Notes
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[1]
J’exprime ma grande reconnaissace à Olivier Bramanti et àYvan Alagbé d’avoir bien voulu discuter de leur travail avec moi et pour leur généreuse autorisation à reproduire ici des images de leur album.
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[2]
Olivier Bramanti (art) et Yvan Alagbé (scénario), Qui a connu le feu/Who has known fire, trad. Laura Leeson, Montreuil, Frémok, 2004.
-
[3]
Au Dahomey : Combats de Dogba et d’Akpa, Pellerin & cie., n°. 191, sans date.
-
[4]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs : Les productions artistiques du Dahomey (Bénin) : Fonctions et devenirs : Réflexions, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 28. Son premier chapitre (p. 11-69), « De la chute du roi Béhanzin et de ce qu’il advint du butin », m’a été très utile.
-
[5]
Ibid., p. 24, 27. Marie-Michèle Biton reproduit cette image de Toffa (p. 26).
-
[6]
La même image de Béhanzin se trouve sur une autre image d’Épinal de Pellerin (n° 142) intitulée « Au Dahomey : Amazones & guerriers », reproduite sur la première de couverture, dans Ibrahima Baba Kaké, Mémoire de l’Afrique: Les batailles célèbres, Paris, ABC, 1976. La quatrième de couverture du même livre reproduit encore une autre image d’Épinal de Pellerin (n° 244) qui représente Béhanzin et son armée, « Combats au Dahomey : Amazones & guerriers ».
-
[7]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 24-27.
-
[8]
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1995, p. 148.
-
[9]
Voir, par exemple, les images de Béhanzin et de la conquête française dans les cartes postales et les pages de périodiques reproduites au début et à la fin de Hélène Joubert et Gaëlle Beaujean-Baltzer (dir.), Béhanzin, le roi d’Abomey, Paris, Musée du quai Branly/Cotonou, Fondation Zinsou, 2006. Voir aussi l’imagerie reproduite dans Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., qui décrit l’importance de cette production (p. 50, 52, 65).
-
[10]
Sylvie Chalaye, « Spectacles, théâtre et colonies (1870-1914) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel (dir.), Culture coloniale en France de la Révolution française à nos jours, préf. Gilles Boëtsch, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 145.
-
[11]
Ibid., p. 146 ; voir aussi Jan Nederveen Pieterse, White on Black : Images of Africa and Blacks in Western Popular Culture, New Haven, Yale University Press, 1992, p. 80.
-
[12]
Sylvie Chalaye, « Spectacles, théâtre et colonies… », op. cit., p. 145.
-
[13]
Ibid. ; voir aussi Véronique Campion-Vincent, « L’image du Dahomey dans la presse française (1890-5) : Les sacrifices humains », Cahiers d’études africaines, vol. 7, n° 25, 1967, p. 27-58.
-
[14]
Nederveen Pieterse, White on Black…, op. cit., p. 96.
-
[15]
Paul-Émile Cadilhac, « L’heure du ballet », L’illustration, n° 4616, 22 août 1931, Voir Sandrine Lemaire, « Propager : l’Agence générale des colonies (1920-1931) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel, Culture coloniale en France de la Révolution française à nos jours, préf. Gilles Boëtsch, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 202.
-
[16]
Pierre Paraf, « Le songe des jours d’été », Exposition coloniale internationale de Paris 1931, deuxième édition, album hors-série de L’illustration, n.p.
-
[17]
Ch. de la Roncière, « Trois siècles d’histoire », L’illustration, n°. 4852, 29 février 1936, p. 256.
-
[18]
Claude Liauzu et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies : Colonisation et culture populaire de 1830 à nos jours, Paris, Syllepse, 2002, p. 49, 90.
-
[19]
Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies… : Anthologie de chansons coloniales et exotiques françaises, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 359-361.
-
[20]
Ibid., p. 120.
-
[21]
Ibid., p. 118-119.
-
[22]
Claude Liauzu et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies…, op. cit., p. 41 ; voir aussi les p. 49-51, 86, 136.
-
[23]
Cf. la représentation de Béhanzin dans la production littéraire des Antilles, par exemple dans Maryse Condé, Les derniers rois mages, Paris, Mercure de France, 1992; Édouard Glissant, Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994, p. 247; Ibid., La case du commandeur, Paris, Gallimard, 1997; Ibid., Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, p. 18, 246.
-
[24]
Robert Cornevin, Histoire du Dahomey, Paris, Berger-Levrault, 1962, p. 134.
-
[25]
François Bourgeon, Les passagers du vent, t. 4 : L’heure du serpent, Tournai, Casterman, 1994 ; [première éd. 1982]. Là-dessus, voir Michel Thiebaut, Les chantiers d’une aventure Autour des Passagers du vent de François Bourgeon, Tournai, Casterman, 1994 ; Philippe Delisle, « La traite négrière, l’Europe et l’Église catholique dans la bande dessinée “francobelge”, des années 1940 aux années 1980 », Histoire, monde et cultures religieuses, vol. 3, n°. 15, 2010, p. 187-202 ; et Philippe Delisle, Tintin et Spirou contre les négriers : La BD franco-belge : Une littérature antiesclavagiste ?, Paris, Karthala, 2013, p. 164-176.
-
[26]
Sur les choix de Bourgeon pour représenter ce passage, voir Michel Thiebaut, Les chantiers d’une aventure …, op. cit., p. 64-66.
-
[27]
Véronique Campion-Vincent, « L’image du Dahomey dans la presse française… », art. cit. ; Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 52.
-
[28]
On trouve aussi une justification a postiori chez Cornevin (p. 360) : « Ajoutons que les survivants d’Alésia furent distribués comme esclaves à l’armée romaine alors qu’au Danhomé l’installation française correspond au contraire à la libération de milliers d’esclaves et à la fin des sacrifices humains ». Paulin J. Hountondji critique cette violence inacceptable de Béhanzin tout en analysant son utilité comme justification de l’impérialisme français ; Paulin J. Hountondji, « Gbêhanzin côté cour, côté jardin », dans Hélène Joubert et Gaëlle Beaujean-Baltzer, (dir.), Béhanzin, le roi d’Abomey, Paris, Musée du quai Branly, Cotonou, Fondation Zinsou, 2006, p. 48-60.
-
[29]
Laurent Galandon (scénario) et Stefano Casini (dessin), La Vénus du Dahomey, t. 1, La civilisation hostile, Paris, Dargaud, 2011 ; Laurent Galandon (scénario) et Stefano Casini (dessin), La Vénus du Dahomey, t. 2, Le dernier combat, Paris, Dargaud, 2012.
-
[30]
Serge Saint-Michel (scénario) et Jean-Marie Ruffieux (dessin), Once Upon a Time… Africa, Paris, Afrique Biblio Club, 1982.
-
[31]
Ibid., 29.
-
[32]
Un autre album dans la même série est consacré à l’histoire du Cameroun, et particulièrement à Ahidjo, Serge Saint-Michel (scénario) et Philippe Sternies (dessin), The History of Cameroon : Once Upon A Time… Ahidjo, Paris, Afrique Biblio Club, 1980.
-
[33]
Serge Saint-Michel (scénario) et René Le Honzec (dessin), Histoire des troupes de Marine, vol. 2 (1871-1931) : Les bâtisseurs d’empire, Paris, Mémoire d’Europe/Crépin-Leblond, 1994, p. 19-20 ; Philippe Glogowski (dessin) et Marien Puisaye [pseud. Guy Lehideux] (scénario), La Légion : Histoire de la Légion étrangère, 1831-1918, vol. 1 : Camerone, préf. Yann Péron, Paris, Éditions du Triomphe, 2002, p. 31-33.
-
[34]
Thierry Smolderen, « Graphic novel/roman graphique : La construction d’un nouveau genre littéraire », Neuvième art, n° 12, 2006, p. 11-18.
-
[35]
Bart Beaty, « Amok’s Culture of Excellence », The Comics Journal, n° 209, décembre 1998, p. 19-23 ; Bart Beaty, Unpopular Culture : Transforming the European Comic Book in the 1990s, Toronto, University of Toronto Press, 2007.
-
[36]
Sur Oubapo, voir, par exemple, Oupus, Paris, L’Association, 1997, n° 1.
-
[37]
Ann Miller, Reading Bande dessinée : Critical Approaches to French-Language Comic Strip, Bristol, Intellect, 2007, p. 18.
-
[38]
Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 71-73 ; Benoît Peeters, Lire la bande dessinée, Paris, Flammarion, 2002, p. 24-32.
-
[39]
Mikhaïl M. Bakhtin, The Dialogic Imagination : Four Essays, éd. Michael Holquist, trad. Caryl Emerson et Michael Holquist, Austin, University of Texas Press, 1990.
-
[40]
Timothy Brennan, « The National Longing for Form », Homi K. Bhabha (dir.), Nation and Narration, New York, Routledge, 1993, p. 50-51, 54-56.
-
[41]
Guy Gauthier, « De l’imagerie d’une époque à sa représentation aujourd’hui », dans Odette Mitterrand et Gilles Ciment (dir.), L’histoire… par la bande : Bande dessinée, histoire et pédagogie, Paris, Ministère de la jeunesse et des sports, Syros, 1993, p. 55-61.
-
[42]
Ibid., p. 58.
-
[43]
Ibid., p. 61.
-
[44]
Pierre Fresnault-Deruelle, « L’effet d’histoire », dans Jean-Claude Faur (dir.), Histoire et bande dessinée : Actes du deuxième Colloque international éducation et bande dessinée, La Roque d’Antheron, 16-17 février 1979, La Roque d’Antheron/Objectif Promo-Durance, Colloque international Éducation et Bande dessinée, 1979, p. 98-104 ; voir aussi Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée …, op. cit., p. 67.
-
[45]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu/Who has known fire, op. cit., p. 7, 10, 53-55.
-
[46]
Ibid., p. 14.
-
[47]
Ibid., p. 27.
-
[48]
Ibid., p. 39.
-
[49]
Ibid., p. 40.
-
[50]
Ibid., p. 53.
-
[51]
Ibid., p. 36.
-
[52]
Ibid., p. 38.
-
[53]
Ibid., p. 9.
-
[54]
Ibid., p. 44, 46.
-
[55]
Ibid., p. 46, 49.
-
[56]
Ibid., p. 45, 47.
-
[57]
Ibid., p. 48.
-
[58]
Ibid., p. 9 ; voir p. 10.
-
[59]
Ibid., p. 18, 46.
-
[60]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit, p. 20, 22.
-
[61]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 4 ; Alagbé spécifie que l’édition dont il tire l’extrait est la première (« in Kondo le Requin, Jean Pliya, éd. du Bénin, 1964 ») ; voir Jean Pliya, Kondo le requin, Yaoundé, Éditions Clé, 1981.
-
[62]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 40-43.
-
[63]
Ibid., p. 43. Aux pages suivantes, elle donne force détails sur les pillages, y compris ceux du général Dodds lui-même ; sur l’utilité politique de ce butin, Ibid., p. 57.
-
[64]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 5.
-
[65]
Ibid., p. 5.
-
[66]
Panivong Norindr, Phantasmatic Indochina : French Colonial Ideology in Architecture, Film and Literature, Durham, Duke University Press, 1996.
-
[67]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5. Luis Vaz de Camões, The Lusíads, trad. Landeg White, Oxford, Oxford University Press, 1997.
-
[68]
Luis Vaz de Camões, The Lusíads, op. cit., p. 100 (canto 5, strophes x-xiii).
-
[69]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 28.
-
[70]
Ibid., p. 6-7.
-
[71]
Ibid., p. 6.
-
[72]
Ibid., p. 7.
-
[73]
Ibid., p. 6-7.
-
[74]
Ibid., p. 7.
-
[75]
Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944-50 : La IVe République et la mise au pas des colonies françaises, préf. François Maspero, Paris, La Découverte, 2001, deuxième éd.
-
[76]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 8.
-
[77]
Ibid., p. 8-9.
-
[78]
Ibid., p. 9.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid., p. 14.
-
[81]
Ibid., p. 15.
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[82]
Cf. les cartes des xve et xvie siècles dans un ouvrage que Bramanti et Alagbé ont consulté : Michel Chandeigne (dir.), Lisbonne hors les murs : 1415-1580 : L’invention du monde par les navigateurs portugais, Paris, Autrement, 1990, p. 81-88. Certains dessins sur cette double page (Bramanti et Alagbé, p. 16-17) ont très probablement été inspirés par des éléments sur ces cartes, y compris le voilier avec la croix et le monstre mythique, mi-humain mi-léopard. Sur un emprunt textuel à ce livre, voir ci-dessous.
-
[83]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 16-17.
-
[84]
Ibid., p. 20.
-
[85]
Ibid., p. 5.
-
[86]
Ibid., p. 20-6.
-
[87]
Michel Chandeigne (dir.), Lisbonne hors les murs : 1415-1580 …, op. cit., p. 221.
-
[88]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 22.
-
[89]
Ibid., p. 25.
-
[90]
Ibid., p. 22.
-
[91]
Ibid., p. 8.
-
[92]
Ibid., p. 28-32 ; Alagbé semble avoir emprunté ici le titre d’une pièce de Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton, 1985.
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[93]
Un autre modèle est bien sûr le discours d’adieu de Béhanzin, rapporté dans la pièce de Pliya. Sur ce discours, voir Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 58, 62.
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[94]
Le rapport imaginé entre les Juifs victimes de la Shoah et les Africains victimes de la traite pourrait passer ici à travers l’Inquisition et l’exil forcé des Juifs de la péninsule ibérique.
-
[95]
Fabrice Leroy, Sfar So Far : Identity, History, Fantasy and Mimesis in Joann Sfar’s Graphic Novels, Leuven, Leuven University Press, 2014, p. 98-121.
-
[96]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5. Fernando Pessoa, Message :Bilingual Edition, intro. Helder Macedo, trad. Jonathan Griffin, Londres, Menard Press, King’s College London, 1992.
-
[97]
Bart Beaty, Unpopular Culture : Transforming the European Comic Book …, op. cit., p. 70-110. La répartition des paroles dans les bulles ne respecte pas toujours les unités grammaticales, produisant ainsi un équivalent en bande dessinée de l’enjambement en poésie.
-
[98]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5.
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[99]
Fernando Pessoa, Message …, op. cit., p. 70.
-
[100]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 29, 31.
-
[101]
Ibid., p. 34.
-
[102]
Ibid., p. 54-55.
1Quelle est la place de l’histoire coloniale française [1] dans la bande dessinée ? Comment se situe celle-ci par rapport à l’iconographie et à la littérature européennes marquées par le colonialisme ? La situation est complexe et changeante, et le champ est large, car le colonialisme apparaît dans la bande dessinée depuis ses débuts, et, après une diminution importante dans la période qui suit les indépendances, ce thème est revenu en force à partir des années 1970 pour devenir très répandu dans la BD actuelle. Il n’est donc pas étonnant que depuis plusieurs années des chercheurs travaillent sur un sujet qui apparaît souvent chez des artistes ayant un lien familial plus ou moins direct avec la (dé)colonisation. Tel est le cas pour un auteur de l’album bilingue dont il est question ici, Qui a connu le feu / Who Has Known Fire, scénarisé par Yvan Alagbé et dessiné par Olivier Bramanti [2]. Le père d’Alagbé est béninois, sa mère est française, et il a vécu un certain temps au Bénin. Alagbé et d’autres artistes français qui ont un lien familial ou personnel avec une ancienne colonie française ont souvent un rapport complexe à l’histoire et aux effets de la colonisation européenne. Ils peuvent être très critiques, y compris par rapport à l’héritage des représentations coloniales dans la bande dessinée. Leur sentiment d’appartenir à la France et d’avoir en même temps des attaches avec les (anciennes) colonies françaises fait aussi qu’on trouve chez eux un grand intérêt pour les ambivalences, les paradoxes et les contradictions qui ont pu exister dans la colonisation et ses séquelles. Cela leur permet de mettre à jour des continuités insoupçonnées, oubliées ou niées, notamment entre la colonisation et l’immigration post-coloniale en France.
2Cet article propose une réponse ciblée et délimitée aux questions posées plus haut, à travers une analyse de certaines tendances révélatrices d’un album dont le personnage principal est le roi Béhanzin d’Abomey.
1. Béhanzin dans la bande dessinée et ailleurs, de la conquête à nos jours
3Béhanzin figurait déjà dans les images d’Épinal à la fin du xixe siècle et au début du xxe pour illustrer l’épopée nationale française de la conquête et de la colonisation de l’Afrique.
4Ainsi dans Au Dahomey : Combats de Dogba et d’Akpa, une image d’Épinal publiée par Pellerin, Béhanzin et ses forces sont décrits d’une manière qui concentre des poncifs de l’idéologie de la conquête :
Leurs incursions continuelles se signalaient par le pillage, la dévastation et les plus sauvages excès. Bien conforme à leur nature barbare et sanguinaire, le culte idolâtre qu’ils rendaient à leurs fétiches était un culte de sang et l’on frémit au récit des épouvantables immolations dont Cana, leur ville sainte, était annuellement le théâtre. Parmi leurs voisins les plus éprouvés parce qu’ils savaient moins bien se défendre, se trouvaient les douces et paisibles populations du Décamé, paternellement gouvernées par leur sage roi Toffa. Le farouche Behanzin, le roi Requin, à la tête de ses bandes dahoméennes faisait de ces régions fécondes et bien cultivées un véritable désert. Le roi Toffa dut enfin réclamer assistance auprès des prochains postes français établis sur la côte du golfe de Guinée pour y défendre nos établissements commerciaux, et se mit sous la protection de la France. [3]
Au Dahomey : Combats de Dogba etd’Akpa, Pellerin & cie., no. 191, sans date.
Au Dahomey : Combats de Dogba etd’Akpa, Pellerin & cie., no. 191, sans date.
6Le récit raconte ensuite les attaques de Béhanzin contre les forces françaises, la prise d’otages européens, leur libération après la conclusion d’un traité avec les Français, et enfin la campagne militaire d’Alfred Dodds. Une carte qui précède le texte situe l’histoire géographiquement. Elle est agrémentée aussi de deux grandes images occupant la moitié de la grande page, qui montrent les deux combats cités dans le titre. On y voit l’armée de Béhanzin avec « ses fanatiques amazones » qui combattent les forces françaises. Ces dernières semblent n’être composées que de Blancs, alors que c’était loin d’être le cas [4]. À la fin du récit, on trouve une dernière image de « Behanzin, le roi Requin », couronné et muni d’une épée, assis sur son trône au dehors, en pleine nature (les branches d’un palmier ou d’un bananier sont bien visibles derrière sa tête), avec à ses pieds trois têtes africaines coupées, à côté de ce qui semble être des membres de corps humains. Ce dessin de Béhanzin est en grande partie inspiré visuellement d’une image de Toffa, roi de Porto-Novo qui, en fait, « désirait s’affranchir désormais de son allié et trop puissant cousin et sollicitait l’aide française contre Béhanzin » [5] : la couronne, les traits de la figure du roi, ses vêtements et l’attitude de son corps ont été copiés sur l’image de Toffa [6]. Le propagandiste colonial n’a donc pas hésité ici à prêter à Béhanzin l’aspect visuel de l’allié africain des Français dont l’appel à l’aide servit de prétexte pour combattre le roi Requin et se saisir de son pays [7].
7Un détour par d’autres média permet de contextualiser la représentation de la défaite de Béhanzin telle qu’elle apparaît dans cette image d’Épinal. D’après Raoul Girardet, cette conquête a joué un rôle important dans l’opinion publique française :
La campagne de Dahomey, menée entre 1892 et 1894, semble marquer à cet égard un tournant décisif : les épisodes de lutte entreprise contre Béhanzin le redoutable « roi fétichiste » et sa garde de farouches « amazones » suscitent dans la presse d’innombrables récits, où les thèmes traditionnels de l’héroïsme cocardier viennent se mêler aux images particulièrement hautes en couleur de l’exotisme africain [8].
9Béhanzin figurait donc, comme d’autres dirigeants d’une résistance africaine à la colonisation, tel que Mohamed Ben Abdelkrim El-Khattabi quelques années plus tard au Maroc, dans une iconographie dédiée à la gloire coloniale française. On trouve des représentations de Béhanzin non seulement dans la presse illustrée de l’époque, mais aussi dans des cartes postales, ou même des protège-cahiers scolaires [9].
10Les producteurs de spectacles n’ont pas été en reste. En 1892, la pièce Au Dahomey a été representée au théâtre de la Porte Saint-Martin, et remporta un tel succès que « des “Dahomey” se mirent à éclore alors un peu partout à Paris comme en province » [10]. Il s’agissait d’une célébration de la victoire de Dodds et d’une dénonciation du roi africain : « Béhanzin, le roi des Dahoméens, qui a osé braver l’armée française, trône entouré d’Amazones fanatiques sur la scène de la Porte Saint-Martin, avide de sacrifices, collectionnant les têtes coupées et bien sûr ne comprenant rien au discours humanitaire de l’homme civilisé » [11]. Ce n’était pas le seul spectacle de ce genre : « Les revues sacrifient elles aussi à la mode. Le Bataclan donne dès février 1893 Béhanzin ou la Prise de Kana, et la plupart mettent en scène un tableau consacré au Dahomey, comme dans Muselez-les à la Gaîté-Rochechouart, avec des couplets qui se veulent des plus patriotiques » [12]. Sylvie Chalaye observe qu’ « on développe le statut sauvage et sanguinaire de l’indigène et on légitime la colonisation comme unique moyen de ramener paix et sérénité dans ces régions » : les affiches « du Casino de Paris qui annoncent en 1893 le spectacle de Cent Dahoméens montrent une Amazone en furie brandissant des têtes coupées » [13]. Les expositions universelles et coloniales ont également servi à relayer cette image de Béhanzin. Ainsi, à l’exposition de Paris de 1900, « le Dahomey a attiré beaucoup d’attention, avec une réplique de la tour des sacrifices d’Abomey, avec des crânes et des descriptions macabres des procédures pour le rite royal de sacrifice humain » [14]. À l’Exposition coloniale de 1931, Béhanzin ainsi que ses amazones continuaient de fasciner le public. Le gouverneur de l’Afrique occidentale française, Brévié, et sa femme, ont offert une série de cinq soirées qui comportait une représentation de la cour de Béhanzin :
On vit paraître des parasols rouges et jaunes ornés de figures d’animaux sauvages, des gardes, des dignitaires noblement drapés dans leurs longs manteaux de laine, les amazones aux jupes vives. Béhanzin était assis sur son trône, entouré de ses serviteurs, et trois femmes à ses pieds lui faisaient un tapis vivant et barbare de prince assyrien. [15]
12La barbarie de Béhanzin renvoyait au thème du sacrifice sanguinaire. Pierre Paraf raconte la projection d’un film sur le Dahomey pendant l’Exposition visionné par des Dahoméens emmenés à Paris pour l’occasion : « Ils sont du Dahomey, comme ces chefs de tribu qui dansent sur l’écran. Voici […] les gris-gris auxquels on fit longtemps des sacrifices humains… » [16]. Cinq ans plus tard, dans un dossier de L’illustration sur « L’œuvre de la France en Afrique occidentale », Ch. de la Roncière égrène les étapes de la conquête à travers une liste de militaires français et d’opposants africains qu’ils ont vaincus : « À la fin du siècle dernier, les gens de ma génération se passionnaient pour une épopée qui se déroulait en Afrique […] ; Dodds, au Dahomey, se rendait maître du sanguinaire Béhanzin » [17].
13Il y avait un traitement similaire dans la chanson populaire à l’époque de la conquête du Dahomey. Claude et Josette Liauzu ont analysé plusieurs chansons qui ont pour thème la défaite de Béhanzin, qui « a incarné la férocité des “rois nègres”, ses Amazones suscitant un mélange d’érotisme et de répulsion » : « La chanson, appuyée par le dessin, a repris avec efficacité […] l’image de Béhanzin esclavagiste, coupeur de têtes, grand massacreur, sadique, que la France a justement châtié, tout en libérant “son peuple martyr” » [18]. Alain Ruscio rapporte les paroles d’une chanson intitulée « L’Amazone de Kana » (1892), de Jules Jouy et Marchal, qui racontent la séduction d’une amazone par « [u]n loustic, un vrai Parigot », au siège de Porto-Novo et leur retour en France [19]. La chanson humoristique détaille le corps de l’amazone d’une manière exotisante et grotesque. Alors que cette rengaine exploite la veine érotique, Les Petits Marsouins. Lettre du Dahomey (vers 1894), une autre chanson de la même époque représente plutôt le pôle répulsif. La lettre veut rassurer la belle restée en France sur les risques que le Petit Marsouin envoyé combattre au Dahomey la quitte pour une Africaine : « les amazon’s à Béhanzin … ces noir’s bougresses … c’est des sagouins » [20]. « La Marseillaise du Dahomey (1894) verse encore dans la veine patriotique, comme son titre le suggère [21]. En revanche, La soumission de Béhanzin reprend les éléments habituels de son portrait, avec les sacrifices humains, pour en faire une critique de la société française :
Jean Goudezki se distingue du tout venant en montrant un Béhanzin – roi du Dahomey – qui, vaincu dans sa lutte contre la pénétration française, décide d’appliquer dans son pays tous les bienfaits de la civilisation, c’est-à-dire, en réalité ce qu’il y a de pire, pollution, corruption, exploitation… [22]
15Goudezki y insère aussi un élément antisémite : son Béhanzin dit que « [d]es youpins insolents gouverneront ma Bourse ».
16À l’époque post-coloniale, se dessinent une certaine prolongation de la représentation coloniale du Dahomey dans la bande dessinée, ainsi que des changements importants [23]. Dans les années 1980, le dessinateur François Bourgeon a représenté la cour royale de Kpengla, l’ancêtre de Béhanzin [24], en Abomey dans sa série Les passagers du vent, qui met en scène la traite des esclaves au xviiie siècle [25]. Cela lui permet de montrer un élément clé de la traite : comment des puissances africaines ont fourni des esclaves aux Européens. C’est aussi l’occasion pour Bourgeon de dépeindre les fameuses femmes guerrières, ou amazones, d’Abomey, ainsi que des pratiques horrifiques de mise à mort à la cour du roi. Dans cet album, L’heure du serpent, des épouses royales infidèles sont enterrées jusqu’au cou et tuées par des fourmis rouges [26]. Comme nous l’avons vu, ces trois éléments – l’esclavage, les sacrifices et supplices humains, et les amazones – ont dominé la représentation française populaire de l’Abomey à l’époque de la conquête et après [27]. L’argument de l’éradication par la France de l’esclavage et des sacrifices humains a aidé à justifier la mise sous tutelle du pays [28]. À travers sa série, y compris dans l’épisode situé à Abomey, Bourgeon réunit une forte dose d’érotisme avec une certaine critique du colonialisme et de l’esclavagisme. Il y a un mélange similaire dans une série récente au titre évocateur, La Vénus du Dahomey, composée de deux albums (La civilisation hostile et Le dernier combat) qui racontent l’arrivée à Paris de la dernière amazone de Béhanzin, et sa mise en scène dans un zoo humain au Jardin d’acclimatation de Paris, puis dans un cabaret qui montre des curiosités monstrueuses (des freaks) [29].
17On trouve également une brève mention de Béhanzin et de la prise d’Abomey dans deux cases d’une bande dessinée de 1981, scénarisée par Serge Saint-Michel et dessinée par Jean-Marie Ruffieux, qui raconte tout le continent africain de la préhistoire à notre époque en seulement quarante-huit pages [30]. La page en question présente un trio de grands résistants à la colonisation européenne de l’Afrique : Béhanzin, Samory Touré et Ménélik II. On y voit un portrait de Béhanzin fumant sa pipe et une deuxième case qui représente la défense de la ville de Cana par les amazones d’Abomey [31]. Ces dernières font face aux forces françaises, composées de soldats français et africains cette fois-ci. L’éditeur a publié toute une série de bandes dessinées sur l’Afrique scénarisées par Saint-Michel et souvent dessinées par Ruffieux, dont plusieurs glorifient des dirigeants africains autoritaires alliés à la France. Ainsi, l’album où paraît la mention de Béhanzin loue tout particulièrement Ahmadou Ahidjo, qui paraît en médaillon central sur la première de couverture [32]. Deux autres bandes dessinées, empreintes de nostalgie coloniale, célèbrent les troupes françaises et leurs conquêtes et mettent en scène la résistance de Béhanzin et de ses amazones à seins nus [33].
2. Expérimentation formelle et interrogation historique
18Alagbé est l’un des artistes emblématiques de la bande dessinée experimentale française. En 1994 avec Olivier Marbœuf, il a lancé la revue de bande dessinée Le cheval sans tête, qui a publié le travail de plusieurs dessinateurs de BD alternative européenne. À la même époque, les deux artistes ont également dirigé Amok, une maison d’édition de bandes dessinées. En 2002, Fréon, le principal éditeur belge de BD expérimentales, et Amok, en France, se sont regroupés sous le nom de Frémok. Si le roman graphique est devenu une forme littéraire et artistique respectable et pouvant atteindre un public d’adultes étendu, c’est en grande partie grâce aux dessinateurs provenant de groupes alternatifs tels que L’Association, Cornélius ou Frémok. On pense notamment au succès de L’ascension du haut mal de David B. ou de Persepolis de Marjane Satrapi. La bande dessinée alternative emploie d’habitude le noir et le blanc au lieu de couleurs, ce qui est bien le cas dans l’album qui nous concerne ici. Les albums sont souvent brochés au lieu d’avoir une couverture en carton, et ont une taille atypique, à la fois en termes du nombre des pages et de la superficie (non pas A4), afin de les distinguer de la bande dessinée franco-belge traditionnelle et de les rapprocher du roman en prose ou du livre d’art, voire du livre d’artiste. Qui a connu le feu est cartonné, mais a une taille atypique (21,5 × 27 cm ; 56 p.), et sa couverture ainsi que ses pages préliminaires sont toutes traversées par une ligne diagonale, ce qui suggère un travail artistique en cours. Parfois, ces dessinateurs rapprochent leurs œuvres de la tradition romanesque par des emprunts et des citations littéraires, ce qui est bien le cas ici, comme nous verrons ci-dessous [34].
19Les auteurs de Frémok repoussent parfois très loin les limites de la forme, en créant des ouvrages qui se distinguent à la fois de la bande dessinée traditionnelle et du roman graphique. Ils ont recours à une expérimentation moderniste, avant-gardiste, qui emprunte souvent à d’autres arts visuels, comme la photographie ou la peinture [35]. On y voit l’incorporation d’une esthétique d’art moderne ou contemporaine, notamment par une emphase sur l’innovation dans les techniques visuelles, et sur l’importance de la page comme surface picturale. Les bandes dessinées d’Alagbé et de certains autres auteurs, dont Bramanti et Marbœuf, représentent un courant distinct à l’intérieur de cette mouvance expérimentale. Elles combinent en effet une recherche graphique et narrative avec un engagement politique en prise avec l’histoire, les mythes et les figures iconiques nationaux, européens et africains, afin de proproser de nouvelles réponses aux questions sociohistoriques, esthétiques et identitaires posées par l’existence de minorités post-coloniales en France. La recherche graphique aide ces bandes dessinées à éviter l’écueil du didactisme, tandis que leur engagement politique leur épargne un formalisme sec que l’on observe ailleurs, par exemple dans certaines publications d’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle) [36].
20Qui a connu le feu n’est pas vraiment un roman graphique, mais plutôt un poème graphique, qui ne comporte aucune histoire typique au niveau du dessin ou du texte, même si les auteurs mettent en dialogue et retravaillent des fragments écrits et iconographiques de plusieurs histoires. Le texte écrit se présente sous la forme du discours d’un seul personnage, Béhanzin, qui parle à partir d’un au-delà imprécis, avec une voix à la fois prophétique et désabusée, celle d’un roi africain défait et exilé par les Européens. Les images de l’album répondent au discours écrit, mais sans en être la simple illustration. Images et texte sont incantatoires, et produisent un jeu poétique de répétitions et de juxtapositions. Le dessin de Bramanti s’apparente parfois au croquis, et l’album utilise aussi le collage, dans le texte écrit et le dessin. On est très loin d’un récit dans le style de la ligne claire, à la Hergé, où la lisibilité visuelle, textuelle et idéologique prévaut [37]. Ici et dans d’autres bandes dessinées, réalisées individuellement ou en collaboration avec d’autres, Bramanti et Alagbé emploient des symboles associés à l’histoire, aux mythes et aux idéologies, notamment des personnages emblématiques de l’histoire et des images rappelant la religion et la colonisation, par exemple, une croix, un Africain crucifié ou une épée.
21Presque toute bande dessinée est composée d’un récit fragmenté que le lecteur reconstruit à travers sa lecture des cases et des bulles [38], mais Bramanti et Alagbé privilégient la discontinuité et la rupture au lieu de tenter de faire oublier le morcellement du texte. Ils poussent à l’extrême les aspects elliptiques, fragmentaires et métonymiques de la bande dessinée. Cela rend la lecture plus difficile (ou « scriptible », selon la terminologie de Roland Barthes), et encourage ainsi le lecteur à chercher à comprendre la nature des fragments et des juxtapositions, leurs motivations et effets, et à en tirer ses propres conclusions. Par leur art de l’ellipse et du fragment, les deux auteurs pointent des lacunes historiques dans la connaissance du passé colonial, des différends entre les groupes nationaux ou ethniques, aussi bien que des éléments que ces groupes ont en partage.
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu/Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/ Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 48.
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu/Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/ Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 48.
3. Le dialogisme post-colonial dans Qui a connu le feu
22D’après Mikhaïl Bakhtin [39], le roman met en dialogue des formes discursives provenant de différents groupes sociaux et nationaux, dont certains sont en voie d’apparition ou de disparition, et souvent en conflit. Pour Timothy Brennan [40], Bakhtin avait bien raison sur ce point, mais il n’a pas pris en compte l’aspect majeur du dialogisme qu’a représenté l’arrivée massive de nouvelles voix venant des pays colonisés par les Européens. La bande dessinée, une autre forme narrative, est capable d’un dialogisme iconique aussi bien que linguistique, car elle peut incorporer et dialogiser non seulement la langue, mais aussi les images. Le retour à l’histoire coloniale dans la bande dessinée après l’ère des indépendances a amené des dessinateurs à puiser dans les archives de l’iconographie coloniale, qui sont massives. Cette reprise des images coloniales peut être critique ou ne pas l’être, mais implique toujours au moins un décalage entre un avant, c’est-à-dire l’époque coloniale révolue, et un après, la période post-coloniale. Guy Gauthier a analysé comment certains dessinateurs ont puisé dans les archives visuelles du xixe siècle par souci documentaire, et ce faisant, ont pris des libertés historiques et ethnographiques avec leurs sources. Ainsi, Bourgeon s’est servi d’une gravure de Riou tirée de « Voyages dans l’Ouest africain » de Pierre Savorgnan de Brazza parue dans Tour du monde (1888) [41]. Il s’agit du modèle visuel de la première planche de L’heure du serpent, censée représenter une étape du voyage des esclavagistes français entre Juda et Abomey en août 1781, en route pour leur rendez-vous avec Kpengla. Mais comme le fait remarquer Gauthier, la gravure « s’est déplacée dans l’espace (du Congo au Bénin) et dans le temps (du xixe au xviiie siècle) » [42]. Gauthier souligne « [u]ne tendance contemporaine, amorcée par Hugo Pratt, renforcée par François Bourgeon, [qui] veut que l’artiste dévoile désormais ses sources, tout en se réservant la possibilité de reprendre sa liberté quand il lui plaît » [43]. Il cite les emprunts de Jacques Ferrandez à la peinture orientaliste, et notamment aux carnets marocains d’Eugène Delacroix, comme exemplaires de ce « pèlerinage aux sources ». Dans une certaine mesure, c’est ce que l’on observe aussi dans Qui a connu le feu. Cependant, Bramanti et Alagbé ont retravaillé des textes et des images de l’époque coloniale d’une manière beaucoup plus dialogique et critique que ne le fait Ferrandez, pour lequel il importait surtout de préserver une mémoire et une histoire familiales et ethniques, pied-noires. Il ne s’agit pas non plus, dans Qui a connu le feu, de produire ce que Pierre Fresnault-Deuelle a appellé « l’effet d’histoire », d’après la notion de « l’effet de réel » de Roland Barthes [44].
23Le but de Bramanti et d’Alagbé n’est donc pas de faire naître une impression qui serait plus ou moins un ersatz de vérisme historique afin de permettre à la fiction de se déployer et de rendre celle-ci crédible. Il s’agit plutôt de rappeler des images et des discours coloniaux pour les éroder, faire apercevoir la réalité qu’ils cachaient, et les faire s’entrechoquer avec d’autres images et discours du passé et du présent avec lesquels ils entrent dans un dialogue conflictuel. Cette rencontre fait éclore de nouvelles façons d’apercevoir à la fois le passé colonial et le présent post-colonial. Bramanti et Alagbé retravaillent l’histoire de Béhanzin, en faisant allusion à son combat et à son exil (à la Martinique, puis en Algérie), en lui donnant une dimension mondiale : il parle au nom de tous les Africains qui ont subi l’exil, et même au nom de bien d’autres victimes de forces historiques injustes. Ce faisant, ils dialogisent des éléments coloniaux iconographiques et linguistiques. Parmi ces derniers, on peut citer le langage paternaliste que leur Béhanzin retourne contre son interlocuteur blanc, en l’appelant « petit blanc » [45], « petit ange » [46] et « petit roi-gouverneur » [47]. Ils infléchissent aussi de manière ironique l’accusation de cannibalisme faite par les Européens aux Africains noirs, et le portrait d’un Béhanzin sanguinaire, quand celui-ci dit, par exemple : « Je n’égorgerai plus d’hommes avec les dents, je n’éclaterai plus de crânes à coups de pierres » [48] et « je ne mangerai plus de chair humaine » [49] ou quand il propose de « jouer au cannibale » [50] avec son interlocuteur. Leur Béhanzin retourne aussi les clichés du langage métaphysique associé au noir et au blanc, par exemple, en disant : « il n’y a que le visage du Diable hors du tien » [51] et ensuite « je suis le diable » [52] dans un passage qui dénonce l’instrumentalisation de l’Africain par l’Occident. L’image de Bramanti qui accompagne le texte représente le diable sous les traits d’un homme noir en costume et chapeau haut de forme, renvoyant donc aux clichés du discours visuel. Les artistes font également référence au rôle diamétralement opposé qu’a joué l’Afrique dans l’idéologie coloniale, celui d’un lieu utopique, paradisiaque [53]. Ils emploient des techniques poétiques linguistiques pour détourner ces clichés, par exemple :
Et même, je veux bien voir (je ne ris pas), mon visage gonflé d’alcool, je veux bien voir ma tête crackée, je peux avoir le cul complètement sida, mais je veux avoir le visage de Dieu au fond de ma prison.
Au fond de ma prison, je veux chanter alleluïa. Moi qui ai toujours connu le feu, je veux avoir l’amour doux et tendre sur ma face noire [54]
25La répétition litanique du roi africain en exil qui réclame une sorte de salut s’entrechoque ici avec un lexique moderne de déchéance souvent associé aux Noirs, soit aux États-Unis (les ravages du crack) soit en Afrique (l’hécatombe du sida), ainsi qu’un langage vulgaire (« le cul »). Les images de Bramanti sur ces pages représentent des femmes et des hommes noirs nus, peut-être dans la détresse [55]. Elles suggèrent une destruction identitaire à travers, par exemple, des dessins de têtes dont les traits ont été grattés [56], rendant les figures méconnaissables, ou encore par une image-collage [57] : un papier sur lequel un homme a été dessiné, mais qui a été déchiré par la suite et collé à un support dont il manque toutefois des morceaux.
26Dans le reste de cet article, j’examinerai le dialogisme à travers une analyse des images et du texte de l’album, en prêtant une attention particulière aux principales sources des artistes, afin de faire ressortir les manières dont ils les ont infléchies en les intégrant dans leur album. L’icone coloniale retravaillée qui se présente au premier abord, sur la couverture de l’album, est une image de Béhanzin en buste. Habillé d’une toge blanche et d’un chapeau noir, avec l’épaule droite dénudée, il regarde droit devant lui, vers le lecteur. Le cliché iconographique colonial – qui était à l’origine surtout un produit de masse au service de la gloire coloniale française –, atteint ici le statut de matériau de base pour un travail de réflexion artistique sur le passé colonial. La technique de grattage dessine ici les traits de la figure de Béhanzin. À travers les traces d’une surface accidentée, mutilée, le grattage aide également à donner l’impression que l’on regarde un rescapé de l’histoire rappelant à la fois les gravures et les photographies de Béhanzin. Cette technique souligne le travail artistique, qui n’est pas lisse ou transparent comme dans la ligne claire, par exemple. En même temps, le grattage crée un jeu d’ombres et donc une illusion de profondeur. Par cette technique située à distance égale de la photographie, de la gravure et de la peinture, Béhanzin est restitué ici avec à la fois une impression de profondeur (l’image devient comme fenêtre) et une perception de l’image comme une surface où il se trouve pris aussi entre le passé et le présent. Sa peau est comme égratignée, usée par le temps, tandis que son regard persistant fixe encore le lecteur et le somme, d’une manière d’abord muette, de mesurer le temps et le mouvement historique qui le séparent de nous, et de prendre conscience de l’importance de son histoire pour notre compréhension du présent. Cette image de Béhanzin sera reprise au moins une fois à l’intérieur de la bande dessinée [58]. Choisir pour modèle cette image-ci, parue dans la presse française après la reddition du roi tout comme d’autres de la même époque, au lieu de celles publiées avant sa chute, s’accorde avec le désir des auteurs de formuler une réponse à la colonisation et à ses séquelles. Les artistes donnent au dernier Béhanzin, celui qui a déjà perdu son pouvoir royal, la possibilité de répliquer enfin aux Européens par delà la défaite et la mort. Béhanzin est « Jésus-Visage-Noir, Jésus-Feu-Brûlé par la forêt ou la colère »,« qui [a] toujours connu le feu » [59]. On peut comprendre « le feu » comme une métaphore de la violence coloniale, que Béhanzin a toujours connue, effectivement. Son règne, très court, a été constamment marqué par une guerre perdue d’avance contre les Français, et auparavant il a été témoin des incursions progressives des Européens dans la région et de la résistance que les rois d’Abomey y ont opposée [60]. En tant que figure christique, Béhanzin est à mi-chemin entre l’humain et le divin, il est celui qui s’est sacrifié pour permettre aux autres de survivre.
27Béhanzin n’est jamais directement nommé dans la bande dessinée elle-même, d’ailleurs chaque bulle (qui a la forme d’un rectangle) est dépourvue de la petite queue qui la rattache habituellement à l’auteur des paroles. Cependant, le lecteur sait grâce à plusieurs éléments que c’est le roi africain qui parle, même quand d’autres personnages sont présents dans les images. D’abord, Alagbé a inclu avant les pages préliminaires un monologue du roi emprunté à Kondo le requin, la pièce que Jean Pliya publia d’abord en 1964, quatre ans seulement après l’indépendance du Dahomey [61]. À la page suivante, il donne aussi une courte biographie du roi, qu’il termine par l’observation suivante : «Jean Pliya, le plus grand dramaturge béninois, qui en 1964 célébrait Béhanzin dans la pièce Kondo le requin, est aujourd’hui évangéliste et apôtre du Renouveau charismatique ». Par cette dernière observation, Alagbé souligne un aspect fondamental de l’Afrique contemporaine, et du Bénin en l’occurence : la transformation radicale de ses cultures à travers de nouvelles formes africaines des religions apportées par les Européens missionnaires et colonisateurs. La pièce de Pliya, au souffle épique, raconte la résistance héroïque de Béhanzin à la colonisation française à la fin du xixe siècle. L’extrait reproduit dans Qui a connu le feu vient du discours d’adieu de Béhanzin aux siens que Pliya a placé à la fin de sa pièce, juste avant que le roi ne se rende aux forces françaises commandées par Dodds. Cette source fournit à Alagbé, en tant que scénariste, un modèle de discours incantatoire, émaillé d’une série de questions, de réponses et de réflexions sur les rapports entre les Africains et les Européens. Alagbé emprunte sans doute aussi à Pliya la perspective d’un roi africain qui traiterait d’égal à égal avec un interlocuteur européen puissant.
28Le choix de ce dernier pourrait surprendre a priori, car il ne s’agit pas d’un contemporain de Béhanzin, tel que Dodds, alors qu’une rencontre imaginaire entre les deux aurait pu s’avérer fort intéressante et fait partie des options que Pliya n’a pas explorées non plus. Béhanzin demeure libre jusqu’à la fin de Kondo le requin, sa soumission aux Français restant toujours à faire. Elle n’aura lieu qu’au lendemain du moment où la pièce se termine, mais c’est un acte toujours différé chez Pliya, d’une manière fort symbolique, le roi restant toujours insoumis et demeurant ainsi la figure d’une résistance nationale épique. En revanche, le moment de la rencontre de Béhanzin avec Dodds faisait naturellement partie de l’iconographie coloniale, par exemple, dans un tableau d’Ernest Jean Delahaye, La soumission de Béhanzin au Général Dodds, une image qui a été reproduite en carte postale. La sémiotique corporelle et vestimentaire y est fort parlante : Dodds, superbement habillé en un uniforme blanc immaculé, casque colonial et bottes, ceint de son épée, est debout, très droit, et fait un geste d’une main (il tient l’autre main dans la poche de sa veste) comme pour arrêter Béhanzin qui, lui, gesticule des deux mains et se tient courbé devant son vainqueur. Une conversation post-coloniale imaginée entre Béhanzin et Dodds aurait pu être intéressante en partie à cause des origines métissées de ce dernier. Mais la plupart des autres images et témoignages de l’époque montrent un Béhanzin très digne et grave au moment de sa reddition et après [62]. En revanche, d’après Marie-Michèle Biton, les militaires français ayant vaincu Béhanzin « ont une attitude tout à fait commune, dans le plus clair des cas, à celle de tous les soudards. Et ce aussi bien avec les hommes qu’avec les objets » [63].
29Bramanti et Alagbé ont fait un choix beaucoup plus inattendu en mettant en scène face à Béhanzin, Sébastien 1er, roi du Portugal de 1557 à 1578. Avant le début de la bande dessinée, Alagbé en donne encore une fois une courte biographie, à côté de celle de Béhanzin, où il explique que : « Mystique possédé d’une soif de grandeur et de sacrifice, il entraîna son pays dans de grandes expéditions au Maroc contre les “Infidèles” » [64]. Sébastien est donc un autre roi vaincu qui s’affronta aux Africains dans un combat impérial, religieux. La lutte de croisé mystique de Sébastien trouve un écho lointain dans les conflits religieux d’aujourd’hui sur le continent africain et ailleurs, auxquels Alagbé se montre sensible dans ses bandes dessinées. Le choix d’un roi portugais de cette époque rappelle bien sûr le rôle crucial du Portugal dans les débuts de la conquête de cette partie de l’Afrique et de la traite des esclaves, dont le personnage de Béhanzin dans Qui a connu le feu rappele les horreurs. Le choix de Sébastien permet aussi à Alagbé d’évoquer le sébastianisme, et à travers cela, la présence potentielle du passé du xvie siècle dans notre présent [65].
30La transformation possible d’une guerre sainte en un message de paix universelle intéresse les auteurs, tout comme le passage d’une opposition coloniale entre l’Europe et l’Afrique à une nouvelle ère post-coloniale qui pourrait voir le dépassement des conflits et des clivages raciaux, coloniaux, d’antan. Mais pour y accéder, ils proposent de revoir les mythes et l’histoire de l’empire et de la résistance, en partie à travers un travail dialogique sur les images et les écrits coloniaux. Chez Alagbé, Béhanzin déplace et reprend en partie le rôle messianique attribué à Sébastien, à qui le roi africain s’adresse, d’égal à égal. Cette usurpation d’un pouvoir attribué à un empire antérieur rappelle la geste colonial français qui donnait à la France le rôle civilisateur d’empires précédents pour mieux justifier son action et asseoir son autorité, que ce soit l’empire khmer en Indochine, ou l’empire romain en Afrique du Nord [66].
31Dans une troisième note préliminaire, qui suit celle sur Sébastien, Alagbé indique qu’il a puisé dans Les Lusiades, que Luis Vaz de Camões publia en 1572 [67]. Ce texte incarne une approche épique de l’exploration et de la colonisation portugaises un peu plus de trois siècles avant la défaite de Béhanzin. Pour Camões, le voyage de Vasco de Gama vers les Indes constituait une Énéide moderne. Le poète loue la conquête du navigateur sur les océans et les peuples qui osent s’opposer à lui. Avec l’aide de Vénus, de Gama surmonte même l’opposition de Bacchus, qui ne veut pas qu’on porte ombrage à sa propre gloire. Camões raconte le périple de Vasco de Gama autour de l’Afrique et célèbre au passage les incursions portugaises en Afrique de l’Ouest, celles-là mêmes qui ont commencé à ouvrir le Dahomey à la traite des esclaves [68]. Camões chante aussi la reconquête de la péninsule ibérique contre les Maures, notamment à travers la figure d’Alfonso Henriques. Enfin, il a dédié son poème épique au roi Sébastien, qui se lançait alors dans le projet de conquérir l’Afrique du Nord pour la chrétienté et le Portugal. Qui a connu le feu relie ces histoires de (re)conquête territoriale dans la péninsule ibérique et au-delà :
Je vois les navires chargés d’épices à couler
(comme tu étais gonflé de foi pour ton naufrage ! Ta libération, je devrais dire, parce qu’ici tu es tranquille, échoué dans le sable avec à ta main la sainte épée d’Alphonse Henriques lui-même)… [69]
33L’album raconte donc une rencontre insolite et impossible, mais qui possède une logique (post-)coloniale intéressante, entre deux personnages qui n’auraient jamais pu se rencontrer, et qui semblent occuper des pôles opposés : un roi portugais ayant participé à une croisade qui était aussi une tentative de conquête coloniale de l’Afrique du Nord au xvie siècle et un roi africain souvent vu aujourd’hui comme l’un des derniers résistants africains à la conquête européenne de l’Afrique, quelques trois cents ans plus tard, à la fin du xixe siècle. Ce sont deux rois qui étaient sûrs de leurs droits et de leurs devoirs, pour lesquels ils se sont battus et en ont payé les conséquences (l’un a disparu et l’autre a été fait prisonnier).
34La bande dessinée s’ouvre sur une série de questions et de réponses dites par le même personnage, sur les deux premières pages [70]. Sur celle de gauche [71], la case initiale est remplie d’une image complètement abstraite. En dessous, on voit une partie du chapeau de Béhanzin et de sa figure, mais l’encadrement en très gros plan et la noirceur de cette image la rendent quasiment non reconnaissable au premier abord. Ce n’est qu’en comparant cette image avec celle d’en face, sur la page de droite [72], qu’on se rend compte qu’il s’agit de Béhanzin, car on le voit là d’un peu moins près et en plus clair, parmi plusieurs autres personnages.
35Il s’agit là d’une autre photo de Béhanzin, cette fois avec sa suite, que Bramanti a aussi retravaillée. Au dessus, toujours sur cette page de droite, on aperçoit ce qui pourrait être un château, mais l’image est encore trop floue ou abstraite pour que l’on en soit certain. Les paroles qui accompagnent ces deux pages sont lancinantes et déconcertantes :
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu / Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 7.
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu / Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 7.
Qui pleure ? Qui porte la colère ?
Qui d’autre que moi dont personne ne sait le nom ?
Qui d’autre que moi, juif, empire, esclave ?
Oh, n’aie pas peur, petit Blanc, je suis calme maintenant.
N’aie pas peur, je sais, moi, qui tu es [73].
37Ici Béhanzin, le personnage célèbre de la résistance africaine à la conquête, se dit inconnu. Est-ce parce que le texte s’adresse surtout à un public européen qui a pour la plupart oublié ce roi dont l’iconographie était autrefois si répandue en France, à l’époque de sa défaite, ou est-ce plutôt parce que Béhanzin parle ici au nom d’autres personnes disparues ?
38Les deux options ne s’excluent pas, évidemment. Béhanzin se dit aussi en deuil et en colère, sans doute à cause d’un passé douloureux qu’il n’a pas oublié. Dès la deuxième page [74] de la bande dessinée, Alagbé fait donc deux choses typiques de sa manière de procéder. D’une part, il associe plusieurs figures de victimes historiques : Béhanzin, le roi défait, se décrit aussi comme juif et esclave, et d’autre part Alagbé brouille la distinction entre le statut de victime et celui de bourreau, suggérant ainsi que l’on peut être les deux, au moins l’un après l’autre. Cela ne vise en aucun cas à effacer le poids de la victimisation ou à nier la violence coloniale. Il ne s’agit donc pas de négationnisme colonial [75], mais plutôt de représenter la complexité de l’histoire et de rapprocher différents faits historiques qu’on a souvent tendance à séparer.
« Béhanzin au Fort Tartanson (Fort-de-France) », Cœur Créole, 1635-1902. Saint-Pierre-Martinique. Annales des Antilles françaises. Journal et album de la Martinique. Naissance, vie et mort de la cité créole. Livre d’or de la charité, Paris, Berger-Levrault, 1905, p. 77.
« Béhanzin au Fort Tartanson (Fort-de-France) », Cœur Créole, 1635-1902. Saint-Pierre-Martinique. Annales des Antilles françaises. Journal et album de la Martinique. Naissance, vie et mort de la cité créole. Livre d’or de la charité, Paris, Berger-Levrault, 1905, p. 77.
39On sait que le Béhanzin historique maniait une violence royale traditionnelle qui anéantissait des personnes innocentes. Il était en même temps un grand résistant face à la violence coloniale française et un roi qui perpétuait des coutumes terribles et déjà inacceptables à son époque. Que la France se serve de l’argument de l’abolition des sacrifices humains et de l’esclavage en Abomey comme alibi pour conquérir le pays et exploiter ses ressources et ses habitants n’enlève rien à la nécessité que ces pratiques cessent. On retrouve la dualité du Béhanzin d’Alagbé à la page suivante [76], quand il dit : « Je sais que dans ton pays tu es roi et que là-bas on attend ton retour. Je suis moi aussi empereur, roi des nègres, grand marchand d’esclaves. / À ton retour, je serai vice-roi des Indes (ne suis-je pas indien aussi ?) ». Il se désigne donc d’abord comme « esclave » et ensuite très vite comme « grand marchand d’esclaves ». Il se nomme « empereur, roi des nègres », soulignant donc sa puissance propre, mais propose également d’être « vice-roi des Indes » au retour du roi Sébastien, ce qui le mettrait au service de l’empire portugais. Ces deux pages [77] proposent, sur quatre cases (deux par page) un chassé-croisé visuel qui vient renforcer la dualité et la réversibilité des rôles suggérées par le texte. En haut à gauche, Bramanti a placé une autre image coloniale, retravaillée, de Béhanzin en train de fumer sa pipe. Dans la case juste en dessous, l’on distingue diverses formes humaines. La case en haut de la page de droite [78] représente deux têtes d’hommes blancs, partiellement découpées par le cadre. Enfin, la quatrième case reprend et recadre l’image de Béhanzin sur la couverture. Les deux pages donnent l’impression que ces personnages sont plus ou moins interchangeables. Le texte de la page de droite vient encore confirmer cette proximité des corps et l’existence d’une histoire violente mais commune :
Buvons l’alcool de nos arbres, le fruit de nos îles fortunées, de ces Terres de Nulle part.
Dieu m’a choisi comme toi et je viens du paradis, ou dois-je dire plutôt vous (toi et les tiens) m’avez trouvé au paradis.
Mais tu connais cette histoire. [79]
41Le lien entre Béhanzin et Sébastien passe ici par une sorte de communion (« Buvons l’alcool de nos arbres »), un destin royal commun (« Dieu m’a choisi comme toi »), et une histoire coloniale partagée, même si le roi africain établit une distinction entre le « vous » européen (« vous (toi et les tiens) ») et le « je » le désignant lui-même.
42Plusieurs pages de l’album reproduisent des symboles visuels des croisades, de l’exploration et de la conquête de l’Afrique et les retravaillent d’une manière ironique et critique. L’une des premières est très foncée et assez abstraite, mais on arrive à y déceler une petite croix qui surmonte une sphère. Il s’agit donc d’un symbole de l’Église chrétienne qui règne sur le monde. Juste en face, on distingue ce qui pourrait être un heaume [80]. En bas au premier plan, on perçoit un Européen qui pourrait bien être Sébastien. Peut-être habillé d’une armure, comme souvent dans ses portraits, il regarde vers la gauche de la page. Le texte donne une connotation ironique à l’image : « Jamais tu n’aurais été un petit ange ». Sur la page d’en face [81] on voit trois hommes noirs, tous orientés vers la page de gauche. La tête de l’homme à gauche semble avoir été effacée, comme pour suggérer une perte d’identité, tandis que l’homme à droite lève les deux bras vers le ciel, peut-être en signe d’accueil, de supplication ou de soumission. La double page suivante présente une gamme de symboles de l’Afrique, ainsi que de l’exploration et de la conquête européennes : plusieurs bateaux d’explorateurs et des Européens en costume d’époque, dont un paraît enfoncer son épée dans le torse d’un homme noir, un animal mythique (sans doute un emblème portugais), une statue africaine, des croix, mais aussi la tête et le buste d’un homme qui semble être un dirigeant africain d’une époque beaucoup plus récente.
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu /Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 16-17.
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu /Who Has Known Fire, Montreuil, Frémok sud/Bruxelles, Frémok nord, 2004, p. 16-17.
43Ce mélange d’éléments européens et africains, datant de l’époque des explorations et après, suggère l’impact profond, qui se prolonge jusqu’à nos jours, de la conquête et de la colonisation de l’Afrique par l’Europe. Le format de cette double page, qui s’inspire à la fois du carnet d’artiste et des cartes du monde dressées à l’époque des explorateurs, permet de juxtaposer et de mettre en dialogue des éléments visuels symboliques d’une histoire très longue [82]. Les paroles de Béhanzin portent ici un jugement sans appel : « Mais trop de crime, trop de sang. / Quoi donc nourrissait votre folie ?» [83]. Face à cette violence, Alagbé semble soulever la nécessité d’une compensation qui dépasse la parole, une compensation au lieu d’une apologie : « Pour venger des affronts aussi cruels que ceux que nous avons reçus de vous, il faudrait des effets et non des paroles » [84].
44Pour constituer le texte de cet album, et notamment ces dernières paroles, Alagbé a également puisé dans la critique véhiculée par les philosophes français sur la colonisation portugaise. Dans la note sur ses sources, l’artiste indique que « [l]es pages 20 à 26 sont tirées de paroles rapportées par Guillaume-Thomas Raynal dans l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770) et citées par Michel Chandeigne dans Lisbonne hors les murs (éditions Autrement, 1992) » [85]. Effectivement, le texte de plusieurs pages de l’album en provient [86].
45Alagbé a apporté peu de modifications à sa source [87] : il a réorganisé l’ordre de certaines phrases dans la deuxième moitié du texte emprunté, remplacé « prévu » par « prédit » [88], et surtout rajouté un texte [89] qui renverse les termes religieux de la conquête portugaise (remplaçant le Christ par Mahomet) et renforce l’impression d’un monde à l’envers, où les Chrétiens conquérants prêchent une foi généreuse mais pratiquent « le vol, le meurtre, l’impudicité, l’ivrognerie » [90]. Évidemment, mettre les paroles d’une critique accablante de la colonisation portugaise censées avoir été dites au xvie siècle à l’île d’Amboine (Moluques) dans la bouche d’un Béhanzin spectral, post-colonial, en infléchit profondément le sens. Les images qui accompagnent ces textes sont des variations sur celles que nous avons vues auparavant : des Portugais conquérants des xve et xvie siècles, ainsi que des Africains nus.
46Cependant, par sa provenance, cet emprunt textuel suggère que la communauté des victimes au nom desquelles Béhanzin parle ici dépasse celle fondée uniquement sur l’histoire coloniale européenne en Afrique. Se dire « indien » (« ne suis-je pas indien aussi ? » [91]) pourrait également rappeler les indigènes du continent américain, rapprochant ainsi les Africains et les Indiens d’Amérique en tant que victimes de la colonisation européenne. Plus tard, le texte réitère et rend plus explicite la comparaison entre différentes victimes de l’histoire moderne, en invoquant la traite, l’esclavage et le nazisme : « Je vois les navires chargés d’esclaves à en couler … Dans la solitude des champs de coton, (Arbeit macht frei) où donc étaient les lumières de l’Europe ? » [92]. Comme dans le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, qui pourrait bien être l’un des modèles pour tout le texte de Qui a connu le feu [93], Alagbé rapproche une logique européenne qui a présidé à la colonisation européenne et à la traite Atlantique des esclaves, de celle qui a amené la Shoah en Europe [94]. D’autres bandes dessinées, plus récentes, critiquent elles aussi l’incapacité des « Lumières de l’Europe », qu’on pourrait comprendre comme l’esprit critique et encyclopédique des philosophes, à s’opposer d’une manière efficace à l’esclavage, notamment L’île Bourbon, de Lewis Trondheim et d’Appollo, et Les lumières de la France, de Joann Sfar [95].
47La dernière source d’inspiration citée par Alagbé au début de l’album est le recueil de poèmes Message (1934) de l’écrivain portugais Fernando Pessoa [96]. Là encore, ce choix pourrait surprendre a priori, mais vient en fait renforcer la cohérence thématique et artistique de l’album. Pessoa est un représentant important du modernisme artistique du xxe siècle. Or, le courant de la bande dessinée, représenté par des groupes comme Amok, Fréon, ou La cinquième couche, s’est lancé dans une expérimentation moderniste durant les années 1990 afin de faire reconnaître la bande dessinée comme un art à part entière et d’en explorer les potentialités [97]. Message reprend la légende du sébastianisme et plusieurs symboles (la croix, l’épée) et personnages historiques portugais déjà cités : Alfonso Henriques, Sébastien 1er, Vasco de Gama et Antonio Vieira. Alagbé nous avait informé dans sa note préliminaire que « [l]e texte du présent récit contient des citations exactes ou détournées » de Message et d’autres sources examinées ci-dessus [98]. En voici donc un nouvel exemple qui concerne le poème « Mar Portuguez » de Pessoa [99], dont Alagbé a retravaillé des vers de la manière suivante :
Combien Mer salée, contiens-tu dans ton sel de larmes de nègres ? Combien de sang ?
Combien de mères ont pleuré ? Combien d’enfants ont prié ?
Et qu’est-ce qui nous fut gagné par cette douleur ? [100]
49Il a transformé les larmes des Portugais ayant perdu certains des leurs lors de l’exploration et de la conquête portugaise en larmes et en sang de « nègres ». Il remplace donc les conquérants portugais par leurs victimes, les esclaves africains déportés. Et alors que, malgré le coût humain, Pessoa répond de manière positive à sa question (« Valeu a pena ? »), Alagbé laisse clairement entendre que non, la colonisation et la conversion religieuse qui devait l’accompagner n’en valaient vraiment pas la peine (« Terribles voyages pour faire de nous le peuple élu» [101]). Alors que le sébastianisme de Pessoa fait l’éloge du geste épique des Portugais conquérants et explorateurs, et appelle le retour de l’Élu, sans doute lui-même comme poète chantre de la grandeur de sa nation, le Béhanzin de Bramanti et d’Alagbé condamne sans appel la violence coloniale, et, à la fin de l’album, prévoit une autre issue possible – une république noire, c’est-à-dire, l’indépendance des colonies et des colonisés et la sortie possible du pouvoir autoritaire, vers un nouveau régime qui devrait être plus égalitaire :
Conclusion
50Par leur traitement large du colonialisme européen – allant d’Abomey aux Indes, des Portugais aux Français et de Sébastien 1er à Béhanzin – les auteurs de Qui a connu le feu / Who Has Known Fire racontent une histoire globale de notre monde post-colonial. Le bilinguisme français-anglais de leur texte témoigne aussi de leur désir d’atteindre un public allant bien au-delà de la France et de ses anciennes colonies. Enfin, leur approche artistique et littéraire, avant-gardiste, sort la bande dessinée de ses codes habituels et de son statut de produit de masse. Cet album, ainsi que d’autres bandes dessinées par les mêmes auteurs et par d’autres dessinateurs de la revue Le cheval sans tête, ouvre la voie vers une bande dessinée décolonisée et artistiquement innovatrice.
Mots-clés éditeurs : siècle, e, bande dessinée, Béhanzin, Dahomey, Yvan Alagbé, xxi, Olivier Bramanti, France
Date de mise en ligne : 28/06/2021
https://doi.org/10.3917/om.162.0161Notes
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[1]
J’exprime ma grande reconnaissace à Olivier Bramanti et àYvan Alagbé d’avoir bien voulu discuter de leur travail avec moi et pour leur généreuse autorisation à reproduire ici des images de leur album.
-
[2]
Olivier Bramanti (art) et Yvan Alagbé (scénario), Qui a connu le feu/Who has known fire, trad. Laura Leeson, Montreuil, Frémok, 2004.
-
[3]
Au Dahomey : Combats de Dogba et d’Akpa, Pellerin & cie., n°. 191, sans date.
-
[4]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs : Les productions artistiques du Dahomey (Bénin) : Fonctions et devenirs : Réflexions, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 28. Son premier chapitre (p. 11-69), « De la chute du roi Béhanzin et de ce qu’il advint du butin », m’a été très utile.
-
[5]
Ibid., p. 24, 27. Marie-Michèle Biton reproduit cette image de Toffa (p. 26).
-
[6]
La même image de Béhanzin se trouve sur une autre image d’Épinal de Pellerin (n° 142) intitulée « Au Dahomey : Amazones & guerriers », reproduite sur la première de couverture, dans Ibrahima Baba Kaké, Mémoire de l’Afrique: Les batailles célèbres, Paris, ABC, 1976. La quatrième de couverture du même livre reproduit encore une autre image d’Épinal de Pellerin (n° 244) qui représente Béhanzin et son armée, « Combats au Dahomey : Amazones & guerriers ».
-
[7]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 24-27.
-
[8]
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1995, p. 148.
-
[9]
Voir, par exemple, les images de Béhanzin et de la conquête française dans les cartes postales et les pages de périodiques reproduites au début et à la fin de Hélène Joubert et Gaëlle Beaujean-Baltzer (dir.), Béhanzin, le roi d’Abomey, Paris, Musée du quai Branly/Cotonou, Fondation Zinsou, 2006. Voir aussi l’imagerie reproduite dans Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., qui décrit l’importance de cette production (p. 50, 52, 65).
-
[10]
Sylvie Chalaye, « Spectacles, théâtre et colonies (1870-1914) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel (dir.), Culture coloniale en France de la Révolution française à nos jours, préf. Gilles Boëtsch, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 145.
-
[11]
Ibid., p. 146 ; voir aussi Jan Nederveen Pieterse, White on Black : Images of Africa and Blacks in Western Popular Culture, New Haven, Yale University Press, 1992, p. 80.
-
[12]
Sylvie Chalaye, « Spectacles, théâtre et colonies… », op. cit., p. 145.
-
[13]
Ibid. ; voir aussi Véronique Campion-Vincent, « L’image du Dahomey dans la presse française (1890-5) : Les sacrifices humains », Cahiers d’études africaines, vol. 7, n° 25, 1967, p. 27-58.
-
[14]
Nederveen Pieterse, White on Black…, op. cit., p. 96.
-
[15]
Paul-Émile Cadilhac, « L’heure du ballet », L’illustration, n° 4616, 22 août 1931, Voir Sandrine Lemaire, « Propager : l’Agence générale des colonies (1920-1931) », dans Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel, Culture coloniale en France de la Révolution française à nos jours, préf. Gilles Boëtsch, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 202.
-
[16]
Pierre Paraf, « Le songe des jours d’été », Exposition coloniale internationale de Paris 1931, deuxième édition, album hors-série de L’illustration, n.p.
-
[17]
Ch. de la Roncière, « Trois siècles d’histoire », L’illustration, n°. 4852, 29 février 1936, p. 256.
-
[18]
Claude Liauzu et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies : Colonisation et culture populaire de 1830 à nos jours, Paris, Syllepse, 2002, p. 49, 90.
-
[19]
Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies… : Anthologie de chansons coloniales et exotiques françaises, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 359-361.
-
[20]
Ibid., p. 120.
-
[21]
Ibid., p. 118-119.
-
[22]
Claude Liauzu et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies…, op. cit., p. 41 ; voir aussi les p. 49-51, 86, 136.
-
[23]
Cf. la représentation de Béhanzin dans la production littéraire des Antilles, par exemple dans Maryse Condé, Les derniers rois mages, Paris, Mercure de France, 1992; Édouard Glissant, Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994, p. 247; Ibid., La case du commandeur, Paris, Gallimard, 1997; Ibid., Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, p. 18, 246.
-
[24]
Robert Cornevin, Histoire du Dahomey, Paris, Berger-Levrault, 1962, p. 134.
-
[25]
François Bourgeon, Les passagers du vent, t. 4 : L’heure du serpent, Tournai, Casterman, 1994 ; [première éd. 1982]. Là-dessus, voir Michel Thiebaut, Les chantiers d’une aventure Autour des Passagers du vent de François Bourgeon, Tournai, Casterman, 1994 ; Philippe Delisle, « La traite négrière, l’Europe et l’Église catholique dans la bande dessinée “francobelge”, des années 1940 aux années 1980 », Histoire, monde et cultures religieuses, vol. 3, n°. 15, 2010, p. 187-202 ; et Philippe Delisle, Tintin et Spirou contre les négriers : La BD franco-belge : Une littérature antiesclavagiste ?, Paris, Karthala, 2013, p. 164-176.
-
[26]
Sur les choix de Bourgeon pour représenter ce passage, voir Michel Thiebaut, Les chantiers d’une aventure …, op. cit., p. 64-66.
-
[27]
Véronique Campion-Vincent, « L’image du Dahomey dans la presse française… », art. cit. ; Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 52.
-
[28]
On trouve aussi une justification a postiori chez Cornevin (p. 360) : « Ajoutons que les survivants d’Alésia furent distribués comme esclaves à l’armée romaine alors qu’au Danhomé l’installation française correspond au contraire à la libération de milliers d’esclaves et à la fin des sacrifices humains ». Paulin J. Hountondji critique cette violence inacceptable de Béhanzin tout en analysant son utilité comme justification de l’impérialisme français ; Paulin J. Hountondji, « Gbêhanzin côté cour, côté jardin », dans Hélène Joubert et Gaëlle Beaujean-Baltzer, (dir.), Béhanzin, le roi d’Abomey, Paris, Musée du quai Branly, Cotonou, Fondation Zinsou, 2006, p. 48-60.
-
[29]
Laurent Galandon (scénario) et Stefano Casini (dessin), La Vénus du Dahomey, t. 1, La civilisation hostile, Paris, Dargaud, 2011 ; Laurent Galandon (scénario) et Stefano Casini (dessin), La Vénus du Dahomey, t. 2, Le dernier combat, Paris, Dargaud, 2012.
-
[30]
Serge Saint-Michel (scénario) et Jean-Marie Ruffieux (dessin), Once Upon a Time… Africa, Paris, Afrique Biblio Club, 1982.
-
[31]
Ibid., 29.
-
[32]
Un autre album dans la même série est consacré à l’histoire du Cameroun, et particulièrement à Ahidjo, Serge Saint-Michel (scénario) et Philippe Sternies (dessin), The History of Cameroon : Once Upon A Time… Ahidjo, Paris, Afrique Biblio Club, 1980.
-
[33]
Serge Saint-Michel (scénario) et René Le Honzec (dessin), Histoire des troupes de Marine, vol. 2 (1871-1931) : Les bâtisseurs d’empire, Paris, Mémoire d’Europe/Crépin-Leblond, 1994, p. 19-20 ; Philippe Glogowski (dessin) et Marien Puisaye [pseud. Guy Lehideux] (scénario), La Légion : Histoire de la Légion étrangère, 1831-1918, vol. 1 : Camerone, préf. Yann Péron, Paris, Éditions du Triomphe, 2002, p. 31-33.
-
[34]
Thierry Smolderen, « Graphic novel/roman graphique : La construction d’un nouveau genre littéraire », Neuvième art, n° 12, 2006, p. 11-18.
-
[35]
Bart Beaty, « Amok’s Culture of Excellence », The Comics Journal, n° 209, décembre 1998, p. 19-23 ; Bart Beaty, Unpopular Culture : Transforming the European Comic Book in the 1990s, Toronto, University of Toronto Press, 2007.
-
[36]
Sur Oubapo, voir, par exemple, Oupus, Paris, L’Association, 1997, n° 1.
-
[37]
Ann Miller, Reading Bande dessinée : Critical Approaches to French-Language Comic Strip, Bristol, Intellect, 2007, p. 18.
-
[38]
Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 71-73 ; Benoît Peeters, Lire la bande dessinée, Paris, Flammarion, 2002, p. 24-32.
-
[39]
Mikhaïl M. Bakhtin, The Dialogic Imagination : Four Essays, éd. Michael Holquist, trad. Caryl Emerson et Michael Holquist, Austin, University of Texas Press, 1990.
-
[40]
Timothy Brennan, « The National Longing for Form », Homi K. Bhabha (dir.), Nation and Narration, New York, Routledge, 1993, p. 50-51, 54-56.
-
[41]
Guy Gauthier, « De l’imagerie d’une époque à sa représentation aujourd’hui », dans Odette Mitterrand et Gilles Ciment (dir.), L’histoire… par la bande : Bande dessinée, histoire et pédagogie, Paris, Ministère de la jeunesse et des sports, Syros, 1993, p. 55-61.
-
[42]
Ibid., p. 58.
-
[43]
Ibid., p. 61.
-
[44]
Pierre Fresnault-Deruelle, « L’effet d’histoire », dans Jean-Claude Faur (dir.), Histoire et bande dessinée : Actes du deuxième Colloque international éducation et bande dessinée, La Roque d’Antheron, 16-17 février 1979, La Roque d’Antheron/Objectif Promo-Durance, Colloque international Éducation et Bande dessinée, 1979, p. 98-104 ; voir aussi Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée …, op. cit., p. 67.
-
[45]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu/Who has known fire, op. cit., p. 7, 10, 53-55.
-
[46]
Ibid., p. 14.
-
[47]
Ibid., p. 27.
-
[48]
Ibid., p. 39.
-
[49]
Ibid., p. 40.
-
[50]
Ibid., p. 53.
-
[51]
Ibid., p. 36.
-
[52]
Ibid., p. 38.
-
[53]
Ibid., p. 9.
-
[54]
Ibid., p. 44, 46.
-
[55]
Ibid., p. 46, 49.
-
[56]
Ibid., p. 45, 47.
-
[57]
Ibid., p. 48.
-
[58]
Ibid., p. 9 ; voir p. 10.
-
[59]
Ibid., p. 18, 46.
-
[60]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit, p. 20, 22.
-
[61]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 4 ; Alagbé spécifie que l’édition dont il tire l’extrait est la première (« in Kondo le Requin, Jean Pliya, éd. du Bénin, 1964 ») ; voir Jean Pliya, Kondo le requin, Yaoundé, Éditions Clé, 1981.
-
[62]
Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 40-43.
-
[63]
Ibid., p. 43. Aux pages suivantes, elle donne force détails sur les pillages, y compris ceux du général Dodds lui-même ; sur l’utilité politique de ce butin, Ibid., p. 57.
-
[64]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 5.
-
[65]
Ibid., p. 5.
-
[66]
Panivong Norindr, Phantasmatic Indochina : French Colonial Ideology in Architecture, Film and Literature, Durham, Duke University Press, 1996.
-
[67]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5. Luis Vaz de Camões, The Lusíads, trad. Landeg White, Oxford, Oxford University Press, 1997.
-
[68]
Luis Vaz de Camões, The Lusíads, op. cit., p. 100 (canto 5, strophes x-xiii).
-
[69]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 28.
-
[70]
Ibid., p. 6-7.
-
[71]
Ibid., p. 6.
-
[72]
Ibid., p. 7.
-
[73]
Ibid., p. 6-7.
-
[74]
Ibid., p. 7.
-
[75]
Yves Benot, Massacres coloniaux, 1944-50 : La IVe République et la mise au pas des colonies françaises, préf. François Maspero, Paris, La Découverte, 2001, deuxième éd.
-
[76]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 8.
-
[77]
Ibid., p. 8-9.
-
[78]
Ibid., p. 9.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Ibid., p. 14.
-
[81]
Ibid., p. 15.
-
[82]
Cf. les cartes des xve et xvie siècles dans un ouvrage que Bramanti et Alagbé ont consulté : Michel Chandeigne (dir.), Lisbonne hors les murs : 1415-1580 : L’invention du monde par les navigateurs portugais, Paris, Autrement, 1990, p. 81-88. Certains dessins sur cette double page (Bramanti et Alagbé, p. 16-17) ont très probablement été inspirés par des éléments sur ces cartes, y compris le voilier avec la croix et le monstre mythique, mi-humain mi-léopard. Sur un emprunt textuel à ce livre, voir ci-dessous.
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[83]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu…, op. cit., p. 16-17.
-
[84]
Ibid., p. 20.
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[85]
Ibid., p. 5.
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[86]
Ibid., p. 20-6.
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[87]
Michel Chandeigne (dir.), Lisbonne hors les murs : 1415-1580 …, op. cit., p. 221.
-
[88]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 22.
-
[89]
Ibid., p. 25.
-
[90]
Ibid., p. 22.
-
[91]
Ibid., p. 8.
-
[92]
Ibid., p. 28-32 ; Alagbé semble avoir emprunté ici le titre d’une pièce de Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton, 1985.
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[93]
Un autre modèle est bien sûr le discours d’adieu de Béhanzin, rapporté dans la pièce de Pliya. Sur ce discours, voir Marie-Michèle Biton, Arts, politiques et pouvoirs …, op. cit., p. 58, 62.
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[94]
Le rapport imaginé entre les Juifs victimes de la Shoah et les Africains victimes de la traite pourrait passer ici à travers l’Inquisition et l’exil forcé des Juifs de la péninsule ibérique.
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[95]
Fabrice Leroy, Sfar So Far : Identity, History, Fantasy and Mimesis in Joann Sfar’s Graphic Novels, Leuven, Leuven University Press, 2014, p. 98-121.
-
[96]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5. Fernando Pessoa, Message :Bilingual Edition, intro. Helder Macedo, trad. Jonathan Griffin, Londres, Menard Press, King’s College London, 1992.
-
[97]
Bart Beaty, Unpopular Culture : Transforming the European Comic Book …, op. cit., p. 70-110. La répartition des paroles dans les bulles ne respecte pas toujours les unités grammaticales, produisant ainsi un équivalent en bande dessinée de l’enjambement en poésie.
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[98]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 5.
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[99]
Fernando Pessoa, Message …, op. cit., p. 70.
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[100]
Olivier Bramanti et Yvan Alagbé, Qui a connu le feu …, op. cit., p. 29, 31.
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[101]
Ibid., p. 34.
-
[102]
Ibid., p. 54-55.