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Article de revue

Le captage et le stockage du carbone, entre nécessité et réalisme

Pages 56 à 61

Notes

  • [1]
    Une centrale à charbon moderne de 600 MW émet autour de 1,5 million de tonnes de CO2 par an.
  • [2]
    Sans azote, les produits de combustion sont surtout de l’eau et du CO2. Par condensation de l’eau, on obtient alors des fumées composées essentiellement de CO2.
  • [3]
    On compte, pour le transport, 2 €/t pour 100 km et, pour le stockage dans de grands aquifères salins, un éventail de coûts très divers, avec une moyenne se situant plutôt autour de 5 €/t.
English version

1Les exercices de prospective énergétique ne laissent aucun doute sur la nécessité de recourir encore long-temps aux combustibles fossiles. La croissance des besoins énergétiques des grands pays émergents et les difficultés considérables d’infléchissement des consommations des États-Unis représentent deux contraintes fortes. Même des réductions drastiques de consommation d’énergie grâce au recours à des technologies très efficaces ainsi qu’au remodelage progressif des infrastructures ne seront pas suffisantes pour décarboner l’économie mondiale. Les consommations de combustibles fossiles demeureront importantes pour les transports, mais aussi pour les grandes productions industrielles et énergétiques. De surcroît, les énergies renouvelables, par nature peu denses, se heurteront à un moment à des limites économiques et à des problèmes d’occupation de l’espace. Quant aux promesses du nucléaire, elles auront du mal à se concrétiser à très grande échelle pour des raisons d’acceptation sociale dans les sociétés démocratiques, mais aussi à cause de l’hyper-complexité de la filière, source d’investissements risqués peu propices à attirer la sympathie des financiers.

2Les technologies non carbonées – ce que l’on a appelé aux États-Unis « les cales technologiques de stabilisation » (Hoffert et al., 2002 ; Pacala et Socolow, 2004) – auront nécessairement un rôle à jouer pour tenter de stabiliser la teneur de l’atmosphère en CO2. Le captage du carbone pour son stockage est une de ces « cales de stabilisation ». La conduite à tenir à son égard doit être doublement réaliste. D’une part, le captage et le stockage du carbone (CSC) sont une option possible ; il est indispensable de l’envisager, d’en mesurer les potentialités – que l’on a encore du mal à évaluer avec rigueur ; on sait déjà qu’environ 20 %, ou guère plus, du CO2 total pourront effectivement être récupérés (Bataille et Birraux, 2006, p. 346), et seul le captage des installations fixes, qui plus est d’une certaine taille, sera susceptible de rencontrer le critère d’économicité. D’autre part, il ne faut pas occulter les difficultés technologiques, industrielles, financières, environnementales et sociales que rencontrera le développement de ce système technologique qui ne pourra être que tiré longtemps par des politiques publiques.

Ne pas rejeter le CSC

3Le World Energy Outlook de 2009 de l’Agence internationale de l’énergie (IEA, 2009a) montre que le CSC est un élément important de l’éventail des solutions à mettre en œuvre d’ici 2050, aux côtés des autres options non carbonées (renouvelables, nucléaire) et de l’efficacité énergétique. C’est une option qui serait particulièrement appropriée pour les sources fixes d’émissions dans les industries de transformation (aciéries, cimenteries, raffinage) et la production électrique. Elle compterait en gros pour 15 % des réductions d’émission de CO2 en 2050 par rapport au scénario au fil de l’eau, avec un décollage commercial effectif à partir de 2030. La majeure partie des réductions s’effectuerait dans la production électrique, sachant que celle-ci est responsable d’environ 40 % des émissions mondiales de CO2 en 2010 et le sera pour 46 % en 2030 (IFP, ADEME, BRGM, 2007, p. 10) [1].

4C’est donc une solution qui a trouvé une vraie légitimité dans la communauté des technologues et des experts énergéticiens. Les modèles économiques utilisés pour la prospective énergétique identifient bien l’importance de l’enjeu du côté des pays qui combinent une dotation très importante en ressources de charbon et une démographie très forte (l’Inde, la Chine, l’Indonésie, l’Afrique du Sud) ou une tradition de surconsommation (les États-Unis, très gaspilleurs d’électricité). C’est là où les opportunités principales de développement du CSC se dessinent. Mais toutes les économies, dont les européennes, auront intérêt à utiliser le CSC pour les grandes sources d’émissions, surtout dans les cas où l’option nucléaire affronte toujours de fortes contraintes politiques et de risque financier.

5Avec les projections de baisse de coûts des procédés de captage résultant du cumul d’expériences d’installation et d’exploitation, les modèles économiques montrent qu’un prix du carbone de 30 à 50 €/t de CO2 serait suffisant pour tirer le développement commercial de ces techniques à partir de 2025–2030. Avec un bon millier de systèmes de captage sur de grosses centrales électriques et de grandes installations avant 2050, la limitation des émissions pourrait alors atteindre, grâce au CSC, 1 milliard de tonnes de CO2 sur les 8 milliards de tonnes de réduction atteignables à cette date (Pacala et Socolow, 2004). Ces ambitions sont-elles réalistes ?

Un nouveau système technique à mettre en place

6Il convient de se défier des annonces superficielles qui promettent, sans argumenter, la rentabilité et la généralisation du CSC pour bientôt : « Passé la petite dizaine d’années encore nécessaire à l’amorçage des filières industrielles, un prix du carbone assez modique rendra économiquement rentable la généralisation du captage et du stockage du CO2 dans la génération électrique » (de Perthuis, 2009, p. 198). Ce genre de points de vue occulte autant les imperfections du signal du prix du carbone, sur lesquelles nous reviendrons, que les incertitudes des technologies de captage et les contraintes de développement des infrastructures de stockage et de transport. Ce n’est pas comme cela qu’un nouveau système technique particulièrement complexe se met en place, sous l’effet exclusif d’anticipations d’un prix du carbone à long ou très long terme dont le signal serait supposé parfait.

7D’autant plus que le CSC est loin de s’assimiler à une technique souple, divisible, standardisable, indépendante d’infrastructures à installer et neutre socialement, comme peuvent l’être d’autres innovations énergétiques récentes, comme les centrales à gaz en cycle combiné peu capitalistiques, standardisées et particulièrement performantes. La preuve en est que, quand on a commencé à sortir la technologie du CSC des cartons dans les années 1990, on pensait qu’elle pourrait se développer commercialement dès la décennie 2010, alors qu’aujourd’hui on en est tout juste à l’étape de réalisation de petits démonstrateurs reliés à de petits stockages en proximité. Les instances principales de promotion de son développement (le GIEC, l’AIE avec son programme spécifique, l’Union européenne, les États-Unis) ne peuvent que constater le retard de développement des projets de démonstration et prévoient plutôt l’accès au stade commercial après 2025–2030 (voir, par exemple, IEA, 2010). Sur les 69 projets de captage de CO2 au plan mondial, il n’y en a que 7 qui soient aujourd’hui opérationnels, et uniquement à une échelle pilote (Herold et al., 2010, p. 10). Il y a donc encore loin de la coupe aux lèvres.

8Les technologies de captage ne sont pas mûres. Les efforts de R&D et de démonstration coûtent cher, avec des investissements unitaires élevés et des temps d’installation étirés, alors qu’on a besoin de plusieurs étapes de démonstration avec des équipements de grande taille. Les capacités de stockage sont à identifier, leur développement à accepter par les populations locales. Des règles de responsabilité juridiques claires sont à définir, ce qui commence à se construire ici et là. Enfin, des installations de transport sont à mettre en place. De plus, les développements ne se feront pas nécessairement en premier dans les pays qui en auraient le plus besoin comme la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud ou d’autres futurs pays émergents, faute d’implication dans un accord climatique contraignant et de maîtrise de la technologie, faute aussi de reconnaissance du CSC comme technologie éligible au mécanisme de développement propre pour faciliter les coopérations (Bakker et al., 2010). La Chine, qui produira encore 80 % au moins de son électricité par son charbon en 2020, préfère pour l’heure miser sur l’amélioration des rendements des nouvelles centrales (passage de rendements de 35 % à 45–50 % avec des cycles hypercritiques). Confiante dans sa capacité à absorber des technologies complexes, elle se met en position d’attente pour transférer les technologies de captage quand elles auront été mises au point ailleurs, ce qui ne l’empêche pas de revendiquer des subventions pour le transfert de technologies, ainsi que des facilités de transfert de brevets lors des négociations.

Le CSC compétitif à quel prix ?

9Premier maillon de la filière CSC, les technologies de captage, sur lesquelles travaillent les constructeurs et les chimistes, ne sont pas vraiment « sur l’étagère ». Elles sont de trois types. La plus proche de la maturité technique est la postcombustion, qui consiste à ajouter à un équipement émetteur (centrale charbon, cycle combiné à gaz, aciéries, etc.) un extracteur de CO2, notamment par le procédé chimique Amine principalement utilisé actuellement. Cette technologie sera applicable aux équipements en place. La seconde est un procédé de précombustion, qui s’ajoute à une technique déjà complexe, où l’on gazéifie le charbon en hydrogène (H2) et oxyde de carbone (CO) avant de les brûler séparément (Integrated Gasification Combined Cycle ou IGCC). La troisième technique à l’étude est l’oxycombustion, dans laquelle un certain nombre de constructeurs mettent beaucoup d’espoir ; elle consiste à séparer l’oxygène de l’azote atmosphérique avant la combustion. La combustion est alors réalisée avec de l’O2 à la place de l’air. On obtient ainsi un courant de CO2 concentré, facile à séparer en fin de combustion [2]. Les incertitudes ne sont pas les mêmes pour chacune des trois technologies, mais aucune ne présentant d’avantages ou d’inconvénients déterminants, elles devraient toutes trois cohabiter (Gibbins et Chalmers, 2008 ; Rubin et al., 2007 ; IEA, 2006). La postcombustion sera sans doute utilisée pour adapter les équipements neufs actuels ou en construction, faute de technologies de captage disponibles actuellement au stade commercial.

10Second maillon, le transport est une technique maîtrisée, mais seulement à une échelle limitée. Il existe déjà aux États-Unis un réseau de transport de CO2 depuis des gisements naturels de CO2 vers des puits de pétrole et de gaz naturel pour faciliter la récupération assistée. Il faut pour ce faire des gazoducs spécifiques, résistant à la corrosion d’un gaz acide et supportant des pressions plus élevées que ceux utilisés pour le gaz naturel, qui est neutre et beaucoup plus léger. Le développement à grande échelle du CSC nécessitera l’installation de toute une infrastructure en fonction de la localisation des sources et des stockages. On peut aussi envisager de le transporter vers des stockages en offshore par bateau après liquéfaction.

11Dernier maillon de la filière, le stockage peut se développer dans un certain nombre de structures géologiques : anciens gisements de pétrole et de gaz naturel, couches de charbon profondes et aquifères salins profonds, ces derniers présentant le plus de potentiel. Cette étape nécessite une bonne connaissance géologique des sites, une maîtrise des évolutions possibles des roches au contact du gaz et de l’étanchéité des structures géologiques de stockage. Le CO2 étant perçu comme un déchet destiné à être stocké à une échelle de temps considérable, le développement des stockages sur les continents fait l’objet de problèmes d’acceptation sociale (Chaffin, 2010), source d’incertitude pour le développement des investissements en captage et en réseau de transport. La réponse pourrait être le stockage dans des structures sous-marines, ce qui impliquera des coûts d’acheminement plus élevés. Enfin, le potentiel mondial de stockage est considéré comme n’étant pas illimité, ce qui ne fait du CSC qu’une option de transition (IPCC, 2005 ; Dooley et al., 2004).

12D’un point de vue économique, l’équipement avec captage est plus coûteux à l’investissement que l’équipement sans captage (de 30 à 50 % au minimum pour les premiers équipements de taille commerciale construits vers 2020, de 25 % environ après 2030 avec l’expérience accumulée), et son rendement de transformation baisse au niveau de 26–32 %, au lieu de 35 ou 40 %, respectivement pour une centrale charbon moderne ou une centrale IGCC. Il ne piège pas totalement le CO2 (90 à 95 %) (IEA, 2009b). De plus, il faut rajouter les coûts de transport et de stockage qui, avec le coût des infrastructures qui seront développées, vont augmenter, en régime commercial, au minimum de 20 % le coût de la tonne de CO2 évité [3] (IPCC, 2005 ; IEA, 2009b). Tous ces coûts supportent aussi divers types de risques auxquels les investisseurs seront confrontés, et sur lesquels les politiques devront agir pour les réduire significativement.

13Ce qui conduit à poser l’équation de compétitivité de la technologie en phase commerciale dans les termes suivants : sous l’hypothèse d’un prix du carbone issu d’un marché de permis d’émissions, est-ce que le surcoût d’investissement plus le surcoût de combustible dû au moindre rendement de transformation peuvent être inférieurs aux dépenses en permis CO2 que le producteur sans captage devra supporter au niveau de ses coûts d’exploitation ? C’est ainsi qu’avec des projections de prix du CO2 compris entre 30 et 50 € la tonne, ces technologies seraient compétitives vers 2030, sous la condition que l’expérience cumulée des premières réalisations de taille commerciale permette de faire baisser radicalement les coûts d’investissement. Autrement dit, une centrale électrique charbon avec CSC en régime commercial produirait un kWh environ 50% plus cher qu’une centrale ordinaire sans permis d’émissions (6 c€/kWh au lieu de 4), mais la différence serait compensée par les dépenses d’achat de permis que devrait réaliser cette dernière (à 40 € la tonne de CO2, une centrale charbon accuse une hausse de coût de production d’environ 2 c€/kWh).

14En l’absence de réalisation de projet de démonstration de taille commerciale, il reste impossible de poser avec rigueur l’équation de la compétitivité. Les chiffres les plus récents venus des États-Unis laissent penser que les effets d’apprentissage ne joueront pas si facilement et que la compétitivité sera bien difficile à atteindre (Anderson, 2010). Le captage et le stockage pourraient augmenter le coût de production de l’électricité de 75 à 80 % par rapport à une centrale charbon normale sans prix du carbone. La technologie ne deviendrait compétitive qu’avec un prix de la tonne de CO2 de 60 $ (Integrated Gasification Combined Cycle ), 95 $ (Pulverized Coal ) et 114 $ (Natural Gas Combined Cycle ). De plus, la nouvelle abondance de gaz naturel aux États-Unis et sur le marché mondial, créée par l’émergence de productions peu chères de gaz de schistes, est en train de redonner un second souffle à la production électrique à base de ce combustible deux fois moins émettrice que les centrales à charbon modernes.

Des obstacles encore considérables

15La technologie CSC n’est donc pas parée pour prendre le large prochainement. Il faudra auparavant résoudre les incertitudes sur les techniques et surmonter la barrière des coûts d’apprentissage, ainsi que les obstacles financiers inhérents aux investissements dans une technologie de grande taille et intensive en capital. Avec ce type de technologie, les dynamiques d’apprentissage sont ralenties par les temps longs de réalisation des grands prototypes et, plus tard, des têtes de série, ce qui retarde les retours d’expérience. Les effets de série sont eux-mêmes difficiles à concrétiser. Enfin, la croissance des tailles sur les équipements avec captage, sur les canalisations et sur les capacités de stockage accroît les risques de l’investissement (Newbery et al., 2009).

16Une difficulté supplémentaire est liée à l’imbrication des équipements de captage dans toute une infrastructure en transport et en capacité de stockage qu’il faut parvenir à développer de façon coordonnée (MIT, 2007). Cette complémentarité des différents maillons, qui sont chacun soumis à diverses incertitudes d’ordre technologique, social, juridique et économique sur des échelles de temps différentes, introduit pour les investisseurs en captage des incertitudes supplémentaires. Pour un investissement dans une unité de 500 MW avec captage, qui coûterait déjà 1 milliard d’euros, les coûts et les risques de développement conjoint d’une capacité de stockage suffisante et de connection à celle-ci sont importants pour l’économie d’ensemble du projet. L’idéal serait, dans un pays où il y a beaucoup de grandes sources stationnaires d’émissions de CO2 et des structures géologiques identifiées, que la décision d’investir en captage soit « standardisée », dans le sens où l’investisseur aurait juste à acheter des droits d’accès à un réseau de pipelines, ainsi qu’à une capacité de stockage pendant tout ou partie de la durée de vie de son installation émettrice de CO2. On devine que les coûts et les risques seront plus élevés dans le cas d’une coordination faible dans le développement des sources de CO2 capté, des canalisations de transport et des capacités de stockage que dans le cas d’une coordination stricte (Bielicki, 2008 ; Heuvel, 2008).

17De façon plus prosaïque, les obstacles concrets au déploiement des systèmes CSC, après la phase de démonstration des équipements, résulteront des difficultés à décider d’investir en captage en régime de marché alors que les risques et les coûts ne pourront pas être reportés sur les consommateurs, contrairement à l’ancien système des monopoles électriques. Étant donné que les équipements sont capitalistiques (1 milliard par unité équipée de captage), les décisions seront très sensibles au profil de risques des projets : 1) risque technologique si la technologie n’est pas encore bien maîtrisée, 2) risque associé à la difficulté de se connecter à un stockage quand il y aura incertitude sur l’acceptation sociale des projets et concurrence pour accéder aux sites déjà en activité, mais aussi 3) risques inhérents au marché électrique libéralisé.

18On ajoutera un point fondamental, l’inefficacité du signal-prix du carbone sur l’orientation des choix technologiques, du fait de l’imprévisibilité à long terme des dispositifs de permis échangeables et de leur mise en place dans diverses régions du monde. Cette situation dissuade et dissuadera les investissements dans les technologies non carbonées qui sont intrinsèquement capitalistiques (CSC, nucléaire, éolien offshore, etc.). De plus, il est fort peu probable que l’on bascule dans le futur vers un système de taxe carbone élevée (Damian, 2010). On ne peut donc se référer aux histoires simples que racontent les modèles de prospective selon lesquels les technologies non carbonées, dont le CSC, se développeraient sous le seul effet du prix du carbone et des contraintes de plus en plus strictes d’émissions. C’est donc aux États de financer une partie des équipements de démonstration et, par la suite, d’aider les premiers équipements commerciaux, en limitant les risques, en clarifiant les responsabilités juridiques, en facilitant l’implication des parties prenantes dans les décisions de stockage, mais aussi en organisant les coordinations entre acteurs pour le développement des réseaux (Finon, 2010).

La nécessité de politiques de démonstration et de déploiement

19Sous l’effet de la vague libérale, les politiques technologiques reposent sur le principe que les agents privés n’auraient qu’à financer eux-mêmes le développement de leurs innovations d’amélioration des technologies en place, dès lors qu’ils anticipent des débouchés suffisamment rémunérateurs. Pour la démonstration et le déploiement du CSC, l’État devra cependant intervenir fortement et longtemps.

20En raison d’une perception défavorable de la technologie du CSC comme technologie « end of pipe »d’adaptation (par rapport, par exemple, aux grandes centrales solaires à concentration, perçues comme une innovation de rupture), il a fallu de nombreux débats pour que des programmes de démonstration d’ambition croissante commencent à être financés significativement par les instances publiques en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. La récente directive européenne de 2009 (European Parliament and Council of the European Union, 2009) crée, par exemple, un système d’attribution gratuite de permis (qui seront donc revendables par les investisseurs en CSC) à hauteur de 300 millions d’euros pour huit à douze projets de démonstration. De même, le budget européen de relance va distribuer une enveloppe d’1 milliard d’euros à au moins huit d’entre eux. Les États membres vont compléter l’aide publique à ces projets, notamment le Royaume-Uni, qui prévoit d’en soutenir quatre, en garantissant le prix du CO2.Aux États-Unis – où le Congrès américain n’a pas encore pu voter de loi sur l’énergie et le climat, ce qui gêne la mise en œuvre d’une politique technologique d’ensemble – les programmes de démonstration n’en ont pas moins pris de l’ampleur après l’arrivée de l’administration Obama : quatre projets vont recevoir un financement massif (4 milliards de dollars) grâce au plan de relance, mais on estime qu’il faudrait le double de projets pour avancer.

21Les législations ont aussi commencé à évoluer. Allant au-delà des règles découlant du régime de Kyoto, les futurs équipements d’unités de captage sont désormais considérés comme non émetteurs (carbon free ) et ne seront pas soumis au régime des quotas, selon la directive européenne de 2009. Pour ne pas fermer les options et compte tenu des délais de mise au point des techniques de captage, la directive oblige toute nouvelle centrale à combustible fossile à prévoir l’adjonction d’une unité de captage (le retrofitting ), lorsque les technologies seront prêtes. Le stockage de CO2 commence également à faire l’objet d’une nouvelle législation pour déterminer les règles de sécurité et organiser le transfert de responsabilité vers les États après des décennies d’injection de CO2 dans un stockage.

22La grande question qui se posera prochainement est l’organisation du déploiement commercial vers 2020–2030, car les équipements tête de série et, sans doute, les suivants seront non compétitifs. Lors de la préparation de la directive 2009, la Commission européenne considérait dans son étude d’impact qu’aucune aide directe ou indirecte n’était justifiée du fait de l’incitation par le prix du carbone. Mais l’accord est encore loin d’être établi sur ce point. Les économistes qui sont convaincus de la rationalité d’un appui s’opposent sur plusieurs solutions : imposer une norme d’émissions très basse sur toute nouvelle centrale électrique à partir d’une date précise pour obliger à investir en CSC, ou subventionner l’investissement, ou encore subventionner la production sur 15–20 ans, soit sur le principe des tarifs d’achat des énergies renouvelables, soit par la garantie d’un prix plancher du CO2 à 30 ou 40 €/t accordée aux investisseurs en CSC. Aucune solution n’est parfaite, mais on peut au moins souligner que l’obligation d’équiper en CSC toute nouvelle centrale à combustibles fossiles devra être soigneusement pensée. Celle-ci pourrait en effet s’avérer extrêmement coûteuse, si la technologie est encore trop chère et si les infrastructures n’ont pas encore été développées, car cela dissuaderait les investissements en production électrique classique et pourrait même poser des problèmes de sécurité de fourniture.

23Quoi qu’il en soit, les choses bougent. Le CSC n’est certainement pas la panacée, seulement une des « cales de stabilisation » qu’il faut chercher à mobiliser, avec d’autres solutions, pour tenter de limiter la teneur de l’atmosphère en CO2. C’est une option particulièrement lourde à mettre en place, de longue haleine car les temps de développement de la technologie sont longs, les différentes infrastructures à installer complexes et capitalistiques. Quant à l’acceptation sociale du stockage sur les continents, elle n’est pas garantie et il faudra sans doute recourir au développement de stockage en aquifères profonds en zone sous-marine, plus coûteux d’accès. La question est de savoir si le CSC pourra donner sa pleine mesure d’ici 2050, en décollant commercialement d’ici une quinzaine d’années, pour capter et piéger au minimum autour d’un milliard de tonnes de CO2 annuellement. Au regard des éléments dont on dispose aujourd’hui, cette ambition semble hélas peu réaliste, y compris si des politiques déterminées sont mises en œuvre.

Références

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  • Bakker, S., Coninck, H. (de), Groenenberg, H., 2010. Progress on including CCS projects in the CDM: insights on increased awareness, market potential and baseline methodologies, International Journal of Greenhouse Gas Control, 4, 2, 321-326.
  • Bataille, C., Birraux, C., 2006. Rapport sur les nouvelles technologies de l’énergie et la séquestration du dioxyde de carbone : aspects scientifiques et techniques. Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale, 2965 / Sénat, 254, Paris.
  • Bielicki, J.M., 2008. Returns to scale in carbon capture and storage infrastructure and deployment. Discussion Paper 2008-04, Energy Technology Innovation Policy Research Group, Belfer Center for Science and International Affairs, Harvard Kennedy School.
  • Chaffin, J., 2010. Public wary of carbon capture, The Financial Times, July 30.
  • Damian, M., 2010. Le prix international du carbone sera-t-il un jour fixé par la Chine ? Économie appliquée, LXIII, 2, 183-190.
  • Dooley, J.J., Kim, S.H., Edmonds, J.A, 2004. A first order global geological CO2 storage potential supply curve and its application in a global integrated assessment model, in Rubin, E.S., Keith, D.W., Gilboy, C.F. (Eds), Greenhouse Gas Control Technologies: Proceedings of the Seventh International Conference on Greenhouse Gas Control Technologies, Amsterdam, Elsevier, 1, 573-582.
  • European Parliament, Council of the European Union, 2009. Directive 2009/31/EC of the European Parliament and of the Council of 23 April 2009 on the geological storage of carbon dioxide and amending Council Directive 85/337/EEC, European Parliament and Council Directives 2000/60/EC, 2001/80/EC, 2004/35/EC, 2006/12/EC, 2008/1/EC and Regulation (EC) No 1013/2006, Official Journal of the European Union, 5.6.2009, L140/114-L140/135.
  • Finon, D., 2010. The efficiency of policy instruments for the deployment of CCS as a large-sized technology, Electricity Policy Research Group Working Paper 1035, University of Cambridge (soumis à Climate Policy ).
  • Gibbins, J., Chalmers, H., 2008. Carbon capture and storage, Energy Policy, 36, 4319-4322.
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Date de mise en ligne : 01/01/2012

Notes

  • [1]
    Une centrale à charbon moderne de 600 MW émet autour de 1,5 million de tonnes de CO2 par an.
  • [2]
    Sans azote, les produits de combustion sont surtout de l’eau et du CO2. Par condensation de l’eau, on obtient alors des fumées composées essentiellement de CO2.
  • [3]
    On compte, pour le transport, 2 €/t pour 100 km et, pour le stockage dans de grands aquifères salins, un éventail de coûts très divers, avec une moyenne se situant plutôt autour de 5 €/t.

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