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Article de revue

Enjeux didactiques dans la formation des agronomes : cas de la notion de terroir

Pages 50 à 55

English version

1Les agronomes, qu’ils soient dans des métiers de la production agricole, du conseil, de la recherche ou de la formation, sont confrontés à un nouveau contexte qui demande un ajustement ou un renouvellement des savoirs à mobiliser dans leur activité professionnelle. En effet, d’une part, la mondialisation des échanges a obligé à intégrer beaucoup plus fortement les aspects socioéconomiques dans l’acte de produire ; d’autre part, l’exigence sociétale d’un développement durable rappelle, en particulier, la nécessité de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, avec un passage progressif de l’obligation de moyens à l’obligation de résultats pour les entreprises agricoles.

2Dans ce contexte, la formation des agronomes, caractérisée par une forte interdisciplinarité, du fait de la mobilisation conjointe des sciences biotechniques et des sciences humaines dans l’activité de l’agronome, a besoin d’une réflexion didactique pour participer à ce renouvellement des savoirs dans l’enseignement. Car, parmi les savoirs de référence estimés valides par les communautés scientifique ou professionnelle (Pastré et al., 2006), il est important de sélectionner ceux qui doivent faire l’objet de la construction de connaissances et de compétences nécessaires aux futurs agronomes. Mais il faut également s’interroger sur les savoirs à enseigner, car la mise en scène des savoirs, correspondant à des situations professionnelles complexes et singulières, nécessite un travail d’élaboration didactique avant de les proposer aux apprenants. Cette réflexion peut s’appuyer sur les acquis des recherches, par exemple ceux portant sur l’élaboration didactique à partir des pratiques sociotechniques de référence (Martinand, 1986, 2001), sur la transposition didactique des savoirs scientifiques (Chevallard, 1985), ou sur les travaux de didactique professionnelle (Pastré et al., 2006), même si les sciences agronomiques n’ont pas encore véritablement développé une didactique disciplinaire dans leur champ.

3Afin d’illustrer notre propos, nous rendrons compte d’une recherche en cours, interrogeant les usages de la notion de terroir dans l’enseignement. Cette notion présente la particularité de ne plus être enseignée dans les formations classiques d’agronomes en France, alors que l’idée de terroir se diffuse largement, tant dans l’activité agricole à l’international, en lien avec les indications géographiques des productions, que dans les démarches de développement local, en France mais aussi sur le plan international (Barham, 2001). Elle est, de notre point de vue, un bon exemple pour engager la réflexion didactique dans les sciences techniques agricoles, car elle met en évidence les tensions auxquelles sont confrontés les concepteurs de formation et les formateurs pour l’élaboration et l’enseignement des contenus de formation.

Le terroir, une notion complexe, difficile à « scientificiser », mais mobilisatrice

Sens et usages de la notion de terroir

4Le « terroir », mot d’origine latine, existe depuis le xiie siècle et aurait deux origines : « terra »et« territorium » (Cluzel, 2009).

5La signification du terroir issue de « terra » (qui est aussi à l’origine des mots « terrain » et « territoire ») s’est principalement affirmée aux xviie et xviiie siècles comme une réalité géographique décrivant les caractères du milieu physique considérés homogènes. Cela a engendré une des définitions actuelles de « terroir » dans le langage courant : « étendue limitée de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles » (première signification du dictionnaire Le Petit Robert ). Il permet ainsi de qualifier un terrain sur le plan agronomique.

6La signification du terroir issue de « territorium »est plus variable : l’étymologie de « territorium »renvoie, d’une part, à « terra » et, d’autre part, au verbe « terere » (fouler le sol, retourner la terre) ou « terrere »(effrayer, mettre en fuite). Ici, le mot « terroir » a une origine dans le champ social, correspondant à l’espace géographique d’une communauté (cette signification renvoie, dans ce cas, à la définition du finage). Au Moyen Âge, le terroir correspondait ainsi à une unité sociale villageoise. Au xixe siècle, le mot a évolué pour désigner par la suite une « région rurale, provinciale, considérée comme influant sur ses habitants » (deuxième signification du dictionnaire Le Petit Robert ).

7Pour ce qui concerne le lien avec la production agricole, au xxe siècle, les agronomes et géographes français ont diversifié les usages du mot « terroir » : la vocation d’un sol (Hénin, 1957), le cadre territorial d’un développement socio-économique en milieu rural (Sautter et Pélissier, 1964), la spécificité écologique, géologique et paysagère d’un espace (Morlat, 1989), la spécificité d’un territoire (Rouquette, 1994), un espace de projet (Deffontaines, 2005).

8La variété des origines et des significations de la notion de terroir dans l’histoire explique en partie les confusions dans les usages, mais aussi dans les représentations de la notion. Des travaux récents ont permis de préciser la notion de terroir, tout en intégrant les différentes dimensions la qualifiant (Vaudour, 2001a, 2001b ; Deloire et al., 2008).

9Aujourd’hui, une certaine stabilisation du terme s’affirme, et a abouti à une définition partagée par les chercheurs et les professionnels agricoles français pour des usages pragmatiques, et reprise par l’Unesco :

10« Un Terroir est un espace géographique délimité défini à partir d’une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques, fondés sur un système d’interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoir-faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à la seule tradition. » (Inra-Inao, cité par Terroirs et cultures, 2005).

11À partir des données bibliographiques, nous proposons ici, pour l’exemple du terroir en lien avec l’activité agricole, un schéma de lecture du champ conceptuel du terroir, en distinguant les ressources et les effets d’une production agricole spécifique, ce qui permet de différencier les notions de terroir et de territoire (pris ici dans son sens d’espace géographique approprié par une communauté humaine ; Ferrier, 2003). Le territoire représente un espace constitué de ressources naturelles et culturelles (caractéristiques de l’espace géographique et de la communauté humaine), sur lequel va pouvoir s’exprimer un terroir. La valorisation de ces ressources par la production agricole produit alors des effets qui vont donner au lieu de production des spécificités, permettant de caractériser le terroir. Ces effets étant à la fois techniques, économiques et socioculturels, ils agissent en retour de façon dynamique sur les caractéristiques du territoire (Fig.).

Le terroir, une notion difficile à « scientificiser »

12Le terme de terroir ne fait plus aujourd’hui l’objet d’une élaboration conceptuelle dans le monde scientifique. Plusieurs raisons concourent certainement à l’abandon du terroir par les chercheurs. L’usage du mot terroir est fortement lié, d’une part, aux signes officiels de qualité liés à l’origine géographique (appellations d’origine contrôlée, indications géographiques protégées), pour lesquels des enjeux politiques et économiques peuvent aller à l’encontre de la reconnaissance scientifique d’une véritable typicité des produits. D’autre part, il est lié aux « produits de terroir », pour lesquels le slogan communautariste peut l’emporter souvent sur la réalité d’une différenciation des produits, ou sur le souci de préserver à long terme les caractéristiques du terroir. Pour preuve, les cahiers des charges des appellations d’origine n’attachent pas toujours l’importance nécessaire au renouvellement des ressources naturelles et culturelles du lieu de production. Par ailleurs, la notion de terroir est englobante et ne permet pas aisément de distinguer le système d’activités en lien avec la production agricole et l’ensemble de l’activité qui concourt au développement socio-économique local. Les géographes et les économistes lui préfèrent le concept de territoire, qui permet de ne pas restreindre la ressource territoriale à la seule perspective de développement agricole. À l’inverse, les chercheurs s’intéressant au développement agricole ont préféré construire le concept de système agro-alimentaire localisé (Syal ; Muchnik et al., 2008), pour éviter la confusion entre le terroir dans son lien avec la production agricole et le terroir comme espace de projet d’une communauté humaine.

13En outre, objectiver le terroir signifie maîtriser un ensemble de connaissances très diverses des domaines des sciences de la nature et des sciences humaines. Cette multiréférentialité ne serait pas un problème en soi, car l’interdisciplinarité permet d’éclairer des questions complexes (Ardoino, 1993, cité par Astolfi, 2008), mais à condition que les disciplines aient développé leur point de vue sur la notion. Or, ce n’est pas le cas du terroir, contrairement au concept de territoire, qui a fait l’objet d’une conceptualisation opérationnelle en géographie (Giraut, 2008), et ce, malgré un nombre d’acceptions encore plus diversifiées.

Fig

Le champ conceptuel du terroir.

Fig

Le champ conceptuel du terroir.

14Enfin, le terroir est une notion complexe dans sa compréhension, mais elle l’est également dans sa nature. S’il véhicule des connaissances multiples de divers champs disciplinaires, il fait également référence à des valeurs qui ne sont pas neutres sur un plan politique, ce qui explique peut-être en partie aujourd’hui le renouveau des usages du mot terroir.

15La difficulté d’enseigner une telle notion est ainsi bien réelle et l’intérêt de son caractère intégratif ne peut que rester limité si l’enseignement s’inscrit dans un cadre disciplinaire, ou si les situations d’apprentissage ne favorisent pas le questionnement de sa complexité.

Le terroir, une notion mobilisatrice chez les acteurs

16Cette notion reste cependant mobilisatrice dans le monde professionnel et dans le champ social, car elle caractérise l’activité agricole sous trois aspects, qui sont présents dans la définition récente du terroir : la typicité des produits, la spécificité du projet de développement local, la recherche d’une identité locale.

Le terroir, notion intégrative pour argumenter la typicité d’un produit lié à l’origine géographique

17La typicité d’un produit n’est pas un attribut spécifique au terroir, car une marque commerciale peut créer une typicité pour un produit issu de l’agriculture, sans revendiquer un lien à une origine géographique particulière. Dans la typicité liée au terroir, la notion d’origine géographique est importante. La quantification de l’effet du « terroir » sur le type d’un produit alimentaire reste difficile pour les experts formés à la dégustation, comme pour le consommateur, du fait, soit de la complexité et de la diversité des représentations liées au terroir, soit de l’ignorance sur la représentation d’un terroir (Morrot et Brochet, 1999). Elle est cependant rendue possible, dès lors qu’est accepté le fait que celle-ci répond à la fois à des caractéristiques intrinsèques du produit (qualité particulière non standard) et à une construction sociale de son identité.

Le terroir, notion intégrative pour objectiver un projet de développement local

18Le terroir, comme espace de gestion et d’action d’une communauté humaine, est utilisé à la fois pour intégrer la compréhension de la ressource territoriale (Gumuchian et Pecqueur, 2007), par le diagnostic des ressources existantes et la complexité de leurs interactions, et de l’action sur le territoire concerné, par la recherche de valorisation collective des ressources locales.

19Pour les professionnels, l’organisation de la production au sein des territoires se caractérise par des démarches collectives de valorisation de produits liés au terroir. Sur une zone délimitée, la construction collective de règles sociales pour la mise en place de cahiers des charges de production et de coordination entre acteurs concerne ainsi autant les professionnels agricoles et agroalimentaires que la gouvernance locale.

20Pour les consommateurs, la relation avec les producteurs de produits alimentaires permet au produit de terroir de bénéficier le plus souvent d’une rente de qualité territoriale (Mollard et al., 1998). Ainsi, en dehors de la typicité du produit, les dimensions géographique (facteurs naturels et humains du lieu de production) et culturelle (savoir-faire et traditions) du produit de terroir favorisent l’acte d’achat, l’origine géographique renforçant la confiance.

21Enfin, au niveau du territoire, les dynamiques de terroir engendrent des externalités positives et un produit de terroir est à l’origine d’un « panier de biens » (Pecqueur, 2006). Dans ce cas, ce n’est plus seulement le produit qui est valorisé, mais l’ensemble du territoire local.

Le terroir, notion intégrative pour valoriser une spécificité culturelle locale

22Au sein d’un terroir, l’existence de filières de production est autant liée à la constitution de réseaux d’acteurs qu’à la présence de ressources naturelles ou de capacités de production. Ces réseaux d’acteurs, qui partagent les informations et les connaissances, construisent des liens qui permettent à la fois d’affirmer les spécificités de l’identité locale et de gérer de façon concertée les projets de développement (Hinnewinkel, 2008). Ils sont donc porteurs d’une identité sociale qui diffuse sur l’ensemble de la communauté humaine du lieu.

23Par ailleurs, la notion de terroir peut également être un facteur explicatif de la culture alimentaire locale et du sentiment d’appartenance au lieu. C’est un enjeu qui dépasse les seuls aspects socio-économiques, tellement le rôle de l’alimentation est important dans les caractéristiques d’une civilisation (Fischler et Masson, 2008) et la notion de terroir pourrait ainsi participer à l’éducation à la culture alimentaire (Brodhag, 1999). De même, que ce soit par la connaissance des savoirs vernaculaires, de l’histoire du patrimoine local ou de la reconnaissance des singularités dans les savoir-faire locaux, dans les liens sociaux et dans les traits culturels, la notion de terroir peut aider à la construction d’une représentation de son lieu de vie.

24Cette analyse conceptuelle montre, de notre point de vue, que la notion de terroir est un bon exemple pour poser le problème majeur du choix du savoir de référence pour la formation agronomique. En effet, dans un enseignement professionnalisant, celui-ci doit s’appuyer sur les pratiques sociales de référence (Martinand, 1986), qui intègrent des savoirs hétérogènes (savoirs scientifiques divers, théories d’ingénieur, savoirs d’expérience). Ainsi, même si le terroir n’est pas un concept scientifique, ses usages pragmatiques et projectifs dans les pratiques professionnelles ou dans les pratiques des citoyens-consommateurs pourraient nécessiter la réintégration de la notion de terroir dans la formation.

Présences et significations de la notion de terroir dans les curriculums des futurs agronomes : situation actuelle

25Plusieurs métiers font appel à des compétences d’agronomes (agriculteurs et salariés agricoles, agents de développement agricole, entreprises d’agrofourniture, enseignants et chercheurs en agronomie), dont les niveaux de formation se situent, en France, entre le baccalauréat professionnel (niveau minimal pour la capacité professionnelle d’exploitant agricole) jusqu’au doctorat. Mais la majorité des agronomes formés aujourd’hui ont un niveau de formation entre bac + 2 (brevet de technicien supérieur agricole [BTSA]) et bac + 5 (en majorité ingénieur des Écoles d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère de l’Agriculture).

La notion de terroir dans les programmes de l’enseignement technique agricole français

26Jusqu’au BTSA, les formations sont assurées dans les lycées de l’enseignement technique agricole et les programmes de formation sont nationaux, à l’exception de quelques heures d’enseignement (entre 50 et 100 h sur deux ans) qui sont laissées à l’initiative de l’établissement pour aborder des enjeux locaux.

27Dans les programmes nationaux, la notion de terroir a complètement disparu des contenus de formation, à l’exception des formations en viticulture-œnologie, qui affichaient jusqu’à récemment le terme « terroir » dans des intitulés de modules d’enseignement : « Agrosystème et terroir » en BTSA Viticulture-œnologie ou « Vin et terroir » en baccalauréat professionnel Vigne et vin. Mais la rénovation récente du baccalauréat professionnel a remplacé le module « Vin et terroir » par un module « La vigne et le vin du local à l’international » et le nouveau référentiel de formation du BTSA Viticulture-œnologie, qui est entré en vigueur à la rentrée 2009, s’intitule « Analyser un système vitivinicole au sein d’un territoire dans une perspective de durabilité ». La notion de terroir reste cependant citée comme une notion à enseigner. Elle est intégrée comme un des quatre objectifs du module, intitulé « Analyser un terroir viticole », précisant que cet objectif « propose d’analyser l’insertion d’un système vitivinicole au sein d’un terroir » (notion prise au sens de la définition InraInao/Unesco, alors qu’elle était prise auparavant dans un sens restreint de terroir viticole ; ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, 2009). Dans tous les autres diplômes, la diffusion de la notion de territoire s’est imposée, au point d’en faire une constante de l’enseignement général technique agricole (option obligatoire de seconde générale « Écologie-agronomie-territoire-citoyenneté » et option obligatoire du bac S « Agronomie-territoire-citoyenneté »). Ce choix résulte, pour une bonne part, de l’affirmation du fait territorial après les lois de décentralisation et du renouvellement du concept de territoire en géographie (Ferrier, 2003 ; Arnould et Baudelle, 2008). Une grande confusion entre les mots de terroir et de territoire s’est ensuivie et la préférence des rédacteurs des programmes (et en particulier les inspecteurs pédagogiques) a été clairement au bénéfice du second.

28Les formations aux métiers de la vigne et du vin sont donc restées la seule exception, ce qui peut se justifier par le fait que la notion de terroir s’est construite historiquement autour de cette culture et qu’il représente encore un enjeu politique et économique. Il est cependant intéressant de noter que cette notion, souvent enseignée dans sa compréhension très restreinte de la réponse homogène de la vigne sur un espace donné (selon Morlat, 1989), est en train d’évoluer pour être prise au sens large.

La notion de terroir dans l’enseignement supérieur agronomique français

29À l’instar des universités, les établissements d’enseignement supérieur agronomique ont toute latitude pour construire leurs référentiels de formation, qu’ils soumettent à l’habilitation officielle. Aussi est-il très difficile de connaître la place réservée à la notion de terroir.

30Une rapide enquête auprès de quelques écoles a permis de constater également l’abandon de cette notion au profit des concepts de territoire et d’agrosystème, à l’exception des formations de spécialisation dans la filière viticulture-œnologie.

31Cependant, en dehors des formations d’ingénieur, de nouvelles filières (licence professionnelle ou master d’université ou d’école d’ingénieur), reprennent cette notion, au point de l’afficher clairement dans le libellé de la formation. Deux exemples de formations, pris à Montpellier SupAgro, permettent de comprendre cette évolution (ces formations n’affichent pas la notion de terroir dans l’intitulé de la formation).

32Le premier exemple est le master international Vinifera, accueillant des étudiants de tous les pays. Dans cette formation sur deux ans, le choix pédagogique est d’utiliser la notion de terroir comme fil conducteur de la première année. Dans le premier module de formation, une distinction claire est proposée entre les vins industriels et les vins de terroir, avec les logiques de production et de commercialisation correspondantes. À cette étape, il est proposé une approche du terroir à trois niveaux : le premier niveau est appelé terroir de base, correspondant à la combinaison des facteurs édaphiques et climatiques à l’échelle d’une parcelle ; le deuxième niveau est appelé unité de terroir viticole, correspondant à la combinaison du terroir de base, du choix de la plante (cépage de vigne) et des techniques culturales associées, le plus souvent à l’échelle parcellaire également ; enfin, le troisième niveau est le terroir (non spécifié par l’équipe pédagogique, mais que l’on pourrait appeler agroterroir), correspondant à la combinaison des unités de terroirs viticoles avec les choix socio-économiques effectués par le groupement de producteurs réunis au sein de la zone de production du vin, identifié par une typicité reconnue. Puis, tout au long de la formation, chaque discipline met en évidence les distinctions selon que la production est industrielle ou de terroir. Enfin, en fin de formation, un module pluridisciplinaire (viticulture, œnologie, économie) propose l’étude pratique d’un exemple de zone de production, afin d’analyser comment un terroir s’est construit et est valorisé aujourd’hui. Orientée par les concepts de la viticulture durable, l’étude conclut sur les perspectives d’évolution du terroir, y intégrant les dimensions sociales et culturelles (on pourrait alors parler de socioterroir, le terroir étant alors vu comme espace et réseau ; Hinnewinckel, 2008).

33Le deuxième exemple est la licence professionnelle « Conseil en développement agricole : agriculture raisonnée ». Cette formation d’un an vise à faire acquérir les concepts et les méthodes pour favoriser le développement d’une agriculture performante respectueuse de l’environnement. À côté des enseignements agronomiques sur la conduite raisonnée des cultures, des modules portent sur les contraintes environnementales et sur une valorisation plus respectueuse de l’environnement des productions agricoles. Un des modules, intitulé « Terroirs, territoires et durabilité : entre milieux, hommes, temporalités et adaptation », propose d’« appréhender le terroir comme un territoire (des milieux anthropisés), un projet (des hommes), une identité (des regards), un écosociosystème dynamique (des interdépendances, des changements, des ouvertures) ».

34Ces deux exemples mettent en évidence que quelques formations d’agronomes donnent une place importante à la notion de terroir, en prenant bien en compte son caractère intégratif. La place de la notion de terroir dans les formations des futurs agronomes est donc paradoxale. Elle a quasiment disparu des programmes de BTSA et d’écoles d’ingénieur, mais elle réapparaît dans de nouvelles formations, avec une acception intégrant toute la complexité de la notion.

35Si enseigner aujourd’hui le terroir aux futurs agronomes ne va pas de soi, les enjeux sont réels, d’une part, parce que la localisation des productions agricoles et leur valorisation sont un questionnement à l’échelle mondiale, et pas uniquement pour la filière viticole (Chaumet et al., 2009), d’autre part, parce que ce sujet ne peut pas faire l’économie d’une réflexion didactique pour accompagner les évolutions nécessaires au sein des systèmes de formation.

Bibliographie

Références

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Mise en ligne 01/01/2012

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