Notes
-
[1]
Entretien avec Abdullah Gül, Arabic News, 8 juin 2004.
-
[2]
Carte de la Syrie, <http :// www. un. org/ Depts/ Cartographic/ map/ profile/ syria. pdf>.
-
[3]
Carte de la Turquie, <http ://europa.eu.int/abc/maps/applicants/turkey_fr.htm>.
-
[4]
Bülent Özükan (éd.), Dünya Atlas È 2005, Istanbul, Boyut yayÈn grubu, 2004.
-
[5]
Cf. Can HamamcÈ, Projet Iskenderun, Ankara, Faculté des sciences politiques, juillet 2001.
-
[6]
Source : préfecture de la province de Hatay, Devlet Planlama Teskilati, Hatay Il raporu, N° DPT 2468, Ankara, avril 1997 [Rapport de l’Organisation de la planification de l’État].
-
[7]
Ibid.
-
[8]
Cf. Jacques Weulersse, « Antioche : essai de géographie urbaine », Bulletin d’Études Orientales, t. 4, Institut français de Damas, 1934.
-
[9]
Michel Gilquin, D’Antioche au Hatay : l’histoire oubliée du sandjak d’Alexandrette, Paris, L’Harmattan, 2001.
-
[10]
Carte de la Syrie, ministère du Tourisme en République arabe syrienne, 1992.
-
[11]
Atlas al-Watan al-Arabi wal alam [Atlas de la patrie arabe et du monde], Alep, 2003 ; reproduite dans Courrier International, hors-série : L’Atlas des atlas, mars-mai 2005, p. 74. Cf. également <http :// www. syriatourism. org/ modules. php ? op= modload&name= My_eGallery&file= index&do= showgall&gid= 263>.
-
[12]
Atlas al-Watan al-Arabi wal alam [Atlas de la patrie arabe et du monde], Naplouse ; reproduite dans Courrier International, op. cit.
-
[13]
Cf. Christian Papas, Le rôle de la Turquie en matière de géopolitique de l’eau dans le Croissant fertile, Corfou, Enimorossi, 1996.
-
[14]
<www. imarabe. org/ perm/ mondearabe/ pays/ docs/ syrie. html>.
-
[15]
Hürriyet, 4 sept. 1998.
-
[16]
Cf. Marwa Daoudy, Le partage des eaux entre la Syrie, l’Irak et la Turquie : Négociation, sécurité et asymétrie des pouvoirs, Paris, CNRS, 2005, cartes p. 70,82.
-
[17]
Ministère de l’Éducation nationale (éd.), Ë lk Ö fi retim Co fi rafya Atlas È [Atlas pour les écoles primaires], Istanbul, SaygÈYayÈnlarÈ, 2000.
-
[18]
Cf. Bülent Özükan, op. cit.
-
[19]
Cf. Michel Gilquin, op. cit.
-
[20]
Cf. Thomas Pierret, « La politique extérieure de la Syrie après la troisième guerre du Golfe : Menaces et opportunités du nouvel ordre régional », Cahiers du RMES (Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques), Bruxelles, 1er juil. 2004.
-
[21]
Hürriyet, 10 janv. 2005.
-
[22]
Zaman, 11 juin 2005.
1Les menaces américaines contre la Syrie formulées pendant et après la troisième guerre du Golfe, le raid israélien en territoire syrien d’octobre 2003 et la mise en œuvre de sanctions économiques unilatérales américaines en mai 2004 ont amené Damas à revoir ses relations avec ses voisins.
2En effet, depuis les prémices de l’intervention américaine en Irak, plusieurs rencontres avaient été organisées entre Iran, Syrie et Turquie, dont l’objectif principal était d’empêcher que n’émerge un Kurdistan autonome ou indépendant. Le rapprochement entre Damas et Ankara, amorcé après la crise qui, en 1998, faillit se conclure en conflit ouvert, a débouché ces derniers mois sur des visites mutuelles au plus haut niveau. Ankara s’oppose, au grand dam des Américains, à une politique de confrontation avec Damas. D’ailleurs, c’est avec virulence que le ministre des affaires étrangères turc, Abdullah Gül, a critiqué la décision américaine de mettre en œuvre le Syria Accountability and Lebanese Sovereignty Restoration Act (SALSRA) de 2003, qui préconise des sanctions économiques et diplomatiques contre la Syrie [1].
3Les relations entre la Syrie et la Turquie n’ont pas toujours été aussi cordiales. Depuis le départ des dernières troupes françaises, en 1946, les deux pays sont en situation de conflit larvé. Plusieurs différends ont envenimé les relations, dont le partage des eaux de l’Euphrate, l’alliance militaire israéloturque de 1996, le soutien de Damas aux séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkeren Kurdistan, PKK) et la revendication syrienne sur la province de Hatay, anciennement sandjak d’Alexandrette. Ce dernier contentieux, le plus ancien, mérite à ce titre que l’on s’y attarde, d’autant que les Nations unies [2] aussi bien que l’Union européenne [3] reconnaissent l’appartenance de l’ex-sandjak à la Turquie.
4La province de Hatay est située au sud-est de la Turquie. Elle est bordée au nord-ouest par la province d’Adana, au nord par celle d’Osmaniye, au nord-est par celle de Gaziantep, à l’est et au sud par la Syrie, à l’ouest par la Méditerranée. Elle occupe une surface totale de 5 403 km2 et comprend une population de 1 296 358 habitants [4].
5Tout d’abord, la province présente un intérêt stratégique certain. D’une part, elle collecte les eaux provenant des montagnes du Taurus ; d’autre part, elle est une voie de passage privilégiée entre l’ouest de la Turquie, avec l’Europe en amont, et l’Anatolie du sud-est, avec ses prolongements iranien et syrien et, audelà, jordanien et arabique. Elle se trouve donc à un carrefour majeur de communications. De plus, le golfe d’Alexandrette qui la borde est devenu un axe énergétique de grande importance. Les oléoducs Bakou-Tbilissi-Ceyhan, Kirkouk-Yumurtalik, Batman-Dörtyol, Ceyhan-Kirikkale y aboutissent. Dörtyol se trouve dans la province de Hatay, les autres terminaux lui font face. Il ne faut pas oublier non plus que ce golfe s’ouvre sur Chypre, porte-avions naturel qui contrôle la Méditerranée orientale et verrouille l’accès à ses eaux.
6Ensuite, la province a une importance considérable sur le plan économique, les activités essentielles étant l’agriculture, le commerce et les transports. La baie d’Iskenderun est bordée de terres agricoles de très bonne qualité [5]. La province dispose en tout de 2 707 km2 de terres cultivables, dont la vallée de l’Asi (nom turc de l’Oronte), celles de Dörtyol-Erzin-Payas, d’Arsuz, de Samandag, et produit blé, coton, tabac, olives et légumes de serre [6]. La métallurgie et les activités connexes dominent depuis la mise en service, à la fin des années 1970, de la troisième aciérie de Turquie. Enfin, il existe une industrie traditionnelle du cuir, de la chaussure, du bois, de l’ameublement et du textile [7] … Les 186 km de côtes de la province de Hatay abritent de nombreux ports. Iskenderun est l’un des quatre grands ports industriels de Turquie, enregistré comme port international. Ces accès sont combinés à des infrastructures routières bien développées et reliées aux réseaux national et syrien, ce qui facilite les transports et le tourisme tant moyen-oriental qu’européen. L’église Saint-Pierre de Hatay a été désignée comme lieu de pèlerinage par le pape Paul VI, en 1963, et chaque année des milliers de catholiques du monde entier la visitent.
7Un tel territoire fut rapidement source de controverses lors du dépeçage de l’Empire ottoman. Le 30 octobre 1918, la Turquie, défaite, signe l’armistice de Moudros. Les vainqueurs commencent immédiatement à se partager les dépouilles de l’Empire, de façon plus ou moins conforme aux accords secrets Sykes-Picot de mai 1916 qui fixaient les modalités de ce démembrement. Dès novembre 1919, la France occupe la Cilicie ; la Syrie entre également dans sa sphère d’influence. Le 25 avril 1920, la conférence de San Remo place la Cilicie et la Syrie sous mandat français de la Société des Nations. En contradiction avec le principe du mandat, selon lequel il était de son devoir de préserver l’intégrité territoriale du pays qui lui était confié, la France divisa rapidement la Syrie en plusieurs entités. D’une part, une fois les troupes chérifiennes arabes écrasées à Maissaloune, elle créa ex nihilo l’État du Grand-Liban afin de contenter les maronites. D’autre part, elle procéda à une partition en quatre entités : Damas ; le territoire autonome, par la suite État des Alaouites ; le gouvernement d’Alep (y compris Alexandrette) ; l’État du djebel Druze. Après le retournement de situation en faveur des Turcs face aux Grecs lors de la bataille du Sakarya, Aristide Briand donne instruction à son émissaire auprès de Mustafa Kemal, Franklin-Bouillon, d’obtenir une entente. Les accords, connus comme « accords Kemal–Franklin-Bouillon » ou « accords d’Ankara », sont signés le 21 octobre 1921. Ils prévoient, outre le retrait des troupes françaises de Cilicie, un régime spécial concernant le sandjak d’Alexandrette, notamment que le turc y soit langue officielle et que des droits soient reconnus aux Turcs en matière culturelle.
8La question syrienne aboutira à la signature au Quai d’Orsay, le 9septembre 1936, du traité d’amitié et d’alliance entre la France et la Syrie, ratifié en décembre 1936, qui accorde l’indépendance à cette dernière dans un délai de trois ans. Or cet arrangement ne comporte aucune référence au sandjak. Ankara demande alors que celui-ci soit rattaché à la Turquie, arguant du fait que les Turcs y représentent une majorité relative de 39 % et même, à Antioche, la capitale, une majorité absolue de 60 % [8]. Ces revendications turques se heurtent au refus catégorique de Léon Blum, pour qui le sandjak est indissociable de la Syrie. Néanmoins, au regard de la conjoncture européenne, des tractations ardues débouchent le 2 septembre 1938 sur la constitution d’une République autonome de Hatay. La France, soucieuse de tenir la Turquie à distance de l’Axe, lui cède la région par l’accord franco-turc du 23 juin 1939, intitulé : « arrangement portant règlement définitif des questions territoriales entre la Turquie et la Syrie ».
9Les instances syriennes ne restent pas indifférentes à cette dernière accommodation franco-turque. Dès l’accession effective à l’indépendance, le 17 avril 1946, Damas relance la question du sandjak d’Alexandrette, désormais appelé liwa d’Iskenderun (canton d’Alexandrette). Le nationalisme du parti Baas, qui arrive au pouvoir en 1963, et le poids des alaouites originaires du sandjak d’Alexandrette figurent parmi les principales raisons de la persistance du contentieux. De fait, malgré des périodes de latence plus ou moins longues, la question du liwa revient régulièrement sur la scène politique ; avec l’éphémère République arabe unie de 1958-1961, elle devient même une véritable obsession dans la presse nationale [9]. Il serait difficile pour la rue syrienne d’oublier le liwa, les manuels d’histoire édités par le ministère de l’Éducation nationale de la République arabe syrienne le présentant sans exception comme une province amputée au territoire syrien et dont le retour à la mère patrie ne souffre pas de contestation. Des générations de Syriens ont été éduqués dans ce sentiment d’une injustice géopolitique et avec la conviction que celle-ci serait un jour réparée. Toutes les cartes publiées dans les livres, mais également les plans et dépliants touristiques produits par le ministère syrien du Tourisme présentent la province de Hatay comme partie intégrante du territoire syrien [10] : ainsi de la carte visible sur le site Internet de ce ministère [11]. D’ailleurs, plusieurs touristes qui se croyaient encore loin des confins turcs ont eu la mauvaise fortune de se retrouver à un poste frontière non mentionné sur la carte fournie par les autorités syriennes.
10Il en allait de même pour les cartes publiées au Liban, encore récemment sous contrôle syrien, et en Cisjordanie [12]. L’Arabie saoudite adopta une position identique en décidant en 1985 de ne plus délivrer de visa aux citoyens turcs natifs de la province de Hatay [13]. Même la carte de Syrie figurant sur le site Internet de l’Institut du monde arabe à Paris englobe la région contestée [14] !
11Pendant plusieurs années, la Syrie apporta une aide logistique et militaire au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Dès 1994, cette organisation infiltre des combattants dans la province de Hatay. La violence est allée croissant jusqu’à la grande crise de la fin 1998, qui a permis de crever l’abcès empoisonnant les relations entre les deux pays. Semdin Sakik, l’un des cadres du PKK chargés des opérations dans la province de Hatay, affirma lors de son procès que les opérations étaient téléguidées depuis Damas [15]. Il est un autre moyen dont use la Syrie : le refus de négocier avec la Turquie le débit du fleuve Asi (Oronte), car la reconnaissance à la Turquie de quelconques droits sur l’Asi/Oronte reviendrait à reconnaître implicitement la souveraineté turque sur le liwa. On notera que, sur toutes les cartes qu’il publie, le ministère de l’Irrigation de la République arabe syrienne place lui aussi le sandjak d’Alexandrette à l’intérieur des frontières syriennes [16].
12Face à toutes ces manœuvres, la Turquie, forte de son bon droit, ne réagit qu’épisodiquement. Les manuels de géographie [17] et les atlas turcs [18] produisent des cartes de la Turquie identiques à celles des instances internationales. L’enseignement accorde d’ailleurs peu de place à l’histoire du sandjak d’Alexandrette et se contente de quelques lignes sur le retour de la province de Hatay à la mère patrie en 1939.
13La plupart des pays du monde reconnaissent l’appartenance de l’ex-sandjak d’Alexandrette à la Turquie, et certains pays arabes n’adoptent pas le point de vue syrien, sauf situation conjoncturelle et ponctuelle. Ainsi l’Irak a-t-il immédiatement et explicitement reconnu le rattachement du sandjak à la Turquie. Le 29 avril 1946, le roi Faysal II embarquait sur le Savorona, le yacht présidentiel turc, au port d’Iskenderun-Alexandrette. De même pour la Transjordanie [19].
14La situation n’est pourtant pas aussi figée qu’il y paraît. Compte tenu de la conjoncture internationale, Ankara et Damas ont été obligés, après la crise de 1998, d’entamer un rapprochement. Actuellement, le différend territorial lié au sandjak d’Alexandrette n’est plus évoqué par Damas. Les deux États s’engagent dans la création de zones franches, et des opérations de déminage ont lieu aux frontières de l’ex-sandjak, ce qui revient de facto à la reconnaissance par les Syriens de la souveraineté turque sur la région [20]. Au mois de décembre 2004, la Syrie et la Turquie ont signé un accord de libre-échange, un additif à ce protocole stipulant la reconnaissance mutuelle des frontières [21]. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés au début du mois de juin 2005 afin de résoudre le problème des expropriations de paysans de part et d’autre de la frontière. Le dédommagement des propriétaires turcs et syriens se fera par échanges mutuels et compensations financières [22].
Notes
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[1]
Entretien avec Abdullah Gül, Arabic News, 8 juin 2004.
-
[2]
Carte de la Syrie, <http :// www. un. org/ Depts/ Cartographic/ map/ profile/ syria. pdf>.
-
[3]
Carte de la Turquie, <http ://europa.eu.int/abc/maps/applicants/turkey_fr.htm>.
-
[4]
Bülent Özükan (éd.), Dünya Atlas È 2005, Istanbul, Boyut yayÈn grubu, 2004.
-
[5]
Cf. Can HamamcÈ, Projet Iskenderun, Ankara, Faculté des sciences politiques, juillet 2001.
-
[6]
Source : préfecture de la province de Hatay, Devlet Planlama Teskilati, Hatay Il raporu, N° DPT 2468, Ankara, avril 1997 [Rapport de l’Organisation de la planification de l’État].
-
[7]
Ibid.
-
[8]
Cf. Jacques Weulersse, « Antioche : essai de géographie urbaine », Bulletin d’Études Orientales, t. 4, Institut français de Damas, 1934.
-
[9]
Michel Gilquin, D’Antioche au Hatay : l’histoire oubliée du sandjak d’Alexandrette, Paris, L’Harmattan, 2001.
-
[10]
Carte de la Syrie, ministère du Tourisme en République arabe syrienne, 1992.
-
[11]
Atlas al-Watan al-Arabi wal alam [Atlas de la patrie arabe et du monde], Alep, 2003 ; reproduite dans Courrier International, hors-série : L’Atlas des atlas, mars-mai 2005, p. 74. Cf. également <http :// www. syriatourism. org/ modules. php ? op= modload&name= My_eGallery&file= index&do= showgall&gid= 263>.
-
[12]
Atlas al-Watan al-Arabi wal alam [Atlas de la patrie arabe et du monde], Naplouse ; reproduite dans Courrier International, op. cit.
-
[13]
Cf. Christian Papas, Le rôle de la Turquie en matière de géopolitique de l’eau dans le Croissant fertile, Corfou, Enimorossi, 1996.
-
[14]
<www. imarabe. org/ perm/ mondearabe/ pays/ docs/ syrie. html>.
-
[15]
Hürriyet, 4 sept. 1998.
-
[16]
Cf. Marwa Daoudy, Le partage des eaux entre la Syrie, l’Irak et la Turquie : Négociation, sécurité et asymétrie des pouvoirs, Paris, CNRS, 2005, cartes p. 70,82.
-
[17]
Ministère de l’Éducation nationale (éd.), Ë lk Ö fi retim Co fi rafya Atlas È [Atlas pour les écoles primaires], Istanbul, SaygÈYayÈnlarÈ, 2000.
-
[18]
Cf. Bülent Özükan, op. cit.
-
[19]
Cf. Michel Gilquin, op. cit.
-
[20]
Cf. Thomas Pierret, « La politique extérieure de la Syrie après la troisième guerre du Golfe : Menaces et opportunités du nouvel ordre régional », Cahiers du RMES (Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques), Bruxelles, 1er juil. 2004.
-
[21]
Hürriyet, 10 janv. 2005.
-
[22]
Zaman, 11 juin 2005.