Outre-Terre 2005/4 no 13

Couverture de OUTE_013

Article de revue

Pour qui nous avons voté

Pages 335 à 354

Notes

  • [1]
    L’accord de Taëf de 1989 préconisait des circonscriptions découpées sur les bases provinciales des Muhafazat.
  • [2]
    Le système des quotas garantit une compétition intraconfessionnelle et non interconfessionnelle, les candidats étant élus par toutes les communautés. Ce mécanisme présente deux avantages : il impose partout le soutien de communautés autres que celle dont est issu le candidat et exclut les extrémistes. Depuis Taëf, le nombre de députés est passé de 99 à 128. La loi électorale de 2000 attribue aux communautés une représentation numériquement proportionnelle à leur importance : 34 sièges aux maronites, 27 sièges respectivement aux sunnites et aux chiites, le reste se répartissant entre les autres confessions.
  • [3]
    Cf. Nicolas A. Ziadé, « The Lebanese elections, 1960 », Middle East Journal, aut. 1960, p. 373; Iliya Harik, Man Yahkum Lubnan, Beyrouth, al-Nahar, 1972; Antoine Nasri Messara, La Structure sociale du Parlement libanais, 1920-1976, Beyrouth, Publications du Centre de recherches de l’Université libanaise, 1977 ; Abdo I. Baaklini, Legislative and Political Development : Lebanon, 1842-1972, Durham, Duke University Press, 1976 ; Khayrallah Ghanem, Le Système électoral et la vie politique au Liban, Kaslik, Université Saint-Esprit, 1983 ; Sami Abi Tayeh, Structure socio-juridique du phénomène électoral au Liban, Beyrouth, Publications de l’Université libanaise, 1982 ; Jalal Zuwiyya, The Parliamentary Election of Lebanon, 1968, Leyde, Brill, 1972.
  • [4]
    Cf. Judith Harik, « Citizen Disempowerment and the 1996 Parliamentary Elections in the Governorate of Mount Lebanon », Democratization, vol. 5, n° 1, p. 158-182.
  • [5]
    La résolution 1559 exigeait que soient désarmées toutes les milices, libanaises et non libanaises. Les leaders d’Amal et du Hezbollah, Nabih Berri et Hassan Nasrallah, avaient taxé leurs opposants de partisans de la résolution, d’Israéliens et de traîtres auxquels il fallait couper les mains.
  • [6]
    À l’époque où Rafiq Hariri avait formé son premier cabinet, à la fin de 1992, la dette n’excédait pas 1,7 milliard de dollars; elle s’élevait à plus de vingt fois ce montant en 2004. Aoun avait demandé un audit sur les responsabilités.
  • [7]
    On n’oubliera pas que nombreux furent ceux qui retirèrent leur candidature quelques heures avant le scrutin, mais que le règlement interdit que leurs noms soient rayés des listes électorales.
  • [8]
    Deux représentants bénéficiaient d’une expérience parlementaire antérieure à 2000.
  • [9]
    Cf. Farid El-Khazen, Intikhabat ma baad al-harb : dimoukratia bila khiar [Les élections de l’après-guerre : une démocratie sans alternatives], Dar An-Nahar, 2000.
  • [10]
    L’absence relative du gouvernement dans les zones chiites a fait le lit de bien d’autres groupes islamistes. Le Hezbollah a comblé un vide en établissant un réseau d’œuvres sociales et caritatives. Il en a résulté une vaste popularité à la base, le mouvement devenant un acteur majeur à Baalbek-Hermel et dans le Sud.

1Les élections législatives de 2005 au Liban constituent un brillant point de départ si on les compare aux trois scrutins qui les ont précédées en 1992,1996 et 2000. Dans presque toutes les circonscriptions électorales, des candidats prosyriens ont dû battre en retraite. Mais le fait marquant est que les forces de l’opposition se sont affrontées entre elles dans certaines circonscriptions ; dans d’autres, au contraire, les alliés les plus sûrs de Damas l’ont emporté de manière écrasante, notamment dans les régions majoritairement chiites de Baalbek et du Sud-Liban. Qui plus est, le fait que plusieurs leaders traditionnels, au Mont-Liban, à Zahlé ou dans le Nord, aient maintenu leurs positions a entraîné des modifications considérables de la carte électorale.

2Pour la première fois, des mesures appropriées avaient été prises pour garantir un scrutin libre et équitable ; le but était de mettre en échec les tentatives systématiques d’ingérence du pouvoir coutumières dans le passé. Le gouvernement formé au préalable par Najib Mikati en avril 2005, composé tant de prosyriens que d’oppositionnels, avait justement pour tâche de surveiller le déroulement ; compte tenu du climat de tension, il avait été fait appel à des organisations internationales.

3Même si les circonscriptions étaient taillées en fonction des impératifs syriens, le scrutin s’est cette fois déroulé sans ingérence de Damas, alors qu’il était acquis depuis quinze ans que la Syrie intervînt dans les affaires libanaises et qu’aucune décision ne fût adoptée qui semblât porter offense au gouvernement syrien. Alors qu’autrefois il n’y avait même pas de programme politique, les élections de 2005 se sont jouées sur fond de souveraineté, d’indépendance, de libération du territoire, de réformes et de rejet de la tutelle syrienne.

4Deux événements majeurs ont servi de déclencheurs :

  • l’adoption le 2 septembre 2004 de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui appelait au retrait des troupes syriennes du Liban et au démantèlement du Hezbollah, provoquant des clivages au sein des élites et des alliances entre courants ;
  • l’assassinat en février 2005 du Premier ministre Rafiq Hariri, qui a catalysé l’application rapide de la résolution et a amené la communauté internationale, notamment la France et les États-Unis, à réclamer le retrait immédiat des troupes syriennes.
À cela s’ajoute le retour d’exil de l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Michel Aoun, et la réémergence de son Courant patriotique libre (CPL ).

5Tous ces événements, survenant à quelques semaines du scrutin, ont beaucoup pesé, en particulier au Mont-Liban, où druzes et chrétiens disposent d’une force considérable, ou dans le Nord, où la population est pour l’essentiel chrétienne et sunnite.

Loi électorale et découpage des circonscriptions

6Les élections législatives de 2005 étaient censées réaliser trois objectifs : rétablir l’équilibre après les scrutins précédents; restaurer la vie politique par la conciliation entre les confessions et les courants ; pourvoir au renouvellement des élites dans la période de transition.

7La marge de manœuvre resta cependant restreinte dans la mesure où l’on en restait au système que Damas avait élaboré en 2000 afin de maintenir son emprise sur le Parlement grâce à des circonscriptions taillées sur mesure, selon les cas, pour les candidats progouvernementaux [1] : la petite unité du caza, comme dans le Metn, ou le regroupement de deux ou trois caza formant une circonscription, par exemple dans le Nord.

8Sous le coup de l’agitation provoquée par la prorogation en septembre 2004 du mandat du président de la République Émile Lahoud, le gouvernement, qui souhaitait apaiser certains leaders de l’opposition, avait opté pour un projet de loi électorale approuvé par le ministère de l’Intérieur parce qu’appuyé par l’Église maronite et par les principaux courants chrétiens : on revenait aux petites circonscriptions de la loi de 1960, avec des représentants plus proches de leurs électeurs. Le Parlement, soumis à des pressions internes, ne put cependant se réunir pour le voter. Damas, inquiet de la montée en puissance des sentiments antisyriens après l’assassinat de Hariri et craignant que le scrutin ne s’effectue pas conformément à ses vœux, s’employa avec ses alliés à retarder, voire à différer les élections en bloquant la formation d’un nouveau gouvernement et en entraînant le pays dans l’impasse jusqu’à expiration du temps imparti par la Constitution. Les manifestations antisyriennes contraignirent en revanche le gouvernement pro-Damas d’Omar Karamé à démissionner, la crise ne pouvant être résolue que par tractation syro-saoudienne à Paris. La plupart des leaders de l’opposition acceptèrent de s’en tenir aux circonscriptions de la loi électorale discriminatoire de 2000.

Tableau 1.

Chrétiens Musulmans

Tableau 1.
Tableau 1. Chrétiens Musulmans maro- arm.- alanites g.-cath. g.-orth. orth. autres sunnites chiites druzes ouites Beyrouth 1re circonscription 1 1 1 1* 2 2e circonscription 1 1 1** 2 1 3e circonscription 2 1*** 2 1 1 Total ( 19 sièges) 1 1 2 3 3 6 2 1 Bekaa 1re circonscription 1 1 2 6 2e circonscription 1 2 1 1 1 1 3e circonscription 1 1 2 1 1 Total ( 23 sièges) 3 3 2 1 0 5 8 1 Mont-Liban 1re circonscription 7 1 2e circonscription 4 1 2 1 3e circonscription 5 1 2 3 4e circonscription 3 1 2 2 Total ( 35 sièges) 19 2 3 1 0 2 3 5 Liban-Nord 1re circonscription 3 2 5 1 2e circonscription 6 4 6 1 Total ( 28 sièges) 9 0 6 0 0 11 0 0 2 Liban-Sud 1re circonscription 1 2 9 – 2e circonscription 2 1 1 1 5 1 Total ( 23 sièges) 2 2 1 3 14 1 *protestants **minorités ***arméniens-catholiques

Chrétiens Musulmans

9Facit : des alliés de la Syrie parmi les plus loyaux, comme les mouvements chiites Amal et Hezbollah, le Baas, le Parti syrien national social (PSNS), allaient figurer sur les listes (Saad) Hariri, Joumblatt (druzes) et Kornet Chehwan (un regroupement de chrétiens incluant les Forces libanaises et Amine Gemayel, sous l’égide du clergé maronite), ce qui restreignait d’autant la marge de manœuvre du CPL [2]. C’est que l’objectif des Syriens, en 2005, n’était plus que de conserver autant que possible leur pouvoir à quelques-uns de leurs alliés. La division de Beyrouth en trois circonscriptions où prédominaient les sunnites favorisa Saad Hariri, le fils du leader assassiné, qui rafla les 19 sièges : les régions du Sud-Liban et de Nabatiyyé formaient respectivement deux circonscriptions afin de garantir au Amal de Nabih Berri et au Hezbollah le monopole de la représentation. Les chrétiens subirent des pertes importantes dans la seconde circonscription du Nord, où le maronite Sleiman Frangié devait perdre le pari de la réélection. La Bekaa était divisée en trois circonscriptions : le Hezbollah étendit son contrôle à Baalbek-Hermel, la liste soutenue par le tandem Hariri-Joumblatt l’emportant largement en Bekaa-Ouest. Au Mont-Liban, divisé en quatre circonscriptions, la liste emmenée par Joumblatt l’emporta sur celle de la coalition Aoun/Arslane à Baabda-Aley.

Les alliances électorales : de l’anomalie au bon sens

10Au Liban, on dispute toujours les élections en ayant le regard tourné vers les postes répartis entre les communautés par la Constitution : présidence maronite de la République ; présidence sunnite du Conseil ; présidence chiite de la Chambre. Les alliances se font et se défont en fonction du soutien apporté ou non dans cette course aux postes. C’est ce qui explique que l’on puisse liquider un adversaire du jour au lendemain, ou encore que l’on voie des alliances entre des personnages ambitieux appartenant à des communautés différentes [3]. Les tensions entre hauts responsables ont aussi leur source dans la pratique collégiale de gouvernement, le président de la République et le Premier ministre devant participer ensemble à la prise de décision en Conseil des ministres ; ces personnages tentant de promouvoir des associés de toutes les communautés dont la loyauté individuelle leur est assurée jusqu’au sein du cabinet [4].

11Un fait important est à relever tout d’abord : la négociation d’éventuelles alliances entre Aoun, d’une part, et la coalition emmenée par Hariri et comprenant tant Joumblatt que Kornet Chehwan, d’autre part, avait été vaine. Le général, qui jouissait d’une immense popularité, rejeta les offres répétées de Hariri et de la coalition afin qu’il les rejoigne et préféra se présenter en indépendant : c’est lui qui a été mis hors jeu. Aoun se réclamait de la « véritable opposition »; les ténors concurrents n’étaient de son point de vue que des politiciens prosyriens qui s’étaient retournés contre la Syrie après l’assassinat de Hariri le 14 février, de façon à rester en phase avec la vague de fond.

12En résultèrent de nouvelles divisions dans le camp anti-Damas, alors que la mort de Hariri avait uni chrétiens et musulmans dans le rejet des Syriens, l’opposition leur attribuant, ainsi qu’au gouvernement allié de Beyrouth, la responsabilité de l’assassinat.

13Aoun avait fixé une règle : alliance ou compétition dans toutes les circonscriptions. Cela signifiait affrontement dans toutes les circonscriptions.

Baabda-Aley

14C’est dans cette circonscription du Centre qu’a eu lieu l’une des batailles les plus enflammées, celle qui opposait le leader chrétien Michel Aoun au chef druze Walid Joumblatt. Le premier, à la tête d’une majorité chrétienne, avait conclu une alliance avec Talal Arslane, rival le plus implacable du second. Les Arslane sont toujours restés proches des chrétiens légèrement majoritaires de la montagne pour contrecarrer l’influence de Joumblatt. Lors des scrutins précédents, Arslane avait dû son siège à la tradition qui garantissait une représentation aux leaders communautaires ; cette fois, il y eut réelle compétition. Figuraient parmi les colistiers d’Arslane le député maronite sortant Pierre Daccach et le grec-orthodoxe Marwan Abu Fadel, connu pour ses jugements sévères à l’endroit de Hariri. En face, on trouvait aux côtés de Joumblatt les Kataëb (Phalanges) et les Forces libanaises, qui avaient ouvertement rejoint le leader druze pour diverses raisons : d’abord, la rivalité traditionnelle avec Aoun ; ensuite, l’entente stratégique d’Amine Gemayel avec Joumblatt, qui s’est concrétisée aux législatives dès le retour du premier au Liban en 2000 ; enfin, l’objectif de faire libérer Samir Geagea, le leader emprisonné des Forces libanaises alliées de Joumblatt dans le Chouf, Hariri et le chef druze ayant promis de faire voter une loi d’amnistie aussitôt après les élections. Hariri lui-même avait fait figurer deux candidats sur la liste. Fait d’importance : le Hezbollah était passé dans ce dernier camp et allait être un facteur décisif dans son succès.

Le Chouf

15Joumblatt, homme fort de la circonscription puisqu’il y était soutenu par l’écrasante majorité de l’électorat druze, emmenait une coalition qui rassemblait des membres de son parti et les Forces libanaises. Lui étaient opposés des candidats indépendants comme les maronites Camille Chamoun, petit-fils du fondateur du Parti national libéral (PNL ), et Mario Aoun, du Courant patriotique libre, qui n’étaient pas parvenus à former une liste autonome. L’intérêt du scrutin, dans ce contexte, résidait dans la possibilité que les chrétiens votent pour les indépendants afin de régler des comptes avec Joumblatt. Il s’agit toutefois d’une région où l’électorat chrétien se ressent encore du déplacement de population, sa participation électorale restant psychologiquement et pratiquement limitée.

Le Metn

16Cette circonscription d’assise chrétienne, qui envoyait huit représentants à la Chambre, revêtait une importance particulière. On y trouvait de nombreux leaders ou personnalités comme Émile et Nassib Lahoud, Michel Murr et la famille Gemayel. À l’inverse, Aoun et le parti arménien Tachnag y jouissaient d’un large soutien au sein de l’électorat. Aucun parti n’était sûr de l’emporter sans coopérer avec au moins un rival ou un autre parti. Trois listes furent précocement formées : celle d’Aoun, avec cinq candidats ; celle de Murr, avec seulement deux candidats ; celle de Gemayel-Nassib Lahoud, complète, avec huit candidats. Aoun et Murr allaient quelques jours plus tard faire liste commune avec sept candidats et tenter de relever le défi du « ticket » multipartite Gemayel-Lahoud. Cette alliance en dépit du bon sens était dictée par des considérations de pure politique politicienne : ni Aoun ni Murr n’avaient la moindre chance de l’emporter, en ordre dispersé, sur la liste concurrente. Autre préoccupation urgente pour Aoun, qui avait lui-même des vues sur la présidence de la République, et pour Murr : éliminer Nassib Lahoud, qui était l’un des aspirants les plus sérieux à cette charge. Objectif secondaire de Murr : infliger une défaite à son frère et rival Gaby, qui était parvenu à intégrer la liste Gemayel-Lahoud.

Kesrouan-Jbeil

17Ce scrutin au cœur du pays chrétien allait largement retenir l’attention en raison de l’épreuve de force entre, d’une part, Aoun, qui s’y présentait lui-même, et, d’autre part, presque toutes les autres organisations chrétiennes : Kataëb, Forces libanaises, Bloc national, fondé naguère par Émile Eddé, et alliés inclus. La question était ici de savoir si Aoun parviendrait à consolider son pouvoir chez les maronites ; l’enjeu était aussi, pour le général, d’écarter Fares Soueid, député de Jbeil, son principal compétiteur éventuel dans la course présidentielle. Le Hezbollah, qui était opposé à Aoun à Baabda, allait donner instruction de voter pour lui en guise de compensation.

Beyrouth

18La capitale était divisée en trois circonscriptions mixtes, mais à prédominance sunnite. Le candidat Saad Hariri avait mobilisé ses énormes moyens financiers et l’appui inconditionnel des Saoudiens pour s’y aménager un tremplin et promouvoir à terme sa carrière politique à l’échelle nationale. La liste qu’il avait formée devait lui garantir la majorité au Parlement. Mais, même si la victoire lui était assurée dans les trois circonscriptions, il lui fallut prendre en compte les intérêts contradictoires des communautés dans le choix de ses colistiers et, en particulier, se consulter avec les figures de proue des autres communautés afin de désigner les membres non sunnites de ses listes. Dans la deuxième circonscription, la liste Hariri incluait par exemple un représentant du Hezbollah, alors que l’on aurait aisément pu faire figurer n’importe quel candidat de son choix. La liste comprenait aussi Solange Gemayel, veuve de l’ancien chef des Kataëb et défunt président Bachir Gemayel. Cela en contraste frappant avec les choix en milieu sunnite, qui ne laissaient place à aucun compromis ; il fallait en effet que Hariri apparaisse comme le leader incontesté de sa communauté aux yeux des dirigeants de toutes les confessions. Des candidats comme l’ancien Premier ministre Salim El-Hoss, Tamam Salam et Fouad Makhzoumi s’étaient retirés de la course ou avaient boycotté les élections en signe de protestation contre une loi électorale injuste et des alliances abusives qui interdisaient toute compétition loyale. Aoun allait de même conjurer ses partisans de boycotter le scrutin.

Nord-Liban

19S’opposaient ici dans la conquête des 28 sièges à pourvoir une coalition Hariri de musulmans modérés et alliés chrétiens, d’une part, celle de Michel Aoun, d’autre part. Dans la deuxième circonscription, le CPL s’était renforcé par une alliance avec le député sortant Sleiman Frangié ; de même pour l’ex-Premier ministre Omar Karamé, bien que celui-ci ne se représentât pas.

20Najib Mikati, Premier ministre en charge d’un gouvernement qui avait pour tâche de surveiller le scrutin, avait logiquement promis de ne pas se présenter. Dans la première circonscription, la liste Aoun était emmenée par le député maronite sortant Mikael Daher. La liste Hariri, en face, incluait Setrida Geagea, femme de Samir, ce qui lui assurait un soutien écrasant au sein de l’électorat dans la zone de Beshari, où Issam Farès s’était retiré.

Sud-Liban

21La liste commune de 2005 fut le fruit des mêmes circonstances que par le passé. Les municipales de 2004 avaient été le théâtre d’affrontements entre Hezbollah et Amal, mais des pressions extérieures amenèrent les principaux mouvements chiites à reconstituer une même coalition avec quelques alliés mineurs comme le Baas et le Parti syrien national social. Ce regroupement « octroyé » avait pour objectif et pour légitimité d’afficher le caractère massif du rejet de la résolution 1559 du Conseil de sécurité [5]. Bahia Hariri, sœur du leader assassiné, figurait également comme alliée, bien que ses orientations politiques ne s’accordassent en rien avec celles de ses colistiers. Riad al-Assad, qui emmenait la liste concurrente, participa à l’élection pour dénoncer la situation dans la région. D’autres forces apportèrent leur soutien à un seul candidat, comme le CPL, qui appelait à voter pour Fawzi Abou Farhat, ou bien boycottèrent le scrutin (Kamel Assaad).

Bekaa

22Dans la circonscription de Baalbek-Hermel, à majorité chiite écrasante, la situation est passablement la même que dans le Sud. La liste Hezbollah-Amal, comptant un représentant respectivement du PSNS et des Kataëb, plus l’exprésident de la Chambre Hussein Husseini, avait pour objectif de révéler l’étendue du soutien accordé au Parti de Dieu dans le contexte de la résolution 1559. En dépit du nombre élevé de candidats, il n’y eut pas de liste pour faire contrepoids à cette coalition. En Bekaa occidentale, majoritairement sunnite, certains députés sortants furent écartés de la liste majoritaire à cause de leur passé progouvernemental. N’y figurèrent que les candidats pro-Hariri ou pro-Joumblatt (Robert Ghanem, Muhammed Saad, Wael Abou Faour, etc.). À Zahlé, ce furent deux listes, l’une emmenée par le député sortant grec-catholique Élias Skaff, l’autre par le député sortant chiite Muhsin Daloul. La liste Skaff était soutenue par Aoun, alors que Hariri, les Kataëb et les Forces libanaises appuyaient Daloul. Alors que les deux listes avaient passé pour favorables à Hariri jusqu’à la veille du scrutin.

23Les élections de 2005 ont attesté d’une opinion profondément divisée, que le bouleversement provoqué par l’assassinat d’Hariri continue d’ébranler. Sur le plan intérieur, la plupart des hommes politiques sont pour la réforme, mais les listes rassemblent des candidats aux vues hétéroclites ; de plus, tant Aoun que Hariri ont occupé des positions clefs au sein des administrations successives de l’après-guerre civile. Sur le plan extérieur, il arrive que la plate-forme esquisse une politique pro- ou antisyrienne, pro- ou anti-résolution 1559. Saad Hariri a fait campagne sur l’assassinat de son père ; Aoun a contre-attaqué sur l’emballement passé de Rafiq Hariri pour l’emprunt dans une période d’instabilité au Liban et dans la région, source de difficultés fiscales imprévues [6].

Résultats du scrutin

24Les résultats, sur quatre dimanches consécutifs, du 29 mai au 19 juin, étaient en partie inattendus. Les listes de Saad Hariri l’ont largement emporté à Beyrouth, dans le Nord et dans la Bekaa occidentale. Un succès assuré en partie par le fait que nombre de leaders – et de courants – sunnites ne s’étaient pas présentés, ce qui vaut encore pour les islamistes de la Jamaa Islamiya à forte capacité de mobilisation électorale dans les principales villes sunnites : Saïda, Tripoli et Beyrouth.

25Les situations dans le Chouf et à Baabda sont ressemblantes : tous les membres de la liste Joumblatt ont été réélus, le leader renforçant son hégémonie au sud du Mont-Liban et consolidant un rôle de principal acteur sur l’échiquier national par le biais de l’alliance avec Hariri ; le Hezbollah, Amal et Kornet Chehwan s’étant ralliés.

26Fait considérable, les candidats prosyriens ont tous échoué au Mont-Liban, dans le Nord, à Zahlé et dans la Bekaa occidentale : Talal Arslane, Sleiman Frangié, Issam Farès, Abd el Rahim Mrad, Eli Ferzly et Khalil Hraoui. Seule exception : Michel Murr, un leader grec-orthodoxe apparenté au président Émile Lahoud, qui avait déjà emmené le bloc régional lors des élections de 1992,1996 et 2000 dans le Metn, mais dont les positions se sont nettement affaiblies et qu’a sauvé son alliance de dernière minute avec le général Aoun. De même, Pierre Gemayel, fils de l’ex-président Amine Gemayel et petit-fils du fondateur du parti Kataëb, a été réélu en l’absence de concurrent sérieux et parce que le quatrième siège maronite de la liste Aoun était resté vacant.

27Le chiite Nabih Berri conserve son poste de président à la fois de la Chambre et d’un bloc parlementaire important. D’autres personnages de premier plan sont partis, tels Nassib Lahoud dans le Metn, ou encore Farid Khazen, Mansour El-Bone et Fares Soueid à Jbeil-Kesrouan.

28Un nombre significatif de candidats l’ont emporté par acclamation ou en l’absence de véritable compétiteur. Cela vaut en particulier chez les chrétiens. Ont triomphé sans combattre 44 députés, soit 33 % des chrétiens et 36 % des musulmans et druzes. C’est dans les trois circonscriptions de la Bekaa que la compétition a été la plus âpre. Par exemple à Baalbek, où le Hezbollah avait suscité des candidatures sans base préalable de façon à pouvoir présenter le processus comme parfaitement démocratique. De même, trois députés seulement ont été réélus à Zahlé et dans la Bekaa occidentale, la concurrence entre les personnalités émergentes ayant été pour beaucoup dans une participation accrue [7]. Ce sont les arméniens-orthodoxes qui ont enregistré le plus grand nombre de candidats, suivis par les maronites, les grecs-catholiques et les grecsorthodoxes. Les musulmans présentaient des pourcentages moins élevés : alaouites, puis sunnites et chiites. Viennent enfin les druzes.

29La participation des électeurs éligibles a été de 43 % en moyenne. Une analyse par région, cependant, montre des situations contrastées.

Tableau 2.

Nombre d’élus hors compétition, par région et confession, 2005*

Tableau 2.
Tableau 2. Nombre d’élus hors compétition, par région et confession, 2005* Chrétiens Musulmans maro- arm.- arm.- alanites g.-cath. g.-orth. orth. cath. min. sunnites chiites druzes ouites Total Beyrouth 1 1 1 3 1 2 6 2 1 18 Mont-Liban 3 1 1 2 2 9 Nord 0 Bekaa 1 1 1 5 8 Sud 2 2 1 4 9 Total 7 5 2 4 1 2 13 7 3 44 Sources : ministère de l’Intérieur et organes de presse.

Nombre d’élus hors compétition, par région et confession, 2005*

ministère de l’Intérieur et organes de presse.
Tableau 3.

Élections législatives de 2005 : duels

Tableau 3.
Tableau 3. Élections législatives de 2005 : duels Sièges Nombre Moyenne à pourvoir de candidats par siège Beyrouth 19 36 1,89 Mont-Liban 35 144 4,11 Nord-Liban 28 107 3,82 Bekaa 23 119 5,17 Sud-Liban 23 42 1,83 Total 128 448 3,5

Élections législatives de 2005 : duels

Tableau 4.

Élections législatives de 2005 : confessions

Tableau 4.
Tableau 4. Élections législatives de 2005 : confessions Sièges Nombre Moyenne à pourvoir de candidats par siège maronites 34 141 4,15 g.-catholiques 8 33 4,12 g.-orthodoxes 14 53 3,78 arméniens-o. 5 9 5,17 arméniens-c. 1 1 1,00 protestants 1 1 1,00 minorités 1 2 2,00 total chrétiens 64 240 3,75 sunnites 27 96 3,56 chiites 27 88 3,26 druzes 8 15 1,88 alaouites 2 13 6,5 total musulmans 64 212 3,31 total 128 352 2,75

Élections législatives de 2005 : confessions

Tableau 5.

Législatives de 2005 : taux de participation par région

Tableau 5.
Tableau 5. Législatives de 2005 : taux de participation par région Électeurs Électeurs Pourcentage inscrits votants par région Beyrouth 423 625 116 560 27,51 Mont-Liban 737 718 402 246 54,52 Liban-Nord 687 977 330 670 48,05 Bekaa 487 479 242 374 49,72 Liban-Sud 666 191 303 175 45,50 Total 3 002 990 1 293 345 43,07 (moyenne)

Législatives de 2005 : taux de participation par région

30C’est au Mont-Liban que les chiffres sont les plus élevés, atteignant 54,52 %. Comme il fallait s’y attendre, Beyrouth, où des chrétiens de toutes confessions et des personnalités sunnites ont boycotté le scrutin en signe de protestation contre une loi électorale inacceptable, présente le taux le plus bas ; par exemple, les arméniens n’ont pas été plus de 0,5 % à voter, les candidats du parti Tachnag ayant été remplacés sur les listes Hariri par des candidats de partis opposés mais non représentatifs.

31Dans le Sud et dans la Bekaa, les élections ont pu apparaître comme une sorte de référendum, le Hezbollah comptant ses voix et mesurant l’étendue de la popularité dont jouit la résistance contre Israël ; on voulait aussi apporter la preuve du rejet de la résolution 1559 par l’opinion publique. Le taux élevé de participation n’avait ici rien à voir avec les enjeux de politique intérieure.

Composition du Parlement

32La sociologie des assemblées postérieures à l’accord de Taëf de 1989 était impossible à établir dans la mesure où celles-ci résultaient de manipulations par le pouvoir et d’ingérences extérieures. Il en est allé tout autrement en 2005 avec un large renouvellement des élites.

3359 membres du Parlement sont des novices. 63 députés ont été réélus, soit moins de la moitié des représentants [8]. 29% sont de nouveaux entrants en 2000, 46 % en 2005.

34Ce fort taux de renouvellement s’explique en particulier par le succès massif des listes Aoun dans plusieurs circonscriptions : toute une série d’hommes politiques qui n’apparaissaient pas aux trois dernières élections en raison du boycott chrétien ont fait leur entrée au Parlement, spécialement au Mont-Liban et à Zahlé, où l’on avait précédemment comblé le vide avec des gens dépourvus d’assise populaire, certains ayant des liens familiaux avec la région, d’autres étant imposés par les services officiels. Dans le Nord, le vote sunnite a joué au détriment de personnalités maronites influentes comme Sleiman Frangié, mais il alla aussi dans certains cas dans le sens d’un renouvellement par le biais de Kornet Chehwan ou de proches associés de Hariri. Le vote de la région, dans tous les cas de figure, a présenté un caractère massivement antisyrien et a contribué du même coup à la relève de presque toute l’élite ; c’est le plus fort taux de renouvellement qui se soit jamais produit dans le pays.

35À l’intérieur de la communauté chiite, le renouvellement des élites a eu deux raisons : d’abord, le remplacement par la voie procédurale de figures d’Amal comme Mohammad Beydoun et Abou Hamdane, en conflit avec la direction du parti ; ensuite, la politique du Hezbollah, qui présentait des novices pour faire bénéficier encore plus de candidats des généreux émoluments et des mécanismes de retraite concernant les députés. Cependant, l’absence de compétition n’a pas pour autant entraîné la disparition du monopole des candidatures. De même chez les druzes du Chouf, où Walid Joumblatt a seul pouvoir de nomination. Mais nulle part ce caractère monopolistique n’est aussi patent que dans la communauté sunnite, où Saad Hariri nomme les impétrants sunnites et a la haute main sur le choix des non-sunnites.

Tableau 6.

Renouvellement de la Chambre par région et par confession, 2005

Tableau 6.
Tableau 6. Renouvellement de la Chambre par région et par confession, 2005 Chrétiens Musulmans maro- arm.- alanites g.-cath. g.-orth. orth. autres sunnites chiites druzes ouites Beyrouth 1 — 1 — 1 3 2 — — Mont-Liban 11 1 — 1 — — — 1 — Nord 7 3 7 2 Bekaa 1 — 2 — — 4 5 1 — Sud 1 — — — — — 4 — — Total 21 1 6 1 1 14 11 2 2 * Députés se présentant pour le première fois devant les électeurs.

Renouvellement de la Chambre par région et par confession, 2005

36Sur 125 députés dont l’âge a pu être déterminé, 32% ont moins de cinquante ans et 68 % soixante-cinq ans ou plus. Les catholiques comptent le plus grand nombre de plus de cinquante ans, suivis par les orthodoxes, les sunnites et les druzes. C’est à l’inverse chez les chiites que l’on trouve le plus grand nombre de députés de moins de cinquante ans. Le Sud affiche le plus fort pourcentage de représentants âgés de plus de cinquante ans parce que les représentants n’y ont pas beaucoup changé depuis 1992. Choisir des députés plus jeunes traduit évidemment une volonté de réforme, alors que le choix de personnes plus âgées indique une continuité et la résistance au changement.

37Bien que le nouveau Parlement compte toujours beaucoup de juristes, les nouveaux venus sont pour la plupart des professionnels (médecins, pharmaciens, ingénieurs, enseignants), ainsi que quelques militaires à la retraite (pas plus de 4 %), etc. Les professeurs et les médecins sont très demandés en raison de leur notabilité.

38Le niveau d’éducation est très élevé : 91 % des membres du Parlement sont diplômés, contre respectivement 77 %, 86 % et 90 % aux législatures de 1992, 1996 et 2000 [9]. Le plus fort pourcentage se rencontre chez les maronites, les grecs-catholiques et les druzes ; viennent ensuite les sunnites, les grecsorthodoxes et les chiites. Ces derniers accusent traditionnellement un retard en termes socio-économiques.

Tableau 7.

Répartition par groupes d’âge, 2005

Tableau 7.
Tableau 7. Répartition par groupes d’âge, 2005 Chrétiens Musulmans maro- arm.- alanites g.-cath. g.-orth. orth. autres sunnites chiites druzes ouites Total 25-40 4 — 0 1 0 1 3 1 — 10 41-50 7 1 3 2 2 5 9 1 — 30 50 + 23 7 11 3 0 18 15 6 2 85 Total 34 8 14 6 2 24 11 8 2 12

Répartition par groupes d’âge, 2005

Tableau 8.

Situation professionnelle des parlementaires, 2005

Tableau 8.
Tableau 8. Situation professionnelle des parlementaires, 2005 Nouveaux Anciens députés députés et députés sortants Total % réélus % % hommes d’affaires 2 22 13 juristes 20 26 23 ingénieurs, médecins, enseignants… 36 25 30 militaires à la retraite 7 1 4 autres 36 26 30

Situation professionnelle des parlementaires, 2005

Tableau 9.

Niveau de formation par confession, 1992 (en pourcentage)

Tableau 9.
Tableau 9. Niveau de formation par confession, 1992 (en pourcentage) Chrétiens Musulmans maro- arm.- alanites g.-cath. g.-orth. orth. autres sunnites chiites druzes ouites supérieur 100 100 93 83 50 92 82 100 50 secondaires et moins — — 7 17 50 8 18 — 50

Niveau de formation par confession, 1992 (en pourcentage)

Tableau 10.

Appartenance partisane des parlementaires, 2000-2005

Tableau 10.
Tableau 10. Appartenance partisane des parlementaires, 2000-2005 2000 2005 Partis « chrétiens » Kataëb 2 2 Tachnag 1 1 Ramgavar 1 1 Forces libanaises 0 5 Courant patriotique libre 0 7 Partis « musulmans » Hezbollah 9 11 Mouvement Amal 7 6 Autres partis Parti syrien national social 4 2 Parti socialiste progressiste 5 5 Parti Baas 3 1 Gauche démocratique 0 1 Total 32 42 Pourcentage arrondi 25 33

Appartenance partisane des parlementaires, 2000-2005

39Ce sont les alliances qui ont fondé dans la majeure partie des cas la représentation et le poids des partis au Parlement. Celle entre Amal et le Hezbollah s’est conclue avec l’aide des Iraniens, et c’est la main invisible des Syriens qui s’est fait sentir pour le PSNS et le Baas dans la Bekaa et dans le Sud. La nature de la circonscription et des enjeux a entraîné la coalition des Kataëb, du Parti socialiste progressiste (PSP) de Joumblatt, des Forces libanaises et du Hezbollah au Mont-Liban. Les combinaisons d’Aoun ont surpris à la fois l’électorat et les observateurs ; elles laissent en suspens divers points d’interrogation.

40Les partis politiques se sont surtout employés à mobiliser un électorat aussi nombreux que possible sur la personne des leaders, et ce au détriment d’idées et d’un programme clairs. D’où des alliances contre-nature : Aoun avec Murr, Arslane ou Frangié au Mont-Liban et au Nord ; Joumblatt avec les Forces libanaises au Mont-Liban méridional ; les alliances du Hezbollah lui ont servi à consolider sa base tout en garantissant à la fois le succès d’Aoun dans le Metn et celui de Joumblatt et des Forces libanaises dans le Chouf comme à Baabda-Aley.

41Bien que les partis soient légèrement plus représentés que précédemment, le changement a consisté dans l’entrée au Parlement de formations nouvelles. Certains partis parviennent à se maintenir ou même à augmenter leur nombre de sièges, mais d’autres accusent des pertes sévères.

Tableau 11.

Blocs parlementaires, 2000-2005

Tableau 11.
Tableau 11. Blocs parlementaires, 2000-2005 2000 2005 Rafic Hariri 25 37 Nabih Berri 16 15 Hezbollah 12 14 Walid Joumblatt 15 15 Nationalistes syriens 4 2 Parti Baas 3 1 Kataëb 2 4 Forces libanaises 0 6 Kornet Chehwan 0 5 Courant patriotique libre 0 14 Autres 21* 12** Total 98 125 *Blocs régionaux, y compris ceux de Georges Frem à Kesrouan-Jbeil, Elias Skaff à Zahlé et Michel Murr dans le Metn **Blocs régionaux, y compris ceux de Murr, Skaff et l’Union pour Tripoli

Blocs parlementaires, 2000-2005

42Les chrétiens ont à peu près autant de députés présentés par des partis que les musulmans. La plupart des partis ayant fait leur entrée au Parlement sont des formations chrétiennes qui avaient jusque-là boycotté tous les scrutins. Exemples les plus saillants : le CPL du général Aoun et les Forces libanaises, qui jouissent tous deux d’un large soutien en milieu chrétien. Les deux sièges de ses alliés s’ajoutant aux neuf qui lui reviennent, le Hezbollah [10] a le groupe numériquement le plus important de la Chambre; Amal, son principal rival, a perdu un siège. Le Baas a perdu deux sièges sur trois, le PSNS deux sur quatre, le PSP retrouvant ses cinq représentants.

43Le Tachnag, en principe hégémonique chez les arméniens, a pu conserver son seul et unique siège, mais la géographie électorale l’a empêché de concourir pour les cinq autres. D’autres formations chrétiennes, comme le PNL de Camille Chamoun ou le Bloc national, ont présenté des candidats, mais ont échoué à les faire élire.

44Le parti Kataëb (phalangistes) a en revanche conservé ses sièges à Baabda et à Baalbek grâce à de fructueuses alliances et a trouvé une consolidation supplémentaire dans l’élection de Pierre Gemayel et celle de Solange Gemayel, qui lui permet d’être à nouveau représenté dans son fief traditionnel d’Achrafieh (Beyrouth).

45Autre pilier de la représentation parlementaire hormis les partis, les rassemblements autour d’un parti, soit les « blocs », en principe interconfessionnels (à de rares exceptions), mais la plupart du temps emmenés par un patron ( za‘im ) régional ou confessionnel, auquel on est redevable de son siège et à qui est due une entière loyauté. Les membres de semblables rassemblements votent généralement en bloc aux moments décisifs : élection du Premier ministre, vote de confiance au gouvernement, élections présidentielles, etc.

46Les blocs se sont significativement élargis, celui du Hezbollah passant de 12 à 14 sièges. De même, ceux des leaders influents ont grossi : respectivement 15 sièges à Nabih Berri et à Joumblatt, 14 à Aoun, 37 revenant à Saad Hariri. On notera que, par exemple, les positions du Baas au sein du bloc de Nabih Berri peuvent varier en fonction des sujets abordés, d’où d’éventuels conflits d’intérêts.

Premières conséquences du scrutin de 2005

47En fait, le paysage politique s’est trouvé substantiellement modifié. La campagne a révélé un rejet massif de la Syrie dans l’opinion publique, alors que la politique de Damas consistait jusqu’ici à maintenir un équilibre délicat entre les élites confessionnelles et politiques de façon à pérenniser son hégémonie. Les Syriens ont toutefois réussi à garder un rôle indirect au Liban par le biais du Hezbollah, ce qui apparaît clairement dans la Bekaa et dans le Sud, mais pas dans le Nord, stratégiquement important.

48Deuxième aspect : la prépondérance de Hariri, qui a obtenu une majorité de 92 députés, susceptible de paralyser l’exécutif, et a d’autant plus compliqué la situation que Taëf marquait déjà un déclin des prérogatives du président de la République au bénéfice du Conseil des ministres.

49Autre problème, formidable, celui du Hezbollah, qui avait occupé le gouvernement de Rafiq Hariri jusqu’à la démission du Premier ministre en octobre 2004. Le cabinet n’a pas les moyens juridiques de contrôler les opérations militaires du mouvement contre Israël; de plus, le Hezbollah jouit du plein appui de Damas et ne souhaite apparemment pas coordonner ses activités avec Beyrouth. Il faut ajouter à cela l’extraordinaire position de force du mouvement : une carte que Damas veut jouer au cas où les négociations avec l’État hébreu reprendraient, comme en a témoigné à contrecœur Fouad Siniora dans sa déclaration de politique gouvernementale de l’été 2005 en reconnaissant les résultats de la résistance et en faisant sienne la volonté du mouvement de libérer les fermes de Chebaa en étroite coordination avec la Syrie. Alors que les Israéliens posent de leur côté qu’ils ont réussi leur retrait du Sud-Liban en mai 2000 et que les fermes, occupées depuis la guerre de 1967, font partie du territoire syrien.

50Phénomène parmi les plus importants : le rôle nouveau des mouvements chrétiens. Même s’ils se sont affrontés dans l’urne, ceux-ci ont fini par participer effectivement à la vie politique. La mise en œuvre de l’accord de Taëf, jusque-là controversée parce que la société libanaise s’en trouvait encore plus segmentée, pourrait s’effectuer de façon plus équilibrée et plus équitable.

Conclusions

51Les observateurs avertis pourraient avoir le sentiment d’avoir assisté en 2005 à des élections conduites dans plusieurs pays et organisées selon des systèmes différents. Pas de compétition à Beyrouth ni dans le Sud, par exemple; compétition intense au Mont-Liban, à Zahlé et dans le Nord.

52Comme précédemment, les candidats qui étaient dans l’incapacité de rejoindre une liste ou de former la leur propre devaient agir en toute indépendance. En 2005, les députés ont figuré, à deux exceptions près – Nicolas Fattouch, qui avait réussi à noyauter la liste d’Élias Skaff à Zahlé ; Pierre Gemayel, qui allait l’emporter dans le Metn aux dépens d’autres candidats indépendants – sur l’une ou l’autre des listes. C’est un fait peu commun au Liban, où l’électeur recourt volontiers au panachage ou se fabrique sa propre liste à partir des listes présentées et de candidats indépendants. Cela signifie que partis et leaders sont parvenus à convaincre l’électorat de voter pour toute la liste quelles que soient les alliances nouées.

53On constate une relation directe entre le niveau de compétition et la taille des circonscriptions. La concurrence a été vive dans les circonscriptions de taille moyenne, mais réduite dans les circonscriptions étendues, où le financement est important, le camp le plus riche s’en trouvant favorisé et les candidats indépendants incapables de rivaliser avec des listes. Sans compter que ce financement ne se ramène pas au matériel de campagne : on attend en effet des candidats qu’ils reçoivent pendant toute l’année, en particulier durant les mois qui précèdent le scrutin; ce sont encore eux qui doivent assurer le transport de leurs partisans pendant la campagne et au moment de l’élection.

54Autre fait marquant et sans précédent dans l’histoire électorale du Liban moderne : la démonstration de force de Hariri. Jamais aucun leader ou parti n’avait obtenu une majorité de 37 députés au Parlement. Un défi, compte tenu du système libanais et de sa complexité. L’objectif de Hariri était sans nul doute de s’assurer le poste de Premier ministre, même si des candidats sunnites furent pour la première fois éliminés sans ménagement. L’électorat, en particulier sunnite, a placé de grands d’espoirs dans le personnage, dont on attend qu’il redresse l’économie du pays.

Tableau 12.

Taux de succès, 2005

Tableau 12.
Tableau 12. Taux de succès, 2005 Nombre Nombre de listes avec Candidats indépendants de députés tous les candidats élus et taux de succès Beyrouth 19 3 — Mont-Liban 34 4 — Liban-Nord 28 2 — Bekaa 16 2 — Liban-Sud 23 2 — Total 121 13 0

Taux de succès, 2005

55Walid Joumblatt, le druze qui s’était fait le héraut du retrait syrien, a encore consolidé ses positions ; des alliances fructueuses lui ont permis d’évincer ses deux rivaux Talal Arslane et Faysal Daoud et de devenir le leader incontesté de sa communauté.

56Au-delà de leurs querelles, les chrétiens se sont taillé une place significative au Parlement, surtout du fait de l’entrée d’Aoun, des Forces libanaises et d’autres personnalités ; ils n’en demeurent pas moins subordonnés à la volonté des autres camps et restent marginalisés dans le Sud comme dans la Bekaa ; ils continuent d’espérer que les Libanais pourront se réconcilier autour d’un accord de Taëf correctement appliqué qui fournirait un cadre adéquat à des transformations constitutionnelles et à la réforme de la vie politique, contrairement à l’interprétation sélective de la Constitution qui aliénait par le passé une partie considérable de la population.

57Un dernier point concerne le rôle des élites. Il y a consensus, au Liban, quant à la nécessité de les unifier autour de l’institutionnalisation de procédures et de mécanismes démocratiques de façon que la transition s’accomplisse avec succès. Faut-il par contre organiser l’interaction des anciennes et des nouvelles élites ou bien installer de nouvelles élites à la place des anciennes ? Reste que le Parlement n’a été renouvelé qu’à moins de 50 % après le départ des Syriens. Les élites libanaises ne pourraient-elles pas, cette fois, geler leurs divisions et leurs incompatibilités et tendre sinon à l’unité, du moins à une « accommodation » sans laquelle le système politique court à la paralysie ? L’expérience passée a montré que la coopération et l’entente ont épargné au pays bien des crises, alors que les contentieux étaient pour lui un danger de mort.

figure im13


Date de mise en ligne : 01/01/2006

https://doi.org/10.3917/oute.013.0335

Notes

  • [1]
    L’accord de Taëf de 1989 préconisait des circonscriptions découpées sur les bases provinciales des Muhafazat.
  • [2]
    Le système des quotas garantit une compétition intraconfessionnelle et non interconfessionnelle, les candidats étant élus par toutes les communautés. Ce mécanisme présente deux avantages : il impose partout le soutien de communautés autres que celle dont est issu le candidat et exclut les extrémistes. Depuis Taëf, le nombre de députés est passé de 99 à 128. La loi électorale de 2000 attribue aux communautés une représentation numériquement proportionnelle à leur importance : 34 sièges aux maronites, 27 sièges respectivement aux sunnites et aux chiites, le reste se répartissant entre les autres confessions.
  • [3]
    Cf. Nicolas A. Ziadé, « The Lebanese elections, 1960 », Middle East Journal, aut. 1960, p. 373; Iliya Harik, Man Yahkum Lubnan, Beyrouth, al-Nahar, 1972; Antoine Nasri Messara, La Structure sociale du Parlement libanais, 1920-1976, Beyrouth, Publications du Centre de recherches de l’Université libanaise, 1977 ; Abdo I. Baaklini, Legislative and Political Development : Lebanon, 1842-1972, Durham, Duke University Press, 1976 ; Khayrallah Ghanem, Le Système électoral et la vie politique au Liban, Kaslik, Université Saint-Esprit, 1983 ; Sami Abi Tayeh, Structure socio-juridique du phénomène électoral au Liban, Beyrouth, Publications de l’Université libanaise, 1982 ; Jalal Zuwiyya, The Parliamentary Election of Lebanon, 1968, Leyde, Brill, 1972.
  • [4]
    Cf. Judith Harik, « Citizen Disempowerment and the 1996 Parliamentary Elections in the Governorate of Mount Lebanon », Democratization, vol. 5, n° 1, p. 158-182.
  • [5]
    La résolution 1559 exigeait que soient désarmées toutes les milices, libanaises et non libanaises. Les leaders d’Amal et du Hezbollah, Nabih Berri et Hassan Nasrallah, avaient taxé leurs opposants de partisans de la résolution, d’Israéliens et de traîtres auxquels il fallait couper les mains.
  • [6]
    À l’époque où Rafiq Hariri avait formé son premier cabinet, à la fin de 1992, la dette n’excédait pas 1,7 milliard de dollars; elle s’élevait à plus de vingt fois ce montant en 2004. Aoun avait demandé un audit sur les responsabilités.
  • [7]
    On n’oubliera pas que nombreux furent ceux qui retirèrent leur candidature quelques heures avant le scrutin, mais que le règlement interdit que leurs noms soient rayés des listes électorales.
  • [8]
    Deux représentants bénéficiaient d’une expérience parlementaire antérieure à 2000.
  • [9]
    Cf. Farid El-Khazen, Intikhabat ma baad al-harb : dimoukratia bila khiar [Les élections de l’après-guerre : une démocratie sans alternatives], Dar An-Nahar, 2000.
  • [10]
    L’absence relative du gouvernement dans les zones chiites a fait le lit de bien d’autres groupes islamistes. Le Hezbollah a comblé un vide en établissant un réseau d’œuvres sociales et caritatives. Il en a résulté une vaste popularité à la base, le mouvement devenant un acteur majeur à Baalbek-Hermel et dans le Sud.

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