Burton P.-A., « Vers l’infini d’une autre lumière ». Études de spiritualité cistercienne, t. 1 : méthode, histoire et actualité, coll. Pain de Cîteaux 34, série 3, Saint-Jean-de-Matha, abbaye cistercienne Val Notre-Dame, 2013, 15x20, 517 p., 29 €. ISBN 978-2-921592-50-5
1 On ne résume pas les quelques vingt ans (1993-2012) de travail, de familiarité et, cela est évident, de connivence profonde, que rassemble ce fort volume (n° 34) de la coll. « Pain de Cîteaux ». On est heureux de voir ces heures d’étude et de prière être saluées avec émotion et amitié par Marie-Christine Rossignol, qui signe « une laïque associée à Sainte-Marie-du-Désert ». On ne manquera pas ainsi de rappeler qu’une des « dominantes » de l’œuvre aelredienne, si familière à notre A., est dédiée à cette qualité proprement spirituelle de la rencontre et de l’« association » : l’amitié. Mais les pages qui suivent ne sont pas d’abord consacrées à la présentation d’Aelred (début 1110 - 12 jan. 1166 ou 1167), illustre successeur de Bernard de Clairvaux. L’A. en a déjà publié une biographie.
2 Il faut au moins évoquer les articulations de ce premier vol. d’Études de spiritualité cistercienne regroupant et coordonnant des travaux déjà publiés mais difficilement accessibles. Un avant-propos, substantiel et nécessaire, présente l’entreprise qui justifie le regroupement proposé. On sera donc bien avisé de prendre connaissance de chacune des parties qui suivront : méthode ; histoire ; actualité. Ce qui est annoncé en « doctrine » ne fait pas l’objet d’une exposition systématique mais peut, évidemment, se repérer au cours de ces 513 pages. La connaissance impressionnante de la littérature cistercienne que manifestent ces pages sera appréciée et commentée par les confrères et les spécialistes de ce domaine. La lecture de la « défense » d’Aelred de Rievaulx et de ses lecteurs ou historiens (W. Daniel, son secrétaire et ami) demandera un peu d’attention. Il en ressort que tout intérêt, neuf ou ancien, pour la spiritualité cistercienne se devra d’avoir à son service les pages ici évoquées.
3 Nous avons été particulièrement intéressés par la « défense et l’illustration » (en 3e partie, actualité) de ce qui reste une question difficile pour toutes les spiritualités nées au cours de l’histoire occidentale de la vie religieuse : le bien fondé et la manière de transmettre leur « charisme » au « profit » de la vie chrétienne laïque. Fr. Marie-Joseph Cassant et le p. André Mallet y répondent : « à la source d’une communion spirituelle profonde » (p. 387-444). De même, les enjeux d’une « passation » sont exposés dans « la déclaration sur l’identité laïque cistercienne (p. 445-478). Récemment (en 2013) élu abbé de Sainte-Marie-du-Désert, l’A. propose encore une réflexion qu’il ne sera pas inutile de considérer dans le contexte actuel et difficile des vocations aux diverses formes « renouvelées » de consécrations et d’engagements. De 2012, le dernier texte de l’A. alors père Maître, y réfléchit à l’aide de Bernard, d’Aelred aussi et d’autres : « Quelle formation en vue de quelle identité ? Comment, à quoi et en vue de quoi est ordonnée la formation monastique ? » (p. 479-499)
4 Nous attendons le 2nd tome de cette imposante contribution à la connaissance et à l’appréciation de la « voie » cistercienne. Déjà ici, une imposante bibliographie, des index des citations bibliques et des auteurs cisterciens et de leurs œuvres citées complètent ce travail qui, pour être souvent minutieusement analytique, n’en est pas moins une somptueuse entrée dans cet univers qui nous conduit « vers l’infini d’une autre lumière ». — J. Burton sj
Casey M., ocso, Tomlins D., ocso, Introduction à la règle de Saint Benoît. Programme de formation, coll. La Tradition, source de vie 3, Bégrolles en Mauges, éd. Bellefontaine, 2013, 13x21, 349 p., 20 €. ISBN 978-2-85589-303-7
5 Michael Casey, moine de Tarrawarra en Australie, auteur de nombreux livres et articles, a élaboré avec David Tomlins, abbé du même monastère, un programme de formation sur la règle de S. Benoît (RB) à l’attention de bénédictins et de bénédictines anglophones. Ce programme a rapidement fait l’objet d’une publication, aujourd’hui traduite en français par l’Abbaye de Bellefontaine.
6 Fruit d’années de recherche et d’enseignement, cette approche veut permettre une redécouverte de la Règle de Benoît telle qu’elle a été écrite et dans tout ce qu’elle a à offrir aujourd’hui encore. « La RB est-elle seulement un élément historique dans l’évolution du bénédictinisme moderne, en grande partie périmée ? (…) Si elle a vraiment un rôle à jouer, (…) quelle interaction peut-il y avoir entre la fidélité à une Règle écrite au vi e s. et une réponse appropriée au monde réel d’aujourd’hui ? » (p. 14)
7 Pour se faire, un premier chapitre expose quelques principes d’interprétation et d’application, ensuite repris de façon très pédagogique et fine, dans les 17 chapitres suivants. Parmi ces principes : la règle n’agit pas d’abord sur le gouvernement d’une communauté mais sur les esprits et les cœurs des membres de la communauté ; la compréhension de la RB est facilitée par la connaissance de ses caractéristiques historiques, culturelles et linguistiques car Benoît écrit non une spiritualité « sans âge » mais « une sorte de guide pratique pour des groupes de moines qu’il connaît » (p. 17) ; la RB fait partie d’une tradition vivante : antérieure et postérieure à Benoît ; tous les aspects de la RB ne sont pas d’égale valeur ; la participation à une tradition vivante privilégie un « accès familial » aux textes ; le caractère même d’étrangeté inhérent à cette Règle ancienne, et qui semble au premier abord faire obstacle à sa compréhension, se révèle en fait un atout pour un dialogue en profondeur.
8 Chaque chapitre développe selon ces critères un des thèmes principaux de la RB. La lecture en est passionnante autant pour celui qui croit déjà bien connaître la règle que pour celui qui la découvre. Un point d’intérêt fort est sans aucun doute l’aller-retour constant entre la Tradition antérieure et postérieure à Benoît. Repérer ce qui peut venir d’Augustin, de Basile ou de Cassien, réfléchir sur le sens de la suppression d’une phrase dans un paragraphe emprunté à la Règle du Maître, permet de mieux saisir l’objectif et la pointe de la pensée du père des Moines d’Occident. Et parallèlement, les belles synthèses exégétiques du texte sont étoffées par de fréquentes citations de bénédictins contemporains, et notamment du p. de Voguë. Chaque chapitre se conclut par des questions ouvertes d’approfondissement personnel et surtout communautaire.
9 Étant donné l’importance en Occident de la règle de S. Benoît, ce programme de formation, accessible et sérieux, constitue une parfaite introduction à la RB pour des moines et moniales de toute tradition autant que pour tous ceux qui voudront bénéficier d’une pensée riche et équilibrée sur la vie chrétienne. —J. M. Guillon fmj
Chevkounov T., Père Rafaïl et autres saints de tous les jours, trad. M. L. Bonaque, coll. Religion, Genève, éd. des Syrtes, 2013, 14x22, 400 p., 23 €. ISBN 978-2-84545-176-6
10 « Les Saints Dons aux saints », proclame le prêtre avant la communion : c’est de ces saints-là que ce livre émouvant raconte les histoires recueillies à partir du monastère des Grottes de Pskov par un réalisateur de cinéma moscovite, converti et devenu religieux dans ce monastère de Petcherski, travaillant ensuite dans l’édition religieuse et au sein du patriarcat de Moscou. Outre le propre récit de sa conversion, l’A. présente ceux qui furent ses guides spirituels ou ses confrères et amis, qu’il appelle « les saints non saints » (titre original), les startsy dont la vie au monastère ou en paroisse réalise le passage du monde visible à l’invisible. La trad. française, dont on soulignera l’attention envers le lecteur occidental (de très nombreuses notes permettent de comprendre les mots religieux, les personnages historiques cités, les lieux visités, les événements évoqués) a choisi de mettre en avant un de ces « saints de tous les jours » : le p. Rafaïl, un « voyou aimant la vitesse », selon l’aveu de l’A. qui était son ami, mais « saint de tous les jours » dans ses rencontres avec les autres. Notons aussi le récit de la découverte des reliques de saint Tikhon, le patriarche déposé par les soviétiques, l’épopée retraçant la vie de Mgr Vassili Rodzianko, évêque de l’émigration, ou encore l’histoire de mère Frossia, héritière spirituelle de saint Sérafim de Sarov, et tant d’autres personnages attachants dont beaucoup furent martyrs de la foi.
11 Cet ouvrage est important. Bien entendu, il présente le point de vue de l’orthodoxie russe sur les événements qui ont marqué son histoire récente (Mgr Vassili parlait non seulement sur les radios « free Europe » mais Radio Vatican lui confia aussi un micro, ce que ne dit pas l’ouvrage). Mais par là même il offre des données dont la valeur pour l’historiographie est indéniable. Ces récits expriment aussi la manière très concrète dont la sainteté monastique a subsisté dans l’Église orthodoxe sous le régime soviétique et a contribué au renouveau religieux dans la Russie actuelle. Enfin, la manière dont l’A. parle de la vie mystique selon les canons de la spiritualité orientale est aussi un riche enseignement pour le lecteur d’une autre tradition. — A. Massie sj
Hogg J., The Charterhouses of the Provincia Lombardiae Remotioris as seen in the Chartae of the Carthusian General Chapter, Vol. 1 et 2, Coll. Analecta cartusiana, 100, 57, Salzburg, Institut für Anglistik und Amerikanistik, 2013, 15x21, 173 p. et 177 p.,. ISBN 978-3-902895-15-8 et 16-5
12 Ces deux volumes, dont la présentation est impeccable, reprennent les « ordonnances » et « dispositions » décidées par le Chapitre général des chartreux à propos de la Province de Lombardie extérieure, qui prit ensuite le nom de Saint Bruno. — S. D.
Meiattini G., Monachesimo e teologia. La triplice prospettiva di H. U. von Balthasar, coll. Balthasariana 3, Lugano, Eupress FTL, 2012, 15x23, 164 p., 15 €. ISBN 978-88-88446-69-1
13 Depuis le Concile Vatican II, Balthasar est un des rares théologiens à avoir travaillé la question de la théologie de la vie monastique. L’ouvrage de G. M. offre une clef de lecture originale de cet aspect décisif, bien que trop peu souvent relevé, de l’œuvre théologique de B.
14 Outre un recueil d’études du théologien suisse dédiées au monachisme, M. présente une réflexion sur la reconstruction des rapports entre théologie et expérience monastique selon la perspective balthasarienne. Il aborde ce thème selon trois axes d’intelligibilité qu’il repère dans l’œuvre de B. : la théologie de la vie monastique, la vie monastique comme théologie et les caractéristiques d’une théologie de style monastique.
15 La théologie de la vie monastique conduit à redécouvrir le sens de la vie comme vocation, appel de Dieu. Il s’agit de dépasser la dimension éphémère du vécu pour l’envisager à la lumière du définitif et de souligner le caractère précieux de chaque instant. Ici, l’A. rappelle que pour B., il ne peut exister d’histoire sans racine contemplative du « définitif ».
16 Envisager la vie monastique comme théologie permet de relier expérience spirituelle et intellectus fidei. Ce lien met en relief l’aspect intrinsèquement communicatif de toute expérience spirituelle. Il contribue également à mettre en lumière le caractère élémentaire et intégral de l’expérience humaine en tant que telle.
17 Une théologie de style monastique, quant à elle, fait ressortir le caractère pastoral que devrait avoir toute réflexion théologique. Ce que B. lui-même ne manquait pas de relever en soulignant que docteurs et pasteurs avaient toujours coïncidé dans ce qu’il nommait des « personnalités totales » (Verbum caro, p. 202).
18 Au final, cette étude démontre encore une fois, s’il en était besoin, la fécondité de la pensée de B. En particulier, elle permet d’ouvrir des pistes pour faire coïncider expérience spirituelle, intelligence théologique et communication de la foi dans un interagir réciproque. En ce début du xxi e s., dans la perspective d’une nouvelle évangélisation, cela présente un intérêt majeur. — É. Ayroulet sfj
Nagel E., Die Klausur der Kartäuser. Typologie und Grundrissorganisation der großen Kreuzgänge im Spannungsverhältnis zwischen Ordensidealen und örtlicher Lage. 1, Text. 2, Katalog, coll. Analecta Cartusiana 297, Salzburg, Institut für Anglistik und Amerikanistik, 2013, 21x30, 255 et 659 p., ill. ISBN 978-3-902895-05-9 et 06-6
19 Présenté à Munich comme dissertation doctorale en histoire de l’architecture, ce travail analyse les interactions entre les finalités spirituelles ainsi que la règle des communautés de chartreux et les contraintes imposées par les sites de leurs implantations. À la différence de la tradition cistercienne, l’architecture cartusienne semble avoir été négligée par les chercheurs, du fait peut-être de sa sobre simplicité. Elle présente cependant un type original d’habitat et d’organisation de l’espace personnel et collectif. Couvrant la période du xii e au xvi e s., l’enquête concerne plus de 90 chartreuses, principalement dans le monde alpin, le Jura, la Provence, la Lombardie et la Toscane. Au cours de cette période, les évolutions n’affectent guère les maisonnettes individuelles mais bien davantage le plan général et les locaux à usage communautaire. L’ouvrage est illustré de très nombreux plans, croquis, relevés, cartes et photos. Le t. 2 comprend, pour chaque chartreuse étudiée, une brève notice servant d’introduction aux documents visuels. — J. Scheuer sj