1Ce colloque international constituait la « First DIVERSITAS Open Science Conference » (cf. http:// www.diversitas-international.org/link1.html). Il était organisé par DIVERSITAS, programmeinternational et non gouvernemental, établi sous les auspices de l’ICSU (International Council for Sciences), de l’IUBS (International Union of Biological Sciences), de l’IUMS (International Union of Microbiological Societies), de SCOPE (Scientific Committee on Problems of the Environment) et de l’Unesco (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation), et qui a comme objectif de recherche les questions posées par les changements et la perte de la biodiversité.
2Depuis sa création en 1991, ce programme a axé son activité sur l’identification des enjeux globaux liés aux évolutions de la biodiversité ; pour ce faire, il s’attache à coordonner les recherches menées de par le monde. Sa mission est double : favoriser une science de la biodiversité reliant sciences biologiques et sciences sociales pour produire des connaissances socialement appropriées – il met donc en relation des chercheurs de disciplines de sciences naturelles et sociales ; fournir les bases scientifiques pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
3En 2001, la deuxième phase du programme a été lancée dans le but de le recentrer sur trois objectifs principaux: poursuivre l’inventaire de la biodiversité et prédire ses changements ; évaluer l’impact des changements de biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes et les services rendus ; développer la science de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité.
4À partir d’une série de réunions conduites en 2003, DIVERSITAS a produit son Science Plan et une stratégie d’exécution pour mener à bien ses objectifs en servant de catalyseur à la recherche au sein de trois « Scientific Core Projects » : bioDISCOVERY, qui analyse les changements au sein de la biodiversité et s’interroge sur les processus écologiques fondamentaux capables de les expliquer ; ecoSERVICES, qui examine l’impact de ces changements sur le fonctionnement des écosystèmes et les services rendus à la société ; bioSUSTAINABILITY, qui analyse les répercussions sur la société de la prise en compte ou non des biens et des services fournis par la biodiversité. Sont également étudiées les activités humaines (en particulier, leurs aspects sociaux, légaux, économiques et politiques) qui pourraient avoir un impact sur les déterminants des évolutions de la biodiversité. DIVERSITAS établit aussi des réseaux transversaux (Cross-cutting Networks), surdes sujets ou des écosystèmes spécifiques, qui embrassent les questions abordées dans chacun des trois « Scientific Core Projects » : GMBA (« Global Mountain Biodiversity Assessment »), GISP (« Global Invasive Species Program »), freshwaterBIODIVERSITY et agroBIODIVERSITY. En outre, deux autres réseaux sur « la biodiversité et la santé » et « la biodiversité marine » sont en cours de développement.
5Ce colloque a été, à l’image de DIVERSITAS, multidisciplinaire. Plus de 700 scientifiques, venus de 60 pays et représentant aussi bien les sciences naturelles que sociales, l’ont suivi ; parmi eux, 175 venaient des pays en voie de développement et étaient pris en charge par le programme. La conférence a été organisée autour de deux objectifs principaux : développer des voies nouvelles pour déterminer la valeur (aussi bien sociale et culturelle qu’économique) de la biodiversité ; fournir les bases scientifiques pour une prise de décision (politique et au niveau personnel) qui puisse refléter ces valeurs dans un effort pour conserver les ressources vitales.
6Environ 450 présentations ont été proposées grâce au déroulement en permanence de sept sessions parallèles.
7Elles étaient portées par des disciplines très diverses s’étendant de la biologie aux sciences économiques et au droit international, avec un accent mis sur les avantages positifs de la conservation. De plus, environ 200 posters ont pu être présentés au cours d’une session spécifique. Les exposés s’appuient sur les résultats des recherches récentes à travers pratiquement tous les écosystèmes, expliquent le développement et l’application de nouvelles technologies et identifient les défis à relever actuellement en ce qui concerne les activités humaines qui ont le plus grand impact sur la biodiversité.
8Les séances plénières ont été consacrées à une réflexion sur les enjeux majeurs des recherches sur la biodiversité. Le Millenium Ecosystem Assesment, dont les résultats ont été publiés en mai 2005, donne une analyse des tendances passées et futures de l’évolution de l’état des écosystèmes. Mais, surtout, il soulève la question de l’information nécessaire pour la prise de décision politique en termes de conservation de la biodiversité. La tenue de cette conférence tombait donc fort à propos. Des chercheurs de renom ont été invités en plénière pour évoquer les forces et les faiblesses des recherches sur la biodiversité. Leurs propos convergent pour démontrer la nécessité, dans la perspective d’une utilisation durable de la biodiversité, de favoriser un large accès de tous aux connaissances scientifiques. Jane Lubchenco (International Council for Science, ICSU) appelle à un partage des savoirs, y compris sur « les us et les usages ». Natarajan Ishwaran (Ecological and Earth Sciences, Unesco) plaide pour de vrais partenariats scientifiques avec une coopération orientée sur les Millennium Ecosystem Assessment Goals. Peter Raven (Missouri Botanical Garden) s’interroge sur la croissance démographique mondiale avec des scénarios à 9 milliards de personnes à l’horizon 2050. Il dénonce les gaspillages des sociétés du Nord, en particulier aux États-Unis, avec des consommations énormes d’eau et d’énergie par habitant. Il parle alors du « gap » entre les connaissances scientifiques et la réalité des pratiques « minières » aux États-Unis.
9La présentation de Michel Loreau (Scientific Comittee DIVERSITAS) traduit bien ce glissement actuel des scientifiques, d’une recherche sur la biodiversité essentiellement centrée sur les ressources biologiques à une position désormais tournée vers les services rendus par l’écosystème. Même s’il rappelle qu’à l’heure actuelle seulement 30 % des espèces sont connues, ce n’est plus le recensement des espèces qui est le challenge scientifique, mais la compréhension du système. À la question : « Can technology substitute for ecosystem services? » la réponse est évidemment négative ; le fonctionnement des écosystèmes est trop complexe et la technologie ne peut répondre que de façon partielle. Les nouvelles questions de recherche portent sur les processus et la dynamique de la biodiversité : « How and why Biodiversity is changing? ». M. Loreau soutient pour cela des approches intégrées : « integrated analysis and models ». Dans sa présentation, intitulée « challenges of biodiversity science », il nous met face à ce qu’il appelle la sixième crise d’extinction, avec des taux de disparition des espèces sans commune mesure avec ceux du passé. Son point de vue est que la biodiversité a permis l’arrivée des civilisations modernes, mais que la domestication de plantes et d’animaux a impliqué une réduction de la biodiversité par les choix de sélection artificielle dus à l’homme. L’industrialisation et la technologie moderne n’assurent qu’en partie la maîtrise de la nature et l’indépendance des sociétés vis-à-vis d’elle, car n’importe quel procédé de production est en rapport avec elle, la transforme, et dépend d’elle. Pour mettre en place les bases d’une utilisation durable de la biodiversité, il est indispensable de faire prendre conscience de cette dépendance de l’humanité vis-à-vis d’elle et, pour ce faire, il faut combler le fossé qui existe entre science et société en ce qui concerne les perceptions et les utilisations des ressources biologiques. À ce titre, l’exposé de Charles Perrings (Arizona State University, USA) a bien donné le ton général de la conférence, avec un accent très net mis sur la valeur que l’on doit accorder aux écosystèmes et aux espèces en fonction des biens et des services rendus à la société. La conférence a donc eu un fort accent « conservationniste », perspective dans laquelle la valeur de la conservation est comparée à d’autres valeurs (production de biens et de services) et où il devient alors possible de définir des modes de régulation et de compensation qui s’intègrent dans les décisions de conservation pour inventer de nouveaux modes de gouvernance.
10L’organisation de la conférence a été structurée autour de 22 symposiums. Ceux-ci recoupaient les trois « Scientific Core Projects » de DIVERSITAS. Les thèmes abordés étaient : biodiversité des océans, informatique au service de la biodiversité, télédétection et biodiversité, changements globaux en lien avec la biodiversité, avancées théoriques en biologie de la conservation pour le premier (bioDISCOVERY) ; flux géochimiques, pollinisation, séquestration du carbone, etc., pour le second (ecoSERVICES) ; gestion de conflits, partenariats et gestion par les communautés locales, accords multilatéraux, etc., pour le troisième (bioSUSTAINABILITY)), et biodiversité dans les paysages agricoles, santé, biodiversité en zone de montagne, espèces invasives, etc., pour les Cross-cutting Networks.
11L’ouverture des sciences biologiques aux autres disciplines a surtout été marquée par l’entrée en force de l’économie, et plus précisément de l’économie de l’environnement, qui, depuis quelques années est en mesure de proposer des modèles d’intégration de données économiques et écologiques. La place laissée à C. Perrings tout au long de la conférence reflète bien cette orientation. Son influence a été omniprésente. Cet élargissement du champ d’investigation de l’économie se base toujours sur sa théorie initiale du « price of ecosystem services » à partir de la valeur marginale qu’il définit ainsi : « It is a measure of what society would gain or lose if a little more or less of that service were available. » La question récurrente pendant toute la conférence restera celle du lien qui existe, ou qu’il est nécessaire d’établir, entre marchés et protection des écosystèmes. En s’appuyant sur la théorie de Ricardo, C. Perrings la pose en ces termes : « Should we be able to make better use of markets both to reveal the value of ecosystem services and to persuade people to take these values into account? » La domination de cette approche peut inquiéter. Dépendons-nous vraiment des marchés pour protéger la valeur des écosystèmes et des services qu’ils procurent ? Non, et heureusement.
12Malgré la place de choix donnée au plus récent des Cross-cutting Networks de DIVERSITAS (agroBIODIVERSITY), avec la sortie de son Science Plan, Louise Jackson n’a pas vraiment réussi a impulser une dynamique nouvelle de recherches sur l’agrobiodiversité, même si son allocution mettait en exergue des points importants pour une compréhension renouvelée, insistant sur trois d’entre eux : « on-farm research, all stakeholders, interdisciplinary ». Pour elle, les « associations nouvelles en science » sont des approches interdisciplinaires et participatives entre chercheurs, paysans et décideurs, visant à intégrer les recherches écologiques et socioéconomiques en vue de mieux identifier les services rendus par les écosystèmes et demieux apprécier les effets de différents scénarios de gestion des paysages agricoles.
13L’organisation du symposium 9 : Biodiversity in agricultural landscapes : how to save our capital and not lose interest, a permis de réunir une dizaine de communications, très variées et très inégales, portant sur les savoirs traditionnels (Stephen Brush et Hugo Perales Rivera), les espèces sauvages apparentées, l’agriculture de conservation ou encore l’approche « pest management » de Miguel Altieri, qui sonnait comme du déjà vu. Unai Pascual (University of Cambridge, UK) a pu prolonger sur ce thème les propos de C. Perrings, avec une excellente présentation sur « The economics of biodiversity in agricultural landscapes ». Stuart R. Harrop (University of Kent, UK) a, de son côté, fait une analyse critique des outils et instruments multilatéraux pour prendre en compte les pratiques agricoles traditionnelles favorables au maintien de l’agrobiodiversité. Au total, treize contributions orales au symposium 9 sur l’agrobiodiversité ont été présentées, mais l’essentiel des approches était plus centré sur le biologique que sur la société. C’est pourquoi l’agriculture de conservation a fortement été mise en valeur au détriment d’une vision de l’agriculture créatrice de diversité, plus proche des courants de pensée de l’écologie humaine et de l’anthropologie soutenus par S. Brush (University of Davis, California). Le fait biologique reste encore très mis en avant par rapport aux dynamiques sociales dans les recherches sur la biodiversité. C’est pourquoi la place et le rôle des différents acteurs dans la perception de la biodiversité et la gestion des ressources biologiques qui en découle ne sont pas apparus comme un axe majeur pour la réconciliation de la science et de la société lors de cette conférence.
14La déclaration des scientifiques d’Oaxaca sur la biodiversité stipule que les participants soutiennent les conclusions du Millenium Ecosystem Assesment et la déclaration de Paris en janvier 2005, lors de la conférence « Biodiversité, science et gouvernance ». Ainsi, ils invitent les gouvernements, les décideurs et les citoyens à prendre en considération la biodiversité dans leurs actes et leurs prises de décisions. Mais, surtout, ils appellent les gouvernements nationaux et les Nations unies à établir un panel scientifique international de personnes ressources capables de fournir de façon régulière l’information scientifique validée et indépendante concernant la biodiversité aux gouvernements, pour l’établissement des conventions internationales, aux organisations non gouvernementales, aux décideurs et à un public large. Mais, dans cette assemblée d’experts de tous les champs disciplinaires visant au partage des connaissances scientifiques, manquaient de façon cruciale les décideurs.
15Ce colloque a franchi un petit pas dans l’ouverture aux disciplines autres que biologiques avec la percée de l’économie et la prise en compte des politiques : le recours aux instruments de la gestion concertée des ressources permet de sortir du classique « biological and ecological area » (Peter Johan Schei). Soulignons aussi le souhait récurrent d’une « capacity building for developping countries ». En effet, malgré lefinancement par DIVERSITAS de la participation de 175 chercheurs des pays du Sud, Peter Raven a pu regretter que seuls le Brésil et l’Inde aient été vraiment représentés. Notons enfin l’appel lancé aux jeunes scientifiques à faire corps pour faire partager la prise de conscience qu’exige la protection de la biodiversité (Paul Ehrlich).