Notes
-
[1]
Rapport du Service canadien de renseignement et de sécurité, 2000, <http ://medintelligence.free.fr/bdprolifrapports.htm#RetourCanada01>.
-
[2]
Cf. Bruno Tertrais, « Riyad : la tentation du nucléaire », Politique Internationale, n° 103, print. 2004.
-
[3]
Said Zagloul Mohammad al-Basyouni, Abdalrahim ben Saud al-Hawawi, Hicham Hafifi Mohammed Moustafa, The Weapons of biological warfare : Theory and Practice, The National Gard Printing House, 1988.
-
[4]
Cf. Dany Shoham, « Does Saudi Arabia have or seek chemical or biological weapons ? », Nonproliferation Review, print.-été 1999.
-
[5]
« IAEAFinds Egypt Secret Nuclear Program », Associated Press, 4 janv. 2005.
-
[6]
« Egypt Foreign Minister, Nuclear Energy Experts deny Egypt conducted “secret tests” », al-Misri al-Yawm, 6 janv. 2005.
-
[7]
« Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques » du 17 juin 1925.
-
[8]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Israel/ Nuclear/ 3635_5224. html>.
-
[9]
Anthony H. Cordesman, « Ventes d’armes, maîtrise des armements et sécurité régionale au Moyen-Orient », Forum du désarmement, n° 2,2001, <http :// www. unidir. org/ pdf/ articles/ pdf-art74. pdf>.
-
[10]
Questions Internationales, n° 13, mai-juin 2005, p. 32.
-
[11]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Iran/ Chemical/ 2340_4966. html>.
-
[12]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ iran/ biological/ 2305_2375. html>.
-
[13]
Patrick Binder, Olivier Lepick, Les armes biologiques, Paris, PUF, 2001.
-
[14]
L’OIAC (en anglais : Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons, OPCW), qui a son siège à La Haye, est chargée de la mise en application des décisions arrêtées dans la convention sur les armes chimiques ; <www. opcw. org>.
-
[15]
<http :// www. globalsecurity. org/ wmd/ world/ iran/ dio. htm>.
-
[16]
Federation of American Scientists, <http ://fas.org/nuke/guide/iran/missile/>.
-
[17]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Iraq/ index. html>.
-
[18]
Ibid.
Arabie saoudite
1L’Arabie saoudite possède entre 20 et 56 missiles CSS-2, d’une portée comprise entre 2 650 et 3100 km, qu’elle a achetés à la Chine à la fin des années 1980 [1]. Ces missiles peuvent emporter une charge explosive d’environ 2 tonnes. L’Arabie saoudite s’est engagée à ne jamais les armer de têtes nucléaires ou chimiques ; toutefois, on imagine mal qu’ils soient utilisés avec une charge conventionnelle tant leur imprécision à l’impact est importante. En effet, leur écart circulaire probable (ECP), c’est-à-dire le rayon du cercle dans lequel l’engin a une forte probabilité de tomber, est de 2 km.
2Il n’y a à ce jour aucune preuve de l’existence de projets de prolifération concernant l’Arabie saoudite. On peut néanmoins s’attendre à ce que le pays, progressivement abandonné par le puissant protecteur américain, cherche à contrecarrer la prolifération iranienne en mobilisant ses colossaux moyens financiers pour acquérir des défenses antimissiles, mais aussi en créant une force de dissuasion. Mohamed al-Khilawi, un diplomate qui a fui le Royaume, affirmait que l’Arabie saoudite avait participé dès le début des années 1980 aux programmes de développement nucléaire de l’Irak et du Pakistan [2]; en échange de ce financement, une partie des armes fabriquées devaient être transférées sur le sol saoudien. En mai 1999, le prince Sultan, ministre saoudien de la Défense, visita les installations nucléaires pakistanaises à Kahuta. Abdul Qadir Khan, le père de la bombe pakistanaise, se rendit en Arabie saoudite au moins à deux reprises, en septembre 1999 et en novembre 2000.
3Les Saoudiens ont aujourd’hui le choix entre trois options : acquérir purement et simplement des bombes ; se placer sous la protection d’une puissance nucléaire qui entreposerait un arsenal nucléaire sur leur sol; engager un processus diplomatique visant à éradiquer les armes nucléaires du Moyen-Orient. Cependant, les positions d’Israël et la course iranienne aux armements rendent d’emblée impossible cette dernière option.
4L’Arabie saoudite a signé et ratifié en 1972 la convention sur les armes biologiques ou à toxines, mais la situation stratégique du Moyen-Orient a fortement évolué depuis. Menacé de frappes irakiennes pendant la guerre du Golfe de 1991, le Royaume a dû fournir un effort important dans le domaine de la prévention et de la protection. Les forces américaines ont déployé sur le territoire les détecteurs d’armes biologiques les plus modernes et, en 1988, la Garde nationale s’est formée dans ce domaine ; trois spécialistes de l’École des officiers King Khaled ont publié un ouvrage sur « les armes biologiques : théorie et pratique [3] ». Il semble par ailleurs que les services de recherche saoudiens aient travaillé sur la lyophilisation et l’épandage de la bactérie inoffensive Serratia marcescens [4], ce qui pourrait être un prélude au stockage et à la dissémination d’agents biologiques de guerre.
5L’Arabie saoudite a signé la convention sur les armes chimiques en janvier 1993 et l’a ratifiée en 1996. Le pays a néanmoins les moyens financiers et technologiques nécessaires pour mener un programme offensif dans ce domaine. Des recherches de toxicité sur les organophosphorés, substances qui peuvent donner des neurotoxiques ou des pesticides, ont été effectuées au milieu des années 1980. On a commencé à produire des organophosphorés à la fin de cette décennie, et une étude fut menée sur la dissémination de substances dangereuses à base d’insecticides. Des recherches similaires ont été conduites sur les cyanures.
Égypte
6Il semblerait que l’Égypte n’ait plus actuellement d’ambition dans le domaine du nucléaire militaire, mais elle a lancé un programme de recherche civile pour lequel elle a créé l’Agence égyptienne de l’énergie atomique (AEEA), dirigée par Ali Islam. L’AEEA possède le site d’Inshass, à environ trente kilomètres au nord-est de la capitale, où se trouvent deux réacteurs de recherche et un centre de retraitement.
7Une polémique s’est développée au début de 2005, lorsque les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont indiqué avoir des preuves que des activités nucléaires illégales avaient eu lieu sur ce site de 1980 à 1990 [5]; le gouvernement égyptien nia cependant toute velléité de programme nucléaire militaire [6].
8Des ingénieurs égyptiens de haut niveau ont collaboré durant les années 1980 au programme nucléaire irakien et, selon les services de renseignement américains, cette coopération se serait poursuivie, de façon plus discrète, durant les années 1990; au demeurant, le gouvernement égyptien a refusé que ses ingénieurs soient interrogés par les Anglo-Américains après la campagne de 2003.
9Tel-Aviv accuse Le Caire de vouloir développer des agents biologiques à des fins militaires, notamment les bactéries de l’anthrax et de la peste, la toxine botulinique, ou encore le virus de la fièvre de la vallée du Rift ; mais, bien que l’Égypte ait des bases solides dans le domaine des biotechnologies, rien à ce jour n’est venu corroborer de telles déclarations. L’Égypte a signé le protocole de Genève [7] le 6 décembre 1928 et la convention sur les armes biologiques ou à toxines le 10 avril 1972.
10Lors de son intervention dans la guerre civile au Yémen, de 1962 à 1967, l’Égypte a employé du phosgène et du gaz moutarde contre les troupes royalistes et contre les populations civiles ; ces agents chimiques auraient été trouvés dans les stocks abandonnés par le Royaume-Uni au moment de son retrait, en 1954. L’URSS a fourni une assistance défensive aux Égyptiens, et il n’est pas exclu qu’elle ait fait de même sur le plan offensif. Le Caire produit, pour son propre usage comme pour l’exportation, du matériel de défense contre les armes chimiques. À la fin des années 1970, l’Égypte était censée posséder du gaz moutarde, du sarin et du tabun. Elle aurait lancé durant les années 1990 la production de VX, un neurotoxique organophosphoré.
11Les principaux organismes égyptiens soupçonnés de produire des armes chimiques sont l’Abu Zaabal Company for Chemicals and Insecticides et l’Abu Zaabal Company for Specialty Chemicals. L’Égypte n’est pas partie à la convention sur les armes chimiques et ne la signera pas tant que la menace nucléaire israélienne subsistera.
12Le programme de missiles égyptiens a été mis en place au début des années 1960. Le Caire a développé avec l’aide de l’Allemagne de l’Ouest trois missiles : l’al-Zafar, d’une portée de 375 km ; l’al-Kahir, d’une portée de 600 km ; l’al-Ared, d’une portée de 1 000 km. Ces programmes ont été abandonnés après le retrait de Bonn en 1966. Dans les années 1980, l’Égypte s’associa à l’Argentine et à l’Irak pour développer un missile de courte portée à carburant solide, le Condor-II des Argentins et le Badr-2000des Irakiens. La coopération avec l’Irak a cessé en 1989, mais l’Égypte dispose des bases nécessaires pour continuer le développement de ce missile. Elle a également acquis des capacités de fabrication autonome de Scud et développe avec l’aide de la Corée du Nord un Scud-C amélioré d’une portée de 450 km. Le Caire a conclu avec Pyongyang un accord en vertu duquel il achèterait à ce pays des missiles Nodong, d’une portée de 1 000 km.
Israël
13L’État hébreu possède sans conteste le programme d’armement nucléaire le plus performant du Moyen-Orient. À la fin des années 1950, le Premier ministre David Ben Gourion met en place un programme clandestin de recherche nucléaire pour faire échec aux menaces qui pèsent sur la survie du jeune État. Le site, nommé « Centre de recherche nucléaire du Néguev », se trouve à proximité de la ville de Dimona. En prenant pour base les capacités de production de plutonium du réacteur de Dimona, on estime aujourd’hui les capacités d’Israël à environ 200 têtes nucléaires. Israël n’est pas signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
14Les pays voisins et ennemis d’Israël affirment que ce dernier possède des armes biologiques ; le programme de recherche qui leur serait consacré aurait pour site l’Institut israélien de recherche biologique de Nes Ziona. Il n’existe pas à ce jour de preuves de ces allégations. Certes, en 1948, Tsahal avait spécialisé quelques-unes de ses unités dans le sabotage de réseaux de distribution d’eau par des agents du typhus et de la dysenterie. Israël n’est pas signataire de la convention sur les armes biologiques ou à toxines.
15L’effort israélien pour obtenir des armes chimiques remonterait à la guerre de 1973. Tsahal aurait été surpris et inquiet de découvrir parmi les matériels abandonnés dans la débâcle des troupes égyptiennes et syriennes une grande quantité d’équipements de protection et de décontamination chimique. L’État hébreu a donc élaboré des programmes de protection des troupes et de la population civile.
16Israël est soupçonné de conduire des recherches dans ce domaine et de posséder des armes chimiques, même si rien n’a filtré sur les substances concernées ni sur les centres de production. En 1992, le crash d’un avion cargo d’ElAl transportant du méthylphosphonate de diméthyle (utilisé comme simulant dans la recherche défensive, mais également précurseur possible du sarin) a attiré l’attention sur l’Institut israélien de recherche biologique de Nes Ziona [8]; Tel-Aviv affirma que cette substance chimique était destinée à tester des masques à gaz. Israël a signé, mais non ratifié, la convention sur les armes chimiques.
17Pour ce qui est des vecteurs, Israël possède des capacités très développées tant dans le domaine des missiles de croisière que dans celui des missiles balistiques ou des drones. Son programme de missiles a été mis en place au début des années 1960 avec l’assistance de la France. À la fin des années 1960, l’État hébreu était déjà en possession du missile de courte portée Jericho-1 (500 km). Dans les années 1970, il développa un missile à deux étages de moyenne portée (1 500 à 3 500 km) à carburant solide, le Jericho-2. Les experts pensent qu’il existe également un missile de longue portée (4800km), le Jericho-3, dérivé du véhicule spatial israélien Shavit. Israël a développé avec l’aide des États-Unis le missile antimissile « Arrow » et affirme avoir récemment testé avec succès le missile antibalistique Arrow-2. Il est à ce jour le principal exportateur de drones.
Iran
18Téhéran invoque souvent la prolifération nucléaire pakistanaise pour légitimer ses propres tentatives d’acquisition d’armes de destruction massive, les ADM [9].
19Les premières ambitions nucléaires de l’Iran remontent à l’époque du chah Mohammed Reza Pahlavi, au début des années 1970 [10]. Les pays occidentaux, notamment la France et l’Allemagne, lui apportèrent alors leur soutien technique. La Révolution islamique de 1979 interrompit les projets en cours, et ce jusqu’à la fin de la guerre froide. Au début des années 1990, la Russie, empêtrée dans de grandes difficultés économiques, offrit une assistance technique et reprit les chantiers abandonnés, dont celui de la centrale de Bushehr [11]. Devant le tollé international que cela suscita, l’Iran signa en décembre 2003 le protocole additionnel au TNP et s’engagea en février 2005 à restituer à la Russie le combustible usagé.
20Malgré ces démarches, ses positions restent plus que douteuses. La construction d’une centrale d’enrichissement de l’uranium à Natanz comme celle d’une usine d’eau lourde à Arak, ajoutées à l’opacité des rapports remis à l’AIEA, exacerbent les craintes, et ce d’autant plus que la construction de la centrale d’enrichissement a été dévoilée non pas par l’Iran, mais par des opposants au régime actuel. Les déclarations recueillies par les services de renseignement américains imputent l’installation de ces deux complexes à des sociétés écrans. Ce qui inquiète les États-Unis, c’est que les deux sites complètent le système existant et pourraient donner à l’Iran la possibilité de maîtriser le cycle complet de la combustion nucléaire, permettant ainsi à Téhéran de ne plus dépendre d’importations.
21Confronté aux protestations véhémentes de la communauté internationale, l’Iran a catégoriquement réfuté les accusations de mise en chantier d’un programme nucléaire militaire, affirmant cependant son droit d’accéder à l’arme nucléaire afin de faire face à l’arsenal israélien. Selon un rapport d’inspection de l’AIEA datant de février 2004, les traces d’uranium hautement enrichi relevées sur au moins deux sites indiquaient un degré de pureté assez élevé pour permettre la fabrication de bombes atomiques. Soumis au même moment aux pressions de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, Téhéran accepte de suspendre ses activités d’enrichissement. Mais, depuis les élections présidentielles de juin 2005 et l’arrivée au pouvoir d’un conservateur ultrareligieux, Mahmoud Ahmadinejad, ces activités nucléaires semblent reprendre, et la volonté du nouveau président iranien d’imposer au ministère du Pétrole l’un de ses proches n’est sans doute pas un hasard : il est probable que l’Iran finance ses recherches clandestines en matière nucléaire non pas à travers l’Atomic Energy Organization of Iran, ce qui serait vite découvert par l’AIEA, mais par le biais de la vente clandestine de pétrole. Le pétrole et ses dérivés étant fortement subventionnés pour le marché intérieur iranien, l’achat local de pétrole et sa revente au prix fort sur le marché international, surtout à l’heure actuelle, où le prix du baril dépasse les 70 dollars, générerait des profits colossaux.
22L’Iran a les compétences techniques nécessaires à l’élaboration d’armes biologiques. Bien qu’il soit signataire du protocole de Genève et qu’il ait ratifié la convention sur les armes biologiques ou à toxines, il est fortement soupçonné de développer un armement biologique. Il a lancé au début des années 1980 à la fois un programme biologique et un programme chimique. De grandes universités et des instituts comme l’Institut Pasteur de Téhéran contribueraient au programme biologique iranien [12]. Les industries biotechnologiques et pharmacologiques iraniennes sont très performantes et sont dotées de budgets importants. Les services de renseignement israéliens affirment que l’Iran disposerait de stocks de Bacillus anthracis (bactérie du charbon) et de toxine botulinique, qu’il pourrait charger sur des missiles Scud et des avions Sukhoi [13]. En avril 1999, John Lauder, directeur à la CIA, affirmait que l’Iran avait la capacité de déployer des armes biologiques.
23Du fait de son isolement international consécutif à la Révolution islamique, l’Iran a développé ces dernières années, avec cependant l’aide de pays comme la Chine, la Russie et l’Inde, l’une des industries chimiques majeures du Moyen-Orient, et il est aujourd’hui exportateur de produits chimiques, notamment vers la Syrie, le Soudan ou l’Égypte.
24Traumatisé par l’utilisation de ces produits pendant la guerre avec l’Irak de 1980-1988, l’Iran a porté une attention particulière à la protection contre les armes chimiques. Il a ratifié en 1997 la convention sur les armes chimiques et a reconnu avoir développé un important programme d’armes chimiques durant le conflit avec Bagdad. Il a ouvert ses installations à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, l’OIAC [14]. Sachant néanmoins que tous les pays proliférants le sont dans plusieurs secteurs, les services de renseignement américains soupçonnent fortement l’Iran de continuer à développer des toxines chimiques.
25L’Iran fabriquerait et militariserait (chargement sur vecteur) du sarin, du gaz moutarde, du phosgène et des cyanures. La Defense Industries Organization (DIO) coiffe la majorité des sites de recherche et de fabrication concernant la défense [15] et possède un site de fabrication de phosphore dans le complexe industriel de Parchin : bien que ne figurant pas sur la liste des matériaux à double usage, le phosphore est un précurseur des neurotoxiques. D’après les déclarations de l’Iran à l’OIAC, la Raja Shimi Industrial Manufacturing avait contribué à ses expériences passées sur les toxines de guerre, et l’usine en question serait susceptible de produire un précurseur essentiel du sarin, du soman et du VX. Le centre de recherche Shahid Meysami, lui aussi signalé à l’OIAC, produit des composés dont l’exportation est contrôlée et qui peuvent également être utilisés comme précurseurs du sarin, du soman, du tabun et du VX. Les sociétés Melli Agrochemical Company et Iranian Chemical Company ont installé des usines de production d’insecticides organophosphorés, très proches des neurotoxiques. La compétence de son industrie pétrochimique donne à l’Iran la possibilité de fabriquer tous les précurseurs des gaz vésicants, et l’industrie iranienne est en mesure de fabriquer tout l’appareillage indispensable à la production chimique : colonnes à distiller, vannes, pompes, verrerie… Il semblerait qu’elle ait désormais dépassé ses lacunes en matière de vitrification et de revêtements anticorrosifs (les toxines chimiques sont particulièrement corrosives).
26La « guerre des villes », qui vit l’utilisation massive de missiles, a démontré à Téhéran l’importance de disposer de vecteurs performants. L’Iran a donc acheté des systèmes de missiles à l’Union soviétique, à la Chine et à la Corée du Nord. Il a également développé des infrastructures de production nationale. L’Iran produit seul, parfois avec assistance étrangère, des missiles Shahin-2 (portée de 20 km), Oghab (40 km), Nazeat (90 km), Iran-130 (130 km), Mushak (160 km). Il développe de la même manière les missiles Shahab-3 (portée de 1 300 km) et Shahab-4 (2 000 kilomètres), basés sur le nord-coréen Nodong, susceptibles d’atteindre Israël et le sud-est de l’Europe. Il a acquis les Scud-B et les Scud-C, qu’il produit aujourd’hui localement sous les noms de Shahab-1 et Shahab-2 (respectivement 300 et 500 km de portée [16] ).
Irak
27L’Irak a mis en place dans les années 1970 un ambitieux programme nucléaire dont plusieurs composantes étaient parvenues à un stade très avancé au moment de l’intervention de la coalition alliée après l’invasion du Koweït. Bagdad s’était procuré de l’uranium auprès de l’Italie, du Brésil, du Portugal et du Niger. De 1982 à 1987, l’enrichissement de l’uranium fut réalisé sur le site de Tuwaitha par la méthode électromagnétique ; l’enrichissement par diffusion gazeuse a également été mis à l’étude durant cette période. En 1987, c’est l’enrichissement de l’uranium par centrifugation qui a été privilégié. Bagdad prévoyait une cascade de 1 000 centrifugeuses, projet que la guerre arrêta en janvier 1991.
28L’Irak s’est encore intéressé à la voie du plutonium. L’acquisition technologique et la formation des scientifiques ont été assurées lors d’achats de centrales à l’Union soviétique et à la France. Consciente du danger que représentait cette source de plutonium, l’aviation israélienne a détruit le 7 juin 1981 le réacteur expérimental Osirak.
29Les Irakiens se sont également intéressés au retraitement des déchets afin de récupérer le plutonium. Ils ont à cet effet amélioré un laboratoire acquis auprès d’une société italienne. Les combustibles des réacteurs ont été transférés en Russie après l’opération « Tempête du désert ».
30Parallèlement aux procédures d’acquisition de matières fissiles était étudiée la fabrication des bombes. Les Irakiens mirent au point un implosoir testé à vide, c’est-à-dire sans charge nucléaire, en 1990. L’engin conçu était susceptible d’être chargé sur un missile Scud. Hussein Kamel al-Majid, gendre de Saddam Hussein, allait apprendre aux Américains, après sa défection, que Bagdad avait eu des contacts avec le Pakistan pour l’achat de plans d’armes nucléaires. La guerre du Golfe de 1991 mit fin au programme nucléaire irakien, qui serait sinon parvenu à son terme dans les deux ou trois ans.
31Les inspections de l’ONU et de l’AIEA anéantirent l’aventure nucléaire irakienne, et les structures concernées furent démantelées. Le Groupe de surveillance de l’Irak (Iraq Survey Group, ISG), mis en place après la seconde intervention américaine de mars 2003, ne trouva aucune trace de reprise des activités nucléaires irakiennes après 1998, date à laquelle les inspecteurs de l’UNSCOM (United Nations Special Commission) avaient été expulsés. L’ISG révéla cependant la dissimulation de documents techniques de grande valeur et l’entretien intellectuel de scientifiques susceptibles d’être employés dans un programme d’armement nucléaire, signes sans doute de la volonté de reprendre les démarches une fois la contrainte internationale relâchée.
32L’Irak avait développé par le passé un important programme d’armement biologique. Bagdad allait reconnaître devant l’UNSCOM, en 1995 et en 1996, avoir produit d’importantes quantités de toxine botulinique (environ 20 m3 ) et de spores d’anthrax (environ 9 m3 ). Il a également reconnu avoir travaillé sur d’autres organismes, tels le Clostridium perfringens, bactérie de la gangrène gazeuse, et le virus de la variole du chameau. Les principaux sites signalés aux inspecteurs de l’ONU furent l’usine de production d’al-Hakam et l’unité de production de vaccins d’al-Manal. Les travaux de recherche et développement furent menés dans le complexe de Salman Pak, la militarisation étant réalisée au centre militaire d’al-Muthanna. Des transfuges irakiens signalèrent aux États-Unis l’utilisation d’unités de production mobiles dans lesquelles l’Irak aurait fabriqué entre 20 et 30 tonnes d’agents biologiques entre 1997 et 1999, mais l’ISG n’en trouva pas trace [17]. L’Irak a ratifié la convention sur les armes biologiques ou à toxines, puisque c’était là une des conditions du cessez-le-feu après l’intervention américaine de 1991.
33C’est dans le domaine de la prolifération chimique que l’Irak est allé le plus loin. Bagdad a gazé sans hésitation les lignes de front avec l’Iran, mais également sa propre population. L’État irakien allait reconnaître après la défaite de 1991 avoir fabriqué plus de 4 000 tonnes de toxines chimiques – dont 3 000 tonnes de gaz moutarde, 200 tonnes de tabun et 800 tonnes de sarin, auxquels il faut ajouter environ 4 tonnes de VX impur – et en avoir utilisé pour charger plus de 125 000 munitions. En 1995, les inspecteurs de l’ONU avaient largement réduit les capacités chimiques du pays, et le rapport de l’ISG rendu en 2004 concluait à l’absence d’armes chimiques sur le territoire irakien, mais soulignait la volonté chez Saddam Hussein de reprendre un programme d’armement chimique dès que le contexte international le permettrait.
34Comme tous les autres pays alliés de l’Union soviétique, l’Irak s’était procuré un grand nombre de missiles Scud. Vers la fin de la guerre Iran-Irak, Bagdad modifia le Scud et le transforma en al-Hussein, d’une portée de 650 km. Ce conflit fut d’ailleurs le premier à voir une utilisation aussi intensive des missiles, notamment durant la « guerre des villes ».
35Le programme balistique irakien fut interrompu par la guerre de 1991, et l’ONU interdit à Bagdad de produire des missiles d’une portée supérieure à 150km. L’Irak travailla donc sur les missiles Ababil, à propulsion liquide, et al-Samoud, à propulsion solide. Il mena également des recherches sur un avion sans pilote, l’al-Baia’a. Cette activité de recherche et de développement, bien que limitée par la portée autorisée, permettait à l’Irak d’entretenir une réelle compétence en matière de vecteurs. L’ISG mentionne par ailleurs un projet secret de développement de missiles d’une portée de 1 000 km [18].
Syrie
36La Syrie cherche à se doter d’ADM et de vecteurs puissants afin de contre-balancer l’arsenal nucléaire et la supériorité en capacités militaires conventionnelles d’Israël. Manquant de moyens financiers et technologiques, elle s’intéresse particulièrement aux armes chimiques et aux missiles balistiques. Dans sa course aux armements, Damas a reçu l’assistance technique de l’URSS puis de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord.
37La Syrie ne semble pas avoir de programme nucléaire offensif. Elle a signé le traité sur la non-prolifération en 1968 et l’a ratifié en 1969. Elle possède à Dayr al-Jajar un réacteur de recherche qui lui a été fourni par la Chine; ce centre est placé sous le contrôle de l’AIEA. Damas n’a cependant ni les moyens financiers ni la capacité technologique qui lui permettraient de mener seul un programme nucléaire militaire. En septembre 2004, Mohamed El-Baradei, directeur général de l’AIEA, a écarté l’existence d’un lien entre la Syrie et le réseau de prolifération du Pakistanais Abdul Qadir Khan.
38En ce qui concerne les armes biologiques, la Syrie a ratifié le protocole de Genève en 1968 ; elle a signé la convention des armes biologiques ou à toxines le 14 avril 1972 mais, à ce jour, ne l’a pas ratifiée. Son industrie pharmaceutique lui permettrait de poursuivre un programme d’armes biologiques limité. Des achats de biens à double usage en provenance de l’Europe de l’Ouest et de la Corée du Nord ont été signalés. Selon les sources allemandes et israéliennes, elle posséderait des stocks de Bacillus anthracis, agent de l’anthrax (ou maladie du charbon), de toxine botulinique et de ricine.
39La Syrie a refusé de signer la convention sur les armes chimiques, et il semble qu’elle ait en sa possession l’arsenal chimique le plus développé du Moyen-Orient. Elle a reçu avant la guerre d’octobre 1973 avec Israël une assistance de l’Égypte sous forme de précurseurs, de substance finie, voire d’armes complètes prêtes à l’emploi. Elle serait actuellement autonome pour la fabrication et la militarisation d’agents neurotoxiques et d’agents suffocants. Bien que ses activités de prolifération soient étroitement surveillées, la Syrie continue de se procurer des précurseurs, souvent des biens à double usage, auprès des pays d’Europe de l’Ouest, de l’Inde, de l’Égypte et de la Corée du Nord. En 2001, elle a lancé des appels d’offres pour l’achat de grandes quantités de chloroéthanol, de pentasulfure de phosphore, etc., précurseurs chimiques du neurotoxique VX.
40Depuis les années 1970, les programmes de développement de vecteurs ont suivi ceux des armes chimiques. Jusqu’à la fin des années 1980, la Syrie a bénéficié de l’assistance technique de l’Union soviétique, auprès de laquelle elle s’est procuré des Frog 7 (70 km de portée), des Scud-B (300 km) et des SS-21 (120 km) à carburant solide. À partir des années 1990, Damas a reçu l’assistance technique de l’Iran pour la fabrication de fusées à carburant solide, et celle de la Corée du Nord pour la fabrication de missiles à combustible liquide. En 1991, Damas a acheté 150 missiles Scud-C (500 km de portée) à Pyongyang. En septembre 2000, les Syriens ont testé le Scud-D nord-coréen, d’une portée de 700 km.
41Les armes de destruction massive sont d’influents outils de prestige et de dissuasion. Cela n’a pas échappé aux États du Moyen-Orient, qui tentent de s’en procurer soit par le détournement de biens à double usage, soit grâce à l’assistance de pays tiers – les États-Unis pour Israël, la Corée du Nord, le Pakistan et la Chine pour l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Bien que tout gouvernement désireux de développer des moyens d’intimidation mène des programmes concernant les trois secteurs, chaque pays semble avoir d’abord privilégié un type d’armement. Ainsi, la dissuasion israélienne est fondée sur l’arsenal nucléaire. Celle de l’Iran, qui reposait jusqu’à présent sur les armes chimiques, s’oriente désormais vers le nucléaire. Il est vraisemblable que l’Arabie saoudite, qui considère Israël et l’Iran comme des adversaires probables et qui se sent de plus en plus abandonnée par le puissant allié américain, choisisse l’intimidation atomique. L’Égypte et la Syrie, surtout par manque de moyens, se contentent de l’arme chimique. Le potentiel irakien, quant à lui, semble avoir été anéanti, mais une partie de l’arsenal chimique et de grandes quantités de puissants explosifs ont échappé aux inspecteurs de l’ONU chargés de désarmer l’Irak : ou bien ces matériels se trouvent sur le territoire de la Syrie et de l’Iran voisins, ou bien ils restent cachés en territoire irakien. Si ce dernier cas devait s’avérer, la persistance des moyens intellectuels faciliterait, au moment propice, une relance efficace et rapide des projets abandonnés. Les armes de destruction massive sont donc bien installées au Moyen-Orient, et il est peu probable qu’elles en soient chassées à moyen terme.
Notes
-
[1]
Rapport du Service canadien de renseignement et de sécurité, 2000, <http ://medintelligence.free.fr/bdprolifrapports.htm#RetourCanada01>.
-
[2]
Cf. Bruno Tertrais, « Riyad : la tentation du nucléaire », Politique Internationale, n° 103, print. 2004.
-
[3]
Said Zagloul Mohammad al-Basyouni, Abdalrahim ben Saud al-Hawawi, Hicham Hafifi Mohammed Moustafa, The Weapons of biological warfare : Theory and Practice, The National Gard Printing House, 1988.
-
[4]
Cf. Dany Shoham, « Does Saudi Arabia have or seek chemical or biological weapons ? », Nonproliferation Review, print.-été 1999.
-
[5]
« IAEAFinds Egypt Secret Nuclear Program », Associated Press, 4 janv. 2005.
-
[6]
« Egypt Foreign Minister, Nuclear Energy Experts deny Egypt conducted “secret tests” », al-Misri al-Yawm, 6 janv. 2005.
-
[7]
« Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques » du 17 juin 1925.
-
[8]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Israel/ Nuclear/ 3635_5224. html>.
-
[9]
Anthony H. Cordesman, « Ventes d’armes, maîtrise des armements et sécurité régionale au Moyen-Orient », Forum du désarmement, n° 2,2001, <http :// www. unidir. org/ pdf/ articles/ pdf-art74. pdf>.
-
[10]
Questions Internationales, n° 13, mai-juin 2005, p. 32.
-
[11]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Iran/ Chemical/ 2340_4966. html>.
-
[12]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ iran/ biological/ 2305_2375. html>.
-
[13]
Patrick Binder, Olivier Lepick, Les armes biologiques, Paris, PUF, 2001.
-
[14]
L’OIAC (en anglais : Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons, OPCW), qui a son siège à La Haye, est chargée de la mise en application des décisions arrêtées dans la convention sur les armes chimiques ; <www. opcw. org>.
-
[15]
<http :// www. globalsecurity. org/ wmd/ world/ iran/ dio. htm>.
-
[16]
Federation of American Scientists, <http ://fas.org/nuke/guide/iran/missile/>.
-
[17]
<http :// www. nti. org/ e_research/ profiles/ Iraq/ index. html>.
-
[18]
Ibid.