Notes
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[1]
Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, Université Catholique de Lille
-
[2]
Cf. par exemple Éric Dor, « Crise financière : Les enjeux du lose-lose », Outre-Terre, n° 32, juillet 2012, p. 11-49.
-
[3]
Cf. Éric Monnet, « Histoires de l’union monétaire européenne », La Vie des idées, 2013.
- [4]
-
[5]
Par exemple si la Bundesbank était obligée d’émettre beaucoup de marks à vendre sur les marchés pour soutenir le cours d’autres monnaies du système.
-
[6]
Si par exemple le franc français avait à être soutenu, la Bundesbank prêtait des marks à la Banque de France pour que celle-ci puisse les vendre contre des francs sur le marché des changes.
-
[7]
Cf. Harold James, Making the Monetary Union, Cambridge, Harvard University Press, 2012.
-
[8]
Conformément aux évolutions qui avaient suivi la capitulation allemande de 1945, la France, Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS disposaient en effet de droits juridiques sur l’Allemagne, cf. Christian Schricke, « L’unification allemande », Annuaire français de droit international 36,1, 1990, p. 47-87.
-
[9]
Cf. Lars Jonung, Eoin Drea, « The euro : it can’t happen. It’s a bad idea. It won’t last. US economists on the EMU, 1989-2002 », Economic papers 395, 2009, p. 1-53.
-
[10]
Cf. Éric Dor, 1997, Aspects monétaires et financiers du passage à la monnaie unique en Europe : quelques questions délicates, Bulletin de l’IRES, 1997, Université Catholique de Louvain.
-
[11]
Cf. Éric Dor, « Crise financière : Les enjeux du lose-lose », op. cit.
-
[12]
Cf. Éric Dor, Is Portugal potentially insolvent ?, IESEG Working Paper 2013-ECO-14.
-
[13]
Cf. Éric Dor, Les coûts et l’impact des plans de secours aux pays en détresse de la périphérie de la zone euro, IESEG Working Paper 2014-EQM-05.
-
[14]
Comme l’explique Willem H. Buiter, Can Central Banks Go Broke ?, CEPR Discussion Papers, n° DP6827, 2008.
-
[15]
Cf. Éric Dor, Les coûts et l’impact des plans de secours aux pays en détresse de la périphérie de la zone euro, IESEG Working Paper 2014-EQM-05.
-
[16]
Cf. Henrik Enderlein, Eulalia Rubio, Quels enseignements pour l’Union économique et monétaire ?, Notre Europe, policy paper 109, 2014.
-
[17]
Cf. Éric Dor, Alain Durré, « Monetary Policy and the New Economy », Recherches économiques de Louvain, 68,1, 2002, p. 221-237.
-
[18]
Cf. Éric Dor, The enormous loans of the Deutsche Bundesbank to distressed European countries’ central banks, IESEG Working paper 2011-ECO-08.
-
[19]
Cf. Éric Dor, Changing causes of the rocketing TARGET2 accounts imbalances in the Eurosytem and the balance of payments of Germany, IESEG Working paper 2012-ECO-12.
-
[20]
Cf. Éric Dor, The launch of the euro brought about an impressive decrease of manufacturing production in France and huge losses of market shares, IESEG Working Paper 2013-ECO-07.
-
[21]
Cf. Éric Dor, The new decrease of interest rates by the ECB will be totally ineffective, IESEG Working Paper 2013-ECO- 05.
-
[22]
Cf. Éric Dor, Taux négatif et autres mesures d’assouplissement monétaire de la BCE Quelles sont les implications potentielles ?, Banque & Stratégie, juillet 2014.
-
[23]
Cf. Éric Dor, Leaving the euro area : a user’s guide, IESEG Working Paper 2011-ECO-06.
INTRODUCTION
1 Cette étude analyse les conséquences de l’instauration de l’euro tel qu’il a été organisé. Il est évident que discourir en toute généralité de l’opportunité d’une monnaie unique, sans préciser les caractéristiques particulières avec lesquelles elle est construite, est un exercice relativement vide de sens. Il y a beaucoup de manières diverses d’organiser le fonctionnement d’une monnaie unique, et ses effets seront chaque fois différents. Cette étude analyse donc les effets de l’euro tel qu’il a été construit, après avoir examiné pour quelles raisons la monnaie unique a été lancée par ses promoteurs. Ses failles principales sont mises en évidence, avec leurs conséquences sur l’économie. Les tentatives partielles de réparation de ces défauts de construction sont également commentées. Les conséquences d’avoir appliqué une monnaie unique à des pays très hétérogènes économiquement sont examinées. Ensuite quelques questions relatives à la possibilité d’un abandon total ou partiel de l’euro sont évoquées.
LES PERFORMANCES ÉCONOMIQUES DÉCEVANTES DE LA ZONE EURO
2 Si le succès d’une Union monétaire doit se mesurer à la prospérité qu’elle apporte, le graphique qui suit livre un spectacle consternant.
3 Dès après le lancement de l’euro, la croissance de la zone euro a été inférieure à celle du groupe des pays de l’UE et à celle des États-Unis. Depuis le début de la crise financière, l’écart s’est élargi. La stagnation de la zone euro, dont la production reste encore inférieure à celle d’avant crise, contraste avec celle des autres pays qui ont retrouvé leur chemin de croissance tendancielle. Pourtant, les banques de ces autres pays ont été également affectées par la crise financière.
4 La comparaison avec d’autres pays industrialisés, du Canada à la Nouvelle-Zélande, est presque toujours en défaveur de la zone euro également. Il n’y a que le Japon dont la croissance tendancielle a encore été légèrement inférieure à celle de la zone euro depuis le lancement de la monnaie unique.
5 Évidemment les différences de croissance démographique induisent des écarts de croissance potentielle et pourraient expliquer une partie des écarts d’évolution de production globale. C’est pourquoi il est utile de comparer également les productions par habitant.
Indice du produit intérieur brut à prix constants par habitant depuis le début de l’Union économique et monétaire, base 100 en 1999
6 On remarque qu’en données par habitants, l’écart est moindre par rapport aux États-Unis ou à la Suisse, mais la zone euro se distingue encore par une stagnation depuis la crise financière, et est toujours en dessous du sommet qui avait précédé celle-ci.
Indice du produit intérieur brut à prix constants par habitant avec zoom sur la période de crise, base 100 en 1999
7 Alors qu’auparavant la croissance réelle par habitant de la zone euro était assez proche de celle des États-Unis, elle a fortement décroché à partir du déclenchement de la crise des dettes souveraines de la périphérie.
8 L’extrême hétérogénéité des performances macroéconomiques des différents pays qui composent la zone euro a déjà été amplement commentée [2], ainsi que le rôle de ces disparités dans l’éclatement de la crise récente de l’Union monétaire. En matière de croissance réelle par habitant, l’évolution globale de la zone euro occulte des différences parfois énormes entre les différents pays qui la composent, comme l’illustre le graphique suivant qui compare les principaux pays de l’Union monétaire à quelques autres économies.
9 À part l’Allemagne, depuis le lancement de la monnaie unique les grands pays de la zone euro ont eu une croissance réelle par habitant très inférieure à celle dont ont bénéficié la plupart des autres pays industrialisés.
10 Le taux de chômage de la zone euro est structurellement supérieur à celui des autres pays industrialisés.
11 Par contre la zone euro se distingue par une balance extérieure nette excédentaire pour les biens et services. Ses exportations de biens et services sont structurellement supérieures à ses importations.
Balance extérieure nette des biens et services en % du produit intérieur brut à prix courants
12 Toutefois cette performance agrégée est essentiellement due à l’Allemagne et occulte des résultats extrêmement hétérogènes entre les pays de la zone euro. Les écarts de compétitivité se sont accrus et certains pays sont en déficit extérieur structurel.
13 Le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) lui donne pour objectif principal la stabilité des prix, qu’elle définit comme un taux d’inflation annuel inférieur à, mais proche de 2 %. L’évolution récente des prix suscite des craintes de déflation, car l’inflation est très inférieure à 2 % pour l’ensemble de la zone euro, et déjà négative pour certains pays comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal.
Taux de croissance des prix à la consommation par rapport au même mois de l’année précédente, zone euro
14 Quant aux prix à la production, qui précèdent généralement l’évolution des prix à la consommation, leur croissance est déjà négative pour l’ensemble de la zone euro.
Taux de croissance des prix à la production de l’industrie par rapport au même mois de l’année précédente, zone euro
Taux de croissance des prix à la production de l’industrie par rapport au même mois de l’année précédente, zone euro
15 Évidemment l’inflation avait déjà été négative au cours de l’année 2009, mais l’économie était en pleine récession suite à la crise bancaire. Il est très atypique d’observer une inflation aussi basse, voire négative dans certains pays, alors que la zone euro est censée amorcer une reprise économique. La BCE s’inquiète également de la diminution des perspectives d’inflation future formulées par les agents économiques, car on sait que celles-ci déterminent l’évolution réelle des prix.
POURQUOI L’EURO A-T-IL ÉTÉ CRÉÉ ?
16 Alors que la crise financière et les pressions déflationnistes contemporaines ont mis en lumière les failles dans l’édifice de l’Union monétaire telle qu’imposée par le traité, avec les conséquences délétères qu’elles ont eues sur la stabilité financière et la prospérité des citoyens, la question qui émerge spontanément est de se demander pour quelles raisons une monnaie unique fut souhaitée dans le passé par une majorité d’hommes politiques européens.
17 Loin d’être un processus linéaire, le chemin vers une monnaie unique européenne fut très laborieux, émaillé d‘accélérations et de reculs, caractérisé par des tensions entre pays mais aussi entre administrations de natures différentes, soumis parfois à des pressions de groupes d’intérêts, et s’il fut largement influencé par les discussions de comités techniques [3], il fut aussi largement déterminé par des arbitrages politiques.
18 Dès le début de l’intégration européenne, le thème de la coopération monétaire suscita beaucoup de réflexions. Les grands promoteurs de l’unification européenne se retrouvaient dans le Mouvement Européen, établi en 1948 par le congrès de La Haye du Comité international de coordination des Mouvements pour l’unité européenne. À l’époque ce mouvement regroupait tous les courants pro-européens, aussi bien les unionistes en faveur d’une simple coopération intergouvernementale que les fédéralistes qui prônaient l’instauration d’autorités supranationales lesquelles convergeraient vers les États-Unis d’Europe. Les fédéralistes plaidaient évidemment en faveur de l’instauration, à terme, d’une monnaie unique en Europe.
19 Dès le départ la Commission européenne milita en faveur d’une coopération monétaire. Le comité monétaire de la CEE, formé par des experts désignés par les pays membres, avait un rôle consultatif. En complément, en 1964, le Comité des gouverneurs des banques centrales des États membres de la CEE fut créé avec pour mission de coordonner les politiques monétaires.
20 Les États-Unis encourageaient l’unification de leurs alliés d’Europe de l’Ouest, y compris sur les plan monétaire ou de la défense. À l’époque la préoccupation majeure des dirigeants américains était d’éviter une prise de contrôle des pays de l’Europe de l’Ouest par l’Union soviétique. Comme ces pays, pris individuellement, étaient relativement petits, il semblait rationnel aux dirigeants américains de les pousser à s’unir afin de constituer une grande entité politique alliée des États-Unis, et assez forte pour résister à l’URSS. Le gouvernement américain était fortement impliqué dans l’American Committee on United Europe (ACUE), créé en 1948 pour mener campagne en faveur d’une unification de l’Europe, y compris avec le Royaume-Uni. Cet organisme regroupait des hommes politiques, des dirigeants d’entreprises et même des syndicalistes américains hostiles à l’URSS. L’ACUE allait soutenir financièrement le Mouvement Européen au cours des années 1950 et 1960, et tout particulièrement ses composantes fédéralistes. Un soutien financier qu’apportaient très discrètement des fondations d’entreprises américaines proches du gouvernement qui versait lui-même les fonds à l’ACUE. Un tel soutien extérieur à un mouvement d’idées était assez banal à une époque où les États-Unis comme l’URSS se trouvaient en compétition pour influencer les opinions publiques d’Europe de l’Ouest au mieux de leurs intérêts. L’URSS, de son côté, finançait généreusement les partis communistes ouest-européens. De toute manière la plupart des hommes politiques européens se félicitaient déjà de l’aide économique apporté par les États-Unis par le biais du plan Marshall, et si certains militaient pour préserver toute la souveraineté d’une Europe unie sur un pied d’égalité avec les Russes et les Américains, beaucoup d’entre eux pensaient qu’il était plutôt réaliste d’envisager l’unification européenne dans le cadre d’une alliance étroite avec les États-Unis. Très logiquement, les États-Unis devaient promouvoir la formation d’une union monétaire en Europe, puisque celle-ci contribuerait à consolider le bloc politique unifié qu’ils souhaitaient. Les documents déclassifiés et rendus publics montrent que le Département d’État avait même conseillé au président de la Commission européenne, en 1965, de poursuivre subrepticement l’objectif d’une union monétaire mais d’empêcher tout débat jusqu’à ce qu’elle s’imposât presque d’elle-même. Il est difficile d’évaluer l’impact que put avoir cette contribution discrète des États-Unis à la promotion de l’idée d’une union monétaire sur le cours ultérieur des événements. Sans doute convient-il de le relativiser car il y aurait eu de toute manière, même sans soutien extérieur, un fort courant plaidant pour l’unification de l’Europe, y compris sur le plan monétaire. Il y avait une volonté ferme d’éviter des guerres supplémentaires sur le continent ; intégrer fortement l’économie allemande à celle de ses voisins apparaissait comme un moyen évident d’y contribuer. Par la suite, et en complément de cet idéal pacifiste, l’effondrement du système de Bretton Woods et l’instabilité des taux de change qui en résulta très longtemps allaient apporter des arguments supplémentaires en faveur d’une union monétaire.
21 Le projet d’Union économique et monétaire (UEM) fut formulé au sommet de la CEE de La Haye en 1969. Dans la foulée, un groupe de réflexion fut mandaté et présenta, en 1970, un rapport sur les étapes et moyens qui permettraient d’arriver à cet objectif en dix ans [4]. Il était déjà question d’une liberté totale des mouvements de capitaux et de taux de change fixes et irréversibles entre les monnaies des pays membres, d’une monnaie unique représentant un des instruments pour parvenir à ce but, ainsi que d’une coordination des politiques économiques nationales et de directives communes encadrant les évolutions budgétaires des différents gouvernements. Les objectifs et bénéfices attendus étaient clairement spécifiés :
22 « L’union économique et monétaire permettra de réaliser une zone à l’intérieur de laquelle les biens et les services, les personnes et les capitaux circuleront librement et sans distorsions de concurrence, sans pour autant engendrer des déséquilibres structurels ou régionaux.
23 La mise en œuvre d’une telle union améliorera de façon durable le bien-être dans la Communauté et renforcera la contribution de cette dernière à l’équilibre économique et monétaire du monde. Elle suppose le concours des divers milieux économiques et sociaux pour que, à travers l’effet combiné des forces du marché et des politiques conçues et consciemment mises en œuvre par les autorités responsables, soient atteints à la fois une croissance satisfaisante, un haut degré d’emploi et la stabilité ».
24 Avec le recul, le moins qu’on puisse dire, c’est que telle qu’elle a été mise en application quelques dizaines d’années ultérieurement avec l’euro, l’Union monétaire européenne est très loin d’avoir produit des effets à la hauteur de ceux que promettaient ses premiers promoteurs politiques ! À l’époque la nécessité de fixer les taux de changes de manière irréversible était justifiée de manière assez vague dans le rapport, lequel affirmait globalement que l’interdépendance croissante des économies des pays membres nécessitait l’harmonisation des politiques économiques, qu’elles soient monétaires ou budgétaires, pour éviter que des déséquilibres chez certains n’aient des conséquences sur les autres et ne compromettent l’intégration des échanges de biens, services et capitaux. Le rapport manquait d’explications argumentées pour justifier que des taux de change fixes, ou une monnaie unique, fussent vraiment une nécessité pour permettre la liberté totale des mouvements de capitaux et des échanges commerciaux.
25 Le rapport de 1970 contenait déjà une affirmation qui se révéla une erreur économique majeure à la lumière de la crise financière européenne qui sévit depuis 1998 :
26 « Dans une telle union, seule importe la balance des paiements globale de la Communauté vis-à-vis du monde extérieur. L’équilibre au sein de la Communauté sera à ce stade réalisé, comme à l’intérieur d’un territoire national, grâce à la mobilité des facteurs de production et aux transferts financiers des secteurs public et privé ».
27 En réalité les balances nationales des paiements ont joué un rôle capital dans la crise financière de la zone euro. L’affirmation qui précède était donc totalement fausse. Ou alors, ce qui est une autre manière de voir les choses, il aurait fallu construire la zone euro de manière telle que les balances nationales des paiements des pays membres fussent réellement sans importance. Mais cela impliquait des formes de mutualisation de dettes et de solidarité sur lesquelles les dirigeants des pays concernés ne s’accordèrent pas lorsqu’ils négociaient les modalités de la monnaie unique européenne.
28 Ce rapport entraîna l’adhésion des gouvernements des pays de la CEE. Le principe d’établir une union économique et monétaire fut alors approuvé en mars 1971. L’effondrement du système de Bretton Woods, en août 1971, allait cependant générer une grande instabilité des taux de change et différa le projet, sans qu’il fût pour autant abandonné. Au cours des années qui suivirent, quelques pays européens essayèrent, ce qui n’était guère aisé, de limiter les fluctuations du taux de change de leurs devises nationales par rapport au dollar, et donc également celles de leurs parités bilatérales. Mais le dollar américain se dépréciait fortement par rapport au mark et pour la plupart des pays européens il était difficile d’arrimer leur monnaie à la devise allemande, car cela impliquait une perte de compétitivité par rapport à nombre de partenaires commerciaux. Tout au long de ces années, les discussions et publications de rapports sur une union monétaire se poursuivirent.
29 En 1977, le président de la Commission européenne proposa d’instaurer une monnaie unique européenne en tant que solution à la crise économique que connaissaient les pays membres dans la période. D’après l’argumentaire présenté à cette occasion, une monnaie unique européenne permettrait aux pays participants d’échapper à leurs préoccupations de court terme concernant leur balance nationale des paiements. Elle contribuerait à stabiliser les taux de change avec d’autres grandes monnaies comme le dollar. En diminuant les incertitudes économiques et monétaires, la monnaie unique permettrait de réduire l’inflation, surtout dès lors qu’elle serait évidemment gérée selon les meilleures traditions des États européens les moins inflationnistes. La monnaie unique permettrait d’endiguer le chômage massif, car elle établirait un climat de confiance qui stimulerait les investissements, et elle stabiliserait les prix mis à l’abri des fluctuations des changes, ce qui favoriserait la demande dont la base géographique large serait également un facteur de stimulation. L’union monétaire conduirait à une rationalisation de l’industrie et du commerce. La réussite d’une union monétaire permettrait à l’Europe de franchir un seuil politique. La Commission précisait que cette union monétaire n’était possible que si on persuadait les petits pays que cela améliorerait leur situation économique. Elle indiquait également que le fonctionnement de l’union monétaire nécessitait une dévolution supplémentaire de compétences à une autorité supranationale et l’augmentation de la taille du budget européen en pourcentage du produit intérieur brut de la zone.
30 La pertinence des arguments économiques était évidemment sujette à débats, comme toujours. On retrouve à nouveau l’espoir que les contraintes des balances nationales des paiements disparaissent, ce qui ne peut être vrai que sous certaines conditions sur la manière de construire l’union monétaire. Il faut noter qu’aux avantages économiques présumés, la Commission de l’époque ajoutait d’autres raisons, concevant la monnaie unique comme un moyen d’augmenter l’intégration politique, visiblement souhaitée pour elle-même.
31 C’est en 1979 que fut lancé le Système monétaire européen (SME) à l’initiative première de la France et de l’Allemagne qui négocièrent d’abord en secret avant que les autres pays fussent impliqués en avril 1978. Le Comité des gouverneurs des banques centrales avait ensuite déconseillé d’avancer si vite, en juin 1978, et préconisé de renforcer d’abord la coordination des politiques économiques des pays membres avant d’envisager de lier leurs monnaies entre elles. Le Comité monétaire de la CEE avait par contre inclus le principe d’un SME parmi plusieurs solutions possibles à l’instabilité des taux de change en Europe, présentées en juin 1978. La Bundesbank et les banques commerciales allemandes demeurant réticentes car elles craignaient que le projet ne provoque un retour de l’inflation [5]. Le chancelier allemand défendit pourtant le SME, en partie parce qu’il permettrait d’amoindrir les inconvénients de la dépréciation du dollar en les étalant sur une large zone monétaire européenne. Le commerce extérieur allemand subissait en effet les effets négatifs de la force du mark. S’il était difficile d’éviter que le mark ne fût fort par rapport au dollar, au moins le SME lui permettrait-il d’éviter une surévaluation excessive par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux européens.
32 Le principe du Système monétaire européen consistait à stabiliser les taux de change entre les monnaies européennes. Les banques centrales des pays participants s’efforçaient d’intervenir sur les marchés pour maintenir les taux de change, entre chaque devise nationale et un panier des monnaies participantes, dans des marges étroites de fluctuation autour de valeurs centrales « pivots » négociées précédemment. Mécaniquement, cela revenait à limiter les fluctuations des taux de change bilatéraux entre les différentes monnaies nationales dans des marges étroites autours de cours pivots. Les banques centrales étaient obligées de se prêter mutuellement, jusqu’à un certain plafond, les moyens nécessaires à leurs interventions sur les marchés des changes [6]. Toutefois les divergences de politique économique et les attaques spéculatives nécessitèrent de fréquents réajustements du SME, caractérisés par des modifications des taux pivots, voire de l’ampleur des marges de fluctuation.
33 L’Union monétaire européenne fut promue par un lobby de sociétés multinationales européennes, l’Association pour l’Union Monétaire en Europe (AUME), établie en 1987. Cette association regroupait des dirigeants de sociétés industrielles ou de banques comme Deutsche Bank, Philips, Société Générale de Belgique, Fiat, Total dont certains avaient occupé auparavant des hautes fonctions à la Commission européenne. L’AUME voulait une monnaie unique car elle apporterait, d’après elle, une stabilité des changes et des taux d’intérêt qui serait utile pour affronter la concurrence américaine et japonaise. Encore aujourd’hui, les partisans de l’euro rappellent que pendant les décennies qui l’ont précédé, les dévaluations compétitives de différents pays européens se succédaient et que, d’après eux, elles déstabilisaient l’économie et provoquaient une stagnation.
34 L’instabilité des taux de change entre les différentes monnaies, qu’elles fussent européennes ou extra-européennes, perturbait fortement les dirigeants des grandes entreprises et frustrait beaucoup de leaders politiques. Il faut éviter de négliger le rôle capital qu’a joué ce désarroi provoqué par l’instabilité des taux de change pour gagner beaucoup de dirigeants à la cause d’une monnaie unique, en complément de l’idéal européen qui avait depuis longtemps mobilisé d’autres leaders pour établir une structure fédéraliste supranationale sur le continent, y compris au plan monétaire.
35 On entendait souvent dire aux partisans de la monnaie unique que la liberté totale des mouvements de capitaux rendait de toute manière impossible de réconcilier la stabilité des changes avec une indépendance totale des politiques monétaires nationales. Lorsqu’il y a liberté totale des mouvements internationaux de capitaux, maintenir des changes fixes nécessite de subordonner entièrement la politique monétaire à cet objectif. Du moment où les dirigeants européens voulaient stabiliser les taux de change entre leurs monnaies, il était illusoire de pouvoir garder une politique monétaire indépendante de celle de l’Allemagne. On pouvait toutefois rétorquer à cela qu’avec des monnaies restées nationales, semblable contrainte ne persistait qu’aussi longtemps qu’on voulait maintenir les taux de change à un même niveau inchangé. Si l’évolution des fondamentaux économiques d’un pays rendaient inadaptée la politique monétaire exigée par le maintien de la valeur cible du taux de change, il était toujours possible de réviser celle-ci pour permettre une nouvelle politique monétaire nationale mieux appropriée aux circonstances. Des changements épisodiques de politique monétaire nationale, choisis plutôt qu’imposés, restaient donc possibles pour un pays, sitôt qu’il acceptait, moyennant l’accord des autres, de changer les valeurs cibles autour desquelles il stabilisait ses taux de change par rapport aux autres monnaies du système. C’était la logique des réajustements fréquents du SME. Bien sûr, si les pays concernés ont des objectifs de taux de change fixés irréversiblement, il n’y a plus aucune marge de manœuvre, même épisodique, pour les politiques monétaires nationales, et le maintien de devises différentes ne diffère effectivement en rien, de ce point de vue, de l’établissement d’une monnaie unique. La question qui se pose est alors celle de la pertinence économique de cet objectif de taux de change fixés irréversiblement. Les dirigeants des pays de la zone euro ont-ils eu raison de vouloir figer pour toujours les parités entre leurs devises, ce qui était la conséquence logique du remplacement de celles-ci par une monnaie unique ? Était-il économiquement fondé de se priver de la possibilité, pour chaque pays, de laisser la monnaie nationale se déprécier pour retrouver une compétitivité perdue suite à une divergence de ses coûts par rapport à ceux de ses partenaires commerciaux, ou en raison d’autres différences structurelles liées par exemple au niveau de gamme des produits ou à l’orientation géographique de son commerce extérieur ? Ces interrogations et craintes furent à l’époque formulées par beaucoup d’économistes, mais elles restèrent de peu de poids face à la détermination de certains milieux politiques et lobbies à avancer vers une monnaie unique.
36 En juin 1988 à Hanovre, le Conseil européen confia l’étude d’une union économique et monétaire à un « comité pour l’étude de l’Union économique et monétaire » dirigé par le président de la Commission, et comprenant les gouverneurs des banques centrales, le directeur général de la Banque des règlements internationaux, et quelques autres experts. Le mandat du comité précisait bien que la mission n’était pas de se prononcer sur la désirabilité d’une monnaie unique, mais bien sur la manière technique de l’organiser. On note que ce comité était en grande partie formé par des membres du Comité des gouverneurs des banques centrales [7]. Le rôle de celui-ci fut prépondérant au cours de toutes les négociations qui menèrent à l’union monétaire. Le rapport de ce comité, soumis en avril 1989, proposait techniquement l’établissement d’une union monétaire européenne en plusieurs phases, au cas où il y aurait une décision politique pour instaurer une monnaie unique. Sur cette base le Conseil européen, en juin 1989, décida de lancer la première phase, la libération complète des mouvements de capitaux, dès juillet 1990.
37 En décembre 1989 le Conseil établit une conférence intergouvernementale pour identifier les révisions à apporter au traité européen pour y incorporer l’union monétaire. Les travaux de cette conférence intergouvernementale menèrent au traité sur l’Union européenne qui fut approuvé lors de la réunion du Conseil européen de Maastricht de 1991, et signé au mois de février 1992. Ce traité comprenait une partie qui fixait les modalités et le calendrier de l’instauration de l’euro.
38 L’accélération de ce processus politique en faveur de l’euro était directement liée à la réunification allemande. En 1989 les événements montrèrent que les citoyens d’Allemagne de l’Est souhaitaient une réunification rapide avec l’Allemagne de l’Ouest. Les autorités françaises et britanniques furent prises de court et s’inquiétèrent du retour d’une Allemagne forte qui pourrait à nouveau menacer ses voisins. Elles étaient également persuadées que l’URSS empêcherait la réunification allemande. La France entreprit donc initialement d’essayer de ralentir la réunification et de manifester un certain soutien aux dirigeants d’Europe de l’Est en décembre 1989. En réalité, au cours du même mois, les autorités de l’URSS avaient déjà convenu discrètement avec les dirigeants des États-Unis d’autoriser la réunification allemande et de se mettre d’accord sur ses grandes modalités. En effet, aux États-Unis on avait passé outre les réticences du Département d’État et déjà pris le parti d’encourager cette réunification en veillant plutôt à ce qu’elle se réalisât d’une manière conforme à ses intérêts. Le Royaume-Uni se rallia très vite à la position des États-Unis, son allié traditionnel. La France, en 1990, conditionna alors son soutien [8] à l’acceptation de l’union monétaire par l’Allemagne pour garantir que celle-ci fût solidement ancrée en Europe de l’Ouest et totalement intégrée avec ses partenaires, au lieu de représenter une menace potentielle. L’acceptation rapide de l’euro par l’Allemagne résultait donc d’un compromis politique.
39 D’emblée, les économistes américains se montrèrent par la suite extrêmement sceptiques quant à l’opportunité de cette union monétaire européenne et aux caractéristiques de son fonctionnement [9]. D’une manière générale les économistes anglo-saxons ne comprenaient pas comment une monnaie unique allait pouvoir fonctionner correctement sans fédéralisme budgétaire, avec les solidarités qu’elle impliquait pour gérer des chocs asymétriques, c’est-à-dire des facteurs qui affectent fortement certaines parties de la zone sans concerner les autres. Ils observaient également que la zone euro n’aurait pas les caractéristiques d’une zone monétaire optimale (dans laquelle les équilibres économiques internes et externes peuvent être plus facilement atteints avec un régime de taux de change fixe) et qu’une monnaie unique pourrait donc nuire aux pays concernés. L’absence de statut de prêteur ultime conféré à la BCE les inquiétait encore beaucoup. À tort, les promoteurs de l’euro négligèrent souvent les avis des économistes américains, sous prétexte qu’ils étaient biaisés par la crainte que n’émerge une monnaie européenne susceptible de concurrencer le statut de monnaie de réserve internationale du dollar. En réalité la plupart des critiques de ces économistes se fondaient sur des préoccupations réellement scientifiques, et les États-Unis avaient toujours plutôt soutenu l’approfondissement de la construction européenne. La plupart des inquiétudes formulées par ces économistes allaient d’ailleurs se révéler justifiées à partir du déclenchement de la crise financière de la zone euro.
40 En Europe aussi certains économistes exprimaient des craintes concernant les effets négatifs potentiels de l’union monétaire telle qu’elle était préparée. De manière générale au moins les économistes percevaient la complexité des questions qui se posaient [10] à propos de la monnaie unique et des incertitudes concernant ses résultats.
41 Les débats techniques sur les questions difficiles liées aux avantages et inconvénients de l’union monétaire telle qu’elle se construisait pesaient toutefois peu face à l’enthousiasme d’autres économistes convaincus et d’une partie de la classe politique qui y voyait un moyen de progresser vers une Europe fédérale.
42 En juin 1997, 331 économistes européens rendirent publique une lettre ouverte aux chefs de gouvernement de l’UE. Ils contestaient l’affirmation officielle selon laquelle l’union monétaire devant entrer en vigueur allait apporter une croissance de l’emploi et de la prospérité. C’était seulement, affirmaient-ils, avec une politique budgétaire et fiscale commune en faveur de la croissance et une harmonisation des salaires et normes sociales qu’une monnaie unique pourrait contribuer au plein emploi dans des conditions de travail de qualité et d’une bonne sécurité sociale. Ils fustigeaient l’absence de fondement économique sérieux à la norme arbitraire des 3 % pour les déficits publics qui avait déjà imposé une austérité pénible. Ils réfutaient la croyance qu’une réduction des déficits publics allait réduire l’inflation et que cette diminution allait automatiquement entraîner une hausse de la croissance et de l’emploi. Ils déploraient que le pacte de stabilité doive continuer à contraindre les déficits publics, empêchant toute politique de relance sérieuse en cas de choc adverse, et imposer de manière tendancielle une politique d’austérité, l’absence de frein à la concurrence fiscale exerçant une pression à la réduction des taux d’impôts et ne laissant que les réductions de dépenses publiques pour atteindre les seuils requis. Ils pensaient que l’objectif de stabilité des prix assigné à la BCE conférerait à la politique de celle-ci un biais déflationniste néfaste à l’emploi. Ces remarques furent ignorées par les partisans de l’euro.
43 En février 1998, 155 professeurs d’université allemands rendirent publique une lettre ouverte demandant de différer le lancement de la monnaie unique de plusieurs années, parce que les ratios de dettes publiques ou de déficits ne s’étaient pas encore assez réduits pour garantir son succès. Trop de pays, d’après eux, avaient eu recours à de la « créativité » comptable pour ramener leur déficit à 3 % du PIB, alors que c’étaient des comptes publics en équilibre qu’il eût fallu présenter pour que l’union monétaire commence sur des bases saines. La Commission européenne rejeta leurs arguments en affirmant qu’ils ne tenaient pas compte des progrès remarquables qui, d’après elle, caractérisaient la convergence économique des pays candidats, particulièrement en matière d’inflation. Le gouvernement allemand répondit de son côté que reporter le lancement de la monnaie unique serait nuisible politiquement, et que l’appréciation du mark qui en résulterait réduirait les exportations du pays. L’AUME réagit également à cette lettre ouverte et avança plusieurs arguments pour défendre le lancement de la monnaie unique. Elle affirmait ainsi que l’abandon de la possibilité de dévaluer une monnaie nationale pour retrouver de la compétitivité n’offrait pas de bénéfice réel puisque les dépréciations monétaires provoquaient un surcroît d’inflation et des augmentations salariales. Elle en déduisait que la monnaie unique n’impliquerait donc pas plus d’ajustement sur les salaires ou l’emploi. D’après l’AUME, les pays européens avaient beaucoup progressé pour ajuster leurs finances publiques, surtout l’Italie. L’association prétendait également être certaine de la soutenabilité des dettes publiques des 11 pays qui allaient être retenus. D’après elle l’euro allait élargir le marché financier, avec l’avantage de la liquidité, ce qui permettrait d’avoir des taux d’intérêt structurellement inférieurs à ceux du passé. L’AUME affirmait également que l’élimination du risque de change entre les pays membres allait augmenter la sécurité des investissements, et donc doper ceux-ci et créer des emplois.
44 De toute manière, une grande partie du personnel politique des pays de l’UE s’était tellement engagé sur la monnaie unique que tout retour en arrière paraissait impossible du point de vue de la crédibilité. L’euro fut donc lancé comme prévu.
LES FAILLES DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
A) L’ABSENCE DE STRUCTURES MUTUALISÉES POUR L’ASSURANCE DES DÉPÔTS ET LES RÉSOLUTIONS BANCAIRES
LE PROBLÈME
45 L’union monétaire fut construite initialement sans mutualisation de l’assurance des dépôts et sans fonds collectif de résolution pour gérer le redressement ou la liquidation de banques en détresse. En cas de faillite bancaire, c’était le fonds national d’assurance des dépôts qui se trouvait en charge d’indemniser les épargnants, avec au besoin un apport du gouvernement national. En cas de nécessité de recapitaliser des banques dans un contexte où l’apport d’investisseurs privés était impossible à obtenir, il revenait au gouvernement national d’apporter lui-même les fonds. La supervision bancaire était restée presque purement nationale, sans que les normes et pratiques de surveillance des banques fussent totalement uniformisées.
46 Ces défauts de construction de l’euro eurent des conséquences délétères lorsque la crise financière produisit ses effets. En effet, en cas de détresse d’une banque d’un pays de la zone euro, le gouvernement du pays concerné était obligé de la recapitaliser lui-même pour éviter qu’elle ne tombe en faillite et que les déposants ne fussent ruinés. Plusieurs États de la zone euro furent donc obligés d’emprunter les moyens de recapitaliser leurs banques, ce qui augmenta leur dette publique, ou durent apporter des garanties aux engagements des banques, ce qui augmentait la probabilité qu’ils doivent ultérieurement s’endetter davantage s’ils devaient honorer leurs obligations. Et même les États qui n’avaient pas encore dû recapitaliser leurs banques ou leur accorder des garanties étaient perçus comme des emprunteurs risqués puisqu’ils pourraient être dans l’obligation de prendre ces mesures en cas de problèmes de leurs banques. Il en résultait que, de manière générale, les États dont les banques étaient fragiles étaient considérés comme des emprunteurs risqués et leurs dettes dégradées par les agences de notation. Mais comme les banques détiennent généralement des obligations émises par leur gouvernement, la dégradation du rating de celles-ci augmentait la probabilité de moins-values sur leurs actifs et les rendait elles-mêmes plus risquées. Les banques du pays concerné voyaient donc leur propre rating diminué par les agences de notation. À son tour la dégradation du rating des banques du pays augmentait la probabilité que l’État doive intervenir et augmenter par là son endettement. En conséquence les agences de notation baissaient à nouveau le rating de l’État concerné. Et ainsi de suite. Le cercle vicieux parfait. Les banques d’un pays et son État renforçant mutuellement leur propre insolvabilité. Une boucle pernicieuse qui relie les banques d’un pays à leur État. La conséquence fut une envolée des taux d’intérêt exigés sur les obligations émises par les gouvernements de la périphérie de la zone euro, et une augmentation du coût de financement de leurs banques. L’augmentation induite du coût du service de la dette publique pesa fortement sur les déficits et alourdit fortement les efforts d’austérité que les pays concernés durent accomplir, ce qui augmenta l’ampleur de la récession induite. Il est évident que ces problèmes auraient été partiellement évités si dès le départ les coûts de résolution des banques et de la garantie des dépôts avaient été mutualisés au niveau de l’ensemble de la zone euro.
LE CARACTÈRE PARTIEL DES CORRECTIONS APPORTÉES
47 À partir de novembre 2014, les grandes banques de la zone euro sont contrôlées par un superviseur unique, la BCE. Les banques soumises à ce mécanisme de supervision unique étant également concernées par un mécanisme de résolution unique.
48 Toutes les banques de l’UE sont soumises aux mêmes règles de résolution, qui ont pour but de minimiser le recours à l’argent de la collectivité et les dégâts infligés à l’économie réelle. Les actionnaires des banques et puis les créanciers, ordonnés d’après une hiérarchie bien déterminée de catégories allant si nécessaire jusqu’aux gros déposants qui dépassent les 100 000 euros, sont d’abord mis à contribution avant toute intervention publique.
49 Des dispositions ont été prises pour que bientôt, contrairement à ce qui s’est passé jusqu’à présent, des problèmes de solvabilité d’une banque n’aient plus un impact sur la solvabilité de l’État en question. Un fonds de résolution commun va être mis sur pied ; il sera abondé à partir de 2015 par des cotisations des banques de la zone euro concernées par le mécanisme de résolution unique avec pour objectif d’atteindre une réserve de 55 milliards d’euros au bout de quelques années. Pendant une période de transition de plusieurs années, les cotisations des banques de chaque pays vont être versées sur un compartiment national du fonds de résolution unique. Ces compartiments nationaux vont toutefois être partiellement mutualisés en proportion croissante jusqu’à l’être totalement.
50 Plutôt que de remplacer les actionnaires et investisseurs privés pour absorber les pertes et apporter du capital, le rôle du fonds de résolution unique est de fournir un soutien financier sous la forme de garanties ou de prêts pour s’assurer de la pérennité de la banque concernée.
51 Il faut remarquer que les mécanismes de garantie des dépôts ont été renforcés mais restent essentiellement nationaux, sans être mutualisés. La nécessité pour un fonds national de garantie des dépôts de devoir emprunter les fonds à son gouvernement, qui lui-même devrait les emprunter sur les marchés, persiste. La boucle pernicieuse liant la solvabilité des États à celle de leur banque persiste donc aussi partiellement. Les montants indemnisés ont été uniformisés et s’élèvent à 100 000 euros par client et par banque. Ce sont des fonds nationaux d’assurance des dépôts, abondés par des cotisations des banques de chaque pays, qui doivent indemniser les déposants. La collecte des cotisations des banques doit permettre à chaque fonds national d’atteindre, en dix ans, un niveau de provision égal à au moins 0,8 % des dépôts bancaires assurés du pays (0,5 % pour les pays où le système bancaire est très concentré). En attendant, en cas d’insuffisance de réserves pour intervenir, chaque fonds national peut exiger des contributions supplémentaires des banques et, si c’est vraiment nécessaire, emprunter à son gouvernement ou à des parties privées. Les différents fonds nationaux d’assurance des dépôts pourront se prêter mutuellement, mais sur une base volontaire.
B) L’INTERDICTION DE FINANCEMENT MONÉTAIRE DES DÉFICITS PUBLICS
52 Comme on l’a déjà vu ailleurs [11], c’est la faculté qu’a la banque centrale d’un pays de prêter sans limite à son État, en émettant de la monnaie, qui rend une dette publique en monnaie nationale réellement « sans risque » : un tel État pourra toujours rembourser les obligations qu’il a émises dans sa monnaie et qui arrivent à échéance, puisqu’il lui suffit au besoin d’emprunter à sa banque centrale, même quand la défiance est telle que personne d’autre n’accepte encore de lui prêter.
53 Il est évident que cette latitude doit être utilisée avec précaution, car une monétisation excessive des dettes publiques conduit à une expansion incontrôlée de la masse monétaire et à de l’inflation qui réduit le pouvoir d’achat de la monnaie. Mais en réalité il ne sera pas nécessaire d’utiliser cet outil de manière intensive, car la conscience de son existence suffira à décourager la spéculation. Personne n’ose spéculer contre une banque centrale qui a des moyens illimités. Tout au plus quelques achats d’obligations par la banque centrale sont-ils utiles afin de montrer la détermination des autorités monétaires à contenir le niveau des taux d’intérêt sur les obligations publiques et la spéculation cesse tout de suite, pourvu qu’il soit avéré que la banque centrale a le droit de procéder à des achats en quantité illimitée.
54 Or, l’article 21.1 des statuts du Système européen des banques centrales (SEBC) et de la BCE, reprenant l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, interdit tout financement monétaire de la dette publique :
55 « Il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ».
56 Le règlement du Conseil de l’Union européenne (CE) 3603/93, du 13 décembre 1993, précisant les définitions nécessaires à l’application des interdictions énoncées à l’article 123 du traité, précise que cette interdiction ne peut pas être contournée au moyen d’achats d’obligations souveraines sur le marché secondaire par la BCE ou les banques centrales nationales (BCN) de l’Eurosystème :
57 « les achats effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à contourner l’objectif poursuivi par cet article ».
58 C’est cette interdiction dogmatique, ayant réellement force de loi, qui a permis à la spéculation de se déchaîner sur les dettes publiques des pays de la périphérie de la zone euro, et a laissé initialement les autorités monétaires démunies. La BCE s’était seulement permis d’acheter, sur le marché secondaire, un peu d’obligations émises par des pays de la périphérie de la zone euro en quantité limitée et dont le plafond avait été communiqué à l’avance, dans le cadre du programme Securities Markets Programme (SMP). La BCE avait justifié ces actions par l’objectif de restaurer les mécanismes normaux de transmission de la politique monétaire, des taux courts vers les taux longs, afin d’essayer de persuader les analystes qu’il ne s’agissait pas de contourner les lois. Mais même ce programme limité avait suscité des critiques en Allemagne – et jusqu’à à l’intérieur de la BCE – de la part des partisans d’une application stricte des normes légales européennes.
59 Avec l’interdiction légale de tout financement monétaire des dettes publiques, tout se passe comme si l’euro était une monnaie étrangère pour chaque pays membre de l’Union monétaire. Donc tout fonctionne comme si chaque État de l’union monétaire, qui émet des obligations en euros, s’endettait dans une monnaie étrangère. Comme la banque centrale ne peut lui prêter directement, il ne peut garantir aux créditeurs que la dette contractée en euros, pourtant monnaie légale du pays, puisse être toujours remboursée. Un État de l’Union monétaire se retrouve donc dans une situation similaire à celle de tout pays du monde qui emprunte dans une monnaie différente de la sienne.
60 Il a fallu que la zone euro soit au bord de l’implosion, tellement la hausse des taux sur les obligations des pays de la périphérie menaçait de les contraindre à abandonner la monnaie unique, pour que la BCE ose reconnaître la vraie nature du problème et annoncer qu’elle serait prête à acheter des obligations publiques d’un pays en détresse en quantités illimitées sur le marché secondaire, moyennant l’acceptation par celui-ci d’un programme d’ajustement structurel négocié avec la Commission et le FMI et le soutien des fonds de secours européen. C’est l’annonce de ce programme des Outright Monetary Transactions (OMT), soit du rachat d’obligations souveraines par la BCE, qui a sauvé la zone euro de l’implosion, car la spéculation a cessé et les taux d’intérêts exigés par le marché sur les dettes des pays de la périphérie ont reflué fortement. Il n’y a toutefois pas eu unanimité à la BCE pour soutenir cette décision, car la Bundesbank s’y opposait.
61 Depuis la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a effectivement expliqué qu’à son avis le programme des OMT transgressait le droit européen et demandé un avis interprétatif à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) qui doit encore se prononcer. Même si les OMT sont absolument nécessaires au maintien de la zone euro, il faut effectivement reconnaître qu’elles transgressent les normes de droit rappelées supra ; ce qui serait vraiment à souhaiter, c’est une révision du traité qui les autorise.
62 Heureusement pour les pays surendettés, jusqu’à présent les agents qui opèrent sur les marchés financiers semblent persuadés que, passant outre les obstacles juridiques et les objections allemandes, la BCE appliquera réellement les OMT en cas de nécessité. C’est un grand paradoxe que l’euro ne puisse être sauvé qu’au prix d’une infraction réelle à ses règles légales, en raison d’un défaut de conception initiale. Il reste toutefois illusoire qu’on parvienne à un consensus entre les États membres pour réviser le traité de manière à corriger cette erreur, car l’interdiction du financement monétaire des déficits publics demeure pour certains pays une question de principe.
63 C’est d’ailleurs la crispation de certains pays sur ce sujet qui empêche toute solution créative au problème du surendettement de la zone euro. Le problème principal des pays surendettés de la zone euro, c’est que pour stabiliser leur dette publique en pourcentage du PIB, ils doivent dégager des surplus extérieurs de grande ampleur pendant de très longues années. Il est assez irréaliste qu’une telle performance sur la durée soit socialement et politiquement possible, au vu de l’expérience du passé. Déjà maintenant on observe une grande lassitude sociale concernant les mesures d’austérité drastique qui s’éternisent. De surcroît la réduction prolongée des dépenses publiques réduit trop fortement l’investissement en infrastructures et dans l’éducation, ce qui diminue le taux de croissance potentiel de ces économies, et compromet donc également la réduction des ratios d’endettement. En réalité la solvabilité inter-temporelle des pays fortement endettés [12] de la zone euro est loin d’être assurée [13], même après l’austérité forte qu’ils ont subie.
64 Tout porte à croire qu’une forme de neutralisation des anciennes dettes est nécessaire, pour pouvoir repartir de l’avant et mener des politiques de croissance. Certains économistes suggèrent un portage des anciennes dettes par la BCE, qui pourrait même en assurer le renouvellement en rollover (reconduction) à des taux très bas, pendant longtemps. Certains économistes suggèrent même que la BCE puisse accepter une diminution de la valeur de remboursement de ces dettes. Les opposants à ce type de monétisation rétorquent que les pertes ainsi subies par la BCE diminueraient ses fonds propres qui pourraient même être négatifs, qu’elle aurait alors à être recapitalisée par les BCN de l’Eurosystème, donc par leurs États respectifs qui auraient à emprunter eux-mêmes les fonds nécessaires. Ce qui reviendrait à mutualiser les dettes des États, c’est-à-dire à une subvention au bénéfice des pays surendettés de la part des pays moins endettés. Mais les partisans de telles mesures rétorquent que comme la dette des banques centrales n’a pas à être remboursée en autre chose qu’elle-même, leur solvabilité ne dépend pas de la valeur de leurs actifs et elles peuvent très bien fonctionner avec des capitaux propres négatifs [14]. À la limite, d’après eux, si on voulait vraiment restaurer cosmétiquement les fonds propres de la BCE ou des BCN pour des raisons psychologiques, elles pourraient prêter elles-mêmes aux États, sans limite de temps, les moyens de les recapitaliser. La question est évidemment au centre de débats intellectuels houleux entre experts et même entre hommes politiques. Mais ce type de politique est de toute manière impossible dans les conditions actuelles du traité et des règlements européens qui régissent la politique monétaire. Le risque de défaut de certains pays reste donc bien réel.
C) L’ABSENCE DE RENFLOUEMENT DES ÉTATS MEMBRES PAR L’UE
65 Le traité est exempt de toute obligation de solidarité fiscale entre les États membres. C’est la fameuse clause d’absence de renflouement, article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne
66 « L’Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics d’un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique.
67 Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics d’un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique ».
68 Combiné avec l’absence de financement monétaire, cet article impose des restrictions très fortes sur les conditions de solvabilité des États membres de la zone euro. Le désendettement de chaque État membre doit être rapide et s’effectuer sans aucun transfert de recettes de la part des autres partenaires de l’UEM.
69 En réalité les performances de déficits et d’endettements publics de la zone euro dans son ensemble sont correctes en comparaison avec les autres pays industrialisés.
Dette publique en pourcentage du produit intérieur brut à prix courants
Dette publique en pourcentage du produit intérieur brut à prix courants
70 On peut donc être surpris que la spéculation se soit acharnée sur certains pays de la zone euro. Ce constat a amené beaucoup d’économistes à conclure que c’est précisément à cause de l’absence de solidarité budgétaire en zone euro que les pays qui cumulent un endettement public élevé et un endettement extérieur net de l’ensemble des agents privés et publics nationaux présentent un risque de défaut pour les investisseurs lesquels exigent alors des rendements trop lourds.
71 Évidemment, cela n’empêche pas que les gouvernements des pays de la zone euro, ou au moins certains d’entre eux, apportent de manière volontaire leur assistance à un pays en détresse.
72 En réalité les pays de la zone euro ont été obligés, afin de sauver celle-ci en empêchant que certains pays ne soient asphyxiés financièrement et obligés d’abandonner la monnaie unique, de concéder une certaine forme de solidarité financière.
73 La forme de la solidarité a toutefois été très différente de dons directs aux États en détresse. Le concours des partenaires a pris la forme de prêts bilatéraux, de prêts de l’UE elle-même par le Mécanisme européen de solidarité financière (MESF), puis de garanties sur des emprunts réalisés par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour prêter aux États membres en détresse, enfin d’apport de capital au Mécanisme européen de stabilité (MES) pour que celui-ci puisse emprunter à bon compte des moyens à prêter aux États sous programme. Cette politique a donc entretenu le surendettement des pays concernés, en permettant seulement que celui-ci soit contracté à des taux réduits par rapport à ce que le marché aurait exigé, et a permis de leur éviter, hormis le cas grec, un défaut. Cette assistance financière a été chaque fois conditionnelle à un plan d’austérité très strict qui a plongé les pays concernés dans une récession très sévère et prolongée. Bien que ces plans d’ajustement structurel aient pour objectif d’assainir les comptes publics et de permettre le désendettement, ils ont tellement déprimé l’activité que le PIB nominal a baissé au point que les ratios de déficit peinent à diminuer, alors que les ratios de dette publique augmentent au lieu de diminuer !
74 Il est concevable que si, dès le cas de la Grèce, on avait procédé à de vrais dons au gouvernement grec, moyennant un plan d’assainissement mieux étudié et progressif, le signal de solidarité envoyé aux marchés financiers aurait évité la propagation de la spéculation aux autres pays de la périphérie de la zone euro, et permis d’échapper ensuite aux programmes d’austérité extrême qui ont stimulé la hausse du chômage et appauvri exagérément les populations.
75 L’exposition des différents États membres de la zone euro au risque des pays en détresse de la périphérie a atteint des niveaux extrêmement élevés [15] sans que le succès soit pour autant garanti.
LES AVERTISSEMENTS À L’ÉPOQUE DE LA PRÉPARATION DE L’EURO
76 Les partisans du maintien de l’euro se plaisent à rappeler que le comité pour l’étude de l’Union économique et monétaire ayant préparé techniquement l’union monétaire en 1988-1989, présidé par le président de la commission européenne et composé essentiellement des dirigeants des banques centrales et de la Banque des règlements internationaux, avait déjà clairement identifié plusieurs risques [16] qui se concrétisèrent ultérieurement, et préconisé des remèdes qu’on eut tort de négliger. Ainsi les auteurs du rapport de 1989 relativisaient l’efficacité de la discipline que les marchés pouvaient exercer sur la conduite des politiques budgétaires par les gouvernements :
77 « L’expérience montre toutefois que les perceptions du marché ne génèrent pas nécessairement des signaux puissants et contraignants et que l’accès à un vaste marché des capitaux peut même, pendant un certain temps, faciliter le financement des déséquilibres économiques ».
78 C’est exactement ce qui se passa, puisque du lancement de l’euro jusqu’en 1997, les taux d’intérêt sur les obligations publiques à dix ans, tels que le marché les exigeait, était très proches d’un pays à l’autre alors qu’il y avait déjà de grandes différences dans les taux de déficit publics et d’endettements publics, l’évolution de l’inflation et des coûts du travail et les balances extérieures.
Taux d’intérêt sur les obligations publiques à dix ans
Taux d’intérêt sur les obligations publiques à dix ans
79 Le rapport de 1989 avertissait également quant aux réactions brutales des marchés :
80 « Plutôt que de conduire à une adaptation progressive des coûts de financement, l’appréciation portée par le marché sur le statut des emprunteurs officiels a tendance à se modifier de façon brusque et à entraîner la fermeture de l’accès au financement du marché. Les contraintes imposées par les forces du marché pourraient être trop lentes et trop faibles ou au contraire trop soudaines et trop perturbatrices ».
81 C’est à nouveau ce qui se produisit par la suite lors de la crise financière, quand les marchés s’émurent soudain des déséquilibres budgétaires de certains pays, après les avoir négligés.
82 C’est au demeurant en raison de ces craintes à l’égard du marché que le rapport de 1989 insistait sur la nécessité que
83 « Les règles et procédures de la Communauté dans le domaine macroéconomique et dans le domaine budgétaire deviendraient contraignantes »
84 et qu’il exigeait
85 « des contraintes aux budgets nationaux, dans la mesure nécessaire pour éviter des déséquilibres susceptibles de compromettre la stabilité monétaire ».
86 Toutefois l’union monétaire fut ensuite bâtie sans mesures contraignantes, absentes de la procédure de déficit excessif du traité et du Pacte de stabilité et de croissance de 1997.
87 On sait qu’une monnaie unique nécessite normalement des transferts fiscaux entre les différents pays pour gérer des chocs asymétriques, comme dans tous les États fédéraux. Le rapport de 1989 expliquait donc également la nécessité d’instaurer « des modifications discrétionnaires des ressources communautaires » dans le but « d’accroître les transferts structurels aux États membres ou d’influencer l’orientation générale de la politique dans la Communauté ».
88 Rien de tout cela, encore une fois, ne fut inscrit dans le traité.
89 On peut se demander pour quelles raisons les dirigeants politiques de l’époque décidèrent de lancer quand même l’euro alors même qu’au moins une partie d’entre eux était nécessairement au courant des insuffisances de la construction de l’union monétaire à laquelle des négociations pénibles avaient pu conduire. Ces insuffisances venaient en effet contredire les recommandations des experts que ces dirigeants politiques avaient eux-mêmes mandatés pour les conseiller dans la construction de l’union monétaire. Du moment où les négociations politiques ne permettaient pas d’arriver à un consensus sur la mise en œuvre de conditions qui sont généralement présentées comme indispensables au bon fonctionnement d’une union monétaire, comme par exemple un minimum de fédéralisme fiscal, n’eût-il pas été plus judicieux de reporter le lancement du projet jusqu’à ce que la situation politique évolue ? Et si réellement il n’y avait pas de majorité démocratique dans chacun des États concernés pour renoncer à une partie de souveraineté budgétaire et instaurer un fédéralisme fiscal, est-ce qu’il était sensé de vouloir à tout prix former une monnaie unique, vu les interdépendances et financements mutuels implicites que celle-ci impliquait ? Des questions auxquelles il est évidemment très difficile de répondre.
90 Il est certain que les dirigeants politiques favorables à une Europe fédérale fomulaient le pari que, justement, lancer l’euro sans que toutes ses conditions de bon fonctionnement fussent réunies allait obliger tous les pays à avancer rapidement vers le fédéralisme fiscal et d’autres formes d’intégration avancée, puisqu’il serait vite évident que la gestion harmonieuse des économies avec une monnaie unique l’exigeait. Un pari pour le moins dangereux pour la prospérité des pays concernés, et qui se révéla erroné. Après le lancement de la monnaie unique, les obstacles à un approfondissement de l’intégration européenne se multiplièrent alors que les défauts de construction de l’euro étaient devenus de plus en plus évidents, surtout lors de la crise financière. Loin de rapprocher les pays de l’Union monétaire, l’euro a catalysé les reproches mutuels et les dissensions, au point de menacer la construction européenne elle-même.
91 L’analyse des archives du comité de 1988-1989 montre que plusieurs questions qui se sont révélées essentielles lors de la crise de la zone euro avaient été débattues à cette époque. Par exemple l’idée d’une union bancaire, qui mutualiserait les coûts de résolution de banques en détresse ou ceux encourus pour indemniser les déposants fut considérée comme inopportune par les banquiers centraux sous le prétexte que cela comportait trop de « hasard moral », certains systèmes bancaires nationaux pouvant se permettre d’être laxistes en matière de contrôle prudentiel parce qu’ils compteraient en cas de problèmes sur les ressources d’autres pays. Toutefois la violence de la crise financière démontra que ce choix avait été erroné et que les arguments évoqués à l’époque, bien que fondés, pesaient peu en comparaison des dégâts causés par l’absence d’union bancaire. Dans l’hypothèse où celle-ci aurait existé, la crise eût été moins forte et l’Europe se fût épargné beaucoup de chômage et de pauvreté.
92 D’une manière générale il faut remarquer que la question des bulles financières sur les marchés et des réponses potentielles de politique monétaire était assez peu couverte dans les travaux préparatoires à l’euro. C’est ultérieurement que ces questions suscitèrent beaucoup d’intérêt [17].
CONSÉQUENCES D’UNE MONNAIE UNIQUE EN PRÉSENCE D’UNE FORTE HÉTÉROGÉNÉITÉ DES ÉCONOMIES NATIONALES
93 L’euro a été appliqué à des pays qui ont des niveaux de compétitivité très différents, et divergents au cours du temps. Les rémunérations nominales ont connu des évolutions très divergentes depuis le lancement de l’euro, sans être nécessairement compensées par des variations de la productivité qui auraient maintenu les coûts par unité produite des différents pays sur une même trajectoire. La divergence de ces coûts ne pouvait plus être compensée par des dévaluations. Certains pays de la zone euro sont donc devenus de moins en moins compétitifs par rapport à l’Allemagne et d’autres pays. Les pays de la périphérie et la France ont subi un déficit extérieur croissant alors que d’autres pays compétitifs comme l’Allemagne bénéficiaient d’un surplus croissant de balance commerciale.
94 Par ailleurs, à cause de l’orientation claire de la BCE en faveur de la stabilité des prix et en raison du surplus de balance commerciale agrégée de l’ensemble de l’Union monétaire, l’euro eut tendance à être surévalué. Or les différents pays de la zone euro diffèrent fortement en termes du niveau moyen de gamme de leurs produits. Si certains pays comme l’Allemagne peuvent exporter aisément avec un euro cher lorsqu’il est exprimé en dollars, d’autres pays comme la France ou ceux de la périphérie ont besoin d’un euro qui serait beaucoup moins onéreux, pour être compétitifs.
95 Autant de raisons pour lesquelles l’euro a entraîné un accroissement des divergences de balance commerciale entre les différents pays.
96 Les mécanismes de la zone euro sont tels que les mouvements de fonds totaux entre pays membres, qu’ils soient liés à des transactions du compte courant ou à des mouvements de capitaux, induisent des variations résiduelles des créances ou dettes nettes, liées à Target2 (système de paiement à règlement brut en temps réel), de chaque Banque centrale nationale envers le reste de l’Eurosystème. Ces mécanismes ont déjà été amplement expliqués ailleurs [18].
97 Lors de la crise financière la crainte de faillites bancaires et puis d’un abandon de l’euro par certains pays de la périphérie a provoqué des fuites de capitaux de ces pays vers des pays du centre comme l’Allemagne. Les créances TARGET2 de la Bundesbank et de quelques autres pays comme la Finlande ou le Luxembourg sur le reste de l’Eurosystème ont alors explosé. En contrepartie les dettes des BCN des pays de la périphérie se sont accrues [19].
98 Cette explosion des créances de la Bundesbank a suscité beaucoup de craintes en Allemagne. En effet, en cas d’abandon de l’euro par un pays débiteur et de défaut de celui-ci sur ses dettes TARGET2 envers l’Eurosystème, les pertes seraient mutualisées entre toutes les BCN, dont la Bundesbank pour une grande part. Les pertes seraient telles que ses fonds propres baisseraient jusqu’à des niveaux négatifs. Les observateurs critiques craignent donc que l’État allemand ne doive augmenter son endettement pour recapitaliser la Bundesbank. Toutefois d’autres experts rétorquent qu’il serait inutile de recapitaliser les banques centrales des pays créditeurs car elles peuvent fonctionner avec des fonds propres négatifs.
99 Lorsqu’un pays se caractérise par un vieillissement de la population et des perspectives de baisse démographique, le principal problème est de garantir que les retraites et le service de la dette puissent être payés dans l’avenir par des travailleurs dont l’effectif aura diminué. Ce qui implique de maîtriser les dépenses publiques et d’accumuler des actifs extérieurs nets qui pourraient être vendus au besoin. En Allemagne, le vieillissement de la population nécessite en conséquence de stabiliser la dette publique ou même de la réduire en pourcentage du PIB. Il faut absolument éviter que la dette par habitant augmente. L’Allemagne a également intérêt à continuer de dégager un surplus de balance extérieure pour accumuler des actifs extérieurs nets. Tout cela explique les politiques économiques de l’Allemagne qui sont totalement rationnelles.
100 En raison de coûts salariaux nominaux divergents par rapport à l’Allemagne et d’un niveau de gamme moyen des produits inférieurs, la France a subi une désindustrialisation massive suite à l’introduction de l’euro [20] qui l’a empêchée de corriger ses handicaps relatifs par une dépréciation de la monnaie nationale par rapport à celles des principaux partenaires commerciaux, comme par le passé.
101 Comme l’euro a enlevé l’outil de la dévaluation, les pays déficitaires n’ont que l’instrument de la déflation interne, par la baisse des salaires, pour restaurer leur compétitivité. Mais cette politique déprime la demande intérieure et les plonge dans la dépression. C’est pourquoi certains économistes prônent l’abandon de l’euro, avec un défaut partiel sur leur dette publique, en tant que solution à la crise économique de certains pays.
102 La BCE, très opportunément, s’est appliquée à fournir aux banques toute la liquidité nécessaire depuis le début de la crise. Elle a permis d’éviter une crise bancaire majeure à la zone euro.
103 La politique monétaire a privilégié le canal du crédit bancaire, puisque la BCE fournissait une profusion de liquidités très bon marché aux banques pour qu’elles les reprêtent aux entreprises et ménages. Une politique logique en raison du mandat de la BCE. Toutefois les caractéristiques de la zone euro ont rendu cette politique peu efficace [21]. En effet la demande de crédit des entreprises et ménages reste, vu la stagnation économique, limitée. Dans les pays de la périphérie l’abondance de liquidités peu onéreuses fournies aux banques ne les incite pas toujours à augmenter leur offre de prêts ou à en diminuer les taux car elles perçoivent les emprunteurs comme très risqués et leurs crédits peu performants, compte tenu de leur bilan, les incitent à la prudence.
104 La récente politique de taux négatifs sur les liquidités excédentaires des banques auprès de l’Eurosystème a également une efficacité potentielle limitée [22]. En effet ce sont plutôt les banques de la périphérie qui empruntent massivement à l’Eurosystème et celles du centre qui y déposent des liquidités excédentaires. Libérer ces liquidités du centre est peu utile car c’est dans la périphérie que le crédit bancaire est particulièrement insuffisant et aurait à être stimulé.
105 L’augmentation des créances TARGET2 de la Bundesbank sur l’Eurosytème a été compensée par une diminution des créances nettes des banques allemandes sur des agents économiques d’autres pays de la zone euro. Elle n’implique en rien une augmentation des créances nettes de l’Allemagne sur le reste de la zone euro, mais simplement une variation de leur composition. Des créances sur le reste de la zone euro ont été déplacées des banques privées allemandes vers la Bundesbank, et donc indirectement les pouvoirs publics.
LES MULTIPLES QUESTIONS À PROPOS D’UN ABANDON DE L’EURO
106 Les aspects légaux et opérationnels d’un abandon de l’euro par un pays ont été étudiés de manière approfondie [23]. Il faut noter que cette étude, loin de prôner ou de déconseiller un abandon de l’euro par tous ou certains pays, se concentre sur la clarification des conditions légales et surtout opérationnelles d’une telle mesure.
107 Une dissolution concertée de la monnaie unique, celle-ci disparaissant car tous les pays retourneraient à leur propre monnaie nationale, serait la moins difficile à gérer, même si des problèmes colossaux seraient encore à affronter. La conversion en nouvelles monnaies nationales des anciennes dettes contractées en euros serait moins sujette à litiges juridiques, puisque qu’il serait de toute façon impossible d’exiger d’être encore payé en euros, une monnaie qui n’existerait plus. Comme ce fut le cas pour la séparation monétaire entre la République tchèque et la Slovaquie.
108 Reste que l’hypothèse ayant la plus forte probabilité est l’abandon unilatéral de l’euro par un pays, sous la pression populaire d’un électorat lassé par les mesures d’austérité qu’impose son maintien. Dans ce cas se poserait le problème de déterminer quelles dettes peuvent être converties en nouvelle monnaie nationale et quelles dettes en euros. D’une manière générale tous les contrats ou émissions d’obligations régis par le droit national pourraient être convertis dans la nouvelle monnaie nationale. Par contre les contrats ou émissions d’obligations émis sous un droit étranger resteraient vraisemblablement libellés en euros.
109 Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une implosion générale de la zone euro ou de son abandon par quelques pays alors que d’autres le garderaient, il serait nécessaire d’instaurer des contrôles des mouvements de capitaux pour éviter des fuites de capitaux et des paniques bancaires dans les pays dont la nouvelle monnaie nationale serait susceptible de se déprécier. De tels contrôles posent un problème juridique puisqu’ils s’opposeraient au principe de la liberté des mouvements de capitaux dans l’UE. Il faut toutefois remarquer que de tels contrôles sont pratiqués à Chypre depuis la crise de son système bancaire.
110 Un autre problème est celui du remboursement par un pays débiteur qui abandonnerait l’Union monétaire des dettes en euros de la Banque centrale nationale envers le reste de l’Eurosystème, liées à TARGET2. Il est évident que la conversion de ces dettes en nouvelle monnaie nationale ne serait pas acceptée par les autres BCN restées dans l’Union monétaire, lesquelles auraient à se partager les pertes potentielles d’après la clef de répartition du capital de la BCE. Ces dettes resteraient en euros mais, exprimées en nouvelle devise nationale, représenteraient une charge vraisemblablement trop lourde pour le pays concerné dont la nouvelle monnaie se serait certainement dépréciée par rapport à l’euro. En cas de défaut sur ces dettes, les pertes seraient mutualisées entre les BCN des pays restés dans l’Union monétaire (cf. supra).
111 Un peu partout en Europe certains partis politiques très attachés à la souveraineté nationale de leur pays prônent un abandon de leur monnaie unique par celui-ci, le retour à une monnaie nationale étant perçu comme le symbole d’une « indépendance » retrouvée. Raisonner en ces termes revient à commettre la même erreur, mais avec signes inversés, que les dirigeants pro- fédéralistes européens qui avaient poussé au lancement de l’euro dans l’espoir qu’il conduirait nécessairement à un renforcement de la construction politique, c’est-à-dire utiliser la monnaie comme un instrument pour réaliser des objectifs politiques. Les relations monétaires ont tellement d’impact sur l’emploi et la prospérité qu’il est beaucoup trop dangereux de les manipuler pour des raisons extra-économiques, comme moyen d’atteindre des objectifs politiques.
112 Dès lors que l’objectif principal est d’assurer la prospérité des citoyens, garder ou abandonner une monnaie unique doit résulter d’une analyse coûts-bénéfices de nature purement économique.
LA DIFFICULTÉ DE COORDONNER LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES
113 Comme on pouvait le prévoir, la simultanéité cordonnée de politiques d’austérité budgétaire, dans les différents pays de la zone euro, a conduit à une contraction généralisée de l’activité économique. Les grands pays en déficit, comme la France et l’Italie, espèrent maintenant obtenir de l’UE un nouveau délai pour assainir leurs comptes publics en échange de réformes structurelles musclées pour améliorer la compétitivité des entreprises.
114 Mais encore une fois : lorsque tous les pays européens diminuent les coûts du travail au même rythme, aucun d’eux n’améliore la compétitivité de ses entreprises par rapport aux autres. Il faudrait donc trouver des mesures de stimulation de la demande pour accompagner ces politiques compétitives.
115 Diminuer les dépenses publiques en période de récession a un impact tellement dégressif que les comptes publics ont tendance à se détériorer au lieu de s’améliorer. Pour éviter cette impasse, les grandes institutions économiques internationales préconisent maintenant de fixer les objectifs d’assainissement en termes de déficit budgétaire structurel sous-jacent, c’est-à-dire corrigé de l’impact récessionniste. Le multiplicateur, soit le pourcentage de diminution du PIB réel pour une réduction du déficit public de 1 %, a été très supérieur à la valeur de 0,5 sur laquelle se fondaient les institutions internationales qui ont prôné l’austérité budgétaire. Ce multiplicateur a pu atteindre jusqu’à 1,5.
CONCLUSION
116 Les perspectives de l’euro restent incertaines. Il est assez évident que les dirigeants des pays membres et leurs partis ont engagé un tel capital politique en faveur de l’Union monétaire qu’ils sont logiquement déterminés à le maintenir. Ils redoutent également l’éventualité d’un chaos légal et d’une instabilité financière en cas de pareil démantèlement. En même temps ceux qui réprouvent la dépression provoquée par les politiques d’austérité dans certains pays remarquent qu’il serait contradictoire de nuire à la prospérité dans le seul but de sauver une monnaie unique. Il reste donc encore à trouver de quelle manière concilier l’euro avec une croissance harmonieuse.
Notes
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[1]
Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, Université Catholique de Lille
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[2]
Cf. par exemple Éric Dor, « Crise financière : Les enjeux du lose-lose », Outre-Terre, n° 32, juillet 2012, p. 11-49.
-
[3]
Cf. Éric Monnet, « Histoires de l’union monétaire européenne », La Vie des idées, 2013.
- [4]
-
[5]
Par exemple si la Bundesbank était obligée d’émettre beaucoup de marks à vendre sur les marchés pour soutenir le cours d’autres monnaies du système.
-
[6]
Si par exemple le franc français avait à être soutenu, la Bundesbank prêtait des marks à la Banque de France pour que celle-ci puisse les vendre contre des francs sur le marché des changes.
-
[7]
Cf. Harold James, Making the Monetary Union, Cambridge, Harvard University Press, 2012.
-
[8]
Conformément aux évolutions qui avaient suivi la capitulation allemande de 1945, la France, Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS disposaient en effet de droits juridiques sur l’Allemagne, cf. Christian Schricke, « L’unification allemande », Annuaire français de droit international 36,1, 1990, p. 47-87.
-
[9]
Cf. Lars Jonung, Eoin Drea, « The euro : it can’t happen. It’s a bad idea. It won’t last. US economists on the EMU, 1989-2002 », Economic papers 395, 2009, p. 1-53.
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[10]
Cf. Éric Dor, 1997, Aspects monétaires et financiers du passage à la monnaie unique en Europe : quelques questions délicates, Bulletin de l’IRES, 1997, Université Catholique de Louvain.
-
[11]
Cf. Éric Dor, « Crise financière : Les enjeux du lose-lose », op. cit.
-
[12]
Cf. Éric Dor, Is Portugal potentially insolvent ?, IESEG Working Paper 2013-ECO-14.
-
[13]
Cf. Éric Dor, Les coûts et l’impact des plans de secours aux pays en détresse de la périphérie de la zone euro, IESEG Working Paper 2014-EQM-05.
-
[14]
Comme l’explique Willem H. Buiter, Can Central Banks Go Broke ?, CEPR Discussion Papers, n° DP6827, 2008.
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[15]
Cf. Éric Dor, Les coûts et l’impact des plans de secours aux pays en détresse de la périphérie de la zone euro, IESEG Working Paper 2014-EQM-05.
-
[16]
Cf. Henrik Enderlein, Eulalia Rubio, Quels enseignements pour l’Union économique et monétaire ?, Notre Europe, policy paper 109, 2014.
-
[17]
Cf. Éric Dor, Alain Durré, « Monetary Policy and the New Economy », Recherches économiques de Louvain, 68,1, 2002, p. 221-237.
-
[18]
Cf. Éric Dor, The enormous loans of the Deutsche Bundesbank to distressed European countries’ central banks, IESEG Working paper 2011-ECO-08.
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[19]
Cf. Éric Dor, Changing causes of the rocketing TARGET2 accounts imbalances in the Eurosytem and the balance of payments of Germany, IESEG Working paper 2012-ECO-12.
-
[20]
Cf. Éric Dor, The launch of the euro brought about an impressive decrease of manufacturing production in France and huge losses of market shares, IESEG Working Paper 2013-ECO-07.
-
[21]
Cf. Éric Dor, The new decrease of interest rates by the ECB will be totally ineffective, IESEG Working Paper 2013-ECO- 05.
-
[22]
Cf. Éric Dor, Taux négatif et autres mesures d’assouplissement monétaire de la BCE Quelles sont les implications potentielles ?, Banque & Stratégie, juillet 2014.
-
[23]
Cf. Éric Dor, Leaving the euro area : a user’s guide, IESEG Working Paper 2011-ECO-06.