Notes
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[1]
Médecin militaire (ancien élève de l’École principale du Service de Santé de la Marine, communément connue sous le nom de « Santé navale » – école chargée d’assurer la formation des médecins et pharmaciens de la Marine et des Colonies) tout comme Aristide Le Dantec, il a notamment été professeur à l’École de médecine de Hanoï, dont il est nommé doyen en 1946, puis recteur de l’Université d’Abidjan de 1964 à 1966.
-
[2]
Pierre Huard, « Nécrologie – Ary Le Dantec », La Presse médicale, n° 31, 24 juin 1967, p. 1621-1622.
-
[3]
En ce qui concerne les enseignants en AOF, voir les travaux de Jean-Hervé Jézéquel, dont notamment, pour la création et l’organisation de l’enseignement : « Grammaire de la distinction coloniale. L’organisation des cadres de l’enseignement en Afrique occidentale française (1903 – fin des années 1930) », Genèses, n° 69, 2007/4, p. 4-25 ; pour le rôle des enseignants d’AOF dans l’animation et l’encadrement des luttes politiques menant aux décolonisations : « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-45). Des ‘meneurs de galopins’ dans l’arène politique », Cahiers d’études africaines, 178, 2005, p. 519-543.
-
[4]
Françoise Blum, « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 59, 2012/2, p. 144-177.
-
[5]
Mamadou Diouf, « Les intellectuels et l’État au Sénégal : la quête d’un paradigme », in Mamadou Diouf et Mahmood Mamdani, Liberté académique en Afrique, Dakar, CODESRIA, 1993, p. 254.
-
[6]
La création de l’École de médecine en 1918 est un repère systématiquement évoqué dans l’historique de la création de l’Université, que ce soit par les acteurs (voir par exemple la citation de Pierre Huard supra) ou par l’institution (voir l’historique présenté sur le site de l’UCAD – Université Cheikh Anta Diop : https://www.ucad.sn/).
-
[7]
Cinq entretiens ont été faits entre octobre et novembre 2015 avec des docteurs en médecine, et deux entretiens en mars 2017 auprès de militants du SAES (Syndicat autonome de l’Enseignement supérieur). L’étude repose également sur la consultation des archives des associations étudiantes et du bureau des statistiques au rectorat de l’UCAD.
-
[8]
Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.
-
[9]
Alice L. Conklin, Mission to Civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997.
-
[10]
Hubert Lyautey, Paroles d’action, Armand Colin, Paris, 1927, p. 443.
-
[11]
Voir Paul Doury, «Lyautey et la médecine», Histoire des Sciences médicales, t. XXXV, n° 3, 2001, p. 305-315.
-
[12]
Dont notamment l’École normale William-Ponty, créée en 1903 et réorganisée en profondeur par diversification des filières en 1921 ; puis, outre l’École de médecine créée en 1918, citons l’École normale des institutrices de Rufisque, créée en 1938. Sur ces deux établissements, voir Jean-Hervé Jézéquel, « Les ‘mangeurs de craies’ : socio-histoire d’une catégorie lettrée à l’époque coloniale : les instituteurs diplômés de l’école normale William-Ponty (c.1900-c.1960) », thèse d’histoire, Paris, EHESS, 2002 ; Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.
-
[13]
Aimée Grimaud, « Les médecins africains en AOF : étude socio historique sur la formation d’une élite coloniale », mémoire de maîtrise, sous la dir. d’Abdoulaye Bathily, Université de Dakar, 1979.
-
[14]
Ainsi, une École de médecine est fondée à Alger en 1857, à Pondichéry en 1863, à Tananarive en 1896. L’École de médecine de Hanoï, fondée en 1902 (Le Dantec y fut chargé de cours avant de fonder l’école de médecine de Dakar) est intégrée à l’université lors de sa création en 1917. La même année est créée une filière doctorale de 5 ans. En 1933, l’école est transformée en faculté délivrant le diplôme de docteur d’État et offrant un concours d’internat. Voir Laurence Monnais, « Paradoxes d’une médicalisation coloniale. La professionnalisation du ‘médecin indochinois’ au xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 143, 2002, p. 36-43.
-
[15]
Notamment en ce qui concerne l’Afrique anglophone : voir en particulier John Iliffe, East African Doctors. A history of Modern Profession, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; l’ouvrage de Carol Sicherman, Becoming an African University. Makerere 1922-2000, Trenton, Africa World Press, 2005, comprend un chapitre consacré à l’école de médecine. Pour Madagascar, voir E.R. Brygoo, « Les débuts de l’enseignement médical à Madagascar. Un siècle d’expérience », Bulletin de l’Académie Malgache, n° 49, 1971, p. 55-128 ; pour l’Indochine, voir Laurence Monnais, « Paradoxes d’une médicalisation coloniale. La professionnalisation du ‘médecin indochinois’ au xxe siècle », art. cit.
-
[16]
Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Les ‘mangeurs de craie’ : socio-histoire d’une catégorie lettrée à l’époque coloniale », op. cit.
-
[17]
Aristide Le Dantec, L’enseignement médical dans les colonies françaises, Marseille, Barlatier, 1923.
-
[18]
Jules Carde, Instruction relative à l’orientation et au développement des services d’Assistance Médicale, Gouvernement général de l’AOF, Gorée, 1926, p. 10.
-
[19]
Cette notion, qui prend sa source dans la pensée républicaine du xixe siècle, renvoie à l’application intégrale des lois françaises aux colonies, à une centralisation administrative et plus globalement à une œuvre de transformation sociale et culturelle du colonisé à l’image du colonisateur.
-
[20]
Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923, p. 94.
-
[21]
Laurence Monnais, art. cit.
-
[22]
Ces distinctions se retrouvent chez les instituteurs qui relèvent du cadre local dont les revirements de l’administration coloniale dans son organisation, analysés en détail par Jean-Hervé Jézéquel, traduisent les tensions qui entourent la définition du statut des élites lettrées. Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.
-
[23]
Harry Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », Histoire de l’éducation, n° 128, 2010, p. 129-162.
-
[24]
John Iliffe le décrit également dans le cas des docteurs d’Afrique de l’Est britannique, l’école de médecine de Makerere ne délivrant qu’un certificat d’études reléguant ses lauréats en « medical assistants ». John Iliffe, op. cit.
-
[25]
Aimée Grimaud, op. cit.
-
[26]
Comme « Rôle des médecins et sages-femmes auxiliaires de l’AOF dans l’assistance médicale indigène » Bulletin de l’enseignement de l’AOF, 84, 1893 ; ou encore « Sur l’éducation des femmes africaines », L’Éducation africaine, 101, 1938.
-
[27]
Jean-Hervé Jézéquel, « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-1945) », art. cit. La mention de plusieurs médecins dans cet article consacré aux enseignants est significative de la proximité de ces deux groupes professionnels.
-
[28]
Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction », art. cit.
-
[29]
Voir Harry Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », art. cit.
-
[30]
Lettre datée du 3 avril 1947, citée dans Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances (1946-1958), Paris, Karthala, 1990, p. 40-41.
-
[31]
Voir le témoignage d’Amady Aly Dieng, Mémoires d’un étudiant africain, Dakar, CODESRIA, 2011, tome 1, p. 59.
-
[32]
Ibid., p. 35.
-
[33]
Voir les chiffres fournis par André Bailleul, « L’Université de Dakar, institution et fonctionnement », thèse de doctorat d’État en droit, Université de Dakar, 1984, p. 46.
-
[34]
Amady Aly Dieng, Mémoires d’un étudiant africain, op. cit., p. 57-59.
-
[35]
Dakar-Étudiant, mars 1956, archives du rectorat de l’UCAD.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Moustapha Diallo, introduction au numéro spécial de Dakar-Étudiant.
-
[38]
Obid., Moustapha Diallo, conclusions.
-
[39]
Sur cette dernière association, voir notamment : Charles Diané, La Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir, Paris, Chaka, 1990 ; Amady Aly Dieng, Les premiers pas de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), 1950-1955, Paris, L’Harmattan, 2003.
-
[40]
André Bailleul, « L’Université de Dakar », op. cit., p. 2.
-
[41]
Selon l’expression du premier recteur de l’Université, Lucien Paye, lors de son discours d’inauguration. Cité par André Bailleul, ibid., p. 54.
-
[42]
Nos italiques. Cité par André Bailleul, op. cit., p. 54.
-
[43]
André Bailleul, op. cit., p. 114.
-
[44]
Dakar Étudiant, n° 3, 1963 ; Archives du rectorat, (UCAD, Dakar), 1B98.
-
[45]
Archives du rectorat de l’UCAD, 1BG98, note à l’attention du recteur par J. Blanchard, directeur du Centre Universitaire d’Information, 22 octobre 1960.
-
[46]
Sur le Mai 68 dakarois, voir notamment : Abdoulaye Bathily, Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie, Paris, Chaka, 1992 ; Pascal Bianchini, « Le mouvement étudiant sénégalais : un essai d’interprétation » in Momar Coumba Diop (dir.), La société sénégalaise entre le local et le global, Paris, Karthala, 2002, p. 359-395 ; Françoise Blum, « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », art. cit. ; Omar Gueye, « Mai 68 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical », thèse d’histoire, Amsterdam Institute for Social Science Research (AISSR), 2014 ; Ibrahima Thioub, « Le mouvement étudiant de Dakar et la vie politique sénégalaise : la marche vers la crise de mai-juin 1968 », in Les jeunes en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1992, vol. 2, p. 267-281.
-
[47]
Ainsi, la part du Sénégal dans les dépenses de fonctionnement est passée de 15 % en 1965 à 22,5 % en 1967-68, alors que les ressources de l’État sénégalais n’ont pas suivi l’augmentation des étudiants. A. Bailleul, op. cit., p. 118.
-
[48]
Nos italiques. Cité par Françoise Blum, art. cit.
-
[49]
On compte à l’époque 1 523 assistants techniques au Sénégal (dont 69 % d’enseignants). André Labrousse, La France et l’aide à l’éducation dans 14 États africains et malgache, Paris, Unesco, Institut international de planification de l’éducation, 1971, p. 111, cité par Françoise Blum, art. cit.
-
[50]
Françoise Blum remarque à ce titre une similitude dans la sociologie universitaire de la grève avec le Mai français, Françoise Blum, art. cit. Voir également Omar Gueye, op. cit., p. 12.
-
[51]
Omar Gueye, op. cit., p. 79.
-
[52]
Ibid., p. 85.
-
[53]
Voir les chiffres fournis par André Bailleul en annexe de sa thèse (« L’Université de Dakar », op. cit.), pour la période 1948-1960 ; et les chiffres du bulletin des informations statistiques 1979 pour la période 1967-1979 (archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCDA, Dakar).
-
[54]
ll y a cependant des exceptions, parmi lesquelles Dialo Diop, qui est une figure importante du militantisme étudiant des années 1970. Il est exclu de la faculté par décret présidentiel en 1977.
-
[55]
Le compte-rendu de cette table ronde a été publié dans la revue Présence Africaine, « Table ronde sur la médecine en Afrique noire. Pratique – recherche – enseignement », n° 69, 1969/1.
-
[56]
Parmi les intervenants présentés, qui comptent plusieurs Sénégalais, le seul médecin installé sur le continent est Ibrahima Niang, assistant à la faculté de médecine de Dakar.
-
[57]
Le psychiatre Seydou Norou N’Diaye évoque l’anecdote, décrite comme célèbre, d’un confrère nomméWane qui, après ses études en France, a travaillé à l’Institut Pasteur de Dakar, puis est nommé directeur du Centre de transfusion de l’Institut. Le poste lui est finalement enlevé pour « [être] confi[é] à un professeur européen sans aucune raison ».
-
[58]
GRASA (Groupe de réflexion et d’action sanitaire appliquée à l’Afrique), « Pour une éducation sanitaire en Afrique », Présence Africaine, n° 124, 1982/4, p. 31.
-
[59]
Voir tableau infra. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCAD : bulletin des informations statistiques 1979, Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979.
-
[60]
Voir note 1 du tableau « Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979 », ibid.
-
[61]
Archives du rectorat de l’UCAD, lettre de René Blanchard, délégué du Fonds d’Aide à la Coopération, au ministre de l’Éducation nationale, 16 juillet 1971.
-
[62]
Informations issues de la base de données de 347 noms établie à partir des fiches d’inscription des Sénégalais en filière médecine à l’université de Dakar, années 1967-1976.
-
[63]
Entretien de Souleymane Mboup, octobre 2015.
-
[64]
GRASA, « Pour une éducation sanitaire en Afrique », art. cit., p. 28.
-
[65]
Sur ce plan, la faculté de médecine est dans la moyenne. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCAD : statistiques effectuées à partir du bulletin des informations statistiques 1979, africanisation du corps enseignant des facultés, janvier 1979.
-
[66]
Voir figure 3. Aucun étudiant africain non sénégalais n’est compté avant 1967-68, les Français occupant une place très importante (74% en 1966-67, contre 26% de Sénégalais). En 1967-68, les Français ne sont plus que 28%, les étudiants africains non sénégalais étant subitement majoritaires (38%, contre 32% de Sénégalais). Ceci pourrait indiquer un accent particulier mis par les statisticiens du rectorat sur l’africanisation du milieu étudiant par contraste avec les chiffres donnés pour la période précédant 1967-1968, en rapport là encore avec les revendications de l’époque ; cela étant dit, il y a bien une fuite massive des étudiants français à partir de 1968.
-
[67]
Par exemple, l’École de médecine de Lomé, au Togo (1970), l’Université du Dahomey (1970), l’École des Sciences de la Santé à Niamey, au Niger (1974).
-
[68]
Ce dernier affirme qu’« à l’époque, l’université avait le même niveau qu’en France », avec beaucoup de moyens et une exigence d’excellence. Entretien de Souleymane Mboup, 16 octobre 2015.
-
[69]
Falilou Ndiaye relève trois leaders de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale en faculté des Lettres, deux à la faculté de Droit et un à la Faculté de Sciences Économiques et de Gestion ; aucun n’est mentionné pour la faculté de Médecine. Pour plus de détails sur cette période importante dans l’histoire de la mobilisation universitaire, voir Falilou Ndiaye, « La condition des universitaires sénégalais », in Yann Lebeau et Mobalaji Ogunsanya (dir.), The Dilemma of Postcolonial Universities, Ibadan, IFRA, 2015, p. 169-207.
-
[70]
Entretien avec Falilou Ndiaye, mars 2017.
-
[71]
Ibid.
-
[72]
GRASA, « Pour une éducation sanitaire en Afrique », art. cit.
-
[73]
Ibid., p. 32-33.
-
[74]
Ibid., p. 44.
-
[75]
Ibid., p. 32.
-
[76]
Amadou Booker Sadji, Le rôle de la génération charnière ouest-africaine : indépendance et développement, Paris, L’Harmattan, 2006.
-
[77]
André Bailleul, op. cit.
-
[78]
Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.
1Dans sa notice nécrologique en hommage à Aristide Le Dantec, le docteur Pierre Huard [1] salue l’œuvre de son confrère, fondateur et premier directeur de l’École africaine de médecine de Dakar (Sénégal) : « Ainsi les médecins africains, seuls représentants de l’enseignement supérieur dans le système colonial, ont été capables de fournir une partie des cadres politiques nécessaires aux jeunes États, quand vint le jour de leur indépendance » [2]. À l’instar des enseignants [3], dont ils partagent l’accès limité à un enseignement supérieur accéléré, les médecins sont en effet une figure centrale de la période coloniale. Catégorie lettrée formée par le colonisateur, ils ont souvent compté parmi les premiers cadres des États indépendants, dans un contexte où « les seuls capitaux acquis ou transmis sont le capital obtenu par l’école et le capital militant » [4]. La formation des médecins, tout comme celle des enseignants, a ceci de spécifique qu’elle prépare à une pratique professionnelle perçue comme essentielle à la mise en valeur des colonies puis au développement des nouveaux États. À ce titre, cette filière constitue une priorité de formation sur la longue durée, questionnant ainsi la réalité des effets de rupture de l’indépendance politique dans le cadre universitaire.
2Le caractère prioritaire de cette formation, l’accès à un certain niveau d’instruction puis à un travail salarié, enfin le statut qui en découle et la perception que ces acteurs ont d’eux-mêmes et de leur rôle social permettent de les ranger du côté des privilégiés. La définition du rôle social de l’élite intellectuelle africaine, au service de la marche à l’indépendance puis de la construction de l’État, dessine les contours d’un « nationalisme élitiste » [5] qui suppose un lien organique entre la formation scolaire et la politique. On retrouve cette filiation dans l’historiographie des décolonisations en Afrique francophone, qui attribue un rôle-clé aux élites lettrées, et parmi eux les étudiants, dans l’encadrement des luttes nationalistes puis l’animation des partis politiques africains.
3Quelle place les étudiants en médecine occupent-ils au sein de ce paradigme analysant la création d’une élite locale engagée dans les mouvements de décolonisation ? Moins formés à la rhétorique que les étudiants en droit, lettres et sciences humaines, ils se caractérisent par une formation où la pratique a un rôle essentiel, et dont l’utilité sociale est incontestée. De ce fait, ils semblent constituer un groupe distingué par l’institution : la formation en médecine, longtemps exclusivement basée à Dakar, est ancienne et considérée au fondement de la création de l’Université [6], qui advient beaucoup plus tardivement. Un certain nombre d’indices incite à nous interroger sur la spécificité de cette filière : en effet, ses archives sont classées avec un soin particulier, ses bâtiments bien entretenus, les cours dispensés sans interruption ; dans un contexte de profonde crise universitaire, elle est toujours considérée par les Sénégalais comme une faculté attractive.
4Cette formation a connu un certain nombre de transformations institutionnelles du début du xxe siècle aux années Senghor (1960-1980), allant progressivement dans le sens de la construction d’un établissement universitaire. En prenant en compte ce contexte administratif et politique, cet article se propose d’offrir une analyse sur la longue durée de la catégorie sociale des étudiants en médecine, en interrogeant leur rôle et leur place dans le projet de société coloniale et postcoloniale. La démarche prosopographique – base de données construite à partir des fiches d’inscription des étudiants sénégalais en médecine –, couplée à des entretiens et à la consultation d’archives [7], offre la possibilité de restituer l’histoire de ces étudiants sur un temps long et d’analyser la manière dont ces élites s’approprient l’institution universitaire, dans un processus de construction réciproque. Bien plus, elle permet d’analyser leur perception de soi et leur rapport à la nation, dans le cadre d’un processus de formation d’une élite médicale.
1. La politique médicale en AOF : mise en valeur des colonies et fabrique d’une élite scolaire
Du recrutement d’auxiliaires…
5En raison des besoins de l’État colonial, la formation des auxiliaires médicaux est avec celle des auxiliaires lettrés [8] la première à être développée, l’enseignement du français et l’usage de la médecine occidentale étant les deux faces de la « mission civilisatrice » [9] justifiant l’œuvre coloniale. Les formations médicales mobiles furent associées aux colonnes militaires dès la conquête, le Corps de santé colonial étant formellement organisé à partir de 1903. Hubert Lyautey, officier pendant les guerres de conquête, conçoit la médecine comme un effet positif de l’expansion coloniale : « Si certes, l’expansion coloniale a ses rudesses, elle n’est certes ni sans reproches ni sans tares, mais si quelque chose l’ennoblit et la justifie, c’est l’action du médecin comprise comme une mission et un apostolat » [10]. Mais, pragmatique, il a également conscience de l’outil de propagande qu’elle constitue et de son utilité dans la fabrique d’une main-d’œuvre efficace [11].
6Au Sénégal, le statut privilégié de Dakar, capitale politique et culturelle de l’AOF qui concentre services administratifs coloniaux et établissements d’enseignement à vocation fédérale [12], se vérifie pour ce qui est de l’installation des infrastructures sanitaires. Ainsi, l’Ambulance Militaire de 1882 devient un hôpital à partir de 1890, puis Hôpital colonial en 1912, rattaché au Gouverneur Général de l’AOF, dans un contexte de création d’hôpitaux dans les colonies françaises.
7Par ailleurs, une formation accélérée de trente mois est mise en place dès 1906 pour seconder les médecins du Corps de santé colonial, avec la création du corps des Aides médecins indigènes (service d’Assistance médicale indigène – AMI) par le gouverneur général de l’AOF, Ernest Roume. À l’issue d’une formation essentiellement pratique (soins courants, vaccination, petite chirurgie), sanctionnée par un examen qui donne droit à un diplôme et au titre d’aide-médecin indigène, chaque candidat est admis sous les ordres d’un médecin de l’AMI. Il ne s’agit pas alors de pousser la formation : ces premiers praticiens sont perçus par les colonisateurs comme des informateurs, des agents de pénétration, enfin des propagateurs de premier ordre des « idées civilisatrices » [13].
8Mais face à une instruction jugée insuffisante (notamment sous l’angle théorique), une école de médecine est fondée sous le patronage de Jules Carde en 1918. L’amorce d’un enseignement supérieur en Afrique francophone a lieu dans le cadre d’une politique impériale de formation d’auxiliaires médicaux, dont la véritable impulsion advient après la Première Guerre mondiale [14].
… à la constitution d’une élite scolaire indigène
9La genèse d’un enseignement supérieur de médecine dans les Empires a fait l’objet de nombreux travaux [15], qui permettent de dégager certains traits communs entre les politiques coloniales ; toutefois, l’organisation de l’enseignement à l’École de médecine de Dakar a pour particularité d’être fédérale. Pour accéder à ces études d’une durée de quatre ans, la plupart des candidats sont sélectionnés à l’issue d’une formation à l’École normale William-Ponty (ENWP) qui constituait jusque-là la seule école supérieure en AOF, au recrutement très sélectif [16]. Exclusivement réservée aux Africains, elle délivre une formation accélérée d’une durée de deux ans, avec une première année consacrée à un enseignement général, et une deuxième année spécialisée en section enseignement ou en section médecine. Pour entrer à l’école de médecine (dont la formation dure quatre ans), les étudiants doivent obtenir la moyenne dans toutes les matières. Accédant ainsi à la formation locale la plus poussée, ces étudiants vivent pendant six ans en internat, à l’ENWP, puis à l’École de médecine. Pour cette dernière, l’internat est jugé par son premier directeur, Aristide Le Dantec, comme « absolument nécessaire pour soustraire les jeunes étudiants à l’influence du milieu, les habituer à une régularité de vie qui n’est pas dans leurs traditions, fondre dans une certaine mesure les différences de races et de coutumes, et permettre à notre action éducatrice de s’exercer d’une manière permanente », dans un contexte où est visée « la profonde assimilation de notre science médicale, de nos traditions professionnelles, de nos idées sociales » [17].
École de médecine Jules Carde, Dakar, vers 1930. Archives du Musée national de l’éducation (MUNAÉ).
École de médecine Jules Carde, Dakar, vers 1930. Archives du Musée national de l’éducation (MUNAÉ).
10Un enseignement théorique est délivré en plus des cours pratiques à l’hôpital indigène : ces cours sont simplifiés par rapport à ceux des universités françaises et adaptés au contexte épidémiologique. Les lauréats à l’examen de sortie sont affectés autant que possible dans leur colonie d’origine, « de façon que soit facilité le travail de pénétration et d’influence » [18]. Dès 1944, l’École, initialement à vocation fédérale, s’ouvre également aux étudiants originaires du Cameroun et de l’AEF. Il s’agit bien pour le colonisateur, à travers cette formation, de générer à l’échelle de l’Afrique francophone une élite assimilée et conquise à la médecine occidentale. Pour autant, l’organisation de cette formation reflète les débats et les contradictions qui structurent la politique coloniale française sur la question du statut des élites lettrées.
Cloisonnement des élites, stratégies de contournement et émergence d’un discours sur soi
11En effet, cette vision de l’enseignement s’inscrit dans un contexte où l’administration coloniale revient sur sa politique d’assimilation [19] au profit d’une approche plus conservatrice, décentralisée et sélective de la colonisation. La politique d’association est notamment théorisée par Albert Sarraut, qui propose de « conserver et d’augmenter le capital humain pour pouvoir faire travailler et fructifier le capital argent » : l’assistance médicale, si elle correspond à un devoir sacré de « conservation de la race », répond surtout à la nécessité d’accroître la main-d’œuvre existante [20]. Cet objectif avant tout économique de la colonisation induit une approche utilitaire et sélective de l’accès à l’instruction : celle-ci ayant pour objectif de répondre aux besoins en auxiliaires de l’administration coloniale, le nombre de cadres indigènes est étroitement contrôlé.
12Par ailleurs, l’élite scolaire indigène est inscrite dans une catégorie figée, cloisonnée et subordonnée, celle de « médecin africain » : l’École de médecine, exclusivement réservée aux Africains, délivre un enseignement « adapté » ainsi qu’un diplôme qui n’est pas reconnu à l’extérieur des colonies. Formant des assistants médicaux destinés, dans l’organisation sanitaire coloniale, à être les adjoints du médecin militaire responsable d’un cercle, elle sanctionne le statut de « médecin africain », équivalent à celui de médecin indochinois [21] et de médecin malgache. En outre, depuis la disparition des officiers de santé métropolitains en 1892, seuls les docteurs en médecine ont le droit d’exercer leur art sur le sol français. L’officier de santé, depuis 1803, désignait un grade inférieur au docteur en médecine qui permettait à son détenteur d’exercer des soins courants dans les campagnes. À la suite de la loi sur l’exercice médical de 1892, les écoles de médecine sont progressivement transformées en facultés (il n’y en avait que trois jusque-là), mettant fin aux rivalités entre villes d’école et villes de faculté. Ainsi, peu après avoir aboli une médecine à deux vitesses sur le sol métropolitain, l’État français l’instaure dans les colonies et réinvente avec le statut local de médecine indigène l’équivalent de feu l’officier de santé. L’instauration de cette « grammaire de la distinction », observée également pour les instituteurs et les auxiliaires lettrés en général [22], permet de maintenir la « juste distance » entre le colonisé et le colonisateur, mais également de consolider l’autonomie des systèmes scolaires coloniaux vis-à-vis du ministère de l’Instruction Publique [23].
13Les étudiants africains en médecine sont donc confrontés à une double barrière (absence de formation doctorale sur place et statut local) qui les condamne à un statut éternellement subalterne par rapport à leurs confrères européens : selon le décret du 27 mai 1925, ces agents ne peuvent prétendre au droit d’exercer librement la médecine et ne peuvent donner des soins aux Européens ou assimilés que sur autorisation du lieutenant-gouverneur, et cela dans les localités dépourvues de médecins exerçant avec des titres français.
14Ce plafond de verre auquel se heurtent les élites indigènes est une constante des politiques coloniales [24] et produit chez certains des acteurs qui s’y confrontent des stratégies de contournement. Ainsi, les enseignants en première année à l’ENWP découragent les postulants à l’école de médecine en leur faisant comprendre qu’ils ne seraient que des subalternes [25]. D’autres réussissent à partir en France faire leurs études, le cursus français s’imposant pour avoir le titre de docteur ; c’est le cas de Birago Diop, qui, après son service militaire, part en 1928 à Toulouse afin d’y faire des études de médecine, avec le soutien de ses parents qui ont hypothéqué leur maison. Le montant de l’hypothèque ne suffisant pas à couvrir les cinq années d’études, il écrit à Blaise Diagne, député du Sénégal à l’Assemblée Nationale, qui lui fait obtenir une bourse pour l’école nationale vétérinaire, seul cursus faisant l’objet d’une prise en charge par le gouvernement général de l’AOF. Ayant obtenu son diplôme de docteur en médecine vétérinaire en 1934, il retourne en AOF comme vétérinaire colonial. Par ailleurs, le système d’enseignement local, limité et cloisonné, autorise certaines marges de manœuvre : ainsi, Adama Cissé de la promotion 1933 de l’École de médecine est nommé chargé de cours en raison de ses talents en 1934. À la fin des années 1930, Cyrille-Dominique Aguessy, médecin auxiliaire dahoméen, fait également partie du personnel enseignant et écrit des articles de réflexion sur les responsabilités du groupe des médecins africains dans la revue L’Éducation africaine, ancien Bulletin de l’enseignement de l’AOF [26].
15Les années 1930 consacrent en effet les débuts d’une prise de parole de ce groupe social dans l’espace public. On trouve ainsi le nom du Dahoméen Émile Zinsou (Ponty 1936), diplômé de l’École de médecine en 1940, dans les colonnes de la revue Dakar-Jeunes, supplément hebdomadaire vendu avec le journal Paris-Dakar qui lance au début des années 1940 une enquête sur l’évolution culturelle de l’AOF [27]. Émile Zinsou débat notamment avec l’instituteur sénégalais Mamadou Dia (Ponty 1930) sur le rôle des intellectuels africains.
16Dans les années 1930 et 1940, le sentiment d’appartenance à une « élite intellectuelle à part » [28] formée sur les mêmes bancs de la prestigieuse École normale William Ponty, mais reléguée à un statut local et subalterne, unit médecins et instituteurs dans la production d’un discours sur soi, la place et le rôle des catégories lettrées dans la société. La formation scolaire semble compter davantage que la profession exercée dans le processus de définition et de mobilisation de cette élite aux contours flous.
2. Au tournant des indépendances, les étudiants en médecine au cœur des revendications d’assimilation
Les hésitations de l’après-guerre entre association et assimilation
17Les débuts de la mobilisation des étudiants en médecine précèdent de peu la transformation du projet colonial après la Seconde Guerre mondiale, dont le tournant est amorcé en 1944 par la Conférence de Brazzaville. En 1945, il est décidé que les territoires d’outre-mer auraient des représentants à l’Assemblée nationale constituante. Le nouveau cadre de 1946, instauré par l’Union française, met fin à la situation antérieure de deux cadres coloniaux, tout en promouvant une nouvellle politique coloniale centralisatrice, assimilatrice et développementaliste. Mais cela ne se fait pas sans heurts en ce qui concerne l’enseignement : à la fin des années 1940, l’assimilation scolaire devient un véritable combat en AOF [29]. Les socialistes Marius Moutet et René Barthes, respectivement à la tête du ministère de la France d’Outremer (1946-1947) et du gouvernement général de l’AOF (1946-1948), souhaitent aligner le système scolaire en AOF sur le modèle métropolitain. Dans sa lettre adressée à Moutet, Jean Capelle, nommé directeur général de l’enseignement en AOF au début de 1947, affirme : « Je crois que l’heure est venue de jeter les bases d’une Université à Dakar et de placer l’ensemble de l’enseignement d’AOF sous le contrôle de l’Éducation Nationale » [30]. Ainsi, en 1948 est créé au sein de l’École de médecine le certificat de Physique-Chimie-Biologie (PCB), propédeutique médicale rattachée à la faculté des sciences de l’Université de Bordeaux, qui constitue le premier embryon d’un enseignement supérieur ouvert à tous et prépare la fondation d’un institut universitaire. Soutenu par les députés socialistes africains, qui voient dans le ministère de l’Éducation nationale un allié de poids pour obtenir les mêmes droits qu’en métropole, Jean Capelle affronte les réticences des fonctionnaires du ministère de la France d’Outre-mer (FOM), hostiles à cette remise en cause de l’autonomie de l’administration coloniale, et finit par démissionner en 1949. Léopold Sédar Senghor et ses alliés reprennent à leur compte ce cheval de bataille. En janvier 1950, ils remportent une première victoire lors de l’adoption de la deuxième loi Lamine-Guèye, qui met fin aux traitements de faveur des fonctionnaires européens. Enfin, un décret, adopté en avril, prévoit la création d’un Institut des Hautes Études (IHE), ce dernier étant annoncé depuis la fin de la guerre ; tandis qu’en novembre 1950, un décret interministériel crée l’académie de l’AOF.
18L’IHE est d’emblée placé sous le double parrainage du Ministère de la FOM et de l’Éducation nationale, ce qui démontre la structure dualiste de l’Union française et la persistance du dilemme entre association et assimilation. Une commission mixte des Universités de Paris et Bordeaux est chargée de maintenir le niveau requis pour une stricte équivalence des diplômes. L’École de médecine est fusionnée avec l’Institut, qui, outre la médecine, comporte trois autres écoles supérieures, en droit, sciences et lettres.
19Pour l’année 1950-51, 14 étudiants sont inscrits en première année dans cette toute nouvelle école préparatoire de médecine ; ils passent les trois premières années de formation à Dakar, leurs études se déroulant par la suite pendant trois ans en France et essentiellement à Bordeaux. Les conditions d’études font de ces premiers étudiants à l’IHE une catégorie sociale privilégiée. Peu nombreux, ils bénéficient tous d’une bourse d’un montant élevé (Amady Aly Dieng affirme que la bourse de 7 500 francs « suffisait largement à couvrir nos besoins essentiels » – le bureau de l’Association générale des étudiants de Dakar (AGED) refuse d’ailleurs la proposition du député Senghor d’augmenter son montant [31]), ceux qui ne peuvent y prétendre en raison de leur âge sont recrutés comme maîtres d’internat ou d’externat dans les collèges et lycées de Dakar. Les étudiants sont logés à l’ancien internat de l’École africaine de médecine et de pharmacie, transformé en cité universitaire. Les étudiants en médecine ont un traitement particulier : ils sont, par exemple, les seuls à être logés dans des chambres avec des portes, du fait de leur durée de résidence [32].
20Ces raisons expliquent l’augmentation très rapide des effectifs qui atteste du succès de ce premier établissement universitaire, qui est également le premier à recruter sans distinction d’origine. Cette déracialisation de l’accès à l’enseignement marque une étape importante dans l’histoire de la politique coloniale française en matière d’enseignement supérieur, ainsi que le début d’une lente transition vers l’africanisation des cadres.
21Si les statistiques tenues à l’époque ne distinguent pas la provenance des étudiants par territoire, il reste que l’effectif européen est plus important que l’effectif africain dans l’établissement. Par ailleurs, les étudiants dépendent toujours du passage par la métropole pour compléter leur formation. Enfin, le personnel enseignant est rapidement jugé sous-qualifié par rapport à celui des universités métropolitaines.
22Cette sous-qualification du personnel enseignant est liée à la persistance de la mainmise du ministère de la FOM sur l’enseignement supérieur outre-mer. Du fait de l’existence de deux corps d’enseignants séparés, métropolitain et outre-mer, au sein du cadre général, les enseignants n’ayant pas les titres suffisants pour exercer en métropole sont admis dans le cadre général, mais sans pouvoir exercer en France. Ainsi, pour pourvoir des postes à l’École de médecine, le ministère de l’Éducation nationale fait paraître au Journal Officiel de la République Française du 16 avril 1955 deux arrêtés différents : l’un pour les écoles et facultés en France, l’autre pour l’école de médecine de Dakar exclusivement. Cette situation est contraire aux aspirations des élites scolaires, désireuses d’obtenir des qualifications incontestées et donc identiques à celles de la métropole.
L’Institut des Hautes Études et les premières heures du mouvement associatif étudiant à Dakar
23C’est pourquoi les étudiants de l’IHE reprennent rapidement à leur compte les revendications assimilationnistes de leurs prédécesseurs. Ainsi, l’Association Générale des Étudiants de Dakar (AGED) est créée en 1951 pour défendre les intérêts des étudiants. Le bureau de l’AGED est exclusivement composé d’étudiants africains, inscrits majoritairement en médecine pendant toute la durée d’existence de l’Institut (4 étudiants sur 6 en 1953, bien que les étudiants en médecine ne constituent que 17% des effectifs en 1953-1954 [33]). La surreprésentation des étudiants en médecine dans le milieu associatif s’explique par le fait qu’ils restent quatre ans à Dakar pour faire leurs études, alors que les autres étudiants doivent partir au bout d’un an poursuivre le reste de leurs études en France (à l’exception notable des étudiants en droit, majoritaires à l’IHE pendant toute sa durée d’existence, qui ont accès à un cursus de 3 ans sur place).
24Les revendications des membres de l’AGED sont essentiellement corporatistes au début des années 1950. Amady Aly Dieng le constate à plusieurs reprises dans son témoignage :
À cette époque, la conscience politique des étudiants de Dakar qui faisaient partie des catégories sociales privilégiées était très faible. […] Le programme de l’AGED ne pouvait que refléter l’insuffisance de la formation politique et l’absence d’un engagement politique anti-colonialiste des étudiants de Dakar qui […] n’arrivaient pas à faire la liaison entre leurs revendications universitaires et sociales et la politique découlant de la logique du système colonial [34].
26Les étudiants revendiquent notamment un enseignement de qualité. Ainsi, en mars 1956, la publication d’un numéro spécial de Dakar-Étudiant, le journal de l’AGED, porte sur le « Sabotage de l’enseignement à l’École préparatoire de médecine de Dakar » [35]. Il contient une série de correspondances échangées de 1953 à 1955 entre l’association et les autorités administratives et universitaires. Une lettre datée du 22 novembre 1953, signée par Moustapha Diallo, étudiant en médecine et président de l’AGED, et adressée au gouvernement général, met en cause l’inaptitude du corps professoral de l’IHE (composé en grande partie de médecins des troupes de santé coloniale) et demande son renouvellement. Ces revendications soulèvent l’indignation des différentes autorités ; le recteur de Bordeaux, dans sa réponse, menace de leur « interdire l’accès aux facultés métropolitaines ». La persistance des revendications crée un litige durable avec l’administration, les membres de l’AGED multipliant les soutiens, parmi lesquels celui d’un enseignant de l’Institut, le professeur J. Tusques. Ce professeur d’histologie et d’embryologie (l’un des deux seuls docteurs agrégés de l’École de médecine) demande sa mise à disposition dans une lettre adressée au recteur Capelle le 14 décembre 1955 et retranscrite dans le journal de l’AGED : « Je regrette vivement de ne pas pouvoir rester à Dakar où je comptais m’installer définitivement et où je crois que les universitaires français ont un rôle de tout premier plan à jouer. Mais l’expérience m’a montré que je perdais mon temps ici, dans une atmosphère foncièrement hostile à toute tradition universitaire, à toute recherche originale et à toute amitié franco-africaine réelle » [36]. L’AGED s’inquiète du découragement des « universitaires authentiques » parallèlement au projet de transformation de l’école préparatoire de médecine en école de plein exercice (qui supposerait la mise en place d’une 4e et d’une 5e année et condamnerait donc les étudiants à suivre à Dakar l’ensemble d’une « formation au rabais »).
27Moustapha Diallo place ces dénonciations dans la continuité de l’histoire du traitement des élites scolaires en AOF :
Le seul obstacle – et nous citons le député Senghor – « ce sont certains aphorismes dont on veut faire des vérités premières : on ne doit pas former des intellectuels mais des manuels, disait le gouverneur général Brévié – on doit former des techniciens et non pas des penseurs, dit-on aujourd’hui ». Et aussitôt nous pensons à tant de générations sacrifiées au nom de ces aphorismes, à tant d’instituteurs, à tant de « médecins africains » et à tous ceux-là dont les diplômes sont aujourd’hui contestés, alors que leurs aptitudes les appelaient à des études plus complètes et à des carrières moins systématiquement subalternes. Que répondre alors aux générations futures, si nous étudiants africains, nous laissions perpétuer cet état de fait, si nous ne prenions pas nos responsabilités envers ces générations, si nous ne demandions à aller en France, comme le dit M. le Recteur, que par simple désir passionné. […] Nous ne demandons qu’à nous fier à tous ceux qui sauront mériter notre confiance, mais nous n’accepterons pas qu’on nous considère comme un matériel inerte de construction. [37]
29L’auteur se montre inquiet de la persistance supposée de la conception utilitaire de la formation de cadres subalternes, pensée uniquement pour répondre aux besoins en développement. Il appelle les étudiants à leurs responsabilités dans la revendication d’une parité complète avec le traitement métropolitain, d’autant plus urgente que les étudiants à Dakar sont soumis aux examens de l’académie de Bordeaux au même titre que leurs camarades de métropole. Par ailleurs, il place sur le même plan les instituteurs et les « médecins africains », affirmant ainsi leur proximité passée et présente. Les étudiants en médecine accompagnent en effet largement les étudiants en lettres dans la construction du réseau associatif étudiant et la définition de ses revendications qui s’inscrivent dans la continuité des désirs de leurs aînés.
30Dans ses conclusions au numéro spécial, Moustapha Diallo revendique à nouveau l’accueil à Dakar de « maîtres authentiques, même venant d’Indochine […]. On ne peut nier qu’il est tout de même mieux d’avoir été effectivement professeur agrégé à la faculté de médecine de Hanoï ou de Saïgon, qu’agrégé (sur papier) à l’école de médecine de Tananarive comme M. Payet ou de n’avoir pas été agrégé du tout comme M. Sohier » [38]. Les étudiants de médecine de Dakar semblent avoir une conscience très nette des enjeux de la hiérarchie universitaire, à laquelle s’ajoute en creux une hiérarchisation secondaire entre espaces géographiques, le docteur agrégé détaché de métropole constituant le nec plus ultra.
31Face aux résistances rencontrées, les étudiants africains de Dakar se radicalisent ; de ce point de vue, la séparation des étudiants européens et africains en deux associations en 1956, l’Amicale générale des étudiants de France en Afrique noire (AGEFAN) et l’Union générale des étudiants d’Afrique-occidentale (UGEAO), marque un tournant dans les mobilisations. Cette scission sur une base raciale a lieu à la suite des évènements de janvier 1956 à Montpellier (agression des étudiants africains par les étudiants français de droite et d’extrême droite), de la crise interne qu’ils ont provoquée dans le bureau de l’AGED ainsi que du refus d’intégrer l’adjectif « français » dans le nouveau nom de l’association, qui adopte alors une ligne anti-colonialiste. Les positions de l’UGEAO sont relayées par la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), qui compte de nombreux militants sénégalais [39], parmi lesquels Hamat Bâ, Pontin diplômé de l’École de médecine de Dakar qui a passé son baccalauréat à Thiès avant de partir en France faire son doctorat. Il devient président de la FEANF en 1959. Moustapha Diallo, ancien président de l’AGED à l’IHE, part en France terminer ses études de médecine et lui succède à la présidence de la FEANF en 1960.
La création de la « 18e université française » [40]
32Confronté à l’intensification des revendications étudiantes qui, à Dakar comme à Paris, entrent en résonance avec les revendications nationalistes, l’État colonial établit par décret, en février 1957, une université de plein exercice pour remplacer l’IHE. Reprenant la structure de l’Institut, elle comprend trois Facultés et une École nationale de médecine et de pharmacie (transformée en Faculté mixte de médecine et de pharmacie en 1960). Sur les plans administratif, pédagogique et financier, l’Université de Dakar est conçue comme une « université française au service de l’Afrique » [41], ce qui garantit la qualité des études et la valeur du corps enseignant et répond donc aux revendications étudiantes. Ainsi, les enseignants sont intégrés au cadre métropolitain et leur carrière est gérée directement par le ministère de l’Éducation nationale, selon les mêmes règles qu’en France.
33Lors de la cérémonie d’inauguration du 9 décembre 1959, où Daouda Sow, alors étudiant en médecine et président de l’UGEAO, représente les étudiants de Dakar, le ministre de l’Éducation nationale, André Boulloche, affirme que la toute jeune université doit pouvoir « former une élite véritable capable non seulement de prendre les postes de commande mais aussi de travailler à son tour à la promotion culturelle des masses, à l’orientation du plus grand nombre vers les tâches techniques, à la sélection et à la formation d’une élite authentique » [42]. Le rôle donné aux étudiants de l’université, non seulement dans la formation de techniciens, mais également de la future élite marque une transition dans la politique d’enseignement supérieur de l’État colonial : il ne s’agit plus de former des auxiliaires comme avant-guerre, et plus seulement de produire des cadres aptes à prendre des responsabilités, mais bien de préparer la relève universitaire en formant des étudiants au plus haut niveau. Ainsi, en médecine, le cycle de formation devient complet en 1960 ; il est dès lors possible de suivre un cursus de bout en bout à Dakar.
34Par ailleurs, l’indépendance du Sénégal en 1960 marque une étape dans les modalités d’implication des élites lettrées dans l’espace politique. Quelques grandes figures de médecins accompagnent la marche à l’indépendance et la construction des nouveaux États. Ainsi, Félix Houphouët-Boigny (major de la promotion 1925 à l’École de médecine) et Émile Zinsou (promotion 1940) deviennent respectivement président de la Côte-d’Ivoire et président du Dahomey en 1960. La soudanaise Aoua Keita obtient son diplôme de sage-femme à l’École de médecine de Dakar en 1931 ; elle y rencontre son mari, Daouda Diawara, médecin africain qui participait aux tribunes des intellectuels dans Paris-Dakar. Militante syndicale et politique, elle est élue en 1959 députée de la Fédération du Mali. Amadou Cissé Dia (promotion 1940) est avec Léopold Sédar Senghor l’un des membres fondateurs du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) en 1948. Il obtient plusieurs portefeuilles ministériels de 1960 à 1968 ; il est également président de l’Assemblée nationale de 1968 à 1983. Cela étant, ces figures sont exceptionnelles au Sénégal ; les professionnels de santé, qui s’étaient impliqués dans le processus de définition et de mobilisation de l’élite scolaire, ne s’engagent pas massivement en politique, contrairement aux instituteurs qui occupent un rôle particulièrement important dans la formation des partis et des premiers gouvernements.
3. L’Université de Dakar : une institution française ou africaine ? Coopération universitaire et radicalisation du mouvement étudiant
Une « Université française en Afrique »
35Après l’indépendance politique, l’Université de Dakar devient un projet national ; pour autant, l’enjeu de l’équivalence avec l’ancienne métropole persiste en matière d’enseignement supérieur. Ainsi, l’État du Sénégal adopte la législation française, et la gestion et l’administration de l’Université de Dakar sont confiées à la France. Le budget de l’institution est largement géré par cette dernière, qui prend ainsi en charge l’intégralité du traitement des personnels au titre de la coopération. Si le corps enseignant de l’Université est composé essentiellement de coopérants français, le nombre d’enseignants africains est en nette augmentation à partir de 1966-67 (ils constituent alors 36% des effectifs), surtout en médecine-pharmacie, filière qui représente à elle seule 40% du corps enseignant de l’université en 1967. C’est d’ailleurs dans cette faculté que seront nommés les deux premiers maîtres de conférences agrégés africains en 1961 et 1962 [43]. La place importante que prend la formation en médecine dans l’espace universitaire et la rapide africanisation de ses cadres s’explique essentiellement par l’ancienneté de son implantation.
36Cet accompagnement de la construction de l’Université par l’ancienne métropole, en vertu des nouveaux accords de coopération, correspond aux attentes des jeunes Africains des années 1950, qui réclamaient l’alignement des cadres et des structures sur ceux de l’Éducation nationale française. Dès le début des années 1960, elle est cependant vivement critiquée par l’UGEAO qui s’inscrit en rupture avec le programme de l’AGED et suit une ligne marxiste, internationaliste et panafricaine.
37Ainsi, lors de son premier congrès en 1960, le « néocolonialisme » français est dénoncé avec virulence. Après les interdictions successives par le gouvernement sénégalais d’un colloque sur l’Université africaine, puis du 2e congrès de l’UGEAO en décembre 1961, le comité exécutif sortant affirme dans son rapport moral que « l’enseignement supérieur est encore entre les mains de la France » ; tandis qu’est annoncée « l’accentuation de [la] lutte pour une ‘Université africaine et démocratique’, pour de meilleures conditions de vie et d’études, pour les libertés démocratiques et l’indépendance effective » [44]. S’il existe une section médecine au sein de l’UGEAO comme pour les autres facultés, l’association est dorénavant dirigée par Ibrahima Koné dit Godot, étudiant en droit. Ce dernier succède à Daouda Sow, adhérent du parti de Senghor. Le reste du bureau central est composé d’un étudiant en sciences, deux étudiants en sociologie et un étudiant en lettres [45]. Toutes les facultés sont représentées, à l’exception de la médecine, et ce pour la première fois.
38Les revendications étudiantes s’articulent autour de la thématique de l’africanisation de l’université et conduisent à de nombreuses grèves. Elles sont à situer dans une perspective globale de mouvement social mondial de la jeunesse et s’inscrivent également dans un contexte national d’opposition du monde universitaire au régime du président Senghor, depuis que celui-ci s’est rallié à l’entrée du Sénégal dans la Communauté à la veille de l’indépendance. En 1966 sont créées l’Union des Étudiants de Dakar (UED) et l’Union Démocratique des Étudiants du Sénégal (UDES). La réduction du montant des bourses d’enseignement supérieur entraîne une large mobilisation au mois de mai 1968 [46] ; cet élément déclencheur n’est que le prétexte d’une remise en cause générale de la place de la France dans l’organisation de l’institution universitaire, alors même que la décision du fractionnement des bourses d’enseignement supérieur découle du désengagement financier relatif de l’État français et de la participation croissante de l’État sénégalais au budget de l’Université [47]. C’est le sens de la phrase de Senghor, membre de la génération des étudiants des années 1930 qui s’est mobilisée pour une égalité de plain-pied avec la métropole, dans son discours du 1er juin 1968 : « C’est au nom de la défense de l’indépendance du Sénégal que nous avons arrêté les décisions que l’on sait en matière de bourses ».
39Les ambiguïtés de la posture des étudiants militants des années 1960 marquent un fossé générationnel avec leurs aînés. En effet, alors même que les étudiants d’hier s’étaient battus pour accéder à une formation sur le modèle métropolitain avec validité de plein droit des diplômes, les premiers universitaires formés à Dakar voient précisément dans cette équivalence un signe de l’ingérence française. Ainsi, dans le memorandum de l’UDES rendu public le 26 mai 1968, le caractère français de l’Université est explicitement dénoncé : « Dans le domaine de l’Enseignement supérieur, toute perspective d’une juste politique de formation des cadres est annihilée par le fait qu’au-delà des déclarations qui prétendent l’université sénégalaise à vocation universelle, le gouvernement sénégalais n’effectue aucun contrôle sur celle-ci, qui n’est en réalité qu’une Université française installée au Sénégal » [48]. La dénonciation du néocolonialisme est reprise par l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (UNTS), qui s’allie aux étudiants pour demander l’africanisation des cadres [49]. Le problème devient le modèle français et, dès 1970, une réforme générale de l’Université est engagée.
Les étudiants en médecine, en marge du Mai 68 dakarois
40Les étudiants en médecine, très présents dans le milieu associatif étudiant des années 1950, sont sous-représentés dans le Mai 68 dakarois. Soucieux de pouvoir passer leurs examens, ils ne participent qu’en infime proportion au boycott de ces derniers [50]. Par ailleurs, la répression du gouvernement épargne largement les étudiants en médecine, qui peuvent continuer à suivre des cours dans la seule des facultés à ne pas faire l’objet d’une fermeture car, d’une part elle intéresse directement la formation des cadres africains et la relève de l’assistance technique française et d’autre part, on cherche à ne pas compromettre le fonctionnement des services hospitaliers [51]. La faculté est donc la seule à fonctionner normalement pendant l’année 1968-1969 [52], et la seule dont les effectifs augmentent cette année-là, alors que toutes les autres facultés subissent une baisse importante du nombre d’inscriptions. De manière générale, ses effectifs sont ceux qui augmentent le plus rapidement dans les premières années d’existence de l’Université : ils sont multipliés par plus de 4 en neuf années universitaires, de 1959-1960 (142 étudiants) à 1967-1968 (654 étudiants) [53].
41Les étudiants en médecine, qui avaient accompagné les revendications corporatistes et la marche à l’indépendance, semblent se détourner de la lutte dès lors que celle-ci s’inscrit dans l’opposition au régime de Senghor [54]. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce relatif désengagement : si la formation médicale est plus anciennement implantée au niveau local, ce qui induit une africanisation plus rapide du corps enseignant, la position subalterne longtemps tenue par le « médecin africain » peut expliquer que les étudiants en médecine soient plus réservés quant à la dénonciation de l’implantation du modèle universitaire français. Par ailleurs, la médecine est une discipline à doctorat, avec un cursus honorum particulièrement marqué auquel les étudiants se sont montrés dès le début sensibles. Or, avec la création de l’Université les étudiants ont accès à ce cursus localement, obtenant donc ce qu’ils revendiquaient jusqu’à présent, à savoir une parité avec leurs camarades de métropole. De plus, la faculté de médecine est celle qui compte le plus de professeurs de rang magistral. Les étudiants intériorisent de ce fait la hiérarchie universitaire et s’identifient à une certaine culture du mandarinat. Ainsi, parmi les professeurs de médecine que nous avons rencontrés, tous ont déclaré ne pas s’être engagé dans les luttes étudiantes des années 1970-1980, pourtant bien présentes sur le campus.
42Par ailleurs, les médecins semblent peu impliqués dans les sphères politiques post-indépendance, malgré quelques exceptions. Parmi les militants de la décennie précédente, Daouda Sow, président de l’UGEAO au moment de la création de l’Université et engagé dans les revendications anti-colonialistes des étudiants, obtiendra plusieurs portefeuilles ministériels dans les années 1970 avant de succéder à Amadou Cissé Dia à la tête de l’Assemblée nationale dans les années 1980.
43Cela dit, il existe une prise de parole par les professionnels de santé sur les études de médecine, qui comporte elle aussi des ambiguïtés. Ainsi, les invités de la table ronde sur la médecine en Afrique, tenue à Paris en septembre 1968 [55] à l’initiative de la Société Africaine de Culture, expriment les mêmes inquiétudes quant à la nature de l’institution universitaire en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Cette rencontre réunit des médecins ouest-africains installés en France pour la plupart d’entre eux [56], qui, formés dans les années 1950, se définissent comme les premiers universitaires à Dakar et les premiers syndicalistes étudiants. Un certain nombre de points sont déplorés concernant l’enseignement et la recherche en Afrique : on critique tout d’abord la « gestion étrangère » de l’Université, héritage du cadre médical colonial. Est également dénoncé le recours aux assistants techniques, cautionné par les gouvernements africains car ils sont payés par la France. Ce « pouvoir conquérant des cadres étrangers », dans l’enseignement comme dans la recherche [57] conduirait à la pénurie et à l’exil des cadres médicaux africains, selon un intérêt conjoint de la métropole et des gouvernements africains. Les institutions universitaires formeraient peu de médecins et qui plus est, de moindre niveau, freinant notamment les velléités de spécialisation. Les débats structurant cette table ronde reposent sur une ambiguïté caractéristique : les intervenants déplorent une pénurie de médecins spécialistes, tout en dénonçant une structure universitaire trop élitiste et malthusienne, qui serait inadaptée aux réalités et aux besoins de l’Afrique. La définition d’un enseignement supérieur en médecine apparaît tiraillée entre volonté d’excellence et adaptation aux réalités locales.
44Il reste que le Mai 68 sénégalais est un véritable tournant dans l’histoire de l’institution, y compris pour la faculté de médecine : d’abord en ce qu’il consacre l’université comme ferment d’opposition au pouvoir. Par ailleurs, les revendications étudiantes rencontrent un écho dans les réformes à venir, qui vont dans le sens de l’autonomisation.
La réforme de 1970 et l’autonomisation de l’Université
45En effet, l’africanisation de l’université de Dakar est la conséquence directe du bras de fer entre les étudiants et le président Senghor en 1968. Le statut de l’Université est modifié par décret le 13 octobre 1970, avalisé par de nouveaux accords de coopération en 1970 et 1974 : placée désormais sous l’autorité de l’État sénégalais, l’institution acquiert une indépendance effective dans sa structure et son fonctionnement. Par ailleurs, l’africanisation des cadres enseignants s’accélère rapidement. Le système de la validité de plein droit des diplômes avec ceux de la France est supprimé, sauf pour la faculté de médecine –, ce qui n’empêche pas l’africanisation des programmes de cette dernière et la création d’enseignements spécifiques, à l’instar des autres facultés.
46L’année 1968 voit également la création de deux organismes d’importance pour les étudiants en médecine. L’un, régional, le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur), est créé par les chefs d’État de l’OCAM (Organisation commune africaine et malgache) à la suite de la Conférence de Niamey de 1968. Sa mission est d’assurer une coordination des politiques d’enseignement supérieur entre les États africains, la création d’un petit nombre d’établissements d’enseignement supérieur en Afrique francophone dans les années 1960 pouvant donner lieu à une conciliation. Ainsi, il organise le premier concours d’agrégation de médecine à recrutement régional en 1982 à Dakar. Souleymane Mboup, professeur titulaire de bactériologie-virologie à la faculté de médecine de l’Université de Dakar, passe le concours de l’agrégation du CAMES à Brazzaville en 1984, dans la même promotion qu’Awa Marie Coll Seck, actuelle ministre de la Santé qui est la première femme agrégée de médecine du Sénégal. L’autre établissement, national, l’École militaire de Santé de Dakar, est créé en 1968 par Senghor pour former les cadres médicaux de l’armée sénégalaise, ces derniers étant jusque-là formés à l’École de Santé navale de Bordeaux. Recrutés sur concours sur le modèle de cette dernière, les étudiants suivent les enseignements de la faculté de médecine, l’École assurant un encadrement pédagogique et matériel. Par ailleurs, seuls les étudiants de moins de vingt ans sont orientés vers la filière, du fait de la durée des études ; un engagement décennal dans la fonction publique, bientôt prolongé à quinze ans, devient un critère pour obtenir une bourse, tandis que l’École militaire de Santé envoie ses diplômés en milieu rural, dans les zones de désert médical [58].
47La révolte de 1968 débouche donc sur une véritable réforme de l’Université de Dakar, qui va dans le sens d’une autonomie de gestion et d’une « africanisation » – c’est-à-dire d’une adaptation aux besoins locaux, la vocation régionale de l’Université étant réaffirmée. Cependant, malgré une réforme importante du statut de l’Université dès 1970, l’enseignement supérieur en médecine reste durablement marqué par son héritage colonial.
4. La construction universitaire de la médecine, entre promotion individuelle et action sociale
La formation en médecine comme projet national : des étudiants privilégiés
48Si la politique d’africanisation du corps enseignant fait l’objet d’un effort qui se traduit dans les statistiques du rectorat (l’existence d’une entrée spécifique dans chaque annuaire statistique depuis 1969 n’est pas anodine [59]), les enseignants africains ne deviennent majoritaires (à 53,7%) qu’en 1977, toutes facultés confondues.
49L’ancienneté des institutions est évoquée comme argument pour justifier le niveau d’africanisation [60] ; ceci explique les pourcentages plus importants concernant la Faculté de médecine, qui recrute par ailleurs le plus d’enseignants (142 en 1979, soit 40% du total des enseignants des facultés). Ainsi, en 1979, les enseignants en médecine comptent pour 43% de l’effectif total des Africains enseignant à l’Université. Autre spécificité de la Faculté de médecine : ces universitaires sont nombreux aux postes de professeurs et maîtres de conférences (30 enseignants en 1979, soit 80% du total des Africains accédant à ces postes toutes Facultés confondues).
Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD, Dakar) : bulletin des informations statistiques 1979.
Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD, Dakar) : bulletin des informations statistiques 1979.
50Par ailleurs, l’État sénégalais reprend à son compte l’orientation développementaliste de la politique coloniale d’après-guerre en matière d’enseignement supérieur, et fait de la formation des instituteurs et des médecins sa priorité. En 1971, les autorités sénégalaises établissent des « secteurs prioritaires » pour l’attribution des bourses, dans un contexte où ces dernières ont un rôle d’incitation et de sélection : il s’agit de privilégier les formations conduisant à l’enseignement, la filière IUT (de fondation récente) et la filière médecine [61]. Ainsi, en 1979, les étudiants en médecine bénéficient de 45% du total des bourses accordées par la France au titre de la coopération. Dans les années 1967-1973, 60 % des étudiants sénégalais en médecine déclarent percevoir une bourse nationale ou FAC (Fonds d’Aide à la Coopération) dans leur fiche d’inscription ; parmi ceux qui n’en bénéficient pas, la majorité perçoit des revenus provenant d’une autre source. C’est le cas des étudiants à l’École militaire de Santé ou de ceux qui travaillent déjà comme médecins, enseignants ou maîtres d’internat [62]. En outre, les effectifs de la faculté de médecine et de pharmacie, qui avaient augmenté très rapidement dans les premières années d’existence de la faculté, s’accroissent de façon bien moins significative que ceux des facultés de sciences juridiques et économiques et de lettres et sciences humaines dans les années 1970.
51Ces bonnes conditions d’études expliquent la mobilité sociale de ces étudiants : sur 347 Sénégalais inscrits en filière médecine à Dakar entre 1967 et 1976, 42% d’entre eux se déclarent enfants de cultivateur (20%), de commerçant ou d’artisan. Cela étant, on compte également 20% d’enfants de fonctionnaires. Les Sénégalaises sont très peu nombreuses sur les bancs de la faculté de médecine (38 sur 347), et d’origine sociale nettement supérieure. Par exemple, Marie-Louise Correa, inscrite en première année de médecine en 1967-1968 à Dakar, est fille d’un inspecteur adjoint de l’enseignement primaire et d’une secrétaire : ses deux parents travaillent, dont l’un dans la fonction publique. Elle obtiendra plusieurs portefeuilles ministériels dans les années 1990. Ce modèle familial est relativement courant : ainsi, sur ces 38 étudiantes, 10 déclarent avoir leurs deux parents qui travaillent. Les professions enseignante et médicale sont bien représentées : trois d’entre elles ont leurs deux parents inscrits respectivement dans chacune des filières, quatre sont filles d’enseignant(e) et dix d’entre elles sont filles d’un(e) professionnel(le) de santé. Par ailleurs, il y a sept étudiants sénégalais inscrits en 6e année de médecine en 1967-68, dont cinq « médecins africains » diplômés de l’École de médecine entre 1939 et 1950. Ces derniers se sont probablement inscrits à l’université au début des années soixante en vue d’obtenir le titre de docteur, enfin accessible localement.
52Si l’accès local à l’intégralité de la formation universitaire constitue longtemps une spécificité de la Faculté de médecine, une certaine dépendance à la France persiste dans les années 1980 pour la spécialisation : en 1979, seuls trois Certificats d’études spéciales (CES) sont proposés à la Faculté de médecine de Dakar (psychiatrie, ophtalmologie et bactériologie). C’est pourquoi Souleymane Mboup, étudiant de l’École militaire de Santé et détenteur du diplôme d’État de pharmacie de l’Université de Dakar, part à Nantes pour passer le concours de spécialité en bactériologie-virologie en 1978, avant de suivre les enseignements de l’Institut Pasteur de Paris en 1981 : « À l’époque, il fallait faire le concours de spécialité en France […] et passer par Pasteur était obligatoire pour faire une bonne carrière » [63]. Par ailleurs, les revendications des professionnels de santé, qui, tout en comportant des spécificités liées notamment à la place de la médecine dans le développement du pays, rejoignaient celles des étudiants de 1968 à Dakar, perdurent dans les années 1980. Ainsi, le GRASA (Groupe de réflexion et d’action sanitaire appliquée à l’Afrique), publie en 1982 un article dans Présence Africaine qui prend la forme d’une compilation d’expériences de médecins sur le continent africain. Ce groupe, qui se compose « majoritairement de professionnels de santé africains venus en France pour tout ou partie de leur formation », remet en cause la politique sanitaire des pays du continent, et notamment la nature du lien avec la France : « Formés à l’occidentale mais Africains, destinés à travailler en Afrique mais au sein de structures conçues sur le modèle occidental : la prise de conscience de ces paradoxes impose un regard critique » [64].
Vers une « sénégalisation » de l’Université ?
53Si ce « regard critique » persiste dans les années 1980, certaines préoccupations semblent avoir disparu, notamment celles relatives au caractère régional de l’organisation de l’enseignement et de la recherche. Ceci peut s’expliquer en partie par la création et le succès du CAMES, qui est un puissant moteur de coopération interétatique. Cela étant, il semble que la politique de recrutement tende à la sénégalisation de l’Université, bien plus qu’à son africanisation ; ce qui est visible dans la manière dont les chiffres sont transcrits par le bureau des statistiques de l’institution. En effet, si les entrées s’intéressent à l’africanisation du corps enseignant, le détail par faculté comprend une ligne consacrée au personnel de nationalité sénégalaise, qui est systématiquement majoritaire, avec 84% du total des enseignants africains toutes facultés confondues [65].
54Le même souci apparaît pour les étudiants inscrits à l’université : les Africains francophones sont décomptés à partir de 1967-68, ce qui dénote une volonté de marquer la vocation régionale de l’institution [66], en rapport avec les revendications étudiantes de cette période. Pour autant, pour l’année 1978-79, les non Sénégalais (« autres Africains francophones », « Français », « autres nationalités ») sont regroupés et présentés sous forme de pourcentage global, ceci pour mettre en valeur la majorité sénégalaise (76% des étudiants de l’Université). On constate dès lors un changement d’orientation de l’Université : l’enjeu n’est plus de marquer l’africanisation contre la présence française, mais bien de souligner son caractère national, peut-être pour la situer dans le paysage universitaire régional, un grand nombre d’institutions ayant été fondées dans les années 1970 [67].
Statistiques annuelles des inscriptions depuis 1959-1960. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD, Dakar) : bulletin des informations statistiques 1979.
Statistiques annuelles des inscriptions depuis 1959-1960. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD, Dakar) : bulletin des informations statistiques 1979.
55Cependant, une analyse plus précise de la composition du groupe des étudiants inscrits en médecine montre le caractère pluri-national de l’Université de Dakar. En 1978-1979, 37 nationalités différentes sont décomptées en médecine, 21 en pharmacie. Sur un total de 1098 étudiants inscrits en filière médecine, 472 sont sénégalais (43% – soit beaucoup moins que la moyenne de l’institution), 109 sont français (10%). L’autre moitié des inscrits se compose majoritairement de Libanais (10%), de Voltaïques (9%) et de Togolais (5%). Si les Sénégalais inscrits en médecine sont majoritaires à chaque échelon universitaire et jusqu’en 7e année, la faculté de médecine garde en pratique un recrutement international, cette attractivité pouvant s’expliquer, d’après Souleymane Mboup, par la validité de plein droit des diplômes avec la France et le haut niveau qu’avait l’enseignement à une époque décrite comme un âge d’or [68].
56Par ailleurs, depuis 1968 et jusqu’à la démocratisation de la vie politique en 1981, l’Université est un bastion d’opposition au pouvoir, accueillant des groupes et partis clandestins. Après cette date, les partis politiques d’opposition s’affirment sur le campus, à la marge de la faculté de médecine [69]. Alors que les instituteurs continuent de se mobiliser (ils sont par exemple en nombre très important au SUDES – Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal – créé en 1976, qui compte également quelques dizaines d’enseignants du supérieur, majoritairement en Lettres), les médecins ne font plus corps avec ces derniers et restent en dehors de la scène publique.
57Ainsi, dans les premières années d’existence du SAES (Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur, créé en 1985), il y a peu d’enseignants en médecine. Le syndicat, qui émerge dans un contexte d’africanisation accélérée et de possibilités de promotion limitées, est porté essentiellement par des enseignants en lettres et sciences. Dans ce cadre, Falilou Ndiaye, enseignant en lettres comptant parmi les animateurs du comité de lutte du SAES en 1989, décrit cette année comme une véritable tournant. À l’initiative du SAES, la grève porte notamment sur la revalorisation de la fonction enseignante et son alignement sur les grands corps de l’État :
Je me souviens, c’est le jour où la fac de médecine est tombée qu’on a atteint le sommet. […] Au bout de deux semaines, nous sommes allés faire une grande assemblée en fac de médecine, parler à nos collègues médecins. Et nous avons affronté, tous les cadres du syndicat ont affronté les grands mandarins de médecine ! Je me souviens que le doyen de médecine, le matin à 8 heures, quand on a fait les piquets de grève, a pensé pouvoir nous interdire d’entrer dans la faculté. [70]
59À la suite de cette assemblée, le ralliement en grande majorité des collègues de médecine est ressenti comme une victoire importante pour le syndicat, car il signifie que toute l’Université est dorénavant mobilisée. Falilou Ndiaye conçoit ainsi l’année 1989 comme « la première année où l’on acquière une identité professionnelle et institutionnelle » [71]. Dès lors, à travers le SAES apparaît un sentiment d’appartenance à un groupe, celui des universitaires, unis par les mêmes revendications de reconnaissance sociale et de réforme de l’institution (avec notamment la question de l’africanisation des programmes).
« Mandarin ou pionnier » ? Le legs colonial dans la perception de soi
60En effet, l’héritage colonial reste durablement un support de revendications. Dans une compilation d’interventions sur l’éducation sanitaire en Afrique [72], une Sénégalaise qui a fait ses études à Dakar, tout en fustigeant la politique contraignante de l’Université, fait, comme en 1968, le lien entre l’élitisme de ses confrères et la validité de plein droit des diplômes sénégalais avec ceux délivrés en France. Selon elle, cette « formation à l’occidentale, orientée vers la promotion sociale », qui privilégie la « vanité » au « souci d’efficacité », expliquerait leur « insensibilité à une situation sanitaire trop souvent désastreuse » [73] en les poussant à la spécialisation – inutile eu égard aux besoins de la population – et l’expatriation. Un médecin généraliste français en Afrique francophone va dans le même sens que cette intervenante : dénonçant l’inadaptation de la formation universitaire en Afrique aux réalités locales, notamment du fait de la durée des études, il juge que « l’acquisition d’une qualification est le plus souvent envisagée d’abord sous l’angle de la promotion sociale, rendant impossible l’identification ultérieure à [la] communauté d’origine » et produisant une « inadaptation psychologique » [74]. Ce médecin reprend inconsciemment un argumentaire colonial qui justifiait initialement l’absence d’établissement d’enseignement supérieur, la formation d’une élite lettrée constituant d’après les colonisateurs un danger de déracinement, de divorce avec la culture « traditionnelle » ; c’est précisément contre cet argumentaire que se sont battus les « médecins africains ».
61Ainsi, la présentation de cette alternative entre une « médecine savante » et une « médecine réaliste » [75] rejoint l’ambiguïté fondamentale des revendications du corps des professionnels de santé déjà exprimée quinze ans plus tôt : faut-il promouvoir la formation d’une élite universitaire au niveau compétitif, capable de rivaliser avec les Européens et de mener une recherche autonome, ou bien revenir à la formation de cadres polyvalents adaptés aux besoins sanitaires locaux ? Ces deux options rejoignent chacune à sa façon les tensions ayant structuré la politique coloniale en matière d’enseignement supérieur : d’une part, la formation accélérée de cadres africains qui soient les agents du développement des colonies, d’autre part, la politique d’assimilation et d’alignement sur le modèle métropolitain, revendiquée par les premières générations d’étudiants.
62L’enjeu est bien, pour ces générations d’étudiants postindépendance, de faire le choix entre devenir « mandarin ou pionnier », selon l’expression d’Amadou Booker Sadji, ancien étudiant puis enseignant à l’université de Dakar [76] : un « mandarin » qui, mû par des stratégies personnelles de réussite, s’isole du reste de la population, ou un « pionnier » qui, conscient de son statut privilégié, a pour unique motivation de se mettre au service de la construction de la nation et du développement. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la médecine, filière qui, tout en formant très tôt une partie de l’élite scolarisée coloniale, a partie liée avec les besoins en développement.
63Cette ambiguïté se révèle ainsi à l’échelle des acteurs, chacun d’eux ayant individuellement ce dilemme à résoudre. Ainsi, lors de notre entretien, Souleymane Mboup pose lui-même spontanément la question du départ : « Pourquoi suis-je resté au Sénégal ? On m’a beaucoup posé la question autour de moi ». Son parcours d’excellence ainsi que ses importantes découvertes sur le plan médical (il isole le virus du VIH2 en 1985) lui ont offert de nombreuses possibilités d’expatriation vers des institutions prestigieuses. Pour expliquer son choix, il invoque un double attachement vis-à-vis du Sénégal et de l’Afrique, et termine ainsi : « Tout n’est pas rose mais tout n’est pas mauvais, on peut faire des choses ici et les faire reconnaître au plan mondial ». Initiateur d’un ambitieux projet d’Institut de recherche et de formation, l’Iressef (Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation), Souleymane Mboup dévoile un parcours à la croisée de la promotion individuelle et de l’action sociale.
Conclusion
64Du fait de la composition du milieu universitaire et de sa structure calquée sur les établissements de l’ancienne métropole, l’Université de Dakar est une « structure extrinsèque [77] » dans la société sénégalaise ; elle l’est également car elle constitue rapidement un espace de revendications et de dénonciation des politiques des nouveaux États et du rapport à la France. Ainsi l’histoire institutionnelle de l’Université de Dakar est-elle intimement liée à l’histoire des acteurs de cette institution, d’abord en ce qu’elle définit « l’espace du possible » [78] pour ces derniers, ensuite parce qu’ils sont une force motrice de son autonomisation.
65Les médecins constituent une catégorie d’étudiants très tôt formée par le colonisateur, tout comme les instituteurs. Issus comme ces derniers de la même École William-Ponty avant d’intégrer l’École de médecine, ils se joignent à eux dans l’élaboration d’un discours sur soi dans la période des années 1940, et sont très présents dans les luttes corporatistes de la décennie suivante. L’objectif est alors pour les Pontins d’obtenir la reconnaissance de leur qualité, par l’accès aux mêmes formations et aux mêmes postes que leurs homologues européens. Dans le nouveau contexte des indépendances, le rôle joué par l’Éducation nationale française dans les anciennes colonies, qui correspondait aux aspirations des étudiants africains de la décennie précédente, devient rapidement plus ambiguë. Tandis que les institutions de formation, sous la pression des revendications étudiantes, vont dans le sens d’une africanisation, voire d’une nationalisation, les étudiants en médecine se détournent de la lutte. Privilégiés par la politique développementaliste de l’État colonial puis national, qui leur garantit le financement de leurs études et des débouchés professionnels, pourvus grâce à l’ancienneté de la formation de bien davantage d’enseignants africains que dans les autres facultés, ils semblent se détacher de la prise de parole politique.
66Les enseignants en médecine rejoignent cependant la lutte syndicale en 1989, et permettent par là-même l’élaboration d’une définition commune de ce que doit être l’institution et la figure de l’universitaire au Sénégal. En outre, certains médecins sénégalais se positionnent depuis la France, en adoptant un discours sur la réforme de l’enseignement en médecine marqué par deux exigences contradictoires : l’accès à la spécialisation et l’adaptation aux besoins de la société locale. Cette ambiguïté est spécifique à la discipline, reprenant dès le xixe siècle les débats engagés en France sur son enseignement, et aboutissant à mettre en place, pendant près d’un siècle, une médecine à deux vitesses. Une telle ambiguïté s’inscrit aussi, plus largement, dans un dilemme durable qui touche les universités du continent africain sur la définition des objectifs de l’institution – dilemme lui-même hérité de la politique coloniale – entre fabrique d’une élite et aide au développement.
Notes
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[1]
Médecin militaire (ancien élève de l’École principale du Service de Santé de la Marine, communément connue sous le nom de « Santé navale » – école chargée d’assurer la formation des médecins et pharmaciens de la Marine et des Colonies) tout comme Aristide Le Dantec, il a notamment été professeur à l’École de médecine de Hanoï, dont il est nommé doyen en 1946, puis recteur de l’Université d’Abidjan de 1964 à 1966.
-
[2]
Pierre Huard, « Nécrologie – Ary Le Dantec », La Presse médicale, n° 31, 24 juin 1967, p. 1621-1622.
-
[3]
En ce qui concerne les enseignants en AOF, voir les travaux de Jean-Hervé Jézéquel, dont notamment, pour la création et l’organisation de l’enseignement : « Grammaire de la distinction coloniale. L’organisation des cadres de l’enseignement en Afrique occidentale française (1903 – fin des années 1930) », Genèses, n° 69, 2007/4, p. 4-25 ; pour le rôle des enseignants d’AOF dans l’animation et l’encadrement des luttes politiques menant aux décolonisations : « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-45). Des ‘meneurs de galopins’ dans l’arène politique », Cahiers d’études africaines, 178, 2005, p. 519-543.
-
[4]
Françoise Blum, « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 59, 2012/2, p. 144-177.
-
[5]
Mamadou Diouf, « Les intellectuels et l’État au Sénégal : la quête d’un paradigme », in Mamadou Diouf et Mahmood Mamdani, Liberté académique en Afrique, Dakar, CODESRIA, 1993, p. 254.
-
[6]
La création de l’École de médecine en 1918 est un repère systématiquement évoqué dans l’historique de la création de l’Université, que ce soit par les acteurs (voir par exemple la citation de Pierre Huard supra) ou par l’institution (voir l’historique présenté sur le site de l’UCAD – Université Cheikh Anta Diop : https://www.ucad.sn/).
-
[7]
Cinq entretiens ont été faits entre octobre et novembre 2015 avec des docteurs en médecine, et deux entretiens en mars 2017 auprès de militants du SAES (Syndicat autonome de l’Enseignement supérieur). L’étude repose également sur la consultation des archives des associations étudiantes et du bureau des statistiques au rectorat de l’UCAD.
-
[8]
Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.
-
[9]
Alice L. Conklin, Mission to Civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, Stanford University Press, 1997.
-
[10]
Hubert Lyautey, Paroles d’action, Armand Colin, Paris, 1927, p. 443.
-
[11]
Voir Paul Doury, «Lyautey et la médecine», Histoire des Sciences médicales, t. XXXV, n° 3, 2001, p. 305-315.
-
[12]
Dont notamment l’École normale William-Ponty, créée en 1903 et réorganisée en profondeur par diversification des filières en 1921 ; puis, outre l’École de médecine créée en 1918, citons l’École normale des institutrices de Rufisque, créée en 1938. Sur ces deux établissements, voir Jean-Hervé Jézéquel, « Les ‘mangeurs de craies’ : socio-histoire d’une catégorie lettrée à l’époque coloniale : les instituteurs diplômés de l’école normale William-Ponty (c.1900-c.1960) », thèse d’histoire, Paris, EHESS, 2002 ; Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.
-
[13]
Aimée Grimaud, « Les médecins africains en AOF : étude socio historique sur la formation d’une élite coloniale », mémoire de maîtrise, sous la dir. d’Abdoulaye Bathily, Université de Dakar, 1979.
-
[14]
Ainsi, une École de médecine est fondée à Alger en 1857, à Pondichéry en 1863, à Tananarive en 1896. L’École de médecine de Hanoï, fondée en 1902 (Le Dantec y fut chargé de cours avant de fonder l’école de médecine de Dakar) est intégrée à l’université lors de sa création en 1917. La même année est créée une filière doctorale de 5 ans. En 1933, l’école est transformée en faculté délivrant le diplôme de docteur d’État et offrant un concours d’internat. Voir Laurence Monnais, « Paradoxes d’une médicalisation coloniale. La professionnalisation du ‘médecin indochinois’ au xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 143, 2002, p. 36-43.
-
[15]
Notamment en ce qui concerne l’Afrique anglophone : voir en particulier John Iliffe, East African Doctors. A history of Modern Profession, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; l’ouvrage de Carol Sicherman, Becoming an African University. Makerere 1922-2000, Trenton, Africa World Press, 2005, comprend un chapitre consacré à l’école de médecine. Pour Madagascar, voir E.R. Brygoo, « Les débuts de l’enseignement médical à Madagascar. Un siècle d’expérience », Bulletin de l’Académie Malgache, n° 49, 1971, p. 55-128 ; pour l’Indochine, voir Laurence Monnais, « Paradoxes d’une médicalisation coloniale. La professionnalisation du ‘médecin indochinois’ au xxe siècle », art. cit.
-
[16]
Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Les ‘mangeurs de craie’ : socio-histoire d’une catégorie lettrée à l’époque coloniale », op. cit.
-
[17]
Aristide Le Dantec, L’enseignement médical dans les colonies françaises, Marseille, Barlatier, 1923.
-
[18]
Jules Carde, Instruction relative à l’orientation et au développement des services d’Assistance Médicale, Gouvernement général de l’AOF, Gorée, 1926, p. 10.
-
[19]
Cette notion, qui prend sa source dans la pensée républicaine du xixe siècle, renvoie à l’application intégrale des lois françaises aux colonies, à une centralisation administrative et plus globalement à une œuvre de transformation sociale et culturelle du colonisé à l’image du colonisateur.
-
[20]
Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923, p. 94.
-
[21]
Laurence Monnais, art. cit.
-
[22]
Ces distinctions se retrouvent chez les instituteurs qui relèvent du cadre local dont les revirements de l’administration coloniale dans son organisation, analysés en détail par Jean-Hervé Jézéquel, traduisent les tensions qui entourent la définition du statut des élites lettrées. Voir Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.
-
[23]
Harry Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », Histoire de l’éducation, n° 128, 2010, p. 129-162.
-
[24]
John Iliffe le décrit également dans le cas des docteurs d’Afrique de l’Est britannique, l’école de médecine de Makerere ne délivrant qu’un certificat d’études reléguant ses lauréats en « medical assistants ». John Iliffe, op. cit.
-
[25]
Aimée Grimaud, op. cit.
-
[26]
Comme « Rôle des médecins et sages-femmes auxiliaires de l’AOF dans l’assistance médicale indigène » Bulletin de l’enseignement de l’AOF, 84, 1893 ; ou encore « Sur l’éducation des femmes africaines », L’Éducation africaine, 101, 1938.
-
[27]
Jean-Hervé Jézéquel, « Les enseignants comme élite politique en AOF (1930-1945) », art. cit. La mention de plusieurs médecins dans cet article consacré aux enseignants est significative de la proximité de ces deux groupes professionnels.
-
[28]
Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction », art. cit.
-
[29]
Voir Harry Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », art. cit.
-
[30]
Lettre datée du 3 avril 1947, citée dans Jean Capelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances (1946-1958), Paris, Karthala, 1990, p. 40-41.
-
[31]
Voir le témoignage d’Amady Aly Dieng, Mémoires d’un étudiant africain, Dakar, CODESRIA, 2011, tome 1, p. 59.
-
[32]
Ibid., p. 35.
-
[33]
Voir les chiffres fournis par André Bailleul, « L’Université de Dakar, institution et fonctionnement », thèse de doctorat d’État en droit, Université de Dakar, 1984, p. 46.
-
[34]
Amady Aly Dieng, Mémoires d’un étudiant africain, op. cit., p. 57-59.
-
[35]
Dakar-Étudiant, mars 1956, archives du rectorat de l’UCAD.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Moustapha Diallo, introduction au numéro spécial de Dakar-Étudiant.
-
[38]
Obid., Moustapha Diallo, conclusions.
-
[39]
Sur cette dernière association, voir notamment : Charles Diané, La Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et les grandes heures du mouvement syndical étudiant noir, Paris, Chaka, 1990 ; Amady Aly Dieng, Les premiers pas de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), 1950-1955, Paris, L’Harmattan, 2003.
-
[40]
André Bailleul, « L’Université de Dakar », op. cit., p. 2.
-
[41]
Selon l’expression du premier recteur de l’Université, Lucien Paye, lors de son discours d’inauguration. Cité par André Bailleul, ibid., p. 54.
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[42]
Nos italiques. Cité par André Bailleul, op. cit., p. 54.
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[43]
André Bailleul, op. cit., p. 114.
-
[44]
Dakar Étudiant, n° 3, 1963 ; Archives du rectorat, (UCAD, Dakar), 1B98.
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[45]
Archives du rectorat de l’UCAD, 1BG98, note à l’attention du recteur par J. Blanchard, directeur du Centre Universitaire d’Information, 22 octobre 1960.
-
[46]
Sur le Mai 68 dakarois, voir notamment : Abdoulaye Bathily, Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie, Paris, Chaka, 1992 ; Pascal Bianchini, « Le mouvement étudiant sénégalais : un essai d’interprétation » in Momar Coumba Diop (dir.), La société sénégalaise entre le local et le global, Paris, Karthala, 2002, p. 359-395 ; Françoise Blum, « Sénégal 1968 : révolte étudiante et grève générale », art. cit. ; Omar Gueye, « Mai 68 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical », thèse d’histoire, Amsterdam Institute for Social Science Research (AISSR), 2014 ; Ibrahima Thioub, « Le mouvement étudiant de Dakar et la vie politique sénégalaise : la marche vers la crise de mai-juin 1968 », in Les jeunes en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1992, vol. 2, p. 267-281.
-
[47]
Ainsi, la part du Sénégal dans les dépenses de fonctionnement est passée de 15 % en 1965 à 22,5 % en 1967-68, alors que les ressources de l’État sénégalais n’ont pas suivi l’augmentation des étudiants. A. Bailleul, op. cit., p. 118.
-
[48]
Nos italiques. Cité par Françoise Blum, art. cit.
-
[49]
On compte à l’époque 1 523 assistants techniques au Sénégal (dont 69 % d’enseignants). André Labrousse, La France et l’aide à l’éducation dans 14 États africains et malgache, Paris, Unesco, Institut international de planification de l’éducation, 1971, p. 111, cité par Françoise Blum, art. cit.
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[50]
Françoise Blum remarque à ce titre une similitude dans la sociologie universitaire de la grève avec le Mai français, Françoise Blum, art. cit. Voir également Omar Gueye, op. cit., p. 12.
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[51]
Omar Gueye, op. cit., p. 79.
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[52]
Ibid., p. 85.
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[53]
Voir les chiffres fournis par André Bailleul en annexe de sa thèse (« L’Université de Dakar », op. cit.), pour la période 1948-1960 ; et les chiffres du bulletin des informations statistiques 1979 pour la période 1967-1979 (archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCDA, Dakar).
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[54]
ll y a cependant des exceptions, parmi lesquelles Dialo Diop, qui est une figure importante du militantisme étudiant des années 1970. Il est exclu de la faculté par décret présidentiel en 1977.
-
[55]
Le compte-rendu de cette table ronde a été publié dans la revue Présence Africaine, « Table ronde sur la médecine en Afrique noire. Pratique – recherche – enseignement », n° 69, 1969/1.
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[56]
Parmi les intervenants présentés, qui comptent plusieurs Sénégalais, le seul médecin installé sur le continent est Ibrahima Niang, assistant à la faculté de médecine de Dakar.
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[57]
Le psychiatre Seydou Norou N’Diaye évoque l’anecdote, décrite comme célèbre, d’un confrère nomméWane qui, après ses études en France, a travaillé à l’Institut Pasteur de Dakar, puis est nommé directeur du Centre de transfusion de l’Institut. Le poste lui est finalement enlevé pour « [être] confi[é] à un professeur européen sans aucune raison ».
-
[58]
GRASA (Groupe de réflexion et d’action sanitaire appliquée à l’Afrique), « Pour une éducation sanitaire en Afrique », Présence Africaine, n° 124, 1982/4, p. 31.
-
[59]
Voir tableau infra. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCAD : bulletin des informations statistiques 1979, Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979.
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[60]
Voir note 1 du tableau « Africanisation du corps enseignant de 1970 à 1979 », ibid.
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[61]
Archives du rectorat de l’UCAD, lettre de René Blanchard, délégué du Fonds d’Aide à la Coopération, au ministre de l’Éducation nationale, 16 juillet 1971.
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[62]
Informations issues de la base de données de 347 noms établie à partir des fiches d’inscription des Sénégalais en filière médecine à l’université de Dakar, années 1967-1976.
-
[63]
Entretien de Souleymane Mboup, octobre 2015.
-
[64]
GRASA, « Pour une éducation sanitaire en Afrique », art. cit., p. 28.
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[65]
Sur ce plan, la faculté de médecine est dans la moyenne. Archives du bureau des statistiques, rectorat de l’UCAD : statistiques effectuées à partir du bulletin des informations statistiques 1979, africanisation du corps enseignant des facultés, janvier 1979.
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[66]
Voir figure 3. Aucun étudiant africain non sénégalais n’est compté avant 1967-68, les Français occupant une place très importante (74% en 1966-67, contre 26% de Sénégalais). En 1967-68, les Français ne sont plus que 28%, les étudiants africains non sénégalais étant subitement majoritaires (38%, contre 32% de Sénégalais). Ceci pourrait indiquer un accent particulier mis par les statisticiens du rectorat sur l’africanisation du milieu étudiant par contraste avec les chiffres donnés pour la période précédant 1967-1968, en rapport là encore avec les revendications de l’époque ; cela étant dit, il y a bien une fuite massive des étudiants français à partir de 1968.
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[67]
Par exemple, l’École de médecine de Lomé, au Togo (1970), l’Université du Dahomey (1970), l’École des Sciences de la Santé à Niamey, au Niger (1974).
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[68]
Ce dernier affirme qu’« à l’époque, l’université avait le même niveau qu’en France », avec beaucoup de moyens et une exigence d’excellence. Entretien de Souleymane Mboup, 16 octobre 2015.
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[69]
Falilou Ndiaye relève trois leaders de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale en faculté des Lettres, deux à la faculté de Droit et un à la Faculté de Sciences Économiques et de Gestion ; aucun n’est mentionné pour la faculté de Médecine. Pour plus de détails sur cette période importante dans l’histoire de la mobilisation universitaire, voir Falilou Ndiaye, « La condition des universitaires sénégalais », in Yann Lebeau et Mobalaji Ogunsanya (dir.), The Dilemma of Postcolonial Universities, Ibadan, IFRA, 2015, p. 169-207.
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[70]
Entretien avec Falilou Ndiaye, mars 2017.
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[71]
Ibid.
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[72]
GRASA, « Pour une éducation sanitaire en Afrique », art. cit.
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[73]
Ibid., p. 32-33.
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[74]
Ibid., p. 44.
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[75]
Ibid., p. 32.
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[76]
Amadou Booker Sadji, Le rôle de la génération charnière ouest-africaine : indépendance et développement, Paris, L’Harmattan, 2006.
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[77]
André Bailleul, op. cit.
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[78]
Jean-Hervé Jézéquel, « Grammaire de la distinction coloniale », art. cit.