiques officielles ne déclarent ni les populations soumises à la juridiction centrale, tels les militaires, ni, bien sûr, les populations migrantes installées illégalement.
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[18]
Les CPCX comptaient en 2005 plus de 2,5 millions de membres, dont environ 600 000 détachés des corps ; cf. 2005 Xinjiang tongji nianjian [Annuaire statistique du Xinjiang 2005], Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2005, p. 121.
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[19]
Cf. N. Becquelin, « Chinese hold on Xinjiang : Strengths and Limits », in François Godement (éd.), La Chine et son Occident – China and its Western Frontier, Paris, IFRI (Les Cahiers d’Asie, 1), 2002, p. 57-79.
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[20]
« Guanyu weihu Xinjiang wending de huiyi jiyao, zhongyang zhengzhiju weiyuan hui ». Une version anglaise de ce document interne a été publiée à l’époque par Human Rights Watch.
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[21]
Dans les années 1950, seule Komul (Hami) était reliée au réseau ferroviaire chinois. Ürümqi le fut en 1960. La section Turfan-Korla fut achevée en 1984 et le rattachement d’Ürümqi à la frontière kazakhe fut réalisé au début des années 1990.
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[22]
Le seuil de pauvreté fixé par les organismes internationaux était au début des années 2000 d’environ 1 dollar par jour, soit près de 3 000 renminbi par an.
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[23]
Compte tenu de son omniprésence dans l’administration et l’économie, il est capital de maîtriser le putonghua (chinois) pour accéder à des postes de responsabilité. Les jeunes élèves ouïghours avaient néanmoins le choix entre les « classes ouïghoures », où l’enseignement est dispensé pour l’essentiel en ouïghour, et les « classes chinoises » en mandarin (chinois). La réforme du système éducatif, qui, depuis quelques années, tend à systématiser le mandarin comme langue d’éducation, s’étend peu à peu au primaire cependant que, dans les universités, les classes en ouïghour ont presque disparu; cf. A. M. Dwyer, « The Xinjiang conflict : Uyghur identity, language policy and political discourse », Washington, D.C., East-West Center (Policy Studies, 15), p. 34-44.
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[24]
L’afflux continu de Han provoque d’importantes tensions sur le marché du travail, encore aggravées par le fait que l’économie est dominée par les Han. Ces derniers préférant s’entourer de Han, les emplois qu’ils créent profitent à ces derniers et non aux Ouïghours. Cette « embauche préférentielle » est surtout observable dans le secteur privé, où n’existe aucun encouragement à l’embauche des minorités nationales. Nombre de Ouïghours diplômés font état avec rancœur de ce type de discrimination sur le marché du travail et se plaignent de ne pouvoir, à compétence égale, voire supérieure, concourir avec les Han ou les Hui.
-
[25]
Cf. Emily Hannum, Yu Xie, « Ethnic stratification in Northwest China : occupational differences between Han Chinese and national minorities in Xinjiang, 1982-1990 », Demography, vol. 35, n° 3,1998, p. 328.
-
[26]
Human Rights Watch, Devastating blows : Religious repression in Xinjiang, avril 2005, <http ://hrw.org/reports/2005/china0405/> ; Amnesty International, People’s Republic of China : Gross Violations of Human Rights in the Xinjiang Autonomous Region, 1er avr. 1999, <http ://web.amnesty.org/library/index/ENGASA170181999>.
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[27]
Alors qu’en 2000 les entreprises d’État assuraient au Xinjiang 77,2 % de la croissance de la production industrielle, contre 47,3 % pour le reste de la Chine, le taux d’investissement de l’État central dans la formation de capital fixe y représentait près du double de la moyenne chinoise ; cf. C. Wiemer, « The economy of Xinjiang », in S. Frederick Starr (éd.), Xinjiang, China’s Muslim Borderland, Armonk (N.Y.)/Londres, Sharpe, 2004, p. 176.
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[28]
Cf. 2002 Xinjiang tongji nianjian [Annuaire statistique du Xinjiang 2002], Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2002, p. 51.
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[29]
Ce plan concerne également les régions autonomes du Tibet, du Ningxia, du Guangxi et de Mongolie intérieure ainsi que les provinces du Qinghai, du Gansu, du Shaanxi, du Sichuan, du Yunnan, du Guizhou, et la municipalité de Chongqing.
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[30]
Cf. Tian Qunjian, « China develops its West : Motivation, strategy and prospect », Journal of Contemporary China, vol. 13, n° 41,2004, p. 613.
-
[31]
Tel le gazoduc qui transportera 12 milliards de mètres cubes depuis les gisements du Xinjiang vers l’est de la Chine, ou l’oléoduc reliant la Chine aux gisements kazakhstanais.
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[32]
Cf. 2005 Xinjiang tongji nianjian, op. cit., p. 238.
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[33]
Ibid, p. 713.
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[34]
Ibid., p. 700.
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[35]
L’Asie centrale compte une importante diaspora ouïghoure : 180 000 membres au Kazakhstan, selon le recensement de 1989 (500 000 selon les associations ouïghoures), 40 000 au Kirghizstan (250 000 selon les associations), 5 000 au Turkménistan (20 000 selon les associations) ; les chiffres restent difficiles à évaluer en Ouzbékistan en raison de la politique d’ouzbékisation conduite par les autorités locales. La diaspora ouïghoure hors d’Asie centrale, bien moins importante, est traditionnellement installée en Turquie (environ 10 000 personnes à ce jour). L’émigration ouïghoure s’oriente aujourd’hui toujours plus vers l’Occident (Munich, le Canada, les États-Unis, mais aussi la Belgique, l’Australie, la Scandinavie…).
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[36]
Cf. R. Castets, op.cit., p. 30-35.
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[37]
Héritière du groupe de Shanghai de 1996, l’OCS regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
1Les chamboulements éprouvés par l’Asie centrale au tournant des années 1990 ont porté de nombreuses inquiétudes pour les dirigeants chinois. En effet, plusieurs événements étaient susceptibles d’encourager l’autonomisme [1], voire l’indépendantisme ouïghour. Tout d’abord, la victoire des moudjahiddin afghans contre les forces soviétiques montrait que des musulmans aguerris pouvaient chasser de leur territoire l’armée d’un empire communiste aussi puissant qu’il soit. Parallèlement, le déclin de l’idéologie communiste en Europe, l’écroulement de l’URSS et l’indépendance des Républiques turcophones d’Asie centrale ont galvanisé un sentiment anticolonial et prodémocratique qui avait profité du climat politique moins strict des années 1980 pour s’exprimer au sein des élites ouïghoures. Ainsi, en même temps que se déroulaient ces événements potentiellement déstabilisateurs, la situation au Xinjiang s’est peu à peu dégradée. Après le mouvement étudiant de la fin des années 1980 qui réclamait l’arrêt de la colonisation démographique et la mise en place d’une véritable autonomie politique, la première moitié des années 1990 a été le terrain d’événements inquiétants et d’une radicalisation des troubles. Alors que le district d’Akto, près de Kachgar, était secoué en avril 1990 par un djihad de libération, que des mouvements spontanés de protestation dégénéraient parfois en insurrection, comme à Yining en avril 1997, les forces de sécurité chinoises étaient confrontées à des groupuscules souvent rapidement démantelés mais se livrant à des actes de guérilla, voire à des actes terroristes ponctuels [2]. Dans le contexte post-11-Septembre 2001, ces troubles ont été abondamment présentés dans les médias chinois comme résultant d’efforts de déstabilisation extérieurs relayés par une opposition ouïghoure elle-même dépeinte comme une force terroriste exogène liée aux réseaux djihadistes transnationaux. Cependant, cette rhétorique nie la présence d’une opposition politique qui prend en réalité des formes bien différentes [3] et, surtout, le profond mal-être sociopolitique, véritable terreau de la relative instabilité préoccupant le pouvoir chinois.
Bref retour sur le Xinjiang (Turkestan oriental) et ses populations
2Bordée par les monts Altyn, Kunlun, Pamir et Tian Shan, la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang [4] englobe les bassins désertiques du Tarim, de Turfan/Komul et, au nord, la vallée de l’Ili et les steppes de Dzoungarie [5]. Rattaché à la Chine au milieu du XVIIIe siècle, ce territoire riche en ressources naturelles [6] occupe un sixième de la superficie de la République populaire de Chine (RPC). Il est originellement peuplé de minorités nationales [7] turcophones [8] musulmanes [9] au sein desquelles les Ouïghours sont majoritaires (cf.graphique). Historiquement, les populations indigènes se partageaient les différentes niches écologiques locales. Les oasis au sud des Tian Shan, c’est-à-dire celles du bassin du Tarim, de Turfan et de Komul (Hami), sont traditionnellement peuplées de sédentaires ouïghours. La chaîne des Tian Shan et les steppes du nord, elles, sont le domaine des nomades kazakhs et kirghiz. À ces populations turcophones musulmanes s’ajoutent des nomades mongols dans le Nord et l’Est, ainsi que quelques communautés de Tadjiks du Pamir à la frontière avec le Pakistan et l’Afghanistan. Depuis la conquête de la région par les Qing sont venus s’y installer des Han, des populations de Mandchourie démobilisées ou envoyées sur place pour assurer le contrôle du nord de la province, ainsi que des musulmans sinophones Hui (appelés aussi Dounganes en ex-URSS).
3Malgré cette présence ancienne de Han et de Mandchous chargés d’administrer la région, la culture et la religion des populations turcophones indigènes rattachent celles-ci avant tout au monde centrasiatique. Ces espaces au carrefour de l’Asie centrale, du monde des steppes, de l’Asie du Sud et de la Chine ont connu depuis leur intégration à l’empire chinois un passé tumultueux, émaillé d’insurrections sur fond d’ingérences extérieures. En effet, alors que Russes et Britanniques rivalisaient pour se tailler des zones d’influence en Asie centrale, la mouvance indépendantiste, dominée jusqu’au XXe siècle par les réseaux soufis [10], puis par des nationalistes d’obédience panturco-jadid [11] et prosoviétique, a tenté d’exploiter l’affaiblissement de l’État central pour émanciper le Turkestan oriental [12] de la tutelle chinoise. Entre le milieu du XIXe siècle et celui du XXe, la région a connu trois indépendances éphémères chargées d’une forte valeur symbolique aux yeux de la mouvance anticoloniale [13]. Cette fragilité du contrôle chinois sur fond de déstabilisations britanniques, russes, puis soviétiques a longtemps attisé les inquiétudes de dirigeants chinois au fait de cette histoire mais connaissant souvent mal les spécificités culturelles des populations locales. À cela s’ajoute que, contrairement à d’autres régions de la Chine intérieure, l’Armée populaire de libération est arrivée fin 1949 sur un territoire dépourvu de base communiste prochinoise sur laquelle s’appuyer pour administrer la région. Plus préoccupant encore, le nord du Xinjiang, intégré à la prosoviétique République du Turkestan oriental (RTO), avait connu de 1944 à 1949 une indépendance de fait. Soupçonnant les communistes turcophones de la RTO de « nationalisme local » ou de prosoviétisme, les nouvelles autorités communistes ont perçu la région comme un territoire sensible devant être placé sous un contrôle étroit et arrimé fermement au reste de la Chine pour éviter toute déstabilisation des flancs occidentaux du pays.
Corps de production et de construction du Xinjiang [14] (CPCX) et colonisation
4En l’absence de base militante locale [15], la reprise en main et l’arrimage du Xinjiang après 1949 a largement reposé sur la promotion d’une immigration massive de Han [16] fournissant les cadres pour administrer la région, mais aussi pour contrôler les zones ou les axes stratégiques clés (frontières, capitale régionale, principaux axes de transport…) tout en diluant ou en isolant les foyers de population indigène. Cet afflux massif a largement été canalisé par les CPCX, qui ont dans un premier temps permis de fixer les anciens soldats démobilisés de la guerre civile et dont les rangs ont ensuite été renforcés par des populations de Chine intérieure, puis par les jeunes envoyés à la campagne durant la Révolution culturelle. Ces corps de « paysans-soldats » mis en place dans plusieurs régions frontalières n’ont pas survécu à la Révolution culturelle, sauf au Xinjiang, où ils furent redynamisés en 1981.
5Avec la libéralisation de l’économie chinoise et le relâchement du contrôle sur les flux de populations, ceux qui s’orientent vers ce Far West que constitue le Xinjiang sont désormais moins encadrés. Pourtant, les membres des CPCX et leurs familles continuent de former entre le tiers et le quart de la population han vivant officiellement [17] au Xinjiang selon que l’on incorpore ou non leurs membres détachés [18]. Ils représentent un véritable « État dans l’État [19] » et constituent non seulement la première force économique de la région, mais aussi de précieux auxiliaires des forces de sécurité en cas de troubles. Subventionnés à près de 80 % par le gouvernement central, les CPCX contrôlaient au début des années 2000 près du tiers des surfaces arables et assuraient environ le quart de la production industrielle et la moitié des exportations de la région. Ayant leurs propres forces de sécurité, leur système judiciaire, leurs prisons et leurs camps de travail, ils ne dépendent plus depuis 1990 du ministère de l’Agriculture, mais directement du Conseil des Affaires d’État (gouvernement chinois). Par les résolutions qu’il a adoptées en comité permanent lors de sa réunion clé sur le maintien de la stabilité au Xinjiang le 19 mars 1996, le Bureau politique souligne le rôle capital des CPCX et la nécessité de développer l’organisation pour stabiliser la région :
Les CPCX sont une force fiable et importante dans la défense de la stabilité sociale […]. Encouragez les jeunes gens de Chine intérieure à venir s’installer au sein des CPCX, renforcez et utilisez pleinement les CPCX pour défendre et développer les régions frontalières […]. Avec les changements fondamentaux du système économique, la fonction et la structure des CPCX doivent être actualisées, mais leur devoir de mêler travail et affaires militaires, d’ouvrir de nouvelles terres et de développer les régions frontalières ne doit pas varier. Le pays leur assignera un budget propre pour leurs affaires militaires selon les mêmes besoins que les départements militaires […]. Notre pays doit développer les CPCX dans le sud du Xinjiang [20].
Des équilibres démographiques fondamentalement modifiés
7 Comme le souligne le Bureau politique dans ses recommandations, les CPCX continuent de remplir des fonctions économique et sécuritaire presque indissociables. D’une part, leur dynamisme économique leur permet d’intégrer de nouveaux migrants tout en jouant un rôle de force d’appoint en cas de troubles. D’autre part, grâce à eux, mais aussi à travers des flux migratoires non contrôlés directement par l’État, les Han, qui représentaient 6,7 % de la population en 1949, en constituent aujourd’hui près de 40 %, soit plus de 7 millions des 19,5millions d’habitants de la région (cf. tableaux 1 et 2). En effet, les colonies des CPCX ont jeté les bases d’un peuplement han qui s’est renforcé au fur et à mesure que se développaient les infrastructures de transport. Ainsi, les principales zones pionnières ont été ouvertes le long de l’axe Komul-Turfan-Ürümqi-Changji-Shihezi [21] et d’un autre axe allant vers l’ouest (Yanji-Korla-Luntai-Aksu…). Dans un premier temps, les autorités chinoises ont privilégié la colonisation de la frontière avec l’ex-URSS, a fortiori durant les périodes de tension sino-soviétique, et celle des riches zones vierges et pétrolifères de Changji, Shihezi et Karamay ainsi que des nœuds clés reliant les principaux foyers de population ouïghoure au reste du pays (Komul, Korla, Ürümqi notamment). L’achèvement en 1995 de la route « transdésert », qui relie Korla aux flancs sud du Taklamakan, puis, en 1999, de la voie ferrée Korla-Aksu-Kachgar a permis à la colonisation du sud du Xinjiang d’entrer dans une phase de renforcement, comme le préconisait le Bureau politique lors de sa réunion de 1996.
Évolution démographique des principales nationalités au Xinjiang entre 1949 et 2004
Évolution démographique des principales nationalités au Xinjiang entre 1949 et 2004
8Ce développement des infrastructures de transport a considérablement encouragé la colonisation en rendant plus attractives des zones de peuplement ouïghour autrefois difficiles d’accès. Ainsi, alors que les effectifs intégrés dans les colonies des CPCX augmentent de 3,26 % entre 2001 et 2004, ils bondissent de plus de 9,35 % dans la préfecture de Kachgar et de plus de 17,3 % dans celle de Khotan.
9Même si cette extension des foyers de « hanisation » a permis de raffermir le contrôle de l’État, ses répercussions socio-économiques et la logique de domination qui régit les rapports entre Pékin et la région ont engendré un mal-être qui attise le ressentiment de certaines franges de la société ouïghoure.
Les origines du mal-être ouïghour : colonisation et stratification socio-économique au Xinjiang
10La colonisation tend à exclure les minorités nationales du Xinjiang du partage des richesses créées par la mise en valeur de la région. Les investissements, dirigés en priorité vers les zones de colonisation, ont surtout profité à ces dernières, qui bénéficient non seulement des dotations importantes du gouvernement central aux CPCX, mais aussi de leurs ressources naturelles ou de leur position clé sur les axes commerciaux. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) par habitant est bien plus élevé dans les zones de peuplement han que dans celles où les Ouïghours sont encore majoritaires (cf. tableau 2). Sa faiblesse dans les préfectures d’Aksu, Kachgar, Kizilsu et Khotan, où se concentrent les trois quarts de la population ouïghoure du Xinjiang, donne à penser qu’une part importante de celle-ci dispose de revenus inférieurs au seuil de pauvreté chinois et, a fortiori, au seuil fixé par les organismes internationaux [22].
11Parallèlement, ces différences de revenus qui s’articulent le long de lignes ethniques sont à l’origine d’un accès inégal au système éducatif, qui vient en retour renforcer les inégalités économiques. En effet, l’incapacité des plus pauvres à financer les études de leurs enfants perpétue, au-delà des handicaps linguistiques [23] et d’une embauche parfois discriminatoire, des inégalités socio-professionnelles qui bloquent une large partie de la population ouïghoure aux échelons les plus bas de la société.
12Le système éducatif chinois est censé faciliter l’ascension sociale des minorités. Néanmoins, le désengagement financier partiel de l’État central a entraîné l’augmentation des frais de scolarité. Parallèlement, le fait que la rémunération des professeurs soit à la charge des municipalités pénalise les zones rurales, qui disposent de moyens moindres que les zones urbaines peuplées de Han. Avec la libéralisation de l’économie chinoise, une certaine aisance financière est de plus en plus nécessaire à la poursuite des études. Alors que les familles han, plus riches, peuvent faire suivre à leurs enfants des études plus longues et dans de meilleurs établissements, les enfants des minorités nationales désertent en masse le système scolaire entre le collège et le lycée (cf. tableau 3), ce qui nuit à leur niveau de qualification (cf. tableau 4).
Part des minorités nationales dans les effectifs totaux scolarisés
Part des minorités nationales dans les effectifs totaux scolarisés
Différences de qualification entre la main-d’œuvre han et non han
Différences de qualification entre la main-d’œuvre han et non han
13Ces différences de capital scolaire, conjuguées à une embauche souvent discriminatoire dans le privé [24], perpétuent au cours des décennies une stratification socioprofessionnelle dans laquelle les Ouïghours sont pénalisés par rapport aux Han. Au Xinjiang, les minorités nationales sont surreprésentées au bas de l’échelle socioprofessionnelle et les Han surreprésentés aux échelons les plus élevés. Ainsi, les minorités nationales représentaient près de 54 % de la population en 1990, mais plus de 76 % des travailleurs agricoles (contre 69,4 % en 1982, pour près de 52,8 % de la population totale de l’époque), moins de 41 % des professions libérales et techniques, et moins de 30 % des directeurs et administrateurs [25].
14Le déclassement socio-économique des minorités nationales dans l’ensemble du Xinjiang, mais plus particulièrement dans les zones à majorité ouïghoure, se traduit par des conditions de vie précaires aggravées par la quasi-inexistence de toute protection sociale en Chine. Selon le recensement de 1990, le taux de mortalité infantile était 3,6 fois plus élevé dans les minorités nationales du Xinjiang que chez les Han, et l’espérance de vie y était de 62,9 ans, contre 71,4 ans pour les Han. Parallèlement, le sous-emploi a provoqué chez les jeunes Ouïghours une augmentation de la criminalité et de la consommation de drogue, très mal vécues dans cette société musulmane. Cette pauvreté, mais aussi les inégalités évoquées donnent aux Ouïghours le sentiment d’être exclus de la croissance économique au profit des Han.
Le programme de développement du Grand Ouest (PDGO) : solution miracle ?
15Conscientes du potentiel déstabilisateur de ce mal-être ouïghour, les autorités chinoises ont continué d’encourager l’immigration han et de sanctionner sévèrement toute forme de contestation [26], mais en promouvant le développement économique de la région, présenté aujourd’hui dans le discours officiel comme la panacée quand il est question du renforcement de l’unité nationale (minzu tuanjie), en d’autres termes de la lutte contre le sentiment séparatiste.
16Depuis 1949, le Xinjiang a en effet bénéficié d’importants transferts sous forme de subventions fiscales, de dotations aux entreprises d’État, de prêts ou d’allocations budgétaires. Selon les calculs de Calla Wiemer, le Xinjiang figurerait parmi les provinces chinoises ayant le plus bénéficié des transferts en provenance du gouvernement central : plus de 20 % du PIB régional entre 1981 et 1995. Le maintien au Xinjiang d’un puissant secteur d’entreprises d’État en dépit de la libéralisation de l’économie chinoise et la prédominance de l’investissement par l’État central dans la formation de capital fixe sont révélateurs de ce rôle moteur de Pékin [27]. La région, autrefois l’une des plus pauvres de Chine, est aujourd’hui la province du « Grand Ouest » chinois qui dispose du PIB par habitant le plus élevé et se classe au 12e rang des 31 provinces chinoises [28]. Au tournant de l’année 2000, la Région autonome des Ouïghours du Xinjiang a été parallèlement intégrée dans le « plan de développement du Grand Ouest [29] » (xibu da kaifa). L’objectif de ce vaste programme extrêmement médiatisé est de réduire l’écart de développement entre l’est et l’ouest de la Chine. En effet, l’ouest de la Chine, qui comprend 71,4 % du territoire chinois et 28,1 % de la population chinoise (dont près du tiers de minorités ethniques), ne représentait en 1999 que 17,5 % du PIB chinois et seulement 14,4% de la production industrielle à valeur ajoutée [30]. Durant la période des réformes, le développement des provinces côtières a été privilégié au détriment des régions de l’Ouest, et les autorités chinoises semblent tout à fait conscientes de la nécessité d’intégrer les populations de l’Ouest et les minorités nationales dans la dynamique de croissance que connaît le pays afin d’en assurer la stabilité.
17Le PDGO s’est focalisé autour de plusieurs axes. C’est d’abord le développement des infrastructures de transport, les projets les plus fameux restant sans doute la ligne de chemin de fer qui relie depuis peu le Tibet au reste de la Chine ou les pharaoniques pipelines raccordant le pays à ses marges centrasiatiques [31]. C’est ensuite la priorité donnée à un certain nombre de projets destinés à rétablir les équilibres environnementaux dans certaines zones sensibles (lutte contre la désertification…). C’est encore la restructuration de l’activité économique dans l’ouest de la Chine, avec plus particulièrement pour objectifs la promotion de l’agriculture et des activités touristiques de façon à augmenter le niveau de vie des populations tout en limitant les effets sur l’environnement, ainsi que la modernisation des techniques de production et l’encouragement à l’innovation technologique. C’est enfin l’attraction de l’investissement étranger dans la région via, notamment, des réductions fiscales.
18Au-delà des simples mesures juridiques et fiscales qu’implique le plan, le gouvernement chinois s’emploie à le financer. Il a continué d’accroître les dotations aux budgets provinciaux concernés : celles-ci ont augmenté au Xinjiang de près de 22 % entre 2003 et 2004, représentant plus de 60,7 % du budget régional en 2004 [32]. Pékin est néanmoins confronté à un déficit budgétaire important et ne peut à lui seul assurer les investissements titanesques que la région requiert. Or les investissements étrangers, qui sont censés constituer le second moteur de ce plan de développement, ne sont pas au rendez-vous. Les investisseurs sont en effet souvent effrayés par la corruption rampante, par un environnement juridique encore moins sûr que dans le reste de la Chine, par la culture capitalistique défaillante des cadres locaux et par le manque de qualification de la main-d’œuvre. Alors qu’il avait doublé entre 2001 et 2002, le montant des investissements étrangers au Xinjiang a ensuite stagné entre 40 et 45 millions de dollars jusqu’en 2004, la région ne se classant la même année qu’au 28e rang des provinces chinoises en termes d’investissement étranger direct [33].
19Enfin, outre la simple question du financement du PDGO, celle de la répartition des richesses ainsi créées continue de se poser. Même si les minorités nationales bénéficient en partie de l’amélioration des infrastructures de transport, de santé et d’éducation dans les zones urbaines, la forte croissance que connaît le Xinjiang depuis 2002 continue de profiter avant tout aux zones à majorité han. En effet, bien qu’entre 2001 et 2004 le PIB par habitant ait augmenté de plus de 51,7 % dans la municipalité de Karamay, de 53,7 % dans celle de Shihezi, voire de plus de 54,2 % dans la préfecture autonome de Changji – trois unités administratives abritant une large majorité de Han –, sa progression n’a été que de 37 % dans la préfecture d’Aksu, de 33 % dans la préfecture autonome de Kizilsu, et de seulement 32,6 % dans la préfecture de Khotan, zones à forte dominante ouïghoure. Ces inégalités sont encore plus flagrantes lorsque l’on compare le revenu des ménages ruraux dans les zones à forte majorité han et dans les zones à forte majorité ouïghoure. Ainsi, en 2004, dans les préfectures de Tacheng, de Bayangol et de Changji, à forte majorité han et comptant une importante proportion de membres des CPCX, ce revenu est respectivement de 5 268, de 5 968 et de 6 225 renminbi ; dans les préfectures à dominante ouïghoure d’Aksu, de Kachgar et de Khotan, il tombe respectivement à 3 508, à 1 707 et à 1 167 renminbi. En dépit des efforts consentis par le gouvernement central, un énorme travail reste donc à faire pour rééquilibrer les investissements au profit des zones de peuplement ouïghour du sud du Xinjiang. Dans les zones pétrolifères à forte majorité han de Shihezi et Karamay, la dépense du gouvernement local par habitant atteignait en 2004 respectivement 7 482 et 8 151 renminbi, mais n’était que de 1 165 renminbi dans la préfecture d’Aksu, de 1 009 renminbi dans celle de Khotan, et de seulement 810 renminbi [34] dans celle de Kachgar.
20En bref, bien que les autorités du Xinjiang fassent fréquemment référence au PDGO pour assurer aux populations autochtones qu’elles ne sont pas délaissées et que tous les moyens sont mis en œuvre pour améliorer leurs conditions de vie, comme dans le reste de la Chine, les inégalités de revenus se creusent, à cette différence près qu’au Xinjiang elles suivent des lignes ethniques. Tant que Pékin et le gouvernement régional ne prendront pas ce phénomène en compte, toute stratégie de stabilisation reposant sur une croissance forte risque au contraire d’exacerber les tensions ethniques dans la région.
Conclusion
21Pékin tente de stabiliser le Xinjiang en mettant en œuvre une triple politique. Premier volet : la répression de tout acte et de tout type de contestation. Deuxième volet : les Chinois se sont employés à couper les militants de leurs soutiens extérieurs et des influences subversives étrangères. La diplomatie chinoise a ainsi joué sur les perspectives de règlement des contentieux frontaliers et de coopération économique en Asie centrale pour obtenir que les voisins extradent les militants en fuite et démantèlent les réseaux indépendantistes implantés sur leur sol. La Chine a obtenu du Pakistan qu’il ferme ses mosquées aux étudiants ouïghours. Elle s’est parallèlement rapprochée des taliban, peu avant l’intervention américaine, puis du régime de Hamid Karzaï. Mais c’est sans doute avec les voisins de l’ex-URSS que la politique chinoise est allée le plus loin. Les Républiques turcophones d’Asie centrale abritent une diaspora ouïghoure [35] qui avait accueilli depuis 1949 de nombreux militants nationalistes [36]. Craignant que la région ne devienne une base de soutien ou de repli pour les franges militantes actives au Xinjiang, Pékin a su dépasser les méfiances initiales et s’assurer du soutien des régimes locaux. En promouvant une coopération dans la lutte contre le séparatisme et l’islamisme en Asie centrale à travers l’Organisation de coopération de Shanghai [37] (OCS), la Chine a obtenu des Républiques d’Asie centrale l’interdiction des organisations ouïghoures indépendantistes.
22Troisième volet, enfin : Pékin tente de monnayer la sinisation du Xinjiang contre des promesses de croissance vigoureuse. Certes, les autorités chinoises ont fait taire la mouvance anticoloniale opposée à ce modèle de modernisation; cependant, ne prenant pas assez en compte que, du fait précisément de la colonisation, les inégalités de revenus s’articulent le long de lignes ethniques, elles traitent les symptômes du problème ouïghour et ignorent les racines du mal. Bien sûr, il se peut qu’elles gagnent leur pari. Si toutefois l’autorité du PCC devait être déstabilisée dans le reste du pays ou si la croissance chinoise venait à défaillir, le Xinjiang pourrait connaître un regain de troubles.
Notes
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[1]
Bien que le Xinjiang ait été doté du statut de région autonome en 1955, cette autonomie reste en réalité factice du fait que les institutions régionales sont sous la coupe du Parti communiste chinois, lui-même tenu essentiellement par des Han inféodés à Pékin.
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[2]
Pour un récapitulatif de ces troubles, cf. R. Castets, « Nationalisme, Islam et opposition politique chez les Ouïghours du Xinjiang », Études du CERI, n° 110, oct. 2003; J. Millward, Violent Separatism in Xinjiang : A Critical Assessment, Washington, D.C., East-West Center (Policy Studies, 6), juin 2004.
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[3]
Sur les formes politiques prises par l’opposition ouïghoure, cf. R. Castets, op. cit.
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[4]
Les territoires du Xinjiang, la « nouvelle frontière » des Chinois, ont été dénommés ainsi au milieu du XIXe siècle, à la suite de leur conquête par la dynastie Qing.
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[5]
Cette région est limitrophe de la Mongolie, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan, de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde.
-
[6]
Le Xinjiang est, après le Heilongjiang et le Shandong, la troisième province productrice de pétrole de Chine. Elle dispose d’importantes réserves de gaz naturel et de métaux non ferreux (cuivre, nickel…).
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[7]
La politique chinoise des nationalités, largement inspirée de celle des Soviétiques, reconnaît l’existence de 55 minorités nationales (shaoshu minzu) formant avec le minzu han la nation chinoise (zhonghua minzu). Cette politique est assortie d’une reconnaissance théorique des particularismes de ces populations, d’un système d’autonomie en réalité factice et d’une série d’avantages matériels et statutaires.
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[8]
Avec 8,9 millions d’individus, les Ouïghours constituent la minorité turcophone la plus nombreuse du Xinjiang et la deuxième minorité musulmane de Chine, juste derrière les Hui. La région compte aussi 1,3 million de Kazakhs dans le Nord, environ 171 000 Kirghiz, 14 000 Ouzbeks et 5 000 Tatars. Les turcophones représentaient en 2004 environ 53,7 % de la population de la province.
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[9]
La RPC compte à ce jour environ 20 millions de musulmans, dont la moitié au Xinjiang, où ils représentaient 58,6 % de la population en 2001. Ces populations ont pour point commun de pratiquer un islam sunnite de rite hanafite marqué par le soufisme. Seuls les Tadjiks du Pamir dérogent à cette règle et pratiquent un islam se rattachant à la branche ismaïlienne du chiisme.
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[10]
Cf. A. Papas, Soufisme et politique, Entre Chine, Tibet et Turkestan, Paris, Maisonneuve, 2005 ; J. Rudelson, Oasis Identities : Uyghur Nationalism Along China’s Silk Road, New York, Columbia University Press, 1997.
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[11]
Le jadidisme, qui s’est en partie confondu avec le panturquisme en Asie centrale, se développa dans les années 1880 chez les Tatars de Russie. Ce mouvement de réforme avait pour objectif de restituer un poids politique aux peuples türks musulmans en modernisant ces sociétés par une réforme de l’éducation, du statut de la religion… L’idéologie panturco-jadid devait permettre la prise de conscience et la mobilisation des populations turcophones contre le colonisateur chinois.
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[12]
La mouvance anticoloniale nomme la région « Turkestan oriental » (Shärki Turkistan en ouïghour) pour souligner son appartenance au monde türk et non au monde chinois. L’emploi inconsidéré de cette appellation (Dong Tujuesitan ou Dongtu en chinois) est assimilé par les autorités chinoises à des velléités de séparatisme et peut entraîner de graves sanctions. Par analogie avec les ex-Républiques soviétiques turcophones d’Asie centrale aujourd’hui indépendantes, une partie des militants nationalistes ouïghours tend aussi à promouvoir l’emploi du terme Uyghuristan (pays des Ouïghours).
-
[13]
L’Émirat indépendant de Yacoub Beb (1864-1877), centré sur le bassin du Tarim ; la République dite « turque islamique » du Turkestan oriental (novembre 1933-février 1934), centrée sur la région de Khotan et de Kachgar ; enfin, la République du Turkestan oriental (1944-1949), établie sur les trois districts du nord du Xinjiang frontaliers de l’URSS.
-
[14]
En chinois : Xinjiang shengchan jianshe bingtuan.
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[15]
L’implantation de colonies militaires et la promotion de l’immigration han ont de tout temps joué un rôle clé dans la politique de contrôle du Xinjiang. Que ce soit pendant les intermèdes de domination sous les dynasties Han et Tang, sous les Qing, ou durant la période républicaine, les soldats, administrateurs ou simples sujets han ont constitué les principaux auxiliaires d’une administration chinoise confrontée à des populations indigènes parfois hostiles. Même si le rapprochement du seigneur de la guerre Sheng Shicai avec les Soviétiques entre 1933 et 1942 avait permis à Moscou de former des élites indigènes procommunistes, ces dernières étaient largement et plus ou moins ouvertement prosoviétiques et anticoloniales .
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[16]
Provenant en majorité du Sichuan, du Henan et du Gansu.
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[17]
Il est difficile d’évaluer le nombre réel de Han vivant au Xinjiang, car les statistiques officielles ne déclarent ni les populations soumises à la juridiction centrale, tels les militaires, ni, bien sûr, les populations migrantes installées illégalement.
-
[18]
Les CPCX comptaient en 2005 plus de 2,5 millions de membres, dont environ 600 000 détachés des corps ; cf. 2005 Xinjiang tongji nianjian [Annuaire statistique du Xinjiang 2005], Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2005, p. 121.
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[19]
Cf. N. Becquelin, « Chinese hold on Xinjiang : Strengths and Limits », in François Godement (éd.), La Chine et son Occident – China and its Western Frontier, Paris, IFRI (Les Cahiers d’Asie, 1), 2002, p. 57-79.
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[20]
« Guanyu weihu Xinjiang wending de huiyi jiyao, zhongyang zhengzhiju weiyuan hui ». Une version anglaise de ce document interne a été publiée à l’époque par Human Rights Watch.
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[21]
Dans les années 1950, seule Komul (Hami) était reliée au réseau ferroviaire chinois. Ürümqi le fut en 1960. La section Turfan-Korla fut achevée en 1984 et le rattachement d’Ürümqi à la frontière kazakhe fut réalisé au début des années 1990.
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[22]
Le seuil de pauvreté fixé par les organismes internationaux était au début des années 2000 d’environ 1 dollar par jour, soit près de 3 000 renminbi par an.
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[23]
Compte tenu de son omniprésence dans l’administration et l’économie, il est capital de maîtriser le putonghua (chinois) pour accéder à des postes de responsabilité. Les jeunes élèves ouïghours avaient néanmoins le choix entre les « classes ouïghoures », où l’enseignement est dispensé pour l’essentiel en ouïghour, et les « classes chinoises » en mandarin (chinois). La réforme du système éducatif, qui, depuis quelques années, tend à systématiser le mandarin comme langue d’éducation, s’étend peu à peu au primaire cependant que, dans les universités, les classes en ouïghour ont presque disparu; cf. A. M. Dwyer, « The Xinjiang conflict : Uyghur identity, language policy and political discourse », Washington, D.C., East-West Center (Policy Studies, 15), p. 34-44.
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[24]
L’afflux continu de Han provoque d’importantes tensions sur le marché du travail, encore aggravées par le fait que l’économie est dominée par les Han. Ces derniers préférant s’entourer de Han, les emplois qu’ils créent profitent à ces derniers et non aux Ouïghours. Cette « embauche préférentielle » est surtout observable dans le secteur privé, où n’existe aucun encouragement à l’embauche des minorités nationales. Nombre de Ouïghours diplômés font état avec rancœur de ce type de discrimination sur le marché du travail et se plaignent de ne pouvoir, à compétence égale, voire supérieure, concourir avec les Han ou les Hui.
-
[25]
Cf. Emily Hannum, Yu Xie, « Ethnic stratification in Northwest China : occupational differences between Han Chinese and national minorities in Xinjiang, 1982-1990 », Demography, vol. 35, n° 3,1998, p. 328.
-
[26]
Human Rights Watch, Devastating blows : Religious repression in Xinjiang, avril 2005, <http ://hrw.org/reports/2005/china0405/> ; Amnesty International, People’s Republic of China : Gross Violations of Human Rights in the Xinjiang Autonomous Region, 1er avr. 1999, <http ://web.amnesty.org/library/index/ENGASA170181999>.
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[27]
Alors qu’en 2000 les entreprises d’État assuraient au Xinjiang 77,2 % de la croissance de la production industrielle, contre 47,3 % pour le reste de la Chine, le taux d’investissement de l’État central dans la formation de capital fixe y représentait près du double de la moyenne chinoise ; cf. C. Wiemer, « The economy of Xinjiang », in S. Frederick Starr (éd.), Xinjiang, China’s Muslim Borderland, Armonk (N.Y.)/Londres, Sharpe, 2004, p. 176.
-
[28]
Cf. 2002 Xinjiang tongji nianjian [Annuaire statistique du Xinjiang 2002], Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2002, p. 51.
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[29]
Ce plan concerne également les régions autonomes du Tibet, du Ningxia, du Guangxi et de Mongolie intérieure ainsi que les provinces du Qinghai, du Gansu, du Shaanxi, du Sichuan, du Yunnan, du Guizhou, et la municipalité de Chongqing.
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[30]
Cf. Tian Qunjian, « China develops its West : Motivation, strategy and prospect », Journal of Contemporary China, vol. 13, n° 41,2004, p. 613.
-
[31]
Tel le gazoduc qui transportera 12 milliards de mètres cubes depuis les gisements du Xinjiang vers l’est de la Chine, ou l’oléoduc reliant la Chine aux gisements kazakhstanais.
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[32]
Cf. 2005 Xinjiang tongji nianjian, op. cit., p. 238.
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[33]
Ibid, p. 713.
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[34]
Ibid., p. 700.
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[35]
L’Asie centrale compte une importante diaspora ouïghoure : 180 000 membres au Kazakhstan, selon le recensement de 1989 (500 000 selon les associations ouïghoures), 40 000 au Kirghizstan (250 000 selon les associations), 5 000 au Turkménistan (20 000 selon les associations) ; les chiffres restent difficiles à évaluer en Ouzbékistan en raison de la politique d’ouzbékisation conduite par les autorités locales. La diaspora ouïghoure hors d’Asie centrale, bien moins importante, est traditionnellement installée en Turquie (environ 10 000 personnes à ce jour). L’émigration ouïghoure s’oriente aujourd’hui toujours plus vers l’Occident (Munich, le Canada, les États-Unis, mais aussi la Belgique, l’Australie, la Scandinavie…).
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[36]
Cf. R. Castets, op.cit., p. 30-35.
-
[37]
Héritière du groupe de Shanghai de 1996, l’OCS regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.