Outre-Terre 2004/3 no 8

Couverture de OUTE_008

Article de revue

Le Comité international olympique : allié ou rival de l'ONU ?

Pages 27 à 37

Notes

  • [1]
    Jean-Loup Chappelet, « L’Agence mondiale antidopage : un nouveau régulateur des relations internationales sportives », Relations internationales, n° 111, automne 2002.
« L’Olympisme est une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels.
Le but de l’Olympisme est de mettre partout le sport au service du développement harmonieux de l’homme, en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. À cet effet, le Mouvement olympique mène seul ou en coopération avec d’autres organisations et dans la limite de ses moyens, des actions en faveur de la paix. »
Charte olympique, principes fondamentaux 2 et 3, état en vigueur au 4 juillet 2003
« Les idéaux olympiques sont également ceux de l’Organisation des Nations Unies : tolérance, égalité, fair-play et, surtout, paix. Ensemble, les Jeux Olympiques et l’Organisation des Nations Unies peuvent former une équipe gagnante. Mais la victoire ne sera pas facile. La guerre, l’intolérance et le dénuement sont loin d’avoir disparu de la surface de la terre. Nous devons nous battre. Tout comme les athlètes s’efforcent d’atteindre des records mondiaux, nous devons lutter pour la paix dans le monde. »
Kofi A. Annan, Secrétaire général des Nations Unies, septembre 2000

1Depuis le renouveau des Jeux Olympiques à Athènes en 1896, le Comité international olympique (CIO ), né à Paris deux ans auparavant, aura tenté de faire prévaloir sur les terrains de sport l’idéal pacifiste du baron français Pierre de Coubertin, à savoir un mélange d’exaltation patriotique et d’internationalisme libéral. Influencé par l’esprit des Conférences de la Paix et conscient de vivre un moment d’accélération des échanges mondiaux et d’intégration des sociétés occidentales, ce dernier ne déclarait-il pas le 25 novembre 1892 devant l’assemblée des sportsmen français : « Il y a des gens que vous traitez d’utopistes lorsqu’ils vous parlent de la disparition de la guerre et vous n’avez pas tout à fait tort, mais il y en a d’autres qui croient à la diminution progressive des chances de la guerre et je ne vois pas là d’utopie. Il est évident que le télégraphe, les chemins de fer, le téléphone, la recherche passionnée de la science, les congrès, les expositions ont fait plus pour la paix que tous les traités et toutes les conventions diplomatiques. Eh bien j’ai l’espoir que l’athlétisme fera plus encore : ceux qui ont vu 30000 personnes courir sous la pluie pour assister à un match de football ne trouveront pas que j’exagère. Exportons des rameurs, des coureurs, des escrimeurs ; voilà le libre-échange de l’avenir et le jour où il sera introduit dans les mœurs de la vieille Europe, la cause de la paix aura reçu un nouvel et puissant appui. Cela suffit pour encourager votre serviteur à songer maintenant à la seconde partie de son programme [après le développement du sport scolaire… ] : le rétablissement des Jeux Olympiques. »

2Le premier siècle olympique qui s’étend d’Athènes ( 1896) à Los Angeles ( 1984) aura pourtant démontré combien, malgré les dénégations du CIO, le sport et l’olympisme auront davantage servi la cause de la guerre et des régimes d’oppression que celle de la paix. L’histoire a notamment retenu la complaisance collaboratrice du président Baillet-Latour ( 1925-1942) à l’égard des régimes fasciste et nazi : remise du diplôme olympique au Dopolavoro mussolinien, refus de procéder à la désignation d’une autre ville que Berlin pour accueillir les Jeux de 1936, transfert de la Revue Olympique (organe du CIO ) dans la capitale du Reich dès 1938. Les nobélisations manquées de Pierre de Coubertin en 1928 et 1936, puis du CIO sous la présidence d’Antonio Samaranch ( 1980-2001) signalent combien la « neutralité olympique » ne saurait valoir absolution auprès des Juges de la Paix. Quoique soutenu par une opinion publique sportive mondiale gagnée aux idéaux olympiques, le CIO souffre incontestablement d’un déficit de reconnaissance internationale.

3Mais il n’est pas seulement confronté à la puissance des États. Il doit en effet composer avec les velléités sécessionnistes des fédérations sportives internationales (FI) parfois tentées par un repli sur des championnats mondiaux. Autrement dit, il doit à la fois agir en faveur de la paix dans le champ classique des relations internationales et conforter son autorité sur la contre-société sportive mondiale. Aussi, dans le contexte déstabilisant produit par l’accélération du processus de mondialisation puis par la fin de la Guerre froide, le CIO a-t-il opéré un double rapprochement avec de grandes firmes transnationales et avec l’Organisation des Nations Unies (ONU ).

Une ONG à la tête du sport mondial

4D’un strict point de vue juridique, le CIO est une organisation internationale non gouvernementale, à but non lucratif, à forme d’association dotée de la personnalité juridique, reconnue par arrêté du Conseil fédéral suisse du 17 septembre 1981 et dont le siège est à Lausanne. Ses prétentions à « gouverner le sport mondial » le situent donc dans un « hinterland juridique » entre droit interne suisse et droit international.

5Dans sa période de gestation d’avant 1914, le CIO a profité de l’illisibilité du sport comme outil et levier diplomatique pour échapper à l’influence des États. En revanche, il a dû affronter l’opposition des comités olympiques nationaux et des fédérations sportives internationales (FI) qui dénoncent ses pouvoirs abusifs tout comme l’autoritarisme de Pierre de Coubertin. Afin d’éviter tout sécessionnisme sportif, ce dernier doit concéder un droit de codécision en ce qui concerne la définition du programme des compétitions, puis en 1921 la création d’une Commission exécutive de nature dyarchique (CIO et FI). Ces simples mesures ne parviennent pas à éviter le départ de la Fédération internationale de football association (FIFA ) qui crée en 1934, dans l’intervalle des tournois olympiques, sa propre Coupe du monde.

6S’il y a dans l’organigramme du CIO une tribune des nations sportives, l’Association des comités nationaux olympiques (ACNO ), les compétences de celle-ci sont extrêmement limitées : préparation des réunions avec la commission exécutive du CIO et des Congrès olympiques (à caractère pédagogique), recommandations à l’attention du CIO quant à l’utilisation des fonds produits par les droits de télédiffusion destinés aux CNO. Sous l’égide du CIO, les CNO se sont par ailleurs regroupés en cinq associations continentales. Ce quadrillage de l’espace mondial sportif par le haut ne saurait donc être assimilé aux différentes formes de régionalisation politique et économique apparues lentement depuis la Seconde Guerre mondiale (UE, OUA, ASEAN, ALENA … ).

7Même si le partage des compétences est aujourd’hui beaucoup plus équilibré, le CIO domine indéniablement les CNO et les FI, essentiellement parce qu’il parvient à en assurer le financement via les sponsors et la vente des droits télévisés. Chargés de diffuser au plan national les principes fondamentaux de l’olympisme dans le cadre de l’activité sportive, les CNO sont investis de pouvoirs olympiques délégués et censés assurer en retour l’indépendance du CIO : eux seuls sont habilités à sélectionner et à envoyer équipes et compétiteurs aux Jeux Olympiques, à indiquer au CIO le nom de la ville candidate à l’accueil des JO dans le pays concerné. Ce sont enfin les CNO qui ont obligation de prendre, à leur niveau national, et au profit du CIO, toutes les mesures propres à obtenir la protection juridique du symbole, du drapeau, de la devise et de l’hymne olympiques, ainsi que des termes « olympique » et « Olympiade ».

8Parce qu’il retient une acception élargie du concept de « nation » en reconnaissant également « les territoires indépendants, les commonwealth, les protectorats et même des zones géographiques », le CIO peut afficher une universalité, certes sportive, mais supérieure à celle de l’ONU. Avec la réintégration toute récente du CNO irakien, il rassemble en effet 202 CNO répartis sur les cinq continents.

9D’une certaine manière, le CIO contrôle le champ mondial du sport bien mieux que l’ONU n’organise la société mondiale, puisqu’il intègre dans son système hégémonique non seulement les nations sportives de la planète et les organisations sportives internationales comme les FI, mais également les Comités d’organisation des Jeux Olympiques (COJO ), ou bien encore les athlètes, juges et arbitres, et jusqu’aux associations et clubs d’échelle simplement locale. En outre, par le jeu subtil de la « reconnaissance olympique », d’autres organisations et institutions lui sont redevables, par exemple dans les champs médical (Association olympique internationale pour la recherche médico-sportive ou Fédération internationale de médecine du sport) et médiatique (Agence France Presse, Associated Press, Reuters, Association internationale pour l’information sportive, Association internationale de la presse sportive, Fédération internationale cinéma et télévision sportifs).

10Le CIO conduit également une politique d’aimantation en direction d’autres organisations sportives d’échelle mondiale de type affinitaire comme la Fédération internationale du sport universitaire, la Fédération internationale du sport scolaire, la Fédération internationale sportive de l’enseignement catholique, la Confédération sportive internationale du travail, le Conseil international du sport militaire, l’Union sportive internationale des polices, l’Association internationale des jeux mondiaux…

11Bien plus, le CIO finance depuis les années 1980 des organismes produisant une histoire des Jeux, conservant la mémoire olympique, et diffusant sa propre « philosophie ». Lié au Musée olympique de Lausanne, le Centre d’études olympiques comprend à la fois un service d’archives et une médiathèque. Il exerce sa mission toute de prosélytisme avec bienveillance et discrétion : système de bourses pour chercheurs, création en janvier 1995 d’une Chaire internationale d’olympisme en partenariat avec l’Université autonome de Barcelone dont les objectifs prioritaires sont « la recherche, la formation, la documentation et la diffusion des idéaux du Mouvement olympique ». Deux autres centres de recherche financés en grande partie par le CIO et par son principal sponsor, la firme Coca-Cola, ont été fondés en Australie et sur le continent américain ( International Center for Olympic Studies de l’Université du Western Ontario). Outre l’Académie internationale olympique qui organise depuis 1961 des sessions internationales de formation à l’idéal olympique sur le site même de l’antique sanctuaire de Zeus, on signalera le Comité international Pierre de Coubertin ( 1980) avec ses activités académiques, ou bien le Comité international pour le fair-play qui décerne depuis 1963 ses Prix internationaux à des athlètes, qu’ils soient champions olympiques ou simples débutants.

Le directoire des « trustees de l’idée olympique »

12Il est une règle intangible édictée par Pierre de Coubertin lui-même afin d’assurer l’indépendance du CIO vis-à-vis des États : les membres du CIO sont « les trustees de l’idée olympique », des fidéicommissaires en charge d’une curatelle sportive. Ils sont les représentants du CIO dans leurs pays respectifs et non les délégués de leur pays au sein du CIO. À l’origine cooptés et inamovibles, ils devaient présenter des garanties financières suffisantes pour soutenir l’action d’une institution qui ne sera pas dotée d’une véritable administration avant les années 1960. D’abord membres à vie, ils se sont vu imposer deux limites d’âge successives, d’abord 80, actuellement 70 ans. Le Comité international olympique n’a donc pas été formé sur la base des principes d’élection et de délégation propres aux démocraties libérales de la fin du XIXe siècle, ce qui lui a valu d’être souvent dénoncé pour l’opacité de ses décisions et de ses comptes, pour le manque de transparence de sa diplomatie. Si l’histoire de l’olympisme a régulièrement apporté la preuve qu’en cas de conflit d’intérêts nationaux, les membres du CIO sont davantage mus par leur patriotisme, leur indépendance toute aristocratique vis-à-vis des États explique en grande partie que les Jeux aient survécu au terrible XXe siècle.

13Contrairement à la règle adoptée à Paris et stipulant que le président du CIO appartiendrait toujours au pays en charge de l’organisation des prochains Jeux et que le siège administratif le suivrait, Pierre de Coubertin était habilement parvenu à rester en place de 1896 à 1925 et à installer le siège du CIO chez lui, dans le quartier Saint-Germain. Et sous le prétexte de le mettre à l’abri de la guerre, il conduisit en secret des négociations avec la municipalité lausannoise plutôt réticente, parvenant finalement à installer en catimini le siège de l’olympisme en terre neutre, sur les bords du lac Léman. Ce « petit coup d’État salutaire » d’avril 1915 correspondait probablement à un désir d’installer de façon permanente les Olympiades en Suisse et d’échapper ainsi à l’interventionnisme des États. Confiant la présidence par intérim à son ami suisse Godefroy de Blonay, il avait pu alors endosser la vareuse militaire à plus de 52 ans : son internationalisme n’excluant nullement la défense de la patrie.

14Aujourd’hui, le président du CIO est élu par les membres du CIO au scrutin secret pour une période initiale de huit ans, renouvelable une seule fois pour quatre ans. La charge est occupée depuis le 16 juillet 2001 par le Belge Jacques Rogge. Il est le huitième titulaire de cette fonction depuis la création du CIO et ses prédécesseurs ont tous été, à une exception près, des Européens : Demetrius Vikelas (Grèce, 1894-1896), Pierre de Coubertin (France, 1896-1925), Henry de Baillet-Latour (Belgique, 1925-1942), Sigfrid Edström (Suède, 1946-1952), Avery Brundage (États-Unis, 1952-1972), Lord Killanin (Irlande, 1972-1980), Juan Antonio Samaranch (Espagne, 1980-2001).

15La Commission exécutive (CE ) qu’il préside, outre les Sessions annuelles, est investie des pouvoirs essentiels. Elle veille au respect de la « Charte olympique », présente à la Session un rapport sur toute proposition de modification de règle ou de texte d’application, assume la responsabilité suprême de l’administration du CIO, approuve l’organisation interne du CIO, son organigramme et tous les règlements intérieurs relatifs à son organisation, est responsable de la gestion des finances du CIO, soumet à la Session du CIO les noms des personnes dont elle recommande l’élection en son sein, conduit la procédure d’acceptation et de sélection des candidatures à l’organisation des Jeux Olympiques, crée et attribue les distinctions honorifiques du CIO, établit l’ordre du jour des Sessions du CIO, nomme le directeur général sur proposition du président, a la garde des archives du CIO, édicte sous la forme qu’elle estime la plus appropriée (codes, règlements, normes, directives, guides, instructions) toutes les dispositions nécessaires à une bonne mise en œuvre de la « Charte olympique » et à l’organisation des Jeux Olympiques.

L’alliance du CIO avec les multinationales

16Le CIO ne sera pas véritablement autonome au plan financier avant les Jeux, bénéficiaires, d’Atlanta 1996, dits du Centenaire. C’est là un acquis majeur de la présidence de Juan Antonio Samaranch ( 1980-2001), obtenu au prix de l’abandon en 1981 du dogme maintes fois écorné jusqu’alors de l’amateurisme olympique. Ce dernier développe à partir de 1985 une stratégie d’alliance avec de grandes sociétés industrielles et commerciales, notamment états-uniennes, afin de pérenniser les Jeux : le programme TOP (The Olympic Partner Programme) garantissant au petit cercle de firmes transnationales entrant dans le mouvement olympique un usage exclusif et mondial de toute l’imagerie olympique. Il reste que ce sont les droits payés par les chaînes de télévision pour retransmettre les Jeux Olympiques qui assurent le financement majeur du Mouvement olympique.

17Jusqu’aux Jeux de Los Angeles 1984, le CIO a systématiquement choisi les villes hôtes en fonction des impératifs de diffusion de l’olympisme et de propagation de la paix olympique, et en ciblant les marges que constituaient alors l’Asie (Tokyo, 1944 puis 1964), l’Amérique latine (Mexico, 1968) ou l’Est (Moscou, 1980). Depuis Séoul 1988, ses décisions associent une dimension patrimoniale (commémoration retardée du Centenaire à Athènes 2004), le népotisme (« Jeux du président » à Barcelone 1992) et des préoccupations strictement financières (pénétration des marchés asiatiques à l’occasion des « Jeux Adidas » de Séoul 1988 et de Pékin 2008, ou américains avec les « Jeux Coca-Cola » d’Atlanta 1996).

18Même s’il a construit sa campagne sur la dénonciation du gigantisme des Jeux, l’actuel président du CIO, Jacques Rogge, ne manque jamais de le souligner : « Sans le soutien de la communauté des affaires, sa technologie, son expertise, ses employés, ses services, ses produits, ses télécommunications et son financement, les Jeux Olympiques ne pourraient pas exister. »

19Le programme de marketing de Salt Lake 2002 a été le plus réussi de l’histoire des Jeux Olympiques d’hiver, avec des records, notamment dans les domaines de la retransmission télévisée ( 2,1 milliards de téléspectateurs dans 160 pays et territoires pour 13,1 milliards d’heures), de la billetterie ( 1 525 millions de billets vendus, soit 95 % des billets disponibles) et du parrainage ( 876 millions de dollars auxquels il convient d’ajouter 443 millions provenant des contrats négociés par le CIO avec la radio-télévision). Cette manne financière permet au CIO de promouvoir les Jeux Olympiques comme « la seule grande manifestation sportive du monde où il n’y a aucune publicité dans les stades ou sur les athlètes ». Elle lui permet de justifier sa totale indépendance dans le choix de Pékin pour 2008 en arguant du fait que tous les accords de diffusion ainsi qu’une grande partie des accords de parrainage mondiaux étaient déjà en place avant la session délibératrice du CIO à Moscou en 2001. Enfin, elle l’autorise à diversifier son action diplomatique en dépassant sa seule spécificité sportive.

L’humanitaire et l’écologie, nouveaux territoires de la diplomatie olympique

20En 1992, le CIO lance un appel au respect de la Trêve olympique et négocie avec l’ONU la participation d’athlètes de l’ex-République fédérale de Yougoslavie aux Jeux de la XXVe Olympiade de Barcelone. Il obtient des Nations Unies que l’année 1994 soit proclamée « Année internationale du sport et de l’idéal olympique ». En 2000, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Sydney, les délégations des Corées du Sud et du Nord défilent ensemble dans le stade derrière le drapeau de la péninsule coréenne. Mais, loin de se résumer aux seuls Jeux Olympiques, la diplomatie pacifiste du CIO veut articuler aujourd’hui « sport, développement harmonieux de l’homme, et préservation de la dignité humaine », à travers des actions concertées avec différents organismes dérivés de l’ONU.

21Appuyé sur le réseau mondial de ses CNO et sur ses « olympiens » (athlètes ayant participé aux JO contemporains), regroupés depuis 1995 en association mondiale (AMO ), le CIO coopère par exemple avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR ) dans des camps de réfugiés et des zones de repeuplement sur plus de 30 pays en Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Europe de l’Est : achat d’équipement et développement des infrastructures sportives en faveur des réfugiés guatémaltèques revenus dans leur pays depuis les accords de paix de 1997, séances d’entraînement et rencontres sportives pour les milliers de jeunes Soudanais et Africains regroupés dans le camp de Kakuma au nord-ouest du Kenya.

22À partir d’Atlanta 1996, le CIO a également collaboré avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD ) dans le cadre de la « Décennie pour l’éradication de la pauvreté » ( 1994-2004). Il a par exemple soutenu financièrement la campagne de communication du PNUD, « Teams to end Poverty » (Équipes contre la pauvreté) à laquelle de grands champions sportifs comme Zinedine Zidane ou Ronaldo ont accepté de participer comme bénévoles. Alors que 1996 génère des profits sans précédent, au grand dam des Grecs qui avaient revendiqué l’organisation des Jeux du Centenaire sur leur sol, les athlètes lancent au demeurant depuis le village olympique « un appel contre la pauvreté » : « Nous, athlètes olympiques, nous engageons à contribuer dans toute la mesure de nos capacités à éradiquer la pauvreté, promouvoir la solidarité et le développement humain. »

23Le CIO, qui plus est, a signé en 1997, avec le Programme des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO ), un accord de coopération afin « d’encourager les activités récréatives et de promouvoir un mode de vie sain par la pratique sportive, mais aussi de consolider la structure communautaire et d’endiguer l’exode des campagnes vers les villes », implantant divers équipements sportifs de base et des installations légères au Burkina Faso, au Cambodge, en Tanzanie, en Équateur.

24Au nom du droit des êtres humains « à aspirer à leur développement spirituel et leur progrès matériel dans la liberté, la dignité et l’égalité des chances », le CIO a développé, conjointement avec l’Organisation internationale du travail (OIT ), des formations aux métiers du sport à fins de réinsertion des travailleurs anciennement exploités ou d’ex-combattants (Albanie, Guinée-Bissau). En collaboration notamment avec le Comité d’organisation des Jeux de la XXVIIIe Olympiade à Athènes, il apporte également son soutien à « SOLVE », une autre initiative de l’OIT, qui cherche à former spécifiquement à la prévention en matière de drogues, de violence et de stress en milieu professionnel.

25« Troisième dimensionolympique » que le CIO tente d’investir après le sport et la culture, celle de l’environnement. Une commission sport et environnement a été mise en place en 1996 pour répondre, assurément, à la campagne de presse dénonçant les dérapages écologiques d’Albertville 1992. Les Jeux de Sydney 2000 ont été promus, vendus même, comme des « jeux écologiques » : véhicule de sécurité propulsé à l’énergie solaire dans les rues du village olympique, recours systématique aux panneaux solaires comme pourvoyeurs d’électricité, initiatives du Centre international des régates en vue de la préservation de l’écosystème marin. Mais ces Jeux ne semblent guère avoir fait d’émules puisque les deux célébrations suivantes se dérouleront à Athènes, souvent présentée comme la ville européenne la plus polluée, et à Pékin, capitale d’une Chine qui n’a pas ratifié les accords de Rio et de Tokyo sur la protection de l’environnement.

26Mobilisant un réseau de personnalités doublement impliquées au plan international dans les champs sportif, politique, économique ou culturel, le CIO est parvenu à imposer l’idée que sport et activité physique peuvent contribuer au développement humain.

27La représentante permanente suppléante de l’Argentine, Ana Maria Ramirez, déclarait en 1999, lors de la 54e session de l’Assemblée générale des Nations Unies : « Dans le monde où nous vivons, où on assiste avec horreur à des conflits armés, à des purges ethniques, au terrorisme et au trafic de drogues étroitement liés à des problèmes complexes tels que la faim, le chômage et les violations répétées des droits de l’homme, le sport doit devenir un outil pour contribuer à résoudre ces problèmes. » Un credo repris par l’athlète olympique australien Daniel Kowalski venu témoigner à la tribune de l’ONU de sa propre expérience d’humanitaire olympique : « La tâche accomplie dans le domaine humanitaire par le CIO et par les Nations Unies, à travers son Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR ), revêt une importance particulière pour moi. En tant que représentant des sportifs pour le HCR, j’ai eu la possibilité l’année dernière de prendre part à un programme visant à apporter une assistance aux camps de réfugiés situés sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. Nous sommes allés dans ces camps en tant que simples étrangers, afin que ces gens sachent que d’autres personnes dans le monde se préoccupent de leur situation. Nous avons apporté aux réfugiés divers articles de sport ainsi que du matériel pédagogique. Ce fut vraiment une expérience incroyable. À la fin de notre séjour, nous avons pu constater que notre visite était un succès. Je n’oublierai jamais le visage de ces enfants, tout sourire et le regard plein d’espoir. Cela procure autant de satisfaction que de remporter une médaille d’or olympique. »

28L’ensemble de ces interventions humanitaires auront permis au CIO d’obtenir qu’un paragraphe sur le respect de la Trêve olympique figure dans la Déclaration du millénaire adoptée par les Nations Unies en 2000.

La lutte anti-dopage ou le retour des États

29À l’issue de ce premier siècle olympique moderne, le CIO est donc parvenu à se faire accepter comme instance de gouvernement du sport mondial, du moins par les fédérations internationales sportives et par les firmes transnationales. Quant aux États, longtemps passifs, ils semblent avoir profité de la révélation des affaires de corruption liées à l’attribution des Jeux d’hiver à Salt Lake City et de dopage (Tour de France) de l’année 1998 pour passer à l’offensive. Le CIO a d’ailleurs fort bien saisi que menaçait la fondation d’un organisme onusien du sport puisqu’il ne lui a fallu que quelques semaines pour adopter des mesures internes visant à accroître sa transparence : modification de la procédure d’élection des villes hôtes des Jeux avec suppression des visites des membres du CIO aux candidates, limitation des mandats présidentiels et de ceux des membres du CIO, publication de rapports financiers sur les sources de revenus du Mouvement olympique ainsi que sur l’utilisation de ces derniers, ouverture des Sessions olympiques aux médias, création de l’Agence mondiale antidopage (AMA ) installée à Lausanne dès le 10 novembre 1999. En revanche, sur ce dernier dossier, le CIO a dû accepter de partager ses prérogatives avec les États : l’AMA a été déplacée en 2001 à Montréal sous la pression de la commissaire européenne chargée de l’éducation, de la culture et du sport, Vivianne Reding, et de la ministre française des Sports, Marie-George Buffet. Surtout, alors que le CIO avait prévu de rassembler au sein du conseil de fondation les représentants (qu’il désignerait), des sponsors, des fabricants d’articles de sport, et de l’industrie pharmaceutique, la trentaine de gouvernements rassemblés en un Groupe consultatif intergouvernemental international de lutte contre le dopage dans le sport (IICGADS) ont imposé que le Mouvement olympique et les autorités publiques soient représentés à parité, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Interpol bénéficiant d’un statut d’observateur. Pour en mieux contrôler le fonctionnement budgétaire et l’action effective, la ministre française des Sports a même proposé que l’AMA change de statut juridique et devienne une organisation intergouvernementale.

30Guère courtisé par les États durant ses deux premières décennies, désactivé au cours de la Grande Guerre, soumis en 1920 au diktat des Alliés qui excluent les vaincus, passé sous contrôle nazi dès 1938, ballotté entre Est et Ouest comme entre Nord et Sud, d’Helsinki 1952 à Los Angeles 1984, le CIO ne sera finalement parvenu à exercer sa capacité pacifique d’influence sur les relations internationales que par petites touches et sans résultats vraiment marquants. En s’assurant le concours des firmes transnationales au prix de l’abandon de l’amateurisme, il accède à l’autonomie financière qui lui assure l’obéissance des CNO et des FI. Mais son incapacité à lutter contre le dopage l’a discrédité au moment même où il s’investissait aux côtés de l’ONU dans une politique de soutien aux pays les plus déshérités et les plus fragilisés. On peut de fait imaginer aisément que les États s’emparent à l’avenir des questions de la violence et de la corruption dans le sport pour ériger l’AMA en « une sorte d’organisme de régulation du sport mondial » qui s’imposerait au CIO et aux fédérations internationales sportives [1]. Le CIO n’aurait d’autre alternative pour sa défense que de rassembler ses principaux alliés : les compagnies les plus riches de la planète et les pays les plus défavorisés.


Date de mise en ligne : 01/12/2005.

https://doi.org/10.3917/oute.008.0027

Notes

  • [1]
    Jean-Loup Chappelet, « L’Agence mondiale antidopage : un nouveau régulateur des relations internationales sportives », Relations internationales, n° 111, automne 2002.
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