Notes
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[1]
L’année 1980 est aussi marquée par la publication, à la demande du président Carter, du rapport Global 2000 qui met sur l’agenda politique plusieurs des problèmes globaux repris à la conférence de Rio.
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[2]
Theys, J., 1982, in Barré, R., Godet, M., Les Nouvelles Frontières de l’environnement, Paris, Economica, chapitre 2, p. 69.
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[3]
On peut citer, parmi beaucoup d’autres, les travaux sur le budget carbone publiés en 2009 dans la revue Nature par Meinhausen et al. qui mettaient très clairement en évidence l’importance d’atteindre un pic d’émissions de GES avant 2020-2025.
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[4]
Par exemple, selon les travaux publiés en 2008 par l’Académie des sciences américaines (Ramanathan et Ferg, vol. 105), le stock de gaz à effet de serre accumulé dans l’atmosphère en 2005 engagerait déjà un réchauffement de 2,4 °C à l’horizon 2100.
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[5]
Semal, L., Villalba, B., 2013. L’obsolescence de la durée : la politique peut-elle continuer à disqualifier le délai ?, in Vivien, F.-D., Lepart, J., Marty, P. (Eds), L’Évaluation de la durabilité, Versailles, Éditions Quae.
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[6]
Sur cette notion de chemin réaliste de transition, voir Theys, J., Vidalenc, E., 2014. Repenser les villes dans la société post-carbone, Paris, Ministère de l’Écologie et Ademe.
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[7]
Il y a un consensus à la fois du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie pour dire que pour respecter l’objectif de limitation du réchauffement à 2 °C, il ne faudrait pas exploiter à l’horizon 2050 plus de 30 % des réserves prouvées exploitables de combustibles fossiles, et, globalement 10 % des réserves totales. Sur les conséquences d’une telle limite par zone de production, voir l’article publié en janvier 2015 par C. McGlade et P. Ekins dans la revue Nature.
1Que la conférence de Paris – à laquelle ce numéro de NSS est consacré – soit un succès ou un échec, l’année 2015 marquera, de toute façon, une étape importante dans les politiques climatiques : la fin possible d’une certaine forme dépassée de négociation globale, ou l’amorce d’une nouvelle dynamique. Mais 2015 n’est pas seulement le moment d’une conférence majeure. C’est aussi une date qui a une signification symbolique particulière, puisqu’elle se situe exactement à mi-chemin entre le moment où la question climatique a véritablement émergé dans le débat public – avec la première conférence mondiale de 1980 [1] – et l’échéance de 2050, considérée communément comme l’horizon des efforts à réaliser en matière de réduction des gaz à effet de serre. C’est donc aussi un moment privilégié pour mesurer le chemin parcouru – réduit – et l’ampleur de ce qu’il reste à faire. À une période où l’attentisme pouvait encore trouver une justification rationnelle succède désormais une autre où le temps va devenir un facteur déterminant.
2L’expérience historique montre que les réponses des sociétés aux défis environnementaux auxquels elles étaient confrontées ont presque toujours été relativement lentes, « chaque époque s’attachant à résoudre les problèmes qui étaient ceux de la période précédente en étant constamment en retard d’une guerre » [2]. Mais en matière de climat – sauf à se résigner au « tout adaptation » ou à accepter les risques de la géo-ingénierie – la stratégie qui consiste à reporter sur les générations suivantes l’effort de rattrapage à faire n’est pas une facilité ouverte : c’est de ce qui sera fait ici et maintenant, d’abord dans les dix ans et ensuite d’ici 2050, que dépendra pour de très nombreuses générations le climat à venir. Désormais le temps compte et il va compter de plus en plus lourd dans les années prochaines.
3Paradoxalement, cette dimension du temps « laissé à l’action » n’a jusqu’à présent occupé qu’une place relativement réduite, aussi bien dans les travaux scientifiques que dans les politiques publiques. Malgré des exceptions remarquables mais insuffisamment remarquées [3], le message des scientifiques s’est beaucoup plus attaché à expliciter les causes et les effets possibles du changement climatique ou à suggérer de manière générale le type d’action à entreprendre qu’à faire comprendre de manière précise et concrète les dynamiques temporelles des phénomènes et les conditions de réalisation dans le temps des objectifs qu’ils proposaient. Peu d’échos ont été donnés aux controverses portant sur l’échéancier ou même le réalisme d’une stabilisation à moins de 2 °C degrés du réchauffement à l’horizon 2100, toujours considéré comme accessible à chaque rapport successif du GIEC [4]. Le temps n’est pas oublié, mais confiné dans des « boîtes noires », avec comme conséquence de donner parfois une vision déformée des réalités, comme le fait de caractériser l’évolution des gaz à effet de serre essentiellement en termes de flux. Le souci d’aboutir à des préconisations facilement compréhensibles conduit à ne pas accorder toute l’importance qu’elles méritent aux temporalités sociales ou physiques des phénomènes étudiés – aux bifurcations, aux inerties, aux effets de seuil ou cumulatifs, aux irréversibilités, aux dynamiques d’apprentissage ou d’adaptation, aux problèmes de stock, etc. Tout cela a naturellement des répercussions dans les politiques publiques et l’action collective – dans lesquelles les contraintes et les opportunités liées au temps, la notion de délai [5], les spécificités très diverses des dynamiques sociales, économiques, démocratiques, écologiques, etc. ont beaucoup de difficulté à être prises en compte sérieusement. Même si le concept de transition s’impose peu à peu, il n’y a souvent qu’un lien virtuel entre les actions qui sont lancées et les objectifs précis fixés par les scientifiques à l’horizon 2050 – faute d’une attention suffisante aux chemins réalistes pour y parvenir [6]. Cela traduit aussi, bien évidemment, la difficulté dans les démocraties modernes et les économies mondialisées d’aujourd’hui de gérer la béance croissante entre des sociétés de plus en plus dominées par le court terme… et le long terme – qui n’exclut pas l’éventualité de basculements brutaux – des évolutions écologiques et des transitions à conduire dans la durée.
4Aboutir à des engagements contraignants en matière d’émission de gaz à effet de serre et dégager les financements indispensables pour le climat – comme l’ambitionne la conférence de Paris – sera un pas important dans le difficile chemin qui reste à parcourir. Mais ce qui est en jeu aujourd’hui va au-delà de ces mesures attendues. Dans la perspective de temps contraint et d’urgence que nous avons évoquée, la conférence de Paris doit aussi être l’occasion de questionner et sans doute de changer en profondeur les représentations, les imaginaires et les façons dont à la fois les scientifiques et les responsables politiques ont historiquement « cadré » (et parfois enfermé) la problématique climatique. Presque tous les articles publiés dans ce numéro en invoquent la nécessité – et proposent des pistes pour aller dans ce sens. Aucune, cependant, nous semble-t-il, ne pourra faire l’économie d’une réflexion complémentaire sur la meilleure manière de remettre la question des temporalités – physiques, sociales, politiques, etc. – à la place centrale où elle doit être. Il faut revenir sur ce qui s’est passé – ou pas – depuis trente-cinq ans, les progrès qui ont été faits, les opportunités qui n’ont pas été saisies, les impasses qui ont été empruntées, les prudences scientifiques qui ont parfois été excessives. S’interroger sur les façons de mieux faire comprendre au public cet emboîtement des temps, difficile à concevoir, entre celui de la vie ou de la météo quotidiennes et celui des siècles ou millénaires à venir – avec, entre les deux, des évolutions irréversibles ; et surtout proposer des « histoires positives du futur » intégrant la priorité climatique. Réinvestir, dans toutes les disciplines concernées – des sciences du climat à l’urbanisme, la sociologie, l’écologie, les sciences de l’ingénieur, la science politique, etc. – la dimension dynamique des phénomènes – en faisant de la question des temporalités une opportunité pour un débat multidisciplinaire renouvelé. Et, enfin, réduire les barrières qui rendent aujourd’hui très difficile, aussi bien dans la décision que dans le débat démocratique, l’articulation des urgences à court terme, des plans à moyen terme et de l’action à très long terme – un défi en période de crise que ni l’injonction au « développement durable » ni la notion de transition ne suffisent à affronter efficacement. Ce qui commence par accorder une priorité absolue à la prévention des irréversibilités majeures – comme celles consistant à aller au-delà de 10 à 30 % d’exploitation des réserves fossiles existantes [7] ou à laisser se poursuivre un étalement urbain incontrôlé. Et par l’adoption aussi rapide que possible d’une perspective claire qui est celle d’un quota mondial d’émission commun par habitant en 2050 (correspondant au facteur 4).
5« Supposons, disait Thomas Huxley à la fin du XIXe siècle, qu’il soit établi que la vie et la fortune de chacun dépendent de la capacité à gagner ou perdre une partie d’échecs. Ne pensez-vous pas que nous considérerions tous comme un devoir élémentaire d’apprendre les noms et les mouvements des pièces de ce jeu ? » Dans ce « bagage » indispensable face aux enjeux climatiques nous avons voulu rappeler la nécessité de mettre en priorité l’intelligence des temporalités – les notions de délai et de chemin, d’inertie, d’irréversibilité, de vitesse, d’apprentissage, de rupture, d’intégration des échelles de temps, etc. Mais nous n’oublions pas que la partie est jouée, outre par la nature, par beaucoup d’autres acteurs que les scientifiques – les États, les entreprises, la société civile, les opinions publiques, les organisations internationales, etc. Ce sont d’abord eux qu’il faut convaincre, avant que les évolutions climatiques ne s’accélèrent et ne deviennent incontrôlables.
Notes
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[1]
L’année 1980 est aussi marquée par la publication, à la demande du président Carter, du rapport Global 2000 qui met sur l’agenda politique plusieurs des problèmes globaux repris à la conférence de Rio.
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[2]
Theys, J., 1982, in Barré, R., Godet, M., Les Nouvelles Frontières de l’environnement, Paris, Economica, chapitre 2, p. 69.
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[3]
On peut citer, parmi beaucoup d’autres, les travaux sur le budget carbone publiés en 2009 dans la revue Nature par Meinhausen et al. qui mettaient très clairement en évidence l’importance d’atteindre un pic d’émissions de GES avant 2020-2025.
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[4]
Par exemple, selon les travaux publiés en 2008 par l’Académie des sciences américaines (Ramanathan et Ferg, vol. 105), le stock de gaz à effet de serre accumulé dans l’atmosphère en 2005 engagerait déjà un réchauffement de 2,4 °C à l’horizon 2100.
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[5]
Semal, L., Villalba, B., 2013. L’obsolescence de la durée : la politique peut-elle continuer à disqualifier le délai ?, in Vivien, F.-D., Lepart, J., Marty, P. (Eds), L’Évaluation de la durabilité, Versailles, Éditions Quae.
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[6]
Sur cette notion de chemin réaliste de transition, voir Theys, J., Vidalenc, E., 2014. Repenser les villes dans la société post-carbone, Paris, Ministère de l’Écologie et Ademe.
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[7]
Il y a un consensus à la fois du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie pour dire que pour respecter l’objectif de limitation du réchauffement à 2 °C, il ne faudrait pas exploiter à l’horizon 2050 plus de 30 % des réserves prouvées exploitables de combustibles fossiles, et, globalement 10 % des réserves totales. Sur les conséquences d’une telle limite par zone de production, voir l’article publié en janvier 2015 par C. McGlade et P. Ekins dans la revue Nature.