Notes
-
[*]
Professeur à l’Université des Antilles et de la Guyane, président de l’Association of Caribbean Historians.
-
[1]
Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique, un espace non poppérien de l’argumentation, Albin Michel 2006, (nouvelle édition revue et augmentée, Nathan 1991), p. 104.
-
[2]
Cette appellation permet, suivant les auteurs des rapports, de contourner la question de couleur ou de la faire quelquefois ressurgir. Voir Service historique de la Défense, Vincennes (SHD), série 13H.
-
[3]
Pour La Réunion, voir le travail pionnier de Prosper Ève, La Première Guerre mondiale vue par les Poilus réunionnais, Paris, Éditions CNH, 1992.
-
[4]
Marc Larcher, À travers la Martinique ou les vacances de Gérard, Paris, Les Presses artisanes, 1954 (1901).
-
[5]
Interpellation de Gratien Candace à la chambre des députés, 1912, cité par L’Étincelle, n° 63, 8 août 1912.
-
[6]
SHD, 9N1147, Note du député Duquesnay, 1899.
-
[7]
« En tous cas il serait urgent de faire quelque chose, quoi que ce soit, de faire un pas en avant que projet de loi déposé et voté prochaine session et inscrits au budget de 1900 ». SHD, 7N78, Note manuscrite sur carte de visite, député Duquesnay.
-
[8]
Nous ne développerons pas ici les incidences pour l’analyse de ces différentes catégories, qui permettent néanmoins de n’en pas mélanger les réalités.
-
[9]
SHD, 7N78, Projet de loi portant application du service militaire à l’île de la Martinique, à l’île de la Guadeloupe et dépendances, et à la Guyane. (sans date).
-
[10]
Les rapports militaires soulignent que la plupart des engagements militaires antillais, hors période de guerre, viennent des classes sociales les plus défavorisées, souvent illettrées. On peut imaginer là une façon d’échapper à la canne et ses misères.
-
[11]
SHD, 7N78, Le ministre de la Guerre à M. le ministre des Affaires étrangères, application de la loi de 2 ans, mars 1905.
-
[12]
Journal officiel de la Martinique (JOM), 1911, p. 77, en italique dans le texte.
-
[13]
Par exemple, La Vérité, (Fort de France) 3 et 5 septembre 1912.
-
[14]
Le Nouvelliste, mardi 4 mars 1913.
-
[15]
Le Nouvelliste, jeudi 10 avril 1913.
-
[16]
L’Étincelle, n° 118 1 janvier 1914.
-
[17]
Titre employé par la rédaction du journal pour condamner « le vent de patriotisme » qui soufflait alors sur la France. L’Étincelle, n° 94 du 27 mars et 3 avril 1913
-
[18]
Jacques Dumont, « Un journal antimilitariste et libertaire à la Guadeloupe : L’Étincelle, 1911-1914 », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 173, 2016.
-
[19]
L’Étincelle, « nos soldats », n° 122, 20 janvier 1914, p. 2. Le terme imprudence peut être entendu dans toute sa connotation sanitaire aux Antilles. L’imprudens en créole représente le non respect des catégories du froid et du chaud qui sous-tendent toute l’épidémiologie populaire. Voir Christiane Bougerol, La médecine populaire à la Guadeloupe, Paris, Karthala, 1987.
-
[20]
Des chiffres font même état de 80 % d’inaptes (discours de M. Germany au Conseil général de la Martinique, 1914). Ils viennent appuyer des demandes de subvention pour des sociétés de préparation militaire, et sont assez largement supérieurs aux autres données disponibles. Néanmoins Eboué parlera encore en 1936 de la faible proportion de déclarés aptes, 20 %, chiffre le plus bas observé sur une terre française…
-
[21]
Pierre-Éric Fageol, « La Réunion et la Grande Guerre (1914-1918). Adaptation des programmes de troisième en histoire », Tsingy (Revue du CRESOI) n° 11, 28 août 2012.
-
[22]
Cette solution était déjà utilisée pour la préparation des tirailleurs sénégalais.
-
[23]
Celui-ci est principalement mesuré par l’indice Pignet, rapport entre la taille, le poids, et le périmètre thoracique. Indice qui sera contesté sur place puis jugé inadapté aux « races négroïdes » (Commandant Sergent, L’éducation au service de la colonisation, Paris, Joinville, 1937)
-
[24]
La France coloniale, 17 avril 1915.
-
[25]
SHD, 7N1992, Direction de l’infanterie à état-major, exécution note 8068 3/11, 31 octobre 1915 (signé colonel Margot).
-
[26]
SHD, 7N1992, Ministère de la Guerre à M. le général commandant les forces terres et mer en Afrique du Nord, généraux, des 15, 16, 17, 18e régions.
-
[27]
SHD, 7N1992, Dépêche ministérielle du 10 septembre 1915.
-
[28]
Ibid.
-
[29]
SHD, 9NN7/1150, Ministère de la Guerre, 16 septembre 1196.
-
[30]
SHD 7N 440.
-
[31]
Jacques Ozouf, « Le thème du patriotisme dans les manuels scolaires », Le Mouvement social, octobre-décembre 1964, p. 5-31. Repris dans Mona Ozouf, L’école de la France, Essai sur la Révolution l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, 1984, p. 185-213.
-
[32]
Gaston Monnerville, Témoignage, Paris, Éditions Rive droite, 1997.
-
[33]
SHD 7N78, Note sur le recrutement (manuscrit sans date).
-
[34]
SHD, Lettre du 1er novembre 1912, Gouverneur de la Guadeloupe et dépendances au ministre des Colonies.
-
[35]
Le Nouvelliste, 17 juillet 1913, « La conscription à la Martinique ».
-
[36]
L’Étincelle n° 94, 27 mars et 3 avril 13.
-
[37]
Le Colonial, 23 juillet 1913.
-
[38]
La Paix, n° 185, 6 février 1915, lettre pastorale de M. l’administrateur apostolique.
-
[39]
La Paix, n° 181, 23 janvier 1915.
-
[40]
Archives Départementales de la Martinique (ADM), 1R9855.
-
[41]
La Paix, n° 208, 8 mai 1915
-
[42]
Rachel Mnemosyne, « La Réunion et les Réunionnais dans la grande guerre, 1914-1918 », La Réunion sous la Troisième République (1870-1940), Océan Éditions, 2005.
-
[43]
Journal officiel de la Guyane, mai 1915.
-
[44]
Ibid., discours de V. Sévère, maire de Fort de France.
-
[45]
L’Union sociale du 16 juin 1915, extrait d’une lettre adressée à Osman Duquesnay.
-
[46]
Jacques Dumont, « La figure de l’ennemi : les Antilles et la Première Guerre mondiale », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 168 (Actes du colloque la Caraïbe et la Première Guerre mondiale), mai-août 2014, p. 135-151, article sélectionné et mis en ligne sur le site centenaire.org.
-
[47]
L’Étincelle, n° 12, 17 août 1911. « Le conflit franco-allemand et la colonisation ».
-
[48]
L’Étincelle, n° 16, 14 septembre 1911, « Inconséquence et nécessité ».
-
[49]
Pour une analyse, voir Sergio Luzzatto, L’impôt du sang, La gauche française à l’épreuve de la guerre mondiale (1900-1945), Presses universitaires de Lyon, 1996, en particulier le premier chapitre : La tranchée des professeurs.
-
[50]
L’Étincelle, n° 17, 21 septembre 1911.
-
[51]
Ibid.
-
[52]
L’Étincelle, n° 105, 25 septembre 1913, « Guerre et civilisation ».
-
[53]
Jacques Ellul, Propagandes, Paris, PUF, 1990, p. 75.
-
[54]
Laurence Van Ypersele, « Progagandes de guerre et consentement des populations », in Laurence Van Ypersele (dir.) Questions d’histoire contemporaine, Conflits, mémoires et identités, Paris, PUF, p. 174.
-
[55]
Sur ce thème, voir, pour une présentation, Jean-François Chanet, « La Petite patrie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La France d’un siècle à l’autre, Tome 1, Paris, Hachette (Pluriel), 1999, p. 285-293.
-
[56]
La France coloniale, 4 août 1914, Discours de V. Sévère, maire de Fort de France (par ailleurs propriétaire du journal).
-
[57]
Archives départementales de Guyane, cité dans Sarah Ebron, Lydie Ho Fong Choy Choucoutou, Sidonie Latidine et Jacqueline Zonzon, La Guyane et la Grande Guerre 1914-1928, Matoury, Ibis rouge Éditions, 2014, p. 18.
-
[58]
Nouveau Journal de l’île de la Réunion, 12 août 1914, ADR 1 PER 52/10.
-
[59]
Conseil général de la Martinique, session ordinaire de novembre 1914.
-
[60]
L’Étincelle, n° 134 23 avril 1914.
-
[61]
L’Union sociale, samedi 27 novembre 1915.
-
[62]
L’Union sociale, 14 mai 1915.
-
[63]
Le Colonial, 5 mai 1915.
-
[64]
SHD, 11YE3665, Livret militaire du médecin major André Joseph Pichon.
-
[65]
L’Étincelle, n° 109, 30 octobre 1913, «Au sujet de l’incorporation » ; le n° 108, auquel il est fait référence n’a pas été retrouvé (Lacunes à la BnF, le journal n’est pas aux ADG).
-
[66]
Sur le parcours de Joseph André Pichon, voir Jacques Dumont, Sport et assimilation à la Guadeloupe, Les enjeux du corps performant de la colonie au département, Paris, L’Harmattan, 2002, chapitre 2.
-
[67]
Dans les articles les noms sont portés, ils concernent des blancs pays et familles bien connues en Guadeloupe.
-
[68]
L’Étincelle, n° 111, 13 novembre 1913.
-
[69]
L’Étincelle, n° 120 le 15 janvier 1914, « Lâcheté ».
-
[70]
G. Souquet-Bassiège, Le Préjugé de race aux Antilles françaises, Paris, 1883 (réédition Désormeaux, 1979).
-
[71]
SHD, 13H1/d2, Rapport annuel du commandant supérieur des troupes du groupe des Antilles, 1904.
-
[72]
La Paix, 16 janvier 1915.
-
[73]
Interpellation de Lagrosillère-Boisneuf, 23 mars 1916, Chambre des députés, cité par Georges Mauvois, Louis des Etages (1873-1925), Itinéraire d’un homme politique martiniquais, Paris, Karthala, 1990, 142 p., p. 44-45.
-
[74]
Le Bloc, 5 février 1916.
-
[75]
Cité dans Sarah Ebron, La Guyane et al., op. cit., p. 34.
-
[76]
On peut évoquer Les Croix de bois de Roland Dorgelès, « La gnôle réchauffait quand on avait froid, soutenait quand on avait faim, réveillait quand on était las : cela remplaçait le pain, le charbon, le repos ».
-
[77]
Voir Christian Schackenbourg, histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe XIXe-XXe siècles, fluctuations et dépendances (1884-1946), t. 3, Paris, L’Harmattan, 2009.
-
[78]
Candace Gracien, « Conférence à l’école coloniale », Paris, 30 mars 1919.
-
[79]
SHD 7N440.
-
[80]
La France coloniale, samedi 26 juin 1915, reprise d’un article paru dans Paris-midi et La plus grande France.
-
[81]
Le Peuple, lundi 11 novembre 1918.
-
[82]
Lara Oruno, La Guadeloupe physique, économique, agricole, commerciale, financière, politique et sociale de la découverte à nos jours (1492-1900), Paris Nouvelle librairie universelle, 1921, p. 336. Une réédition en fac similé a été faite en 1979 par les éditions L’Harmattan.
-
[83]
L’Étincelle, n° 104 18 sept 1913, « AUTONOMIE ».
-
[84]
Le Libéral, 14 septembre 1918, article de Boisneuf Achille-René, «Aimons la Guadeloupe ».
1Une question centrale pour les sciences sociales est celle du degré de généralisation présenté par le travail et donc des catégories utilisées pour en rendre compte. Or l’histoire, revendiquant la singularité des faits et des situations, semble particulièrement mal à l’aise avec les opérations de théorisation. Jean Claude Passeron, dans son travail de réflexion sur le raisonnement en sciences sociales, en fait même un paradoxe constitutif : « Dans les sciences historiques la connaissance fine de la texture des phénomènes s’évapore à mesure que la formalisation s’enrichit » [1]. Les notions employées, ces découpages indispensables du réel – comme ici le patriotisme – peuvent alors présenter des cadres conceptuels insuffisants pour localiser la réflexion, voire apparaître comme des fourre-tout commodes ou des mots valises. Il faut alors sans doute examiner le patriotisme créole, au cœur de ce travail, à la fois au pluriel, afin d’en esquisser différentes dimensions et résonances, mais également dans ses dynamiques dans le rythme particulier pour les dites vieilles colonies autour de la Première Guerre mondiale. Influences, revendications, oppositions, réappropriations, permettent de rendre compte des enjeux particuliers pour ces territoires. Comment des citoyens colonisés accueillent-ils l’idée de la défense de la patrie en danger ? Comment les « créoles » – ces citoyens français nés aux colonies – pour reprendre la désignation militaire alors majoritairement employée [2], qui contourne mais n’élimine pas la question de couleur, perçoivent-ils cet engagement ? Quels imaginaires, représentations, espérances accompagnent et retraduisent les discours et actions patriotiques ? Quels en sont les vecteurs, relais, destinataires ?
2Ce travail ne peut se faire sans repenser la chronologie de la Grande Guerre pour les vieilles colonies, afin de mieux mettre en perspective son contexte [3] et particulièrement la demande de conscription, antérieure au conflit, mais activée par celui-ci. Cet apparent détour, qui constitue la première partie s’appuie sur une synthèse de travaux antérieurs, indispensable afin de pouvoir examiner en deuxième temps les dynamiques de ce patriotisme, ses supports et registres, puis en dernière partie leurs enjeux et ce qu’ils disent des sociétés créoles, au tournant de la Grande Guerre.
1. Retour sur une demande d’égalité républicaine
3Le 3 septembre 1878, le conseil général de Martinique «prie le pouvoir métropolitain de faire cesser au plus tôt la situation humiliante pour leur patriotisme qui est faite aux créoles en appliquant dans le plus bref délai possible, la loi militaire aux colonies. » La liberté, obtenue avec l’Abolition de l’esclavage, ne s’accompagne pas de l’égalité républicaine. Déclarés citoyens en 1848, les habitants des vieilles colonies, restent néanmoins colonisés et ne disposent pas des mêmes droits et devoirs que leurs « frères de métropole ». Le retour de la République et du droit de vote, masculin, précipite nombre de revendications dans les vieilles colonies, dont celle de l’extension du service militaire. Quel engagement alors plus symbolique pour les élites de couleur que celui de défendre la dite « Mère Patrie » ? La défaite de Sedan alimente les discours militaristes, qui outre-mer, insistent sur les différences de traitement : « Nous pouvons faire partie de l’armée, mais c’est à titre d’engagés volontaires, car, malgré les réclamations continuelles de nos représentants en France, la loi militaire n’a pas encore été appliquée dans les colonies » [4]. « L’honneur de servir dans l’armée française » [5] est une revendication portée par les notables de couleur et largement relayé par les représentants politiques antillais.
4Dès 1899, une note du député martiniquais Duquesnay – souvent reprise ultérieurement sans date ou origine dans les dossiers militaires – fait part d’« oppositions possibles surtout dans l’intérieur de l’île où il était difficile de répandre une doctrine, de faire la lumière et de créer des convictions ». Le patriotisme loin d’être une donnée « naturelle » est de plus une construction à géographie variable, puisqu’il ajoute : « Mais la question est mûre ou elle me paraît l’être dans les centres de populations. J’ajouterai que l’esprit public est préparé à cette application à laquelle il se montre assez favorable et qu’un plus long retard serait plutôt nuisible » [6]. Une note manuscrite insiste sur l’urgence de cette prise en compte [7].
Obstacles, freins et inerties [8]
5Cette attente d’extension de l’égalité républicaine se heurte à plusieurs obstacles et tout d’abord des difficultés juridiques. La diversité des situations de l’empire colonial, ainsi que les conditions discutées d’extension des lois concernant le territoire national contribuent à retarder cette application demandée. Les textes législatifs laissent toujours place aux interprétations : peuvent-ils, doivent-ils s’appliquer tels quels aux colonies, et dans la diversité de leurs statuts ? Car même entre les quatre vieilles colonies, des différences sont instituées. Si « la loi du 1er aout 1895 a déjà réglé les conditions spéciales d’application du service militaire pour l’île de la Réunion », son extension à la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane reste ainsi en projet [9]. La garnison est supprimée à la Réunion en 1907, alors qu’elle perdure à la Martinique, centre militaire des Antilles-Guyane.
6D’autres freins, qui peuvent interférer, relèvent plus directement des difficultés d’application d’une telle mesure – nul lieu d’accueil assez vaste et équipé sur place – voire de son inutilité estimée. Les faiblesses dénoncées du soldat créole, explicables par une sociologie du recrutement [10] peuvent aussi renvoyer à des préjugés ouvertement racistes. Sur place, la perspective d’un service militaire et donc de la perte de main d’œuvre inquiète les grands planteurs, blancs pays (que l’on appelle Békés en Martinique) qui redoutent par ailleurs d’avoir à fréquenter les mêmes chambrées que leurs ouvriers. Ainsi la demande d’application de la loi sur le service militaire devient un enjeu d’égalité républicaine surtout porté par les élites de couleur. Devant l’insistance des représentants politiques, particulièrement antillais, les opérations de conscription, autrement dit les « deux opérations indispensables :
- l’inscription sur les tableaux de recensement
- la comparution devant le conseil de révision [11]
8sont finalement appliquées en 1911 pour la Martinique et la Guadeloupe, mais explicitement sans extension au service militaire : « L’application de la loi du 21 mars 1905 est limitée aux opérations de recensement et de révision à l’exclusion de l’incorporation du contingent » [12]. La distinction est fondamentale, puisque ces conscrits ne sont pas destinés à devenir soldats, ni même à s’y préparer. Les conseils de révision font alors apparaître un très grand nombre de déclarés aptes, rapidement brandi dans la presse antillaise comme argument supplémentaire pour l’extension complète au service militaire [13]. « Les créoles veulent être soldats » résume Le Nouvelliste [14] en Guadeloupe. Le service militaire, finalement généralisé en 1913, représente alors un premier point d’orgue : « Cette loi de recrutement de 1913 est le résultat d’un magnifique élan de patriotisme de tout le pays » [15], laissant espérer par cette participation active, l’exercice d’une citoyenneté à part entière et la pleine reconnaissance de celle-ci.
L’expérience du premier service militaire créole
9Les départs, à l’automne 1913, sont rapidement catastrophiques. Ces premiers voyages et séjours au froid, pour des créoles n’ayant jamais quitté le climat tropical, sont désastreuses. Neuf morts sont recensés fin décembre sur les 1 631 créoles concernés, mais en janvier 1914, pour le seul contingent envoyé à Marseille, vingt-deux décès sont dénombrés. Les journées d’infirmerie et les hospitalisations se multiplient au point de provoquer plusieurs missions d’enquête dès décembre 1913. Le ministère de la Guerre diligente ses experts médicaux. Mais plus on monte dans la hiérarchie militaire, plus ces gradés, éloignés du contact direct avec les soldats de couleur laissent s’exprimer des priorités et des préjugés. On glisse ainsi rapidement des premiers rapports sur « la morbidité du contingent créole » aux jugements sur son « inaptitude à l’acclimatement » et plus largement son « incapacité à servir ».
10Dès le début janvier 1914, un journal guadeloupéen s’inquiète de cette situation sanitaire : « Les hôpitaux militaires sont remplis de nos fils malades et il est bruit de les retourner dans leurs foyers. On dit même que plusieurs sont morts déjà […] conséquence de l’imprévoyance du gouvernement qui les fait venir en France juste dans la mauvaise saison » [16]. Rapidement « l’alerte » [17] donnée par ce journal ouvertement antimilitariste [18], se radicalise : « la situation s’aggrave […] nos petits conscrits là-bas, crèvent, crèvent : ils crèvent comme des mouches […] et voilà que personne n’est responsable de cet état de choses, ni le gouvernement, ni la représentation coloniale et l’on semble même insinuer que la faute en incombe aux conscrits eux-mêmes – il ne manquait que cela – qui commettraient des imprudences » [19]. Le journal cite une lettre de Gaston Sarlat, ancien député de la Guadeloupe adressée à tous les maires de la colonie : « La question qui s’est posée dès leur arrivée n’a été que celle des conditions de notre transplantation ici. Est-elle possible du jour au lendemain en plein hiver, entre les quatre murs d’une caserne ? Ce sont des enfants recrutés dans nos campagnes, nourris de légumes et d’aliments peu azotés, le plus souvent anémiés, sans défense contre les germes des maladies […] entassées à la caserne. Ajouter à cela la différence radicale de nourriture d’habillement et d’habitude ».
11Devant l’hécatombe sanitaire, plusieurs solutions sont envisagées par les plus hautes autorités militaires, y compris de modifier la loi de recrutement de 1913, ou de la rendre inexécutable, ce qui semble une conception singulière, mais répandue, du juridique appliqué aux vieilles colonies. La parade finalement adoptée est de procéder à des « sélections rigoureuses » des recrues. « Éviter les non-valeurs », va devenir un leitmotiv des directives militaires concernant les troupes créoles pendant toute la guerre On passe alors d’une très forte proportion de jeunes Antillais déclarés aptes en 1912 à la même d’inaptes en deux ans après, en 1914 [20]. À la Réunion, les réformes et les ajournements sont également très nombreux : sur les 830 hommes sélectionnés pour être examinés le 7 août 1914, seuls 513 sont retenus [21].
12Les premières recrues non renvoyées dans leurs foyers, ont été transférées en Afrique du Nord, où le climat semble plus favorable aux yeux des militaires [22]. Ils seront désignés sous le terme de « créoles hiverneurs » dans les rapports. Mais cette solution choque les politiques antillais, comme Gratien Candace, revendiquant pour ces citoyens français le fait d’être présent sur le sol de France, comme d’ailleurs de ne pas être incorporé dans les troupes coloniales. La réponse des autorités militaires à cet égard est laconique : tant que la loi n’aura pas été modifiée, l’incorporation des originaires des colonies ne changera pas.
Conséquences pour la mobilisation aux vieilles colonies
13Cette première expérience de service militaire va avoir des conséquences funestes. Au moment de la déclaration de guerre, malgré les élans de patriotisme largement affichés par la presse sur place, les soldats créoles vont rester consignés dans leurs colonies. Ne partiront au Front que ceux déjà présents sur le sol de France, les rares gradés et quelques engagés volontaires. Le grand départ pour les soldats des vieilles colonies n’aura lieu finalement qu’à partir de juin 1915. Les opérations d’enrôlement se précipitent à partir d’avril. En Guyane, un câblogramme annonce, le 18 mars 1915, l’imminence de cette vague de mobilisation. En Guadeloupe, celui du 28 mars 1915 informe de la décision de recensement et de révision de toutes les classes de 1889 à 1916. La guerre s’est enlisée dans les tranchées et il n’y a plus assez de soldats, quelle que soit leur origine, leur couleur, leur formation ou leur état de santé [23]. Dès avril, tous les hommes valides sont convoqués, les rejetés des conseils de révision précédents sont rappelés, et les départs massifs se succèdent à partir de juin. La presse martiniquaise veut y voir : « un démenti aux témoignages de l’histoire, des dogmatiseurs de l’inégalité des races nous qualifiaient d’impropres au service militaire. Il n’y a pas trois ans, au moment où les efforts ininterrompus de la représentation coloniale aboutissant enfin à l’application de la loi militaire à la jeune génération, le recrutement créole était saboté comme à plaisir en France par les adversaires de notre participation à la dette de sang » [24].
14Toutefois, malgré ce recrutement étendu de 1915, la mise à l’écart sanitaire continue, décidée au plus haut niveau : « En raison des difficultés que présente l’acclimatement en France des hommes appartenant aux compagnies coloniales j’ai décidé que ceux actuellement incorporés dans les dépôts d’infanterie métropolitaine des 15, 16, 17, 18e Régions seraient envoyés en Algérie. Cette mesure devra être appliquée à tous les créoles venus en France postérieurement à la mobilisation et exceptionnellement à ceux résidant en France avant cette époque, dont les médecins jugeraient nécessaires l’envoi en Algérie en raison de leur état de santé » [25]. Cette disposition s’appuie sur les problèmes sanitaires persistants et la conviction renforcée d’une résistance moindre des troupes créoles. Un rapport du 18 octobre 1915 pour l’état-major de l’armée rappelle qu’« en dépit d’apparences physiques souvent bonnes, les contingents créoles présentent dans leur généralité une très médiocre résistance à toutes les causes de maladies » [26]. Les interprétations divergent toutefois quant aux causes. Un rapport très détaillé du médecin inspecteur Primet, pour la 16e et 17e régions livre un commentaire où le diagnostic ne semble établi que pour confirmer des représentations antérieures : « En présence des statistiques de morbidité et de mortalité élevées d’autant plus impressionnant que les contingents ont été soigneusement sélectionnés à ma colonie et que en France ils ont été entourés des soins particulièrement attentifs et éclairés, on est en droit de se demander après six semaines d’expérience ce qu’il va advenir de nos créoles antillais et réunionnais avec leur tempérament lymphatique, leur nature d’ordinaire molle, indolents, apathiques, s’accommodant mal de l’effort continu et vigoureux, avec sa moindre endurance à la fatigue, sa sensibilité au froid comme à toute cause de dépression lorsque cet hiver ils seront aux prises avec les rigueurs de la saison et les fatigues inattendues de l’entraînement intensif et complet » [27]. À l’inverse, le rapport du médecin inspecteur Albert Clarac, responsable du service de santé de la 18e région militaire, blanc créole originaire de la Martinique et premier directeur de l’école médicale d’application coloniale du Pharo de 1906 à 1911, tout en trahissant les mêmes préjugés, met en perspective d’autres raisons à cette situation : « Les connaissant bien je suis sûr que ça n’est pas le courage qui fait défaut malgré leur indolence et leur mollesse. Mais arrachés brusquement à leurs foyers sans avoir été préparés comme les jeunes français à l’obligation du service militaire, ils sont comme ahuris par cette transportation dans un pays où tout leur est en quelque sorte étranger » [28].
15L’hivernage en Algérie et Tunisie dure officiellement jusque fin 1916, tremplin pour un envoi, à la « bonne saison » dès fin avril, sur le front de l’Orient, qui va concerner 30 % des soldats créoles, et qui reste résumé aux Antilles par la place des Dardanelles dans les mémoires. Cependant l’« envoi des malingres et de tous ceux jugés inaptes par les médecins à supporter au front les rigueurs de l’hiver » [29] continue en Afrique du Nord [30] bien après 1916.
2. Dynamiques du patriotisme créole
16Pour mieux comprendre les dimensions et mouvements du patriotisme aux vieilles colonies, il est donc nécessaire de situer celui-ci en amont de la guerre, puis pendant celle-ci, en tenant compte des résonances des recrutements différés et limités. Au socle initial d’un patriotisme républicain porté par des notables et responsables politiques, vont se greffer des formes complémentaires, dont les ancrages et résonances ne peuvent être simplement décalqués sur ceux de la « métropole », ou étendus à partir d’autres territoires.
17Le discours républicain de la revanche, à la suite de la défaite de 1870, est largement relayé dans les vieilles colonies. Les discours patriotiques [31] sont depuis longtemps repris et adaptés au contexte créole. Des témoignages d’instituteurs ou d’acteurs politiques [32] rappellent ainsi la place qu’occupaient dans les leçons et les imaginaires, l’amputation du territoire national et la perte de la patrie d’origine de Victor Schoelcher. L’école – devenue obligatoire en théorie à partir de 1881 – et la presse sont les principaux vecteurs de diffusion, relayés par l’Église catholique, très implantée. Les sermons dominicaux rappellent ainsi la noblesse et la nécessité de l’engagement, qu’impriment les journaux des Évêchés comme La Paix ou Le Courrier de la Reine.
18On trouve trace également de cette orientation dans les associations, souvent d’orientation socialiste. Les noms des premières sociétés culturelles et sportives, outre le caractère patriotique affiché : La Gauloise, La Française, témoignent du militarisme ambiant : L’Assaut, La Vaillante, La Combattante, La Revanche… Mais ces associations ne concernent qu’une toute petite minorité, urbaine, dégagée des urgences de la survie : fonctionnaires et professions libérales qui constituent une petite bourgeoisie citadine de couleur.
19L’immense majorité de la population reste à convaincre. Une note sur le recrutement à la Martinique (sans date) précise ainsi : « L’application de la loi militaire aux populations de la Martinique était évidemment de nature à soulever quelques difficultés, à faire naître du moins certaines appréhensions » [33].
Convaincre une population peu concernée ou réticente
20La conscription doit être accueillie avec enthousiasme. Lors d’une première expérience de service militaire en 1912, le gouverneur de la Guadeloupe dans un courrier au ministre des Colonies alimente cette veine patriotique : « Tous les habitants sans distinction d’opinion participent à ces manifestations patriotiques. Quant aux conscrits, leur bon vouloir et leur entrain sont du meilleur augure. J’ai la conviction qu’il y a en eux l’étoffe de bons et braves soldats » [34]. Le journal guadeloupéen Le Nouvelliste, jouant implicitement de la rivalité entre les deux îles sœurs, fait écho d’un enthousiasme martiniquais : « Est-il nécessaire de dire ici que la population martiniquaise, à part des esprits frustes, accepte avec joie l’application de la loi militaire dans les colonies (…) La masse elle-même, la masse ignorante accueille la mesure avec satisfaction » [35].
21En 1913, à l’occasion de son deuxième anniversaire, sous le titre « L’Alerte » le journal L’Étincelle, tire un signal d’alarme : « La France maintenant est sous la pression d’un vent de patriotisme. Tous les grands quotidiens et revues n’en ont que pour des diatribes patriotiques » [36]. Dès son premier numéro, ce journal s’est inscrit dans un antimilitarisme farouche, vilipendant la fonction de soldat et contestant les utilisations faites d’un patriotisme menant à la guerre. Dans les autres journaux, a priori acquis à l’idée patriotique et guerrière, des indices de résistance peuvent toutefois indirectement apparaître. À l’annonce de l’application sans délai de la loi militaire en 1913, le journal antillais Le Colonial, tout en applaudissant et titrant « En avant », laisse pointer un doute quant à l’empressement effectif des populations : « Nous espérons que dans quelques jours à l’appel de leur nom, tous, avec fierté répondront : présents ! Car quelque pénible que soit la séparation, ces jeunes gens penseront qu’ils vont remplir un devoir, leur devoir envers la France : la patrie ! ». [37]
22Alors que le journal martiniquais La Paix, avec en ligne de mire les départs tant attendus, assénait avant la levée en masse : « il est doux, il est beau de mourir pour la patrie » [38], le journal laisse filtrer à l’approche de l’extension du recrutement en 1915, des signes d’inquiétude : « Ils ont reçu les mêmes avantages, ils doivent supporter les mêmes charges. Et si quelques-uns d’entre eux ont eu à souffrir quelquefois de leur patrie, si cette patrie s’est montrée injuste et tracassière, à ce moment ils oublient. Ce n’est pas la France persécutrice, mais la France tout court, la France éternelle qu’ils vont servir » [39].
23D’autres indices, de possible résistance, peuvent être croisés. Dans la ville de Fort-de-France, où les carences par manque d’information paraissent moins plausibles que dans les bourgs, les conseils de révision comptent une forte proportion d’absents [40]. Lors des premières opérations de conscription en 1911, sur 1 475 inscrits, on dénombre ainsi 719 « bons absents », autrement dit pratiquement la moitié des conscrits potentiels ne s’est pas présentée, et sans motif. Cent manquants sur 346 sollicités sont encore dénombrés dans un conseil de révision de juin 1913. En mai 1915, alors que le journal La Paix signale : « le jury s’est montré sévère et les exemptés ont été nombreux », il ajoute : « On nous signale également que beaucoup de jeunes gens n’avaient pas répondu à l’appel » [41]. Dès la déclaration de guerre, le gouverneur Duprat à La Réunion rappelle par un avis, le caractère obligatoire de cette mobilisation et la presse se fait l’écho des devoirs inhérents au service patriotique. Néanmoins sur toute la durée de la guerre, c’est près de 16% des 5 294 hommes concernés qui ne se présenteront pas aux conseils de révision [42]. En Guyane, où les effectifs sont plus réduits, les « bons absents » seront considérés d’office comme aptes en mai 1915 [43].
24Avec la guerre, la mise en scène patriotique s’intensifie : « C’est avec un enthousiasme indescriptible que nos frères du continent courent vers la frontière pour repousser l’envahisseur » [44]. La presse multiplie les témoignages dont rien ne permet de vérifier l’origine exacte, mais affirmant tous l’engagement : « J’ai des enfants que j’aime plus que moi-même, je les envoie à l’armée. L’un d’eux, qui suivait les cours normaux d’instituteur, part dimanche. Mon chagrin aurait été qu’il eût peur, il part content, je l’offre à la France, de bon cœur » [45]. À la Réunion, la nécessité d’une construction patriotique est annoncée sans ambiguïté par le journal La Dépêche du 7 août 1915 : « Pour le moment, il faut profiter de ce que leurs cervelles sont encore tendres, que les idées fortes y rentrent comme un poinçon dans du mastic, pour leur inculquer la haine inextinguible du Boche, la plus forte et la plus terrible haine qu’une nation puisse enseigner à ses fils par la famille et l’instituteur. »
Le barbare, c’est celui qui…
25Cette guerre – et déjà sa perspective – impliquent une construction de l’image de l’ennemi [46], qui participe pleinement de la justification de l’engagement patriotique. Pourtant devant « L’éventualité marocaine », L’Étincelle, dans son n° 11 du 10 août 1911 titrait déjà « Nous ne voulons pas de la guerre » en détaillant les arguments de ce refus :
« Nous ne voulons pas de la guerre nous ne sommes pas de ceux qui crient à Berlin, sans savoir au juste pourquoi, simplement parce qu’on leur dit que Berlin c’est l’ennemi. Non nous ne voulons pas la guerre parce que c’est toujours le peuple qui en fait les frais et si la bourgeoisie avide veut absolument la guerre, espérons que le peuple conscient des deux pays saura s’y opposer de toutes ses forces, dût-il pour cela agir comme au lendemain de la guerre de 1870 en recommençant l’expérience de la Commune. »
27Le journal veut mettre en perspective les véritables raisons [47] et revient le 14 septembre 1911 sur l’orchestration du conflit à venir : « Les notables de la cité s’entretenaient au sujet de la guerre probable entre la France et l’Allemagne. Il n’y avait pas à douter de leur sentiment patriotique tous étaient partisans de la guerre ils trouvaient même que les négociations languissaient trop et il était plus que temps disaient-ils que la France prenne sa revanche de 1870 ». [48]
28Le même jour, le journal guadeloupéen L’Émancipation, titre « Guerre à la guerre » interrogeant : « Verrons-nous la France et l’Allemagne une nouvelle fois aux prises répandre des flots de sang sur le continent européen ? » Mais dès son numéro suivant, le journal, rejoignant en cela les orientations socialistes dominantes [49], rappelle les nécessités de l’engagement en cas d’agression allemande. Le journal L’Étincelle continue seul d’assumer une position critique, exposant dans son numéro suivant, sous le sobre titre « La guerre », les raisons de celle-ci : « Pourquoi la guerre ? Vite on nous répond pour venger l’honneur nationale (sic). C’est là un mensonge. L’honneur nationale n’est pour rien dans la guerre, elles ont toutes pour cause une raison économique, une question d’intérêt et encore si c’était d’intérêt général mais d’intérêt particulier. Les esprits subtils n’ont pas un grand effort à faire pour découvrir les causes de la guerre mais la plupart des gens du peuple n’y comprennent rien, ils croient à tous les boniments qu’on leur débite ; patriotisme, civilisation etc., etc. » [50]
29Alors que l’ensemble de la presse guadeloupéenne relaie les éléments de la propagande métropolitaine, affichant les figures de l’inhumanité et de la barbarie attribuées à l’Allemand, le journal L’Étincelle évoque lui dès 1911 le « reste de barbarie que nous ont légué les âges passés » [51] non pour stigmatiser l’ennemi dit héréditaire, mais bien les horreurs commises en cas de guerre. Il rappelle et commente les « atrocités à peine croyables commises par les belligérants lors des dernières guerres des Balkans » ajoutant : « Nous ne voyons au nom de quelle raison patriotique, cachant toujours la vraie cause de la guerre, l’on peut contraindre des hommes à faire le métier de soldat et il faut être une brute pour être amener à le faire » [52].
30Le journal est sévèrement attaqué par ses confrères. Car cette figure de l’ennemi cristallise pour l’ensemble de la presse l’engagement patriotique. L’histoire, ou plutôt sa parodie, est convoquée pour rappeler avec insistance que depuis 44 ans l’ennemi prépare son noir dessein, que sa barbarie s’exprimait déjà à l’époque des Goths et qu’il faut défendre le Rhin, frontière naturelle, depuis la Gaule…
3. Enjeux du patriotisme créole
31La propagande, autrement dit l’« ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action une masse d’individus psychologiquement unifiés » [53], présente bien avant la conscription, s’amplifie à l’approche de la guerre et à partir de la Déclaration. Mais comme le rappelle Laurence Van Ypersele : « Loin d’être le produit d’une machine toute puissante ou d’un ‘‘bourrage de crâne’’ organisé, la propagande de 1914-1918 reflète surtout les besoins des sociétés belligérantes, leurs valeurs et leurs croyances, leurs détresses et leurs espérances » [54]. Sur les registres classiques de la propagande patriotique se greffent dans les vieilles colonies un ensemble de questions sociales, liées à leur situation particulière et amplifiées par les mises à l’écart survenues lors des premières expériences de service militaire, le maintien à distance des combats lors de la déclaration et la persistance de traitements différenciés pendant la guerre.
L’honneur des petites patries
32La mise ou le maintien à distance des soldats créoles éveille également un sentiment de fierté outragée, qui appelle la défense de l’honneur de leur petite patrie [55] d’origine, bafoué par ces mesures. Ces textes émanent des membres d’une bourgeoise de couleur, instruite par l’école des nécessités du patriotisme. L’amertume du non-envoi des soldats créoles lors de la déclaration de guerre est bien lisible dans les journaux: « La distance nous prive de l’honneur d’être au premier rang des défenseurs de la patrie » [56]. En Guyane, une lettre pétition du 7 août 1914, couverte de signatures, supplie le gouverneur d’intercéder auprès du ministre des Colonies : « Vous n’imaginiez pas avec quel enthousiasme nous apprenions le 2 du courant, la nouvelle de la mobilisation générale de l’armée française […]. Notre désir de participer à la défense de notre Mère patrie est aussi vif, aujourd’hui qu’au début des premières hostilités, mais nous espérions que le gouvernement de la République n’aurait pas manqué de faire appel dès les premiers jours à notre courage effectif en nous appelant près d’elle » [57].
33Les mises à l’écart sanitaires sont présentées comme dégradantes : « Ceux reconnus bons pour le service en sortaient fiers et joyeux, tandis que ceux que leur santé obligeaient à se soumettre au verdict des médecins visiteurs s’en allaient navrés, se révoltant presque, et affirmant qu’ils se sentaient capables d’affronter les fatigues et les horreurs de la guerre, du moment qu’il s’agissait de servir la France. Ces patriotes regardent comme une humiliation l’obligation qu’on leur fait de renoncer à entrer dans la caserne » [58]. C’est toute la fierté de la petite patrie qui est atteinte, en tous cas exprimée par les notables. « L’humiliation serait certes grande pour le pays tout entier, s’il venait à être démontré par suite de l’affaiblissement graduel du contingent annuel que nous sommes incapables de ce service militaire si longtemps revendiqué par nous comme un honneur plus que comme un devoir parce qu’il complétait notre assimilation aux fils de la Métropole » [59].
34Cet affront ressenti est encore amplifié sur place par l’attitude méprisante de certains militaires, qui appelle, au-delà des protestations indignées, à faire la preuve des qualités patriotiques mises en doute ou dénigrées. En avril 1914, la lettre d’un soldat, cantonné au camp Jacob, veut traduire des « protestations qui sont celles unanimes de tout le contingent créole » : « Commandé par lieutenant Richer de Forges qui déteste énormément les créoles et se saisit de toutes les circonstances pour manifester cette haine, un Monsieur qui s’est permis de dire en présence de tous les soldats réunis dans la cour de la caserne qu’il a bien plus confiance dans un simple soldat européen que dans un sous-officier créole. Il a proclamé d’autre part que le nègre est comme un serpent […] c’est toute notre race qui est insultée par lui » [60].
35Le député martiniquais Lagrosillère avec le député guadeloupéen Achille René-Boisneuf déposent en 1915 une proposition de loi tendant à transformer les colonies antillaises en départements français, demande « d’assimilation » clairement destinée à abolir les inégalités de traitement. Il rapporte alors les propos insultants d’un médecin major traitant les créoles de « fainéants, de tire-au-flanc » affirmant « que la France n’avait pas besoin d’eux et que c’était leurs députés qui avaient procuré à la France cet embarras qu’ils constituent » [61]. Un autre militaire, qui aurait exprimé « haut et fort son scepticisme à propos du patriotisme créole » provoque une réponse courroucée : « Pour ma part, savez-vous comment j’y répondrai ? En citant les faits, en glorifiant les actes de courage de tous les créoles qui se distinguent dans l’armée française » [62].
36Paradoxalement, le journal antimilitariste L’Étincelle participe lui aussi au soutien des soldats créoles, envoyés sans ressources. Une fois les créoles engagés dans le service militaire, il faut continuer de revendiquer la pleine égalité, prouver qu’elle est justifiée par un comportement exemplaire.
Égalités patriotiques
37Le patriotisme est désormais l’affaire de tous. L’égalité dans le devoir génère une guerre aux « embusqués » : « Il ne faut pas qu’il y ait des hommes qui ont déjà fait leur service militaire qui se dérobent à leur devoir et essaieraient par des sursis de rester ici. Allons, c’est pour la France, tous au drapeau » [63]. Mais ces différences d’engagement ont une couleur. Dès les conseils de révision de 1913 et les départs programmés pour la France, une partition se dessine. Qui part, qui doit partir ?
38En Guadeloupe, le médecin major de 1ere classe Pichon, chef du service de santé, pourtant mal jugé par les autorités militaires pour « son peu de zèle pour le service régimentaire » [64] est directement mis en cause : « les blancs qui par la grâce de leur argent sont les maîtres de l’autorité ont payé et leurs fils ont été exempté […]. Nous pouvons donc certifier que l’argent y a joué un très grand rôle et que des parents ont acheté cher des certificats de complaisance » [65]. Pichon, en tant que « chef et médecin expert avec l’assistance de 5 médecins civils et d’un militaire » écrit une « protestation énergique » publiée par le journal l’Étincelle, porteur de l’accusation : « Nous n’avons suivi dans notre examen et nos propositions que notre conscience et les instructions ministérielles. » Il déplore les noms cités, évoquant « le secret professionnel à défaut de la simple discrétion », réexamine les cas signalés, rectifiant celui des deux jeunes gens détaillés dans l’article l’incriminant, « non exemptés mais ajournés à l’an prochain comme 200 jeunes créoles noirs ou mulâtres », ainsi qu’un autre déclaré « bon pour le service auxiliaire », comme plus de 100 créoles noirs ajoute-t-il. Ce médecin militaire, socialiste, franc-maçon [66], souligne ainsi involontairement combien la question de couleur est bien au cœur de la polémique. Il signale un « grand nombre de jeunes noirs d’apparence très robuste et que j’ai fait néanmoins exempter ou ajourner et un dernier renseignement, à ma grande surprise deux jeunes créoles blancs seulement m’avaient été recommandés en vue de leur exemption. Tous les deux ont été reconnus bons pour le service armé. »
39L’Etincelle faisant état du reproche lancé par un journal concurrent, rappelle « jamais nous n’avons dit que M. Pichon avait été acheté » mais poursuit la controverse dans sa « Réponse » : « Il a été constaté que plus des neuf-dixième des conscrits incorporés étaient noirs. Tous les rejetons de la race blanche seraient-ils donc des dégénérés ? » illustrant plus loin : « Le fils Lo. [67], n’a pas rejoint sa classe mais est parti directement vers la France, le fils Li., deux mois avant se savait ajourné ou exempté, alors que fonctionnaire à l’enregistrement il avait été recruté sur visite médicale ». « Alors quoi ? » interroge le journal, qui revient [68] sur le sujet un mois plus tard rappelant que « les fils à papa » ont été éliminés et que « seuls les noirs et quelques jaunes c’est à dire les fils de la classe paysanne et ouvrière avaient été incorporés ». Le journal parle des remous provoqués, fait référence à des lettres anonymes ou signées dont celle intitulée « Une injustice à réparer », lettre émanant des conscrits de la classe 1912 (2e circonscription), adressée à « monsieur le Gouverneur ». Le courrier fait état de l’enthousiasme général, remercie pour les cérémonies organisées, mais évoque un « mystère » :
Voici bien six jours que nous sommes casernés, nous voyons autour de nous seuls des NÈGRES et des MULÂTRES. L’opinion publique elle-même s’est émue, pourquoi y aurait-il une catégorie de la population qui soit appelée à rester ici. Nous vivons dans une société égalitaire et tous ici devant la loi nous nous valons. Mais nous sommes les vrais fils de la République qui a vu l’éclosion de toutes nos libertés tout ce qui tendra à ébranler ses institutions à diminuer son prestige – que ce soit une diminution de son territoire ne peut nous laisser indifférents. Maintenant que les masques sont tombés et que l’injustice envers notre race est dénoncée et dont vous êtes monsieur le gouverneur absolument étranger, il ne nous reste plus qu’à nous embarquer vers les rives de la mère patrie.
41Le même journal persiste dans ses dénonciations et publie une lettre contre Enguerran P. de Pointe noire et « le stratagème pour se faire ajourner dont il se vante » : « Lâche Enguerran, tu n’iras pas en guerre […] Nous de gaité de cœur nous irons connaître la France, payer l’impôt du sang et servir notre mère, la Patrie ». Une note signée, de la rédaction ajoute : « Les fils de la réaction blanche ne tiennent pas à sacrifier leur peau pour la Patrie » [69].
42La proportion de Blancs dans la population totale est très faible, et ces attaques visent essentiellement les planteurs, depuis longtemps opposés au service militaire pour tous. Inquiets de l’apprentissage du maniement des armes par « leurs » ouvriers [70], révulsés par l’éventualité de devoir partager des chambrées communes, les grands propriétaires, descendants de colons, békés ou blancs pays, voient de plus d’un mauvais œil cette perte potentielle de main d’œuvre. En contexte colonial, même en guerre, la priorité reste la production économique.
Priorités économiques
43La question de couleur, sur lesquelles se sont construites ces sociétés croise inévitablement celle des hiérarchies sociales dans ces petites colonies dévolues à la production de matières premières pour la métropole. La question de la main d’œuvre, rapidement cruciale dans l’Hexagone, résonne également dans les colonies.
44Les premières demandes des représentants créoles pour la mise en place du service militaire génèrent des tentatives pour « assouplir » les conditions de recrutement des conscrits créoles, autrement dit majoritairement les ouvriers de la canne. Les arguments des planteurs sont relayés par les autorités militaires : « Beaucoup de bons esprits pensent que le service de six mois serait suffisant et ne serait pas trop préjudiciable aux intérêts économiques de l’île qui a besoin de tant de ménagements après les catastrophes récentes » [71]. L’éruption de la montagne Pelée en 1902 va servir de toile de fond à une demande renouvelée. Lors des projets d’extension de la loi de conscription en 1905, une proposition de réduction de la durée est relayée : « Un an de service actif me paraitrait suffisant pour les jeunes de ce pays si l’on veut concilier dans la mesure du possible, les nécessités de la défense et les exigences d’une situation économique dont il faut tenir compte dans l’intérêt même de la réussite de l’œuvre à accomplir ».
45Les « intérêts économiques » continuent d’intervenir directement dans les modalités de recrutement, une fois appliquées. Au début de 1915, le rappel de ceux ayant effectué leur service militaire se fait ainsi avec « exception pour ceux dont le maintien était nécessité par les intérêts du commerce et de l’industrie » [72]. Cette égalité patriotique bafouée provoque des réactions courroucées : « J’affirme sans être démenti, qu’à la Réunion aussi bien qu’aux Antilles, les médecins-majors préposés aux opérations de conseils de révision ont délibérément, sous prétexte de nécessités économiques locales, placé les intérêts des possédants au-dessus de ceux de la défense nationale ». Le rapporteur condamne alors ces ajournements très sélectifs : « Tous les notaires, tous les avoués, tous les avocats à deux exceptions près, tous les médecins, tous les industriels et commerçants et la grande majorité de leurs employés ou de leur salariés, des agents de police, des professeurs et des moniteurs de gymnastique, un ancien sous-officier professeur d’escrime, ont été l’objet de mesures soit d’exemption, soit d’ajournement, soit même de sursis d’appel absolument injustifiés » [73]. Le rapport d’un député socialiste du Rhône signale les mêmes dispenses, y ajoutant : « Les employés des usines et des exploitations agricoles, voire les salariés de l’industrie et de l’agriculture ». Il évoque également des campagnes de dénigrement : « Les parlementaires coloniaux […] furent dénoncés aux populations de ces pays comme voulant ruiner leurs industries et leur commerce » [74].
46Un article du célèbre Jean Galmot, dans La Guyane commerciale, en date du 21 mars 1916, souligne toutes les ambiguïtés de la situation coloniale : « On n’a pas songé qu’il y avait à la Guyane, tout comme dans les bassins houillers et miniers de la France, toute une population occupée à une industrie qui touche également à la défense nationale, il s’agit des ouvriers et employés attachés aux exploitations aurifères et dont la majeure partie est mobilisable ou mobilisée » [75]. Galmot rappelle que les quatre tonnes d’or récoltées annuellement participent directement au financement de la guerre. Aux Antilles, assujetties à la production de canne à sucre, le rhum est rapidement réquisitionné. Il participe du « moral des troupes » – ou de leur abrutissement [76] – et entre dans la composition des explosifs. La transformation de l’industrie sucrière en rhumière est nette pendant la Première Guerre mondiale [77]. Elle se fait au détriment des autres cultures alors que l’approvisionnement est déjà réduit par le blocus maritime. L’inanité de la situation de dépendance coloniale amène les gouverneurs à prendre, sans succès, des arrêtés et mesures d’encouragement en faveur de la production vivrière et fruitière locale.
Tableau. – Pourcentages respectifs dans la production totale des produits de la canne aux Antilles d’après plusieurs sources officielles.
Tableau. – Pourcentages respectifs dans la production totale des produits de la canne aux Antilles d’après plusieurs sources officielles.
47La participation économique à l’effort de guerre sera largement évoquée après la fin de celle-ci. Le patriotisme s’exprime aussi par le soutien financier : « Ce n’est pas seulement avec le sang de leurs enfants et le produits de leur sol que les vieilles colonies ont apporté leurs efforts à la défense nationale : leurs souscriptions aux emprunts de la défense nationale, de 1915, 1916, 1917 et 1918 se montent à cent dix millions de francs pour la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane » [78].
48La participation économique se fait aussi par le biais des soldats. Une partie des appelés coloniaux, déclarés bons pour le service auxiliaire, vont participer aux industries civiles et militaires. Près de 20 000 créoles vont être ainsi concernés. Des commissions spécifiques sont mises en place à partir de 1916 pour réorienter les réformés ou ajournés antillo-guyanais vers des emplois en métropole. Les repliés pour raisons sanitaires sont redirigés vers des exploitations forestières ou d’armement [79]. Ces participations, sans commune mesure avec les dangers du Front, n’ont pas la même résonance patriotique et sont pratiquement passées sous silence dans les mémoires et jusque-là dans les travaux. Le patriotisme a ses prolongements insidieux…
En conclusion, la guerre et ses suites
49Dès avant la guerre et tout au long de celle-ci, les différents registres du patriotisme convergent en une demande de reconnaissance. Relayant quelquefois des propos trouvés dans la presse hexagonale, les journaux antillais traduisent un espoir : « Les soldats créoles – noirs, blancs et mulâtres confondus – surent montrer alors sur tous les champs de bataille du nord-est que l’héroïsme militaire n’était pas une question de peau, mais de drapeau, et qu’en fait de couleur, la démocratie coloniale ne voulait connaître que les trois couleurs de la France libératrice et émancipatrice » [80]. La fin de la guerre précipite ces demandes d’égalité réelle. « Nos sacrifices touchent à leur terme. Gloire à ceux qui sont morts pour elle. Gloire à ceux à quelque rang, à quelque endroit que ce soit, qui ont donné au droit la victoire. Leur gloire est la nôtre : elle rejaillit sur tous les enfants de la France à perpétuité et sur tous nos ancêtres, qui sont aussi la France. Vive la France ! Vive la République !» [81]
50La thématique de la dette de sang, développée bien avant la guerre, souligne la place de l’idée de mérite, puissant moteur républicain pour l’abrogation de la différence entre égalité de principe et inégalités de fait. Cet effort, s’inscrit désormais dans l’histoire : « Nous avons acquitté pour notre part généreusement l’impôt du sang dont nous avions été exonéré jusqu’en 1912 » [82], et devient le support de la revendication d’égalité par la transformation statutaire, de colonie à département.
51Les rumeurs d’une cession des Antilles aux États-Unis en dédommagement de la dette de guerre en 1919, provoquent non seulement des réactions indignées, mais le renforcement d’une demande d’assimilation, déjà présente avant guerre, voire d’autonomie [83]. Le conflit a bouleversé les lignes de partage anciennement posées. Celle de la civilisation ne passe plus exclusivement par l’Europe. La barbarie ou la sauvagerie n’ont plus de couleur, ne sont plus l’attribut d’une race.
52Le patriotisme convoqué dès avant la guerre continue de se redéployer. Ainsi la société la Guadeloupéenne créée à l’initiative du Dr. Pichon en 1915 veut prolonger l’Union sacrée décrétée pendant le conflit :
Il faut entreprendre une véritable croisade pour éveiller chez les Guadeloupéens le sentiment du bien public et pour les amener à éprouver et à professer un patriotisme local désintéressé, ardent, passionné et agissant, capable selon les circonstances, de les faire vibrer de joie ou de douleur, de fierté ou de colère, d’admiration ou d’indignation, de les faire palpiter d’émotion intense, devant tout ce qui peut contribuer à la diminution ou à la grandeur de leur petit pays [84].
54Ce que l’on n’appelle pas encore une identité, émerge sans doute avec la relocalisation du patriotisme.
Mots-clés éditeurs : service militaire, assimilation, conscription, égalité
Date de mise en ligne : 28/06/2021
https://doi.org/10.3917/om.161.0191Notes
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[*]
Professeur à l’Université des Antilles et de la Guyane, président de l’Association of Caribbean Historians.
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[1]
Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique, un espace non poppérien de l’argumentation, Albin Michel 2006, (nouvelle édition revue et augmentée, Nathan 1991), p. 104.
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[2]
Cette appellation permet, suivant les auteurs des rapports, de contourner la question de couleur ou de la faire quelquefois ressurgir. Voir Service historique de la Défense, Vincennes (SHD), série 13H.
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[3]
Pour La Réunion, voir le travail pionnier de Prosper Ève, La Première Guerre mondiale vue par les Poilus réunionnais, Paris, Éditions CNH, 1992.
-
[4]
Marc Larcher, À travers la Martinique ou les vacances de Gérard, Paris, Les Presses artisanes, 1954 (1901).
-
[5]
Interpellation de Gratien Candace à la chambre des députés, 1912, cité par L’Étincelle, n° 63, 8 août 1912.
-
[6]
SHD, 9N1147, Note du député Duquesnay, 1899.
-
[7]
« En tous cas il serait urgent de faire quelque chose, quoi que ce soit, de faire un pas en avant que projet de loi déposé et voté prochaine session et inscrits au budget de 1900 ». SHD, 7N78, Note manuscrite sur carte de visite, député Duquesnay.
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[8]
Nous ne développerons pas ici les incidences pour l’analyse de ces différentes catégories, qui permettent néanmoins de n’en pas mélanger les réalités.
-
[9]
SHD, 7N78, Projet de loi portant application du service militaire à l’île de la Martinique, à l’île de la Guadeloupe et dépendances, et à la Guyane. (sans date).
-
[10]
Les rapports militaires soulignent que la plupart des engagements militaires antillais, hors période de guerre, viennent des classes sociales les plus défavorisées, souvent illettrées. On peut imaginer là une façon d’échapper à la canne et ses misères.
-
[11]
SHD, 7N78, Le ministre de la Guerre à M. le ministre des Affaires étrangères, application de la loi de 2 ans, mars 1905.
-
[12]
Journal officiel de la Martinique (JOM), 1911, p. 77, en italique dans le texte.
-
[13]
Par exemple, La Vérité, (Fort de France) 3 et 5 septembre 1912.
-
[14]
Le Nouvelliste, mardi 4 mars 1913.
-
[15]
Le Nouvelliste, jeudi 10 avril 1913.
-
[16]
L’Étincelle, n° 118 1 janvier 1914.
-
[17]
Titre employé par la rédaction du journal pour condamner « le vent de patriotisme » qui soufflait alors sur la France. L’Étincelle, n° 94 du 27 mars et 3 avril 1913
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[18]
Jacques Dumont, « Un journal antimilitariste et libertaire à la Guadeloupe : L’Étincelle, 1911-1914 », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 173, 2016.
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[19]
L’Étincelle, « nos soldats », n° 122, 20 janvier 1914, p. 2. Le terme imprudence peut être entendu dans toute sa connotation sanitaire aux Antilles. L’imprudens en créole représente le non respect des catégories du froid et du chaud qui sous-tendent toute l’épidémiologie populaire. Voir Christiane Bougerol, La médecine populaire à la Guadeloupe, Paris, Karthala, 1987.
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[20]
Des chiffres font même état de 80 % d’inaptes (discours de M. Germany au Conseil général de la Martinique, 1914). Ils viennent appuyer des demandes de subvention pour des sociétés de préparation militaire, et sont assez largement supérieurs aux autres données disponibles. Néanmoins Eboué parlera encore en 1936 de la faible proportion de déclarés aptes, 20 %, chiffre le plus bas observé sur une terre française…
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[21]
Pierre-Éric Fageol, « La Réunion et la Grande Guerre (1914-1918). Adaptation des programmes de troisième en histoire », Tsingy (Revue du CRESOI) n° 11, 28 août 2012.
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[22]
Cette solution était déjà utilisée pour la préparation des tirailleurs sénégalais.
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[23]
Celui-ci est principalement mesuré par l’indice Pignet, rapport entre la taille, le poids, et le périmètre thoracique. Indice qui sera contesté sur place puis jugé inadapté aux « races négroïdes » (Commandant Sergent, L’éducation au service de la colonisation, Paris, Joinville, 1937)
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[24]
La France coloniale, 17 avril 1915.
-
[25]
SHD, 7N1992, Direction de l’infanterie à état-major, exécution note 8068 3/11, 31 octobre 1915 (signé colonel Margot).
-
[26]
SHD, 7N1992, Ministère de la Guerre à M. le général commandant les forces terres et mer en Afrique du Nord, généraux, des 15, 16, 17, 18e régions.
-
[27]
SHD, 7N1992, Dépêche ministérielle du 10 septembre 1915.
-
[28]
Ibid.
-
[29]
SHD, 9NN7/1150, Ministère de la Guerre, 16 septembre 1196.
-
[30]
SHD 7N 440.
-
[31]
Jacques Ozouf, « Le thème du patriotisme dans les manuels scolaires », Le Mouvement social, octobre-décembre 1964, p. 5-31. Repris dans Mona Ozouf, L’école de la France, Essai sur la Révolution l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, 1984, p. 185-213.
-
[32]
Gaston Monnerville, Témoignage, Paris, Éditions Rive droite, 1997.
-
[33]
SHD 7N78, Note sur le recrutement (manuscrit sans date).
-
[34]
SHD, Lettre du 1er novembre 1912, Gouverneur de la Guadeloupe et dépendances au ministre des Colonies.
-
[35]
Le Nouvelliste, 17 juillet 1913, « La conscription à la Martinique ».
-
[36]
L’Étincelle n° 94, 27 mars et 3 avril 13.
-
[37]
Le Colonial, 23 juillet 1913.
-
[38]
La Paix, n° 185, 6 février 1915, lettre pastorale de M. l’administrateur apostolique.
-
[39]
La Paix, n° 181, 23 janvier 1915.
-
[40]
Archives Départementales de la Martinique (ADM), 1R9855.
-
[41]
La Paix, n° 208, 8 mai 1915
-
[42]
Rachel Mnemosyne, « La Réunion et les Réunionnais dans la grande guerre, 1914-1918 », La Réunion sous la Troisième République (1870-1940), Océan Éditions, 2005.
-
[43]
Journal officiel de la Guyane, mai 1915.
-
[44]
Ibid., discours de V. Sévère, maire de Fort de France.
-
[45]
L’Union sociale du 16 juin 1915, extrait d’une lettre adressée à Osman Duquesnay.
-
[46]
Jacques Dumont, « La figure de l’ennemi : les Antilles et la Première Guerre mondiale », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 168 (Actes du colloque la Caraïbe et la Première Guerre mondiale), mai-août 2014, p. 135-151, article sélectionné et mis en ligne sur le site centenaire.org.
-
[47]
L’Étincelle, n° 12, 17 août 1911. « Le conflit franco-allemand et la colonisation ».
-
[48]
L’Étincelle, n° 16, 14 septembre 1911, « Inconséquence et nécessité ».
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[49]
Pour une analyse, voir Sergio Luzzatto, L’impôt du sang, La gauche française à l’épreuve de la guerre mondiale (1900-1945), Presses universitaires de Lyon, 1996, en particulier le premier chapitre : La tranchée des professeurs.
-
[50]
L’Étincelle, n° 17, 21 septembre 1911.
-
[51]
Ibid.
-
[52]
L’Étincelle, n° 105, 25 septembre 1913, « Guerre et civilisation ».
-
[53]
Jacques Ellul, Propagandes, Paris, PUF, 1990, p. 75.
-
[54]
Laurence Van Ypersele, « Progagandes de guerre et consentement des populations », in Laurence Van Ypersele (dir.) Questions d’histoire contemporaine, Conflits, mémoires et identités, Paris, PUF, p. 174.
-
[55]
Sur ce thème, voir, pour une présentation, Jean-François Chanet, « La Petite patrie », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La France d’un siècle à l’autre, Tome 1, Paris, Hachette (Pluriel), 1999, p. 285-293.
-
[56]
La France coloniale, 4 août 1914, Discours de V. Sévère, maire de Fort de France (par ailleurs propriétaire du journal).
-
[57]
Archives départementales de Guyane, cité dans Sarah Ebron, Lydie Ho Fong Choy Choucoutou, Sidonie Latidine et Jacqueline Zonzon, La Guyane et la Grande Guerre 1914-1928, Matoury, Ibis rouge Éditions, 2014, p. 18.
-
[58]
Nouveau Journal de l’île de la Réunion, 12 août 1914, ADR 1 PER 52/10.
-
[59]
Conseil général de la Martinique, session ordinaire de novembre 1914.
-
[60]
L’Étincelle, n° 134 23 avril 1914.
-
[61]
L’Union sociale, samedi 27 novembre 1915.
-
[62]
L’Union sociale, 14 mai 1915.
-
[63]
Le Colonial, 5 mai 1915.
-
[64]
SHD, 11YE3665, Livret militaire du médecin major André Joseph Pichon.
-
[65]
L’Étincelle, n° 109, 30 octobre 1913, «Au sujet de l’incorporation » ; le n° 108, auquel il est fait référence n’a pas été retrouvé (Lacunes à la BnF, le journal n’est pas aux ADG).
-
[66]
Sur le parcours de Joseph André Pichon, voir Jacques Dumont, Sport et assimilation à la Guadeloupe, Les enjeux du corps performant de la colonie au département, Paris, L’Harmattan, 2002, chapitre 2.
-
[67]
Dans les articles les noms sont portés, ils concernent des blancs pays et familles bien connues en Guadeloupe.
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[68]
L’Étincelle, n° 111, 13 novembre 1913.
-
[69]
L’Étincelle, n° 120 le 15 janvier 1914, « Lâcheté ».
-
[70]
G. Souquet-Bassiège, Le Préjugé de race aux Antilles françaises, Paris, 1883 (réédition Désormeaux, 1979).
-
[71]
SHD, 13H1/d2, Rapport annuel du commandant supérieur des troupes du groupe des Antilles, 1904.
-
[72]
La Paix, 16 janvier 1915.
-
[73]
Interpellation de Lagrosillère-Boisneuf, 23 mars 1916, Chambre des députés, cité par Georges Mauvois, Louis des Etages (1873-1925), Itinéraire d’un homme politique martiniquais, Paris, Karthala, 1990, 142 p., p. 44-45.
-
[74]
Le Bloc, 5 février 1916.
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[75]
Cité dans Sarah Ebron, La Guyane et al., op. cit., p. 34.
-
[76]
On peut évoquer Les Croix de bois de Roland Dorgelès, « La gnôle réchauffait quand on avait froid, soutenait quand on avait faim, réveillait quand on était las : cela remplaçait le pain, le charbon, le repos ».
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[77]
Voir Christian Schackenbourg, histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe XIXe-XXe siècles, fluctuations et dépendances (1884-1946), t. 3, Paris, L’Harmattan, 2009.
-
[78]
Candace Gracien, « Conférence à l’école coloniale », Paris, 30 mars 1919.
-
[79]
SHD 7N440.
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[80]
La France coloniale, samedi 26 juin 1915, reprise d’un article paru dans Paris-midi et La plus grande France.
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[81]
Le Peuple, lundi 11 novembre 1918.
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[82]
Lara Oruno, La Guadeloupe physique, économique, agricole, commerciale, financière, politique et sociale de la découverte à nos jours (1492-1900), Paris Nouvelle librairie universelle, 1921, p. 336. Une réédition en fac similé a été faite en 1979 par les éditions L’Harmattan.
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[83]
L’Étincelle, n° 104 18 sept 1913, « AUTONOMIE ».
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[84]
Le Libéral, 14 septembre 1918, article de Boisneuf Achille-René, «Aimons la Guadeloupe ».