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Article de revue

« Espaces protégés, acceptation sociale et conflits environnementaux »

Compte rendu de colloque (Chambéry, 16-18 septembre 2009)

Pages 209 à 211

English version

1Organisé à l’initiative du laboratoire EDYTEM (Environnements, dynamiques et territoires de montagne – UMR5204 CNRS/Université de Savoie), ce colloque, qui a réuni environ 110 participants dans les locaux de l’Université au centre-ville de Chambéry, a été soutenu par la région Rhône-Alpes, la ville de Chambéry et le département de Savoie, ainsi que par la Maison des parcs et de la montagne. Son déroulement fut une réussite, l’ensemble des membres de l’équipe EDYTEM s’étant investi avec beaucoup de compétence.

Une journée sur le terrain

2On retiendra notamment, au milieu du colloque, une journée de terrain, ponctuée par des arrêts thématiques et commentés, dans le parc national de la Vanoise le long des vallées de Maurienne et de Tarentaise. Christophe Gauchon (géographe, EDYTEM) a su faire partager toute la complexité des questions qui se posent aux parcs nationaux, appelés maintenant, depuis la loi de 2006, à rédiger une charte avec l’ensemble des élus, des professionnels, des associations et des représentants consulaires du territoire.

3Fait peu banal lors d’un colloque consacré à l’acceptation sociale des espaces protégés, les chercheurs ont pu poser directement toutes les questions qu’ils souhaitaient au président du conseil d’administration du parc national de la Vanoise, Alain Marnézy, et à son directeur adjoint, Philippe Lheureux, qui ont accompagné le groupe toute la journée. Cette partie du colloque en pleine nature a donné l’occasion de débattre des cas très concrets révélés aux yeux des participants (ici tel projet d’aménagement électrique, là des contestations sur les limites, ailleurs encore la question de l’usage des pistes pastorales ou de la pratique du ski hors-pistes, etc.). Avec, en toile de fond, l’effort que doit faire un parc national pour faire adhérer des populations locales, tenues jusqu’à présent assez éloignées, il apparaissait clairement que l’heure ne pouvait être qu’à la subtile négociation, à la délicate diplomatie et aux fragiles compromis…

4À travers cette journée et ses cas concrets, s’est ainsi trouvé illustré le thème central de ce colloque, à savoir les rapports complexes entre les espaces protégés – résultats de normes et de prescriptions venues d’ailleurs – et des populations locales souvent peu au fait des attendus et des motifs et qui ressentent la situation d’abord comme une contrainte. Comment – en simplifiant, car la question est beaucoup plus complexe – deux « cultures » peuvent-elles apprendre peu à peu à s’apprivoiser ?

Le colloque proprement dit

5Précédant et suivant cette journée de terrain, le colloque proprement dit avait précisément pour tâche d’avancer dans la réponse à cette question. Une séance plénière avait été programmée en ouverture ainsi qu’en conclusion ; le reste du colloque s’est déroulé en huit ateliers, menés en parallèle deux à deux, ce qui a permis d’entendre 51 communications. 16 posters ont également été affichés tout au long des 3 journées.

6Si la majorité des communicants étaient des géographes, on pouvait aussi compter des anthropologues, des sociologues, des historiens, des politistes, des économistes, des représentants des sciences de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme, du tourisme. Les universités françaises étaient largement représentées, mais on notait aussi la présence de chercheurs de l’IRD, du CNRS, d’AgroParisTech et du Cemagref, ainsi que de représentants de plusieurs parcs nationaux ou régionaux… Enfin, cette rencontre était internationale, puisque des intervenants étaient venus d’Espagne, de Belgique, de Suisse, d’Angleterre, d’Italie, du Canada et du Brésil.

La séance plénière d’ouverture

7Après une introduction prononcée par l’organisateur de cette manifestation – Lionel Laslaz (géographe, EDYTEM), « Prolégomènes à une construction territoriale de la protection par la conflictualité » –, la séance plénière d’ouverture a comporté cinq communications à orientation géographique sur le thème de l’acceptation sociale. Le cadre des échanges s’est posé d’emblée comme très ouvert :

  • Xavier Amelot (géographe, Université Bordeaux 3) et ses collègues se sont interrogés sur le cadre lui-même (« L’espace protégé ou la nature enfermée ») ;
  • Samuel Depraz (géographe, Université Lyon 3) et L. Laslaz ont proposé une métrique de l’acceptation (« Une méthode en dix points pour cerner et mesurer l’acceptation sociale autour des espaces protégés ») ;
  • Xavier Arnauld de Sartre (géographe, CNRS/Université de Pau et des pays de l’Adour) et ses collègues ont indexé cette acceptation sociale à une problématique en termes d’échelles, et C. Gauchon l’a indexée aux différents degrés de légitimité des opérateurs de la protection.
Ce cadre très ouvert provient sans doute du fait que, comme l’indiquait l’appel à communications, les espaces protégés, objets de ce colloque sont « de tous types, tant d’un point de vue de leurs configurations, de leurs dimensions, de leur réglementation ou de leur “efficacité” supposée : parcs nationaux, parcs naturels régionaux – ou équivalents internationaux –, réserves naturelles, sites classés, réseau Natura 2000, etc. ». Les échanges ont également été favorisés par le fait d’avoir privilégié l’angle social et politique dans l’analyse des différents dispositifs de protection, de leur acceptation et des conflits suscités. Enfin, les exposés ont également été très variés en raison de la diversité des pays explorés (beaucoup de pays du Sud notamment) et des méthodes d’investigation mises en œuvre.

Les huit ateliers

8Dans l’espace imparti à ce compte rendu, il n’est pas possible de présenter l’ensemble des communications. Compte tenu du fait que la publication des actes est prévue en 2010, on se contentera de présenter les principales conclusions de chacun des huit ateliers, telles qu’elles ont été rapportées lors de la table ronde finale.

9« À quoi servent les espaces protégés ? Formes, finalités et limites des dispositifs de protection »

10Parce que les espaces protégés dont il a été question dans cet atelier doivent composer avec la présence d’activités humaines (zones humides, sites Natura 2000, Conservatoire du littoral, voire la nature ordinaire), il ressort des recherches exposées que l’on est toujours confronté à une tension entre exploitation et protection, dont la régulation est une fonction directe de la légitimité acquise par l’opérateur.

11« Échelles de temps et d’espace dans le gain de l’acceptation sociale des espaces protégés »

12Les cas présentés dans cet atelier concernaient le Canada, la Catalogne, l’Italie ainsi que la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu en France. Ils ont servi d’appui à des considérations sur le rôle de l’innovation, sur la possibilité de dégager des critères d’acceptation ou encore sur le rôle déterminant des modes de gouvernance et, notamment, d’appel à la participation des habitants.

13« “Nature” ségrégée, “nature” séparée. Espaces protégés, urbanité et discontinuités »

14Les présentations de parcs spécifiques comme ceux, intra-urbains, de Rio de Janeiro (Brésil) ou de Bombay (Inde), et comme ceux, transfrontaliers, entre le Chili et l’Argentine ou entre l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Mozambique, ont montré toute l’importance de la frontière. Dans le second cas, elle peut aller jusqu’à disparaître au profit d’une recomposition sociale des groupes qui vivent de part et d’autre. Dans le premier cas, l’interface entre la ville et le parc subit d’énormes pressions anthropiques (spéculations foncières, pratiques illégales, etc.). Là encore, seul le « bricolage » et l’intelligence des situations locales peuvent permettre de trouver des solutions aux conflits.

15« Faune “sauvage” et territoires de la préservation : problématiques et enjeux »

16Il y a été question d’animaux sauvages (loups, ours, sangliers…), qui, précisément, en raison de leur nature « sauvage » ne peuvent être confinés ni dans les cadres de représentation de ce qu’est le « sauvage », ni dans les diverses catégories juridiques (gibier, espèces protégées, espèces régulables…), ni dans les différents types d’espaces dans lesquels leurs protecteurs souhaiteraient qu’ils se maintiennent de façon bien… civilisée. De ce fait, les cas étudiés présentent toujours ces animaux comme des animaux « à problèmes ». Défendre le droit d’un animal sauvage à évoluer en liberté oblige alors, de façon paradoxale, à continuer d’intervenir finement pour gérer sa présence.

17« Contradictions et compatibilité des usages dans les espaces protégés »

18Les exemples présentés dans cet atelier se situaient au Mexique, en Côte d’Ivoire, aux États-Unis, dans le nord du Québec et en France. De l’avis général, une connaissance fine des situations locales devrait toujours permettre de trouver les formes spécifiques de la compatibilité des usages. Ainsi, c’est par une étude remarquable du comportement des oiseaux migrateurs que l’on a pu proposer un nouveau plan d’installation des éoliennes sur le plateau de Sigean-Port-la-Nouvelle (Aude), qui soit sans dommages pour les oiseaux. Mais cette connaissance du local n’est pas toujours suffisante, notamment lorsque les enjeux touristiques sont trop forts, par exemple, au Nunavik (Québec) ou à Xochilmico (Mexique).

19« Les effets structurants et déstructurants des conflits sur les espaces protégés »

20Consacré aux tenants et aux aboutissants des conflits observés dans des espaces protégés situés en Allemagne, en Espagne, en Inde, au Gabon et en France, cet atelier a montré, lui aussi, l’importance de la connaissance fine des contextes pour mieux saisir la diversité des représentations sociales en présence, qui souvent est à l’origine des différends. Cet atelier a également souligné l’intérêt de reconnaître la pluralité des services d’État, qui ne convergent pas forcément vers le même objectif. Il est donc essentiel, pour une meilleure acceptation des projets, d’intégrer les élus locaux dans le processus, lesquels, plus en phase avec le terrain, peuvent aider à trouver les termes d’une traduction locale adaptée.

21« Espaces protégés, autochtones et territoires marginaux : résistances et articulations »

22Cet atelier a mis en exergue la très grande distance entre des projets d’espaces protégés, toujours d’inspiration occidentale, et l’avenir des populations autochtones vivant dans et de cette nature (que ce soit en Suède, en Amérique latine, en Inde ou en Asie du Sud-Est). Aux bénéfices supposés que cette protection est censée apporter aux peuples indigènes, on opposera la standardisation des modes de vie qui en résulte. Ici aussi, les jeux d’acteurs peuvent être complexes, qui voient l’émergence de nouveaux porte-paroles et de stratégies, parfois troubles, de certaines ONG.

23« Gouvernance et gestion participative des espaces protégés : leurre ou objectif généralisable ? »

24Dans tous les exemples évoqués dans cet atelier (Haut-Atlas, Guyane, Chili, Afrique du Sud, France métropolitaine), les efforts pour se rapprocher d’une démocratie participative rencontrent toujours les mêmes écueils, dont le moindre n’est pas l’uniformité des règles et des procédures. Comment parvenir à instaurer une gouvernance territoriale locale sans déroger aux cadres réglementaires et, par là, aux moyens qui leur sont associés ?

25Nous l’avons déjà dit, ce colloque a été très riche. Trop peut-être ? En raison sans doute de la présentation d’une gamme vraiment très large d’espaces protégés de tous types, il est devenu difficile – comme cela est apparu lors de la table ronde finale – de tirer des enseignements généraux qui échappent aux remarques convenues. Une réflexion mérite cependant d’être énoncée : nombre d’incompréhensions, de malentendus et de conflits pourraient être évités si les concepteurs et les promoteurs de ces espaces protégés apprenaient à connaître véritablement ceux qui vont y être directement confrontés et s’ils reconsidéraient leurs savoirs pour se mettre à l’écoute des populations.

26Le programme et les résumés de toutes les interventions sont disponibles sur le site Internet du laboratoire EDYTEM (http://edytem.univ-savoie.fr/esppro2009.html).


Date de mise en ligne : 01/01/2012

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