1Il s’agit de la deuxième édition de l’école thématique du CNRS consacrée à la modélisation et à la simulation multi-agents (SMA) appliquées aux sciences sociales. Cette semaine de formation avait pour ambition de fournir aux chercheurs – issus majoritairement, mais pas exclusivement, des sciences humaines et sociales – une présentation générale de la simulation multi-agents et des principaux concepts et méthodes utilisés. La semaine n’avait pas pour objectif de former les participants à une utilisation effective de cet outil, mais plutôt de leur fournir un ancrage, une base de connaissances communes leur permettant d’appréhender des modèles existants, voire d’ouvrir des perspectives nouvelles à des recherches en cours. En effet, l’outil que constitue la simulation multi-agents, bien connu des biologistes et des géographes depuis la fin des années 1980, l’est encore peu en sciences sociales, où il est peu intégré à la recherche.
2Dans l’approche des SMA, le point de vue du chercheur est très important. L’organisation de la semaine prenait en compte cette caractéristique, puisque, pour une plus grande adéquation entre les attentes d’un public très hétéroclite et les apports des divers experts, les participants devaient se spécialiser en choisissant l’un des trois ateliers proposés : modélisation théorique fondée sur des modèles analytiques (Denis Phan, Guillaume Deffuant) ; modélisation participative et usages de terrain (Nils Ferrand, Pascal Perez) ; simulation multi-agents de phénomènes spatiaux et géographiques (Éric Daude, Patrice Langlois).
3L’apport des connaissances se décomposait en trois temps. La matinée était consacrée à des cours magistraux permettant le traitement de concepts théoriques communs, utiles à tous les types d’approche. L’après-midi était dédiée aux ateliers ; cela permettait un approfondissement des concepts communs étudiés le matin même, liés à des problématiques plus particulières. Enfin, la soirée était consacrée à des conférences présentant, pour la plupart, des travaux plus appliqués de la part de spécialistes en sciences humaines.
4La base des connaissances communes a globalement été bien assimilée. Novices et initiés, partageant les mêmes bases, ont appris rapidement à parler le même langage. Le problème de la pluridisciplinarité et de la différence entre les niveaux de connaissances s’est donc effacé en quelques jours pour donner lieu à des échanges constructifs sur les atouts et les failles de l’utilisation des SMA en sciences sociales. Ce qui apparaissait donc au début comme un obstacle s’est alors rapidement transformé en une richesse.
5La première intervention était d’ailleurs consacrée à la définition de cette base de connaissances communes. Jacques Ferber était chargé de transmettre le concept de modèle multi-agents de système complexe. Sans entrer dans les détails, rappelons que ces modèles peuvent être caractérisés par un ensemble d’entités, appelées agents, qui sont plongées dans un environnement. Les agents peuvent agir sur l’environnement et communiquer entre eux. Souvent, une organisation structure l’ensemble qu’ils forment et définit leurs fonctions (notion de rôle et éventuellement de groupe).
6Le principal avantage de ces modèles est qu’ils permettent d’étudier par simulation des systèmes complexes et hétérogènes dont la formulation analytique est impossible. En effet, l’expression informatique sous forme d’agent offre une plus grande souplesse que les systèmes d’équations différentielles. Ces modèles permettent également d’analyser plus précisément les interactions entre les différents agents ou les différents systèmes (voire entre les agents et les systèmes). Les modèles multi-agents trouvent donc une double utilité : dans le cadre de l’aide à la décision, puisqu’ils servent de représentation commune lors du processus d’interaction entre des acteurs ayant des représentations différentes du monde ; dans le cadre de la compréhension des mécanismes économiques et sociaux, notamment en ce qui concerne les mécanismes de coordination.
7Leurs inconvénients, ou tout au moins leurs limites, ont également été abordés. L’un d’entre eux tient au caractère relativement récent de l’utilisation des SMA en sciences sociales : il n’existe pas d’homogénéité dans les méthodes de construction et/ou de validation, et donc pas de plateforme commune. Cela rend difficile l’utilisation des plateformes existantes, car aucune n’est réellement générique (chacune est adaptée à une problématique particulière). Cela rend également difficile la comparaison entre des études utilisant des plateformes différentes. Mais l’inconvénient majeur – qui n’est pas spécifique à la branche des sciences sociales, mais plutôt inhérent aux modèles multi-agents eux-mêmes – est le problème du choix du « bon » modèle. Cela renvoie alors à l’adéquation entre modèle et problématique et, par voie de conséquence, à l’importance des tests de validation (Frédéric Amblard).
8Le caractère crescendo des interventions théoriques a permis d’entrevoir les diverses étapes de la construction d’un modèle de simulation. Les différents choix nécessaires à la construction de ces modèles : la cohérence entre le type de modèle et la problématique, les étapes de la construction du modèle et de la validation des résultats, ont été successivement abordés. Cela a mis en évidence, notamment, la pertinence de la coopération entre des modélisateurs capables de construire des modèles robustes mathématiquement et empiriquement vérifiables et les thématiciens ayant des problématiques pertinentes en sciences sociales.
9Chez plusieurs intervenants, on pouvait percevoir une insistance sur l’importance des choix initiaux à faire, que ce soit celui du type d’utilisation ou celui du type de construction du modèle. En effet, avant toute chose, il est nécessaire de bien définir ce que l’on attend du modèle, les questions auxquelles il va devoir répondre et l’utilisation qui en sera faite. Tout dépend donc des objectifs fixés par l’étude et de la problématique à traiter.
10Il y a tout d’abord différentes manières d’utiliser un modèle. Le type de conclusion attendue conditionne fortement, par exemple, le nombre et le type de variables ou le niveau de désagrégation du modèle et donc sa finesse. Les modèles peuvent être construits en vue de deux objectifs distincts. Ils peuvent être utilisés à des fins exploratoires ; dans ce cas, on va chercher à construire un modèle robuste mathématiquement. Plus précisément, pour les modèles utilisés en sciences sociales, on cherche s’ils présentent une certaine cohérence et sont en adéquation avec les théories existantes ; ils doivent donc formaliser ou vérifier différentes théories. Ils peuvent également être utilisés à des fins de prédiction ou d’aide à la décision ; dans ce cas, leur utilisation est plus empirique, ce qui entraîne des contraintes différentes, dont principalement une recherche de réalisme.
11En second lieu, il existe différentes manières de concevoir un modèle. Là aussi, deux démarches sont à distinguer : le recours à des plateformes existantes, telles que Moduleco, Cormas, IMAGES ou MadKit ; ou la construction de son propre modèle. En effet, certains (plus particulièrement chez les informaticiens) préfèrent réécrire un code spécifique à chaque modèle – « from scratch » – en utilisant éventuellement des librairies de services déjà existantes. Les modèles aboutis possédant une plateforme directement utilisable par des non-informaticiens ont l’avantage d’être très complets et robustes mathématiquement, ce qui permet d’effectuer directement (ou plus rapidement) les simulations. Leur inconvénient est en contrepartie une méconnaissance, de la part de l’utilisateur, de tous leurs mécanismes, et donc le risque de passer à côté de certaines subtilités de la dynamique ou des interactions.
12Au cours des interventions de la soirée, où des problématiques plus appliquées étaient généralement présentées, l’occasion était donnée aux participants de parcourir le champ très vaste des utilisations. En sciences sociales, ces outils sont particulièrement bien adaptés à l’étude de l’émergence de comportements collectifs à partir d’interactions individuelles comme l’a exposé Guillaume Deffuant avec le projet IMAGES. Ils peuvent être également utilisés pour l’étude de la mise en place et de l’évolution de certains types d’organisation. Un exemple sur l’organisation urbaine nous a été présenté par Léna Sanders, qui expliquait les mécanismes de croissance ou de déclin d’une ville et son organisation interne. Enfin, un autre pan des utilisations possibles est de considérer les modèles multi-agents comme des outils pédagogiques entrant dans le processus de prise de décisions comme support au dialogue. C’est dans cette lignée que Nils Ferrand et François Bousquet nous ont également présenté leurs travaux respectifs.
13Pour conclure, cette école a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche à de nombreux participants. Les modèles multi-agents s’accordent avec des problématiques très diverses. La brève présentation qui en a été faite donne une idée générale des champs d’application possibles et des questions qu’ils peuvent soulever. Pour une présentation plus détaillée, il est désormais possible de se reporter à l’ouvrage intitulé : Modélisation et simulation multi-agents pour les sciences de l’homme de la société : une introduction (Amblard, F., Phan, D., coord., Lavoisier, Coll. Science informatique et SHS, 2006), qui reprend ces diverses contributions. Clair et concis, il explore pour la première fois la modélisation multi-agents sous l’angle des sciences sociales et donne les principales clés de fonctionnement aux chercheurs intéressés.