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Article de revue

Vers une esthétique environnementale : le tournant pragmatiste

Pages 285 à 292

Notes

  • [1]
    Ce colloque a été financé dans le cadre du programme Paysages et développement durable du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. L’ouvrage de Nathalie Blanc, Vers une esthétique environnementale (2008, Versailles, Quæ), participe de la réflexion. Un dossier sur le thème de la restauration écologique est en cours de publication dans la revue Cybergeo.
    NB : certains passages de ce texte sont repris dans le numéro thématique Paysages, espaces culturels, écologie de la revue d’art canadienne RACAR, qui paraîtra en 2009 en versions imprimée et électronique.
  • [2]
    Il est à noter qu’il est possible de reprendre les réflexions de Berleant sans accepter pour autant l’injonction d’adaptation conservatrice omniprésente dans les discours des politiques, car, pour lui, l’expérience esthétique est un processus alternatif, créatif de résistance aux conformismes.
  • [3]
    Cet ouvrage a été réédité en anglais en 1991 et a fait l’objet d’une traduction nouvelle en français en 2007 (cf. références bibliographiques).
  • [4]
    Docteur en médecine, professeur à Harvard, W. James a été un pionnier de la psychologie scientifique avant de devenir philosophe et, en tant que tel, l’initiateur, à la suite de Charles Sanders Peirce (1839-1914), du pragmatisme.
  • [5]
    La revue Geoforum a publié un numéro spécial sur le sujet en 2008 (Wood, N., Smith, S. (Eds), 2008. Pragmatism and Geography, Geoforum, 39, 4, 1517-1636).
  • [6]
    L’abduction (du latin abductio, emmener) est un type de raisonnement d’abord mis en évidence par Aristote : il s’agit d’un syllogisme dont la prémisse majeure est certaine et dont la mineure est seulement probable. La conclusion n’a alors qu’une probabilité égale à celle de la mineure. Pour le pragmatiste C.S. Peirce (1984), c’est la seule forme de raisonnement par lequel on peut aboutir à des connaissances nouvelles. En effet, ce type d’inférence consiste à rechercher des causes et à émettre des hypothèses à partir de l’observation de faits singuliers, isolés et surprenants.
  • [7]
    C’est l’objectif du projet de Centre de recherche et d’expérimentation en esthétique environnementale (CREE), association en cours de constitution réunissant des artistes et des chercheurs pour expérimenter des solutions inspirées par l’esthétique environnementale face aux problèmes écologiques, qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux.
  • [8]
    Le compte rendu de ce colloque a été publié dans un précédent numéro de la revue : Chartier, D., 2008. « Environnement, engagement esthétique et espace public : l’enjeu du paysage ». Compte rendu de colloque, Natures Sciences Sociétés, 16, 3, 279-281.
  • [9]
    Pour le stabiliser, un groupement de recherche international (GDRI) « Ambiances urbaines et esthétique environnementale : vers une fabrique sensible de l’environnement ordinaire » est en cours de constitution.
English version

1L’idée d’une approche par l’esthétique de la question de l’environnement a encore à peine pris pied en France, alors qu’elle a une longue histoire au niveau international. C’est pourquoi le projet de recherche Environnement, engagement esthétique et espace public a été lancé en février 2004. La mise en forme de la problématique générale de ce projet a été suivie, en 2006, d’un séminaire (Blanc et Lolive, 2007) destiné à préparer un colloque international, qui s’est tenu en mai 2007 [1].

Les raisons du projet

2Face aux enjeux contemporains de l’environnement, les recherches en sciences sociales et humaines peinent à trouver leur véritable place et à obtenir la pleine légitimité à laquelle elles peuvent prétendre. Les questions soulevées sont bien considérées comme porteuses d’enjeux de société, mais ces derniers sont réduits à des mesures d’aménagement à la marge et d’organisation, sous contrainte du modèle de développement. De ce fait, les sciences sociales et humaines sont cantonnées à examiner la façon dont les mesures prises sont socialement acceptées, voire comment les rendre socialement acceptables. En raison de son caractère extrêmement restrictif, cette vision des choses nous éloigne de la transformation radicale des modes de vie qui s’impose. En effet, à travers les problèmes d’environnement, la question qui se pose n’est rien moins que celle de l’« habitabilité » des milieux de vie. On est bien là face à une démarche écologique, telle qu’elle doit être conçue quand elle s’applique à l’homme, c’est-à-dire quand elle prend une dimension anthropologique. C’est à une anthropologie de l’habiter que se ramène in fine la question environnementale. C’est donc dans cette perspective que s’inscrit le projet. Cela explique la place donnée à l’esthétique, qui y est considérée sous trois angles : celui de l’esthétisation de l’espace public ; celui de l’« art écologique », qui transforme les relations entre les arts, la recherche et l’éthique, pour associer les fonctionnements écologiques, symboliques et esthétiques ; enfin, celui des mobilisations associatives, qui utilisent la thématique esthétique pour justifier leur combat.

Que faut-il entendre par esthétique environnementale ?

3Ce choix renvoie à une conception de l’esthétique qui se démarque de celle qu’il est courant de trouver dans la littérature philosophique. En effet, ce qui est en cause ici n’a rien à voir avec le domaine spécialisé de la philosophie qui porte ce nom. Il ne s’agit ni de philosophie de l’art, ni de philosophie du beau, ni de théorie du goût. Référence est faite à un courant de recherche qui se développe actuellement dans le monde anglo-saxon autour de la notion d’« esthétique environnementale » (Berleant, 1992 ; Carlson, 2000 ; Brady, 2003). Les chercheurs qui s’y rattachent entendent dépasser les références aux œuvres d’art et au paysage, qui constituaient le cadre exclusif des réflexions esthétiques, pour accorder une place privilégiée à l’expérience esthétique de la nature et des environnements quotidiens. Pour la philosophe Emily Brady (2007, p. 64) :

4

« [Ce nouveau courant] reconnaît que les environnements naturels ne sont pas essentiellement éprouvés comme des paysages mais plutôt comme des environnements au sein desquels le sujet esthétique apprécie la nature comme dynamique, changeante et en évolution. Il s’agit d’une approche esthétique qui, selon ses différentes formes, puise ses racines dans la connaissance écologique, l’imagination, l’émotion et une nouvelle compréhension de la nature comme porteuse de son propre récit. »

5Ce qui est affirmé ici, c’est donc que parler de perception esthétique ne vaut pas que pour l’art ou les monuments culturels : il existe aussi une appréhension esthétique commune de l’environnement. Et, point fondamental, c’est elle qui constitue la base d’une appréhension riche de sens des milieux de vie et, par extension, de l’environnement.

6Cette ouverture vers une conception populaire et décloisonnée de l’esthétique renvoie à la philosophie de John Dewey (1934). Cet auteur s’oppose à la « conception muséale de l’art », qui sépare l’esthétique de la vie vécue pour la cantonner dans un domaine à part, loin des préoccupations des hommes et des femmes ordinaires. Cette « conception ésotérique des beaux-arts » s’appuie sur la sacralisation des objets d’art confinés dans les musées et les collections privées. Pour Dewey, l’expérience esthétique déborde le domaine des beaux-arts et peut se produire dans des domaines variés, scientifiques, philosophiques ou dans la vie de tous les jours. L’intégration de la vie et de l’art, l’une dans l’autre, les enrichit mutuellement.

7Arnold Berleant (1991 et 1992), quant à lui, dans deux de ses ouvrages, élargit l’expérience esthétique à l’appréhension de l’environnement. Il s’agit de transformer l’observation distante et essentiellement visuelle de l’environnement en une immersion sensorielle globale dans l’environnement. L’esthétique de l’engagement de Berleant valorise l’activité plutôt que la passivité, l’implication plutôt que la mise à distance, le caractère situé de l’expérience vécue (la situation) plutôt que le détachement et le désintéressement. Berleant introduit une perspective qui porte bien sur un objet (l’environnement physique), mais qui part du sujet. L’expérience individuelle de ce dernier (ses émotions, ses valeurs, ses croyances) devient aussi importante que l’objet de l’attention esthétique. L’expérience esthétique est un processus d’apprentissage essentiel, d’adaptation créative à son environnement : c’est un processus d’« environnementalisation » [2].

8Les postures des adeptes de ce champ de l’esthétique environnementale sont diverses : certaines, discursives, rendent plutôt compte d’une philosophie ; d’autres sont directement en prise avec le champ de l’action artistique ou aménagiste. Cette conception renouvelée de l’esthétique permet notamment de repenser le rôle des artistes et des autres acteurs de l’esthétique (architectes, paysagistes…) dans les mobilisations paysagères et urbaines.

Une posture inspirée du pragmatisme

9Les auteurs américains qui s’inscrivent dans le courant de l’esthétique environnementale ont une filiation directe avec le pragmatisme. Ce tournant majeur de la pensée philosophique américaine, né à la charnière du XIXe et du XXe siècles, prend la valeur pratique comme critère de la vérité et considère qu’il n’y a pas de vérité absolue et que n’est vrai que ce qui réussit. William James (1842-1910), dans son ouvrage Pragmatism (James, 1907) [3], a fait la synthèse de ses principes de base les plus typiques [4]. Il développe en particulier une théorie de la vérité, demeurée célèbre, qui lie celle-ci à la mise en œuvre du processus même de sa « vérification » : « La vérité arrive à une idée. Elle devient vraie, elle est rendue vraie par les événements. ». Le programme de recherche Environnement, engagement esthétique et espace public, par son souci de s’attacher à ce que les choses pourraient être et de vérifier la pertinence des expérimentations par la richesse des mondes qu’elles créent, s’inscrit totalement dans cette perspective.

10Ce programme est à l’interface de la géographie et de la science politique. Dans la géographie française, la référence au pragmatisme est une posture inédite [5]. C’est moins vrai en science politique, bien qu’on ne trouve quasiment pas de références directes aux grands auteurs (Peirce, James, Dewey) dans cette discipline non plus. Mais elle s’inspire d’un certain nombre de courants dérivés du pragmatisme, à propos desquels il vaudrait mieux parler d’une perspective « pragmatiste » axée sur l’agir politique que d’une influence directe du pragmatisme. Ce point de vue implique la revalorisation de l’acteur politique qui récupère progressivement une capacité d’initiative pour conduire une action transformatrice, une réflexivité pour comprendre le sens de son action et une capacité éthique pour justifier son action, lui conférer du sens. Alors qu’il occupe une place importante aux États-Unis (Soubeyran, 1988 ; Verpraet, 1989), le pragmatisme est, en France, dépourvu d’effet sur la réflexion et les pratiques aménagistes. Une des raisons de cette réticence concerne le poids de la rationalité technique qui sous-tend la compétence professionnelle des aménageurs.

11Les auteurs du courant pragmatiste sont intéressants par le lien qu’ils font entre trois options méthodologiques : a) une théorie de la connaissance basée sur un type d’inférence (l’abduction [6]) qui permet d’expliquer le rôle et le fonctionnement de l’hypothèse dans une expérimentation créatrice et risquée ; b) un regard tourné vers l’anticipation : le pragmatisme envisage l’expérience sous l’angle de ses conséquences sur le futur ; c) une nouvelle compréhension de l’être humain à travers l’interprétation de celui-ci s’employant à donner un sens à ses expériences. On retrouve derrière ce dernier point le primat de l’expérience et sa saisie sous l’angle des conséquences sur le futur. Cette interprétation met l’accent sur les cadres cognitifs et signifiants de l’action.

12Trois enjeux théoriques importants, qui militent en faveur de l’adoption du pragmatisme comme posture de recherche, peuvent être extraits de la lecture de James par Lapoujade (1997).

13– Le premier a trait à la réappropriation du champ de la pratique. Le terme de pratique ne renvoie pas nécessairement au domaine de l’action, par opposition au champ de la réflexion théorique. Il désigne avant tout un point de vue : pratique signifie que l’on considère la réalité, la pensée, la connaissance (et aussi l’action) en tant qu’actes. D’où la place accordée à la subjectivité, à l’action et à l’expérience (Dewey, 1934), indépendamment de toute approche a priori et d’une réalité en soi. Dans cette perspective, ce qui existe réellement, ce ne sont pas les choses, mais les choses en train de se faire. Lorsqu’il étudie une réalité au moment où elle se crée, comme la planification environnementale, le chercheur ne peut adopter un point de vue théorique classique : il ne peut attendre que la signification du phénomène se soit stabilisée pour la penser après coup. Cette posture rétrospective lui est interdite par son objet d’étude, puisque la connaissance vient en même temps que l’action transformatrice. Elle requiert l’implication du chercheur dans l’évolution en cours. Une implication conditionnelle, bien sûr, dont il faut préciser les bases et les limites.

14– Le second enjeu est la dimension expérimentale de la vérité. Certaines notions, certains concepts ne sont pas seulement des représentations, ils nous font agir dans un sens déterminé. Ici encore, l’épistémologie est inséparable de la pratique dans laquelle elle nous engage. Comment évaluer la teneur en vérité d’idées de ce type lorsqu’elles sont encore nouvelles et incertaines ? Par exemple, le chercheur ignore la signification exacte de la notion de développement durable et il ne sait pas à l’avance ce qu’elle va produire. C’est pourquoi nous ne pouvons pas savoir si ces idées sont vraies avant d’en avoir éprouvé simultanément la validité théorique et la mise à l’épreuve pratique. Le pragmatisme s’impose alors, puisqu’il propose moins une nouvelle définition de la vérité qu’une méthode d’expérimentation, de construction de nouvelles vérités. Expérimenter, c’est considérer la théorie comme une pratique créatrice. C’est pourquoi il ne s’agit plus seulement de savoir ce qui est vrai, mais également comment se fait le vrai. Et cette question est inséparable d’une autre : que fait le vrai ? Ainsi l’idée vraie n’est pas seulement ce qu’on croit, ce qu’on fait, ce qu’on pense ; c’est ce qui fait croire, agir, penser. La vérité est désormais évaluée en fonction d’un nouveau critère : ce qui est intéressant en tant que valeur épistémologique. Que vaut une vérité qui ne fait pas agir, croire ou penser ? Ainsi, quel est l’intérêt de la notion de développement durable si elle ne parvient pas à transformer les pratiques d’acteurs variés, tout en se chargeant de significations nouvelles ? Cette validation par l’action est un pari risqué qui expose le chercheur aux dérives utilitaristes et le menace dans son indépendance. La question des garde-fous est l’objet du troisième enjeu.

15– Le troisième enjeu est donc la définition d’un cadre d’expérimentation. Apprendre de l’expérience, de ses réussites et de ses échecs suppose un protocole rigoureux et l’accord des participants pour respecter les règles du jeu. C’est dans cette capacité du protocole expérimental à intéresser les acteurs-clés que se joue la question de la validation. En effet, selon le degré d’implication des acteurs, on distinguera schématiquement trois types de validation. Une implication minimale ne permettra qu’une validation théorique où l’on analysera a posteriori une série de situations pour vérifier le bien-fondé des hypothèses théoriques. Une implication moyenne permettra de faire vérifier le bien-fondé des hypothèses et de leurs épreuves par des acteurs volontaires, lors d’un séminaire de restitution, par exemple. C’est une ouverture limitée sur la validation par l’action. Une implication forte des acteurs permettra d’articuler validation théorique et validation par l’action dans le montage d’une épreuve en vraie grandeur [7].

16Le recours à l’anticipation mérite une attention particulière parce qu’il autorise le chercheur à focaliser ses analyses sur des faits minoritaires, non représentatifs, mais qui lui semblent potentiellement porteurs de nouveauté. Il lui revient alors d’imaginer l’évolution possible suscitée par ces petits faits annonciateurs, qui passent généralement inaperçus. Cette posture est risquée, mais c’est à ce prix qu’un minimum de prédiction concernant les changements à venir dans un champ donné de pratiques est possible. Pour paraphraser Ulrich Beck (2001, p. 20), le sociologue analyste de la société du risque, on peut dire que toute recherche qui va dans ce sens intègre « un morceau de théorie sociale projective orientée empiriquement – sans toutes les garanties méthodologiques ». Ce parti pris permet d’enrichir la posture de recherche. C’est celui qui est pris dans le programme de recherche Environnement, engagement esthétique et espace public. Ce choix correspond aux orientations des itinéraires de recherche de ses initiateurs. C’est aussi un choix qui s’accorde à la nature des faits qui seront l’objet des analyses : qu’il s’agisse des politiques publiques, des mobilisations sociales environnementales ou, à plus forte raison, des réalisations artistiques d’inspiration écologique, on n’en est encore, la plupart du temps, qu’au stade des prémices. Le pragmatisme donne une certaine crédibilité et des bases théoriques à cet usage de l’anticipation.

Une première étape : le bilan d’un colloque international

17Ces réflexions théoriques organisaient les débats lors du colloque international de mai 2007 [8]. La composition, tant des intervenants que du public, en reflétait les grandes orientations par la diversité, aussi bien des disciplines réunies (de la géographie à la philosophie en passant par l’histoire) que du statut des personnes (de l’artiste, militant et activiste, au paysagiste et à l’aménageur professionnel en passant par le chercheur). La question centrale qui y était débattue était la suivante : quelle place tient l’esthétique dans notre appréciation de l’environnement ? Elle a été examinée sous les trois angles qui constituent les trois entrées du programme : celui de l’action publique ; celui de l’art environnemental ; celui des mobilisations environnementales.

La place du jugement esthétique dans l’action publique

18Comment se faire une idée de la place que prend l’esthétique dans le domaine des politiques publiques environnementales, notamment en France ? Quelle est la place des affects et du goût dans l’action publique ? Peut-on les distinguer de critères plus rationnels, en particulier scientifiques ? Comment ? Engagent-ils une dimension expérimentale de la vérité qui les rapprocherait du pragmatisme ? Émotion et affects transforment l’espace public sur un mode imprédictible ; leur légitimité naît de leur capacité de transformation politique. La crise de la démocratie représentative, le débat concernant la démocratie participative, ainsi que les remises en cause de la rationalité technoscientifique rendent d’autant plus pertinentes de telles interrogations.

19Ce qui ressort des échanges sur ces questions au cours du colloque, c’est le caractère « chaud » du débat : traiter de l’esthétique, c’est traiter de la peur du sensible, de l’émotionnel, du fuyant, du flou ; c’est également traiter de la peur du décoratif, du superficiel. D’où sa difficile prise en compte dans l’action publique. Pourtant, l’espace public, en crise, ne peut plus être conçu comme un espace neutre et seulement normatif dans lequel se règlent des rapports rationnels anonymes et impersonnels. Les espaces patrimoniaux ne seraient-ils pas alors les lieux par excellence où devraient être mises en scène de nouvelles formes d’expression publiques, assurant le passage de nos démocraties d’opinions vers des « démocraties d’émotions » ?

20Il faut dépasser l’opacité du terme « émotion ». Il existe aujourd’hui un besoin de débattre autour de choses « chaudes » auxquelles renvoie, entre autres, l’esthétique. Il s’agit de trouver un prisme de compréhension de la manière dont celle-ci interagit avec l’environnement et peut contribuer à la fabrication du bien commun et de la chose publique. Cela suppose de prendre au sérieux le rôle de l’esthétique dans l’appréhension de l’environnement. Les caractères formels, sensibles, imaginatifs de l’environnement participent à sa saisie, à la formulation individuelle aussi bien que collective d’un environnement. Or, même aux États-Unis, les recherches sur l’impact esthétique de l’environnement ne sont pas encore assez développées. Comment aller plus loin ? Deux pistes s’ébauchent : la première concerne l’incidence sur le bienêtre humain d’une qualité esthétique de l’environnement (recherches cognitives, neurosciences, philosophie de l’esthétique et de l’éthique, aménagement et cadre de vie…) ; la deuxième concerne les rapports entre l’esthétique et l’écologie : quelles sont les relations complexes entre un bel environnement et un environnement écologiquement satisfaisant ?

L’art environnemental : une diversité foisonnante

21Un second ensemble de questions portait sur l’art environnemental. Il existe un nombre relativement important d’artistes ou de paysagistes s’engageant dans des pratiques de restauration écologique. Ainsi, l’art témoigne de modes inédits d’investissement des milieux de vie et concerne tout autant le plan symbolique que le concret. C’est là une tradition qu’il importe de mesurer, qui tient une place croissante, et qui change profondément les rapports entre l’art et l’aménagement. Au fond, postuler que l’engagement environnemental se mesure à l’efficience des pratiques dans la transformation concrète des territoires, c’est éluder la polysémie de l’écologie et l’importance de l’imaginaire et de la sensibilité dans sa définition et croire qu’elle est affaire de solutions techniques. Dans la mesure où l’écologie se traduit en termes d’engagement, elle oblige à s’intéresser aux artistes qui développent une vision de l’environnement et à mettre en évidence les modes de renouvellement des sensibilités à son égard. Cet engagement pragmatiste reprend l’idée d’expérimentation risquée et de mise à l’épreuve dans le sens d’une vérification de l’expérience par les faits. Le pragmatisme, qui est une manière de penser par l’action, ne doit donc pas s’entendre comme un abandon des idées. Ces pratiques artistiques peuvent être ironiques, messianiques, théâtrales ; elles peuvent exprimer la déception. D’autres artistes ont une démarche militante. La dérision est l’une des modalités de leur action : « râper » de la glace en Antarctique peut prêter à sourire, voire sembler inutile au regard de l’urgence environnementale, il n’empêche que de tels actes attirent l’attention sur les paradoxes du développement durable. Enfin, l’on se trouve confronté à des interrogations plus classiques, comme celle concernant les pratiques muséales dans leur rapport au développement durable, ou encore les nouvelles représentations de l’environnement via l’image, la vidéo, les nouveaux médias, la peinture même! L’art environnemental peut se présenter comme une synthèse esthétique traduisant une volonté de « réparer » symboliquement l’environnement en mêlant des éléments traditionnels, comme la verdure, à des éléments sculpturaux, théâtraux, qui plantent le décor de nouveaux et étranges jardins. C’est là une façon d’intervenir sur la géographie, l’histoire, la biologie du site, bref : d’évoquer un nouveau rapport à celui-ci. Au-delà de ces pratiques, tout un espace de réflexion et d’expérimentation s’ouvre autour de questions de portée très générale, telles que les liens entre science et art, environnement et électronique, électronique et art.

22Au total, on peut dire que les liens entre art et environnement sont multiples, foisonnants. Le terme générique d’art environnemental évoque essentiellement le Land Art, qui apparaît dans les années 1960 pour décrire un art de pionnier confronté à la nature de l’Ouest américain, ou même l’art dans la nature et les pratiques plutôt précieuses et très appréciées d’Andy Goldsworthy ou de Nils Udo. Cependant, il existe, depuis la fin des années 1960, un « art écologique », spécifiquement américain, mêlant éthique écologique, science et art public. Des artistes de la première génération, comme Patricia Johanson, les époux Harrison, Nancy Holt ou Mierle Ukeles, ont ainsi développé une pratique artistique urbaine exceptionnelle, entre pragmatisme et esthétique, entre architecture paysagère et « sculpture verte », définie tardivement au début des années 1990 (Matilsky, 1992). Mel Chin, Mark Dion, Viet Ngo, Buster Simpson, Alan Sonfist se sont joints à ce groupe sans manifeste, pour qui l’écologie est avant tout une éthique et une science, plus qu’une politique. La jeune génération d’artistes qui s’intéresse aujourd’hui aux problèmes liés à l’environnement appartient-elle pour autant à cet art qui n’a jamais été défini avec clarté, même s’il existe depuis bientôt quarante ans (Ramade, 2007) ?

23Du côté français, des pratiques artistiques ont plus investi le champ des représentations de la nature et des paysages non humains que l’action à proprement parler dans la nature. La biennale Les Environnementales, organisée par l’école de l’environnement de Tecomah à Jouy-en-Josas, réunit des artistes internationaux autour des questions du paysage (Benoit Tremsal, Jean Leclerc, etc.). À Aix-en-Provence, le festival Arborescence, porté par l’association Terre active, réfléchit aux nouveaux médias en lien avec les pratiques d’« art nature ». Le Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière accueille régulièrement des artistes français ou étrangers. Erik Samakh y a présenté en 2003 son installation Les Rêves de Tijuca, après la tempête et Graines de lumière. Il existe ainsi de nombreuses manifestations incitant à la recherche artistique. La jeune génération d’artistes semble plus activement préoccupée de la question environnementale que jamais, que ce soit dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme (par exemple, Philippe Rahm à Vassivière ou François Roche pour Air Europe), de la restauration des friches industrielles ou urbaines, ou encore du recyclage.

24À l’étranger, des artistes, parfois des collectifs (Allora & Calzadilla, Platform, Henrik Håkansson, Superflex, Tue Greenfort, etc.), s’intéressent à l’espace urbain et aux systèmes industriels, peu pris en considération par l’écologie. Par exemple, en 1992, Platform a cherché à restaurer l’ancien cours de la rivière Effra à Brixton (Londres), enterrée depuis les années 1880. Les outils du projet sont une vaste campagne de marketing associant des réunions publiques, l’élaboration de maquettes architecturales et une couverture de la presse. D’autres artistes (par exemple, Dan Peterman) utilisent les objets de la vie courante, leur circuit de production et de consommation dans une veine d’utopie écologique. Des artistes, à l’instar de Winona LaDuke dans le Minnesota (États-Unis), se font avocats des modes de vie ancestraux de leur communauté d’origine, et de très nombreux autres s’intéressent à la nourriture : ils sèment, récoltent, font pousser des aliments sur des espaces marginaux, abandonnés, de la ville ou de la campagne, créent des serres, etc. Le collectif Temasco récupère les fruits tombés des arbres des jardins des pavillons de banlieue et les distribue dans les quartiers paupérisés, dans l’optique de l’esthétique relationnelle. La gratuité du geste fait partie du caractère subversif de l’action. Susan Steinman utilise la culture fruitière pour favoriser l’investissement local et la construction d’une communauté consciente d’elle-même et de son rapport à l’environnement : c’est du community building. Itinérants ou fixes, expérimentaux, ces artistes s’intéressent à la transformation sociale nécessaire pour résoudre les problèmes écologiques. En dépit de leur importance, ces projets, qui manifestent un engagement social, écologique ou communautaire, sont peu connus.

25Pourtant, de nombreux réseaux en rendent compte : par exemple, le Green Museum, mais aussi Ecoartspace et le Community Arts Network, dont le site contient également des textes de critiques et des réflexions d’artistes originaux. Jusque-là fort négligées, ces pratiques sont aujourd’hui l’objet d’une attention croissante à l’échelon international. Un rapport de l’Unesco (Brown, 2006) en témoigne.

26En quoi cet art, engagé dans une écologie politique ou scientifique, dans une transformation paysagère ou environnementale, ou plus simplement encore dans la transformation de l’espace public, entendu comme espace social de dialogue, permet-il de renouveler la conception de l’esthétique en politique ? Les interventions artistiques liées à la nature ou à l’écologie comportent-elles une spécificité et laquelle ? Faut-il (et comment) les définir ? En bref, ces pratiques artistiques sont concernées par une politique des lieux : les artistes s’investissent localement, soit que leurs pratiques mettent en évidence la nature des lieux, jouent morphologiquement de leurs dimensions biophysiques, soit qu’au contraire elles jouent de l’aspect relationnel ou qu’elles dénoncent ce qui s’y passe, ce qui se passe, de manière générale, s’engageant dans une protestation activiste. L’artiste met en évidence une politique critique des formes et des usages des lieux contemporains qui s’énonce par des commentaires, le remaniement plastique des lieux, la proposition critique en une galerie ou un musée. À la question : « Pourquoi est-ce de l’art et non quelque projet esthétiquement plaisant ? » il est répondu par une créativité mise en jeu selon deux critères : l’histoire de l’art et les pratiques écologiques courantes dans le domaine public. L’art environnemental transforme les lieux et change la perception de l’art. Cependant, les travaux artistiques qui modifient le paysage méritent-ils une définition particulière ? Beaucoup d’artistes, qui interviennent dans l’espace public, ne prennent pas en compte le paysage, ni même l’environnement au sens écologique. Alors que certains artistes voient la nature juste comme une scène d’intervention plus large, intéressante pour ses dimensions culturelles, sociales ou historiques, ou encore pour ses propriétés formelles et matérielles, d’autres approchent le monde de la nature, et plus globalement la question de l’environnement, comme un ensemble très complexe d’interactions, un réseau de relations entre le social et le culturel, le biologique et l’écologique, l’environnemental et le politique. Comment ces travaux s’inscrivent-ils dans le paysage ? Certes, ces artistes ne s’intéressent pas tous au paysage, ni même n’intègrent la question de la nature, mais, du fait même qu’ils s’inscrivent dans un espace, qu’ils interviennent sur les formes, ne jouent-ils pas un rôle ? Du point de vue de l’observateur, du passant ordinaire, ces interventions transforment le paysage ; elles le créent même.

27Il existe donc deux registres d’évaluation des interventions artistiques dans l’espace public. L’une correspond à des critères internes propres à l’artiste et l’autre, à des critères externes relevant de l’observateur. Il semble pertinent de tenter de comprendre les pratiques artistiques de ce genre en adoptant une approche de travail double : quel est cet objet d’art ? Quel est le paysage proposé ? Si, du côté de l’artiste, l’on se situe délibérément dans l’intention artistique dans les procédures qu’elle met en œuvre et dans ses réseaux, du côté de l’observateur, l’on se trouve du côté de la réception, de l’espace public et de l’écologie (au sens humain du terme). L’art participe à la création de formes paysagères qui s’inscrivent dans des contextes d’usage très divers et qui correspondent à des enjeux de communication tout aussi divers. Comment comprendre ces usages et le rôle de l’art (ou de l’artiste) ? Cela renouvelle-t-il le rôle de l’art et de quelle façon ? L’art est valeur d’échange : en sortant du cercle restreint d’amateurs, il s’ouvre à la création d’un univers d’appréciation esthétique de la qualité des lieux. Il engage, alors, non seulement l’expérience esthétique singulière et individuelle, mais aussi le jugement de goût politique et collectif. C’est en ce sens que l’espace public esthétique peut renouveler l’espace contemporain du politique. Il existe donc des pistes de revalorisation de l’action créative « écologique » – même si ce n’est pas au sens strict d’un environnementalisme uniquement axé sur les sciences de la nature, mais d’un environnementalisme plus confiant en des forces créatives –, qui impliquent souvent l’idée de « site », c’est-à-dire que le projet n’est pas seulement in situ, en extérieur et en accord avec son cadre, mais qu’il fait des qualités intrinsèques du lieu ses conditions d’existence (Kwon, 2004).

Mobilisations environnementales : l’expérience esthétique comme forme de lutte

28Le troisième temps de la réflexion concernait les mobilisations environnementales et les recadrages qu’elles opèrent dans l’espace public. Par mobilisation, l’on entend surtout l’action concertée en faveur d’une cause, mais il peut s’agir aussi de mobilisations plus personnelles. Un individu est affecté par un événement marquant qui survient dans son environnement proche ; son entrée en politique se fait sur ce mode sensible et affectif qui donnera sa tonalité singulière à son action jusque dans ses prolongements ultérieurs. Cette mobilisation réactive peut ensuite alimenter des postures de vigilance, de mise en alerte. Ces mobilisations personnelles ou collectives déstabilisent les projets des aménageurs et débordent les cloisonnements administratifs et les classifications rassurantes. L’action publique tente alors de contrôler ces débordements mobilisateurs pour les recadrer, ou de les briser si ce n’est pas possible. Les pratiques collectives contre une rénovation urbaine autoritaire, c’est-à-dire ne procédant d’aucune consultation ni d’aucun débat préalables, peuvent prendre des formes bigarrées et très imaginatives. C’est ce que montre l’exemple de Barcelone, où des alliances entre des associations de quartier et de nouveaux collectifs, composés de jeunes radicaux (antilibéraux) et animés par des artistes, permettent de renouveler la perception des lieux publics populaires destinés à devenir des lieux marchands ouverts au tourisme ou à l’investissement de capitaux internationaux. Les nouveaux collectifs agissent souvent dans les zones de transformation rapide, sur les fronts où les grands projets restructurent la ville, suscitant la contestation des habitants des quartiers (appelés les « voisins »). Ils s’élèvent ainsi contre la volonté de mise en scène des villes visant à donner du paysage urbain une image susceptible d’attirer capitaux et touristes. Ils constituent un contrepoint « local » à l’homogénéisation née d’un commerce global des êtres et des choses. Ainsi, l’art dans l’espace public, autrement dit la culture, participe au positionnement des villes face à la concurrence internationale. Les artistes qui s’inscrivent en faux contre ces trajectoires urbaines proposent des occupations temporaires (squats, jardins communautaires…) d’espaces stratégiques. Les projets communautaires qu’ils dessinent et imaginent avec les associations de quartier esquissent la trajectoire la plus appropriée pour continuer le récit de la communauté des voisins. Les objectifs diffèrent d’un lieu à l’autre. Ainsi, à Montréal, un centre d’artistes autogéré installe sa roulotte, œuvre d’art habitée par les sans-abri, sur une place publique, qui est à la fois une sculpture et une agora. D’autres mobilisations portent l’empreinte esthétique des cultures locales, comme le montrent les exemples africains. Cela rappelle les limites des conceptions occidentales des rapports à l’environnement, mises en évidence par Descola (2005), conceptions qu’un certain environnementalisme remet aujourd’hui en cause (Shellenberger et Nordhaus, 2004).

Les perspectives à l’issue du colloque

29Les pratiques des artistes qui interviennent dans le champ de l’environnement sont des stimulants pour les chercheurs. Elles permettent de penser autrement l’environnement en le considérant comme un art, le produit d’une activité de composition expérimentale et inédite qui associe des aspects écologiques, sociaux, symboliques et esthétiques. Inversement, elles aident non seulement à revenir sur les cadrages légitimes du monde académique et à mieux les penser, mais aussi à entrevoir les degrés de liberté importants, les audaces que l’on ne s’autorise pas assez au nom de la scientificité. Considérer les « écologies locales » sous l’angle symbolique, voire les soumettre à des contraintes symboliques imposées par l’artiste n’en compromet pas le fonctionnement. Après tout, cette plasticité écologico-sociale va de soi, puisque, prise dans son ensemble, notre planète est « anthropoformée ». Cette percée d’une conception – et surtout d’une perception – esthétique, à la limite poétique (au sens fort du terme), de l’environnement reformule déjà complètement la question environnementale. Elle pourrait bien constituer un aiguillon appelé à stimuler la recherche dans ce domaine.

30Le croisement des questions environnementales avec le référentiel esthétique, qui a d’ores et déjà une dimension internationale, est peu pratiqué en France, ce qui est sans doute dû à la domination sans partage dans les sciences humaines et sociales d’un modèle épistémologique inspiré des sciences exactes et à la relative faiblesse de l’engagement environnemental chez les artistes français. Pour compenser ce handicap, il a paru indispensable de constituer un réseau international (il réunit des personnes venant du Canada, des États-Unis, de Grande-Bretagne et de France) et transdisciplinaire de chercheurs (philosophes, sociologues, politistes, géographes, anthropologues, écologues), d’artistes et de praticiens (paysagistes, urbanistes, architectes, aménageurs) œuvrant dans les domaines croisés de l’esthétique et de l’environnement [9].

31C’est un des résultats majeurs du colloque que d’avoir mis en relation ces trois mondes qui s’ignoraient. Cette rencontre a justifié et stimulé l’idée d’un programme de recherche se situant à leurs interfaces, en montrant la richesse des synergies intellectuelles qu’elle rendait possibles. L’association de chercheurs et d’acteurs (les artistes et les praticiens) a tout particulièrement conforté une posture de recherche qui se veut à la fois académique et proactive, soucieuse de participer aux évolutions qui se dessinent dans le champ de l’aménagement afin qu’il s’ouvre aux questions environnementales et à la démocratisation du développement durable.

32Cette démocratisation passe par l’implication des habitants dans les politiques d’aménagement. Exercice à la fois nécessaire et difficile : nécessaire pour légitimer l’action publique territorialisée, car l’habitant détient la clé de l’acceptation ou du refus des projets et des politiques ; nécessaire pour enrichir les expertises par le recours à des « ethno-savoirs » locaux concernant l’environnement ; difficile à mettre en œuvre, car c’est l’expérience que les habitants ont du lieu comme milieu de vie qui est la source de leurs intérêts et de leurs mobilisations : peut-on fonder une politique sur cette « boîte noire » qu’est l’expérience habitante, sensible, imaginative et en partie implicite ? Comment la prendre en charge dans les politiques publiques, en général, et les politiques d’aménagement, en particulier ? L’esthétique pourrait constituer un recours, si l’on en juge par les expérimentations où des artistes collaborent avec des mouvements d’habitants. Dans ces expériences, les acteurs de l’esthétique (artistes, paysagistes, architectes) restituent l’expérience des habitants pour la légitimer et la mettre en débat. Ces exemples autorisent l’hypothèse suivante et la généralisation de la pratique qu’elle suppose : pour impliquer les habitants dans l’action publique, il faudrait pouvoir mettre en forme leur expérience sensible afin qu’elle puisse être restituée, devenir recevable, circuler et être mise en débat. Pour cela, on pourrait utiliser les savoir-faire des spécialistes de la mise en forme du vécu (artistes, romanciers, paysagistes, scénographes…) et recourir aux formes communes de sa représentation et de son énonciation (ambiances, paysage, récits, images…) dont ils sont les maîtres d’œuvre par excellence. On retrouve là l’idée qui constitue l’épine dorsale même du programme Environnement, engagement esthétique et espace public et qu’il lui revient donc de mettre au cœur des recherches qu’il entreprendra.

Bibliographie

Références

  • Beck, U., 2001. La Société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Paris, Aubier.
  • Berleant, A., 1991. Art and Engagement, Philadelphia, Temple University Press.
  • Berleant, A., 1992. The Aesthetics of Environment, Philadelphia, Temple University Press.
  • Blanc, N., Lolive, J. (Eds), 2007. Esthétique et espace public, Cosmopolitiques, 15.
  • Brady, E., 2003. Aesthetics of the Natural Environment, Edinburgh, Edinburgh University Press.
  • Brady, E., 2007. Vers une véritable esthétique de l’environnement, in Lolive, J., Blanc, N. (Eds), Esthétique et espace public, Cosmopolitiques, 15, 61-73.
  • Brown, L., 2006. Art en écologie : un laboratoire d’idées sur l’art et le développement durable. (« Laboratoire d’idées » organisé par le Conseil des arts du Canada, la Commission canadienne pour l’Unesco, la Vancouver Foundation et la Royal Society for the Encouragement of the Arts, Manufactures and Commerce [Londres]). Rapport sommaire, Vancouver, Roundhouse Community Centre (http://www.unesco.ca/fr/activite/sciences/documents/LornaBrownArtenecologieRapportsommaire.pdf).
  • Carlson, A., 2000. Aesthetics and the Environment: The Appreciation of Nature, Art and Architecture, London, Routledge.
  • Descola, P., 2005. Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard.
  • Dewey, J., 1934. Art as Experience, New York, Berkley Publishing Group. Trad. fr. : Œuvres philosophiques, III. L’Art comme expérience, Tours, Farrago / Pau, Publications de l’Université de Pau, 2005.
  • James, W., 1907. Pragmatism, New York, Longman Green and Co; rééd. New York, Prometheus Books, 1991. Trad. fr. : Le Pragmatisme, Paris, Flammarion, 2007.
  • Kwon, M., 2004. One Place after Another : Site-specific Art and Locational Identity, Cambridge (MA), The MIT Press.
  • Lapoujade, D., 1997. William James : empirisme et pragmatisme, Paris, PUF.
  • Matilsky, B., 1992. Fragile Ecologies: Contemporary Artists Interpretations and Solutions, New York, Rizzoli International.
  • Peirce, C.S., 1984. Textes anticartésiens, présentation et traduction de J. Chenu, Paris, Aubier-Montaigne [réédition d’une sélection de textes de 1868, 1878, 1879].
  • Ramade, B., 2007. Mutation écologique de l’art, in Lolive, J., Blanc, N. (Eds), Esthétique et espace public, Cosmopolitiques, 15, 29-40.
  • Shellenberger, M., Nordhaus T., 2004. The Death of Environmentalism. Global Warming Politics in a Post-Environmental World (http://www.thebreakthrough.org/images/Death_of_Environmentalism.pdf).
  • Soubeyran, O., 1988. Malaise dans la planification, Les Annales de la recherche urbaine, 37, 24-30.
  • Verpraet, G., 1989. Les théories américaines de l’aménagement urbain. La question des professions, Les Annales de la recherche urbaine, 44-45, 15-25.

Mise en ligne 01/02/2012

Notes

  • [1]
    Ce colloque a été financé dans le cadre du programme Paysages et développement durable du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. L’ouvrage de Nathalie Blanc, Vers une esthétique environnementale (2008, Versailles, Quæ), participe de la réflexion. Un dossier sur le thème de la restauration écologique est en cours de publication dans la revue Cybergeo.
    NB : certains passages de ce texte sont repris dans le numéro thématique Paysages, espaces culturels, écologie de la revue d’art canadienne RACAR, qui paraîtra en 2009 en versions imprimée et électronique.
  • [2]
    Il est à noter qu’il est possible de reprendre les réflexions de Berleant sans accepter pour autant l’injonction d’adaptation conservatrice omniprésente dans les discours des politiques, car, pour lui, l’expérience esthétique est un processus alternatif, créatif de résistance aux conformismes.
  • [3]
    Cet ouvrage a été réédité en anglais en 1991 et a fait l’objet d’une traduction nouvelle en français en 2007 (cf. références bibliographiques).
  • [4]
    Docteur en médecine, professeur à Harvard, W. James a été un pionnier de la psychologie scientifique avant de devenir philosophe et, en tant que tel, l’initiateur, à la suite de Charles Sanders Peirce (1839-1914), du pragmatisme.
  • [5]
    La revue Geoforum a publié un numéro spécial sur le sujet en 2008 (Wood, N., Smith, S. (Eds), 2008. Pragmatism and Geography, Geoforum, 39, 4, 1517-1636).
  • [6]
    L’abduction (du latin abductio, emmener) est un type de raisonnement d’abord mis en évidence par Aristote : il s’agit d’un syllogisme dont la prémisse majeure est certaine et dont la mineure est seulement probable. La conclusion n’a alors qu’une probabilité égale à celle de la mineure. Pour le pragmatiste C.S. Peirce (1984), c’est la seule forme de raisonnement par lequel on peut aboutir à des connaissances nouvelles. En effet, ce type d’inférence consiste à rechercher des causes et à émettre des hypothèses à partir de l’observation de faits singuliers, isolés et surprenants.
  • [7]
    C’est l’objectif du projet de Centre de recherche et d’expérimentation en esthétique environnementale (CREE), association en cours de constitution réunissant des artistes et des chercheurs pour expérimenter des solutions inspirées par l’esthétique environnementale face aux problèmes écologiques, qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux.
  • [8]
    Le compte rendu de ce colloque a été publié dans un précédent numéro de la revue : Chartier, D., 2008. « Environnement, engagement esthétique et espace public : l’enjeu du paysage ». Compte rendu de colloque, Natures Sciences Sociétés, 16, 3, 279-281.
  • [9]
    Pour le stabiliser, un groupement de recherche international (GDRI) « Ambiances urbaines et esthétique environnementale : vers une fabrique sensible de l’environnement ordinaire » est en cours de constitution.
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