Notes
-
[1]
ESSEC Business School
-
[2]
Instituto Brasileiro de Economia, Fundação Getulio Vargas ; Faculdade de Ciências Econômicas, Universidade do Estado do Rio de Janeiro
-
[3]
Cf. Albert Fishlow, Industrialização Brazileira em Perspectiva, in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, São Paulo, Editor José Olympio, 2015.
-
[4]
Le « S » fut ajouté en 1982 pour le versant « social ».
-
[5]
Cf. Regis Bonelli, Armando Castelar Pinheiro (éd.), Auge e declínio da indústria no Brasil, op. cit., p. 193-224.
-
[6]
Cf. Eduardo Luzio, Shane Greenstein, « Measuring the performance of a protected infant industry : the case of Brazilian microcomputers », The Review of Economics and Statistics 77 (4), 1995, p. 622- 633.
-
[7]
Cf. Regis Bonelli, Samuel Pessoa, Silvia Mattos, « Desindustrialização no Brasil : fatos e interpretações », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[8]
Cf. Regis Bonelli, Armando Castelar Pinheiro, Auge e declínio da indústria no Brasil, op. cit.
-
[9]
Une situation où un surplus de revenus (en l’occurrence gaziers) engendre une détérioration des prix relatifs de biens non exportables (services) par rapport aux biens exportables (industries).
-
[10]
Cf. Ilan Goldfajn, Aurelio Bicalho, « Análise da dinâmica da produção industrial entre 2008 e 2012 », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[11]
Cf. Adriana Schor, « Heterogeneous productivity response to tariff reduction. Evidence from Brazilian manufacturing firms », Journal of Development Economics 75, décembre 2004, p. 373-396.
-
[12]
Cf. Vera Thorstensen, Lucas Ferraz, Uma Nova Agenda para a Política de Comércio Exterior do Brasil, Instituto de Estudos para o Desenvolvimento Industrial (IEDI), São Paulo, 2015.
-
[13]
Cf. Mansueto Almeida, « Padrões de política industrial : a velha, a nova e a brasileira », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle, O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[14]
Cf. Sergio G. Lazzarini, , Aldo Musacchio., Rodrigo Bandeira-de-Melo, Rosilene Marcon, What do State-Owned Development Banks Do ? Evidence from BNDES, 2002-2009, World Development 66, 2015, p. 237-253 ; Marco Bonomo, Ricardo Brito, Bruno Martins, « The after crisis government-driven credit expansion in Brazil : A firm level analysis », Journal of International Money and Finance 55, 2015, p. 111-134.
-
[15]
Cf. Sérgio Kannebley, Geciane Silveira Porto, Incentivos fiscais à pesquisa, desenvolvimento e inovação no Brasil : uma avaliação das políticas recentes, IDB working paper, IDB-DP-236, 2012.
-
[16]
Cf. Leonardo Rezende, « Política industrial para inovação : uma análise das escolhas setoriais recentes », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[17]
Cf. Sônia Araújo, Dorothee Flaig, Quantifying the Effects of Trade Liberalization in Brazil : a Computable General Equilibrium Model (CGE) Simulation, OECD Economics Department Working Papers n°1295, OECD Publishing, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5jm0qwmff2kf-en.
INDUSTRIE DE BASE ET SUBSTITUTION DES IMPORTATIONS : 1930-1990
1 Au début du vingtième siècle, le Brésil était un pays agricole. L’industrie ne contribuait que pour 13 % du PIB en 1900 et pour 17 % en 1930 [3]. Ce n’est qu’après les années 1930 que l’industrialisation a vraiment décollé, toujours sur la base de politiques publiques actives. La période de 1930 à 1964 fut particulièrement importante pour les étapes initiales de l’industrialisation, les politiques protectionnistes constituant l’un des principaux piliers de cette dernière.
2 Le gouvernement brésilien créa dans le cadre de sa stratégie d’industrialisation au début des années 1940 quatre compagnies publiques destinées à produire des intrants de base pour les industries naissantes. Il s’agissait de Companhia Siderúrgica Nacional (CSN) dans le secteur sidérurgique, de Vale do Rio Doce dans l’exploitation du minerai de fer en vue d’approvisionner CSN, de Companhia Nacional de Álcalis dans le secteur de la chimie, et de Companhia Hidro-Elétrica do São Francisco produisant de l’énergie hydraulique. Durant cette période initiale d’industrialisation, lorsqu’il était nécessaire de développer les industries lourdes qui constitueraient la base du secteur industriel, l’intervention directe du gouvernement fut cruciale. La création de ces entreprises impliqua l’allocation de volumes importants de ressources à des projets risqués, puisque ceux-ci ne deviendraient rentables que si l’industrie se développait. Comme il était peu probable que le secteur privé prenne de tels risques, il était nécessaire que le gouvernement intervînt.
3 Si le secteur privé assumait la direction de ces projets il y aurait qui plus est un problème de coordination. Ces quatre entreprises formèrent une chaîne de production et, à une époque où les coûts de transport étaient plus élevés, il fallait les implanter à proximité géographique les unes des autres. Au début des années 1990 elles furent privatisées. Companhia Hidro-Elétrica do São Francisco produit toujours de l’énergie hydraulique ; CSN est désormais le deuxième sidérurgiste du Brésil ; Valeest la plus grande firme multinationale au monde dans le secteur de l’exploitation minière ; Companhia Nacional de Álcalis a par contre été liquidé en 2006.
4 Le Plano de Metas (programme des objectifs) des politiques industrielles à partir de la fin des années 1950 allait déterminer des secteurs particuliers à développer. Il eut massivement recours aux tarifs, aux contingentements et aux contrôles des opérations de change. L’idée était que l’industrie nationale naissante ne pourrait survivre à la concurrence des industries matures d’autres pays. Protégée de la concurrence externe, l’industrie nationale devait croître, se développer et devenir plus performante. Viendrait le jour où elle serait suffisamment performante pour ne plus avoir besoin de protection. Dans certains cas les taxes sur les importations atteignirent 150 %, alors que les importations de biens de consommation et de certains biens intermédiaires, en particulier de ceux pour lesquels il existait une production nationale de biens similaires, furent assujetties à des contingentements de façon à réserver le marché national aux producteurs locaux. Un système de taux de change multiples, établissant des priorités, garantissaient des taux faibles aux importations de certains intrants et biens d’équipement (en particulier ceux utilisés dans la construction navale et l’automobile). De nouveaux projets industriels étaient financés par le Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social (BNDES, Banque Nationale pour le Développement Economique et Social [4]), créé en 1952. Non seulement le BNDES octroyait des crédits à des taux d’intérêt plus bas et sur des périodes de grâce plus longues, mais il promouvait aussi les financements externes en fournissant des garanties.
15
20
25
30
35
40
0
5
1947
PIB(%)
Croissa
1950
1953
nce du Industrie (% du PIB) Industrie, prix constants 2010 (% du PIB)
1956
1959
1962
1965
1968
1971
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1977
1980
1983
1986
1989
1992
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2004
2007
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2013
5 Après les crises économique et politique du début des années 1960 qui débouchèrent sur la dictature militaire de 1964 à 1985, l’économie brésilienne connut ses « années miraculeuses ». Entre 1968 et 1973, le Brésil enregistra une croissance moyenne du PIB de plus de 11 % par an, tandis que la part de la production industrielle dans le PIB augmentait significativement. La Figure n°1 supra illustre la croissance du PIB et l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB brésilien entre 1947 et 2013. Avec deux séries de données sur la part de l’industrie. La ligne continue claire traduit l’évolution de la part de l’industrie en prix courants ; en 1968 l’industrie comptait pour 28 % du PIB, pour bondir à 33 % en 1973. La ligne continue foncée mesure la part de l’industrie en prix constants de 2010 ; elle a été corrigée pour prendre en compte des modifications méthodologiques dans la comptabilité nationale. Dans cette série lissée, l’augmentation de la part de l’industrie dans le PIB durant la même période est moins dramatique tout en restant considérable de 19,5 % à 21 %.
6 La dictature militaire lança les Plano Nacional de Desenvolvimento I (PND, 1972- 1974) et Plan Nacional de Densenvolvimento II (1975-1979). Le PND II en particulier devait renforcer les politiques de substitution des importations, alors en vogue en Amérique latine. Les barrières non tarifaires se répandirent largement et l’économie se ferma beaucoup au commerce international. Les montants du crédit subventionné octroyé par le BNDES à des secteurs particuliers augmentèrent et une ligne de crédit spéciale pour les exportateurs fut ouverte par le Banco do Brasil.
7 Les entreprises multinationales ouvrirent des filiales au Brésil. L’industrie automobile, en particulier, se développa largement durant les années 1950 et 1960 ; l’objectif était de desservir un vaste marché brésilien commodément protégé de la concurrence internationale par des barrières commerciales. Volkswagen, Mercedes Benz, Chevrolet, Ford et Fiat implantèrent des usines. Mais le Brésil ne constituait pas une base de développement technologique. Les constructeurs automobiles produisaient des modèles obsolètes qui ne trouvaient pas preneur dans les économies dynamiques du cœur de l’économie mondiale.
8 Grâce à des politiques actives, l’industrie brésilienne se diversifia et allait occuper une place plus importante dans l’économie. Au début des années 1980 sa part dans le PIB était passée à plus de 30 % selon les données brutes et à plus de 20 % selon des estimations plus conservatrices [5]. La part de l’industrie dans les exportations brésiliennes augmenta également. En 1967 les biens industriels représentaient à peine 20 % des exportations totales du Brésil. En 1981, ce pourcentage était passé à presque 70 %. De même dans une perspective internationale pour les avantages comparatifs du pays qui se modifièrent radicalement durant cette période. La Figure n° 2 infra illustre l’évolution de l’indice des avantages comparatifs révélés (ACR) pour les biens industriels et non industriels au Brésil de 1967 à 2014.
Avantage comparatif révélé (ACR) au Brésil : Produits industriels et non industriels
0,005
0,010
0,015
0,020
0,025
0,030
0,035
1967
1969
1971
1973
1975
1977
Biens non industriels Biens industriels
1979
1981
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1985
1987
1989
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1993
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1997
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2003
2005
2007
2009
2011
2013
Avantage comparatif révélé (ACR) au Brésil : Produits industriels et non industriels
9 Bien que l’industrie brésilienne eût amélioré sa position internationale, la plupart des avancées avaient lieu dans des secteurs produisant des biens à faible contenu technologique. La base de données sur le commerce international CHELEM, construite par le CEPII, calcule les exportations agrégées rangées en quatre catégories selon le contenu technologique du processus de production. Nous présentons avec la Figure n°4 infra, en utilisant cette classification, l’évolution de l’ACR brésilien pour quatre groupes de produits selon leur contenu technologique, à savoir des produits de haute, moyenne-haute, moyenne-faible et faible technologie. L’ACR dans les biens de faible technologie est bien plus élevé que dans les autres groupes de produits. Ce qui ne changea pas avant les années 1980.
Avantage comparatif révélé au Brésil : Produits industriels par contenu technologique
0,030
0,025
0,020
0,015
0,010
0,005
0,000
2013
1967
1969
1971
1973
1975
1977
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
Haute Technologie Technologie Technologie
technologie moyenne- moyenne-faible faible
haute
Avantage comparatif révélé au Brésil : Produits industriels par contenu technologique
10 Comme le montre bien la Figure n° 4 infra, en 1967 les produits alimentaires, les boissons et le tabac enregistraient une très large et positive contribution à la balance commerciale manufacturière (CBCM). Ce secteur enregistrait des excédents commerciaux supérieurs alors que le secteur manufacturier resta déficitaire jusqu’en 1980. Sur le versant opposé se trouvent les équipements électroniques et électriques qui enregistraient alors les plus forts déficits du secteur manufacturier. La valeur absolue de la CBCM de ces secteurs a progressivement diminué, ce qui indique un moindre déséquilibre entre les différents sous-secteurs. Autre cas intéressant, celui des métaux et des produits métalliques. De 1967 à 1975, ce secteur présentait une CBCM négative et décroissante ; de 1975 à 1991 elle augmenta, devenant positive après 1982.
20
10
0
- 10
- 20
- 30
Métaux et produits métalliques Textile, habillement et cuir
Équipements électroniques et électriques Produits chimiques
Alimentation, boissons et tabac Produits BTP
Bois et papier
11 Pour construire toutes ces capacités de production industrielles, l’investissement passa d’environ 15 % du PIB durant les années 1950 et au début des années 1960 à plus de 24 % en 1981 (cf. Figure n° 5 infra). La hausse du taux d’investissement était en partie contrebalancée par une réduction de la consommation et en partie par l’emprunt externe. Le Brésil ayant accumulé de larges déficits de sa balance courante.
12 Le contexte international commença à se modifier lorsque le premier choc pétrolier eut frappé les marchés internationaux en 1973. De bas taux d’intérêt internationaux, résultant d’un excès de « pétrodollars », incitèrent les pays en voie de développement à accroître leur endettement international. Le Brésil suivit en accumulant des déficits courants croissants, financés par des flux entrants de capitaux. Les entrepreneurs réagirent aux incitations du gouvernement à emprunter à l’étranger en utilisant les garanties octroyées par le BNDES. Contrairement à d’autres pays en voie de développement qui utilisèrent les ressources supplémentaires pour accroître la consommation, au Brésil la contrepartie de l’endettement externe croissant fut un taux d’investissement plus élevé dans le cadre du processus d’industrialisation encouragé par le gouvernement. On avait apparemment découvert la solidité du programme programme : s’endetter pour investir afin d’augmenter les capacités de production. Plus tard, une fois que le pays aurait atteint un niveau de revenu plus élevé il pourrait rembourser sa dette externe sans devoir réduire la consommation. Sauf, malheureusement, si le remboursement devait intervenir trop tôt, comme ça allait être le cas. Les années miraculeuses se transformèrent en cauchemar lorsque l’augmentation du taux des bons du Trésor américain entre 1979 et 1982 avala les financements externes jusque-là disponibles aux pays en voie de développement.
Comptabilité nationale brésilienne, 1947-2013
90,0
25,0
80,0
20,0
70,0
15,0 60,0
10,0 50,0
40,0
5,0
30,0
0,0
20,0
- 5,0 10,0
- 10,0 0,0
1947
1950
1953
1956
1959
1962
1965
1968
1971
1974
1977
1980
1983
1986
1989
1992
1995
1998
2001
2004
2007
2010
2013
Investissement Balance courante Consommation (axe de droite)
Comptabilité nationale brésilienne, 1947-2013
13 Quelqu’un a remarqué que « ce n’est pas la vitesse qui tue – c’est l’arrêt brutal ». Un déficit de la balance courante de 6 % dut être résorbé du jour au lendemain lorsque l’afflux de capital vers le Brésil fut stoppé consécutivement au moratoire mexicain de 1982. De 1982 à 1994, l’économie brésilienne se débattit avec les poussées d’hyperinflation et la récession. Durant cette période, le gouvernement ne disposait pas des ressources abondantes qui lui auraient permis de continuer à investir dans l’industrialisation ; les barrières commerciales, cependant, allaient tout de même être d’un certain secours.
14 Dans l’ensemble, l’industrie brésilienne a prospéré grâce au soutien constant du gouvernement. Mais il faut souligner que l’industrialisation du Brésil ne s’est pas réalisée sans coût. En fixant celui de certains facteurs de production ou en octroyant des privilèges à la production nationale dans certains secteurs particuliers, le gouvernement imposait en réalité des coûts plus élevés à la production nationale. En outre, les subventions et les exonérations d’impôt devaient être financées par les contribuables lesquels avaient aussi à se satisfaire de produits industriels plus chers et d’une moindre qualité par rapport à ceux disponibles sur les marchés internationaux.
15 Un exemple notable est celui de la Política Nacional de Informática (Politique Nationale de l’Informatique, PNI). En 1984, le gouvernement introduisit une loi prohibant les importations d’ordinateurs et de leurs composants. Les ordinateurs disponibles dans le pays étaient donc très chers et de mauvaise qualité. On a calculé que le prix des ordinateurs était de 70 % à 100 % plus élevé au Brésil que sur les marchés internationaux, tandis que la technologie des ordinateurs y accusait trois à cinq ans de retard : « le coût d’opportunité moyen pour la protection des producteurs de microordinateurs se situait autour de 20 % des ventes moyennes annuelles durant la période 1984-88 » [6]. En outre, les ordinateurs brésiliens étaient pour l’essentiel des copies d’ordinateurs étrangers, ce qui entraîna des représailles commerciales des États-Unis. L’écart technologique en informatique eut des effets adverses sur le développement d’autres industries, en particulier le textile et l’automobile. Même s’il reste vrai que le Brésil, seul pays latino-américain à avoir développé une production nationale d’ordinateurs personnels, a élaboré dans ce domaine un savoir-faire permettant la croissance des activités de création de logiciels. Le coût payé par les consommateurs et par d’autres industries utilisant des intrants informatiques a certainement été trop élevé pour que semblable politique soit rentable. Cette version de la PNI prit fin en 1991 dans le cadre de la libéralisation commerciale généralisée qui s’inaugura à partir des années 1990.
16 Durant les années 1990 la part de la production industrielle dans le PIB brésilien baissa radicalement en fonction d’un ensemble de variables explicatives comme la densité de population, le ratio capital-travail, la production pétrolière, la scolarisation, le taux d’épargne, la productivité globale. La désindustrialisation qui intervint dans les années 1990 réduisit la taille du secteur à des dimensions normales (par rapport à la période 1976-1987 et son secteur surdéveloppé) en fonction du niveau de développement du Brésil, de sa taille et de ses ressources [7].
ANNÉES 1990 : MOINS D’INDUSTRIE ET PLUS DE SERVICES
17 Au début des années 1990 l’économie brésilienne enregistra un processus de libéralisation commerciale en profondeur, son industrie se voyant exposée à la concurrence internationale. Comme le montre la Figure n° 1 supra, la part de la production industrielle dans le PIB a radicalement chuté durant les années 1990 : elle est passée de 32 % en 1989 à quelque 17 % durant les années 2000 si l’on utilise les données brutes, et de 18 % à environ 15 % selon les données ajustées [8]. En termes d’intégration sur les marchés internationaux (cf. Figure n° 2 supra) l’ACR brésilien sur les produits industriels a pratiquement stagné après 1990. Pour les produits non industriels, en revanche, le Brésil a enregistré une augmentation importante de son ACR durant les années 2000, en particulier avec la hausse des prix des matières premières après 2005.
18 En réalité, le recul de l’industrie dans le PIB brésilien a pu être en partie attribué au phénomène de dutch disease (maladie hollandaise ou encore malédiction des matières premières) [9]. La hausse des prix des matières premières pendant la deuxième moitié des années 2000 permit une amélioration des modalités d’échange pour le Brésil. Les taux de change nominal et réel se sont tous les deux appréciés de 2005 à 2011. La Figure n° 6 infra illustre l’évolution du taux de change bilatéral real brésilien et dollar américain (ligne continue claire). La baisse de la valeur du taux de change traduit une appréciation du real brésilien. Il y a une tendance à l’appréciation de 2005 à 2011, à l’exception de la période 2008-2009 lorsque le real brésilien s’est temporairement déprécié en raison de la crise financière internationale. La figure montre aussi l’évolution du taux de change réel effectif (ligne continue foncée) qui mesure le pouvoir d’achat de la monnaie nationale par rapport aux monnaies de l’ensemble des partenaires commerciaux du pays. Ce taux est calculé comme la moyenne pondérée des taux de change réels bilatéraux avec les principaux partenaires commerciaux du Brésil. Il apparaît que l’appréciation du taux de change réel effectif a surtout eu lieu de 2005 à 2008.
19 Par ailleurs : les politiques monétaire et fiscale expansionnistes adoptées au Brésil en réaction à la crise financière mondiale de 2008 ont joué un rôle important dans le recul de la part de la production industrielle au sein du PIB [10]. La demande supplémentaire a généré une demande supplémentaire de services, exerçant ainsi une pression à la hausse sur les prix.
20 Malgré le recul de sa part dans le PIB, l’industrie brésilienne est devenue plus performante consécutivement à la libéralisation commerciale. L’analyse d’un panel de sociétés brésiliennes montre que la productivité a augmenté à la suite de la réduction des barrières commerciales du début des années 1990 [11]. On trouve de manière significative que les gains de productivité ont été permis non seulement par la concurrence accrue mais aussi par l’accès renouvelé à des intrants importés.
Taux de change (cote directe)
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1
2
2
3
3
4
4
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5
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0
5
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.115120.160502.110502.142800.140302.110320.105302.112220.10720 2.12020 2.11092 0.11420 0.111200.100620.101020.090802.200039.080102.050802.017220.077020.072020.096020.060402.015120.050602.005102
Taux de change (cote directe)
LE RETOUR DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE : 2004-2014
21 La politique industrielle fait son retour durant les années 2000. Le gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva a créé l’Agência Brasileira de Desenvolvimento Industrial (agence brésilienne pour le développement industriel) dont la mission était « de développer des actions de politique industrielle stratégique, promouvant l’investissement, l’emploi, l’innovation et la compétitivité de l’industrie brésilienne ». La Política Industrial, Tecnológica e de Comércio Exterior (Politique Industrielle, Technologique et du Commerce Extérieur, PITCE), lancée en 2003, s’est concentrée sur « les secteurs stratégiques (logiciels, semi-conducteurs, biens d’équipement, et médicaments) et des activités porteuses d’avenir [sic] (biotechnologie, nanotechnologie et énergie renouvelable) ». La Política de Desenvolvimento Produtivo (Politique de Développement Productif, PDP) de 2008, à son tour, s’est employée à renforcer les exportations, les micro- et les petites entreprises et à développer l’industrialisation dans des régions particulières du pays. Enfin, le Plano Brasil Maior (Plan Grand Brésil) lancé en 2011 avait pour objectif d’augmenter le taux d’investissement, de promouvoir la Recherche & Développement, de développer le capital humain et d’accroître les parts de marchés détenues par des entreprises nationales dans les secteurs de haute technologie. La PITCE et la PDP ont été de bien moindre ampleur que le Plan Grand Brésil.
22 Les modifications de la politique commerciale mise en œuvre par le Plan Grand Brésil procédaient de l’idée que le pays devrait maîtriser toute la chaîne de production des biens industriels. D’où des tarifs élevés sur les importations par rapport aux standards internationaux, même par comparaison avec d’autres marchés émergents. Le tarif moyen pour les produits non agricoles est de 14,1 % au Brésil, tandis que pour la Chine, l’Inde et la Russie la moyenne est respectivement de 8,7 %, 10,4 % et 7,6 % [12].
23 En plus des politiques protectionnistes, le contenu local a été encouragé de différentes manières afin de stimuler la production nationale, par exemple via des critères de contenu local dans les commandes publiques ou bien des offres d’exonérations d’impôt et de crédit subventionné octroyé par le BNDES conditionnées à des critères de contenu local dans le processus de production. En réalité, le rôle du BNDES dans l’octroi de crédit subventionné a été considérablement renforcé. Les gouvernements ont entre autres initiatives stimulé la création de « champions nationaux » par le biais de fusions afin de créer de grandes firmes appelées à devenir des acteurs importants sur les marchés internationaux. Une grande partie du crédit subventionné octroyé par le BNDES a cependant été absorbée par des secteurs déjà bien établis, ce qui ne permettait pas de promouvoir la diversification de l’industrie brésilienne [13]. En outre, selon certaines indications les activités du BNDES ont un faible impact sur le taux d’investissement brésilien. Dès lors que la banque finance des projets qui auraient de toute façon accès à des sources privées de financement, il n’y a qu’un effet de substitution des sources de financement et, bien sûr, un coût plus faible en capital pour les firmes, mais pas d’augmentation significative du volume des investissements [14].
24 Les critères de contenu local avaient deux objectifs principaux : créer de l’emploi national et diversifier les chaînes de production intérieure. Il est important de noter que le critère national de contenu local reste associé aux coûts plus élevés et à une moindre efficacité du processus de production. Enfin, il ne faut pas oublier non plus le coût des politiques de contenu local en termes de bureaucratie : les firmes mobilisent des ressources pour attester de la conformité de leurs pratiques avec la politique en question afin d’être éligibles aux avantages afférents. De même que la protection accordée par les politiques de contenu local doit être temporaire et progressivement réduite ; autrement, les secteurs qui réussissent à se développer grâce à cette protection des critères ne deviendront pas compétitifs à l’échelle internationale. L’expérience brésilienne fournit de nombreux exemples de ce dernier cas de figure. Le succès de l’expérience sud-coréenne a justement résulté en grande partie du caractère temporaire de cette protection.
25 Une protection illimitée réduit également la stimulation à investir dans la R&D. Une exposition progressive à la concurrence internationale constitue un outil puissant pour inciter les firmes à investir dans l’innovation et pour empêcher des industries de se développer sur la base de technologies obsolètes. Par exemple, la dernière politique informatique brésilienne en date (version plus soft des politiques menées dans les années 1980) protège le marché national et accorde des exonérations d’impôt conditionnées à des critères de contenu local et à l’investissement dans la R&D. Or cette politique n’a pas réussi à accroître l’investissement dans l’innovation du secteur [15].
26 Le Plan Grand Brésil a offert des exonérations d’impôt à des secteurs particuliers et produit des incitations à l’innovation avec des mécanismes pour promouvoir la R & D dans le secteur privé. Mais ce programme n’a pas défini des objectifs et des conditions pour s’assurer que les récipiendaires utilisaient ces avantages de façon rentable afin de permettre la réalisation des buts poursuivis. La politique d’innovation a principalement consisté à véhiculer ces incitations en direction de firmes établies opérant dans des secteurs industriels hautement concentrés au lieu de promouvoir de nouvelles industries [16].
27 Tout cela fait que malgré le retour de la politique industrielle, la part de l‘industrie dans le PIB brésilien a diminué de 2004 à 2013 (cf. Figure n°1 supra). En termes de marchés internationaux, l’ACR de l’industrie brésilienne enregistre un léger recul depuis 2005 (cf. Figure n° 2 supra). Avec des barrières commerciales moins robustes les firmes utiliseraient davantage de produits intermédiaires importés tandis que les prix des produits finis diminueraient. La compétitivité des exportations brésiliennes se renforcerait et les consommateurs brésiliens bénéficieraient de prix réduits. Le coût du capital diminuerait, ce qui encouragerait l’investissement et stimulerait la croissance [17].
Notes
-
[1]
ESSEC Business School
-
[2]
Instituto Brasileiro de Economia, Fundação Getulio Vargas ; Faculdade de Ciências Econômicas, Universidade do Estado do Rio de Janeiro
-
[3]
Cf. Albert Fishlow, Industrialização Brazileira em Perspectiva, in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, São Paulo, Editor José Olympio, 2015.
-
[4]
Le « S » fut ajouté en 1982 pour le versant « social ».
-
[5]
Cf. Regis Bonelli, Armando Castelar Pinheiro (éd.), Auge e declínio da indústria no Brasil, op. cit., p. 193-224.
-
[6]
Cf. Eduardo Luzio, Shane Greenstein, « Measuring the performance of a protected infant industry : the case of Brazilian microcomputers », The Review of Economics and Statistics 77 (4), 1995, p. 622- 633.
-
[7]
Cf. Regis Bonelli, Samuel Pessoa, Silvia Mattos, « Desindustrialização no Brasil : fatos e interpretações », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[8]
Cf. Regis Bonelli, Armando Castelar Pinheiro, Auge e declínio da indústria no Brasil, op. cit.
-
[9]
Une situation où un surplus de revenus (en l’occurrence gaziers) engendre une détérioration des prix relatifs de biens non exportables (services) par rapport aux biens exportables (industries).
-
[10]
Cf. Ilan Goldfajn, Aurelio Bicalho, « Análise da dinâmica da produção industrial entre 2008 e 2012 », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[11]
Cf. Adriana Schor, « Heterogeneous productivity response to tariff reduction. Evidence from Brazilian manufacturing firms », Journal of Development Economics 75, décembre 2004, p. 373-396.
-
[12]
Cf. Vera Thorstensen, Lucas Ferraz, Uma Nova Agenda para a Política de Comércio Exterior do Brasil, Instituto de Estudos para o Desenvolvimento Industrial (IEDI), São Paulo, 2015.
-
[13]
Cf. Mansueto Almeida, « Padrões de política industrial : a velha, a nova e a brasileira », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle, O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[14]
Cf. Sergio G. Lazzarini, , Aldo Musacchio., Rodrigo Bandeira-de-Melo, Rosilene Marcon, What do State-Owned Development Banks Do ? Evidence from BNDES, 2002-2009, World Development 66, 2015, p. 237-253 ; Marco Bonomo, Ricardo Brito, Bruno Martins, « The after crisis government-driven credit expansion in Brazil : A firm level analysis », Journal of International Money and Finance 55, 2015, p. 111-134.
-
[15]
Cf. Sérgio Kannebley, Geciane Silveira Porto, Incentivos fiscais à pesquisa, desenvolvimento e inovação no Brasil : uma avaliação das políticas recentes, IDB working paper, IDB-DP-236, 2012.
-
[16]
Cf. Leonardo Rezende, « Política industrial para inovação : uma análise das escolhas setoriais recentes », in Edmar Bacha, Monica Baumgarten de Bolle (éd.), O Futuro da Indústria no Brasil, op. cit.
-
[17]
Cf. Sônia Araújo, Dorothee Flaig, Quantifying the Effects of Trade Liberalization in Brazil : a Computable General Equilibrium Model (CGE) Simulation, OECD Economics Department Working Papers n°1295, OECD Publishing, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5jm0qwmff2kf-en.