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Article de revue

Des guerres asiatiques à la Grande Guerre en Europe : une mutation des troupes indigènes d’Indochine ?

Pages 49 à 64

Notes

  • [*]
    Henri Eckert est maître de conférences en histoire contemporaine à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de Martinique (Université des Antilles) et membre de l’EA 929 AIHP GEODE.
  • [1]
    Une compagnie indigène commandée par le lieutenant Viard participe à la prise de Saigon en 1859. Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, Histoire des militaires indochinois au service de la France (1859-1960), Paris, Lavauzelle, 1999. p. 9
  • [2]
    Des unités ou soldats indigènes participent à la conquête de la Cochinchine à partir de 1859, aux expéditions du Cambodge et du Tonkin, aux explorations de Francis Garnier et d’Auguste Pavie, à la prise de possession de Kouang Tchéou Wan, à la campagne de Chine en marge du siège de Pékin, au désarmement des réformistes chinois sur la frontière Nord de l’Indochine, à la garnison des légations, et, à la fin de la Première Guerre mondiale, à l’expédition de Sibérie.
  • [3]
    Selon Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923.
  • [4]
    Dès le mois d’août 1883, le général Bouet réclame la constitution d’une division complète au Tonkin. La prise de Son Tay en décembre 1883 oppose près de 6 000 Français à environ 10 000 adversaires. Le combat dure trois jours. L’année 1884 voit opérer des colonnes de la taille d’une brigade qui livrent plusieurs engagements, notamment à Chu et Kep sur la route de Lang Son. Cette dernière localité est prise par l’action de deux brigades, l’une d’elle partant ensuite relever la garnison de Tuyen Quang au prix d’une bataille qui lui vaut près de 80 tués et 800 blessés, tandis que la retraite de l’autre provoque la chute du ministère Ferry. Les armées chinoises disposent de canons Krupp et de mitrailleuses Nordenfelt. Général Aubert (dir.), Histoire militaire de l’Indochine française, des débuts à nos jours, Hanoi-Haiphong, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1930.
  • [5]
    Paul Doumer, Situation de l’Indochine 1897-1901, Hanoi, Schneider, 1902, p. 71. Il faut cependant nuancer. Si l’on trouve en 1905 la portion centrale et 4 compagnies du 1er Régiment de Tirailleurs tonkinois (RTT) à Hanoi, 6 compagnies du 2e RTT à Sept Pagodes, 4 compagnies du 3e RTT à Bac Ninh et 4 compagnies du 4e RTT à Nam Dinh, le reste de ces unités reste déployé par compagnies, et parfois encore par petits postes dans le cas du 3e RTT. Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, Histoire des militaires indochinois au service de la France (1859-1960), op. cit., annexe II, p. 132
  • [6]
    Service historique de la Défense (SHD), armée de Terre, carton 10H12 dossier 6 (concerne le 1er territoire militaire).
  • [7]
    Christophe Cony, Michel Ledet, L’aviation française en Indochine des origines à 1945, Le Vigen, Éditions Lela Presse, Collection histoire de l’aviation, 2012, n° 21.
  • [8]
    Voir sur cette question Henri Eckert, « Double-Edged Swords of Conquest in Indochina 1883-1895 » in Karl Hack, Tobias Rettig (ed.), Colonial Armies in South-East Asia, Routledge, 2006, p. 126-153.
  • [9]
    Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), AF 26414, Décret du 19 septembre 1903, cité par le rapport Pennequin de 1911.
  • [10]
    Voir les photos publiées par L’Illustration du samedi 19 juillet 1913.
  • [11]
    Voir notre communication aux entretiens d’outre-mer le 20 mars 2014 : «Un référendum indigène » : entre défense de l’empire et politique coloniale, les enjeux du recrutement des tirailleurs en Cochinchine, 1905-1906. Publication à paraître dans les actes du colloque De l’Indochine coloniale au Viêt Nam actuel, Académie des Sciences d’Outre-Mer.
  • [12]
    ANOM, Indochine, Ancien fonds A30 (122), carton 22 : contient le texte de deux conférences du général Pennequin, et la demande de sanction du ministre des Colonies, Lebrun, en septembre 1912. Sarraut repousse dans un premier temps la demande mais renvoie Pennequin en 1913.
  • [13]
    On peut se reporter à Jacques Frémeaux, Les Colonies dans la Grande Guerre. Combats et épreuves des peuples d’outre-mer, Saint-Cloud, Éditions Soteca, 2006. En Indochine, les citoyens français furent mobilisés en premier ; les réservistes indigènes rappelés en novembre 1915, et le recrutement de volontaires lancé en décembre 1915.
  • [14]
    Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, op. cit., p. 50.
  • [15]
    Selon Albert Sarraut, sur les 48 922 recrues de la guerre, 43 340 ont été envoyées en Europe.
  • [16]
    48 254 selon Albert Sarraut, op. cit., p. 42-43.
  • [17]
    Kimloan Vu-Hill, Coolies into Rebels. Impact of World War I on French Indochina, Paris, Les Indes Savantes, 2011. L’auteur souligne aussi l’impact de la pauvreté et de la sous-alimentation dans l’afflux de volontaires.
  • [18]
    « On savait que le spectacle, en sa beauté traditionnelle, comportait, cette fois, un pittoresque inédit dû à la présence de divers détachements de tirailleurs algériens, annamites, sénégalais, de spahis et de cavaliers soudanais » écrit le chroniqueur de L’Illustration du 19 juillet 1913.
  • [19]
    Nombreux exemples et commentaire des uniformes dans Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, op.cit., p. 50-69.
  • [20]
    Une circulaire ministérielle de mars 1917 s’inquiète ainsi de la distribution des effets chauds aux troupes indigènes. Les réponses des commandants d’unités indochinoises sont au SHD, carton 16N196.
  • [21]
    SHD 16N196, général de division Mangin au commandant en chef, n° 9022 du 18/03/1917.
  • [22]
    SHD 4H33, dossier 1. Rapport du capitaine Charbonnier, 27/08/1917
  • [23]
    Kimloan Vu-Hill, op. cit. donne quelques exemples de rations servies à des unités de travailleurs. Appendix K p. 171
  • [24]
    SHD 16N2767 dossier 3.
  • [25]
    SHD 16N1507, Compte-rendu du chef de bataillon Chaptal sur le moral des tirailleurs du 23e BIC, 11/05/1918.
  • [26]
    Voir par exemple le journal de marche et d’opérations du 3e bataillon, qui regroupe les Cochinchinois prélevés sur les autres bataillons pour aller hiverner dans le midi au cours de l’hiver 1917-1918. À consulter sur le site « mémoire des hommes » du ministère de la Défense, ou SHD 26N874 dossier 3.
  • [27]
    Mireille Favre-Le Van Ho a la première étudié en détail la mise sur pied de cet appareil de contrôle, et le contenu de la correspondance des tirailleurs et travailleurs en France, dans sa thèse de l’école des Chartes, Un milieu porteur de modernisation : travailleurs et tirailleurs vietnamiens en France pendant la Première Guerre mondiale, 1986. Voir aussi Mireille Favre-Le Van Ho, Des Vietnamiens dans la Grande Guerre. 50 000 recrues dans les usines françaises, Paris, Vendémiaire, 2014.
  • [28]
    Pour un exemple publié, voir Maurice Rives, Éric Deroo, op. cit. p. 63.
  • [29]
    À l’entrée en guerre, la division d’infanterie comporte quatre régiments groupés en deux brigades. Au cours de la guerre, elle passe à trois régiments et les brigades sont supprimées.
  • [30]
    Ils ont été numérotés du 1er au 25e BTI (Bataillons de Tirailleurs Indochinois), mais le 5e, le 15e et le 19e ont été dissous à la colonie après quelques mois d’existence seulement. Le 8e BTI quant à lui a été dissous à Djibouti en février 1916. Voir Maurice Rives, Eric Deroo, op. cit., qui donnent en annexe IV un tableau récapitulatif des BTI, p. 132-133.
  • [31]
    Il s’agit des 1er et 2e bataillons affectés sur le front d’Orient, des 7e et 21e sur le front français. La 4e compagnie du 6e bataillon, déployée devant Verdun pour la reprise du fort de Douaumont en octobre 1916, a également obtenu le titre de combattant.
  • [32]
    Voir les rapports sur le moral, SHD 16N1517. Voir par exemple les rapports du 21e bataillon (4 novembre 1917), du 11e bataillon (6 décembre 1917), du 7e bataillon (8 mai 1918), etc.
  • [33]
    Un bon aperçu en est donné par Michel Goya, L’invention de la guerre moderne. Du pantalon rouge au char d’assaut 1871-1918, Paris, Tallandier, 2014.
  • [34]
    Rapport du lieutenant-colonel Galand sur la transformation en unités de combat des bataillons d’étapes, 30/05/1917, SHD 16N196
  • [35]
    Dès juillet 1916, plus de 200 tirailleurs du 6e bataillon rejoignent une section de transport militaire. Des appels à volontaires sont régulièrement lancés. En 1917, plus d’un millier d’Indochinois sert au service automobile. En 1918, 4 000 autres sont versés à la Réserve automobile n° 1, qui compte 1 300 véhicules dont les deux tiers seront alors conduits par des Indochinois. Commandant Doumenc, Les transports automobiles sur le front français 1914-1918. Paris, Plon, 1920.
  • [36]
    Roland Dorgelès, Sur la Route mandarine, Paris, Albin Michel, 1925.
  • [37]
    Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix, Paris, Arthème Fayard, 1920.
  • [38]
    SHAT 7N2306 dossier 1.
  • [39]
    Cette manière d’apprécier les Indochinois, assez traditionnelle dans les troupes coloniales, a été validée par l’état-major de l’armée : voir une note du général Alby, chef d’état-major général, adressée à la direction des troupes coloniales, 27 avril 919, SHD 16N196.
  • [40]
    Jean-Yves Le Naour semble partager cette analyse puisqu’il ne mentionne qu’en passant les Indochinois « qui ne font jamais parler d’eux », La honte noire, Paris, Hachette, 2003, p. 223.
  • [41]
    Ibid.
  • [42]
    SHD 7N23, Commission interministérielle des troupes indigènes, note non datée de la 2e sous-commission. 51 dossier 1.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    SHD 9N268 dossier 3, Télégramme du 21 février 1922.
  • [46]
    SHD 9N268 dossier 3, Annexe au rapport n° 8138D du 12 septembre 1921.
  • [47]
    Pendant la guerre, le général Famin avait diffusé une directive sur l’emploi des Indochinois. En 1922, le général Noguès rédige une notice sur les troupes indochinoises, largement diffusée par la Revue des Troupes coloniales, et dont la tonalité est reprise par la commission de rédaction d’un Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer diffusé dans les années 1920. Le ministère de la Guerre publia également un Manuel élémentaire à l’usage des officiers et sous-officiers appelés à commander des Indigènes Coloniaux dans la métropole, dont le fascicule I était consacré aux Indochinois.
  • [48]
    SHD 9N270, dossier 6, Rapport du Résident Supérieur, contrôleur général des troupes indochinoises, au ministre des colonies, sd. [1924]
  • [49]
    SHD 9N270, dossier 6, Note de la direction des Troupes coloniales adressée à l’EMA, 05/08/1927.
  • [50]
    SHD 9N270, dossier 6, Rapport du Résident Supérieur, contrôleur général des troupes indochinoises, au ministre des colonies, sd. [1924]
  • [51]
    Le nombre de bataillons européens passe de 13 en 1914 à 6 en 1916, pour 16 bataillons indigènes. Henri Eckert, Les militaires indochinois au service de la France 1859 – 1939, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 324.
  • [52]
    Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer, Paris, Charles-Lavauzelle, 1923. La commission de rédaction, présidée par le général Mangin, comporte neuf officiers généraux et neuf officiers supérieurs.
  • [53]
    L’édition en ma possession, datée de 1950, dresse l’organisation des troupes au 1er mars 1925, mais comporte une carte dessinée par l’Institut géographique national en 1947.
  • [54]
    Voir sur ce point Nguyen Van Ky, La société vietnamienne face à la modernité : le Tonkin de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1995. p. 239 et suivantes, « La coupe carrée »
  • [55]
    SHD 10H17, Note du général Verdier, 28 novembre 1933 : « Les procédés enfantins, tels que tirailleurs déguisés en civils, etc, seront à proscrire absolument. »

1En 1914, les troupes indigènes d’Indochine ont déjà plus d’un demisiècle d’existence, si l’on inscrit dans la continuité les divers tâtonnements qui menèrent de la présence d’une compagnie indigène à la prise de Saigon en 1859 [1], au recrutement du premier régiment régulier vingt ans plus tard et à la formation, sur le modèle cochinchinois, de régiments tonkinois en 1885. Depuis cette date, avec un total de bataillons qui oscille entre 15 et 29, elles dépassent en nombre les unités françaises présentes à la colonie. Systématiquement associées à toutes les opérations menées en Asie [2], les troupes indigènes d’Indochine sont envoyées en Europe à partir de la fin 1915 [3]. Dans quelle mesure la participation de ces troupes à une guerre radicalement différente de celles pour lesquelles elles avaient été recrutées et employées, amène-t-elle une mutation de ces unités indigènes ?

2Par mutation, on entend une transformation profonde, portant sur l’organisation et l’équipement, mais aussi sur la place de ces troupes dans le système militaire français, tant d’un point de vue opérationnel que, plus généralement, du rang et de la considération qu’on leur attribue.

3Il faudrait alors distinguer, d’une part les transformations opérées par la participation à une forme de guerre nouvelle, sous un climat différent, face à un adversaire différent ; d’autre part les enseignements tirés de cette guerre qui alimentent une refondation des forces indigènes au début des années 1920. C’est alors seulement qu’on pourrait mesurer l’effet de cette (éventuelle) mutation des troupes indigènes.

1. Avant la guerre : une dynamique de transformation ?

4De 1883 à 1885, la conquête du Tonkin et la guerre contre la Chine furent marquées par une succession de batailles, opposant plusieurs milliers d’hommes de part et d’autre [4]. Les hommes du régiment de tirailleurs annamites de Cochinchine ou des nouveaux régiments levés au Tonkin tinrent leur place dans la ligne de bataille, face aux aux Pavillons Noirs et aux troupes régulières de l’Annam et de la Chine. Mais le traité de paix de Tianjin en juin 1885, presque aussitôt suivi par la révolte anti-française lancée par le régent Thuyet en juillet, mit un terme à ce style de guerre et ouvrait la période de pacification. Les troupes indigènes d’Indochine sont désormais employées à la « petite guerre » qui ne cesse jamais véritablement dans cette colonie. Douze années de pacification, la chasse aux différentes catégories de « pirates », la protection de la frontière de Chine, l’exploration des confins laotiens contribuent à maintenir les cinq régiments de tirailleurs dans un mode de fonctionnement très décentralisé, une part notable des effectifs étant affectée à des postes parfois lointains, à des patrouilles parfois profondes, et à des opérations qui dépassent rarement le niveau de la compagnie.

5Cependant, l’évolution du contexte asiatique et l’arrivée à la tête de la colonie de Paul Doumer, en 1896, amènent un premier effort de conversion des troupes indigènes pour les adapter à un nouveau rôle, celui d’une troupe de ligne susceptible d’être engagée dans un affrontement avec des puissances régionales telles que l’Angleterre ou le Japon. Les premières années du xxe siècle voient donc s’opérer un redéploiement des troupes, qui sont concentrées dans les deux deltas du fleuve Rouge et du Mékong, et viennent tenir garnison, par bataillons entiers, aux abords des grandes villes [5]. Parallèlement s’effectuent des manœuvres et des exercices qui visent à entraîner les troupes indigènes aux pratiques de la guerre « à l’européenne », avec sa mobilité stratégique par chemin de fer [6] et ses affrontements de grandes unités. Deux nouveaux régiments de tirailleurs sont levés, l’un en Cochinchine pour doubler le régiment de tirailleurs annamites existant depuis 1879, l’autre au Tonkin pour renforcer les 4 régiments de tirailleurs tonkinois recrutés au temps de la conquête. L’armement suit cette tendance à l’alourdissement, avec la généralisation des sections de mitrailleuses, et le déploiement progressif du canon de 75 en complément du vieux 65 de montagne. Les premiers avions visitent l’Indochine avant même le début de la guerre, sans donner lieu pour autant à la mise sur pied d’unités [7].

6Parallèlement à ces transformations militaires s’affirment des projets de rénovation politique. Même si la France a capté à son profit le système de conscription établi par l’ancienne monarchie, l’armée indigène n’a rien d’une armée nationale [8]. Soumises à l’autorité du colonisateur depuis les plus hauts échelons de la hiérarchie (il n’y a plus aucun officier de statut indigène en 1914) jusqu’au grade le plus modeste des sous-officiers (on compte réglementairement 4 officiers et 13 sous-officiers français par compagnie de tirailleurs, pour 4 sergents et 1 adjudant indigènes [9]), les recrues ne trouvent rien, dans leur nouvel univers, qui les rattacherait à leurs traditions nationales. La langue de commandement est le français, et la symbolique est française comme le rappelle la remise solennelle des drapeaux au 1er régiment de tirailleurs annamites et au 4e tonkinois par le président de la République à la revue de Longchamp le 14 juillet 1913 [10]. Une réforme de la conscription, dans laquelle le ministre des Colonies Étienne Clémentel aurait voulu voir une véritable association des autorités locales à la charge militaire, ne débouche que sur l’introduction du tirage au sort, qui semble dissocier plus encore le métier des armes de la vie nationale en le faisant reposer sur la fatalité [11]. Le commandant supérieur des troupes du groupe de l’Indochine a beau, en 1912, tenir des conférences sur la nécessité de faire de l’armée un instrument de promotion des élites indigènes, il n’obtient que son renvoi par le gouverneur général Sarraut effrayé par les conséquences politiques de tels propos [12].

7Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, les troupes indigènes d’Indochine restent marquées par le modèle de domination coloniale. Le mouvement entamé vers la modernisation tactique et technique achoppe sur l’absence totale d’évolution politique, qui les maintient en situation subordonnée et fait d’elles une sorte d’armée mercenaire dans leur propre pays.

2. La Première Guerre mondiale, un puissant facteur de transformation

8Que la guerre qui éclate en Europe au mois d’août 1914 doive transformer l’instrument militaire d’Indochine, peu de contemporains l’ont sans doute soupçonné dans les premiers mois du conflit. Il ne nous appartient pas de retracer ici comment, dès la fin de 1915, fut enclenché un mouvement que personne n’aurait envisagé un an plus tôt : l’envoi d’indigènes coloniaux au secours de la métropole [13]. Cet envoi, qui témoigne d’une rapide évolution des esprits, se traduit surtout par une importante augmentation du recrutement militaire. Alors que les effectifs indigènes ne dépassaient guère les 15 000 hommes en 1914 [14], répartis en 5 régiments de tirailleurs et quelques batteries d’artillerie mixtes, c’est près du triple qui sont recrutés pour être expédiés en Europe au cours de la guerre [15], sans que la garnison indigène de l’Indochine ne soit notablement diminuée (à la différence des troupes européennes). Encore faut-il ajouter à ce chiffre plus de 40 000 travailleurs [16] enrôlés dans des formations militarisées qui partent dans les usines de munitions, poudreries, ou autres entreprises participant à l’effort de guerre. Au total, il y a donc six fois plus d’Indochinois qui portent l’uniforme en Europe qu’à la colonie pendant la Grande Guerre.

9Cette augmentation quantitative semble s’être traduite aussi par une transformation qualitative. Si, dans l’optique d’une historiographie classique, les quelques incidents qui émaillent le recrutement de cette masse nouvelle de tirailleurs ont été depuis longtemps relevés comme des jalons de la résistance anti-coloniale, les travaux plus récents de Kimloan Vu-Hill montrent que le « voyage vers l’Ouest » a pu aussi séduire des volontaires attirés par la perspective de découvrir un Occident symbole de modernité [17]. De fait, alors que les tirailleurs sont habituellement décrits comme issus des couches les plus pauvres de la population, on trouve parmi les militaires envoyés en Europe des lettrés qui rédigent en caractères et mêmes en nôm les nombreuses lettres adressées à leur famille par leurs compatriotes. La propagande coloniale met également en avant la présence de membres de la famille régnante d’Annam. On peut donc admettre qu’une part des hommes envoyés en Europe aspire à s’associer aux transformations que la guerre fait naître, et aux modernisations entreprises par l’armée française dans son ensemble.

10À cet égard, la comparaison de l’apparence des troupes, entre la revue de Longchamp en 1913 et les défilés de la victoire en 1918 ou 1919 suffirait à mesurer le chemin parcouru. En 1913, c’est encore l’archaïsme exotique de la tenue traditionnelle qui flatte l’œil des photographes, avec des couleurs vives et des rubans flottant au vent [18]. En 1918 au contraire, il n’y a plus grande différence visuelle entre les tirailleurs et le reste de l’armée française : le casque Adrian, qui a imposé le port des cheveux ras (tandis que le salacco ou le chapeau conique permettaient de conserver les cheveux longs sous un turban), la tenue de drap kaki ou parfois bleu horizon qui se substitue aux effets de toile, le béret, les brodequins qui remplacent, non sans souffrance, les sandales… [19] Cette adaptation, qui reste tributaire des soubresauts des livraisons d’effets, ne s’est pas faite d’un seul coup, ni sans études. Les archives portent trace des demandes adressées aux commandants d’unités, pour choisir les vêtements les mieux adaptés à chaque catégorie d’indigène [20]. Le général Mangin en personne n’hésite pas à affirmer que « les Annamites se sont aisément habitués à la chemise », non sans remarquer que d’autres catégories d’indigènes n’en ferment pas les boutons [21]. De même, les différents systèmes de fermeture du pantalon font l’objet de longs débats, et si le pull marin semble remporter la plupart des suffrages, c’est encore Mangin qui impose l’usage des chaussettes et du caleçon.

11L’adaptation alimentaire n’a pas été plus facile. Lors du transport, qui ne dure jamais moins d’un mois, il arrive que les troupes ne touchent que la ration réglementaire, riz, sel et viande ou poisson. L’impossibilité de se procurer fruits et légumes amène parfois le béribéri, qui frappe un détachement de 1 233 Indochinois embarqués sur le Yeifuku Maru à l’été 1917. Plus que les carences en vitamines, c’est le riz qui est suspecté de provoquer l’épidémie (selon les termes du chef de détachement) [22]. En Europe, les difficultés pour se procurer cette céréale, à une époque où elle n’est pas encore entrée dans l’alimentation des populations locales, amènent à remplacer une partie de la ration quotidienne réglementaire de 800 g de riz par du pain. Sans que l’on puisse établir de règle, car les conditions locales jouèrent beaucoup, [23] il semble que la part du pain alla croissant. Une instruction ministérielle de décembre 1916 sur l’alimentation des Indochinois en France fit passer la part du riz de 500 à 400g. Les rapports sur le moral soulignent l’impopularité de la mesure. En 1918, année où le rationnement alimentaire des civils se généralise, des rapports signalent les difficultés de l’intendance à fournir la ration réglementaire. En compensation, les Troupes coloniales font importer des produits exotiques, nuoc mam, crevettes séchées, sardines pressées, piment, biscuit chinois, tiges de bambou, poissons salés, etc [24]. Mais en mai 1918, le commandant du 23e bataillon remarque que son unité n’a jamais pu en bénéficier, les touques de nuoc mam étant arrivées brisées [25].

12Autre préoccupation des autorités militaires, qui amène à une particularité des troupes d’Indochine : la question du climat. Alors que les unités sénégalaises sont retirées du front pour hiverner dans le Midi, les originaires d’Indochine sont classés en deux catégories : les originaires du Tonkin, de l’Annam et du Cambodge sont réputés supporter les rigueurs de l’hiver tempéré, tandis que les Cochinchinois sont prélevés des unités à partir du mois d’octobre pour aller hiverner à Fréjus ou Saint-Raphaël [26]. Cela montre que, malgré un recrutement encore régionalisé, le brassage des originaires des différentes parties de l’Indochine est bien plus avancé dans les unités envoyées en Europe que dans les régiments restés à la colonie. Quelques rixes entre Vietnamiens et Cambodgiens sont parfois mentionnées. Cette diversité ethnique plus grande, doublée de la rencontre avec le milieu français dans de toutes autres conditions qu’au pays, est un des facteurs qui amène une transformation de l’état d’esprit des militaires indochinois.

13Cet état d’esprit inquiète assez tôt les autorités françaises, qui mettent sur pied un système de contrôle postal et de censure, ce qui nous permet aujourd’hui de le retracer [27]. Mais de simples photos révèlent aussi ce que signalent les rapports des censeurs : la dissolution de la subordination systématique de l’indigène au Français. Cela apparaît dans le cadre civil, avec des soldats qui s’échangent leur photo en compagnie de femmes françaises, mais aussi dans le cadre militaire. Les unités métropolitaines ignorent la hiérarchie raciale qui double l’échelle des grades dans les troupes coloniales. Ainsi, en garnison, des corvées mixtes sont fréquemment commandées par des caporaux ou sergents indigènes, un cas de figure soigneusement évité à la colonie. Mais les photographies ne nous montrent pas les corvées. Ce sont plutôt des groupes fraternels où les Indochinois sont fiers de se mêler aux Français [28], les sous-officiers portant comme eux le képi, ce que l’on ne verrait guère en Indochine.

14Les rapports mensuels des censeurs coloniaux ont beau signaler que la quasi-totalité des tirailleurs reste indifférente à la révolution russe par exemple, on comprend que toutes les petites révolutions du quotidien, qui les font entrer concrètement et à petits pas dans le champ de l’égalité avec les Français, ont une influence durable sur la représentation du monde qu’ils forgent à partir de leur expérience de la guerre en Europe. Mais, au-delà de la fierté qui naît du fait même d’avoir été appelé en renfort, le rôle militaire des nouvelles unités levées pour l’Europe reste très modeste.

15Dès le départ, les hommes ont été incorporés dans des bataillons d’à peu près mille hommes, spécialement créés pour les accueillir. On renonce donc d’emblée à les regrouper en régiments. Le régiment est pourtant le pion de base de la manœuvre de la division, la grande unité interarmes qui est elle-même à la base de toute l’organisation des armées françaises [29]. Le choix de ne pas dépasser le niveau du bataillon indique que la participation des troupes d’Indochine n’est conçue que comme un appoint, et que leur emploi se fera en renfort des unités françaises plutôt qu’en unités autonomes. Leur participation aux combats n’en sera que plus limitée : sur la vingtaine de bataillons levés [30], seuls quatre ont obtenu la qualification de combattants, deux sur le front français et deux dans les Balkans [31]. La montée en ligne de ces bataillons s’est souvent effectuée en ordre dispersé. Ainsi le 7e bataillon, qui participe aux batailles de l’Aisne en avril et mai 1917, sur le flanc droit de l’offensive Nivelle, est-il réparti entre les unités de sa division de rattachement, à raison d’une compagnie par régiment. L’une de ses compagnies est elle-même disloquée en demi-sections, réparties entre les bataillons du régiment français. Les autres bataillons indochinois ne sont que des unités d’étape, qui accomplissent dans le secteur des armées, c’est à dire à proximité du front, des tâches logistiques de construction ou d’entretien des infrastructures, de ravitaillement, de transport, parfois de production agricole ou d’exploitation forestière. À l’arrière, ils montent la garde dans les camps de prisonniers ou la prison de Fresnes, dans les usines ou les établissements militaires, à l’aérodrome du Bourget… Mais il leur arrive aussi de partager le labeur des ouvriers non spécialisés recrutés en même temps qu’eux. C’est le cas des 1 300 hommes du 14e bataillon, employés dès leur débarquement en octobre 1916 à la poudrerie de Saint Médard où ils retrouvent 2 500 travailleurs indochinois qui contribuent comme eux à endiguer la « crise des munitions » qui frappe alors l’armée française.

16Malgré tout, les hommes ont, semble-t-il, eu à cœur de préserver le caractère militaire qui fait leur fierté. Les périodes d’instruction sont accueillies avec faveur [32]. Elles permettent aux tirailleurs de se familiariser avec les armes et tactiques nouvelles mises en œuvre au cours de la guerre par l’armée française [33] : fusil-mitrailleur, grenade à fusil, canon de 37 mm ou formation en essaim par exemple. Ce bon état d’esprit et cette adaptation aux procédés modernes laissent espérer une montée en ligne plus massive : mais c’est en fait le cadre européen qui fait défaut. Les tirailleurs sont commandés par de vieux coloniaux, qui les connaissent bien et leur sont dévoués, mais qui souvent n’ont plus les aptitudes physiques ou professionnelles requises pour mener des troupes au combat [34]. Les cadres les plus expérimentés, en déficit permanent dans toute l’armée, sont affectés de préférence à des troupes qui inspirent plus de confiance. Ce sont alors les hommes qui sont dirigés vers des formations non combattantes, à titre d’expérience. Ainsi, 5 000 Indochinois sont versés dans le service de santé où ils servent comme infirmiers, tandis que 5 000 autres rejoignent le service automobile et participent à la motorisation des armées [35]. Ils assurent notamment le transfert stratégique des troupes qui permet à la France d’enrayer les offensives allemandes de l’été 1918, et de reprendre l’initiative qui amènera la victoire. Cette contribution ignorée des Indochinois à la victoire aura plus prosaïquement des conséquences sur le développement du tourisme à la colonie. Quand Roland Dorgelès emprunte la route mandarine [36], son chauffeur est un ancien tirailleur qui a appris la mécanique à l’armée.

17Ainsi, à la signature de l’armistice, les troupes d’Indochine ont connu en Europe de nombreuses transformations. Mais elles n’ont pas véritablement connu de mutation. Leur valeur au feu n’a pas pu convaincre, puisque très insuffisamment éprouvée. Leur rôle est resté en tout point subalterne, comme avant-guerre. Pourtant, le maintien de ces troupes en Europe (car les hommes ont signé un engagement pour la durée de la guerre, auquel l’armistice n’a pas mis fin), leur participation au corps d’occupation en Allemagne, moins remarquée que les Africains de la « honte noire », ou leur déploiement sur le front d’Orient, amènent à réexaminer leur cas. Le général Mangin, par la voix de la Commission des troupes coloniales qu’il est amené à présider en 1920, est l’artisan d’un véritable projet de refondation.

3. Un projet de refondation dans l’après-guerre

18Le traité de Versailles qui met fin à la Grande Guerre en 1919 n’a pas rassuré ses contemporains. Jacques Bainville prophétise une nouvelle guerre dans vingt ans [37]. C’est pourquoi la « Chambre bleu horizon » se soucie particulièrement de réformer l’instrument militaire victorieux. Le général Mangin est nommé à compter du 1er mai 1920 à la tête d’une Commission interministérielle des troupes coloniales qui doit étudier leur réforme pour les adapter, tant à leur mission traditionnelle de défense des colonies, qu’à la guerre moderne qui vient de déchirer l’Europe. L’apôtre de la « force noire » avait montré dès avant la guerre qu’il avait une vision stratégique de l’empire. La reprise de Douaumont a attesté de sa compréhension de la tactique nouvelle. Enfin, son commandement des troupes d’occupation en Allemagne vient de le sensibiliser à la dimension politique de l’engagement des forces. Or le rapport [38] rendu dès le 8 juin sous l’autorité de cet expert est pour le moins inattendu : il recommande d’augmenter le recrutement des Indochinois dans d’énormes proportions, pour atteindre les 400 000 recrues. Il s’agit donc d’une transformation complète de l’outil militaire, non seulement issu de la colonie asiatique, mais de toute la « France de cent millions d’habitants ».

19Le premier argument de Mangin est effectivement d’ordre politique : pour lui, la guerre a soudé plus que jamais l’empire à sa métropole, et il est juste de faire contribuer chacune de ses parties de manière proportionnelle à la défense du tout. L’Indochinois tient donc sa faveur du fait qu’il a été le moins sollicité jusqu’à présent. Les cent mille volontaires levés pendant la guerre, dont une moitié seulement de soldats, sont à rapporter à une population de plus de vingt millions d’habitants, dont ils représentent une fraction infime. Dans les autres colonies, le taux de recrutement a été partout plus élevé. L’équité exige donc que l’Indochine connaisse un réajustement.

20Mais ces calculs de proportionnalité compteraient peu, si la commission ne décelait pas chez l’Indochinois une remarquable convergence de qualités. Il est l’indigène qui s’est le mieux acclimaté en Europe, comparable en cela aux Maghrébins, et supérieur aux Malgaches ou aux autres Africains. Il est également le plus apte à exercer la plus grande diversité d’emplois, qu’ils demandent de l’adresse, de l’intelligence, ou de l’endurance (mais peu de force physique) [39]. Le déploiement d’Indochinois ne présente pas non plus les inconvénients politiques que Mangin perçoit dans l’usage de troupes musulmanes en Méditerranée, ou de troupes africaines en Allemagne, comme l’a montré la campagne de la « honte noire » [40]. Même auprès des populations françaises, l’Indochinois serait sorti vainqueur dans la compétition de popularité qui l’opposait aux autres troupes indigènes. Il ne suscite pas autant d’appréhension que les Noirs, n’agace pas par ses chapardages comme l’Arabe…

21On aura remarqué que, parmi toutes ces qualités, fait notablement défaut la valeur guerrière. La commission se contente de recommander des tests plus extensifs que ceux pratiqués pendant la guerre. La même logique prévaut dans l’après-guerre. Le Levant puis le Maroc deviennent ainsi des terrains d’expérimentation, malgré l’opposition de Lyautey qui ne semble pas avoir partagé les vues de Mangin et de la commission des troupes coloniales.

22Le Parlement, dans un contexte de crise financière, ne vota jamais la loi de refondation des troupes coloniales souhaitée par la commission. Mais les reports successifs de la discussion du projet permirent à la commission d’élargir ses travaux à des questions qui furent largement débattues dans les deux décennies suivantes.

23Fidèle à sa vision politique d’une France de cent millions d’habitants, la commission ne pouvait que lancer le débat sur les questions liées de la race et des officiers. Le rapport de la commission soulignait la « nécessité militaire, politique et morale de créer un corps d’officiers indigènes » [41]. Une sous-commission est créée pour en étudier les conditions pratiques. Une de ses notes de travail montre dans quel esprit elle aborde cette tâche :

24

Ce n’est pas avant une vingtaine d’années que se posera, d’une façon pressante, l’accession des officiers indigènes nouvellement créés aux grades d’officiers supérieurs ; ce n’est guère avant une trentaine d’années que se présentera, sans doute, l’éventualité d’officiers généraux issus des cadres indigènes. Dès lors, il conviendra d’offrir de larges perspectives aux élites indigènes et d’indiquer des dispositions souples qui permettront, sans brusquerie ni retour en arrière, une adaptation constante aux conditions de l’avenir. [42]

25Le souci d’inscrire la réforme dans la durée et la certitude de travailler pour l’avenir sont frappants, au même titre que la volonté de poser immédiatement les premières pierres de l’édifice. Envisager en 1920 la possibilité pour un indigène colonial de devenir général est passablement audacieux (et la suite du débat le montre) : cela suppose en tout cas une belle confiance dans l’évolution de la politique coloniale. Mais l’éloignement du problème dans le temps justifie, pour l’auteur de la note, de ne pas essayer de le résoudre dès maintenant. Encore faut-il, pour qu’on puisse le résoudre dans trente ans, enclencher la réforme dès maintenant. En un raccourci tout militaire, qui unit l’intention à l’exécution, la note se place d’ailleurs dans la perspective où le corps des officiers indigènes serait déjà créé. La « nécessité » évoquée par Mangin serait entrée dans les faits, et les archives de la commission contiennent effectivement un projet de décret ouvrant aux indigènes les grades subalternes du corps des officiers. De même fonctionne à Fréjus, sans doute à l’initiative de Mangin et avec la complicité du général Jung, directeur des Troupes Coloniales, une école de perfectionnement des sous-officiers indigènes, qui prépare deux dizaines de candidats à l’épaulette.

26Mais la commission est très vite rattrapée par la question budgétaire, c’est-à-dire la crise financière de l’après-guerre qui conditionne, et parfois stérilise, les débats parlementaires. Elle adapte donc son travail aux restrictions qu’elle anticipe : des 400 000 Indochinois du projet initial, on passe bientôt à 200 000 indigènes au total, puis tout simplement à 100 000 coloniaux, français et indigènes compris. Malgré ces coupes, les projets de la commission sont encore trop politiques. L’objectif militaire affiché par la note déjà citée est de recruter un officier indigène pour 200 hommes de troupe. « Pour 200 000 indigènes, cela fait en compte rond 1 000 officiers indigènes à former d’ici dix ans » [43]. L’auteur de la note est parfaitement conscient qu’un tel volume de recrutement, dans une fonction prestigieuse liée à la souveraineté de la puissance occupante, n’est pas quelque chose d’anodin : « Il ne suffirait plus d’offrir le grade d’officier à quelques individualités. Il faut, véritablement, constituer un corps d’officiers nouveau, complément réel du corps d’officiers français » [44]. Cette proposition, présentée simultanément au ministre et aux gouverneurs des colonies d’une part, aux principaux commandants d’unités coloniales d’autre part, se heurte à de nombreuses objections. Les plus vives viennent d’Indochine. Le gouverneur Maurice Long explique que sa politique vise à assurer la promotion des indigènes « dans leur propre civilisation » [45] et non par le rapprochement avec la française, comme y amèneraient les projets de la commission. Le commandant supérieur des troupes d’Indochine, le général Puypéroux, refuse également car il redoute « que les Annamites se portent en masse vers ces écoles [de sous-officiers élèves officiers] dont les examens sont faciles et qui leur donneraient un commandement dans leur pays sur des Français » [46]. On ne saurait, dans l’un et l’autre cas, récuser plus fermement l’ambition politique portée par le projet de la commission Mangin. Le ministre des colonies lui-même, Albert Sarraut, doit se faire prier pour autoriser en 1922 l’accès à l’épaulette par la poignée d’élèves qui suivent depuis deux ans les cours de l’école de Fréjus. Mais comme les troupes indochinoises sont à cette époque peu nombreuses en Europe, aucun originaire de la colonie ne figure parmi les nouveaux promus, qui sont Malgaches et Sénégalais. Les Indochinois devront attendre la discussion d’un nouveau statut général, adopté en 1926 seulement, pour accéder au grade de sous-lieutenant. On est très loin du projet grandiose d’extension de « la force jaune » nourri par la commission Mangin.

27Les conséquences concrètes de la Grande Guerre furent également modestes. Le principe de faire contribuer les indigènes coloniaux à la défense de la métropole fut facilement retenu, ce qui entraîna dans les colonies l’apparition d’un devoir de service outre-mer. Le caractère casanier de ces troupes s’estompait. Une partie des Indochinois envoyés en métropole vint servir dans les troupes de couverture : ces unités devaient couvrir la mobilisation des unités françaises, pendant les premiers jours d’un conflit dont on redoutait qu’il surviendrait par surprise. Ces troupes devaient donc nécessairement stationner près des frontières menacées. L’on envoya donc des bataillons indochinois dans des garnisons qui semblaient si peu faites pour eux, Giromagny ou Remiremont.

28L’autre partie des Indochinois (les contrats étaient distincts dès l’incorporation) servit en France comme ouvriers dans les ateliers de l’intendance, de la direction de l’artillerie ou les compagnies de commis et ouvriers d’administration. Quelques-uns servirent également comme infirmiers. Cela constituait une nouvelle petite révolution : des indigènes coloniaux étaient désormais affectés par petits groupes hors de tout contrôle des toutes puissantes Troupes coloniales. Des règles avaient été édictées [47] sur la nécessité de maintenir des groupes de taille suffisante, sur la manière d’employer les indigènes, sur l’adaptation de leur alimentation… Ces règles furent souvent ignorées, voire transgressées. D’eux-mêmes, les infirmiers indochinois de l’hôpital de Lille réclament ainsi d’être mis au régime alimentaire français [48]. Et on finit un jour par trouver des Indochinois au bataillon de chasseurs à pied de Wissembourg et en quelques autres lieux [49], où ils n’auraient jamais dû se trouver !

29Ces deux exemples illustrent l’émancipation trouvée en France par les militaires indochinois, et ses limites. Livrés à eux-mêmes, hors de la tutelle paternaliste des Troupes coloniales, ces militaires peuvent rêver à une forme d’égalité en adoptant un nouveau mode de vie. Mais ils n’en obtiennent pas pour autant la considération, car ils restent cantonnés à des emplois qu’un général inspecteur qualifie de « valets d’armée » [50]. Cette considération peut-elle leur venir d’Indochine ?

30Le calme tout relatif de la colonie pendant la guerre est célébré sitôt la paix revenue. Dégarnie d’une bonne partie de ses troupes européennes [51], l’Indochine a connu quelques secousses liées à des révoltes, au pénitencier de Thai Nguyen en 1917, et à Binh Liêu. Malgré l’usage de l’automobile, il en est résulté des campagnes classiques, typiques de la « chasse aux pirates » telle qu’on la pratique depuis les origines de la colonie. En apparence, rien n’a donc changé. Du reste, le Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer que fait rédiger la commission Mangin [52], reproduit les vieilles recettes de la guerre coloniale. On y recommande le panachage des troupes, avec au minimum un tiers à un quart des effectifs composés d’Européens, et l’attribution de rôles privilégiés aux différentes catégories de troupes : aux indigènes les reconnaissances, aux Européens les assauts. Ce manuel, imprimé par la maison Lavauzelle, fut encore réédité dans les années 1950, sans doute pour la description géographique du pays, car les informations qu’il contenait sur les troupes indigènes étaient périmées depuis longtemps [53]. Du moins ces rééditions successives sans coupures témoignent-elles de la force de certaines idées reçues.

La Grande Guerre : une opportunité manquée ?

31La Grande Guerre a introduit de nombreux changements dont l’audace ne se laisse parfois plus bien apprécier aujourd’hui. Dans un monde actuel traversé de flux migratoires, il est difficile de se rappeler à quel point la transplantation « d’indigènes » hors de leur milieu semblait alors une aventure biologiquement risquée. Que le risque fut plus encore politique, il est plus facile de le mesurer aujourd’hui. En se coupant les cheveux, les tirailleurs rompaient effectivement avec le poids de nombreuses traditions [54]. L’armée française assurait elle-même cette modernisation. Rompu au combat moderne, maîtrisant les armements récents, susceptible d’être employé sur n’importe quel front, le tirailleur semblait avoir acquis toutes les qualités qui lui faisaient défaut, et le laissaient en retrait des troupes européennes. Ces premiers pas vers une égalité de statut ne doivent pas être négligés. Ils sont prolongés, dans l’entre-deux-guerres, par des mesures à caractère symbolique – comme l’entrée du casque colonial, autrefois privilège des troupes européennes, dans le paquetage du tirailleur – ou la diffusion d’un état d’esprit qui tend à faire des troupes indigènes une composante à part entière de l’armée. La mutinerie de Yen Bay rappelle que les villes de cantonnement indigènes n’étaient plus doublées de garnisons de sécurité européennes. Les épreuves des compétitions sportives militaires en Indochine deviennent progressivement mixtes, même si les catégories Indigènes et Européens continuent de s’appliquer. L’emploi des unités lors des grandes manœuvres qui rythment les années 1930 montre aussi que les attentes de l’autorité militaire tendent à se rapprocher. Les questions d’organisation (le nombre et la répartition des armes automatiques par exemple) sont volontiers invoquées pour l’assignation de rôles différents aux unités indigènes et européennes dans les conceptions de manœuvre. On trouve même une dénonciation, qui ne manque pas de sel si l’on songe à l’avenir de la guerre dans la péninsule indochinoise, des ruses puériles consistant à déguiser des tirailleurs en paysans pour aller espionner le déploiement adverse [55].

32Toutefois, ces quelques pas vers une plus grande égalité ne doivent pas masquer le blocage des réformes les plus audacieuses portant sur le commandement et l’autorité. Avec l’abandon du projet d’une armée de 400 000 Indochinois porté par la commission Mangin, et même d’une armée coloniale de 100 000 hommes, ce sont les perspectives d’élargissement du cadre des officiers qui s’évanouissent. Loin de conférer aux indigènes des responsabilités de commandement semblables aux Français, les mesures timidement adoptées à la fin des années 1920 ne permettent l’accès à l’épaulette que d’une poignée d’Indochinois, qui ne peuvent commander qu’à des troupes de leur colonie et sont soumis, à grade égal, à l’autorité d’un Français. Utile pour récompenser de vieux « serviteurs », cette mesure limitée ne pouvait en rien faire de l’armée le levier de transformation et de modernisation politique et sociale dont avait rêvé le général Pennequin dès l’avant-guerre. De fait, les élites indigènes continuent à s’en détourner et à chercher d’autres carrières plus valorisantes, ou d’autres voies vers la modernité. Même les anciens enfants de troupe quittent l’armée à l’issue du temps de service obligatoire qui leur incombe.

33La participation à la Grande Guerre de troupes venues d’Indochine a donc ouvert des horizons, effectué des rapprochements, suscité des espérances de modernisation. Mais elle n’a pas opéré la mutation qui aurait fait passer les troupes indigènes de leur statut subordonné à celui de composante à part entière de l’armée française, et leurs cadres du statut d’auxiliaires à celui de chefs. Malgré l’ampleur des transformations individuelles et collectives expérimentées par un nombre considérable d’Indochinois, la Grande Guerre a été un rendez-vous manqué.


Mots-clés éditeurs : Europe, troupes indigènes, Première Guerre mondiale, Indochinois, modernisation

Date de mise en ligne : 28/06/2021.

https://doi.org/10.3917/om.161.0049

Notes

  • [*]
    Henri Eckert est maître de conférences en histoire contemporaine à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de Martinique (Université des Antilles) et membre de l’EA 929 AIHP GEODE.
  • [1]
    Une compagnie indigène commandée par le lieutenant Viard participe à la prise de Saigon en 1859. Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, Histoire des militaires indochinois au service de la France (1859-1960), Paris, Lavauzelle, 1999. p. 9
  • [2]
    Des unités ou soldats indigènes participent à la conquête de la Cochinchine à partir de 1859, aux expéditions du Cambodge et du Tonkin, aux explorations de Francis Garnier et d’Auguste Pavie, à la prise de possession de Kouang Tchéou Wan, à la campagne de Chine en marge du siège de Pékin, au désarmement des réformistes chinois sur la frontière Nord de l’Indochine, à la garnison des légations, et, à la fin de la Première Guerre mondiale, à l’expédition de Sibérie.
  • [3]
    Selon Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923.
  • [4]
    Dès le mois d’août 1883, le général Bouet réclame la constitution d’une division complète au Tonkin. La prise de Son Tay en décembre 1883 oppose près de 6 000 Français à environ 10 000 adversaires. Le combat dure trois jours. L’année 1884 voit opérer des colonnes de la taille d’une brigade qui livrent plusieurs engagements, notamment à Chu et Kep sur la route de Lang Son. Cette dernière localité est prise par l’action de deux brigades, l’une d’elle partant ensuite relever la garnison de Tuyen Quang au prix d’une bataille qui lui vaut près de 80 tués et 800 blessés, tandis que la retraite de l’autre provoque la chute du ministère Ferry. Les armées chinoises disposent de canons Krupp et de mitrailleuses Nordenfelt. Général Aubert (dir.), Histoire militaire de l’Indochine française, des débuts à nos jours, Hanoi-Haiphong, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1930.
  • [5]
    Paul Doumer, Situation de l’Indochine 1897-1901, Hanoi, Schneider, 1902, p. 71. Il faut cependant nuancer. Si l’on trouve en 1905 la portion centrale et 4 compagnies du 1er Régiment de Tirailleurs tonkinois (RTT) à Hanoi, 6 compagnies du 2e RTT à Sept Pagodes, 4 compagnies du 3e RTT à Bac Ninh et 4 compagnies du 4e RTT à Nam Dinh, le reste de ces unités reste déployé par compagnies, et parfois encore par petits postes dans le cas du 3e RTT. Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, Histoire des militaires indochinois au service de la France (1859-1960), op. cit., annexe II, p. 132
  • [6]
    Service historique de la Défense (SHD), armée de Terre, carton 10H12 dossier 6 (concerne le 1er territoire militaire).
  • [7]
    Christophe Cony, Michel Ledet, L’aviation française en Indochine des origines à 1945, Le Vigen, Éditions Lela Presse, Collection histoire de l’aviation, 2012, n° 21.
  • [8]
    Voir sur cette question Henri Eckert, « Double-Edged Swords of Conquest in Indochina 1883-1895 » in Karl Hack, Tobias Rettig (ed.), Colonial Armies in South-East Asia, Routledge, 2006, p. 126-153.
  • [9]
    Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), AF 26414, Décret du 19 septembre 1903, cité par le rapport Pennequin de 1911.
  • [10]
    Voir les photos publiées par L’Illustration du samedi 19 juillet 1913.
  • [11]
    Voir notre communication aux entretiens d’outre-mer le 20 mars 2014 : «Un référendum indigène » : entre défense de l’empire et politique coloniale, les enjeux du recrutement des tirailleurs en Cochinchine, 1905-1906. Publication à paraître dans les actes du colloque De l’Indochine coloniale au Viêt Nam actuel, Académie des Sciences d’Outre-Mer.
  • [12]
    ANOM, Indochine, Ancien fonds A30 (122), carton 22 : contient le texte de deux conférences du général Pennequin, et la demande de sanction du ministre des Colonies, Lebrun, en septembre 1912. Sarraut repousse dans un premier temps la demande mais renvoie Pennequin en 1913.
  • [13]
    On peut se reporter à Jacques Frémeaux, Les Colonies dans la Grande Guerre. Combats et épreuves des peuples d’outre-mer, Saint-Cloud, Éditions Soteca, 2006. En Indochine, les citoyens français furent mobilisés en premier ; les réservistes indigènes rappelés en novembre 1915, et le recrutement de volontaires lancé en décembre 1915.
  • [14]
    Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, op. cit., p. 50.
  • [15]
    Selon Albert Sarraut, sur les 48 922 recrues de la guerre, 43 340 ont été envoyées en Europe.
  • [16]
    48 254 selon Albert Sarraut, op. cit., p. 42-43.
  • [17]
    Kimloan Vu-Hill, Coolies into Rebels. Impact of World War I on French Indochina, Paris, Les Indes Savantes, 2011. L’auteur souligne aussi l’impact de la pauvreté et de la sous-alimentation dans l’afflux de volontaires.
  • [18]
    « On savait que le spectacle, en sa beauté traditionnelle, comportait, cette fois, un pittoresque inédit dû à la présence de divers détachements de tirailleurs algériens, annamites, sénégalais, de spahis et de cavaliers soudanais » écrit le chroniqueur de L’Illustration du 19 juillet 1913.
  • [19]
    Nombreux exemples et commentaire des uniformes dans Maurice Rives, Éric Deroo, Les Linh Tâp, op.cit., p. 50-69.
  • [20]
    Une circulaire ministérielle de mars 1917 s’inquiète ainsi de la distribution des effets chauds aux troupes indigènes. Les réponses des commandants d’unités indochinoises sont au SHD, carton 16N196.
  • [21]
    SHD 16N196, général de division Mangin au commandant en chef, n° 9022 du 18/03/1917.
  • [22]
    SHD 4H33, dossier 1. Rapport du capitaine Charbonnier, 27/08/1917
  • [23]
    Kimloan Vu-Hill, op. cit. donne quelques exemples de rations servies à des unités de travailleurs. Appendix K p. 171
  • [24]
    SHD 16N2767 dossier 3.
  • [25]
    SHD 16N1507, Compte-rendu du chef de bataillon Chaptal sur le moral des tirailleurs du 23e BIC, 11/05/1918.
  • [26]
    Voir par exemple le journal de marche et d’opérations du 3e bataillon, qui regroupe les Cochinchinois prélevés sur les autres bataillons pour aller hiverner dans le midi au cours de l’hiver 1917-1918. À consulter sur le site « mémoire des hommes » du ministère de la Défense, ou SHD 26N874 dossier 3.
  • [27]
    Mireille Favre-Le Van Ho a la première étudié en détail la mise sur pied de cet appareil de contrôle, et le contenu de la correspondance des tirailleurs et travailleurs en France, dans sa thèse de l’école des Chartes, Un milieu porteur de modernisation : travailleurs et tirailleurs vietnamiens en France pendant la Première Guerre mondiale, 1986. Voir aussi Mireille Favre-Le Van Ho, Des Vietnamiens dans la Grande Guerre. 50 000 recrues dans les usines françaises, Paris, Vendémiaire, 2014.
  • [28]
    Pour un exemple publié, voir Maurice Rives, Éric Deroo, op. cit. p. 63.
  • [29]
    À l’entrée en guerre, la division d’infanterie comporte quatre régiments groupés en deux brigades. Au cours de la guerre, elle passe à trois régiments et les brigades sont supprimées.
  • [30]
    Ils ont été numérotés du 1er au 25e BTI (Bataillons de Tirailleurs Indochinois), mais le 5e, le 15e et le 19e ont été dissous à la colonie après quelques mois d’existence seulement. Le 8e BTI quant à lui a été dissous à Djibouti en février 1916. Voir Maurice Rives, Eric Deroo, op. cit., qui donnent en annexe IV un tableau récapitulatif des BTI, p. 132-133.
  • [31]
    Il s’agit des 1er et 2e bataillons affectés sur le front d’Orient, des 7e et 21e sur le front français. La 4e compagnie du 6e bataillon, déployée devant Verdun pour la reprise du fort de Douaumont en octobre 1916, a également obtenu le titre de combattant.
  • [32]
    Voir les rapports sur le moral, SHD 16N1517. Voir par exemple les rapports du 21e bataillon (4 novembre 1917), du 11e bataillon (6 décembre 1917), du 7e bataillon (8 mai 1918), etc.
  • [33]
    Un bon aperçu en est donné par Michel Goya, L’invention de la guerre moderne. Du pantalon rouge au char d’assaut 1871-1918, Paris, Tallandier, 2014.
  • [34]
    Rapport du lieutenant-colonel Galand sur la transformation en unités de combat des bataillons d’étapes, 30/05/1917, SHD 16N196
  • [35]
    Dès juillet 1916, plus de 200 tirailleurs du 6e bataillon rejoignent une section de transport militaire. Des appels à volontaires sont régulièrement lancés. En 1917, plus d’un millier d’Indochinois sert au service automobile. En 1918, 4 000 autres sont versés à la Réserve automobile n° 1, qui compte 1 300 véhicules dont les deux tiers seront alors conduits par des Indochinois. Commandant Doumenc, Les transports automobiles sur le front français 1914-1918. Paris, Plon, 1920.
  • [36]
    Roland Dorgelès, Sur la Route mandarine, Paris, Albin Michel, 1925.
  • [37]
    Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix, Paris, Arthème Fayard, 1920.
  • [38]
    SHAT 7N2306 dossier 1.
  • [39]
    Cette manière d’apprécier les Indochinois, assez traditionnelle dans les troupes coloniales, a été validée par l’état-major de l’armée : voir une note du général Alby, chef d’état-major général, adressée à la direction des troupes coloniales, 27 avril 919, SHD 16N196.
  • [40]
    Jean-Yves Le Naour semble partager cette analyse puisqu’il ne mentionne qu’en passant les Indochinois « qui ne font jamais parler d’eux », La honte noire, Paris, Hachette, 2003, p. 223.
  • [41]
    Ibid.
  • [42]
    SHD 7N23, Commission interministérielle des troupes indigènes, note non datée de la 2e sous-commission. 51 dossier 1.
  • [43]
    Ibid.
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    SHD 9N268 dossier 3, Télégramme du 21 février 1922.
  • [46]
    SHD 9N268 dossier 3, Annexe au rapport n° 8138D du 12 septembre 1921.
  • [47]
    Pendant la guerre, le général Famin avait diffusé une directive sur l’emploi des Indochinois. En 1922, le général Noguès rédige une notice sur les troupes indochinoises, largement diffusée par la Revue des Troupes coloniales, et dont la tonalité est reprise par la commission de rédaction d’un Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer diffusé dans les années 1920. Le ministère de la Guerre publia également un Manuel élémentaire à l’usage des officiers et sous-officiers appelés à commander des Indigènes Coloniaux dans la métropole, dont le fascicule I était consacré aux Indochinois.
  • [48]
    SHD 9N270, dossier 6, Rapport du Résident Supérieur, contrôleur général des troupes indochinoises, au ministre des colonies, sd. [1924]
  • [49]
    SHD 9N270, dossier 6, Note de la direction des Troupes coloniales adressée à l’EMA, 05/08/1927.
  • [50]
    SHD 9N270, dossier 6, Rapport du Résident Supérieur, contrôleur général des troupes indochinoises, au ministre des colonies, sd. [1924]
  • [51]
    Le nombre de bataillons européens passe de 13 en 1914 à 6 en 1916, pour 16 bataillons indigènes. Henri Eckert, Les militaires indochinois au service de la France 1859 – 1939, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 324.
  • [52]
    Manuel à l’usage des troupes employées outre-mer, Paris, Charles-Lavauzelle, 1923. La commission de rédaction, présidée par le général Mangin, comporte neuf officiers généraux et neuf officiers supérieurs.
  • [53]
    L’édition en ma possession, datée de 1950, dresse l’organisation des troupes au 1er mars 1925, mais comporte une carte dessinée par l’Institut géographique national en 1947.
  • [54]
    Voir sur ce point Nguyen Van Ky, La société vietnamienne face à la modernité : le Tonkin de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, Paris, L’Harmattan, 1995. p. 239 et suivantes, « La coupe carrée »
  • [55]
    SHD 10H17, Note du général Verdier, 28 novembre 1933 : « Les procédés enfantins, tels que tirailleurs déguisés en civils, etc, seront à proscrire absolument. »
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