Notes
-
[*]
Docteur en histoire, membre associé du laboratoire Framespa (UMR 5136), Université de Toulouse-Jean Jaurès. Après une thèse consacrée aux élites urbaines de Saint-Domingue et à la place des administrateurs coloniaux en son sein, dans la seconde moitié du xviiie siècle, ses travaux portent aujourd’hui à sur l’histoire atlantique à travers le prisme des réseaux familiaux entre Europe-Afrique-Amériques.
-
[1]
Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, SEVPEN, 1955-1960 ; Jacques Godechot, Histoire de l’Atlantique, Paris, Bordas, 1947 ; Robert R. Palmer, The Age of the Democratic Revolution : A Political History of Europe and America, 1760-1800, Princeton University Press, 1959-1963 ; Bertrand Van Ruymbeke, « L’histoire Atlantique aux États-Unis : la périphérie au centre », Nuevo Mundo, Mundos Nuevos, coloquios, 2008, [mise en ligne], 19 septembre 2008. URL : http://nuevomundo.revues.org/index42083.html.
-
[2]
Jack P. Greene Peripheries and Center. Constitutional Development in the Extended Polities of the British Empire and the United States, 1607-1788, New-York, Norton, 1990.
-
[3]
David Armitage, « Tres conceptos de historia atlántica », Revista de Occidente 281, 2004, p. 7-28 ; Bernard Bailyn, Atlantic History. Concept and Contours, Cambridge, Harvard University Press, 2005 ; « The Idea of Atlantic History », Itinerario 1, 1996, p. 19-44 ; Cécile Vidal, « The Reluctance of French Historians to Adress Atlantic History », The Southern Quarterly 4, 2006, p. 153-189 ; « La nouvelle histoire atlantique en France : Ignorance, réticence et reconnaissance tardive », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2008, en ligne, http://nuevomundo.revues.org/index42513.html (page consultée le 12 novembre 2008).
-
[4]
Robert Appelbaum, John Wood Sweet, (dir.), Envisioning an English Empire: Jamestown and the Making of the North Atlantic World, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2005 ; David Armitage, Michael J. Braddick, (dir.), The British Atlantic World, 1500-1800, New York, Palgrave Macmillan, 2002 ; Rebecca Ann Bach, Colonial Transformations : The Cultural Production of the New Atlantic World, 1580-1640, New York, Palgrave Macmillan, 2000 ; Alison Games, Migration and the Origins of the English Atlantic World, Cambridge, Harvard University Press, 1999 ; Patrick Griffin, The People With No Name. Ireland’s Ulster Scots, America’s Scots Irish and the Creation of a British Atlantic World, 1689-1764, Princeton, Princeton University Press, 2001.
-
[5]
Alejandra E.Gomez, « El Estigma Africano en los Mundos Hispano-Atlántico, siglos xiv al xix », Revista de História, n/d, São Paulo, Universidade de São Paulo, 2005, p. 139-179 ; Manuel Lucena Giraldo, « La constitución atlántica de España y sus Indias », Revista de Occidente, n° 281, 2004, p. 29-44 ; Michel Zylberberg, « L’Espagne et les espaces atlantiques », Revue Dix-Huitième Siècle (numéro spécial : « L’Atlantique »), n° 33, 2001, p. 149-164.
-
[6]
Mickaël Augeron, Dominique Guillemet, (dir.), Champlain ou les portes du Nouveau Monde : cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, XVIe-XXe siècle, La Crèche, Geste éd., 2004 ; Mickaël Augeron, Didier Poton, Bertrand Van Ruymbeke, (dir.), Les Huguenots et l’Atlantique, Paris, Presses de l’Université-Paris Sorbonne/Indes savantes, 2009 ; Marc Bélissa, Bernard Cottret, (dir.), Cosmopolitismes, patriotismes : Europe-Amériques, 1773-1802, Rennes, Les Perséides, 2005 ; Bruno Marmot, Silvia Marzagalli, (dir.), Guerre et économie dans l’espace atlantique du XVIe au XXe siècle, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2006 ; Silvia Marzagalli, « The French Atlantic », Itinerario 2, 1999, p. 70-83 ; Olivier Pétré-Grenouilleau, « Les négoces atlantiques français. Anatomie d’un capitalisme relationnel », Dix-Huitième Siècle (numéro spécial « L’Atlantique »), n° 33, 2001 ; Bertrand Van Ruymbeke, et Randy J. Sparks, dir., Memory and Identity. The Huguenots in France and Their Atlantic Diaspora, Columbia, University of South Carolina Press, 2003; Jean-Paul Zuniga, « L’Histoire impériale à l’heure de l’“histoire globale”. Une perspective atlantique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, Histoire globale, histoires connectées, n° 54/4 bis, 2007/5, p 54-68.
-
[7]
Cécile Vidal, « Introduction. Le(s) monde(s) atlantique(s), l’Atlantique français, l’empire atlantique français », Revue d’Histoire d’Outre-Mer, Dossier thématique « L’Atlantique français », n° 362, 2009, p. 7-37.
-
[8]
L’historiographie relative aux administrateurs métropolitains et coloniaux est particulièrement foisonnante. À titre d’exemples, voir pour les administrateurs métropolitains : Michel Antoine, Le cœur de l’État, surintendance, Contrôle général et intendances des finances, 1552-1791, Paris, Fayard, 2003 ; Grégory Barbusse, Le pouvoir et le sang : les familles de capitouls de Toulouse au siècle des Lumières (1715-1790), thèse de doctorat, Université de Toulouse-II-Le-Mirail, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 2004 ; François Bluche, Les magistrats du parlement de Paris au XVIIIe siècle (1715-1771), thèse pour le doctorat ès Lettres, Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1960 ; Michel Cassan (dir.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne : pouvoir, culture, identité, actes du colloque de Limoges, 11-12 avril 1997, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 1998 ; Laurent Coste, Le lys & le chaperon. Les oligarchies municipales en France de la Renaissance à la Révolution, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007 ; Monique Cubells, La Provence des Lumières, les parlementaires d’Aix au XVIIIe siècle, Paris, Maloine, 1984 ; Samuel Gibiat, Hiérarchies sociales & ennoblissement. Les commissaires des guerres de la Maison du roi au XVIIIe siècle, Paris, École des Chartes, 2006 ; Marc Perrichet, « Prosopographie et histoire de l’État : la France moderne, xvie-xviiie siècle », dans Histoires de vies, actes du colloque de l’association des historiens modernistes, 1994, Paris, 1996, n° 19 ; Wolfgang Reinhard (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, Paris, Presses Universitaires de France, 1996 ; Michel Vergé-Franceschi, Les officiers généraux de la Marine Royale, 1715-1774, origines, conditions, services, thèse pour le doctorat d’état ès-Lettres, 1987, 7 vol., Librairie de l’Inde, 1990 ; pour les administrateurs coloniaux : Juan Andreo Garcia, La Intendencia en Venezuela. Don Esteban Fernández de León, intendente de Caracas, 1791-1803, Murcie, Murcia Universidad, Secretaría de Publicación, 1991 ; Mickaël Augeron, Entre la plume et le fer : le personnel des intendances de la viceroyauté de Nouvelle-Espagne (1785-1824). Pratiques de pouvoir et réseaux sociaux en Amérique espagnole, thèse de doctorat d’histoire, Université de Lille, 2000 ; Michel Bertrand, « De la richesse en Amérique : la genèse des patrimoines familiaux des officiers de finances de Nouvelle-Espagne (xviie-xviiie siècles) », Revue d’Histoire Moderne et contemporaine, vol. 41, 1994, n° 2, p. 221-236 ; id., Grandeur et misères de l’Office. Les officiers de finances de Nouvelle-Espagne, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999 ; Anne-Marie Brenot, Pouvoir et profits au Pérou colonial au XVIIIe siècle ? Gouverneurs, clientèle et ventes forcées, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Thomas Calvo, Poder, religión y sociedad en la Guadalajara del siglo XVII, Guadalajara, CEMCA/Ayunt., 1992 ; Jean-Louis Castellano, Jean-Pierre Dedieu, (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Editions, 1998 ; John Fisher, Gobierno y sociedad en el Perú colonial : el régimen de las intendencias. 1784-1814, Lima, 1981 ; Juan Marchena Fernandez, Ejército y milicias en el mundo colonial americano, Madrid, Mafpre, 1992 ; Fernando Muro Romero, « La administración de Indias : de la unidad imperial a la diversidad : el tránsito del siglo xvii », dans Unité et diversité de l’Amérique Latine, t. 1, Bordeaux, Éditions du CNRS/MPI, 1982 ; Jean Tarrade, « Les intendants des colonies à la fin de l’Ancien Régime » dans Privat (éd.), La France d’Ancien Régime. Études réunies en l’honneur de Pierre Goubert, Toulouse, Privat, 1984, t. 2, p. 673-681.
-
[9]
Tout comme l’historiographie des administrateurs, celle de Saint-Domingue au xviiie siècle est extrêmement riche. Une nouvelle fois, je me contenterai donc de quelques indications bibliographiques loin de toute exhaustivité : voir, entre autres, les travaux de Gabriel Debien, de Marcel Dorigny, de Lucile Bourrachot et Jean-Pierre Poussou, de Paul Butel, de David Geggus, de Jacques de Cauna, et de Bernard Foubert. À titre indicatif : Lucile Bourrachot, Jean-Pierre Poussou, Charles Huetz de Lemps, « Les départs de passagers pyrénéens par Bordeaux au xviiie siècle (1717-1787) », Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau, 1968, p. 133-162 ; Paul Butel, « L’essor de l’économie de plantation à Saint-Domingue dans la seconde moitié du xviiie siècle », Bulletin du Centre d’Histoire des Espaces Atlantiques, n° 6, 1993, p. 61-75 ; Jacques de Cauna, Au temps des îles à sucre, Histoire d’une plantation à Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paris, Karthala, 1987 ; Gabriel Debien, La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse, Abbeville, F. Paillart, 1951 ; Marcel Dorigny, (dir.), Haïti: la première république noire, Paris, Bibliophane-Daniel Radford, 2003 ; Laurent Dubois, Les vengeurs du Nouveau Monde, Histoire de la Révolution haïtienne, Paris, Les Perséides, 2005 ; Hervé Du Halgouët, Au temps de Saint-Domingue et de la Martinique, d’après la correspondance des trafiquants maritimes, Rennes, Oberthur, 1941 ; Bernard Foubert, « De la plantation coloniale à la micropropriété paysanne. Les habitations Mariani sous Boyer, Président d’Haïti », Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres, t. 5, 1997, p. 435-454 ; David Geggus, « The Major Port of Saint-Domingue in Later Eighteenth Century », en Franklin. W. Knigt, Peggy. K. Liss, eds., Atlantic Port Cities. Economy, Culture and Society in the Atlantic world, 1650-1850, Knoxville, University of Tennessee Press, 1991 ; François Girod, La vie quotidienne de la société créole de Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Hachette, Paris, 1972 ; Olivier Pétré-Grenouilleau, « La révolte des esclaves de Saint-Domingue », L’Histoire n° 339, février 2009, p. 74-79.
-
[10]
Commandants de place, lieutenants du roi, majors généraux, commandants en second, commandants généraux des troupes et milices de Saint-Domingue, lieutenants généraux des armées du roi, gouverneurs généraux.
-
[11]
Commissaires principaux de la marine et des colonies, commissaires généraux de la marine, commissaires ordonnateurs, intendants de la marine et des colonies.
-
[12]
Capitaines de port.
-
[13]
Procureurs généraux, conseillers de conseil supérieur, présidents de conseil supérieur. Il est à noter que Saint-Domingue compte deux conseils supérieurs dans la seconde moitié du xviiie siècle, le Conseil supérieur de Port-au-Prince et du Cap, s’apparentant aux parlements métropolitains.
-
[14]
Vérificateurs généraux des comptes de Saint-Domingue, receveurs généraux des deniers publics, prévôts généraux de la maréchaussée de Saint-Domingue, commissaires des guerres, ingénieurs en chef, directeurs généraux des fortifications.
-
[15]
La « micro histoire sociale » consiste en l’étude de groupes sociaux aux effectifs restreints, généralement appréhendés dans une perspective professionnelle. Elle s’oppose à la « macro histoire sociale » qui a pour vocation d’analyser des groupes sociaux aux effectifs considérables et ordinairement envisagés dans un cadre local ou régional.
-
[16]
Françoise Autrand, Prosopographie et genèse de l’État moderne, Paris, École normale supérieure de jeunes filles, 1986 ; Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62/63, juin 1986, p. 69-72 ; André Chastagnol, « La prosopographie, méthode de recherche sur l’histoire du bas Empire », Annales ESC, 25-5, 1970, p. 1229-1235 ; Claire Lemercier, Emmanuelle Picard, « Quelle approche prosopographique ? », dans Biographie et prosopographie, 2010, document en ligne, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00521512v2 ; Bernard Lepetit, (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63-84 ; Giovanni Levi, « Les usages de la biographie », Annales ESC, 1989, n° 6, p. 1325-1336 ; Emmanuelle Picard, « Du dossier individuel à la prosopographie en histoire de l’éducation : bilan et problèmes de méthode », Revue administrative, n° spécial, février 2007, p. 55-58 ; Lawrence Stone, « Prosopography », Daedalus, 1971, 100, 1, p. 46-79.
-
[17]
Aix-en-Provence, Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), série colonie E, fonds ministériel, personnel colonial ancien (xviie-xviiie siècles), dossiers personnels. En dépit d’une standardisation des documents ayant trait à la carrière des individus tels les états de service, le contenu des dossiers est relativement divers dans sa composition et se révèle en règle générale d’une grande richesse : correspondances administratives et privées, requêtes, relevés de soldes, comptes d’habitation, documents juridiques, ordonnances médicales, etc.
-
[18]
Pour les registres paroissiaux de Saint-Domingue, Aix-en-Provence, ANOM, Dépôt des Papiers Publics des Colonies (DPPC), état civil, Saint-Domingue. « En vertu des données d’ordre généalogique et sociologique qu’il recèle, l’état civil permet de démêler l’écheveau des liens de parenté, d’identifier les différents groupes sociaux et de tracer, ou d’enrichir, les divers réseaux de sociabilité. Largement complémentaire de la série colonie E, il met en lumière les parentés spirituelles significatives des accointances familiales, des intérêts professionnels, des ambitions et des mentalités » : Zélie Navarro-Andraud, « Les élites de Saint-Domingue au xviiie siècle : réflexions méthodologiques », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n° 95, décembre 2010, p. 69-70.
-
[19]
Pour le minutier notarial de Saint-Domingue, Aix-en-Provence, ANOM, DPPC, notaire, Saint-Domingue. D’une façon générale, en fournissant des indications sur la qualité des individus, les fortunes, les patrimoines, les liens interindividuels entre les parties mentionnées, les sources notariales permettent d’affiner la perception des catégories socioprofessionnelles tout en dessinant l’univers relationnel des individus concernés.
-
[20]
Aix-en-Provence, ANOM, DPPC, greffes de Saint-Domingue. La collection des greffes se compose de procédures civiles et criminelles. La nature des informations fournies permet d’affiner l’appréhension du groupe socioprofessionnel étudié sous divers angles : finance (nature, composition et valeur des patrimoines), sociabilité, mentalité. Cependant, les greffes ne recensant pas les procédures dans leur intégralité, il est généralement difficile d’en connaître les tenants et les aboutissants. Il s’agit donc d’aborder avec circonspection la documentation, tant en raison de ses lacunes que de la nature judiciaire des sources codifiant le discours des acteurs et détournant la voix et les actions des protagonistes.
-
[21]
Louis Médéric Elie Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile politique et historique de la partie française de Saint-Domingue, nouv. éd. entièrement revue et complétée sur le manuscrit, accompagnée de plans et d’une carte hors-texte, suivie d’un index de personnes, par Blanche Maurel et Étienne Taillemite, Paris, Société de l’histoire des Colonies Françaises, Librairie Larose, 1958, t 3. Il est à noter que la présentation des sources dépouillées n’est pas exhaustive.
-
[22]
Les régiments coloniaux de Port-au-Prince et du Cap sont créés, en 1772, lors de la dissolution de la légion de Saint-Domingue par l’ordonnance du 18 août 1772.
-
[23]
Sur un corpus de 139 individus, la moyenne générale du nombre de traversée s’élève à 5,5 voyages. Cependant, si l’on procède à une analyse par catégorie professionnelle celle-ci varie d’une branche à une autre : la moyenne des trajets transatlantiques des officiers militaires, constituant 42 % du corpus, est de 5,5 ; la moyenne des officiers d’administration et de port de la marine, constituant 17 % du corpus, est de 7,7 ; la moyenne des magistrats, constituant 26 % du corpus, est de 4,2 ; et celle des officiers se situant hors des hiérarchies traditionnelles et composant 0,5 % du corpus est de 5 traversées. Zélie Navarro-Andraud, Les élites urbaines de Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : la place des administrateurs coloniaux (1763-1792), Thèse de troisième cycle, Université de Toulouse, 2007, p. 253-262.
-
[24]
Jacques de Cauna, L’Eldorado des Aquitains, Gascons, Basques et Béarnais aux isles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe siècles), Biarritz, Atlantica, 1998.
-
[25]
Le chevalier de Loppinot est un exemple parmi tant d’autres. Cadet en 1764 il entre comme garde du corps du roi dans la compagnie de Villeroi en 1773. Après quatre ans de service, il sollicite auprès du ministre de la Marine une lieutenance dans le régiment de Port-au-Prince (Saint-Domingue). Bien que réitérée à plusieurs reprises, sa demande reste lettre morte. En février 1777, il élargit donc ses vœux et requiert « un emploi [d’officier] dans un des régiments des îles. » Cinq mois plus tard, il abaisse ses prétentions et sollicite une sous-majorité ou une sous-lieutenance à Saint-Domingue. Après de multiples courriers et l’appui de sa parenté, il obtient, en 1778, une sous-lieutenance mais à la suite du régiment de Port-au-Prince. Il obtient donc la possibilité de se rendre à Saint-Domingue en étant attaché au service du roi mais de façon non rémunérée. Qu’importe, il embarque pour la colonie d’où il n’aura de cesse de solliciter une place de titulaire qu’il obtiendra sept ans plus tard lorsqu’il sera nommé lieutenant au régiment de Port-au-Prince. Pourquoi une telle persévérance ? La raison est à chercher dans la stratégie familiale des Loppinot. Le père et les fils aînés envoyés en Acadie dans les troupes régulières avaient tenté de s’implanter économiquement outreatlantique. La guerre de Sept Ans ayant ruiné famille et espoirs, les officiers de la famille survivants ont demandé et obtenu leur affectation à Saint-Domingue où ils acquièrent une cafèterie. Ainsi, dès leur installation dans la colonie, ils essayent de faire venir le cadet dont la mission sera de gérer et d’augmenter les biens familiaux dominguois. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Ms, E/290, dossier Loppinot, Jean Amble Balthasar, chevalier de.
-
[26]
Pierre-André de Chambellan, après avoir suivi des études de droit, entre comme second clerc, en 1772, dans l’étude d’un procureur au châtelet de Paris. Passé maître clerc en 1773, il soutient sa thèse de droit au palais de Paris en 1775 et est reçu avocat au parlement de Paris. La même année, il s’embarque pour Saint-Domingue où il devient conseiller au conseil supérieur de Port-au-Prince en 1779. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/68, dossier Chambellan, Pierre-André.
-
[27]
Joseph de Gripière de Moncroc, chevalier et seigneur de Moncroc, marquis de Laval, entre lieutenant au régiment de Brie en 1757. Il est fait sous-aide major en 1760. Réformé en 1762, il devient capitaine en second au régiment des gardes à pieds du duc de Wurtemberg en 1763. Il passe à Saint-Domingue en 1766 en qualité d’aide-major de la légion de Saint-Domingue avec grade de capitaine. En 1771, il devient passe major et obtient en 1772 la charge de colonel du régiment de Port-au-Prince puis le grade de brigadier des armées du roi en 1784 avant d’achever sa carrière, en 1788, au grade de maréchal des camps et armées du roi. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Ms, E/213, dossier Gripière de Moncroc de Laval, Joseph, marquis de, états de service, Port-au-Prince, 1er mai 1785.
-
[28]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/19, dossier Baudoin, Louis-Gabriel.
-
[29]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/148, dossier Du Frettey, Charles-Pierre, Le Frère, chevalier.
-
[30]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/215, dossier Guillemain de Vaivre, Jean-Baptiste.
-
[31]
Il est à noter que sur les 19 lieutenants du roi de Saint-Domingue étudiés, 11 d’entre eux sont décédés dans la colonie, 4 en France ou durant la traversée de retour. Enfin, pour 5 d’entre eux, leur sort nous est inconnu.
-
[32]
Marie-Josèphe Du Plessis de Morampont semble avoir succombé à Gorée vers 1771.
-
[33]
Aix-en-Provence, ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/355, dossier Rocheblave, Pierre-Louis Rastel de.
-
[34]
Marie-Aimée Lallemand est veuve, sans enfants, en premières noces, de Pierre-Antoine-Alexandre de Laye, conseiller du Conseil supérieur du Cap. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/355, dossier Rocheblave, Pierre-Louis Rastel de.
-
[35]
Il est à noter que les exemples relevés de ce phénomène, peu fréquent, le sont exclusivement au sein de la magistrature dominguoise. Ainsi, en 1767, le conseil supérieur de Port-au-Prince a refusé de recevoir le conseiller du roi Pierre Bourdon, pourtant muni de lettres de provisions, au motif qu’il avait épousé une ancienne femme de chambre ayant exercé à Saint-Domingue. L’acte passé de domesticité de Mme Bourdon entache la position sociale de son époux, et à travers lui, celle du conseil supérieur. Aix-en-Provence, ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/47, dossier Bourdon, Pierre.
-
[36]
Carmen Bernand, « Détours par l’Amérique ibérique et le métissage », Regards croisés sur le bricolage et le syncrétisme, Archives de Sciences Sociales des Religions, n° 114, 2001, p. 61-66 ; Stefania Capone, « Le syncrétisme dans tous ses états », Regards croisés sur le bricolage et le syncrétisme, n° 114, 2001, p. 39-60 ; « Le dialogue transatlantique : Roger Bastide et la construction des études afro-brésiliennes », Rapports ambivalents entre les Sciences sociales européennes et américaines, Université de Liège, 16-18 février 2006, Milan, Arcipelago Edizioni, 2008, p. 25-68 ; Christian Ghasarian, « La Réunion : acculturation, créolisation et réinventions culturelles », Ethnologie française, vol. 32, no 4, 2002, p. 663-676 ; Marie-José Jolivet, « Acculturation, création, créolisation, … Étude de cas en Guyane », Bastidiana, n° 13-14, 1996, p. 143-165 ; Orlando Patterson, « Context and Choice in Ethnic Allegiance : a Theoretical Framework and Caribbean Case Study », dans Nathan Glazer, Daniel P. Moynihan (eds), Ethnicity : Theory and Experience, Havard University Press, Cambridge, Massachussett, 1975, p. 305-349 ; Jacques Petitjean Roget, La société d’habitation à la Martinique : un demi-siècle de formation, 1635-1685, thèse pour le doctorat d’Etat en histoire, Université Paris VII, Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1978, 2 vol ; Laurence Pourchez (dir.), Créolité, créolisation : regards croisés, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2013.
-
[37]
Il est à noter que plusieurs exemples de reconnaissances d’enfants naturels métis par leurs pères créoles ou métropolitains ont été recensés au cours de mes travaux.
-
[38]
À Saint-Domingue au xviiie siècle, les unions libres sont nombreuses et associent généralement un homme blanc et une femme de couleur. Si ces unions ne sont pas officiellement reconnues elles sont tacitement acceptées.
-
[39]
La famille Rastel de Rocheblave est issue de la noblesse du Dauphiné.
-
[40]
Solange Albéro, « Les voies du métissage », Annales HSS, janvier-février, 1, 2002, p. 147-157 ; Jean-Loup Amselle, Logiques métisses: anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990 ; « Métissage, branchement et triangulation des cultures », dossier « L’Horizon anthropologique des transferts culturel », Revue Germanique internationale, 21, janvier 2004, p. 41-52 ; Louise Bénat Tachot et Serge Gruzinski (ed.), Passeurs culturels – Mécanismes de métissage, Paris, Presses Universitaires de Marne-la-vallée, Édition de la Maison des Sciences de l’Homme, 2001 ; Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du nouveau monde, t. 2, Les métissages (1550-1640), Paris, Fayard, 1993 ; Guillaume Boccara, « Mundos nuevos en las fronteras del Nuevo Mundo, Relectura de los procesos coloniales de etnogénesis, etnificación y mestizaje en tiempos de globalización », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2000, en ligne URL : http://nuevomundo.revues.org/426 ; DOI : 10.4000/nuevomundo.426, consulté le 8 septembre 2015 ; Marika Moisseeff, « Quelles sciences sociales pour penser le métissage ? » dans Les Actes du Colloque L’expérience métisse, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004 ; Alexis Nouss et François Laplantine, Le métissage, un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir, Paris, Flammarion, 1997 ; Laurier Turgeon, Denys Delâge et Réal Ouellet, Transferts culturels et métissages Amérique/Europe, XVIe-XXe siècles, Sainte-Foy, Presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996.
1L’Atlantique est conceptualisé comme espace d’émergence de cultures originales dès le xixe siècle par des géographes allemands soutenant la thèse que les structures géographiques permettent d’expliquer les différences culturelles mondiales. Quelques décennies plus tard, dans les années 1940-1950, alors que le monde occidental connaît la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide et la création de l’OTAN, l’histoire atlantique prend un nouvel essor. Devenue enjeu politique, elle se donne pour but de retracer l’histoire de l’océan Atlantique faisant de « l’espace atlantique » un lieu d’échanges culturels occidental réunissant l’Europe de l’Ouest à l’Amérique du Nord [1]. La notion de « Atlantic System », est née. Elle recouvre alors l’analyse des processus unissant l’Europe occidentale et les États-Unis à la fin du xviiie siècle. Parallèlement, les travaux sud-américains développent une méthodologie d’analyse permettant d’étudier de façon globale la culture des mondes coloniaux hispaniques.
2Dans les années 1960, l’historiographie atlantique connaît un nouveau développement. S’inspirant notamment des méthodes et des concepts de la sociologie et de l’anthropologie, les études participent à la reconfiguration de l’histoire coloniale de l’Amérique britannique aboutissant à ce que l’on nommera plus tard, la « nouvelle histoire atlantique ».
3Les années 1970 donnent une nouvelle dimension à la discipline avec l’émergence de l’histoire du « Black Atlantic » (études sur la traite, l’esclavage et la diaspora noire). L’histoire atlantique devient multiculturelle, multiethnique, multiraciale. Mais, le nombre d’études voyant le jour morcelle la discipline. Un recadrage est opéré dans les années 1990 à travers la reconceptualisation des différentes histoires [2]. L’étude de l’espace atlantique connaît alors un changement d’échelle d’analyse important. Le continent africain mais également la Caraïbe et l’Amérique latine sont désormais inclus dans un « Système atlantique », rebaptisé « Atlantic World » [3]. Cette nouvelle unité d’analyse fait de l’histoire atlantique une nouvelle grille de lecture à l’aune de laquelle sont désormais étudiés les espaces impériaux, les liens entre divers pays ou les flux de toutes natures (populations, technologies, cultures, idéologies, etc.).
4En dépit d’une appréhension tardive de ce nouveau courant historiographique, jusqu’ici principalement développé par les historiens anglo-saxons et espagnols dressant le portrait d’un Atlantique anglais [4] et ibérique [5], la recherche française participe aujourd’hui à son élaboration. L’essor des travaux sur la « Franco-Amérique » ou l’« Amérique française » et l’« Atlantique français » en témoigne [6].
5Cependant, il est à noter que la majorité des études adoptent une perspective impériale face à l’extrême difficulté de dresser une histoire globale. Ces difficultés sont essentiellement d’ordre technique. Inclure tous les pays bordant l’Atlantique suppose de parler de nombreuses langues, de parcourir de nombreux dépôts d’archives, etc., aboutissant à une somme de travail colossale voire impossible. Pour autant, les études réalisées ne définissent pas des entités géographiques s’inscrivant dans le monde atlantique mais des entités relationnelles. « […] le terme « Atlantique » désigne non pas tant un espace qu’un réseau de relations, une configuration particulière d’échanges et d’interconnections au sein du monde atlantique » [7].
6C’est dans ce cadre que s’inscrit notre étude, celle de l’appréhension d’un Atlantique français à travers le prisme des carrières et des trajectoires des administrateurs coloniaux [8] entre France et Saint-Domingue au xviiie siècle [9].
7L’espace naturel de l’Atlantique devint, sous l’impulsion expansionniste des sociétés européennes, un espace économique et social, fruit de l’activité des hommes. Ainsi, en plaçant l’individu au centre de la problématique atlantique, les acteurs eux-mêmes et leur trajectoire personnelle attestent d’une réalité Atlantique. Dans cette perspective, les administrateurs coloniaux, en vertu de leur qualité, apparaissent comme des protagonistes incontournables de cet espace. Agents de l’État, soumis aux visées monarchiques et aux contingences diplomatiques, ils sont à la fois acteurs et témoins privilégiés de la scène Atlantique.
8Mais de quelle façon incarnent-ils la notion d’Atlantique français ? Comment celle-ci se matérialise-t-elle dans les carrières ? Avant d’apporter quelques éléments de réponse, il convient de préciser le terme même de « matérialisation ». Il s’agit, dans le cadre de l’histoire atlantique présentée plus haut, de saisir les formes matérielles de l’impact atlantique sur les trajectoires individuelles (accélérations, infléchissements et ruptures, évolutions et transformations) tant au niveau matériel (carrière, vie privée) qu’intellectuel. Pointer les signes visibles de l’atlantisation permettra de donner une réalité sensible à une construction atlantique protéiforme.
9Dans cette perspective, il semble que le premier élément de réponse réside dans l’affectation même des individus. Pour un individu, la première traversée transatlantique marque véritablement une étape décisive. Le « passage dans la colonie », qu’il soit ou non un choix, apparaît comme un acte déterminant dans le déroulement des carrières. Ce sont les conséquences professionnelles et sociales infléchissant les trajectoires qui mettent en évidence la réalité d’un espace Atlantique français. Néanmoins, la pertinence de cette notion se révèle également à travers la distance géographique qu’elle impose. Espace incontournable de communication, il se fait également espace « purificateur » d’identité sociale.
10Afin de tenter de répondre aux interrogations formulées, l’étude s’appuie sur un corpus de 139 individus dont l’essentiel de la carrière s’est développé dans la seconde moitié du xviiie siècle. Cependant, il ne s’agit que d’une indication chronologique. Une stricte limite temporelle d’étude ne peut s’accorder avec l’analyse de parcours de vie qui parfois débutent avant 1750 et s’achèvent sous le premier Empire.
11Composé d’officiers militaires [10], d’officiers d’administration de la marine [11], d’officiers de port [12] et de magistrats [13] et d’officiers se situant hors des hiérarchies traditionnelles [14], les individus du corpus ont pour point commun, outre leur service à Saint-Domingue, leur appartenance aux élites administratives coloniales. Une attention toute particulière sera portée sur la catégorie socioprofessionnelle des lieutenants du roi, soit 19 individus. Officiers supérieurs de l’armée de terre, métropolitains ou créoles, relevant des troupes métropolitaines ou coloniales, ayant pour charge l’administration d’une cité et de son territoire, ils s’avèrent représentatifs de l’administration coloniale en raison de leur hétérogénéité (origines géographiques et sociales, troupes de référence, affectations géographiques insulaires) et du pouvoir exercé (défense militaire, police, administration directe de la population et d’un territoire).
12D’un point de vue méthodologique, au regard du sujet et des questionnements qui le sous-tendent, l’analyse prosopographique s’est imposée. Développée dans le domaine de l’histoire sociale au cours des années 1970, à la suite d’à une réorientation paradigmatique au profit de la « micro histoire sociale » [15], elle a pour objectif de cerner l’identité d’une population spécifique au travers des individus qui la composent. C’est donc en raison de son approche à la fois quantitative et qualitative que la démarche prosopographique nous est apparue pertinente dans le cadre de cette étude [16].
13Dans cette perspective sérielle, l’élaboration de fiches individuelles biographiques visant à standardiser les données, implique le croisement de sources. L’objectif est alors de combler les lacunes, ou plus généralement de réduire la part d’inconnu, tout en rendant plus fiable la qualité des données. De fait, si la normalisation des documents administratifs présents dans les dossiers personnels des administrateurs coloniaux [17] permet de répondre à cette exigence, d’autres sources ont été intégrées à l’analyse : registres paroissiaux métropolitains et dominguois [18], minutier notarial [19], collection des greffes de Saint-Domingue [20] et sources imprimées dont l’ouvrage de Moreau de Saint-Méry [21].
1. La traversée transatlantique ou la double expression d’un unique espace
14La première traversée Atlantique des administrateurs coloniaux, si elle est un point essentiel dans leur carrière, ne puise pas son origine dans une ambition identique. Il existe, dans la seconde moitié du xviiie siècle, deux moyens essentiels pour les agents de l’État d’être affectés à Saint-Domingue : la nomination d’office ou la requête personnelle. Bien que seul le pouvoir royal ait la capacité de procéder aux affectations, les conditions préalables de celles-ci apportent une certaine nuance dans la matérialisation de l’espace Atlantique.
15Les affectations résultant de la politique royale, en matière administrative ou en matière militaire, forment le premier mode de passage dans la colonie. Restructuration de l’administration française métropolitaine, administration des autres colonies déjà pourvues, nomination aux places dominguoises vacantes, création des régiments coloniaux [22] et participation active dans la guerre d’Indépendance américaine, sont autant de motifs de nomination. Le service du roi est sans conteste la principale raison de traversée océanique, faisant de l’Atlantique un espace de politique administrative intérieure. Cet aspect, propre au fonctionnement de l’administration royale recrutant majoritairement ses agents en France, se révèle de façon plus importante dans le parcours des officiers d’administration de la marine. Bien qu’ils soient en poste dans les ports et arsenaux, et apparaissent de ce fait sédentaires par opposition aux officiers navigants, ils n’en demeurent pas moins d’une grande mobilité. D’une façon générale, la mobilité géographique dont font preuve les administrateurs coloniaux au cours de leur carrière cristallisent la notion d’espace Atlantique français par la fréquence même des traversées [23].
Répartition du nombre moyen de voyages réalisés par secteur administratif (1763-1792)
Répartition du nombre moyen de voyages réalisés par secteur administratif (1763-1792)
16En ce qui concerne la seconde modalité d’affectation à Saint-Domingue, celle-ci procède d’une démarche personnelle des individus. Les demandes d’exercice dans la colonie formulées auprès du pouvoir royal, si elles ont une destination commune, couvrent en revanche des motivations diverses. La première d’entre elles est le désir d’avancement des officiers. Titulaires d’un poste en métropole ou dans d’autres colonies, la paralysie du système d’avancement, se traduisant par une faible cadence des tableaux de promotion, contraint les administrateurs à solliciter leur expatriation. En effet, le fort renouvellement des agents royaux en raison des événements américains et d’un taux de mortalité important offre des perspectives réelles d’avancement sans compter que la comptabilité spécifique du service dans les colonies en temps de guerre double le temps d’exercice.
17La deuxième motivation évoquée dans les requêtes est le désir des individus comme des groupes familiaux de rompre avec une mauvaise réputation forgée en métropole. Le service des colonies apparaît comme la seule voie possible permettant de poursuivre une carrière entachée par ailleurs en France ou bien d’en embrasser une autre, généralement celle des armes. Si les requêtes individuelles d’affectation à Saint-Domingue sont issues d’officiers licenciés mis à la suite d’un corps de troupes, soit sans affectation ni rémunération, les demandes collectives émanent quant à elles de groupes familiaux cherchant à éloigner un membre indésirable, généralement un cadet coupable de « mœurs dissolues » ayant dilapidé au jeu des sommes considérables. Dans ce dernier cas, il semble que la dureté du service des colonies soit perçue comme un élément punitif amenant parfois à la rédemption.
18Une autre motivation d’ordre privé est celle d’une certaine reconstitution des familles outre-Atlantique. En effet, si « l’appel de clocher », ou regroupement par origine géographique, est une réalité à Saint-Domingue [24], celle du regroupement familial l’est également. Il n’est pas rare de voir quelques années après son établissement dans la colonie un individu rejoint par des parents, appartenant dans la plupart des cas au cercle de la famille proche. Il ne s’agit donc pas de la création d’un noyau familial mais de la reconstitution d’une entité déjà existante, par transplantation, et qui développe à Saint-Domingue une nouvelle branche, créole, tout en conservant sa souche métropolitaine. Or, lorsqu’on analyse de plus près les motivations de ces regroupements, il en ressort généralement une convergence d’intérêts entre l’administrateur qui s’expatrie et le groupe familial auquel il appartient. La traversée Atlantique est alors le fait d’un « clan » envoyant un porteur du nom promouvoir l’ascension sociale de l’ensemble du groupe ou veiller à ses intérêts coloniaux (gestion de biens, règlement de succession). Dans tous les cas, il apparaît que les passages dans la colonie sont favorisés par le pouvoir royal lorsqu’ils relèvent de cet ordre.
19Enfin, le dernier facteur, d’ordre privé, d’émigration des administrateurs, et vraisemblablement le plus puissant, est incontestablement celui de chercher fortune. Si cette motivation apparaît parfois de façon explicite dans le discours des acteurs, l’infléchissement délibéré de leur carrière témoigne à lui seul de leur volonté. En effet, les sollicitations d’une place quelconque à Saint-Domingue, pourvu qu’elle soit un tant soit peu rémunératrice, ou l’acceptation d’un poste inférieur à celui déjà occupé en métropole sont des marqueurs révélateurs des ambitions. Le dessein n’est pas alors de rechercher des appointements supérieurs mais d’exercer une charge dans la colonie afin de s’y implanter et d’acquérir par la suite une habitation dont l’exploitation assurera la fortune convoitée [25].
20Ces quatre motivations principales, d’ordre privé, de traversée vers la colonie font de l’espace Atlantique, au-delà de la représentation d’un espace parcouru de flux de populations, le vecteur de toutes les ambitions. Or, le caractère intime et familial de celles-ci transforme un espace géopolitique international en un domaine où se cristallisent, par sa traversée, les desseins individuels et collectifs des acteurs. L’Atlantique français se fait alors le révélateur des mentalités par un phénomène de reconstruction sociale. Il apparaît comme un champ d’action supplémentaire de la sphère privée. Un lieu privilégié où politique publique et intérêt privé façonnent ensemble l’œuvre coloniale, collective.
21Mais s’il est un domaine particulier où la traversée transatlantique exprime véritablement toute son importance, il s’agit incontestablement des parcours professionnels des administrateurs coloniaux. En effet, la reconstitution des carrières et la capacité de restituer la place du passage à Saint-Domingue dans leur déroulement permet d’appréhender la réalité de l’impact Atlantique dans les trajectoires individuelles, et donc collectives.
2. La matérialisation de l’Atlantique français dans les carrières
22Ainsi que cela a déjà été évoqué précédemment, l’une des principales motivations du franchissement de l’Atlantique par les administrateurs coloniaux est la possibilité d’un avancement plus rapide qu’en métropole. Le fort taux de renouvellement des postes concourt effectivement à la fluidité du système d’avancement, du moins en théorie. En effet, si Saint-Domingue recèle bien des spécificités, le système d’administration colonial est avant tout une transposition du système français sur ces nouvelles terres où suivant les particularités géographiques, démographiques et politiques celui-ci s’adapte aux contraintes locales. La bureaucratisation et les comportements sociaux (présentation, recommandation, protection) produisent les mêmes effets. De fait, la problématique de l’avancement des caméras, à l’aune du franchissement Atlantique, doit également prendre en considération les pratiques sociales. Dès lors, comment différencier un avancement lié au service dans la colonie d’un avancement lié au réseau relationnel ? Bien que la chose soit malaisée, il n’en demeure pas moins que le passage dans la colonie pèse d’un poids déterminant dans les parcours professionnels. Soldats comme magistrats connaissent une promotion, non pas plus rapide, mais véritablement plus importante. Un maître clerc en France peut devenir conseiller d’une cours supérieure dominguoise [26], chose impossible en métropole, tandis qu’un capitaine peut obtenir la charge de colonel, promotion relativement rare en France [27]. Ainsi, le passage dans la colonie marque non pas, nécessairement, une accélération du franchissement des grades mais un développement continu des carrières sur le long terme, offrant des perspectives plus importantes qu’en métropole. C’est donc dans l’analyse des trajectoires professionnelles, individuelles, et dans leur comparaison collective aux trajectoires métropolitaines que se mesure véritablement le rôle joué par le passage dans la colonie.
23Prenons l’exemple des lieutenants du roi. Sur un corpus de 19 individus comprenant une majorité d’officiers d’origine métropolitaine, il apparaît que la moitié de ce même groupe connaît un avancement traditionnel des carrières après la première traversée transatlantique.
24Cependant, la seconde moitié marque quant à elle, clairement, le développement de trajectoires professionnelles non linéaires (fig. 2) : avancement accéléré, avancement irrégulier voire rétrogradation.
25Quoi qu’il en soit, le service aux îles, résultant de la traversée transatlantique, s’accompagne d’un autre type de mobilité : la mobilité sociale (fig. 3). Qu’il s’agisse d’une ascension dans la hiérarchie des rangs et des statuts ou d’une rétrogradation, la mobilité constitue l’une des conséquences invariables de l’exercice dominguois. Cumul de charges, augmentation des appointements, multiplication des sources de revenus, investissements fonciers et immobiliers, anoblissement, frais de représentation et de service, pertes financières accidentelles, endettement, etc. sont autant d’éléments participant à la mobilité sociale des administrateurs. Peu importe la forme que prend celle-ci, l’étude des parcours révèle incontestablement un infléchissement marqué après la traversée Atlantique.
L’avancement des lieutenants du roi de Saint-Domingue (1763-1792)
L’avancement des lieutenants du roi de Saint-Domingue (1763-1792)
La mobilité sociale des lieutenants du roi de Saint-Domingue
La mobilité sociale des lieutenants du roi de Saint-Domingue
26Cette constante croisée avec l’étude des carrières met alors en évidence trois types de trajectoires (fig. 4). La première fait état d’une carrière tendant à se professionnaliser dans le domaine colonial.
27Louis-Gabriel de Baudoin, débute sa carrière en métropole, notamment dans le régiment de Fischer puis dans ceux du mestre de camp général dragons et du colonel général dragons. Jusque-là, capitaine, ayant fonction d’aide-major, il est promu lieutenant-colonel, à la suite des colonies, au régiment des Volontaires étrangers de Lauzun, qui fait alors le service de l’Inde avant d’être titularisé lors de la réintégration de son ancien régiment et du passage de celui-ci, en 1777, à Rhode Island. Puis, lorsqu’en 1778, son régiment rentre en France, il conserve sa place à la suite du régiment de Lauzun (tout en restant en Amérique) et devient, en 1781, lieutenant du roi de Fort-Dauphin à Saint-Domingue. Il décède l’année suivante sans avoir jamais solliciter un emploi quelconque en métropole [28]. Le passage en Amérique ne représente, dans ce cas, qu’une étape dans le franchissement des grades et l’ascension de l’échelle sociale. La traversée Atlantique cristallise ici l’impact majeur de l’espace Atlantique dans le déroulement du parcours de cet administrateur, agissant comme un tremplin dans l’avancement hiérarchique. Par ailleurs, le choix délibéré de Baudoin de ne pas repasser en France souligne la volonté de saisir toutes les opportunités américaines, professionnelles dans un premier temps et très certainement économiques dans un second temps.
Le choix de carrière des lieutenants du roi de Saint-Domingue
Le choix de carrière des lieutenants du roi de Saint-Domingue
28Le deuxième type de trajectoire matérialise de façon différente le poids de l’expatriation dans le parcours professionnel. Charles-Pierre Le Frère chevalier Du Frettey, capitaine au régiment de Saintonge, arrive en 1765, avec son régiment, à la Martinique. Après un passage en Guadeloupe et un retour en France, en 1769, il passe la même année aux Antilles, à Saint-Domingue, cette fois en qualité de major de place de la ville des Cayes. Devenu officier d’état-major, il est promu, deux ans plus tard, lieutenant du roi de Saint-Louis et quelques années plus tard il exerce, par intérim, la charge de commandant en second de la partie sud de Saint-Domingue. Enfin, très probablement à l’issue de cet intérim, il obtient en 1778 le grade de colonel d’infanterie et la croix de Saint-Louis. Bien qu’il soit décédé dans ce grade à Saint-Domingue, il semble que cet officier fut vraisemblablement promis au commandement en second de la colonie, voire à son gouvernement, si les événements révolutionnaires n’avaient pas mis un coup d’arrêt à son ascension hiérarchique irrésistible [29].
29Mais d’autres exemples sont encore plus marquants et tout à fait représentatifs de leur catégorie. Je me permets donc ici d’ouvrir une parenthèse dans l’analyse du corps des lieutenants du roi avec le cas d’un intendant : Jean-Baptiste Guillemain de Vaivre, conseiller au parlement de Besançon, passe, en 1774, à Saint-Domingue pour prendre les fonctions d’intendant de la colonie (1774-1775 et 1776-1780). À la suite de ses deux mandats, il rentre en France en 1780 pour occuper le poste de commissaire des missions étrangères. En 1782, il achète la charge de maître des requêtes et est nommé, l’année suivante, intendant général des colonies au département de la Marine et entre ainsi au Conseil de la marine. Poursuivant son ascension en métropole, il est alors nommé ministre de la marine en 1788, puis chef de l’administration générale des colonies en 1792 et prend enfin sa retraite au poste de maître de la Cour des comptes à Paris, vers 1816 [30].
30Il ressort de cet exemple que la traversée atlantique joue ici le rôle de tremplin social en donnant un nouvel essor à une carrière qui, dans le meilleur des cas, se serait achevée à la place de président à mortier du parlement de Besançon, sous réserve de capital suffisant… Le passage à Saint-Domingue marque clairement, dans ce second cas, une rupture dans l’évolution d’un cursus professionnel, qui aurait pu être linéaire, en initiant une ascension exponentielle indéniable.
31Enfin, le dernier type de trajectoire concrétise, sous un autre angle, l’inflexion décisive que peut donner la traversée transatlantique. En effet, certains individus font le choix de s’ancrer dans la colonie. Dans ces conditions, qu’ils poursuivent ou non leur ascension professionnelle, cela importe peu. Ce n’est pas dans le déroulement des carrières que l’impact du passage à Saint-Domingue est à évaluer, mais dans les parcours de vie des administrateurs. La reconstitution d’un réseau de sociabilité en dehors de leur catégorie professionnelle, l’investissement foncier et immobilier avec exploitation directe des biens, la participation aux cercles locaux de sociabilité institutionnalisée et le mariage représentent les principaux marqueurs de leur insertion. Le croisement même de ces éléments, définissant l’intégration sociale des administrateurs, permet de mesurer le poids socio-économique du franchissement de l’Atlantique dans la trajectoire des acteurs.
32L’espace Atlantique n’est plus ici défini comme une étape supplémentaire d’un parcours, un lieu de passage ou de transit, mais comme une finalité [31]. Saint-Domingue, principalement en raison de son dynamisme économique et de l’importance politique que cela lui confère, devient, pour un certain nombre d’administrateurs, un but à atteindre. L’importance des postes et des appointements, les possibilités de mariages « avantageux » et la forte instabilité du marché foncier apparaissent comme de puissants attraits permettant de réaliser les rêves de fortune (facile ?) peuplant l’imaginaire des administrateurs métropolitains. C’est ainsi que la très large majorité des individus ayant contracté un mariage dans la colonie avec une créole ou ayant acquis une habitation au cours de leur affectation font le choix de demeurer dans l’île. La recomposition d’une sociabilité dominguoise parfois au détriment du réseau initial métropolitain, la modification de l’objet des requêtes auprès de Versailles (demande exclusive d’avancement à Saint-Domingue, refus de retour définitif en France, acceptation de postes dominguois inférieurs au grade, perception de la métropole comme lieu de « passage ») et la naissance d’une postérité créole témoignent, entre autres, de cette volonté personnelle.
33Tel est le cas de Pierre-Louis Rastel marquis de Rocheblave. Sous-lieutenant aux volontaires de Belloy en 1747, il passe en 1749 au Canada. Lieutenant réformé en 1766, à la suite, entre autres, à la capitulation de Montréal en 1763, il est alors l’époux d’une Acadienne, Marie-Josèphe Du Plessis de Morampont, épousée à Montréal le 30 septembre 1760 (dont il aura 14 enfants). En 1768, il obtient le gouvernement le l’île de Gorée, puis est promu, en 1773, lieutenant-colonel d’infanterie avec la croix de Saint-Louis, mais se retrouve paradoxalement cette même année sans affectation. Cependant, moins d’un an après son retour en France, il est à nouveau affecté au service des colonies et passe à Saint-Domingue, en 1775, en tant que major de place, du quartier de la Grande-Anse. Alors veuf, depuis semble-t-il 1771 [32], il épouse à Saint-Domingue, en 1776, une créole du nom de Marie-Louise Mallet. Enfin, l’année suivante, il est fait lieutenant du roi des Cayes Saint-Louis.
34Alors que la première traversée transatlantique ne semble pas avoir affecté le parcours de Rocheblave, la seconde agit comme un tremplin dans son avancement hiérarchique alors que la troisième apparaît quant à elle comme une rétrogradation sur le plan professionnel. Mais alors, pourquoi avoir accepté une telle affectation ? La réponse est à chercher dans les opportunités socio-économiques qu’offre le service à Saint-Domingue : un mariage créole « avantageux » (Marie-Louise Mallet est lors de son union avec Rocheblave, déjà veuve à 3 reprises) et très vraisemblablement, au regard des sollicitations entreprises auprès du pouvoir royal, la possibilité de s’établir comme habitant, c’est-à-dire comme planteur [33]. Cependant, son décès prématuré, en 1779, ne lui en laisse pas le temps. Enfin, le regroupement familial doit également être pris en considération : le marquis de Rocheblave retrouve à Saint-Domingue, l’un de ses frères, Prosper, vicomte de Rocheblave, sous-gouverneur des pages de la grande écurie du roi, établi comme habitant, par son mariage avec une créole (Marie-Aimée Lallemand [34]). Quant à la descendance du marquis, sur les huit fils issus de la première union, tous attachés au service des colonies, deux officient au Canada, deux en Louisiane, deux à Saint-Domingue et un au Sénégal.
35L’espace Atlantique prend ainsi toute sa dimension dans la trajectoire individuelle et collective des acteurs. C’est dans les conséquences de son franchissement sur les carrières et la vie privée des administrateurs qu’il se matérialise véritablement. En fonction des impulsions socioprofessionnelles, des réorientations ou des ruptures qu’il induit, l’espace océanique devient un espace social tout en nuances. Cependant, s’il est incontestable que l’Atlantique français a un impact considérable sur les parcours professionnels de ses acteurs, le matérialisant en retour par leurs infléchissements, d’autres éléments étayent la réalité de ce concept : les alliances créoles, l’implantation outre-Atlantique d’une branche familiale faisant office de tête de pont, la création et le développement d’un réseau transatlantique à la fois familial, professionnel, économique, social, etc. ; la diversification des situations professionnelles au sein de familles pratiquant jusqu’ici une endogamie professionnelle ; l’origine et la nature des revenus, etc.
3. Pertinence de l’Atlantique français : quelques éléments de réponse
36L’Atlantique français apparaît, avant tout, comme un espace où se joue de façon particulière la construction impériale. L’administration des colonies, le marché colonial et son poids dans l’économie française, les relations internationales avec les autres puissances européennes, également implantées outre-Atlantlantique, sont autant d’éléments participant à cette construction. Or, la volonté monarchique fait de ces éléments des outils de sa propre expansion. L’Atlantique se révèle être une extension du royaume où se nouent des enjeux spécifiques à la France, et non plus un espace de transit comme dans les premiers temps de la colonisation. La nature même des colonies américaines françaises témoigne de cette réalité. En effet, les Antilles comme la Nouvelle-France sont des colonies de peuplement, affirmant une volonté d’implantation qui se veut pérenne, contrairement aux comptoirs qui se définissent essentiellement par leur caractère économique et la politique non-expansionniste de leur territoire comme de leur population.
37Outre l’aspect politique, l’Atlantique français se matérialise également dans l’usage qu’en font ses acteurs, en l’occurrence les administrateurs coloniaux dominguois. En effet, tandis que certains ne le considèrent que comme une voie de circulation, d’autres réifient l’espace atlantique pour en faire un espace privilégié de communication. Les correspondances familiales en sont un bon exemple. La distance séparant les membres d’une famille, le temps d’acheminement du courrier, les hasards de sa bonne distribution, rendent les auteurs prolifiques. Les courriers sont généralement longs et regorgent bien souvent de détails sur la situation des autres membres de la famille, les enfants y compris. Certaines correspondances sont tout simplement des discussions perturbées uniquement par les aléas de la distribution des missives (pertes, naufrages ou prises des navires). Leur analyse souligne la diversité des sentiments unissant les correspondants ; le vocabulaire souvent exagéré révèle leur exacerbation due à l’inquiétude et à l’incertitude. L’implantation dominguoise n’érige donc pas l’Atlantique en une frontière brisant les attaches métropolitaines. Bien au contraire, il devient un vaste espace relationnel, une extension de la sphère privée des individus. Ainsi, à l’image du pouvoir royal, les hommes façonnent l’Atlantique qui se mue en espace social. C’est véritablement cette appropriation qui fait de cet océan international un lieu de l’entre-soi, un Atlantique français.
38Cependant, l’élaboration de l’espace n’est pas unilatérale. Comme cela a été présenté précédemment, le passage vers la colonie façonne, à son tour, les individus eux-mêmes. Or, cette réciprocité du processus de transformation se manifeste également dans la construction identitaire des administrateurs dominguois. Il apparaît que le franchissement Atlantique procède, notamment, au blanchiment des identités sociales. Les marqueurs sociaux des individus (naissance, statut, réputation) semblent se diluer dans les flots lors de la traversée. Arrivé à Saint-Domingue, malgré une position sociale définie, tout est à justifier ou à reconstruire (présentation et enregistrement des lettres de noblesse, réception à un poste, réputation, fortune, pouvoir, etc.). Il arrive même parfois qu’en dépit de sa nomination, un administrateur se voit refuser sur place le poste qui lui est attribué par Versailles (poste déclaré comme déjà pourvu, incompétence attribuée au nouvel arrivant, non respect des critères de nomination [35]). C’est dans cette contrainte, imposée par une société originale, que se révèle une autre facette, ou une spécificité, de l’Atlantique français.
39Mais à cette première modification identitaire peut également s’additionner une autre mutation, beaucoup plus profonde : la créolisation. Ce terme issue de la linguistique, repris et adapté aux problématiques de la sociologie et de l’anthropologie puis emprunté par les historiens, tend à définir le processus d’interaction et de d’hybridation d’éléments culturels déterritorialisés puis adoptés et/ou adaptés par des populations vivant ensemble et faisant face conjointement aux contraintes de leur milieu. La spécificité des sociétés créoles caribéennes réside dans le fait que cette genèse culturelle s’est réalisée dans des espaces où la majorité de la population était en situation de déterritorialisation ; le système de plantation ayant à la fois agi comme un accélérateur et un normalisateur du phénomène. Toutefois, il serait réducteur de considérer la créolisation comme un simple mouvement d’adaptation. Se situant dans des rapports de pouvoir, la créolisation est liée à l’imposition d’un modèle culturel dominant [36].
40Ce processus socioculturel, que connaissent les administrateurs ayant fait le choix de s’établir à Saint-Domingue, touche à la fois les corps et les esprits. Il s’agit d’une lente révolution, fruit de la traversée transatlantique, de l’intégration sociale et de l’assimilation personnelle de la culture locale. Cette culture, issue d’interactions multiples et constantes dans un système d’échanges malgré tout dialectique induit un phénomène d’acculturation permettant de reformuler et de s’approprier des éléments culturels. L’assimilation de ses créations originales aboutit ainsi à un syncrétisme multiculturel, à appréhender à la fois comme une mosaïque culturelle et un processus fusionnel, spécifique de son lieu d’élaboration. L’évolution locale d’une société métropolitaine, exportée et transposée à Saint-Domingue, au contact d’autres influences a ainsi créé une société singulière, originale, qui par un effet de retour marque de son empreinte les mentalités métropolitaines. La famille du lieutenant du roi Pierre Louis Rastel de Rocheblave en est un bon exemple. Vers 1776, son frère, le vicomte Prosper Rastel de Rocheblave, sous-gouverneur des pages de la Grande Écurie du Roi, le rejoint à Saint-Domingue afin de s’occuper d’affaires personnelles. En 1777, le vicomte épouse une créole issue d’une famille de magistrats coloniaux et propriétaire de deux habitations. Or, l’unique héritier du vicomte n’est pas le fruit de cette union, qui s’inscrit dans la nouvelle tendance familiale, mais d’une union libre antérieure. L’absence de renseignement sur la mère et le flou qui entoure cet enfant naturel né à Saint-Domingue laissent supposer qu’il s’agit d’un enfant métis. Cet exemple, somme toute commun, est intéressant à plus d’un titre. D’une part, si le degré de métissage nous est inconnu, il apparaît que cela importe peu au vicomte qui le reconnaît ouvertement comme son fils [37] ; il s’en réclame le père dans sa correspondance et il donne à ce petit garçon son propre prénom, Prosper. D’autre part, ainsi que cela se pratique au sein de la noblesse métropolitaine ou des élites coloniales, le vicomte de Rocheblave confie l’entretien et l’éducation de son fils, en France, à un tiers. Il s’agit d’un ami versaillais également chargé du choix et du paiement des professeurs. Quelques années plus tard, soucieux de garantir l’avenir de l’enfant, le vicomte le confie à un nouvel ami dont la position au sein du bureau du comte d’Artois au département des troupes Suisses lui permettra d’entrer soit dans l’administration soit dans l’armée. Les sources, qui excluent toute intervention de la vicomtesse Rastel de Rocheblave dans l’éducation de cet enfant, soulignent par opposition l’intérêt du vicomte pour son fils. Il n’hésite pas à solliciter son réseau relationnel en faveur de celui-ci, cherchant à lui assurer une position. Enfin, le groupe familial semble également être mis à contribution dans le sens où l’enfant n’est pas exclu du groupe et semble bénéficier d’une certaine bienveillance.
41L’attitude du vicomte Prosper Rastel de Rocheblave témoigne de la créolisation des individus à travers la créolisation des mentalités. En ce qui concerne l’homme lui-même, son mode de vie avant son mariage (union libre avec une femme de couleur [38], gestion d’une plantation) et la reconnaissance publique de son fils naturel sont des éléments en attestant. Quant au groupe familial, sa reconnaissance tacite de l’enfant naturel métis révèle l’atlantisation de ses membres métropolitains [39] et de sa culture interne initiée et opérée par toute une génération d’officiers coloniaux dont la moitié a épousé des créoles. Il s’agit véritablement d’un métissage à la fois biologique et culturel, un processus dans lequel l’espace Atlantique se fait espace de créolisation [40].
Conclusion
42La notion d’Atlantique français dépasse ainsi le cadre théorique dans lequel s’inscrit ce concept, pour se matérialiser, entre autres, dans les trajectoires des administrateurs coloniaux de Saint-Domingue. Que le passage vers la colonie résulte ou non, d’un choix personnel, il n’en demeure pas moins une première forme de concrétisation de l’Atlantique français par son rôle de révélateur des mentalités et des ambitions. L’analyse des carrières, avec comme point de repère la première traversée transatlantique, permet d’évaluer le poids de celle-ci dans le déroulement des parcours faisant ainsi apparaître, de manière probante, le caractère tangible de ce champ de recherche. Cependant, l’impact de l’espace Atlantique ne se cantonne pas aux cursus professionnels mais il se répercute également sur les parcours de vie des individus. En effet, l’infléchissement des trajectoires témoigne à son tour de sa matérialité. Par un processus de transformation bilatérale, de construction politique et culturelle, espace et acteurs cristallisent l’Atlantique français. L’espace géographique transcendé se fait espace d’extension nationale en vertu de son appropriation, publique et privée, par les acteurs eux-mêmes. C’est dans l’appréhension, parfois délicate, de ses multiples formes matérielles que se donne à voir la réalité tangible de l’espace atlantique français.
Notes
-
[*]
Docteur en histoire, membre associé du laboratoire Framespa (UMR 5136), Université de Toulouse-Jean Jaurès. Après une thèse consacrée aux élites urbaines de Saint-Domingue et à la place des administrateurs coloniaux en son sein, dans la seconde moitié du xviiie siècle, ses travaux portent aujourd’hui à sur l’histoire atlantique à travers le prisme des réseaux familiaux entre Europe-Afrique-Amériques.
-
[1]
Pierre et Huguette Chaunu, Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, SEVPEN, 1955-1960 ; Jacques Godechot, Histoire de l’Atlantique, Paris, Bordas, 1947 ; Robert R. Palmer, The Age of the Democratic Revolution : A Political History of Europe and America, 1760-1800, Princeton University Press, 1959-1963 ; Bertrand Van Ruymbeke, « L’histoire Atlantique aux États-Unis : la périphérie au centre », Nuevo Mundo, Mundos Nuevos, coloquios, 2008, [mise en ligne], 19 septembre 2008. URL : http://nuevomundo.revues.org/index42083.html.
-
[2]
Jack P. Greene Peripheries and Center. Constitutional Development in the Extended Polities of the British Empire and the United States, 1607-1788, New-York, Norton, 1990.
-
[3]
David Armitage, « Tres conceptos de historia atlántica », Revista de Occidente 281, 2004, p. 7-28 ; Bernard Bailyn, Atlantic History. Concept and Contours, Cambridge, Harvard University Press, 2005 ; « The Idea of Atlantic History », Itinerario 1, 1996, p. 19-44 ; Cécile Vidal, « The Reluctance of French Historians to Adress Atlantic History », The Southern Quarterly 4, 2006, p. 153-189 ; « La nouvelle histoire atlantique en France : Ignorance, réticence et reconnaissance tardive », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2008, en ligne, http://nuevomundo.revues.org/index42513.html (page consultée le 12 novembre 2008).
-
[4]
Robert Appelbaum, John Wood Sweet, (dir.), Envisioning an English Empire: Jamestown and the Making of the North Atlantic World, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2005 ; David Armitage, Michael J. Braddick, (dir.), The British Atlantic World, 1500-1800, New York, Palgrave Macmillan, 2002 ; Rebecca Ann Bach, Colonial Transformations : The Cultural Production of the New Atlantic World, 1580-1640, New York, Palgrave Macmillan, 2000 ; Alison Games, Migration and the Origins of the English Atlantic World, Cambridge, Harvard University Press, 1999 ; Patrick Griffin, The People With No Name. Ireland’s Ulster Scots, America’s Scots Irish and the Creation of a British Atlantic World, 1689-1764, Princeton, Princeton University Press, 2001.
-
[5]
Alejandra E.Gomez, « El Estigma Africano en los Mundos Hispano-Atlántico, siglos xiv al xix », Revista de História, n/d, São Paulo, Universidade de São Paulo, 2005, p. 139-179 ; Manuel Lucena Giraldo, « La constitución atlántica de España y sus Indias », Revista de Occidente, n° 281, 2004, p. 29-44 ; Michel Zylberberg, « L’Espagne et les espaces atlantiques », Revue Dix-Huitième Siècle (numéro spécial : « L’Atlantique »), n° 33, 2001, p. 149-164.
-
[6]
Mickaël Augeron, Dominique Guillemet, (dir.), Champlain ou les portes du Nouveau Monde : cinq siècles d’échanges entre le Centre-Ouest français et l’Amérique du Nord, XVIe-XXe siècle, La Crèche, Geste éd., 2004 ; Mickaël Augeron, Didier Poton, Bertrand Van Ruymbeke, (dir.), Les Huguenots et l’Atlantique, Paris, Presses de l’Université-Paris Sorbonne/Indes savantes, 2009 ; Marc Bélissa, Bernard Cottret, (dir.), Cosmopolitismes, patriotismes : Europe-Amériques, 1773-1802, Rennes, Les Perséides, 2005 ; Bruno Marmot, Silvia Marzagalli, (dir.), Guerre et économie dans l’espace atlantique du XVIe au XXe siècle, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2006 ; Silvia Marzagalli, « The French Atlantic », Itinerario 2, 1999, p. 70-83 ; Olivier Pétré-Grenouilleau, « Les négoces atlantiques français. Anatomie d’un capitalisme relationnel », Dix-Huitième Siècle (numéro spécial « L’Atlantique »), n° 33, 2001 ; Bertrand Van Ruymbeke, et Randy J. Sparks, dir., Memory and Identity. The Huguenots in France and Their Atlantic Diaspora, Columbia, University of South Carolina Press, 2003; Jean-Paul Zuniga, « L’Histoire impériale à l’heure de l’“histoire globale”. Une perspective atlantique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, Histoire globale, histoires connectées, n° 54/4 bis, 2007/5, p 54-68.
-
[7]
Cécile Vidal, « Introduction. Le(s) monde(s) atlantique(s), l’Atlantique français, l’empire atlantique français », Revue d’Histoire d’Outre-Mer, Dossier thématique « L’Atlantique français », n° 362, 2009, p. 7-37.
-
[8]
L’historiographie relative aux administrateurs métropolitains et coloniaux est particulièrement foisonnante. À titre d’exemples, voir pour les administrateurs métropolitains : Michel Antoine, Le cœur de l’État, surintendance, Contrôle général et intendances des finances, 1552-1791, Paris, Fayard, 2003 ; Grégory Barbusse, Le pouvoir et le sang : les familles de capitouls de Toulouse au siècle des Lumières (1715-1790), thèse de doctorat, Université de Toulouse-II-Le-Mirail, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 2004 ; François Bluche, Les magistrats du parlement de Paris au XVIIIe siècle (1715-1771), thèse pour le doctorat ès Lettres, Besançon, Imprimerie Jacques et Demontrond, 1960 ; Michel Cassan (dir.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne : pouvoir, culture, identité, actes du colloque de Limoges, 11-12 avril 1997, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 1998 ; Laurent Coste, Le lys & le chaperon. Les oligarchies municipales en France de la Renaissance à la Révolution, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007 ; Monique Cubells, La Provence des Lumières, les parlementaires d’Aix au XVIIIe siècle, Paris, Maloine, 1984 ; Samuel Gibiat, Hiérarchies sociales & ennoblissement. Les commissaires des guerres de la Maison du roi au XVIIIe siècle, Paris, École des Chartes, 2006 ; Marc Perrichet, « Prosopographie et histoire de l’État : la France moderne, xvie-xviiie siècle », dans Histoires de vies, actes du colloque de l’association des historiens modernistes, 1994, Paris, 1996, n° 19 ; Wolfgang Reinhard (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, Paris, Presses Universitaires de France, 1996 ; Michel Vergé-Franceschi, Les officiers généraux de la Marine Royale, 1715-1774, origines, conditions, services, thèse pour le doctorat d’état ès-Lettres, 1987, 7 vol., Librairie de l’Inde, 1990 ; pour les administrateurs coloniaux : Juan Andreo Garcia, La Intendencia en Venezuela. Don Esteban Fernández de León, intendente de Caracas, 1791-1803, Murcie, Murcia Universidad, Secretaría de Publicación, 1991 ; Mickaël Augeron, Entre la plume et le fer : le personnel des intendances de la viceroyauté de Nouvelle-Espagne (1785-1824). Pratiques de pouvoir et réseaux sociaux en Amérique espagnole, thèse de doctorat d’histoire, Université de Lille, 2000 ; Michel Bertrand, « De la richesse en Amérique : la genèse des patrimoines familiaux des officiers de finances de Nouvelle-Espagne (xviie-xviiie siècles) », Revue d’Histoire Moderne et contemporaine, vol. 41, 1994, n° 2, p. 221-236 ; id., Grandeur et misères de l’Office. Les officiers de finances de Nouvelle-Espagne, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999 ; Anne-Marie Brenot, Pouvoir et profits au Pérou colonial au XVIIIe siècle ? Gouverneurs, clientèle et ventes forcées, Paris, L’Harmattan, 1989 ; Thomas Calvo, Poder, religión y sociedad en la Guadalajara del siglo XVII, Guadalajara, CEMCA/Ayunt., 1992 ; Jean-Louis Castellano, Jean-Pierre Dedieu, (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Editions, 1998 ; John Fisher, Gobierno y sociedad en el Perú colonial : el régimen de las intendencias. 1784-1814, Lima, 1981 ; Juan Marchena Fernandez, Ejército y milicias en el mundo colonial americano, Madrid, Mafpre, 1992 ; Fernando Muro Romero, « La administración de Indias : de la unidad imperial a la diversidad : el tránsito del siglo xvii », dans Unité et diversité de l’Amérique Latine, t. 1, Bordeaux, Éditions du CNRS/MPI, 1982 ; Jean Tarrade, « Les intendants des colonies à la fin de l’Ancien Régime » dans Privat (éd.), La France d’Ancien Régime. Études réunies en l’honneur de Pierre Goubert, Toulouse, Privat, 1984, t. 2, p. 673-681.
-
[9]
Tout comme l’historiographie des administrateurs, celle de Saint-Domingue au xviiie siècle est extrêmement riche. Une nouvelle fois, je me contenterai donc de quelques indications bibliographiques loin de toute exhaustivité : voir, entre autres, les travaux de Gabriel Debien, de Marcel Dorigny, de Lucile Bourrachot et Jean-Pierre Poussou, de Paul Butel, de David Geggus, de Jacques de Cauna, et de Bernard Foubert. À titre indicatif : Lucile Bourrachot, Jean-Pierre Poussou, Charles Huetz de Lemps, « Les départs de passagers pyrénéens par Bordeaux au xviiie siècle (1717-1787) », Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau, 1968, p. 133-162 ; Paul Butel, « L’essor de l’économie de plantation à Saint-Domingue dans la seconde moitié du xviiie siècle », Bulletin du Centre d’Histoire des Espaces Atlantiques, n° 6, 1993, p. 61-75 ; Jacques de Cauna, Au temps des îles à sucre, Histoire d’une plantation à Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Paris, Karthala, 1987 ; Gabriel Debien, La société coloniale aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse, Abbeville, F. Paillart, 1951 ; Marcel Dorigny, (dir.), Haïti: la première république noire, Paris, Bibliophane-Daniel Radford, 2003 ; Laurent Dubois, Les vengeurs du Nouveau Monde, Histoire de la Révolution haïtienne, Paris, Les Perséides, 2005 ; Hervé Du Halgouët, Au temps de Saint-Domingue et de la Martinique, d’après la correspondance des trafiquants maritimes, Rennes, Oberthur, 1941 ; Bernard Foubert, « De la plantation coloniale à la micropropriété paysanne. Les habitations Mariani sous Boyer, Président d’Haïti », Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres, t. 5, 1997, p. 435-454 ; David Geggus, « The Major Port of Saint-Domingue in Later Eighteenth Century », en Franklin. W. Knigt, Peggy. K. Liss, eds., Atlantic Port Cities. Economy, Culture and Society in the Atlantic world, 1650-1850, Knoxville, University of Tennessee Press, 1991 ; François Girod, La vie quotidienne de la société créole de Saint-Domingue au XVIIIe siècle, Hachette, Paris, 1972 ; Olivier Pétré-Grenouilleau, « La révolte des esclaves de Saint-Domingue », L’Histoire n° 339, février 2009, p. 74-79.
-
[10]
Commandants de place, lieutenants du roi, majors généraux, commandants en second, commandants généraux des troupes et milices de Saint-Domingue, lieutenants généraux des armées du roi, gouverneurs généraux.
-
[11]
Commissaires principaux de la marine et des colonies, commissaires généraux de la marine, commissaires ordonnateurs, intendants de la marine et des colonies.
-
[12]
Capitaines de port.
-
[13]
Procureurs généraux, conseillers de conseil supérieur, présidents de conseil supérieur. Il est à noter que Saint-Domingue compte deux conseils supérieurs dans la seconde moitié du xviiie siècle, le Conseil supérieur de Port-au-Prince et du Cap, s’apparentant aux parlements métropolitains.
-
[14]
Vérificateurs généraux des comptes de Saint-Domingue, receveurs généraux des deniers publics, prévôts généraux de la maréchaussée de Saint-Domingue, commissaires des guerres, ingénieurs en chef, directeurs généraux des fortifications.
-
[15]
La « micro histoire sociale » consiste en l’étude de groupes sociaux aux effectifs restreints, généralement appréhendés dans une perspective professionnelle. Elle s’oppose à la « macro histoire sociale » qui a pour vocation d’analyser des groupes sociaux aux effectifs considérables et ordinairement envisagés dans un cadre local ou régional.
-
[16]
Françoise Autrand, Prosopographie et genèse de l’État moderne, Paris, École normale supérieure de jeunes filles, 1986 ; Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 62/63, juin 1986, p. 69-72 ; André Chastagnol, « La prosopographie, méthode de recherche sur l’histoire du bas Empire », Annales ESC, 25-5, 1970, p. 1229-1235 ; Claire Lemercier, Emmanuelle Picard, « Quelle approche prosopographique ? », dans Biographie et prosopographie, 2010, document en ligne, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00521512v2 ; Bernard Lepetit, (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63-84 ; Giovanni Levi, « Les usages de la biographie », Annales ESC, 1989, n° 6, p. 1325-1336 ; Emmanuelle Picard, « Du dossier individuel à la prosopographie en histoire de l’éducation : bilan et problèmes de méthode », Revue administrative, n° spécial, février 2007, p. 55-58 ; Lawrence Stone, « Prosopography », Daedalus, 1971, 100, 1, p. 46-79.
-
[17]
Aix-en-Provence, Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM), série colonie E, fonds ministériel, personnel colonial ancien (xviie-xviiie siècles), dossiers personnels. En dépit d’une standardisation des documents ayant trait à la carrière des individus tels les états de service, le contenu des dossiers est relativement divers dans sa composition et se révèle en règle générale d’une grande richesse : correspondances administratives et privées, requêtes, relevés de soldes, comptes d’habitation, documents juridiques, ordonnances médicales, etc.
-
[18]
Pour les registres paroissiaux de Saint-Domingue, Aix-en-Provence, ANOM, Dépôt des Papiers Publics des Colonies (DPPC), état civil, Saint-Domingue. « En vertu des données d’ordre généalogique et sociologique qu’il recèle, l’état civil permet de démêler l’écheveau des liens de parenté, d’identifier les différents groupes sociaux et de tracer, ou d’enrichir, les divers réseaux de sociabilité. Largement complémentaire de la série colonie E, il met en lumière les parentés spirituelles significatives des accointances familiales, des intérêts professionnels, des ambitions et des mentalités » : Zélie Navarro-Andraud, « Les élites de Saint-Domingue au xviiie siècle : réflexions méthodologiques », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n° 95, décembre 2010, p. 69-70.
-
[19]
Pour le minutier notarial de Saint-Domingue, Aix-en-Provence, ANOM, DPPC, notaire, Saint-Domingue. D’une façon générale, en fournissant des indications sur la qualité des individus, les fortunes, les patrimoines, les liens interindividuels entre les parties mentionnées, les sources notariales permettent d’affiner la perception des catégories socioprofessionnelles tout en dessinant l’univers relationnel des individus concernés.
-
[20]
Aix-en-Provence, ANOM, DPPC, greffes de Saint-Domingue. La collection des greffes se compose de procédures civiles et criminelles. La nature des informations fournies permet d’affiner l’appréhension du groupe socioprofessionnel étudié sous divers angles : finance (nature, composition et valeur des patrimoines), sociabilité, mentalité. Cependant, les greffes ne recensant pas les procédures dans leur intégralité, il est généralement difficile d’en connaître les tenants et les aboutissants. Il s’agit donc d’aborder avec circonspection la documentation, tant en raison de ses lacunes que de la nature judiciaire des sources codifiant le discours des acteurs et détournant la voix et les actions des protagonistes.
-
[21]
Louis Médéric Elie Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile politique et historique de la partie française de Saint-Domingue, nouv. éd. entièrement revue et complétée sur le manuscrit, accompagnée de plans et d’une carte hors-texte, suivie d’un index de personnes, par Blanche Maurel et Étienne Taillemite, Paris, Société de l’histoire des Colonies Françaises, Librairie Larose, 1958, t 3. Il est à noter que la présentation des sources dépouillées n’est pas exhaustive.
-
[22]
Les régiments coloniaux de Port-au-Prince et du Cap sont créés, en 1772, lors de la dissolution de la légion de Saint-Domingue par l’ordonnance du 18 août 1772.
-
[23]
Sur un corpus de 139 individus, la moyenne générale du nombre de traversée s’élève à 5,5 voyages. Cependant, si l’on procède à une analyse par catégorie professionnelle celle-ci varie d’une branche à une autre : la moyenne des trajets transatlantiques des officiers militaires, constituant 42 % du corpus, est de 5,5 ; la moyenne des officiers d’administration et de port de la marine, constituant 17 % du corpus, est de 7,7 ; la moyenne des magistrats, constituant 26 % du corpus, est de 4,2 ; et celle des officiers se situant hors des hiérarchies traditionnelles et composant 0,5 % du corpus est de 5 traversées. Zélie Navarro-Andraud, Les élites urbaines de Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : la place des administrateurs coloniaux (1763-1792), Thèse de troisième cycle, Université de Toulouse, 2007, p. 253-262.
-
[24]
Jacques de Cauna, L’Eldorado des Aquitains, Gascons, Basques et Béarnais aux isles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe siècles), Biarritz, Atlantica, 1998.
-
[25]
Le chevalier de Loppinot est un exemple parmi tant d’autres. Cadet en 1764 il entre comme garde du corps du roi dans la compagnie de Villeroi en 1773. Après quatre ans de service, il sollicite auprès du ministre de la Marine une lieutenance dans le régiment de Port-au-Prince (Saint-Domingue). Bien que réitérée à plusieurs reprises, sa demande reste lettre morte. En février 1777, il élargit donc ses vœux et requiert « un emploi [d’officier] dans un des régiments des îles. » Cinq mois plus tard, il abaisse ses prétentions et sollicite une sous-majorité ou une sous-lieutenance à Saint-Domingue. Après de multiples courriers et l’appui de sa parenté, il obtient, en 1778, une sous-lieutenance mais à la suite du régiment de Port-au-Prince. Il obtient donc la possibilité de se rendre à Saint-Domingue en étant attaché au service du roi mais de façon non rémunérée. Qu’importe, il embarque pour la colonie d’où il n’aura de cesse de solliciter une place de titulaire qu’il obtiendra sept ans plus tard lorsqu’il sera nommé lieutenant au régiment de Port-au-Prince. Pourquoi une telle persévérance ? La raison est à chercher dans la stratégie familiale des Loppinot. Le père et les fils aînés envoyés en Acadie dans les troupes régulières avaient tenté de s’implanter économiquement outreatlantique. La guerre de Sept Ans ayant ruiné famille et espoirs, les officiers de la famille survivants ont demandé et obtenu leur affectation à Saint-Domingue où ils acquièrent une cafèterie. Ainsi, dès leur installation dans la colonie, ils essayent de faire venir le cadet dont la mission sera de gérer et d’augmenter les biens familiaux dominguois. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Ms, E/290, dossier Loppinot, Jean Amble Balthasar, chevalier de.
-
[26]
Pierre-André de Chambellan, après avoir suivi des études de droit, entre comme second clerc, en 1772, dans l’étude d’un procureur au châtelet de Paris. Passé maître clerc en 1773, il soutient sa thèse de droit au palais de Paris en 1775 et est reçu avocat au parlement de Paris. La même année, il s’embarque pour Saint-Domingue où il devient conseiller au conseil supérieur de Port-au-Prince en 1779. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/68, dossier Chambellan, Pierre-André.
-
[27]
Joseph de Gripière de Moncroc, chevalier et seigneur de Moncroc, marquis de Laval, entre lieutenant au régiment de Brie en 1757. Il est fait sous-aide major en 1760. Réformé en 1762, il devient capitaine en second au régiment des gardes à pieds du duc de Wurtemberg en 1763. Il passe à Saint-Domingue en 1766 en qualité d’aide-major de la légion de Saint-Domingue avec grade de capitaine. En 1771, il devient passe major et obtient en 1772 la charge de colonel du régiment de Port-au-Prince puis le grade de brigadier des armées du roi en 1784 avant d’achever sa carrière, en 1788, au grade de maréchal des camps et armées du roi. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Ms, E/213, dossier Gripière de Moncroc de Laval, Joseph, marquis de, états de service, Port-au-Prince, 1er mai 1785.
-
[28]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/19, dossier Baudoin, Louis-Gabriel.
-
[29]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/148, dossier Du Frettey, Charles-Pierre, Le Frère, chevalier.
-
[30]
ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/215, dossier Guillemain de Vaivre, Jean-Baptiste.
-
[31]
Il est à noter que sur les 19 lieutenants du roi de Saint-Domingue étudiés, 11 d’entre eux sont décédés dans la colonie, 4 en France ou durant la traversée de retour. Enfin, pour 5 d’entre eux, leur sort nous est inconnu.
-
[32]
Marie-Josèphe Du Plessis de Morampont semble avoir succombé à Gorée vers 1771.
-
[33]
Aix-en-Provence, ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/355, dossier Rocheblave, Pierre-Louis Rastel de.
-
[34]
Marie-Aimée Lallemand est veuve, sans enfants, en premières noces, de Pierre-Antoine-Alexandre de Laye, conseiller du Conseil supérieur du Cap. ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/355, dossier Rocheblave, Pierre-Louis Rastel de.
-
[35]
Il est à noter que les exemples relevés de ce phénomène, peu fréquent, le sont exclusivement au sein de la magistrature dominguoise. Ainsi, en 1767, le conseil supérieur de Port-au-Prince a refusé de recevoir le conseiller du roi Pierre Bourdon, pourtant muni de lettres de provisions, au motif qu’il avait épousé une ancienne femme de chambre ayant exercé à Saint-Domingue. L’acte passé de domesticité de Mme Bourdon entache la position sociale de son époux, et à travers lui, celle du conseil supérieur. Aix-en-Provence, ANOM, série colonie E, fonds ministériel, Mss, E/47, dossier Bourdon, Pierre.
-
[36]
Carmen Bernand, « Détours par l’Amérique ibérique et le métissage », Regards croisés sur le bricolage et le syncrétisme, Archives de Sciences Sociales des Religions, n° 114, 2001, p. 61-66 ; Stefania Capone, « Le syncrétisme dans tous ses états », Regards croisés sur le bricolage et le syncrétisme, n° 114, 2001, p. 39-60 ; « Le dialogue transatlantique : Roger Bastide et la construction des études afro-brésiliennes », Rapports ambivalents entre les Sciences sociales européennes et américaines, Université de Liège, 16-18 février 2006, Milan, Arcipelago Edizioni, 2008, p. 25-68 ; Christian Ghasarian, « La Réunion : acculturation, créolisation et réinventions culturelles », Ethnologie française, vol. 32, no 4, 2002, p. 663-676 ; Marie-José Jolivet, « Acculturation, création, créolisation, … Étude de cas en Guyane », Bastidiana, n° 13-14, 1996, p. 143-165 ; Orlando Patterson, « Context and Choice in Ethnic Allegiance : a Theoretical Framework and Caribbean Case Study », dans Nathan Glazer, Daniel P. Moynihan (eds), Ethnicity : Theory and Experience, Havard University Press, Cambridge, Massachussett, 1975, p. 305-349 ; Jacques Petitjean Roget, La société d’habitation à la Martinique : un demi-siècle de formation, 1635-1685, thèse pour le doctorat d’Etat en histoire, Université Paris VII, Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1978, 2 vol ; Laurence Pourchez (dir.), Créolité, créolisation : regards croisés, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2013.
-
[37]
Il est à noter que plusieurs exemples de reconnaissances d’enfants naturels métis par leurs pères créoles ou métropolitains ont été recensés au cours de mes travaux.
-
[38]
À Saint-Domingue au xviiie siècle, les unions libres sont nombreuses et associent généralement un homme blanc et une femme de couleur. Si ces unions ne sont pas officiellement reconnues elles sont tacitement acceptées.
-
[39]
La famille Rastel de Rocheblave est issue de la noblesse du Dauphiné.
-
[40]
Solange Albéro, « Les voies du métissage », Annales HSS, janvier-février, 1, 2002, p. 147-157 ; Jean-Loup Amselle, Logiques métisses: anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990 ; « Métissage, branchement et triangulation des cultures », dossier « L’Horizon anthropologique des transferts culturel », Revue Germanique internationale, 21, janvier 2004, p. 41-52 ; Louise Bénat Tachot et Serge Gruzinski (ed.), Passeurs culturels – Mécanismes de métissage, Paris, Presses Universitaires de Marne-la-vallée, Édition de la Maison des Sciences de l’Homme, 2001 ; Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du nouveau monde, t. 2, Les métissages (1550-1640), Paris, Fayard, 1993 ; Guillaume Boccara, « Mundos nuevos en las fronteras del Nuevo Mundo, Relectura de los procesos coloniales de etnogénesis, etnificación y mestizaje en tiempos de globalización », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2000, en ligne URL : http://nuevomundo.revues.org/426 ; DOI : 10.4000/nuevomundo.426, consulté le 8 septembre 2015 ; Marika Moisseeff, « Quelles sciences sociales pour penser le métissage ? » dans Les Actes du Colloque L’expérience métisse, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004 ; Alexis Nouss et François Laplantine, Le métissage, un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir, Paris, Flammarion, 1997 ; Laurier Turgeon, Denys Delâge et Réal Ouellet, Transferts culturels et métissages Amérique/Europe, XVIe-XXe siècles, Sainte-Foy, Presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996.