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Article de revue

Les relations entre science et politique dans le régime climatique : à la recherche d’un nouveau modèle d’expertise ?

Pages 6 à 18

Notes

  • [1]
    Nous reprenons ici le terme de gouvernance, avec réticence toutefois, car il s’inscrit dans une conception gestionnaire et apolitique de l’idée de gouverner et gomme les rapports de force et les asymétries historiques des acteurs réunis dans cette gouvernance (voir Dahan, 2014).
  • [2]
    Ce travail a bénéficié du soutien du projet ANR ClimaConf.
  • [3]
    Le GIEC est organisé en trois groupes de travail (WG), le premier groupe traitant de la science du climat et de la biosphère ; le deuxième, des impacts du changement climatique sur la biosphère et sur les sociétés ; et le troisième groupe, des réponses à donner (atténuation des émissions ou « mitigation »). Le premier groupe est constitué de scientifiques du climat, mais aussi de spécialistes des océans, de la végétation, de la glace, etc. ; le deuxième groupe rassemble des géographes, hydrologues, biologistes, écologues, etc. ; quant au troisième groupe, les économistes y jouent un rôle prépondérant. Quand il est ici question simplement de « sciences », c’est généralement de sciences du climat qu’il s’agit, pas des sciences économiques pourtant présentes au GIEC.
  • [4]
    La première phrase de la « Déclaration sur les principes et procédures du GIEC » stipule que « Its goal is to provide policyrelevant but not policy-prescriptive information on key aspects of climate change ».
  • [5]
    Le SBSTA (Subsidiary Body for Scientific and Technical Advice) est l’une des deux instances de direction politique du processus des négociations. Ainsi GIEC et SBSTA, deux organismes d’expertise scientifique, n’occupent pas la même position entre science et politique, le GIEC étant une fabrique de purification de la science tandis que le SBSTA assume les dissensus politiques sur le diagnostic scientifique. Néanmoins, ils ont évolué conjointement sur plusieurs points à la suite de multiples interactions.
  • [6]
    Bruno Latour (2004) a d’ailleurs choisi l’exemple du changement climatique pour s’interroger sur l’opportunité d’étudier la construction des faits scientifiques quand le principal danger semble désormais être la méfiance envers ces faits « artificiellement controversés ». Cette difficulté le conduit à distinguer les matter of concern des matter of fact.
  • [7]
    La « sensibilité » du climat est la hausse de température moyenne de la surface du globe résultant d’un doublement du taux de CO2 atmosphérique.
  • [8]
    On peut mentionner à titre d’exemple les projets conjoints Google Earth, NASA, USAid, et NOAA de services climatiques pour l’adaptation aux risques des événements extrêmes. Entre science, communication et business, la présentation de ces projets, lors des COP de Cancún et Durban en 2011 et 2012, expose des modèles numériques et des logiciels conviviaux de monitoring de la Terre, de prédiction d’événements extrêmes climatiques, de visualisation des événements climatiques passés.
  • [9]
    Se sont notamment impliqués dans le débat déclenché par l’article de Victor et Kennel : le NYT, le Guardian, les sites Real-Climate, Carbon Brief, Climate Science Watch, Climateprogress, Grist, Yale environment 360, Dot Earth, Climate Analytics, ainsi que Robert Watson (ancien président du GIEC), Marlene Moses (représentante de l’AOSIS à l’Onu), etc.
  • [10]
    Les positions adoptées dans ce débat évoquent la classique opposition de Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité : les scientifiques et environnementalistes défendent la limite des 2 °C « en fonction de principes supérieurs auxquels ils croient » ; tandis que pour les politistes, il faut agir « en fonction des effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir ».
  • [11]
    La notion de communauté épistémique renvoie à de petits groupes de personnes à l’expertise reconnue dans un domaine, qui partagent des diagnostics scientifiques, des critères de validation, mais aussi des croyances normatives, un accord sur la nécessité de mesures et des objectifs politiques – et qui cherchent à diffuser ces conceptions parmi les décideurs (Haas, 1992).
  • [12]
    Future Earth « en appelle à un système de connaissance intégré, pour un seul objectif, délivré à un unique système de gouvernance globale : mais quelle conception du pouvoir, de la connaissance et des droits humains s’exprime dans une vision aussi totalisante ? » (Hulme, 2012).

Introduction

1Depuis son émergence sur la scène politique mondiale, le changement climatique anthropogénique a été principalement appréhendé comme un problème de pollution globale, dont la solution allait passer par la réduction des émissions des gaz à effet de serre, selon un calendrier et des objectifs assignés aux États dans un traité négocié sous l’égide des Nations unies. Dans cette conception du problème, la science du climat et le fonctionnement de l’expertise jouent un rôle crucial.

2Ce cadrage est aujourd’hui ébranlé par l’impasse des négociations internationales : il est devenu clair que le consensus scientifique ne suffit pas à engendrer des mesures politiques significatives. Voit-on alors se dessiner un nouveau rôle pour les sciences du climat ? À l’heure où se profile la COP 21 de Paris et tandis que se discute la nécessité ou pas de changer de paradigme dans la négociation, cet article se concentre sur les rapports entre science et politique dans le régime climatique. La vision longtemps hégémonique de cette question, sa mise en œuvre et ses effets sont retracés dans la première partie.

3Dans la seconde partie, nous évoquons la gouvernance [1] climatique, son impuissance fondamentale à se saisir du problème, et les répercussions de cet échec sur l’expertise scientifique et ses verdicts. Dans la troisième partie, nous offrons un aperçu des études critiques et des propositions de modifications du cadrage et du rôle des sciences qui se sont multipliées dans le contexte de l’après Copenhague, en réfléchissant aux perspectives et tendances qui se dessinent à propos des modèles d’expertise [2].

La vision hégémonique des relations entre science et politique dans le régime climatique

4Les sciences occupent une place centrale dans le problème du changement climatique anthropogénique – le constat est banal. Les chercheurs du climat ont alerté sur le risque d’un réchauffement dû aux émissions de gaz à effet de serre (GES) dès les années 1960 et 1970 – bien avant qu’on commence à en mesurer les effets. Depuis 1988, une institution d’expertise singulière, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), synthétise à l’intention du politique les travaux scientifiques sur les observations et les prévisions du changement climatique, ses impacts et les réponses à lui apporter. Mais le rôle des sciences du climat ne se borne pas à l’alerte, au diagnostic et à l’expertise : il est allé jusqu’à guider l’élaboration des politiques climatiques. La façon dont un problème public est décrit et appréhendé – son « cadrage » – conditionne en effet les solutions imaginées et proposées (Gusfield, 1981).

Les sciences dans la construction du problème climatique

5Dès l’élaboration de la Convention de l’Onu sur le climat, en 1992, les sciences du climat, en même temps qu’elles définissent le problème, en suggèrent la solution. Le changement climatique est défini comme un problème de modification de l’équilibre radiatif global, résultant d’émissions de gaz à effet de serre ; à l’image du protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone menacée par les pollutions des gaz CFC et HFC, il doit donc être résolu par un accord international limitant les émissions de ces gaz et répartissant les charges de réduction entre les pays. Les indicateurs auxquels on se réfère dans les négociations – hausse de température moyenne à ne pas dépasser, concentrations atmosphériques des GES, équivalents CO2, budget global de CO2, etc. – sont directement issus des sciences du climat.

6Les deux principaux organismes du régime climatique, le GIEC et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), ont été mis en place au tournant des années 1990 dans un contexte scientifique d’essor des sciences du « système-Terre » et de la modélisation numérique, et dans un contexte politique contrasté : chute de l’Union soviétique, essor du néo-libéralisme économique, apogée du multilatéralisme, montée en puissance d’un environnementalisme planétaire. Le climat est alors vu comme un bien public mondial que pourrait prendre en charge le multilatéralisme onusien, en s’appuyant sur la science pour transcender les intérêts nationaux.

7Les États-Unis, qui se veulent gardiens des équilibres planétaires et conservent un point de vue résolument géopolitique, ont aussi joué un rôle essentiel dans la constitution du régime climatique (Aykut et Dahan, 2014). Ce sont d’éminents scientifiques étasuniens qui sont à l’origine de l’alerte et qui, des années 1960 aux années 1990, conjointement avec des groupes environnementalistes, ont puissamment contribué à cadrer le changement climatique comme problème d’environnement global (Howe, 2014). Mais dans ce pays, l’expertise a pondéré très tôt le diagnostic scientifique par ses aspects économiques (coûts, énergies) et sociétaux (adaptation, migrations). Réticents d’entrée de jeu vis-à-vis de la vision globale et « top-down » incarnée par l’approche des Nations unies, puis défendue par l’Europe, les États-Unis ont largement pesé sur la construction des instruments du régime (marchés de permis de carbone et mécanismes de compensation) comme dans la conception du GIEC, institution qu’ils ont voulue à la fois scientifique et intergouvernementale (Agrawala, 1998).

Le modèle linéaire revendiqué et sa mise en œuvre

8Dansle régime climatique, les rapports entre la science et le politique se veulent classiquement conformes à ce qui s’est appelé le « modèle linéaire » (Roqueplo, 1997 ; Miller, 2004) : la science fournit des diagnostics et des faits au politique et le politique s’appuie sur ces connaissances pour développer des solutions. Science et politique sont supposées séparées et étanches, ce qui confère sa légitimité à la science comme support de l’action. C’est ce modèle que revendique le GIEC [3] lorsqu’il publie tous les cinq à sept ans d’épais rapports rédigés suivant des procédures très strictes chargées d’en garantir la rigueur et l’impartialité scientifique, ainsi que des « résumés pour décideurs » exprimant le consensus scientifique considéré comme nécessaire pour fixer et atteindre des objectifs politiques. Conformément au modèle linéaire, le GIEC déclare fournir au politique des informations « pertinentes mais non prescriptives » [4] ; et depuis 1990, les cinq rapports du GIEC ont servi de support aux négociations annuelles de l’Onu sur le climat et aux COP.

9Des travaux de sciences sociales ont montré néanmoins que le modèle linéaire rend en général mal compte des liens complexes entre science et politique, car les frontières entre ces domaines sont négociées et mouvantes, et l’expertise scientifique incorpore des jugements de valeur d’ordre politique (Jasanoff, 1987). Cela est particulièrement le cas pour le changement climatique. Ainsi, la ratification des « résumés pour décideurs », qui doivent être approuvés ligne par ligne par les représentants des gouvernements, est un processus hautement politique où s’expriment des intérêts nationaux divergents : les petites îles (AOSIS) usent de la rhétorique du risque, les pays pétroliers soulignent les incertitudes et le rôle d’autres gaz que le CO2, les pays en développement (PED) mettent en avant le poids des émissions du passé, etc. Au cours de ces séances de ratification, il s’agit autant de dire le vrai de la science que de faire avancer une compréhension partagée des risques environnementaux globaux.

10En réponse aux demandes des politiques (ou les anticipant), le GIEC a aussi publié de nombreux rapports dits « spéciaux » portant sur l’évaluation nationale des émissions de GES, sur les événements extrêmes, le rôle des forêts, etc. En bref, le GIEC ne se contente pas de rassembler des travaux : il participe à la recomposition du champ de recherches, orchestre un consensus, favorise certaines visions ; il a un rôle actif, voire performatif. Le régime du changement climatique est le lieu d’une hybridation des dynamiques scientifiques et politiques ; c’est ce que des chercheurs en sciences sociales désignent comme « le modèle de la coproduction » entre science et politique (Jasanoff, 1987 ; Shackley et Wynne, 1996). Nous avons montré que le couple GIEC-SBSTA avait incarné dans les années 1990 ce modèle de la coproduction [5] (Dahan, 2008). Des sociologues des sciences ont également mis en évidence des éléments de coconstruction entre science et politique dans les pratiques mêmes de modélisation du climat, montrant par exemple que certains choix des climatologues – comme la technique dite des ajustements de flux intervenue au moment du couplage des modèles atmosphériques avec les océans – ont résulté d’une anticipation des attentes des politiques et d’une volonté de produire des connaissances directement utiles (Shackley et al., 1999).

11Malgré les travaux de sciences sociales qui en établissent les limites, le cadrage du modèle linéaire est d’autant plus puissant qu’il est soutenu par une configuration d’acteurs spécifique, alliant les scientifiques du climat, les ONG environnementales, les instances de l’Onu et l’Union européenne, qui restent tous très attachés à la justification des politiques climatiques par des vérités scientifiques indépendantes. On constate ici que le changement climatique se trouve à front renversé d’autres situations de risques sociotechniques (nucléaire, pesticides) où s’affrontent expertise « officielle » d’un côté, environnementalistes et société civile de l’autre. Dans le cas du climat, ce sont des scientifiques qui ont lancé l’alerte, ceux qui contestent l’expertise le sont aussi (scientifiques non-climatologues, certains liés à des lobbies industriels), tandis que les écologistes sont les meilleurs alliés de cette expertise… Bref, tout le monde se réclame de la seule autorité de la science.

La focalisation sur la connaissance

12La place de la science dans la définition du problème climatique détermine l’importance majeure accordée à l’appropriation des énoncés scientifiques par les politiques, mais aussi par tout un chacun. Diffusion et appropriation de la science sont considérées comme gages du succès dans le passage à l’action politique : un public convaincu de la réalité scientifique de la menace est supposé peser sur les décideurs pour faire adopter une politique climatique ambitieuse. En France, par exemple, les groupes qui ont contribué à la construction publique du problème climatique – climatologues, ONG, journalistes scientifiques et d’environnement, agences d’État – partagent les mêmes convictions quant à l’importance centrale du consensus scientifique et de la sensibilisation du public (Aykut et al., 2012).

13Face à la stagnation du processus politique, il est alors courant d’invoquer des phénomènes de déficit de connaissance (Wynne, 1982), de scepticisme, voire de « dissonance cognitive » (Hamilton, 2012), comme si l’écart entre connaissance et action ne pouvait s’expliquer que par les défaillances de compréhension, d’acceptation ou d’assimilation des sciences. Dans cette optique, on a beaucoup incriminé les sceptiques, les marchands de doute et la fabrique de l’ignorance (Oreskes et Conway, 2010). Si ces différents acteurs et courants ont eu aux États-Unis un rôle incontestable, et ont contribué dans ce pays à établir une guerre idéologique autour du changement climatique (McCright et Dunlap, 2000 ; Lahsen, 2008), ils n’ont pas eu ailleurs, notamment en France, la même importance (Aykut et al., 2012). De plus, la focalisation des débats autour du climato-scepticisme a souvent permis d’occulter diverses raisons de l’échec dans l’élaboration de politiques climatiques efficaces ou a empêché de reconnaître que l’appréciation du risque climatique reste très variable dans les populations et les gouvernements sur l’échelle de toutes les urgences (impératifs de développement et de politiques sanitaires, accès à l’électricité, chômage et emploi, crise économique, etc.).

14Des chercheurs en sciences sociales ont critiqué la place accordée à la science dans le problème climatique. Selon eux, le modèle linéaire, en prétendant séparer la science de la politique, les rend de fait encore plus dépendantes l’une de l’autre. Quand la science constitue l’unique autorité justifiant la décision, elle est inévitablement exposée à de fortes pressions, et les disputes scientifiques se trouvent chargées du poids des enjeux politiques. En cherchant un accord fondé sur un consensus scientifique, on ne parvient alors qu’à déguiser des désaccords politiques en dissensus scientifiques (Pielke Jr., 2002).

15Le cadrage du modèle linéaire a donc conduit à polariser exagérément le débat public sur la science du climat plutôt que sur les réponses politiques possibles ou souhaitables (Taylor et Buttel, 1992). En particulier, le processus de Kyoto a été présenté comme découlant directement du consensus des sciences du climat, alors que celles-ci ne sauraient déterminer de politiques spécifiques : elles produisent beaucoup de connaissances, assorties d’incertitudes larges, permettant de justifier tout un éventail d’actions (Sarewitz, 2000). Toute critique – de la politique du climat, de l’expertise du GIEC, ou de l’importance de la question climatique par rapport à d’autres… – pouvant être suspectée de soutenir le camp sceptique, cette bipolarisation rend invisibles les nombreuses raisons de se disputer sur le changement climatique sans en nier la réalité (Hulme, 2009 ; Guillemot, 2014a). Le problème climatique étant ainsi unanimement « naturalisé », le chercheur en sciences sociales se retrouve dans une position délicate, puisque l’étude de la construction des faits scientifiques ou de leurs liens au politique est soupçonnée d’emblée de donner des munitions à l’adversaire climato-sceptique [6].

Évolution des sciences du climat et demandes politiques

16Pour imaginer comment les relations entre science et politique pourraient changer dans les prochaines années, un bref détour par l’évolution des sciences du climat nous est utile. Le panorama est assez complexe, mais on peut dégager quelques tendances fortes – certaines déjà anciennes, d’autres plus récentes. Ces évolutions des sciences du climat ne sont pas autonomes : sciences et politiques du climat évoluent conjointement et s’alimentent mutuellement, sans pour autant qu’elles se déterminent l’une l’autre.

17La première tendance se poursuit depuis des décennies : c’est la complexification des modèles de climat. Depuis leur origine, les modèles incluent toujours plus d’éléments, phénomènes ou milieux par adjonction ou couplage de nouveaux modules, cette tendance étant renforcée par l’accroissement de la puissance des ordinateurs, par l’essor des sciences de l’environnement global et aussi par une demande politique considérant qu’un modèle est d’autant plus crédible qu’il prend en compte davantage de processus (Dahan, 2010). Les modèles de circulation de l’atmosphère ont été d’abord couplés à des modèles d’océan et de glaces de mer, puis à des modèles de surface continentale dans les années 1980 et 1990. À partir des années 2000, des modèles (désormais dits « de système-Terre ») intègrent les aérosols, le cycle du carbone, une végétation dynamique, la chimie atmosphérique, et la glace de terre.

18Depuis quelques années, l’amélioration du cœur des modèles de climat est elle aussi jugée essentielle. La cause majeure en est la relative stagnation des prévisions du changement climatique : l’incertitude de la sensibilité du climat [7] ne s’est pas réduite depuis les premiers rapports du GIEC, certains biais des modèles ne montrent guère de progrès (par exemple, on simule mal les précipitations dans les régions tropicales). La plupart de ces défauts peuvent être attribués à la mauvaise représentation dans les modèles des processus essentiels tels que les nuages et la convection. Des efforts se poursuivent pour améliorer les représentations de ces phénomènes extrêmement complexes, mais certains climatologues plaident pour une autre stratégie : développer des modèles à maille suffisamment fine (de l’ordre du kilomètre, au lieu de la centaine de kilomètres aujourd’hui) pour que les principaux processus nuageux soient calculés directement à partir des équations physiques. Ces modèles à très haute résolution, exigeant des ordinateurs au moins mille fois plus puissants qu’aujourd’hui, pourraient fournir une prévision du climat opérationnelle à toutes les échelles de temps, fusionnant prévision du temps et du climat. Ces stratégies de développement des modèles suscitent de vifs débats chez les climatologues (Bony et al., 2011 ; Guillemot, 2014b).

19Une autre évolution majeure se dessine depuis plusieurs années : le déplacement des recherches climatiques vers le niveau local. Il y a vingt-cinq ans, les climatologues devaient répondre à la question de la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement global ; cette mission d’alerte étant accomplie, il leur faut maintenant préciser l’importance de ces changements et leurs manifestations à échelle régionale ou locale. Cette tendance est favorisée par l’ascension du thème de l’adaptation dans les négociations, impulsé en particulier par les pays du Sud (on y revient plus loin). Cet infléchissement des recherches vers les échelles régionales se traduit notamment par l’importance croissante du groupe II du GIEC (sur les impacts et l’adaptation) par rapport au groupe I (sur les sciences du climat) longtemps dominant. Si les questions d’adaptation suscitent une forte demande politique, certains interrogent les limites de la modélisation du climat dans ce domaine (Dessai et al., 2009). Les connaissances du climat sont plus robustes à échelle globale que régionale : quand l’échelle diminue, la variabilité et les incertitudes augmentent, et les mécanismes climatiques sont moins bien connus. Surtout, la recherche sur les impacts locaux du changement climatique fait appel à d’autres sciences que celles requises pour l’étude du climat global, car il faut prendre en compte une pluralité de facteurs en interaction avec le climat, naturels mais aussi sociaux, économiques, etc., et mobiliser des disciplines plus variées (géographie, hydrologie, agronomie, économie mais aussi sciences politiques, anthropologie, sociologie, etc.). Dans ce contexte, la notion de « services climatiques » a récemment pris un grand essor, l’objectif étant d’établir ces services dans les pays en développement pour les aider à s’adapter et se protéger des événements extrêmes [8].

20On mentionnera enfin un dernier déplacement de la science du climat (la liste n’est pas limitative) qui s’est opéré dans la direction opposée du tournant local : vers une « hyperglobalisation », où le changement climatique ne serait plus qu’une manifestation d’un bouleversement environnemental, voire d’une rupture anthropologique bien plus vaste, désignée par le concept d’Anthropocène. Cette évolution sera développée dans la dernière partie.

Une gouvernance climatique en échec et ses répercussions

21Le cadrage « science first » de la question climatique est longtemps resté hégémonique, malgré quelques analyses critiques. S’il se trouve aujourd’hui fragilisé, c’est en raison de l’échec des politiques du climat. Les difficultés de la gouvernance climatique et son enlisement sont en effet difficilement contestables : depuis plus de vingt ans que le processus onusien s’est mis en place pour répondre au risque climatique, les négociations piétinent et les émissions globales de CO2 ne cessent de croître, atteignant un niveau record en 2013 (9,9 Gt de carbone). Comment expliquer un bilan aussi décevant ? Revenons brièvement sur cette histoire.

Schisme croissant entre gouvernance et réalités du monde

22La décennie 1990 est occupée par la préparation du protocole de Kyoto, investi de toutes les espérances mais qui concerne seulement les pays développés devant se partager le fardeau des réductions d’émissions, protocole que les États-Unis refusent finalement en 2001 de ratifier. Ce retrait de la première puissance économique mondiale et première émettrice de GES ne pouvait que jeter la suspicion sur le processus, en particulier aux yeux des pays du Sud. Elle a accentué de fait la fabrique de la lenteur caractéristique de cette gouvernance : une négociation à deux voies s’est mise en place en attendant le retour des États-Unis. Dans les arènes climatiques, la masse énorme des PED, d’abord en retrait et peu concernés, investit le régime climatique, manifestant son insatisfaction vis-à-vis du cadrage politique du problème, trop marqué par l’importance des sciences dures et par la modélisation numérique – langage du Nord, disaient-ils, qui efface le passé, naturalise le présent et globalise le futur (Dahan et Guillemot, 2006). Des chercheurs ont à cette époque critiqué le « réductionnisme physico-chimique » de cette méthodologie, qui occulte la dimension sociale des émissions de GES (Demeritt, 2001) – ignorant la différence de nature entre les « émissions de survie » du Sud et les « émissions de luxe » du Nord (Agarwal et Narain, 1991). Toutefois, grâce à l’attention bienveillante du GIEC à leur égard, une alliance stratégique s’est construite entre les scientifiques, les ONG et les PED pauvres. Elle a bénéficié de l’appui politique de l’Europe, bonne élève du protocole de Kyoto, qui a pris les rênes des négociations dans cette période.

23Au cours de la décennie 2000, très préoccupés par les problèmes de développement, les PED font monter le thème de l’adaptation à des changements climatiques désormais inéluctables selon les rapports du GIEC, et dont ils seront les premières victimes. Le mandat de Bali constitue un tournant : les PED ont imposé leur offensive pour mettre au premier plan les points qui leur sont chers – adaptation, transferts technologiques, transferts financiers – supplantant d’une certaine manière les objectifs de la réduction des émissions. À partir de ce moment, les ONG chargent toujours davantage la barque des négociations (problèmes de développement, d’aménagement, de sols, de nutrition, etc.). La gouvernance climatique devient de plus en plus obèse et paralytique. Les PED, unis dans le G77, se scindent en groupes hétérogènes, dont celui des puissances émergentes BASIC. La Chine dont les émissions ont dépassé en 2007 celles des États-Unis, connaît une croissance économique inédite dans l’histoire, mais entend garder son leadership sur l’ensemble des PED. L’Europe confrontée à la crise économique et financière n’a plus les moyens de rester la locomotive du processus et perd de sa crédibilité. La conférence de Copenhague (2009) censée préparer la suite du protocole, construite frénétiquement au niveau planétaire comme devant résoudre tous les problèmes, sanctionne le nouvel ordre géopolitique mondial dominé par le couple Chine – États-Unis. Elle n’aboutit qu’à un accord minimaliste préparé par les deux plus grands émetteurs, où une trentaine de pays reconnaissent le danger du problème et le sérieux de la barrière des 2 °C, sans s’engager à un horizon temporel, sans envisager de procédures MRV (measuring, reporting, verifying) ; un échec douloureux qui inaugure une phase de régression de la question environnementale à l’échelle globale, confirmée à Rio 2012, dont nous ne sommes pas véritablement sortis.

24Il faut bien constater une disjonction fondamentale entre d’une part, le processus de gouvernance mondiale du climat et son imaginaire de régulateur central apte à définir et distribuer les droits d’émissions, et d’autre part, la réalité du monde complexe, multiforme, en pleines crises et mutations – globalisation, concurrence économique des États accrochés à leur souveraineté, exploitation effrénée des énergies et ressources fossiles, etc., – une réalité sur laquelle la gouvernance n’a pas de prise. Cette disjonction, nous l’avons nommée « schisme de réalité », cherchant à en analyser les causes profondes dans et hors le régime climatique (Aykut et Dahan, 2014 ; 2015). Nous avons montré que la gouvernance a privilégié une lecture très (trop) environnementale, voulant ignorer les facteurs géopolitiques et économiques qui entravaient la prise en main du problème. Or, plutôt que d’imposer un « futur commun » qui effacerait les antagonismes, le problème climatique révèle des intérêts contradictoires, concernant ses causes structurelles comme les dégâts qu’il entraîne.

25À Copenhague, l’approche top-down d’objectifs quantifiés de réductions a été abandonnée, aucune grande puissance à l’exception de l’Europe ne la souhaitant plus ; de surcroît, le partage du fardeau ne se conçoit plus sans les pays émergents. En fait, l’approche topdown ne l’avait jamais été entièrement, puisque les États devaient accepter les objectifs assignés et qu’ils avaient toujours la possibilité de les négocier. Mais le cadrage général du processus hégémonique depuis quinze ans a été bel et bien bafoué. Néanmoins, les PED autres que la Chine ou les puissances émergentes restent très attachés au processus onusien, seule arène où ils peuvent s’exprimer, comme ils l’ont montré fortement à Cancún (Dahan et al., 2011). L’année suivante à Durban, l’approche inaugurée à Copenhague dite « pledge and review », faite de promesses de réductions toujours révisables, s’est imposée durablement dans les négociations. L’accord entre les États-Unis et la Chine de l’automne 2014 s’inscrit dans cette perspective. Certes, l’espoir d’aboutir à un traité général subsiste, au mieux à Paris en 2015, avec une mise en œuvre prévue en 2020, mais les chiffres annoncés par une partie des États sont loin pour le moment de permettre d’éviter le seuil dangereux des 2 °C et les conditions de nouvelles dynamiques d’ambitions croissantes sont absentes. En l’absence de règles de vérification et de mécanismes visant à accentuer les engagements, l’approche bottom-up risque de se réduire à la juxtaposition des égoïsmes nationaux.

Interroger le rôle du GIEC

26Le constat d’un écart grandissant entre, d’une part, les diagnostics et objectifs scientifiques et, d’autre part, les trajectoires d’émission est aujourd’hui patent. Le tournant du régime climatique depuis la COP de Copenhague conduit alors à rouvrir les boîtes noires des rapports entre science et politique, tant pour l’expertise du GIEC que pour les objectifs scientifiques. Le GIEC a connu différentes vagues de critiques internes et externes et s’est plusieurs fois réorganisé (pour une revue, voir Hulme et Mahony, 2010). Avant Copenhague, les critiques les plus vives sont venues des pays du Sud, et le GIEC les a prises en compte en associant plus étroitement des scientifiques de ces pays dans les responsabilités éditoriales de ses rapports, et en lançant de nombreuses recherches sur les impacts et l’adaptation. Les intitulés du groupe II ont été modifiés et le cœur de ses contenus, infléchi à plusieurs reprises (Aykut et Dahan, 2015, pp. 66-91). Après Copenhague, et suite à l’affaire du Climategate (piratage des e-mails de climatologues de l’Université d’East Anglia), une enquête de l’InterAcademic Council, ayant examiné le fonctionnement de l’institution et de son expertise, a critiqué les procédures et la transparence de l’organisme, et recommandé des améliorations (sans mettre en cause les résultats scientifiques).

27De manière récurrente, des observateurs préconisent des réformes, notamment de procédures et de calendrier, et des sondages ont été effectués auprès d’auteurs du GIEC. Certains recommandent une différentiation accrue de la fonction et du rythme des différents groupes de travail (WG), souhaitant notamment une réactivité accrue des économistes (Prins et al., 2010). Les Pays-Bas ont proposé de produire des rapports moins exhaustifs et de focaliser des travaux vers les secteurs et les mesures directement appropriés au politique. L’effort de plus en plus lourd et coûteux en temps exigé pour publier les volumineux rapports du GIEC est dénoncé de différentes parts, y compris dans les communautés scientifiques. Les deux vice-présidents du groupe I (dont le dernier rapport a évalué 9 200 publications scientifiques) ont notamment proposé de passer à un rythme de huit à dix ans entre deux rapports successifs au lieu de six ans, et de promouvoir des études intergroupes sur des questions plus circonscrites, afin d’éviter les travaux redondants entre les groupes (Stoker et Plattner, 2014).

28La question du statut du groupe III du GIEC (que d’autres articles de ce numéro traitent plus longuement) se pose également dans le cadre de réformes du GIEC. Dans une vision conforme au modèle linéaire, ce groupe pourrait sembler constituer le « chaînon manquant » entre le constat scientifique et les actions politiques. En réalité, le groupe III du GIEC a toujours eu davantage pour rôle d’exprimer la vision hégémonique de la communauté des économistes (théorie des prix, analyses coûts-bénéfices, instruments de marché, etc.) sur la question climatique (Pottier, 2014), que de mener une réflexion proprement stratégique sur l’horizon des actions économiques et politiques nécessaires pour y répondre.

29Plus fondamentalement, des chercheurs en sciences sociales estiment que les réformes de procédures ne suffisent pas à répondre aux défis actuels de l’expertise et appellent à un « tournant réflexif dans la gouvernance des expertises environnementales globales » (Beck et al., 2014). Selon ces auteurs, le contexte géopolitique, les questionnements, les sciences ont totalement changé depuis 1988. Aujourd’hui, le GIEC ne doit plus s’adresser seulement aux gouvernements, comme au temps du multilatéralisme ; il doit rendre compte à des publics plus larges que les seuls experts et politiques. Il faut aussi intégrer des connaissances plus diverses, publications non revues par les pairs et savoirs locaux et traditionnels (c’est déjà en partie le cas dans le dernier rapport où, dans le groupe II, des procédures encadrent l’inclusion de la « littérature grise » [Buffet, 2015]). Les réponses locales au changement climatique devenant plus importantes, « un méga-rapport global n’est pas la meilleure façon de traiter des domaines où les décisions se prennent à petite échelle et impliquent d’importantes différences de points de vue » (Beck et al., 2014). Néanmoins, le GIEC fort de l’important travail accompli et de son autorité scientifique (et en raison de la « dépendance au sentier » caractérisant ce type d’institutions) ne semble pas prêt à des réformes trop drastiques de ses structures ou de son fonctionnement.

Les Gap Emissions Reports : une préfiguration des nouvelles fonctions centrales de l’expertise ?

30Si un régime d’engagements volontaires devait s’imposer dans la gouvernance climatique, au lieu des objectifs globaux et d’une répartition des efforts « par en haut », il faudrait organiser des échéances et se donner les moyens de mesurer le chemin parcouru ou celui restant à parcourir. L’exemple des Gap Emissions Report préfigure sans doute une nouvelle fonction de l’expertise scientifique. Le premier rapport présenté à Cancún (2010) sous la houlette de l’UNEP, par un groupe de 33 scientifiques auteurs du GIEC issus de 15 pays, cherchait à évaluer l’écart entre les promesses d’engagements post-Copenhague et la volonté de ne pas dépasser la barrière des 2 °C. Pour rester sous ce seuil, il ne faut pas excéder un certain volume d’émissions en 2050 ; à chaque volume cumulé correspondent différentes trajectoires, avec des pics d’émissions annuelles plus ou moins proches et élevés, suivis de baisses plus ou moins brutales. Le rapport de 2010 synthétisait 223 trajectoires produites par 15 groupes à partir de modèles d’évaluation intégrés et de scénarios d’évolution. Pour ne pas dépasser les 2 °C en 2050, tous les scénarios prévoyaient des pics d’émissions avant 2020, impliquant alors des réductions en moyenne de 3 % par an (Dahan et al., 2011). Le Gap Emission Report a fait l’objet de deux révisions successives avec la même méthodologie, mais en réactualisant les chiffres des émissions mondiales. Les réductions en moyenne devraient être désormais, toujours pour un pic en 2020, de 5 % par an. L’ambition affichée semble de plus en plus irréaliste ; n’y aurait-il pas même une hypocrisie croissante à la maintenir ? Nous revenons ci-après sur ce débat.

L’objectif des 2 °C sur la sellette

31L’objectif ultime des politiques climatiques, selon la Convention-cadre sur le climat (article 2), est de « stabiliser les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Ce seuil est incarné depuis la conférence de Copenhague par la hausse de température moyenne de 2 °C, dont l’histoire peut être résumée en plusieurs étapes (Aykut et Dahan, 2011, pp. 148-151). La première étape est le calcul, à partir des résultats des modèles, de la sensibilité climatique, qui a très peu changé depuis plus de trente ans et se situe entre 1,5 °C et 4,5 °C. Le « réchauffement probable » à un horizon temporel donné constitue la deuxième étape : il dépend à la fois de la sensibilité et d’hypothèses sur les émissions de GES. Le GIEC estime dans son deuxième rapport (1995) qu’avec un scénario moyen, le réchauffement en 2100 serait de 2 °C. Ce chiffre relève donc d’une démarche prospective, à mi-chemin entre considérations scientifiques et visée politique.

32La notion de « seuil à respecter » marque une étape supplémentaire. Cette approche a été mise en œuvre notamment par le WBGU (institution d’expertise sur les changements globaux auprès du gouvernement allemand) pour déterminer un risque de réchauffement « acceptable » : le critère choisi a été la fourchette de température dans laquelle les écosystèmes terrestres se sont développés depuis 120 000 ans. Le seuil de 2 °C a été adopté d’abord par l’Union européenne qui en fait un pilier de sa politique climatique, puis consacré par la COP de Copenhague et les conférences ultérieures – sans jamais préciser à quel horizon temporel le chiffre se réfère, ce qui laisse la porte ouverte à une multitude de scénarios de réduction. Ainsi, si le seuil de 2 °C domine les négociations et jouit d’une grande autorité, c’est parce qu’il résulte d’une coconstruction combinant légitimités politique et scientifique. Pourtant, dans le sillage des changements qui affectent le régime climatique, cet objectif est aujourd’hui débattu, parfois même remis en cause.

33Un article de Nature au titre provocant : « Abandonner le seuil de réchauffement de 2 °C » a déclenché une controverse révélatrice de divergences profondes sur le rôle des sciences du climat pour l’action politique (Victor et Kennel, 2014). Le politiste David Victor et le physicien Charles Kennel critiquent vivement le seuil de 2 °C comme à la fois scientifiquement peu pertinent, inatteignable en pratique et politiquement contre-productif. L’article a suscité une levée de boucliers de climatologues et d’environnementalistes lui répondant point par point [9] : la température moyenne est le meilleur indicateur sur le plan scientifique, directement lié à la quantité de CO2 émise par les activités humaines et aux dégâts climatiques ; l’objectif des 2 °C est accessible en principe ; et ce chiffre simple et unique place les politiques devant l’urgence de réduire drastiquement les émissions. S’expriment ici deux visions opposées de ce qu’est un bon indicateur, de ce que l’on juge possible et de ce que l’on considère comme politiquement utile. Quand les défenseurs des 2 °C affirment la possibilité théorique de ne pas dépasser ce seuil, Victor et Kennel estiment irréalistes les modèles économiques qui fondent cette possibilité, car « on ne peut pas séparer les buts des moyens politiques de les atteindre ». Pour les premiers, la limite des 2 °C contraint les décideurs à rendre des comptes, tandis qu’aux yeux des seconds, elle leur fournit au contraire un prétexte à l’inaction. D’où des imputations de l’échec totalement différentes : d’un côté, c’est la lâcheté ou l’absence de vision des politiques qui est en cause, de l’autre la naïveté d’un objectif à la fois peu pertinent et irréaliste [10].

34L’article de Victor et Kennel est une critique directe du cadrage du problème climatique qui fustige la logique top-down centrée sur les sciences physiques et préconise une conception pragmatique de la décision politique, partant des intérêts des États et d’objectifs proches de l’action effective. Selon Victor, plutôt que de multiplier les travaux de modélisation pour fixer au politique des objectifs idéaux, il serait préférable de mieux comprendre – grâce aux sciences sociales – comment les choix politiques se déterminent dans la réalité, et comment l’action collective peut émerger d’intérêts nationaux (Victor, 2014).

35Des études commencent à s’engager de façon nouvelle dans ce débat, encouragées par la CCNUCC qui a lancé en 2014 et 2015 un réexamen de l’objectif des 2 °C. Même si ce seuil conserve un statut « quasi totémique » pour certains acteurs (Union européenne, pays les moins développés, ONG, etc.), l’écart entre les trajectoires d’émission compatibles avec les 2 °C et les émissions effectives est de plus en plus reconnu. Les décideurs sont alors pris dans un dilemme : admettre que l’objectif des 2 °C ne sera pas atteint, c’est paraître accepter l’échec, voire y contribuer ; refuser de l’admettre, c’est se voiler la face… Une équipe britannique a voulu affronter ce dilemme en analysant pour la première fois en profondeur quatre options alternatives : 1) chercher à rester sous les 2 °C pour la réduction des émissions, tout en se préparant à une hausse de 4 °C pour l’adaptation ; 2) adopter d’autres métriques et objectifs, et traiter en même temps d’autres problèmes environnementaux ; 3) être politiquement pragmatique et favoriser des actions au bénéfice plus rapide ; 4) renouveler l’engagement envers les 2 °C (Jordan et al., 2013). Les chercheurs, combinant perspectives de sciences du climat et de sciences sociales, ont comparé les risques, opportunités et incertitudes associés à ces différentes options, pour finalement conclure que la moins mauvaise est de renouveler l’engagement de 2 °C… On peut penser que va se multiplier, d’ici la COP de Paris et au-delà, ce type de travaux qui envisagent plusieurs alternatives et veulent prendre en compte à la fois les objectifs scientifiques et les réalités politicoéconomiques.

À la recherche d’un nouveau modèle d’expertise

36Bien que d’origines très différentes, l’impuissance de la gouvernance climatique d’une part, le diagnostic de l’Anthropocène d’autre part, contribuent tous deux à réinterroger la question climatique et celle de l’environnement, provoquant des recompositions intellectuelles sur les rapports entre science et politique, que nous allons aborder maintenant.

L’approche « GIEC - CNUCCC » en accusation

37Le think-tank étatsunien Breakthrough Institute joue un rôle important dans le débat public aux États-Unis par ses nombreux rapports sur le changement climatique et les questions d’énergie. En 2004, le manifeste de ses deux fondateurs Michael Schellenberger et Ted Nordhaus (2004, repris en 2011) jette un pavé dans la mare. Ce qui a marché avec les pluies acides ou certaines pollutions, écrivent-ils, ne peut pas fonctionner avec le changement climatique ; l’environnementalisme doit mourir pour qu’autre chose renaisse dans un monde profondément changé et devenu post-environnemental. Ce sont des chercheurs de cette mouvance qui ont publié le Hartwell paper, rapport proposant « une nouvelle orientation pour la politique climatique après l’échec de 2009 » (Prins et al., 2010 ; voir Aykut et Dahan, 2011). Violemment opposés à un multilatéralisme jugé « hypertrophié et centralisateur », ils préconisent une attitude « résolument pragmatique » : selon eux, la décarbonisation ne doit pas être l’objectif premier, mais un avantage connexe d’autres mesures offrant des bénéfices plus immédiats. De même, le changement climatique ne doit pas être vu comme un problème environnemental global dont la résolution exige une gestion planétaire et/ou un changement de mode de vie, mais avant tout comme un problème d’énergie, de développement ou d’aménagement du territoire. Le Breakthrough Institute veut mettre en avant « l’accès de tous à l’énergie, le développement économique dans le respect de l’environnement, la protection contre les aléas climatiques » et les solutions technologiques. Il est vivement critiqué comme productiviste et défenseur de la logique de croissance du capitalisme par les mouvements environnementalistes, que ceux-ci soient favorables au cadrage onusien ou pas.

38Le climatologue géographe britannique Mike Hulme, signataire du Hartwell Paper, concentre lui ses critiques sévères sur les rapports entre science et politique dans le domaine climatique. Il fustige le « réductionnisme climatique » induit par la domination de la modélisation physico-chimique (Hulme, 2011) : selon lui, le climat, l’un des rares facteurs en partie connaissable du futur, devient la variable de prédiction dominante, marginalisant les autres problèmes comme les autres facteurs contribuant à façonner l’avenir. Hulme se range parmi les partisans d’une réforme radicale du GIEC (Beck et al., 2014). « L’effort bureaucratique croissant exigé par chaque rapport successif est inversement proportionnel à l’apport de plus en plus réduit de ces méga-évaluations au débat public et à la décision politique », assène-t-il. Le problème que posent les réponses au changement climatique a pour lui peu de chose à voir avec une connaissance scientifique insuffisante, ou insuffisamment connectée ou intégrée. Il préconise davantage de débats sur les questions normatives impliquées dans le changement climatique, prenant en compte la diversité de connaissances ou de visions du monde et les désaccords sur les valeurs.

La nouvelle donne de l’Anthropocène

39Le concept d’Anthropocène, lancé en 2000 par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie (Steffen et al., 2011), désigne une nouvelle époque géologique dans laquelle l’homme serait devenu une force provoquant un changement à l’échelle planétaire, non soutenable. Le changement climatique se trouve lui-même inséré dans une vision des sciences du « changement global ». Cette conception holistique n’est pas récente, et a connu des interprétations différentes selon les époques (Grevsmühl, 2014). Pour promouvoir la vision actuelle des sciences du « système-Terre », une institution a joué un rôle central : le Programme international géosphère biosphère (IGBP), créé en 1983 sous l’égide de l’ICSU (International Council of Scientific Unions) afin d’étudier « le changement global de l’environnement terrestre et des systèmes vivants » (Uhrqvist et Lovbrand, 2014). L’IGBP s’est voulu interdisciplinaire, mobilisant sciences de la terre et sciences de la vie, et cherchant à « construire des ponts entre la biogéochimie et le système climatique » (on l’a vu à propos de la complexification des modèles de climat), mais aussi à intégrer les sciences sociales, notamment dans les programmes de recherche sur l’usage des sols (Mooney et al., 2013). Une conférence de l’IGBP à Amsterdam en 2001 a souligné la nécessité d’une intégration scientifique accrue pour répondre aux défis environnementaux.

40Une communauté épistémique internationale [11] monte en puissance au début du XXIe siècle autour du diagnostic de l’Anthropocène et des sciences du système-Terre. Une étape cruciale est franchie avec la définition, par John Rockström du Stockholm Resilience Institute, de limites planétaires (Rockström et al., 2009) : ces limites désignent un ensemble de neuf seuils physiques à ne pas dépasser dans différents domaines (changement climatique, biodiversité, usage des sols, cycles biochimiques, etc.) ; plusieurs d’entre eux étant en passe de l’être. Les notions d’« Anthropocène » et de « limites planétaires » ont connu un succès important dans plusieurs milieux, en particulier au sein des Nations unies et de leurs agences qui cherchent à définir des sustainable development goals (SDG), mais elles n’ont pas gagné l’enceinte de la gouvernance climatique. De nombreux chercheurs en SHS s’en sont emparé avec enthousiasme, considérant qu’il s’agit d’un bouleversement majeur (Bonneuil et Fressoz, 2013), d’un concept essentiel (Latour, 2014), d’une rupture inédite, etc. S’ils adhèrent aux idées de limites planétaires, reprises comme des affirmations scientifiques allant de soi, ils interrogent en revanche l’idée d’un « anthropos » indifférencié responsable de ces bouleversements et insistent sur les inégalités, les asymétries historiques et les choix technosociaux qui y ont présidé. Ils critiquent également la vision universelle de la Terre, celle d’une unité systémique terrestre fondée sur des sciences du global. Il n’existe pas de principe scientifique unificateur (Latour, 2014) ni d’homéostasie planétaire, déclarent-ils, méfiants envers cette nouvelle figure d’autorité (Hache, 2014).

Le modèle des sciences directement utiles, l’embarquement des sciences sociales

41Dans le prolongement de la tendance intégrative de l’IGBP, un programme international de recherche baptisé Future Earth, reprenant le diagnostic de l’Anthropocène et des limites planétaires, a été lancé en 2012 à Londres lors d’une grande conférence « Planet under pressure ». Résultant de la fusion de quatre programmes de recherche internationaux antérieurs – l’IGBP, IHDP (sur la dimension humaine du changement global), Diversitas (sur la biodiversité) et le Programme mondial de recherche sur le climat (WCRP, qui conserve un statut à part) –, Future Earth se réclame clairement de l’autorité des sciences de la nature pour résoudre les problèmes environnementaux planétaires. Néanmoins, le projet entend œuvrer pour que la science prenne mieux en compte les besoins de la société et recourir pour ce faire aux sciences humaines et sociales. À travers ce nouveau projet de recherche international (et même si on ne peut aujourd’hui préjuger de son poids réel), on voit peut-être se dessiner quelques caractéristiques d’un nouveau modèle d’expertise environnementale (voir aussi Aykut et Dahan, 2015, pp. 600-608). Passons-les en revue brièvement.

42Premièrement, le projet Future Earth sanctionne le recul des enjeux du climat ou du moins la « fin de l’exceptionnalisme climatique » : suite notamment aux impasses du régime, le changement climatique n’est plus à l’avant-garde des problèmes environnementaux. Cette évolution doit-elle être interprétée comme une dédramatisation, la question du climat étant recadrée comme un problème d’énergie, de développement, etc., (ce qui pourrait rejoindre les analyses du Breakthrough Institute) ? Ou comme un décentrage, le problème climatique perdant sa prééminence et n’étant plus qu’un problème parmi d’autres – tout aussi graves – d’environnement global ?

43Future Earth reste animé par une conception « science first » de l’expertise toujours plus globale et intégrée : globale dans la dimension spatiale mais aussi dans la dimension temporelle (l’Anthropocène englobe des échelles de temps immenses, vers le passé comme vers le futur), et sur le plan disciplinaire, puisque tous les domaines des sciences sont convoqués. Mais – deuxième caractéristique – le modèle linéaire n’est plus revendiqué ici. Au contraire, Future Earth préconise que les sciences, au lieu de camper sur une posture d’autonomie vis-à-vis du politique, de maîtrise de leurs dynamiques et de leurs orientations, répondent plus directement aux besoins des « utilisateurs » et soient opérationnelles (actionable en anglais). Notons que cette tendance s’inscrit dans le contexte général de l’évolution des politiques de recherche dans le monde ; elle s’apparente à ce que Gibbons ou Nowotny ont appelé le « mode 2 de production des savoirs » (Gibbons et al., 1994).

44Enfin, troisième caractéristique notable, dans cette conception opérationnelle et utilitariste des sciences, les sciences sociales sont elles aussi embarquées dans la recherche de solutions au changement global et des facteurs de leur acceptabilité ; cela sans que le caractère interprétatif, culturellement situé, ou non universel de ces sciences soit jamais évoqué.

45Des critiques s’élèvent, parmi les chercheurs en SHS, visant tant la conception ultra-globalisante de Future Earth [12], que la conception du rôle des sciences ou l’acception étroite du rôle des disciplines humaines et sociales (Lövbrand et al., 2015).

En guise de conclusion

46La période actuelle de la gouvernance climatique est encore bien incertaine : le cadrage antérieur est mis en cause, sans que la démarche top-down ait laissé place à une approche bottom-up permettant d’espérer enclencher une véritable dynamique et dépasser les intérêts nationaux. Or, les transformations qu’exige le défi climatique sont profondes et ne pourront se faire en catimini : elles ont besoin d’être nommées, débattues, mises en politique ; faute de quoi, les illusions qui ont accompagné la gouvernance et creusé le schisme de réalité qui la caractérise, ont toutes chances de persister ou de laisser place à de nouvelles illusions. La construction d’un nouvel ordre de gouvernementalité – qui articule les échelles et désenclave le climat sur l’échiquier international (Aykut et Dahan, 2015, chapitre 9) – est indispensable à la prise en main réelle du problème.

47Dans cette perspective, la science va continuer sans nul doute à occuper une place majeure. Nous avons constaté que plusieurs modèles d’expertise dans le régime climatique restent en concurrence : modèle linéaire, coproduction, sciences directement opérationnelles, etc. ; ces modèles coexisteront sans doute, au moins aussi longtemps que les incertitudes politiques perdurent. Mais, plus fondamentalement, le rôle et la prééminence antérieurs de la science sont interrogés de toutes parts. L’action politique a des difficultés croissantes à prétendre être « science-based » car aux échelles locales, en particulier, les sciences du climat permettent mal de distinguer les impacts du changement climatique de la variabilité naturelle. Déjà, les recherches pour déterminer l’additionnalité, les coûts, les indices de vulnérabilité ou l’efficacité des mesures engagées viennent systématiquement buter sur cet écueil, avant de se compliquer encore quand elles doivent intégrer les déterminants sociaux, économiques et politiques de vulnérabilité (Buffet, 2015). Le GIEC saura-t-il affronter cette situation, répondre aux demandes tant de réactivité accrue que de réflexivité qui surgissent ?

48Enfin, une chose nous semble devoir s’imposer : plutôt que rechercher un consensus fondé sur la seule science et son hégémonie, il faut admettre et encourager le débat politique et social sur les divers enjeux du changement climatique et les valeurs éthiques qui y sont associées.

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Mots-clés éditeurs : modèle linéaire, environnement, GIEC, expertise, changement climatique

Date de mise en ligne : 06/07/2015

https://doi.org/10.1051/nss/2015014

Notes

  • [1]
    Nous reprenons ici le terme de gouvernance, avec réticence toutefois, car il s’inscrit dans une conception gestionnaire et apolitique de l’idée de gouverner et gomme les rapports de force et les asymétries historiques des acteurs réunis dans cette gouvernance (voir Dahan, 2014).
  • [2]
    Ce travail a bénéficié du soutien du projet ANR ClimaConf.
  • [3]
    Le GIEC est organisé en trois groupes de travail (WG), le premier groupe traitant de la science du climat et de la biosphère ; le deuxième, des impacts du changement climatique sur la biosphère et sur les sociétés ; et le troisième groupe, des réponses à donner (atténuation des émissions ou « mitigation »). Le premier groupe est constitué de scientifiques du climat, mais aussi de spécialistes des océans, de la végétation, de la glace, etc. ; le deuxième groupe rassemble des géographes, hydrologues, biologistes, écologues, etc. ; quant au troisième groupe, les économistes y jouent un rôle prépondérant. Quand il est ici question simplement de « sciences », c’est généralement de sciences du climat qu’il s’agit, pas des sciences économiques pourtant présentes au GIEC.
  • [4]
    La première phrase de la « Déclaration sur les principes et procédures du GIEC » stipule que « Its goal is to provide policyrelevant but not policy-prescriptive information on key aspects of climate change ».
  • [5]
    Le SBSTA (Subsidiary Body for Scientific and Technical Advice) est l’une des deux instances de direction politique du processus des négociations. Ainsi GIEC et SBSTA, deux organismes d’expertise scientifique, n’occupent pas la même position entre science et politique, le GIEC étant une fabrique de purification de la science tandis que le SBSTA assume les dissensus politiques sur le diagnostic scientifique. Néanmoins, ils ont évolué conjointement sur plusieurs points à la suite de multiples interactions.
  • [6]
    Bruno Latour (2004) a d’ailleurs choisi l’exemple du changement climatique pour s’interroger sur l’opportunité d’étudier la construction des faits scientifiques quand le principal danger semble désormais être la méfiance envers ces faits « artificiellement controversés ». Cette difficulté le conduit à distinguer les matter of concern des matter of fact.
  • [7]
    La « sensibilité » du climat est la hausse de température moyenne de la surface du globe résultant d’un doublement du taux de CO2 atmosphérique.
  • [8]
    On peut mentionner à titre d’exemple les projets conjoints Google Earth, NASA, USAid, et NOAA de services climatiques pour l’adaptation aux risques des événements extrêmes. Entre science, communication et business, la présentation de ces projets, lors des COP de Cancún et Durban en 2011 et 2012, expose des modèles numériques et des logiciels conviviaux de monitoring de la Terre, de prédiction d’événements extrêmes climatiques, de visualisation des événements climatiques passés.
  • [9]
    Se sont notamment impliqués dans le débat déclenché par l’article de Victor et Kennel : le NYT, le Guardian, les sites Real-Climate, Carbon Brief, Climate Science Watch, Climateprogress, Grist, Yale environment 360, Dot Earth, Climate Analytics, ainsi que Robert Watson (ancien président du GIEC), Marlene Moses (représentante de l’AOSIS à l’Onu), etc.
  • [10]
    Les positions adoptées dans ce débat évoquent la classique opposition de Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité : les scientifiques et environnementalistes défendent la limite des 2 °C « en fonction de principes supérieurs auxquels ils croient » ; tandis que pour les politistes, il faut agir « en fonction des effets concrets que l’on peut raisonnablement prévoir ».
  • [11]
    La notion de communauté épistémique renvoie à de petits groupes de personnes à l’expertise reconnue dans un domaine, qui partagent des diagnostics scientifiques, des critères de validation, mais aussi des croyances normatives, un accord sur la nécessité de mesures et des objectifs politiques – et qui cherchent à diffuser ces conceptions parmi les décideurs (Haas, 1992).
  • [12]
    Future Earth « en appelle à un système de connaissance intégré, pour un seul objectif, délivré à un unique système de gouvernance globale : mais quelle conception du pouvoir, de la connaissance et des droits humains s’exprime dans une vision aussi totalisante ? » (Hulme, 2012).

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