Couverture de NSS_214

Article de revue

Sélection thématique de livres

Pages 455 à 465

Notes

  • [1]
    Cette réorganisation de la rubrique en grands champs thématiques est pour l’instant en cours d’évaluation et donc susceptible d’évolution.
English version
Cette rubrique signale les ouvrages récemment parus en reprenant la quatrième de couverture ou la présentation des éditeurs. Les livres sont classés en trois catégories : les ouvrages thématiques par objet d’étude ; les ouvrages sur la science et ses rapports avec la société ; les ouvrages de réflexion sur les sciences [1].

Agriculture, alimentation

Agir en situation d’incertitude en agriculture. Regards pluridisciplinaires au Nord et au Sud. Véronique Ancey, Isabelle Avelange, Benoît Dedieu (Eds). Peter Lang, 2013, 419 p., 50 €

1Agir en situation d’incertitude est une question de survie dans les mondes paysans. Chaque année climatique diffère d’une autre, et la fluctuation des prix sur les marchés mondialisés se répercute dans la plupart des pays. À plus long terme, l’ampleur et la nature même du changement global demeurent des inconnues, obligeant les acteurs agricoles et ruraux à développer des dynamiques d’adaptation et de sécurisation tenant compte des questionnements techniques, écologiques, économiques, politiques et sociaux à différentes échelles, du local à l’international.

2Cet ouvrage propose de sortir des analyses en termes de risques et d’assurances et offre de nouvelles approches pour rendre compte de l’incertain, du complexe, du long terme, et des capacités des systèmes à tenir, à se transformer, à apprendre d’un environnement en changement. Les auteurs sont des chercheurs qui pratiquent l’échange interdisciplinaire, mais aussi des acteurs du développement. Le pari du regard croisé des disciplines, biotechniques et sciences sociales, se double de la volonté de confronter des réalités du Nord et du Sud. Que ce soit en Europe, en Afrique ou en Amérique du Sud, le rapport au changement et les protections mises en place face à l’incertitude sont des constructions sociotechniques.

Changement climatique

Climate-challenged society. John S. Dryzek, Richard B. Norgaard, David Schlosberg. Oxford University Press, 2013, 192 p., £16.99

3This book is an original, accessible, and thoughtprovoking introduction to the severe and broad-ranging challenges that climate change presents and how societies can respond. It synthesizes and deploys cutting-edge scholarship on the range of social, economic, political, and philosophical issues surrounding climate change. The treatment is introductory, but the book is written “with attitude”, for nobody has yet charted in coherent, integrative, and effective fashion a way to move societies beyond their current paralysis as they face the challenges of climate change.

4The coverage begins with an examination of science, public opinion, and policy making, with special attention to organized climate change denial. The book then moves to economic analysis and its limits; different kinds of policies; climate justice; governance at all levels from the local to the global; and the challenge of an emerging “Anthropocene” in which the mostly unintended consequences of human action drive the earth system into a more chaotic and unstable era. The conclusion considers the prospects for fundamental transition in ideas, movements, economics, and governance.

Les apprentis sorciers du climat. Raisons et déraisons de la géo-ingénierie. Clive Hamilton. Le Seuil, 2013, 352 p., 19,50 €

5L’échec répété des négociations internationales sur le climat signifie que nous nous dirigeons vers une hausse globale des températures de 3 à 6 °C d’ici 2100. Celle-ci entraînera des événements météorologiques extrêmes et de nombreuses souffrances humaines.

6Les espoirs se tournent aujourd’hui vers des technologies qui proposent de refroidir la Terre sans changer notre modèle de développement ni de consommation. Telle est la promesse de la géo-ingénierie et de ses promoteurs, soutenus par Bill Gates lui-même. Pulvériser du soufre dans la haute atmosphère, modifier la chimie des océans, stocker le carbone dans les profondeurs de la Terre : tels sont les projets et les expériences à hauts risques de ces « géocrates » ? ingénieurs, scientifiques et hommes d’affaires ? qui entendent régler le thermostat de la planète.

7Clive Hamilton, spécialiste des enjeux environnementaux, pose la question de fond : ces hommes ont-ils le droit de jouer aux apprentis sorciers avec la Terre ?

Développement durable

La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies. Fabrice Flipo, Michelle Dobré, Marion Michot. Éditions L’échappée, 2013, 144 p., 12 €

8Les nouvelles technologies, en dématérialisant les activités humaines, permettraient de réduire l’impact de la croissance sur la biosphère, voire, pour les plus enthousiastes, pourraient résoudre la crise environnementale.

9Si le monde numérique semble virtuel, les nuisances, elles, sont pourtant bien réelles : que ce soit sur le plan énergétique (la consommation des centres de données dépasse celle du trafic aérien, une recherche sur Google produit autant de CO2 que de porter à ébullition de l’eau avec une bouilloire électrique, etc.), par l’utilisation d’une quantité considérable de matières premières pour la fabrication des appareils électroniques, notamment des minerais précieux dont l’extraction provoque des conflits armés, ou encore par l’accroissement permanent de la masse de déchets d’équipements électroniques particulièrement polluants.

10Dans ce travail précis et informé, les auteurs montrent l’impact environnemental réel du numérique en s’appuyant sur de nombreuses études. Ils démontent de manière implacable le mythe d’une nouvelle économie propre et écologique.

Le développement durable à découvert. Agathe Euzen, Laurence Eymard, Françoise Gaill (Eds). CNRS Éditions, 2013, 364 p., 39 €

11Vingt ans après la première conférence de Rio, qu’est devenue la proposition de conduire nos sociétés vers un développement durable ? Adopté par les uns, utilisé comme faire-valoir par les autres, ce concept de développement durable est souvent vidé de son sens. Or, l’impact exponentiel des activités humaines sur les ressources naturelles, la santé des populations et le milieu exige d’expliquer ce qu’il est précisément.

12Qu’est-ce que le développement durable aujourd’hui ? Qu’en est-il de la disponibilité des ressources et de l’usage que nous en faisons ? Dans le domaine de l’eau, du climat, des sols, de la biodiversité ? En milieu rural, sur le littoral ou encore en milieu urbain, là où la majorité de la population va vivre d’ici 2050, comment consommons-nous au fil du temps, à travers les territoires ? Quelles incidences les activités humaines ontelles sur les ressources, sur la santé des populations et sur le milieu lui-même ? Les relations entre l’humanité et l’environnement doivent-elles évoluer ? Autant de questions posées à des scientifiques qui éclaircissent la complexité des interactions entre les systèmes et proposent des solutions pour un avenir sur le long terme.

13De nos écosystèmes à nos modes de consommation, des risques naturels aux nouvelles technologies ou aux pollutions, des usines du futur au traitement des déchets, Le développement durable à découvert informe, explique, partage tout ce que la science actuelle est capable d’apporter au défi majeur du XXIe siècle : comment mieux comprendre la complexité des enjeux qui nous concernent tous et assurer le développement de l’humanité sans détruire son biotope.

14Économistes, physiciens, sociologues, agronomes, écologues… plus de 150 chercheurs se sont mobilisés pour associer leur expertise à leur regard critique et décrire, comprendre, modéliser, imaginer, illustrations et schémas à l’appui, les outils destinés à construire les sociétés équitables de demain.

15Un ouvrage de référence pour construire une société équitable et soutenable au XXIe siècle.

Nucléaire on/off. Analyse économique d’un pari. François Lévêque. Dunod, 2013, 288 p., 26 €

16Au début des années 2000, poussé par la croissance de la demande mondiale en énergie et la nécessité de réduire les émissions de CO2, le nucléaire avait le vent en poupe. Il semble aujourd’hui sur une voie de garage. Les États-Unis, noyés sous les gaz de schiste, s’en détournent, l’Allemagne se désengage totalement, la France ralentit, le Japon a été incapable d’éviter un accident nucléaire majeur. Cette perception est-elle juste ? L’approche adoptée dans cet ouvrage est non partisane : ni nucléariste, ni écologiste. Le seul parti est d’étudier et de comprendre en détail l’économie de l’énergie nucléaire à l’échelle de la planète : les coûts, les risques, les mesures de sûreté, les décisions politiques et les règles de gouvernance internationale de l’atome. Cet examen met en cause de nombreuses fausses certitudes : croire qu’il existe un vrai coût du nucléaire, élevé ou bas ; que le risque d’un nouvel accident majeur dans le monde est certain ou, à l’opposé, impossible en Europe ; que la régulation de la sûreté est parfaite en France ou inféodée au lobby nucléaire, etc. Les nombreuses questions sur l’énergie nucléaire doivent être tranchées en incertitude, ce qui exige de la cerner avec précision. Si le livre montre comment les débats sur le nucléaire peuvent être éclairés par l’évaluation coût-bénéfice, par l’analyse probabiliste, par la théorie de l’électeur médian et la notion de bien collectif, il affirme aussi, on ne peut plus nettement, que le nucléaire reste un pari.

Transition énergétique. Les vrais choix. Jean-Marie Chevalier, Michel Cruciani, Patrice Geoffron. Odile Jacob, 2013, 192 p., 20,90 €

17Ce livre dresse l’inventaire des atouts et des faiblesses du modèle énergétique français. Côté atouts : une expertise et un patrimoine énergétiques sans équivalent ; côté faiblesses : une trop forte dépendance aux hydrocarbures, une part insuffisante du renouvelable, des prix qui ne reflètent pas la réalité du marché.

18Alors comment reconstruire notre modèle : faut-il lever l’interdiction sur les gaz de schiste pour réduire nos importations ? Quelle place pour le nucléaire face au réchauffement climatique ? Qui va payer le développement des énergies renouvelables et les transformations associées ? Enfin, comment rendre notre système énergétique plus efficace et lutter contre la précarité énergétique grandissante ?

19Citoyen, consommateur, professionnel, nous sommes tous concernés à un degré ou un autre par ces questions. Brisant un certain nombre de tabous – sur les prix, les gaz de schiste, le nucléaire –, ce livre éclaire les enjeux du débat et souligne les opportunités de la nécessaire transition qui s’ouvre à nous.

Écologie, biodiversité, évolution

Enquête sur les créationnismes. Réseaux, stratégies et objectifs politiques. Olivier Brosseau, Cyrille Baudouin, préface de Guillaume Lecointre Belin, 2013, 336 p., 21,50 €

20Au-delà de leur diversité, tous les créationnismes se caractérisent par leur volonté d’instrumentaliser la science pour justifier une vision du monde conforme à certains dogmes religieux. Leur démarche est donc politique.

21Fruit d’une enquête minutieuse et riche d’interviews de spécialistes reconnus (biologistes, cosmologistes, sociologues, philosophes, etc.), cet ouvrage est à la fois un recueil d’informations sur les créationnismes et un outil indispensable pour exercer son esprit critique dès lors que la science est convoquée pour justifier des positions politiques.

22Après avoir rappelé les spécificités de la démarche scientifique, Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau explorent la diversité des mouvements créationnistes et les ressorts de leur mondialisation, en livrant une analyse inédite de leurs réseaux, de leurs stratégies et des contextes politiques dans lesquels ils émergent, y compris en France. Ils montrent ainsi combien le créationnisme est à la croisée de questions sociétales majeures, comme le rôle politique des religions, la privatisation de l’enseignement et la place de la science dans une démocratie.

La classification phylogénétique du vivant. Guillaume Lecointre, Hervé Le Guyader Belin, 2013, tome 2, 608 p., 39,90 €

23La classification moderne, dite phylogénétique, est fondée sur la recherche de parentés entre espèces, exauçant ainsi le vœu ancien de Darwin que toute classification naturelle doit refléter une généalogie. Comme le tome 1 (3e édition publiée en 2006), dont il est le complément indispensable, ce tome 2 de La classification phylogénétique du vivant est donc une incursion dans l’arbre de la vie.

24Il comporte les plantes à fleurs (ou angiospermes) et cinq grands groupes d’animaux, à savoir les oiseaux, les hexapodes (insectes, collemboles, etc.), les squamates (lézards et serpents), les cnidaires et les poissons téléostéens. Leur présence dans ce tome 2 tient compte des bouleversements récents de la classification. Ainsi, les angiospermes, qui occupent une place mineure dans le tome 1, sont ici largement développées, le classement de leurs 270 000 espèces étant devenu entre-temps une priorité des botanistes.

25L’organisation de l’ouvrage est la même dans les 2 tomes : chaque branche de l’arbre est un groupe comprenant un ancêtre hypothétique et tous ses descendants. On trouvera pour chaque groupe les arguments de la classification (les innovations évolutives léguées par son ancêtre) et bien d’autres renseignements (nombre d’espèces, plus ancien fossile connu du groupe, etc.).

La conquête sociale de la Terre. Edward Osborne Wilson. Flammarion, 2013, 381 p., 25 €

26D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Pour répondre à ces questions, Edward O. Wilson nous conduit à travers le labyrinthe de l’évolution depuis le dernier ancêtre commun des chimpanzés et des humains il y a six millions d’années jusqu’à l’homme moderne, fruit d’une sélection naturelle par coévolution génétique et culturelle dans deux directions souvent opposées : l’individu et le groupe. Toujours tiraillés entre les impératifs personnels et ceux du groupe, nous sommes irrémédiablement à la fois égoïstes et altruistes, capables du meilleur comme du pire. Même nos croyances religieuses, nos comportements sociaux, nos relations interindividuelles, notre morale seraient des processus évolutifs en partie commandés par la sélection de groupe. Et c’est leur rôle dans la survie et la reproduction de nos ancêtres qui expliquerait leur prééminence dans les sociétés actuelles. Une synthèse très accessible des dernières connaissances en neurosciences, en psychologie cognitive et en biologie de l’évolution qui jette une lumière inattendue sur l’évolution de l’homme et l’origine de sa culture.

La filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe. Charles Darwin, traduction coordonnée par Michel Prum sous la direction de Patrick Tort, précédé de « L’anthropologie inattendue de Charles Darwin » par Patrick Tort. Honoré Champion, 2013, 1042 p., 32 €

27Lorsque, plus de onze ans après la première édition de L’origine des espèces, Darwin publie en 1871 La filiation de l’Homme (The descent of Man), il s’acquitte d’une obligation de cohérence contractée dès sa première adhésion à l’idée de l’origine commune des espèces vivantes : couronner l’illustration de la grande vérité transformiste en montrant la nécessité d’inscrire phylogénétiquement l’Homme au sein de la série animale. Au terme d’une assez longue réserve, Darwin, affrontant une nouvelle fois les mythes de la création et l’univers dogmatique des croyances, expose alors une version strictement naturaliste de l’origine de l’Homme et de son devenir. Au-delà, il s’agit pour lui d’expliquer, par la seule dynamique d’avantages sélectionnés et transmis, l’accession de l’Homme à sa position d’éminence évolutive, représentée par l’état de « civilisation », lequel manifestement contrarie en son sein le mouvement d’élimination des moins aptes impliqué dans la sélection naturelle, pour y substituer des institutions protectrices, une éducation altruiste et une morale de la bienveillance, du secours et de la sympathie.

28Telle est l’inépuisable nouveauté de ce que Patrick Tort nomme, dans sa préface, l’effet réversif de l’évolution. Une telle explication ne pouvait s’effectuer sans une théorie des instincts. Si la notion du développement sélectionné des instincts sociaux, combinée avec celle de l’accroissement des capacités rationnelles, sert à désigner globalement ce à travers quoi l’humanité élabore la civilisation, c’est dans l’analyse fine des instincts procréatifs et parentaux, ainsi que des sentiments affectifs et des comportements qui leur sont associés, que Darwin découvre l’opération d’une autre sélection, détentrice elle aussi d’un grand rôle évolutif : la sélection sexuelle, qui préside dans le monde animal à la rencontre amoureuse, aux rituels et aux choix nuptiaux ainsi qu’à la transmission des caractères sexuels secondaires, et qui complète l’action de la sélection naturelle tout en paraissant parfois lui opposer sa loi.

Gestion des ressources

Océans. La grande alarme. Callum M. Roberts. Flammarion, 2013, 491 p., 24 €

29Dans quel état sont les océans ? Comment s’adaptent-ils au changement climatique, à la pollution, à la surpêche ? Combien de temps supporteront-ils le gaz carbonique que nous émettons ? Quel impact leur acidité aura-t-elle sur la production d’oxygène ? Tandis que la faune et la flore marines dépérissent, l’inquiétante prolifération des méduses n’annonce-t-elle pas une nouvelle extinction massive ? Pour nous aider à comprendre ces processus, Callum Roberts nous familiarise avec toutes les populations et tous les mécanismes océaniques : la disparition des courants marins, la hausse excessive des températures, les déséquilibres induits par les barrages et l’irrigation, les dangers de la fonte des glaces, la pollution provoquée par les produits chimiques, la démesure des rejets plastiques, les perturbations sonores, la voracité des espèces invasives… Roberts, qui appelle à un New Deal océanique, fait le point sur les mesures à prendre, collectives et individuelles. Il est urgent d’agir, car le problème majeur, ce n’est pas tant les transformations du monde que la rapidité avec laquelle elles ont lieu et la brièveté du temps dont dispose le vivant pour s’adapter.

The justices and injustices of ecosystem services. Thomas Sikor. Routledge, 2013, 224 p., £24.99

30Humankind benefits from a multitude of resources and processes that are supplied by ecosystems, and collectively these benefits are known as ecosystem services. Interest in this topic has grown exponentially over the last decade, as biologists and economists have tried to quantify these benefits to justify management interventions. Yet, as this book demonstrates, the implications for justice and injustice have rarely been explored and works on environmental justice are only now addressing the importance of ecosystem services.

31The authors establish important new middle ground in arguments between conservationists and critics of market-based interventions such as Payment for Ecosystem Services. Neither can environmental management be separated from justice concerns, as some conservationists like to believe, nor is it in fundamental opposition to justice, as critics like to put it. The book develops this novel interpretation of justice in environmental management through analyses of prominent governance interventions and the conceptual underpinnings of the ecosystem services framework. Key examples described are revenue-sharing around protected areas and REDD+ for forest ecosystems.

32The analyses demonstrate that interventions create opportunities for enhancing social justice, yet also reveal critical design features that cause ostensibly technical interventions to generate injustices.

Gestion et politiques de l’environnement

L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz. Le Seuil, 2013, 320 p., 18 €

33Les scientifiques nous l’annoncent, la Terre est entrée dans une nouvelle époque : l’Anthropocène. Ce qui nous arrive n’est pas une crise environnementale, c’est une révolution géologique d’origine humaine.

34Depuis la révolution thermo-industrielle, notre planète a basculé vers un état inédit. Les traces de notre âge urbain, consumériste, chimique et nucléaire resteront des milliers voire des millions d’années dans les archives géologiques de la planète et soumettront les sociétés humaines à des difficultés considérables. Comment en sommes-nous arrivés là ?

35Faisant dialoguer science et histoire, les auteurs dressent l’inventaire écologique d’un modèle de développement devenu insoutenable, ébranlent bien des idées reçues sur notre prétendue « prise de conscience environnementale » et ouvrent des pistes pour vivre et agir politiquement dans l’Anthropocène.

Penser la décroissance. Politiques de l’Anthropocène. Agnès Sinaï (Ed.). Presses de Sciences Po, 2013, 180 p., 14 €

36Depuis les débuts de l’époque industrielle, il y a deux cents ans, les activités humaines ont profondément modifié les cycles de la nature, d’où le terme d’Anthropocène pour qualifier la période contemporaine.

37Alors que les stocks de combustible s’épuisent, la dissipation exubérante d’énergie liée aux économies fondées sur la croissance touche à sa fin. Quelles en seront les répercussions politiques, économiques et sociales sur un système fondé sur une soif sans limites de ressources naturelles ?

38Ère d’accélération, l’Anthropocène brille de ses derniers feux. Le XXIe siècle sera celui de la « descente énergétique ». Face à cette rupture profonde dans l’histoire des temps, adopter un autre modèle que le productivisme s’impose d’urgence.

Hommes et milieux

La pêche amateur au fil du Rhône et de l’histoire. Usages, savoirs et gestions de la nature. Carole Barthélémy. L’Harmattan, 2013, 180 p., 18 €

39De nombreuses pratiques de pêche amateur prennent lieu le long du fleuve Rhône. Loisir populaire, reliant de manière particulière le pêcheur, le cours d’eau et l’animal, la pêche amateur reste peu étudiée par les sciences sociales. L’objectif de cet ouvrage est de mettre en évidence la portée sociologique de la pêche amateur, considérée comme une pratique de nature révélatrice d’enjeux sociaux contemporains. Ceux-ci sont, tout d’abord, lisibles dans une perspective historique de la constitution de la pêche amateur. Lors de la seconde moitié du XIXe siècle, une gestion socionaturelle inédite se structure reliant les premières associations de pêcheurs et l’État, dans un souhait commun de restaurer la qualité piscicole des cours d’eau. Se préoccuper des poissons tout en assurant un loisir au plus grand nombre témoigne d’une appréhension intégrée des relations entre la société et la nature, n’ayant rien à envier à l’utopie contemporaine du développement durable. Au contraire, l’avènement des préoccupations environnementales, à partir des années 1970, déstabilise l’équilibre instauré, adoubé par le déclin des pêcheurs en eau douce.

40C’est dans ce contexte de délitement du lien entre la pratique de la pêche et les principes gestionnaires qu’interviennent les enquêtes réalisées auprès de deux groupes sociaux de pêcheurs. Pêcheurs d’aloses et car-pistes ont ainsi été observés dans leurs manières respectives de faire avec le Rhône et les poissons. Ces pratiques mettent ainsi en évidence un « service écosystémique » souvent ignoré et méconnu dans notre lecture écocentrée de la nature : celui qui permet aux individus, dans un espace-temps délimité, de maîtriser ce qui les entoure. Ce serait donc une clé pour mieux comprendre la persistance, dans nos sociétés modernes, de la prédation : des lieux d’expression de la maîtrise de soi.

Que donne la nature ? L’écologie par le don. Dossier coordonné par Alain Caillé, Philippe Chanial, Fabrice Flipo. Revue du M.A.U.S.S., n° 42, 2013, 248 p., 24 €

41Toutes les cultures traditionnelles ont considéré les relations entre les hommes et les êtres de leur environnement naturel – animaux, plantes, montagnes, étoiles, esprits du lieu, génies, etc. – comme des relations de don et de contre-don : il fallait donner ou rendre à la nature pour qu’elle continue à se montrer féconde et généreuse. La caractéristique centrale de la culture moderne, concomitante à l’apparition du capitalisme, réside sans doute dans la rupture radicale avec cette conception : vue seulement comme un ensemble de réalités inertes, la nature a cessé d’être considérée comme partenaire possible d’une relation de don. Le déconstructionnisme nihiliste parachève ce travail de désenchantement du monde naturel en congédiant toute naturalité.

42On voit bien aujourd’hui les effets pervers d’une telle vision : elle a conduit à une surexploitation de la nature qui la laisse exsangue et nous amène au bord de la catastrophe énergétique et environnementale. Et elle menace d’ôter tout charme à l’existence des hommes, contraints de vivre dans un monde intégralement fait d’artefacts. N’est-il donc pas grand temps de renouer avec une conception donatiste du rapport entre les hommes et la nature, de considérer celle-ci comme un partenaire de don, envers lequel nous avons des obligations de réciprocité ?

Risques

Le gouvernement des catastrophes Sandrine Revet, Julien Langumier (Eds) Karthala, 2013, 286 p., 28 €

43Événements exceptionnels appelant une réponse rapide, les catastrophes se gouvernent. Elles impliquent les autorités locales et nationales, des organisations non gouvernementales, des experts et des scientifiques, des agences multilatérales et les habitants eux-mêmes. Elles mettent en jeu des instruments et des dispositifs variés de politique publique.

44La grippe aviaire à Hong Kong en 2009, les coulées de boue d’Alma Ata au Kazakhstan dans les années 1960, le tsunami de 2004 au Sri Lanka, les inondations du Rhône en France de 2003 et celles qui ont touché Santa Fe en Argentine en 1999, la contamination à la dioxine de 1976 à Seveso, en Italie : six cas singuliers, parmi de nombreux autres, dont l’analyse comparée permet de dégager continuités et similitudes du gouvernement des catastrophes. Les enquêtes historiques et ethnographiques montrent comment les sinistrés, trop souvent réduits à leur condition de victimes, soumettent les mesures et les procédures qui leur sont appliquées à la critique. Elles interdisent de s’en tenir à la seule problématique de la « culture du risque » des populations affectées. Elles éclairent les multiples appropriations et transformations dont les dispositifs de gouvernement font l’objet. Elles révèlent les contextes politiques, sociaux et économiques des catastrophes pour réinscrire ces événements, singuliers et traumatisants, dans le temps long et la densité des configurations sociales.

Histoire et philosophie des sciences

Entre temps court et temps long. Conseil économique, social et environnemental. Presses universitaires de France, 2013, 240 p., 19 €

45Tenter de mieux vivre ensemble, alors même que nos temporalités sont de plus en plus disparates, exige d’engager une réflexion collective.

46La première tâche est de prendre en compte la difficile articulation du court terme et du long terme : urgence de la reprise économique et de la relance de l’emploi, long terme de l’écologie et de la sauvegarde des équilibres terrestres, climatiques et biologiques. Urgence des tâches immédiates, des résultats à obtenir, de la concurrence, long terme de la réflexion sur le monde possible, les lendemains souhaitables, les objectifs communs. Chaque fois s’opposent la hâte des décisions comme des actes et leurs conséquences sur des décennies, voire des générations.

47L’objectif est de retrouver le sens de l’avenir, de raviver les débats sur la société de demain – sans perdre de vue pour autant les exigences de l’heure. Il s’agit de tenir ensemble « temps de crise » et « crise du temps », pour tenter de commencer à les surmonter.

48Cela demande de construire un dialogue réel, exigeant et patient, entre des compétences diverses, celles des experts de plusieurs disciplines, et les préoccupations des citoyens.

La vie, et alors ? Débats passionnés d’hier et d’aujourd’hui. Jean-Jacques Kupiec (Ed.). Belin, 2013, 415 p., 23,50 €

49Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qu’un écosystème ? Qu’est-ce qu’un gène ? Peut-on parler de programme génétique ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, à l’heure où des technologies toujours plus puissantes permettent d’explorer le vivant, de nombreux concepts clés des sciences de la vie que l’on aurait pu croire clairement définis sont toujours au cœur de discussions passionnées parmi les biologistes, les historiens et les philosophes. Découvrir ces débats et leur ancrage dans l’histoire des sciences, voilà ce que vous propose cet ouvrage.

50Il se compose d’une alternance de chapitres exposant les points incontournables de l’histoire des principaux domaines des sciences de la vie, et de chapitres qui, après cette mise en perspective historique, présentent et discutent les débats qui, aujourd’hui, animent ces différents domaines.

51La vie, et alors ? réussit le tour de force de fournir à la fois une histoire critique, synthétique et accessible des sciences de la vie, et un instantané des débats passionnés qui, en ce début de XXIe siècle, traversent cette discipline.

La science en action

Les politiques de démocratie participative. Guillaume Gourgues. Presses universitaires de Grenoble, 2013, 150 p., 20 €

52Du budget participatif de Porto Alegre à la multiplication des conseils de développement, l’irruption ces dernières décennies de la participation dans la vie démocratique a fait bouger les lignes. Pourtant, à l’heure où l’on s’interroge sur le peu de « démocratie » entourant la résolution de la crise de la zone euro, on voit fleurir des débats sur l’évolution, les potentialités et les « dérives » de la démocratie participative. Ce contraste est révélateur du manque de clarté qui règne aujourd’hui autour des enjeux participatifs.

53L’objectif de cet ouvrage est de fournir un cadre d’analyse synthétique permettant de décrypter et de saisir les enjeux de la participation publique, en expliquant notamment en quoi celle-ci est une forme contemporaine et récente de démocratie participative.

54Redéfinissant et éclaircissant les principales notions employées, il revient sur l’histoire de l’avènement de la participation publique, des expériences pionnières dans les années 1970 jusqu’à l’émergence récente d’une offre de participation publique. Enfin, il propose une grille d’analyse permettant d’engager une évaluation de n’importe quel dispositif participatif.

55Illustré de nombreux exemples, l’ouvrage fonde sa réflexion sur des expérimentations de terrain, en France, au Brésil, en Espagne, en Chine, etc. Sans chercher à défendre la démocratie participative ni à faire un inventaire des pratiques, l’auteur propose une formulation théorique claire qui permet d’envisager une variété de situations et autorise le lecteur à fonder sa propre opinion.

Penser la valeur d’usage des sciences. Olivier Glassey, Jean-Philippe Leresche, Olivier Moeschler (Eds). Éditions des archives contemporaines, 2013, 241 p., 26 €

56Mesurer les usages de la recherche en dehors du champ scientifique, est-ce possible, est-ce souhaitable ? L’ouvrage vise à documenter sous quelles modalités les débats conduits autour de la nature et de la valeur des usages des productions scientifiques dans des arènes de plus en plus larges et variées – scientométrie, transferts de technologie, relations sciences et société – contribuent non seulement à la mesure de la science et de ses effets, mais à influencer les manières mêmes de conceptualiser l’évaluation de la recherche scientifique. En lien avec les importants développements des réflexions internationales sur la production, la diffusion et les évaluations de la recherche, cet ouvrage propose ainsi d’explorer de multiples questions et défis relatifs aux processus contextualisés d’appropriation des sciences : qui sont les usagers des sciences et leurs publics ? Comment se construit et circule la valeur de la recherche ? Quelle est la valeur de la recherche pour ses utilisateurs et peut-on la mesurer ? La valeur des usages dérivés de la recherche doit-elle participer à la mesure des performances de la recherche ? Quel sens les divers publics concernés par la recherche donnent-ils aux démarches évaluatives ? Quelles sont les instances sociales et politiques légitimes pour évaluer les résultats de la recherche ? La légitimité de la science dans la société sort-elle renforcée de l’élargissement du cercle des producteurs, diffuseurs et utilisateurs de la recherche ? Réunissant des spécialistes reconnus de plusieurs disciplines, cet ouvrage offre une perspective originale sur les questions de l’évaluation de la recherche dans le cadre des enjeux contemporains des rapports entre science et société.

Rapports sciences-technologie-société

Le droit saisi au vif. Sciences, technologies, formes de vie. Entretiens avec Francis Chateauraynaud. Marie-Angèle Hermitte. Éditions Pétra, 2013, 404 p., 29 €

57L’un dit, – on les voyait surgir tout d’un coup, les clones, le prion, les transgènes ! L’autre répond, – c’était intrigant !

58Marie-Angèle Hermitte revisite quarante ans de recherches menées sur les frontières du droit au fil d’une série d’entretiens avec Francis Chateauraynaud. Si le rapport biologie-droit domine la conversation, le développement économique et ses limites, les mécanismes de marché et les valeurs non marchandes, les phénomènes de concurrence, les rapports Nord-Sud et les propriétés intellectuelles plantent le décor, un « écosystème » dans lequel s’installent les biotechnologies naissantes. Marie-Angèle Hermitte évoque les mutations de la recherche et des terrains aussi différents que l’industrie française ou les villages malgaches. Elle présente sa vision du droit comme un « autre monde », déformation subtile du « vrai monde ». Comme si le droit organisait l’ordonnancement de tout ce qui surgit d’un côté du miroir et doit trouver sa place de l’autre côté. Parmi les objets de droit, il faudra mettre à leur juste place l’ADN, les cellules, les variétés végétales, les ondes électromagnétiques, l’atmosphère…

59Mais comment recevoir, ou refuser, les aspirants à la qualité de sujets de droit, ceux qui prennent une figure humaine, comme les générations futures ou ces entités discutées que sont les embryons et les fœtus, mais aussi les non-humains parmi lesquels la diversité biologique et tous les êtres végétaux ou animaux qu’elle abrite ? Imprégnée d’un monde enchanté qui lui inspire une forme d’animisme juridique, Marie-Angèle Hermitte dessine le droit comme une architecture en perpétuel renouvellement où circulent sujets et objets.

L’opinion publique et la science. À chacun son ignorance. Bernadette Bensaude-Vincent. La Découverte, 2013, 240 p., 11 €

60Allumons la télévision : qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle ou d’une grave épidémie animale, un expert est là pour éclairer l’opinion du public. D’un côté, il y a ceux qui savent et, de l’autre, ceux qui ne savent pas et à qui on demande seulement de croire à ce que l’on dit être vrai. C’est ce clivage que ce livre met brillamment en cause.

61L’opinion est perçue soit comme une masse amorphe, manipulable, soit comme une puissance absolue. Tout aussi contradictoires sont les images de la science : tour à tour sérieuse ou aventureuse, menaçante ou rassurante, la science nous est présentée à la fois comme une autorité absolue et comme une puissance de critique ou de rébellion contre l’autorité. Ces ambivalences ont des racines historiques qui remontent à la Grèce ancienne.

62Ce livre retrace les moments forts de la confrontation entre science et public. Chaque figure de la science se dessine en regard d’une figure correspondante de l’opinion : de la science « populaire » d’un Auguste Comte au XIXe siècle à la science « citoyenne » des conférences de consensus actuelles, on est tenté de dire que « la science a l’opinion qu’elle mérite »…

Sciences, techniques et société. Christophe Bonneuil, Pierre-Benoît Joly. La Découverte, 2013, 128 p., 10 €

63Les sciences et les techniques sont au cœur de nos vies quotidiennes et constituent les piliers de notre modernité. Elles ont transformé les modes de vie, les relations de pouvoir, nos identités et nos imaginaires. Controverses sur les OGM, enjeux du changement climatique et de sa prévision, nouvelles pratiques de communication et de circulation de connaissances sur Internet… Comment analyser les liens inextricables entre ce que l’on sait du monde, ce que l’on souhaite y faire et la façon dont on le gouverne ? Les théories et approches dominantes de l’économie, de la sociologie, de l’histoire ou de la science politique ont souvent ignoré ces enchevêtrements complexes.

64Cet ouvrage propose un panorama du champ « Sciences, techniques et société », très interdisciplinaire, qui s’est justement donné pour objet l’étude des transformations récentes et conjointes des façons de savoir, des formes d’expertise, des marchés, des espaces publics et des formes de gouvernement.

Interdisciplinarité

Interdisciplinarité : entre disciplines et indiscipline. Dossier coordonné par Jean-Michel Besnier, Jacques Perriault. Revue Hermès, n° 67, 2013, 256 p., 25 €

65Nul n’ignore plus aujourd’hui combien les découvertes scientifiques et les innovations technologiques se produisent souvent à la marge des disciplines constituées. Lorsqu’on en retrace la genèse, c’est souvent moins la logique épistémique que l’audace et l’indiscipline qui apparaissent. Les exemples de sérendipité témoignent de la fécondité du hasard et du génie des francs-tireurs qui savent s’en emparer. Il est d’ailleurs des périodes de l’histoire des sciences et des techniques où l’on n’hésite pas à célébrer le chaos organisateur qu’autorise le franchissement des frontières disciplinaires.

66Et pourtant, les autorités universitaires et de recherche veillent à préserver l’intégrité des disciplines comme autant de formats nécessaires aux sciences. Elles pénalisent souvent les chercheurs atypiques, inclassables ou trop portés à marauder chez le voisin. Les préjugés académiques se ferment souvent aux travaux scientifiques audacieux, mais aussi à ceux des sociologues, anthropologues, historiens… qui ont pu montrer, depuis longtemps, que les disciplines sont aussi des constructions culturelles et qu’il y a des raisons d’en contester la complète rationalité et le désintéressement. D’ailleurs, on se méfie souvent de l’interdisciplinarité dans les instances de programmation et d’évaluation scientifiques, même si celle-ci est l’objet par ailleurs d’une nouvelle langue de bois. La complexité des problèmes – qu’ils soient environnementaux, ethnologiques, sociopolitiques ou cognitifs – requiert pourtant une synergie des compétences intellectuelles et des méthodes, devenues peu compatibles avec la rationalité analytique, cloisonnée dans les limites d’un savoir discipliné. Les pressions mises par nos sociétés sur les chercheurs et tous ceux qui innovent imposent que l’on s’interroge sur la portée et les limites des disciplines, sur les vertus et les obstacles de l’interdisciplinarité, sur l’exemplarité des indisciplinés. C’est ce qu’entreprend ce numéro d’Hermès.

Nouvelle représentation de la vie en biologie et philosophie du vivant. La « sculpture du vivant » à l’épreuve de l’interdisciplinarité. Laurent Cherlonneix, Jean-Claude Ameisen (Eds) De Boeck, 2013, 392 p., 32 €

67L’enjeu de cet ouvrage est la représentation du vivant interrogée à partir de l’imbrication des notions de vie et de mort. Au croisement de la biologie et de la philosophie du vivant, il s’agit d’interroger l’idée même de « sculpture du vivant ». Ce livre est le premier volet d’un travail interdisciplinaire en philosophie de la biologie mené de 2008 à 2010 au Centre d’études du vivant de l’Université Paris Diderot. Sans se restreindre aux méthodes d’analyse propres à la tradition française de l’histoire et de l’épistémologie de la biologie, il s’agit d’ouvrir un véritable dialogue entre, d’une part, les différents présupposés sur le vivant mis en œuvre au sein de champs de recherches a priori hétérogènes et extérieurs à la biologie (phénoménologie de la vie, histoire de la philosophie de la vie, psychanalyse, théologie) et, d’autre part, les concepts vie-mort mis en œuvre en biologie en tant qu’elle est aujourd’hui marquée, voire modifiée, par les recherches sur l’auto-effacement cellulaire : la mort cellulaire « programmée » et l’apoptose.

Sustainable knowledge. A theory of interdisciplinarity. Robert Frodeman. Palgrave Macmillan, 2013, 128 p., $67.50

68What is the future of the university? The modern university system, created in the late 19th century and developed across the 20th century, was built upon the notion of disciplinarity. Today the social, epistemological, and technological conditions that supported the disciplinary pursuit of knowledge are coming to an end. Knowledge production has itself become unsustainable: we are drowning in knowledge even as new PhDs cannot find work. Sustainable knowledge explores these questions and offers a new account of what is at stake in talk about ‘interdisciplinarity’.

69Sustainable knowledge develops two themes. First, it offers an account of contemporary knowledge production in terms of the concepts of disciplinarity, interdisciplinarity, and sustainability. Second, it reconceives the role of philosophy and the humanities both within the academy and across society. It argues that philosophy and the humanities must reinvent themselves, taking on the Socratic task of providing a historical and philosophical critique of society.

Sciences humaines et sociales

L’économie du care. Emmanuel Petit. Presses universitaires de France, 2013, 64 p., 6 €

70Le point de vue donné par l’éthique du care a de quoi surprendre les économistes pour qui le monde se caractérise par une très forte rationalité dans laquelle chaque individu tend vers son seul intérêt personnel. Depuis une vingtaine d’années cependant, de nombreux économistes contemporains ont redécouvert, sous la houlette de l’« économie du comportement », les vertus de l’altruisme, du soutien mutuel, de la coopération, de la confiance et de la sensibilité, ouvrant ainsi la voie à une économie plus humaine.

71Dans ce livre, c’est cette autre direction que nous nous proposons de suivre, à la recherche d’une économie humaniste, affective et personnelle. L’économie moderne du comportement peut-elle réellement promouvoir une conception plus active de la politique économique dans laquelle « sollicitude » et « souci d’autrui » seraient un moteur ?

Nicholas Georgescu-Roegen, pour une révolution bioéconomique. Antoine Missemer. ENS Éditions, 2013, 136 p., 13 €

72Sobriété, promotion de l’agriculture biologique, chasse au gaspillage… Ces principes bioéconomiques énoncés par Nicholas Georgescu-Roegen dans les années 1970 ont été à l’origine de l’association communément faite entre ses travaux et le mouvement de la décroissance. Cette affiliation s’avère pourtant réductrice. La participation de Georgescu-Roegen aux premiers débats écologiques et son appel à une réforme profonde de la théorie économique en font un acteur majeur des débats intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle, bien au-delà des controverses de l’écologie radicale.

73La pensée de Georgescu-Roegen, à travers ses inspirations, sa clairvoyance, ses subtilités, mais aussi ses ambiguïtés et contradictions, offre un cadre de réflexion privilégié pour enraciner la réflexion économique dans la dynamique écologique. Cet ouvrage contient par ailleurs la réédition d’un texte méconnu de Georgescu-Roegen publié en 1978, « De la science économique à la bioéconomie », et riche en enseignements dans le contexte des préoccupations environnementales actuelles.

Pour une interprétation littéraire des controverses scientifiques. Yves Citton. Quæ, 2013, 176 p., 12,50 €

74Comment les scientifiques peuvent-ils participer aux controverses dont font l’objet certains développements techniques ? En injectant une sensibilité littéraire dans cette participation ! Telle est la thèse de ce petit ouvrage. Yves Citton propose de remplacer les débats délibératifs, inspirés de Jürgen Habermas et de la philosophie analytique, par des débats interprétatifs, nourris des sensibilités et des outils récents des savoirs littéraires. Ceux-ci permettent d’analyser les enjeux associés à la notion de pertinence et de questionner les jugements formulés au nom de la compétence. Au travers d’illustrations telles qu’un poème d’Henri Michaux ou une déclaration de faucheur volontaire d’OGM, l’auteur souligne la connivence profonde entre la recherche scientifique et l’interprétation littéraire. Et en guise d’ouverture finale, il suggère que notre société mondialisée gagnerait à pratiquer davantage la démocratie littéraire, en « littérarisant » ses dispositifs de communication et de débat.

Pour une sociologie de l’environnement. Environnement, société et politique. Bernard Kalaora, Chloé Vlassopoulou. Éditions Champ Vallon, 2013, 320 p., 24 €

75L’environnement est de plus en plus médiatisé dans la société française contemporaine. Pour autant un hiatus existe entre cette présence médiatique et la place qu’il occupe dans les sciences humaines et sociales en France. En effet, seul un petit nombre de chercheurs, sociologues, politistes, juristes, historiens, pour certains engagés, ont fait de la question environnementale leur thème de prédilection sans toutefois réussir à mobiliser leurs communautés respectives.

76La résistance des sciences sociales à se saisir de cette question apparaît comme une spécificité française liée aux préjugés scientifiques, aux découpages institutionnels et aux conflits disciplinaires. L’environnement y est considéré comme un domaine relevant des sciences biologiques, climatiques, écologiques, géomorphologiques et non comme celui des sciences sociales. Ces raisons expliquent en partie sa relégation au rang d’objet périphérique. Rien de tel dans les pays anglo-saxons où l’environnement dans les sciences sociales occupe une place majeure comme processus dynamique d’interaction entre des facteurs naturels et sociaux.

77Cet ouvrage explore les causes à l’origine de cette relégation de l’environnement en France et les difficultés à faire valoir son existence dans la recherche sociologique et dans l’espace public. Ses auteurs pénètrent dans les arcanes de la construction sociale et politique de l’environnement, fouillant les coulisses de la recherche, des ministères et des grands corps d’État pour comprendre ce particularisme français et les conséquences cognitives et pratiques qui en découlent. Unique en son genre, ce livre est un outil de travail indispensable à tous ceux, étudiants, chercheurs, experts, décideurs qui s’interrogent sur les relations entre société, politique et environnement.

Autres sciences et généralités

Dette. 5000 ans d’histoire. David Graeber. Les Liens qui libèrent, 2013, 621 p., 29,90 €

78Cet ouvrage qui remet en perspective l’histoire de la dette depuis 5 000 ans, renverse magistralement les théories admises. Il démontre que le système de crédit, apparu dès les premières sociétés agraires, précède de loin l’invention des pièces de monnaie. Quant au troc, il n’a toujours été qu’un pis-aller et ne s’est réellement développé que dans des situations particulières ou de crise. La dette a donc toujours structuré nos économies, nos rapports sociaux et jusqu’à nos représentations du monde.

79David Graeber montre que le vocabulaire des écrits juridiques et religieux de l’Antiquité (des mots comme « culpabilité », « pardon » ou « rédemption ») est issu en grande partie des affrontements antiques sur la dette. Or il fonde jusqu’à nos conceptions les plus fondamentales du bien et du mal, jusqu’à l’idée que nous nous faisons de la liberté. Sans en avoir conscience, nous livrons toujours ces combats…

80Selon l’auteur, l’endettement est une construction sociale fondatrice du pouvoir. Si autrefois les débiteurs insolvables ont nourri l’esclavage, aujourd’hui les emprunteurs pauvres – qu’il s’agisse de particuliers des pays riches ou d’États du tiers-monde – sont enchaînés aux systèmes de crédit. « L’histoire montre, explique Graeber, que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dettes – cela crée aussitôt l’illusion que c’est la victime qui commet un méfait. » Trop d’économistes actuels perpétuent cette vieille illusion d’optique, selon laquelle l’opprobre est forcément à jeter sur les débiteurs, jamais sur les créanciers.

81Ils oublient aussi une leçon déjà connue de la civilisation mésopotamienne : si l’on veut éviter l’explosion sociale, il faut savoir « effacer les tablettes »…

Petit éloge de l’incompétence. Michel Claessens. Quæ, 2013, 136 p., 16 €

82Ce petit livre revisite un sujet que nous croyons tous trop bien connaître : l’incompétence. Et pour cause : celle-ci est sans doute la première de nos compétences. Mais il est question ici de cette incompétence que l’auteur appelle « systémique », celle que génère notre société technoscientifique et qui fait qu’un nombre croissant de nos décisions sont prises en « méconnaissance de cause ». Nous n’avons pas encore pris toute la mesure de la technopuissance et de l’incompétence qui lui est associée, et encore moins nous sommes-nous adaptés à cette nouvelle société. Cependant, plutôt que de tirer sur l’incompétent, l’auteur montre que nous aurions intérêt à changer notre fusil d’épaule. Dans une société technoscientifique et globalisée comme la nôtre, les notions de compétence et d’incompétence sont à redéfinir. Plusieurs résultats récents montrent que cette incompétence systémique peut être aussi une voie de progrès. L’incompétence peut être créatrice, et la compétence destructrice. Plus exactement, la « mécompétence » joue aujourd’hui un rôle essentiel, en particulier dans les processus de création et de la gouvernance.


Mise en ligne 02/04/2014

https://doi.org/10.1051/nss/2014007

Notes

  • [1]
    Cette réorganisation de la rubrique en grands champs thématiques est pour l’instant en cours d’évaluation et donc susceptible d’évolution.
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