Notes
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[*]
Auteur correspondant : olivier.godard@polytechnique.edu
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[1]
Acot, P., 2010. Climat, un débat dévoyé ?, Paris, Armand Colin. NB. Un droit de réponse a été proposé à M. Pascal Acot (Ndlr).
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[2]
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, instance d’expertise créée fin 1988 par le programme des Nations unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale. Le Giec a remis à quatre reprises (1990, 1995, 2001, 2007) des rapports faisant le point des connaissances sur les phénomènes de base, sur les impacts et les solutions techniques d’adaptation et sur les aspects socio-économiques (trajectoires d’émissions, coûts des dommages et de la prévention, instruments de politiques d’atténuation).
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[3]
Il y a ainsi comme un écho à la mise en cause des scientifiques du climat qui se réfèrent à l’idée d’élévation de la température moyenne du globe puisque, disent les détracteurs, cette notion de température moyenne ne saurait avoir de sens à une échelle planétaire, compte tenu de l’ampleur des différences distribuées selon les lieux. Comme si, en prenant la planète Terre comme un tout, il n’était pas possible de faire un bilan de ses échanges énergétiques avec son soleil et le cosmos.
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[4]
Voir Godard, O. 2010. Le climat, l’imposteur et le sophiste, Natures Sciences Sociétés, 18, 2, 187-189.
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[5]
En passant, rappelons que c’est Engels qui avait mis en avant le risque d’ignorer les lois de fonctionnement de la nature… : « Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité. » (Engels, F., 1883 [trad. fr. : 1968]. Dialectique de la nature, Paris, Éditions sociales, p. 141 (consultable en ligne, bibliothèque numérique « Les classiques des sciences sociales », Université du Québec à Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/dialectique/dialectique.html).
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[6]
http://sciences.blogs.liberation.fr/files/lettre-6avril.pdf.
- [7]
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[8]
The Energy and Resources Institute : http://www.teriin.org.
- [9]
- [10]
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[11]
Au nombre desquels on trouve malheureusement Axel Kahn et Jean-Marc Lévy-Leblond, éditeur au Seuil du livre climatosceptique de Benoît Rittaud Le Mythe climatique.
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[12]
Les mesures et engagements pris dans la foulée de cette conférence pour l’horizon 2020 sont inférieurs de moitié à ceux nécessaires pour avoir une chance raisonnable d’atteindre l’objectif évoqué dans le texte de l’accord de Copenhague (maintenir l’accroissement de température moyenne du globe à 2 °C par rapport au niveau pré-industriel).
1Il est des livres qu’on regrette d’avoir lus. Le plus souvent, pour le temps perdu infligé par une lecture inutile. Plus rarement, et c’est le cas ici du livre de Pascal Acot [1] et de sa postface persifleuse et venimeuse, mais au style enlevé, signée de Pierre Lévy, le regret est plus profond. Je regrette d’avoir lu ce livre car il a abîmé l’idée que je me faisais de son auteur principal. Je l’avais croisé, lui et son travail, il y a longtemps, lorsqu’il publiait sur l’histoire de la discipline écologique. Je n’avais pas suivi ses travaux plus récents. Paru après la vague climatosceptique exploitée par certains médias français en 2009 et 2010, qui a réussi à troubler l’opinion publique sur la réalité du risque majeur que représente le changement climatique, l’ouvrage était paré d’un titre prometteur. Je me réjouissais par avance de voir un historien des sciences se saisir avec rigueur de ces phénomènes douteux de soi-disant mise en débat public des sciences du climat. En bon connaisseur des sciences, n’allait-il pas contribuer à redresser ce débat que des médias, mais aussi la direction d’établissements de recherche comme le CNRS, ou des membres d’institutions comme l’Académie des sciences, avaient détourné en opération de délégitimation des savoirs disponibles, sous prétexte du respect d’une règle démocratique d’équilibre dans l’expression des points de vue ?
2Au fil d’un texte jalonné d’allusions et de jugements hasardeux mais de plus en plus insistants jusqu’à éclater de façon totalement revendiquée dans la postface du co-auteur, Pierre Lévy, on découvre que le dévoiement dénoncé par les auteurs n’est pas celui qu’on croyait. De manière moins tonitruante qu’un Claude Allègre dénonçant le complot quasi stalinien d’un petit groupe qui aurait pris le pouvoir onusien pour imposer le mythe du changement climatique, les auteurs croient discerner une manipulation idéologique de grande ampleur du débat français et international sur le changement climatique. Ici, les suspects sont toutes les parties prenantes d’un « consensus scientifique » sur la menace climatique qui imposerait à l’opinion un impératif de lutte contre ce changement : scientifiques, experts comme ceux du Giec [2], personnalités médiatiques, gouvernants, médias, grandes entreprises, et parmi les ONG, celles qui promeuvent les changements de comportements des individus en faisant valoir les responsabilités individuelles et le rôle des initiatives personnelles.
3Quels sont les crimes commis par ces acteurs si divers ? Culpabiliser les victimes de l’oligarchie financière en les rendant responsables de la menace climatique et acclimater cyniquement l’idée que « pour sauver le climat », il faudrait que les couches populaires acceptent l’austérité, non seulement en renonçant à vouloir améliorer leurs conditions de vie matérielle actuelles, mais, plus encore, en consentant à voir leur consommation sévèrement amputée, alors, nous dit-on, que la pression sur les salaires n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui depuis l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Les preuves du crime ? Il y a tellement de participants à ce complot idéologique au profit de l’oligarchie que les auteurs ne sont pas des plus clairs sur les imputations. Ces derniers se contentent de mobiliser deux procédés.
4Le premier consiste à dénigrer allègrement des personnalités qui comptent ou ont compté sur la scène du climat. Les auteurs leur imputent hypocrisie et affairisme. Qui sont ces dévoyés-dévoyeurs ? Défilent l’Indien Pachauri, président du Giec, dont la veine romanesque, les prises de position végétarienne et la complaisance supposée avec les milieux d’affaires disqualifient apparemment, aux yeux des auteurs, la solidité du travail du Giec et de ses milliers d’experts ; l’Américain Al Gore, ancien vice-président de son pays et auteur du film An Inconvenient Truth, accusé de fricoter avec les milieux financiers responsables de la crise des subprimes ; le Néerlandais Yvo de Boer, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur le climat d’août 2006 au printemps 2010, accusé de versatilité et surtout d’avoir finalement pantouflé dans un cabinet de conseil international. Il s’agit encore des personnalités de l’écologisme médiatique comme Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand, accusés de jouer de la mièvrerie propre à l’univers des bisounours.
5Le second procédé consiste à faire des rapprochements jugés significatifs. Il en va ainsi de la résonance trouvée entre l’appel aux changements de comportements motivés par la menace climatique et la nécessaire austérité salariale que l’oligarchie financière demande aux naufragés de la société libérale plongée dans la crise économique : et si le discours moralisateur sur le climat n’avait d’autre objet que de faire passer la pilule de l’austérité pour le plus grand nombre ? Si l’on comprend bien les auteurs, il ne faut surtout pas oser écrire que les masses laborieuses occidentales ont, elles aussi, à s’impliquer à due proportion dans la prévention de la menace climatique.
6Ainsi, à leurs yeux le débat est dévoyé parce qu’il globalise, mettant en jeu « l’humanité », « l’homme », concepts creux, nous disent-ils, car ils voilent les inégalités des conséquences entre groupes humains et noient les vraies responsabilités [3]. Il l’est aussi, culturellement, parce que le climat, agencement de processus dynamiques produisant depuis toujours des changements de grande ampleur, s’y trouve réifié en un objet dont l’illusoire stabilité serait vendue comme un dû par nos comploteurs associés ; ou parce que la nature serait sacralisée par le mouvement écologiste ou parce que certaines figures en vue de ce mouvement déclinent le thème de l’amour et du respect plutôt que celui des luttes contre l’oppresseur. Et surtout parce que sous prétexte de lutte contre l’effet de serre, il s’agirait pour l’oligarchie financière d’affaiblir, sur le plan géopolitique, les États progressistes, comme la Russie et le Venezuela, qui utilisent la rente du carbone au service de leur peuple.
7Reprenons les étapes de l’exposé. Un chapitre introductif affirme la pauvreté du débat sur le changement climatique et nous dit tout de go que le débat n’est ni serein, ni honnêtement informé. En phase avec l’auteur sur ce jugement [4], je me trouve en bonne disposition pour lire la suite. Cela ne dure pas longtemps. Ayant égrené quelques évènements récents à ranger dans la catégorie des catastrophes naturelles depuis la canicule de 2003, comme l’éruption du volcan Eyjafjöll en avril 2010, l’auteur en vient à dénoncer l’amalgame entre tous ces évènements, dont certains n’ont rien à voir avec le climat, amalgame dont l’auteur n’apprécie pas qu’il débouche sur l’idéologie de la nécessaire modestie de l’homme face à la nature qui, toujours, « reprendrait ses droits [5] ». Cette réticence est amplifiée plus loin par Pierre Lévy qui s’en prend violemment au thème des limites que l’homme devrait reconnaître, car cette restriction reviendrait à nier aux hommes le pouvoir de créer leur avenir. On débouche ensuite sur une critique moralisante de Rajendra Pachauri, président du Giec depuis 2002. On enchaîne avec la dénonciation de la lettre envoyée au printemps 2010 par 400 climatologues français aux différentes « structures référentes de la recherche scientifique française, face aux accusations mensongères lancées à l’encontre de [leur] communauté » (ministre de la Recherche, direction du CNRS, présidence de l’Académie des sciences, directions d’autres établissements [6]).
8Ainsi introduit, le premier chapitre embarque le lecteur dans une petite histoire du scientisme, comme si c’était de cela dont il était question dans l’épisode rapporté ; ce qui conduit l’auteur à déclarer tout à trac que domine actuellement en France en matière de réchauffement climatique une version molle de la barbarie du scientisme ! Pour étayer son propos, l’auteur s’appuie sur le soi-disant climategate impliquant les chercheurs de l’Université d’East Anglia. Les médias avaient orchestré la dénonciation d’un supposé scandale, en se faisant ici le bras armé d’officines illégales jouant les hackers en disposant d’importants moyens dignes de services secrets. Or, l’affaire s’est dégonflée comme une baudruche, une fois obtenu l’échec de la conférence de Copenhague. Différents rapports d’audits (trois britanniques, un néerlandais et un américain [7]) ont exonéré les chercheurs des accusations de fraudes ou de pratiques antiscientifiques qui auraient altéré la présentation de l’état des connaissances dans leurs publications et dans les rapports du Giec. L’auteur n’hésite pourtant pas, dans sa conclusion (p. 129), à qualifier sans argument cette exonération de « nouvelle imposture intellectuelle ». Tout ça pour affirmer que le débat sur l’origine anthropique du changement climatique est sans issue et jeter le coup de pied de l’âne au principe de précaution, inutilement paralysant, ralentissant l’innovation et masquant les solutions à terme – Jacques Attali et sa Commission de la libération de la croissance française n’auraient pas dit mieux.
9Avec le deuxième chapitre, l’auteur s’en prend à la fois à la communication du Giec et à celle d’établissements comme Météo-France, présentée comme trompeuse et scientiste, et aux conditions de médiatisation de la thématique opérée par quelques personnalités, pour conclure à l’inanité des négociations internationales récentes. Suit un chapitre sur l’éthique environnementale où l’on passe en revue, au pas de course, les romantiques allemands et les fondateurs de l’écologisme américain, pour conclure de façon cavalière au caractère inutile et intellectuellement ruineux de la réflexion écocentrique, tout en avouant « tout cela n’éclaire pas le débat sur le changement climatique », aveu qui fait écho à l’interrogation du lecteur sur la présence de ce chapitre dans ce livre.
10Vient un chapitre dénonçant l’implication du monde économique dans les mécanismes de limitation des émissions de gaz à effet de serre et la promotion d’énergies alternatives. Cela commence par une mise en cause du WWF, à la fois pour la personnalité douteuse de certains de ses fondateurs, pour les partenariats noués avec de grandes entreprises et pour sa stratégie « commerciale ». Suit une description-dénonciation, peu argumentée, des marchés de quotas d’émissions de CO2, qui se conclut sur une interrogation qui se veut profonde : « est-il rationnel que l’avenir climatique de la planète se joue à la corbeille des Bourses de valeurs ? » (p. 85), en oubliant que ce n’est pas le marché qui définit le plafond de quotas mais les autorités publiques nationales, européennes et, un peu, internationales.
11Le chapitre 5 est consacré aux « illusions politiciennes », celles de l’empreinte écologique qui vise à culpabiliser les individus, celles des Tartuffes du réchauffement (Al Gore), celles de l’idéologie du capitalisme bienfaisant de Barack Obama, celles du Grenelle de l’environnement. Le suivant stigmatise les « solutions inquiétantes », celle du capitalisme vert et de la croissante verte, coupables de vouloir transformer les contraintes du développement durable en avantage compétitif pour les entreprises. Les initiatives publiques ne sont pas épargnées pour autant, puisqu’elles sont supposées soumises aux intérêts de la même oligarchie. C’est ainsi que la taxe carbone avortée en France en 2010 pour cause d’échec électoral, est présentée par l’auteur comme le moyen « de faire payer les pauvres ». Mais comment l’auteur a-t-il pu oublier que le montant de la taxe carbone payée par les ménages sur leurs émissions propres de CO2 devait leur être restitué de façon forfaitaire, en tenant compte de leurs lieux de résidence et de l’offre disponible de moyens de transports publics ? Il s’agissait bien d’un moyen d’incitation via le changement des prix relatifs, mais maintenant les niveaux de revenu par cette redistribution. Le principe pollueur-payeur est aussi maltraité : il est dénoncé pour ses « effets pervers », qui ne sont que les qualités attendues par les économistes : servir de repère pour calibrer les investissements dans les techniques propres, intégrer des coûts externes dans la formation des coûts de production et des prix, et transmettre un signal prix le long des chaînes de valeurs jusqu’au consommateur final afin d’influencer ses choix et de concilier ces choix privés avec les priorités collectives.
12Le chapitre de conclusion se demande si on peut sortir de l’impasse. Il commence par mettre en charpie l’idée de la possibilité d’un capitalisme éthique, souligne les possibilités immenses de la technologie, marque son scepticisme sur l’écologie industrielle, vante les possibilités d’une architecture et d’un urbanisme renouvelé, clame qu’il faut mettre fin au pillage du « tiers-monde » et pose comme question centrale la possibilité de mettre les démagogues à l’écart des affaires de la cité. Je partage certainement la dernière interrogation.
13La postface de Pierre Lévy, dont Pascal Acot doit bien approuver les orientations, défend une vision prométhéenne de l’homme avec des formules qu’on n’imaginait plus possibles :
Et si l’aspiration à la préservation de la nature n’était qu’une formidable invite à la régression au regard de l’histoire des sociétés humaines ? En un sens elle pourrait bien constituer la négation de l’humanité même. Cette dernière a pour essence de transformer la nature. » (p. 142). « Ceux qui tournent le dos à Prométhée considèrent en substance que les hommes de demain seront incapables de relever les défis qu’ont lancés ceux d’aujourd’hui. Pour la première fois les générations futures se voient nier leurs capacités à trouver, inventer, imaginer, faire face (et lancer de nouveaux défis). Depuis quelques milliers d’années, on a été capable de résoudre les problèmes laissés par nos parents et grands-parents. Jusqu’à notre génération. Mais les suivantes ne le seront plus. » (p. 143).
15En clair, c’est tout l’honneur des générations ayant vécu au XXe siècle et durant la première décennie du suivant, d’avoir lancé un exaltant défi aux générations futures en saturant l’atmosphère de gaz à effet de serre… On y apprend aussi que les tentatives pour fixer un cadre d’action internationale sur le climat n’ont d’autre objet que d’entraver les initiatives des peuples pour se libérer et que le projet de réduire les émissions de gaz à effet de serre a pour première motivation d’affaiblir les peuples qui cherchent à se développer grâce à la détention et à la vente de leurs ressources en hydrocarbures. Bref, cette histoire de lutte contre le changement climatique a été inventée pour nuire à Chavez et à Poutine.
16Ce livre, fait d’à peu près, de condamnations et de jugements saturés d’idéologie (pas d’issue sans renverser le capitalisme, ce qui n’est pas à l’ordre du jour, déplorent les auteurs), tranche sur des sujets que l’auteur principal ne connaît pas bien, et s’en tient souvent, étonnamment pour un historien, à une version superficielle et médiatique des faits. Loin de remettre le débat sur le climat sur ses pieds, il contribue encore plus à le dévoyer et à désinformer l’opinion. On serait en particulier en droit d’attendre de l’historien qu’il se soucie de recouper les informations avancées et de présenter honnêtement les faits mobilisés à l’appui de ses affirmations et jugements. On en est loin, comme le montre le traitement infligé à Pachauri et à la Lettre des 400 sur lequel je reviens brièvement.
17Rappelant que la formation initiale de Pachauri en a d’abord fait un ingénieur des chemins de fer, avant qu’il reçoive une formation d’économiste, l’auteur tranche : « cela donne du grain à moudre à ceux qui considèrent que le Giec est une institution plus politique que scientifique » (p. 15). Étonnant ! Serait-ce donc que les économistes ne sont pas des scientifiques ? Acot ignore-t-il que le Giec est composé de trois grands groupes, le troisième étant confié aux économistes pour l’analyse des enjeux socio-économiques et des instruments de politique ? Pourquoi, après deux présidents (Bert Bolin et Robert Watson) relevant des disciplines naturelles (météorologie et chimie de l’atmosphère), le Giec n’aurait-il pas pu être légitimement présidé par un économiste spécialiste des questions énergétiques ? L’auteur affirme que Pachauri cumule des fonctions (non précisées) dans des sociétés indiennes pétrolières et électriques, puis se moque de son choix végétarien qu’il voit comme une sorte de compensation démagogique pour son hubris carbonée. Il note que Pachauri préside un institut, le TERI [8], dédié aux ressources et à l’énergie, y compris dans le renouvelable et affirme à cette occasion que le Giec est « l’un des principaux promoteurs mondiaux des énergies renouvelables », laissant entendre qu’il y a là un conflit majeur d’intérêts. Mais d’où Acot tient-il que le Giec est le promoteur de certaines techniques alors que son Groupe II envisage le spectre des options techniques, mais ne fait aucune recommandation ? Pense-t-il que le président du Giec est en mesure d’imposer des contenus aux scientifiques qui produisent les rapports de cette instance d’expertise intergouvernementale ? Enfin, Acot met en rapport le fait que la société BP a financé le gala de lancement du roman publié par Pachauri avec l’incendie ultérieur de la plateforme pétrolière de cette société dans le golfe du Mexique, pour conclure : « Tout cela fait beaucoup et ne crédibilise ni le Giec, ni les travaux accomplis sous l’égide de cette institution : dans ces domaines, sensibles, les rapprochements sont éloquents et meurtriers. En tout cas, nous sommes très loin du souci de la planète, avec cet affairiste dispersé à la tête d’une institution qui se retrouve au cœur d’un cyclone médiatique ». L’attaque est personnelle et la condamnation est définitive. La vérité est la suivante : à la suite de l’erreur – volontaire, dirent certains – concernant la date possible de fonte totale des glaciers de l’Himalaya dans le rapport du Giec de 2007 (2035 au lieu de 2350), des rumeurs circulant sur le net ont été reprises par la presse : Pachauri cumulerait par millions les revenus divers tirés de ses activités de consultant et serait royalement payé du fait de sa position de président du Giec et de récipiendaire du prix Nobel ; ce serait donc, comme le dit Acot, un arriviste cynique et dévoyé mobilisant le catastrophisme climatique pour faire fortune. Un audit a été réalisé par le cabinet KPMG. De son rapport remis le 25 mars 2010 [9], il ressort que les rémunérations des activités d’enseignement et de consultant de Pachauri ont été soit versées directement à l’institut TERI, soit remboursées intégralement par l’intéressé ; que son salaire annuel personnel est équivalent à celui d’un directeur de recherche au CNRS en fin de carrière ; et qu’il ne bénéficie d’aucune rémunération pour ses fonctions à la présidence du Giec. Pour un affairiste trouble, on pourrait faire mieux. Tant et si bien que, de façon tout à fait rarissime, le Daily Telegraph a publiquement présenté le 21 août 2010 ses excuses à Pachauri pour s’être fait le relais fin 2009 de ces accusations dénuées de fondement [10]. Voilà pour le sérieux de l’historien Acot.
18Ce n’est guère mieux avec la lettre des 400. Considérant que « Les accusations publiques sur l’intégrité des scientifiques du climat sortent des cadres déontologiques et scientifiques », ces derniers demandaient à leurs destinataires d’exprimer publiquement « leur confiance vis-à-vis de [leur] intégrité et du sérieux de [leurs] travaux. Au vu des défis scientifiques posés par le changement climatique, [ils étaient] demandeurs d’un vrai débat scientifique serein et approfondi ». Contrairement à ce que beaucoup de commentateurs malhonnêtes ou peu soucieux de s’informer [11] ont dit et écrit, les chercheurs ne demandaient nullement à l’autorité politique de trancher une controverse scientifique. Puisque Claude Allègre et Vincent Courtillot les accusaient de mensonges, de manipulations et de pratiques contraires à l’éthique scientifique, eux qui étaient orfèvres en la matière, alors que les chercheurs ne cessent d’être évalués sous toutes les coutures par les institutions de recherche, ils demandaient simplement que leurs autorités hiérarchiques, responsables du bon fonctionnement de la recherche publique, ne se réfugient pas dans un silence ambigu. Par ailleurs, ils se disaient prêts pour un débat scientifique approfondi et serein, qu’ils n’ont finalement pas eu : le débat à huis clos tenu à l’Académie des sciences sur une seule journée en septembre 2010 n’a été ni serein, ni approfondi, ni organisé sur la base des compétences scientifiques sollicitées par les sciences du climat. Que dit Acot ? Il fait semblant de croire que les 400 demandaient à la ministre de la Recherche de trancher le débat scientifique, se dit stupéfait de cette naïveté, dit s’inquiéter de tout ce qui peut ressembler à une science officielle et, comme Allègre et d’autres climatosceptiques (Rittaud, Godefridi), en vient à invoquer l’affaire Lyssenko, pour s’étonner que la démarche des 400 n’ait pas suscité l’indignation générale.
19C’est sur de telles prémisses biaisées que l’auteur se proposait d’identifier les obstacles à un débat serein sur le climat ! Au-delà de ces indélicatesses avec les faits et du caractère insupportable du mépris affiché pour des personnes supposées faire alliance avec l’ennemi de classe ou en tirer profit, au-delà d’une idéologie sommaire – chacun est libre de choisir la sienne – ce qui frappe tient en deux points. D’abord, le rapport entre les sciences du climat et la structuration d’un débat public sur l’action à engager, annoncé par le titre, n’y est pas traité : l’auteur n’aborde pas au fond les questions posées aux sociétés contemporaines par l’état actuel des connaissances sur le risque climatique. Ensuite, les positions de l’auteur sont remarquablement frappées d’inconsistance. Ainsi, traite-t-il de scientiste la manière dont les politiques publiques évoquées ou décidées s’articulent aujourd’hui au diagnostic scientifique, bien que « le spectacle navrant » de la conférence de Copenhague ne confirme vraiment pas un tel jugement [12]. Alors, devrait-il se réjouir que des personnalités non scientifiques comme Al Gore ou Nicolas Hulot, des ONG, des milieux d’affaires s’emparent du problème. Eh bien non ! Ce serait le cœur du dévoiement. De même, critique-t-il sévèrement cette « constante de la pensée écologiste, qui sépare les êtres humains de la nature en les plaçant comme en position de face à face avec elle » (p. 52). L’auteur nous dit que « c’est contraire aux faits, puisque la “Nature” est modifiée par les pratiques humaines et que les êtres humains en sont issus ». Mais que lui prend-il plus loin au moment de régler ses comptes avec l’éthique environnementale écocentrique, lorsqu’il affirme tout aussi péremptoirement : « Cette dissolution de l’humanité dans la nature est devenue une constante de la pensée écologiste » (p. 67). Séparation ou dissolution, il faudrait choisir sa constante…
20L’ouvrage Climat, un débat dévoyé est publié dans une série intitulée « Libertés d’historien ». Il aurait mieux valu que Pascal Acot s’en tienne aux règles de son métier.
Date de mise en ligne : 05/02/2012
Notes
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Auteur correspondant : olivier.godard@polytechnique.edu
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Acot, P., 2010. Climat, un débat dévoyé ?, Paris, Armand Colin. NB. Un droit de réponse a été proposé à M. Pascal Acot (Ndlr).
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Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, instance d’expertise créée fin 1988 par le programme des Nations unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale. Le Giec a remis à quatre reprises (1990, 1995, 2001, 2007) des rapports faisant le point des connaissances sur les phénomènes de base, sur les impacts et les solutions techniques d’adaptation et sur les aspects socio-économiques (trajectoires d’émissions, coûts des dommages et de la prévention, instruments de politiques d’atténuation).
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[3]
Il y a ainsi comme un écho à la mise en cause des scientifiques du climat qui se réfèrent à l’idée d’élévation de la température moyenne du globe puisque, disent les détracteurs, cette notion de température moyenne ne saurait avoir de sens à une échelle planétaire, compte tenu de l’ampleur des différences distribuées selon les lieux. Comme si, en prenant la planète Terre comme un tout, il n’était pas possible de faire un bilan de ses échanges énergétiques avec son soleil et le cosmos.
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[4]
Voir Godard, O. 2010. Le climat, l’imposteur et le sophiste, Natures Sciences Sociétés, 18, 2, 187-189.
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[5]
En passant, rappelons que c’est Engels qui avait mis en avant le risque d’ignorer les lois de fonctionnement de la nature… : « Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité. » (Engels, F., 1883 [trad. fr. : 1968]. Dialectique de la nature, Paris, Éditions sociales, p. 141 (consultable en ligne, bibliothèque numérique « Les classiques des sciences sociales », Université du Québec à Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/dialectique/dialectique.html).
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[6]
http://sciences.blogs.liberation.fr/files/lettre-6avril.pdf.
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[8]
The Energy and Resources Institute : http://www.teriin.org.
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[11]
Au nombre desquels on trouve malheureusement Axel Kahn et Jean-Marc Lévy-Leblond, éditeur au Seuil du livre climatosceptique de Benoît Rittaud Le Mythe climatique.
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[12]
Les mesures et engagements pris dans la foulée de cette conférence pour l’horizon 2020 sont inférieurs de moitié à ceux nécessaires pour avoir une chance raisonnable d’atteindre l’objectif évoqué dans le texte de l’accord de Copenhague (maintenir l’accroissement de température moyenne du globe à 2 °C par rapport au niveau pré-industriel).