Aux origines de l’école de Tübingen. Johann Sebastian Drey : Brève introduction à l’étude de la théologie (1819), éd. M. Seckler, coll. Patrimoines Christianisme, Paris, Cerf, 2007, 24x15, 398 p., 39 € ISBN 978-2-204-08329-4
1Avec des contributions du cardinal Joseph Ratzinger, du cardinal Walter Kasper et de l’éditeur scientifique Max Seckler, dans une traduction de Joseph Hoffmann, ornée d’une postface de Mgr Joseph Doré (soit 160 p.), voici (en 190 p.) la première traduction française de la Brève introduction à l’étude de la théologie qui, de plus, bénéficie des abondantes notes de l’édition critique allemande encore à paraître. L’ouvrage de 1819 est considéré comme fondateur de cette École catholique de Tübingen, illustrée par J.-A. Möhler, et découverte en France à partir des années 1930 par les Chenu, Congar et autres de Lubac. Prenant donc en considération, comme le dit son titre, « le point de vue scientifique et le système catholique » — nous voici à l’âge scientifique et non plus scolastique de la théologie —, la Brève introduction comprend deux « parties principales ». La première, ou « introduction générale », comporte trois sections, successivement consacrées à « religion, révélation, christianisme » ; la théologie chrétienne ; les conditions de l’étude de la théologie (« Quiconque, par conséquent, possède les qualités grâce auxquelles il est possible de transformer la matière de la théologie en un savoir vivant et de mettre en œuvre ce savoir de façon féconde et bienfaisante dans l’Église dans une perspective pratique (...), celui-là est appelé à l’étude de cette science »). La « deuxième partie principale » est une « présentation encyclopédique des parties principales de l’étude de la théologie », également disposée en trois sections : la propédeutique historique (avec la Bible et la théologie historique du christianisme) ; la théologie scientifique (fondation ou apologétique, science spéciale ou dogmatique) ; la théologie pratique (gouvernement, administration ou ministère dans l’Église, théologie pratique). De déduction en affirmation, le traité progresse ainsi rigoureusement vers sa fin, pastorale, ou au moins, éducative.
2S’il y met un peu de peine, et s’il accepte les considérants donnés, quiconque s’intéresse aujourd’hui à la théologie se laissera encore impressionner par ces formulations ouvragées, dont voici un exemple entre mille : « il n’existe pas de liturgies universelles comme il existe des Symboles universels » (291). — N. Hausman scm
Bessière G., Jésus selon Proudhon. La « messianose » et la naissance du christianisme, coll. Histoire, Cerf, 2007, 24x15, 484 p., 47 € ISBN 978-2-204-08084-2
3P.J. Proudhon (1809-1865) se veut exégète. Pendant près de trente ans, il griffonne dans les marges de sa bible (une Vulgate, in-quarto) des annotations, parfois incohérentes et contradictoires, impossibles à dater, rebelles à toute synthèse, où se mêlent questions, hypothèses, convictions. L’A. du présent ouvrage nous les présente en détail, de Matthieu à l’Apocalypse, avant de poursuivre son investigation dans Césarisme et christianisme, 1883 ; De la justice dans la révolution et dans l’Église, 1860 ; Jésus et les origines du christianisme, 1896. Proudhon conteste le Jésus positiviste (1835) de Strauss et le Jésus libéral (1863) de Renan. Pour lui, le Jésus ‘effectif’ est le premier des socialistes, le plus grand des utopistes, l’agent de la plus étonnante révolution, morale et économique.
4Refusant d’être le Messie politique attendu, il s’est présenté comme un anti-Messie, qui n’a pas cherché à abroger le culte juif, mais à le réformer : son Père céleste, c’est la conscience. Après la destruction de Jérusalem qui ruine l’espérance messianique, ses disciples, sous la pression de l’opinion populaire, cherchent à prouver qu’il est le Christ. Ils arrangent les faits de manière à ce qu’ils correspondent à l’annonce du Messie dans l’Ancien Testament, ils font de Jésus un thaumaturge, le déclarent Messie, le déifient. C’est l’apothéose, alias messianose : « Il fallait que le Messie fût plus qu’une idée, plus qu’une doctrine ; il fallait qu’il fût un homme ». Notons que Proudhon a envisagé également un autre scénario : Jésus lui-même s’est laissé piéger, il a cédé à la tentation, il a flirté avec l’attente messianique en entretenant l’équivoque. Il a ainsi été l’acteur de sa messianose, spécialement après son ensevelissement … auquel il avait survécu jusqu’en 56 ou 70. — P. Detienne sj
Bianchi E., Quale fede ?, éd. G. Caramore, coll. Uomini e profeti 9, Brescia, Morcelliana, 2002, 19x12, 93 p., 10 € ISBN 88-372-1874-5
5E. Bianchi, fondateur de la communauté de Bose, dans le Piémont, est l’une des voix prophétiques de l’Église d’aujourd’hui. Ce petit livre provient d’émissions télévisées où E.B. répond aux questions de quatre interrogateurs sur la foi, les idoles, l’Église et la résurrection. La télévision exige des réponses courtes, condensées, ce qui comporte des inconvénients, mais a aussi l’avantage de forcer à aller droit au but. Bianchi parle de sa foi et n’engage que lui. Il y va dans ce livre tonique de l’essentiel. — B. Clarot sj
Concilio Vaticano II. 40 años después, éd. I. González Marcos osa, coll. Jornadas agustinianas IX, Madrid, Centro Teol. San Agustín, 2006, 22x15, 362 p. ISBN 84-95745-49-6
6Vatican II (1962-65) a été un grand événement, « une nouvelle Pentecôte », disait Jean XXIII, « un printemps inespéré », avec trois buts : développer la foi catholique, rénover la vie chrétienne et adapter la discipline ecclésiastique. Ces ixe Journées augustiniennes ont voulu se centrer sur cet événement capital. Sept de ces neuf orateurs sont des augustins.
7L.M. de San Marín, augustin, parle des « Papes du concile » et du déroulement de celui-ci. On apprend que Pie XI et Pie XII avaient déjà songé à un concile, mais c’est Jean XXIII qui l’a commencé malgré l’opposition de son entourage. — C. Martín traite du « nouveau visage de l’Église » après Gaudium et spes. On découvre une Église plus pauvre, peuple sacerdotal, prophétique et charismatique en route vers le Royaume de Dieu. — P. Langa Aguilar présente « les défis œcuméniques » de Dignitatis humanae et de la liberté religieuse.
8R. Sala explique un des legs de Gaudium et spes, à savoir l’option préférentielle de l’Église pour les pauvres. On a accusé cette constitution d’optimisme ingénu et dépassé ; or elle donne une espérance aux pauvres et un critère de crédibilité à l’Église. — P.L. Moráis évalue la vie religieuse 40 ans après le concile. — J.A. Maestro scrute « la présence d’Augustin à Vatican II ». Il signale les thèmes augustiniens présents dans les textes, tels le Maître intérieur, le souci d’un visage plus aimable de l’Église, la recherche de la vérité, la Cité de Dieu en lutte contre celle du mal, la collaboration entre l’Église et les États, etc.
9J.M. Sánchez fait le bilan de Dei verbum : ce texte a libéré la théologie de son corset idéologique pour repartir de l’Écriture. — J.M. Laboa explique « la réception du concile par l’Église espagnole ». Il reconnaît que le pluralisme prôné par le concile a d’abord provoqué une crise dans un pays à la foi monolithique. Mais peu à peu est apparue une vitalité étonnante, une réflexion théologique intense, des initiatives apostoliques surprenantes. — A. Iturbe esquisse rapidement « l’historique du concile » en en soulignant quelques points importants. Les Espagnols, avec les Italiens et les Sud-Américains ont été parmi les éléments conservateurs qui freinèrent Vatican II. L’A. se rappelle qu’en 1999 le cardinal Martini avait souhaité un nouveau concile pour affronter les questions épineuses : une vraie collégialité épiscopale, la promotion de la justice, une révision de la morale sexuelle, la liberté du célibat sacerdotal, l’admission des femmes au sacerdoce, la démocratisation de l’Église.
10Est-ce que l’Esprit va de nouveau souffler en tempête sur cette Église ? Tel a été le climat ouvert, audacieux et chargé d’espoir de ces Journées augustiniennes. — B. Clarot sj
Deneken M., Johann Adam Möhler, Paris, Cerf, 2007, 22x14, 347 p., 32 € ISBN 978-2-204-08221-1
11Après avoir situé J.A. Möhler (1796-1838), figure de proue de l’école de Tübingen, dans le contexte religieux de son temps, l’A., doyen de la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, se penche sur ses deux œuvres maîtresses. Dans l’Unité (1825), Möhler présente l’Esprit Saint comme l’« instigateur de l’Église historique » qui est le Corps vivant du Christ, pérennisant le mystère de l’Incarnation au milieu du monde. Sa Symbolique (1832) diffère des apologies confessionnelles, elle se présente comme un exposé des oppositions dogmatiques exprimées dans les écrits symboliques catholiques et luthéro-réformés : les oppositions se développent à partir d’un terreau commun (les quatre premiers conciles) ; l’enseignement doctrinal catholique n’apparaît dans sa véritable lumière que s’il est opposé aux définitions protestantes.
12L’A développe les thèmes majeurs des deux ouvrages : Ecclésiologie, Tradition et Écriture, Œcuménisme. Il en évoque l’originalité, la complexité, la dimension praxéologique, l’ouverture aux systèmes de pensée contemporains. Il y découvre une certaine évolution : tendance à l’épiscopalisme et au conciliarisme, penchant pour l’Auflkärung, positionnement ultramontain … Il voit en Möhler un précurseur du dialogue œcuménique, voire même interreligieux (cf. ses références à l’hindouisme). Un dernier chapitre signale l’influence de son ecclésiologie sur des théologiens tels que Döllinger, Perrone, Passaglia, Schrader, Franzelin, Scheeben, et également Congar, Rahner, Küng, Ratzinger, Weigel, Dulles. Ses idées ecclésiologiques sont présentes dans la constitution Lumen gentium, tandis que la constitution Dei Verbum intègre ses conceptions de la Tradition et de l’Écriture, opposées à la théorie des deux sources : la Tradition est l’expression de l’Esprit Saint qui anime l’ensemble des croyants ; elle est l’Évangile vivant, annoncé depuis les Apôtres. L’ouvrage se termine par une importante sélection d’extraits, traduits par l’A. À lire. — P. Detienne sj
Fischer I., Des femmes aux prises avec Dieu. Récits bibliques sur les débuts d’Israël, tr. Ch. Ehlinger, coll. Lire la Bible 152, Paris, Cerf/Médiaspaul, 2008, 21x13, 239 p., 32 € ISBN 978-2-204-08565-6
13De nombreuses exégètes se sont déjà penchées sur la place des femmes dans l’Écriture, enfantant ainsi dans l’Église une présence nouvelle de Jésus vivant, plus proche de l’humain, plus dans l’intime du mystère de Dieu aussi. N’était-ce pas le rôle des femmes témoins du Ressuscité dès l’aube de Pâques ? Prenant leur relais, une théologienne d’expression allemande nous offre en traduction française ce premier volume d’une trilogie étudiant la personnalité des femmes de la Bible aux trois registres de sa composition : Torah, Prophétie, Sagesse. Parue en allemand dès 1995, elle en est à sa troisième édition. Nous sommes heureux de voir paraître son ouvrage en langue française dans cette collection.
14Ch. Ehlinger, traducteur, note dans son liminaire que « l’intérêt de ce premier volume est de ne lire les récits des origines d’Israël ni comme une légende de héros ni comme de simples chroniques familiales. Ce sont des récits fondateurs … Ils sont pleins de figures de femmes qui interviennent à des moments clés … » (p. 10). L’A. en effet prend en compte Gn 1,27 : c’est en tant que couple que Dieu crée l’humain à son image. Atteignant la cinquantaine, Irmtraud Fischer est vice-recteur de l’Univ. de Graz où elle enseigne l’AT à la Faculté de théologie catholique. Elle est aussi directrice d’un Institut de recherche sur l’AT et présidente de l’Association catholique germanophone pour l’étude de la Bible.
15Le livre est basé sur une étude narrative rigoureuse des textes dont elle nous offre le message décanté en des termes accessibles à un grand public bien que destiné d’abord aux étudiants en théologie pour les aider à découvrir les richesses de l’Écriture. Les notes en bas de page disent le sérieux de l’étude.
16L’A. nous fait parcourir les figures de l’histoire patriarcale d’Israël, attentive à l’expérience de Dieu que font les femmes : Sarah et Hagar avec Abraham, et l’enchevêtrement de leurs destinées, Rebecca la forte épouse d’un Isaac effacé, Rachel et Léa, colonnes fondatrices des douze tribus de Jacob, sans oublier les « pages obscures de la chronique familiale » avec Dina, Juda et Tamar. À cette saga féminine, l’A. ajoute les sages-femmes israélites en Égypte et les femmes éducatrices du peuple. Elle redit encore son propos en y joignant deux femmes, Noémi et Ruth sa bru, laquelle intervient dans la généalogie matthéenne de Jésus, ouvrant sur la réalité messianique.
17Un livre-récit plein de délicatesse, respectueux et vivifiant, manifestation de la tendresse divine dissimulée dans ces destinées féminines, grâce auxquelles grandit l’humanité et s’humanise l’animal raisonnable à travers les épreuves et les souffrances concrètes de l’existence. Le ton narratif exprime la continuité d’une visée théologique : faire découvrir aux lectrices et lecteurs d’aujourd’hui la profondeur de la lettre du texte grosse d’un message spirituel toujours actuel. Une belle œuvre de maternité au service de l’Église. — J. Radermakers sj
Johnson El., Vera nostra sorella. Una teologia di Maria nella comunione dei santi, tr. M. Sbaffi Girardet, coll. Gdt 313, Brescia, Queriniana, 2005, 20x12, 627 p., 44 € ISBN 88-399-0813-7
18“Elle est vraiment notre sœur” : cette parole du pape Paul VI parlant de la Vierge Marie sert de titre à ce livre, qui est à sa manière un exposé de mariologie féministe. L’A., membre de la congrégation de Saint-Joseph de Brentwood, est une religieuse américaine, professeur de théologie à l’Université Fordham de New York, une des théologiennes les plus connues aux États-Unis, notamment par son ouvrage Celle qui est : le mystère de Dieu, traduit en italien (Queriniana, Gdt 262) et par ses livres sur le Christ et la communion des saints.
19Dans cette volumineuse étude, elle commence par donner la parole aux femmes théologiennes avant de se lancer sur des routes nouvelles et de parler du « visage maternel de Dieu ». À partir de là, elle construit son modèle théologique, rappelant que Marie est une femme historique, humaine, avant d’être un symbole ; elle balise ensuite cavalièrement deux mille ans de mariologie jusqu’à Vatican II. Elle nous reporte alors dans la Galilée du temps de Jésus et nous décrit en traits rapides le monde politico-économique et religieux de l’époque, en soulignant la situation socio-culturelle des femmes. À ce moment — nous sommes aux deux tiers de l’ouvrage —, elle nous brosse un portrait de Marie d’après les évangiles de Marc, Matthieu et Luc, puis d’après Jean et les Actes dans une perspective résolument féministe, largement tributaire d’Él. Schüssler-Fiorenza. Sa lecture malmène quelque peu nos modes traditionnels d’imaginer les faits et les personnes. Elle aborde enfin sa conclusion en nous montrant Marie, amie de Dieu et prophète, comme chef de file du cortège des saints et vraiment notre sœur dans la foi. Telle Marie apparaissait parmi les disciples de Jésus, groupant des hommes et des femmes à part égale. C’est à pareille convivialité qu’elle appelle l’Église actuelle.
20La lecture que l’A. fait de Marie dans les évangiles, surtout chez saint Luc, montre qu’elle n’a guère compris leur propos et qu’elle retrouve dans le texte les présupposés qu’elle y a introduits. Dommage, en tout cas, qu’elle n’ait pas lu le petit ouvrage d’A.-M. Pelletier Le christianisme et les femmes (Cerf, 2001 ; cf. NRT 126 [2004] 147). Par ailleurs, le livre, somme toute décevant, contient des notations intéressantes, souvent noyées dans un style volontiers prolixe. — J.R.
Études d’histoire de l’ésotérisme. Mélanges offerts à Jean-Pierre Laurant, éd. J.-P. Brach et J. Rousse-Lacordaire, coll. Patrimoines, Paris, Cerf, 2007, 24x15, 457 p., 49 € ISBN 2-204-08210-5
21Enseignant d’histoire au lycée de Soissons, J.-P. Laurant fut aussi, vingt-cinq ans durant, chargé de conférences à la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études, dans la chaire d’histoire de l’ésotérisme. Son abondante bibliographie (433-445) témoigne de l’ampleur de ses intérêts et recherches, notamment dans le champ de l’« ésotérisme chrétien » des 19e et 20e siècles. Plus que par le culte du secret ou du caché, l’ésotérisme est ici défini ou du moins circonscrit par É. Poulat comme ce que tant la pensée théologique que la pensée scientifique « considèrent comme un résidu négligeable au terme du choc culturel qui les constitue toutes deux dans leur modernité antagoniste » (12). On peut y reconnaître, positivement, une « recherche de la cohérence perdue » (19). Une trentaine de collègues et amis rendent ici hommage au jubilaire par des contributions variées : histoire, historiographie et sociologie de l’ésotérisme, liens avec la franc-maçonnerie et l’occultisme, manifestations dans l’art et la littérature, sans oublier les interfaces avec certaines doctrines politiques et sociales. Parmi les figures étudiées, on notera René Guénon (à la suite de J.-P. Laurant, plusieurs lui consacrent ici des travaux), mais aussi Franz von Baader, Julius Evola ou encore Alain Daniélou. L’ouvrage illustre la vitalité d’un nouveau secteur de recherches académiques, notamment dans le monde de langue française. — J. Scheuer sj
Munsterman H., Marie corédemptrice ? Débat sur un titre marial controversé, coll. Théologies, Paris, Cerf, 2006, 24x15, 106 p., 16 € ISBN 2-204-08028-4
22Peut-on attribuer ce titre à Marie ? Comment définir exactement son rôle dans l’histoire du salut par rapport au mystère de la rédemption et dans la foi des chrétiens ? À ces questions, l’A. répond de façon précise et ferme, appuyé par une excellente documentation. Né en 1972, l’A. travaille entre les Pays-Bas et la Suisse ; il a étudié la théologie à Amsterdam et Utrecht, puis à Strasbourg. Il dirige à présent le Centre théologique de Meylan où il enseigne la théologie systématique.
23En moins de 100 pages denses et précises, il dégage l’essentiel de la théologie concernant Marie. Il le fait en trois étapes. La première développe les choix mariologiques de Vatican II, en soulignant le passage du point de vue christologique à celui de l’Église, compte tenu des avancées œcuméniques. La 2e considère l’origine des titres attribués à Marie, spécialement celui de corédemptrice, en explicitant son interprétation actuelle. La 3e donne dix arguments significatifs contre son utilisation, en notant son ambiguïté, l’influence d’une théologie hésitante et dépassée, sans bases biblique et patristique suffisantes, et causant des difficultés dans le dialogue œcuménique.
24Bref, un livre essentiel pour les mariologues, en raison de sa rigueur. Les dévots à Marie y trouveront aussi de quoi nourrir leur piété personnelle. — J.R.
Navarro Lecanda A.M., Colloquium salutis. Para una teología del diálogo ecclesial. Un dossier, coll. Victoriensia 80, Vitoria-Gasteiz, Eset, 2006, 24x17, 315 p. ISBN 84-7167-147-6
25Août 2004 rappelait le quarantième anniversaire de la première encyclique de Paul VI, Ecclesiam suam, dite « l’encyclique du dialogue » et qui se présentait comme le programme de son pontificat. Jean-Paul II y a vu une encyclique prophétique, mais qui n’a pas produit tous les fruits espérés, car elle proposait une voie trop nouvelle.
26Malgré tout, le type de dialogue « apostolique » qu’elle proposait visait à convertir l’interlocuteur. Or ce type de dialogue « vertical » est une de ses limites. Il suppose une Église en position dominante et reste inadapté pour une Église en position de diaspora.
27L’A. affirme que l’ecclésiologie de cette encyclique était plus proche de celle de Pie XII dans Mystici corporis que de celle du concile dans Lumen gentium qui arrive en novembre 1964. Elle ne dit rien de l’Esprit Saint et surtout elle oublie la réciprocité qui est essentielle au vrai dialogue, dans lequel on donne et on reçoit. Aussi cette encyclique trop conservatrice n’aura guère eu d’influence sur l’ecclésiologie du concile.
28Gaudium et spes nos 91-93 a fourni la « grande charte » du dialogue en proposant de chercher avec tous les hommes la vérité sur l’homme et des solutions aux grands problèmes de l’humanité. Mais l’indifférence religieuse rend ce dialogue religieux difficile.
29La seconde partie du livre étudie l’après-concile et les formes de dialogue utilisées dans l’œcuménisme, dans le dialogue avec les autres religions, avec les incroyants et enfin avec les laïcs dans l’Église catholique. Ces dialogues doivent se faire dans la réciprocité où chacun des interlocuteurs donne et reçoit, avec une Église qui ne juge pas, mais qui aime comme le Christ.
30L’A. reconnaît n’avoir fait que rassembler une documentation (un dossier) pour préparer une synthèse anthropologique et théologique sur la question. Benoît XVI ira-t-il dans le sens de la constitution Dominus Iesus de 2000 à propos du dialogue ? Il ne semble pas, écrit l’A., car ses premières orientations paraissent poursuivre celles du concile pour un dialogue « ouvert et sincère » avec toutes les civilisations.
31On peut regretter l’absence d’un index des noms propres et le silence presque total sur les trois livres du P. Jacques Dupuis sur le dialogue interreligieux où il pose nettement les exigences de réciprocité du « dialogue horizontal ». Le sujet est certes nouveau et très délicat, mais il faut poursuivre dans cette ligne, quitte à affiner les conclusions du P. Dupuis qui ne nie nullement le rôle du Christ comme unique médiateur du salut mais l’interprète de façon plus nuancée. — B. Clarot sj
Pagazzi G.C., In principio era il legame. Sensi e bisogni per dire Gesù, coll. Studi cristologici, Assisi, Cittadella, 2004, 21x14, 164 p., 13.80 € ISBN 88-308-0778-8
32Jésus se révèle-t-il comme Fils de Dieu aussi à travers les sens et les besoins des hommes ? Alors ceux-ci serviraient-ils de médiation pour dire Jésus, et comme « lien » entre la nature et la grâce ? L’A. de cet essai original est prêtre du diocèse de Lodi, auteur d’une thèse doctorale défendue à la Grégorienne sur la singularité de Jésus comme critère d’unité et de différence dans l’Église (1997). Il enseigne la théologie systématique aux séminaires de Crema, Lodi et à Piacenza.
33En trois chapitres suggestifs, il compose une phénoménologie des besoins comme expression de la solitude, celle-ci exprimant un lien et une communion, et non un isolement. Il montre ensuite comment l’évangile révèle la sensibilité de Jésus, sa manière de mettre en corrélation les réalités et les personnes, comme dimension essentielle de l’incarnation. Enfin il fait percevoir ce monde comme celui que le Sauveur vient sauver. Nouvelle manière de faire la christologie en laissant parler nos sens et la manière dont le Christ les touche en communiant à notre vie humaine.
34Passer des sens ou du besoin matériel à la réalité spirituelle qu’ils recèlent, tel est le propos christologique de l’A. : Jésus est le lien entre Dieu et l’homme et entre les hommes ; toute sa personne est révélatrice de Dieu et du salut qu’il apporte. Ce livre, présenté par Gh. Lafont (une référence !) est plein d’intérêt ; il stimule la réflexion et plonge le lecteur dans la merveille de l’incarnation. — J.R.
Piola A., Donna e sacerdozio. Indagine storico-teologica degli aspetti antropologici dell’ordinazione delle donne, coll. Studia Taurinensia 18, Cantalupo, Effatà, 2006, 24x17, 719 p., 38 € ISBN 88-7402-259-X
35Une volumineuse étude sur la délicate question de l’ordination sacerdotale féminine. C’est la thèse de doctorat qu’un jeune prêtre du diocèse de Turin a défendue brillamment à l’Université pontificale Grégorienne de Rome en 2004. Il enseigne présentement la théologie dogmatique à la Faculté de théologie d’Italie du Nord et à l’Institut supérieur de Science religieuse. Son texte est introduit par le P. L. Ladaria sj, qui a dirigé l’A. dans la rédaction de son travail. Celui-ci se propose de « justifier et approfondir le motif de la pratique traditionnelle de l’Église en ce domaine » (p. 5).
36Après une brève introduction, l’A. aborde son sujet par un examen de la position actuelle du Magistère à partir de la lettre apostolique de Jean-Paul II (mai 1994) Ordinatio sacerdotalis, reprenant le document Inter insigniores (octobre 1976) publié sous Paul VI. Prétextant l’égalité des sexes et au nom de l’anthropologie, de nombreuses prises de position s’insurgeaient contre ces déterminations réputées décisives. Aussi, en deuxième partie, l’A. poursuit-il une longue enquête, pointue et exhaustive, sur les positions théologiques de la tradition catholique : premiers siècles de l’Église ; époque médiévale, avec Duns Scot, Thomas d’Aquin et Bonaventure ; époque moderne répétitive des positions traditionnelles, et enfin discussions autour de Vatican II avec le surgissement des théologies féministes, les lignes de fond du débat postconciliaire et les polémiques à propos des documents magistériels précédemment cités.
37Patiemment, l’A. a rassemblé une énorme masse de documents qu’il traite de façon critique et fort perspicace. Les arguments anthropologiques sont soigneusement examinés par rapport à l’optique christologique : incarnation de Jésus dans un être masculin, symbolique nuptiale de l’union du Christ et de l’humanité, ainsi que de la sexualité humaine. Il enquête pareillement sur les positions théologiques des différents groupes revendicateurs tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église (comme le cas de la prétendue ordination de sept femmes en juin 2002 sur le Danube) et pose la question de l’officialisation de la responsabilité grandissante des femmes dans la pastorale ecclésiale en lien avec les rapports de Jésus avec les femmes selon l’évangile. En fait, son livre constitue un impressionnant dossier sur la question, ce dont témoigne l’abondante bibliographie de 90 pages. Mais il y a là davantage qu’un dossier, car les arguments avancés par les uns et les autres sont soigneusement évalués. Cette thèse remarquable est désormais incontournable pour tout théologien qui se penchera sur la question. — J. Radermakers sj
Quirico M., La differenza della fede. Singolarità e storicità della forma cristiana nella ricerca di Michel de Certeau, ibid. 17, 2005, 256 p., 25 € ISBN 88-7402-221-2
38M. de Certeau (1925-1986) est un auteur difficile. L’étudier, dit Monica Quirico, c’est le suivre dans sa recherche spirituelle sans fin. L’A., mère de famille et docteur de théologie à Turin, présente ici sa thèse de doctorat de théologie. Certeau est né dans une famille savoyarde et connut une éducation assez stricte. Baccalauréat à Grenoble en 1943 et entrée dans la Résistance. Séminaire de Paris de 1944 à 1946, puis après un an de réflexion, séminaire de Lyon en 1947, dans un milieu très ouvert à la « théologie nouvelle ». Il rencontre de Lubac et entre dans la Compagnie de Jésus en 1948 pour devenir missionnaire en Chine, mais l’arrivée des communistes à Pékin en 1949 lui coupe cette voie. Il se passionne alors pour l’histoire religieuse. Prêtre en 1956, il étudie la littérature mystique, participe à la fondation de l’École freudienne de Paris avec J. Lacan, découvre Kant, Hegel, Marx.
39Dès 1956, il fait partie de la jeune équipe de la revue Christus et dirige la collection qui lui est rattachée. En 1957-58, il suit à Paris les cours d’Orcibal sur la mystique rhénane et flamande, étudie le Mémorial de Pierre Favre sj et se passionne pour Surin en qui il voit probablement son double. Surin est l’un des exorcistes des fameuses possédées de Loudun (1632-1640) où Certeau repère certaines modalités de la mystique moderne : la découverte de l’Absent, la trace de cet Autre qui meut le désir humain, la désappropriation de soi qui est une des marques de la science expérimentale spirituelle. En 1963, il publie : le Mémorial de Favre, La Guilde spirituelle et la Correspondance de Surin. En 1967, il publie un recueil d’articles coup sur coup, L’Étranger ou l’union dans la différence et devient rédacteur aux Études.
40En 1970, il sort La Possession de Loudun, son œuvre la plus importante et, en 1982, La Fable mystique, livres qui constituent les deux pôles de sa pensée historique et mystique ; dans le premier, il élabore sa méthode de recherche et de récit qui fait apparaître ce qui est caché et la possibilité risquée de l’Autre ; tandis que sa Fable mystique va à la recherche de l’Autre perdu dès qu’il est entrevu et présent finalement en nous, dans la vie quotidienne, dans le silence et la poésie. Ces deux livres montrent aussi le passage douloureux d’une époque à une autre dans une société qui se brise pour instaurer une nouveauté à construire.
41En 1974, il publie Le Christianisme éclaté qui lui attire des ennuis dans l’Église et la Compagnie. Si l’on parle beaucoup de Certeau, il faut bien reconnaître qu’il n’a pas eu de continuateur, note l’A. Dans sa post-face, P. Sequeri souligne que Certeau est « une matière volcanique toujours en éruption » qui se laisse difficilement saisir dans le cadre d’une discipline. M. Quirico a le mérite de rendre le projet de Michel de Certeau accessible même aux non-spécialistes, mais il reste que, à part le Mémorial, l’écriture de Certeau, probablement contaminée par celle de Lacan, ne facilite guère la lecture de son œuvre si riche et en consonance avec notre époque. — B.C.
Ratzinger J. et von Balthasar H.U., Maria il Sì di Dio, coll. Meditazioni 68, Brescia, Queriniana, 2005, 20x11, 61 p., 4 € ISBN 88-399-1468-4 ; Perché sono ancora cristiano. Perché sono ancora nella Chiesa, ibid. 182, 102 p., 6 € ISBN 88-399-2262-8 — Ratzinger J. avec K. Lehmann, Vivere con la Chiesa, ibid. 44, 76 p., 5 € ISBN 88-399-1444-7 — Ratzinger J., Fede e futuro, ibid. 61, 117 p., 6.50 € ISBN 88-399-1461-7 ; La fraternità cristiana, coll. Gdt 311, ibid., 19x12, 118 p., 10.50 € ISBN 88-399-0811-0 ; Democrazia nella Chiesa, ibid. 312, 126 p., 11.50 € ISBN 88-399-0812-9 ; Dogma e predicazione. Teologia e pastorale, coll. BTC 19, ibid., 2005, 23x16, 369 p., 21.69 € ISBN 88-399-0319-4 ; Elementi di teologia fondamentale, coll. Teologia n.s. 4, Brescia, Morcelliana, 2005, 21x15, 226 p., 17 € ISBN 88-372-1297-6
42Depuis que le Cardinal Joseph Ratzinger est devenu pape, on se met à traduire ou à rééditer ses ouvrages antérieurs à son élection. Ainsi avons-nous reçu une petite dizaine de traductions italiennes d’originaux allemands, ou de rééditions, pour la plupart de la Queriniana de Brescia. Il s’agit d’abord de quatre petits volumes de méditations sur Marie ou la vie dans l’Église : une introduction à l’encyclique de Jean-Paul II Redemptoris Mater, en collaboration avec H.U. von Balthasar : Maria – Gottes Ja zum Menschen (1987 ; 4e édit. italienne) ; avec le même collaborateur, « Pourquoi suis-je encore chrétien, et encore dans l’Église ? », trad. de Zwei Plädoyers. Warum ich noch ein Christ bin … in der Kirche bin (München 1971 ; 3e édit. de Queriniana) ; « Foi et avenir » (Glaube und Zukunft, München, 1970, 3e édit. de Queriniana) ; avec K. Lehmann « Vivre avec l’Église » (Mit der Kirche leben ; 2e édit. de Queriniana. Cf. NRT 102 [1980] 307). Dans la collection Giornale di Teologia, deux petits volumes consacrés aussi à la vie de l’Église : « La fraternité chrétienne » (Die christliche Brüderlichkeit ; München, 1960. Cf. NRT 94 [1962] 666) et « Démocratisation dans l’Église ? » avec H. Maier (Demokratie in der Kirche, Kevelaer 1970, tr. française Apostolat des éditions 1971).
43Citons encore les Éléments de théologie fondamentale (Theologische Prinzipienlehre. Bausteine zur Fundamentaltheologie (München 1982, paru chez Morcelliana en 1986), comprenant une partie sur la foi comme chemin de conversion et de salut, et une autre sur le ministère comme sacrifice, sacrement et sacerdoce. Enfin, de nouveau chez Queriniana, « Dogme et prédication » dans la collection Bibliothèque de théologie contemporaine (Dogma und Verkündigung, München 1973 et Queriniana 1974) qui développe une théorie de la prédication, sa thématique de base et des méditations ou prêches particuliers. Nous ne saurions trop recommander ces publications qui mettent en relief le souci pastoral du Pape Benoît XVI et son grand amour de l’Église. — J. Radermakers sj
Ratzinger J. e.a., La provocazione del discorso su Dio, éd. T. Rainer Peters & Cl. Urban, tr. A. Aguti, coll. Gdt 314, Brescia, Queriniana, 2005, 20x12, 148 p., 13.50 € ISBN 88-399-0814-5
44En 1998, s’est tenu en Westphalie un symposium sur La fin des temps et la provocation du discours sur Dieu à l’occasion des 70 ans de J.B. Metz. Avec lui y prirent part le cardinal J. Ratzinger, J. Moltmann, protestant, et Eveline Goodman-Thau, hébraïsante.
45Pour J. Ratzinger, Dieu éternel est entré dans le temps. L’éternité divine maîtrise le temps. Compte surtout le mouvement de l’esprit grâce auquel l’histoire et l’homme gardent leur valeur propre. La tradition chrétienne a vu dans l’abandon de soi du Christ en croix le modèle du temps accompli. Ici la fin signifie aussi la plénitude du temps. Dieu est à la fois dans le temps et au-dessus de lui. Pour J.B. Metz, la théologie ne peut se couper du temps. Elle doit prendre en compte la souffrance d’autrui. La « théologie politique » tient compte de la situation historique, sociale et culturelle et interroge l’Église sur la souffrance des gens et la responsabilité des hommes dans cette souffrance. Dans la discussion qui s’ensuit, Ratzinger relève ses points d’accord avec Metz. Metz, lui, estime qu’il faut revoir la doctrine d’Augustin qui fait provenir la souffrance du péché. Jésus était plus attentif à la souffrance qu’au péché. Pour Ratzinger, c’est l’homme qui, par sa méchanceté, rend le mal insupportable. Dieu compatit à notre souffrance et nous aide à la supporter.
46Pour Moltmann la « théologie politique » de Metz n’est nullement une politisation de la théologie. La théologie a besoin de liberté. La hiérarchie ecclésiastique ne doit pas étouffer le « magistère commun » des fidèles. La censure tue la vérité. Pour l’homme moderne, la mort est trop souvent une fin que l’on souhaite rapide et indolore. Or Jésus est venu annoncer la plénitude des temps et le passage à une vie éternelle. Selon Ev. Goodman-Thau, l’Hébreu vit dans le temps et dans l’éternité. Le Dieu d’Israël est celui de l’histoire. L’apocalyptique juive a favorisé le messianisme chrétien. À travers son amour actif, l’homme correspond au plan divin qui veut construire un monde d’amour qui durera jusque dans l’éternité. Le Dieu d’Israël protège le droit et la justice. Il a élu Israël et lui a rendu sa terre à condition que son peuple observe la justice. L’homme est responsable de la création jusqu’à la venue du Messie.
47Ce livre avait suscité la controverse lors de sa parution en Allemagne en 1999. — B. Clarot sj
Schönborn Ch., L’Homme et le Christ à l’image de Dieu. La création de l’homme comme Bonne Nouvelle, Paris, Parole et Silence, 2007, 21x14, 118 p., 16 € ISBN 978-2-84573-551-4
48L’A., archevêque de Vienne, présente le Christ comme image de Dieu. Il en décrit la beauté, une beauté qui se manifeste dans la sainteté, dans l’art qui en est inspiré et dans la miséricorde qui en rayonne. Après avoir remarqué que le monothéisme islamique ne tolère pas de représentation de Dieu, il propose l’icône comme résumé de la foi chrétienne : c’est une médiation pour la rencontre avec le mystère humano-divin du Christ : « L’artiste applique tout son art à nous ouvrir un rideau, à permettre la vision ». L’icône présente un visage transfiguré, annonciateur du retour du Christ en gloire. Prolongeant sa réflexion, l’A. se tourne vers l’homme qui, lui aussi, est image de Dieu : c’est en cela, et non pas en son autonomie, que consiste sa dignité.
49À cette vision théocentrique de l’homme se réfère la vertu de religion, lien qui relie l’homme à son origine et qui l’oriente vers sa fin ultime. L’A. réaffirme la création immédiate de l’âme (cf. Pie XII, Humani generis, 1950). Pareille assertion ne présuppose-t-elle pas un dualisme étranger à l’anthropologie biblique ? Selon Rahner, les parents seraient la cause de l’être humain dans sa totalité en vertu de la force de Dieu qui est intrinsèque à leur action. L’A., quant à lui, nie que Dieu opère toute chose par le moyen des causes secondes. Avec Maritain, il affirme que, à l’égard de l’âme, les parents ne sont que la cause dispositive : aucune coopération des causes secondes n’est possible dans l’acte proprement créateur. Un regret : les citations en langues étrangères (latin, allemand, anglais) ne sont pas traduites. — P. Detienne sj
Scola A., Chi è la Chiesa ? Una chiave antropologica e sacramentale per l’ecclesiologia, coll. BTC 130, Brescia, Queriniana, 2005, 23x16, 323 p., 23.50 € ISBN 88-399-0430-1
50Fruit de cinq années de réflexion, ce livre n’est pas un traité d’ecclésiologie, mais un simple essai unifiant diverses études. L’A. reconnaît sa dette envers H.U. von Balthasar, Jean-Paul II et L. Giussani, fondateur de Communion et Libération. Professeur de théologie, A. Scola est devenu évêque en 1991, Recteur de l’Université du Latran de 1995 à 2002, puis Patriarche de Venise.
51Comment l’Église peut-elle être le « moyen » par lequel le Christ sauve les hommes de tous les temps et en tous lieux, se demande l’A. Autrement dit, comment l’Église peut-elle rendre le Christ contemporain de la liberté de chaque homme ? La réponse, selon lui, exige une ecclésiologie appropriée pour pouvoir affronter valablement des questions brûlantes comme la nature et les conditions de l’exercice du ministère ordonné à l’exclusion des femmes, ou encore l’œcuménisme et le dialogue interreligieux.
52L’ecclésiologie a besoin d’une double perspective synthétique, l’une anthropologique, l’autre sacramentelle pour conserver au mystère de l’Église sa nature pastorale et son caractère dynamique d’événement salvifique. Les voies suggérées par le concile restent trop peu explorées.
53Reprenant tout le concile, l’A. étudie la physionomie de l’Église comme mystère et comme sacrement, sa dynamique de communion et sa nature missionnaire pour illustrer son caractère de « moyen intrinsèque du salut en Jésus-Christ ». Enfin il propose quelques orientations pastorales à propos de la paroisse missionnaire, des charismes, des mouvements, du ministère ordonné, de l’écoute de la Parole de Dieu, de la catéchèse, de la synodalité …
54Tout en admirant cet effort pour faire progresser la réflexion sur l’Église dans la ligne du concile, on peut se demander s’il est bon de tant insister sur le rôle de Marie comme « épouse du Christ » (60), ou encore de « Marie-Église » (66). Le concile avait fortement réagi contre la mariolâtrie de son époque. Ne risque-t-on pas d’y revenir insensiblement ? — B. Clarot sj
Sesboüé B. sj, L’Évangile et la Tradition, Paris, Bayard, 2008, 21x15, 238 p., 20 € ISBN 978-2-227-47738-4
55Dans le présent ouvrage, édition « profondément modifiée » de son Évangile dans l’Église (1975), l’A. traite non pas des traditions (telles que le Concile de Trente les présente parallèlement aux Écritures), mais de la Tradition, transmission fidèlement créatrice d’un message évangélique que celle-ci ne cesse d’actualiser pour le conserver intact. En un style simple et accessible aux lecteurs non-théologiens, l’A. interroge deux mille ans d’histoire : depuis les premiers symboles de foi et leurs problèmes linguistiques (consubstantiel, e.a.) jusqu’aux défis de la mondialisation et de l’incroyance contemporaine.
56Qu’en retenons-nous ? Les définitions dogmatiques, historiquement datées (et donc relatives), sont des formulations autorisées du dépôt intangible de la foi : ce sont des moyens au service de la compréhension de la révélation attestée dans l’Écriture ; elles donnent lieu à un progrès dans l’intelligence raisonnée de la foi. L’A. justifie, contre ses détracteurs, la « nouvelle liturgie ». À propos des sacrements, il précise que le Christ en est le fondement, plutôt que le fondateur. À la formule hors de l’Église pas de salut, devenue ambiguë, il préfère la suggestion lubacienne : « le salut par l’Église ». Il exalte le dynamisme de l’Évangile manifesté dans les martyrs, les moines, les mystiques, les saints d’aujourd’hui. Il n’évite pas les sujets épineux : l’esclavage et la question sociale. Notons quelques belles formules : « l’enseignement ecclésial sur la Tradition est en lui-même le fruit de la tradition vivante. l’Évangile est toujours à dire (traduire, expliciter) et toujours à faire dans les conditions nouvelles de la société et de l’histoire ». L’ouvrage se termine sur un appel à transmettre l’héritage vivant, toujours fidèle et toujours créateur. Recommandé. — P. Detienne sj
Id., Yves de Montcheuil (1900-1944). Précurseur en théologie, coll. Cogitatio fidei 255, Paris, Cerf, 2006, 22x14, 429 p., 44 € ISBN 2-204-08168-X
57« Yves de Montcheuil n’a pas eu le temps de composer son évangile ». Au jésuite, fusillé comme résistant par les nazis, le Père B.S. consacre un ouvrage magistral, à la fois biographie, itinéraire spirituel et intellectuel. Le destin d’Y. de M. fut bref. Nous n’avons de lui qu’une poignée de textes, sans aucune œuvre majeure. Sa mort tragique fut en accord avec sa théologie. De son vivant, son influence fut exceptionnelle. Mais il y a plus.
58Sa pensée a anticipé sur le renouveau théologique du XXe siècle. Il a annoncé les grandes orientations qui furent celles de Vatican II. Au dire du P. d’Ouince, que cite B.S., il fut « l’un des théologiens les plus lucides de notre temps ». Il rencontra bien des traverses dans sa recherche doctrinale, mais sa liberté demeura aussi grande que son obéissance était exacte. « Le recul du temps lui donne fondamentalement raison dans les choix de sa pensée ». Aujourd’hui ignoré, voire oublié, il s’imposait qu’un théologien de la classe du P. Sesboüé repartît à sa rencontre pour nous restituer un homme de premier plan aussi bien en philosophie religieuse, où Blondel l’avait particulièrement marqué, que dans les grands domaines de la théologie et de l’expérience spirituelle. Après avoir retracé les étapes de la vie du Père et ses amitiés, l’A. s’attache à examiner sa double filiation augustinienne et blondélienne. Il étudie ensuite ses vues sur le Christ, sur l’Eucharistie et sur l’Église. Un dernier chapitre présente « le maître spirituel entré en résistance spirituelle ». On trouve en annexes des textes et des inédits du Père de Montcheuil, ainsi qu’une bibliographie.
59Les pages consacrées à l’Eucharistie dans la pensée du Père de Montcheuil nous ont paru d’une rare richesse. Avec maîtrise et clarté, l’A. montre comment le Père situe l’Eucharistie dans l’économie divine et ecclésiale des sacrements. Les suspicions dont il fut l’objet fondent comme neige au soleil. Le P.S. explique comment le P. de Montcheuil reprit à son compte la doctrine augustinienne du sacrifice dont la théologie n’aurait jamais dû s’écarter. Le sacrifice est sacramentel et le sacrement est sacrificiel. La messe est le sacrement du sacrifice de la Croix. Sa raison d’être sacramentelle est de nous unir au sacrifice du Christ.
60On connaît les soupçons dont Y. de M. a également été l’objet à propos de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. L’A. montre au contraire toute l’orthodoxie de la pensée d’Y. de Montcheuil. Le corps eucharistique du Christ est son corps glorieux, grâce auquel son corps historique peut devenir présent d’une manière qui n’est pas matérielle. Y. de M. a enseigné sans ambiguïté la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Il reconnaissait la pleine légitimité du terme « transsubstantiation » mais, au plan théologique, il avait le souci constant d’inscrire cette présence dans le mouvement du sacrifice du Christ et de son don aux hommes.
61Il entendait la comprendre de manière spirituelle, montrant toujours l’unité du sacrifice et du sacramentel. En revenant au concept traditionnel de présence sacramentelle, le P. de M. écartait l’opposition inadéquate entre présence historique et présence symbolique. Jamais il n’a contesté la présence réelle mais bien la technicité des théories scolastiques qui essayaient d’en rendre compte. Il voulait revenir « au mystère proprement eucharistique qui porte l’initiative du Christ venant se rendre présent aux hommes ». Certes, le P. de Montcheuil n’était guère pédagogue dans ses écrits qui allaient tellement à l’encontre de la scolastique de son temps. Il se montrait aussi souvent péremptoire dans ses affirmations. Mais même s’il était visé par Humani generis, il ne méritait nullement les reproches que certains pensaient devoir lui faire. En effet, toute son interprétation consistait à dire que « le signe est la réalité même ».
62On ne dira pas assez la richesse et la valeur de cet ouvrage où le P. Sesboüé restitue dans toute son émouvante lumière ce jésuite qui, contrairement à Henri de Lubac, n’a fait l’objet d’aucune réhabilitation. Puisse cette étude exemplaire hâter une démarche qui honorerait nos « théologiens officiels ». — H. Jacobs sj
Thomas d’Aquin, Le Verbe incarné en ses mystères, t. IV. Le Christ en sa résurrection et son exaltation, 3a, qu. 53-59, éd. J.-P. Torrell op, Paris, Cerf, 2005, 20x13, 441 p., 42 € ISBN 2-204-07833-6
63Les Qu. 53 à 59 closent dans la Somme théologique la Tertia Pars consacrée au Verbe incarné en ses mystères, avant la présentation des sacrements. Th. structure ces « mystères » en quatre temps, selon l’ordre du Credo : résurrection (qu. 53-56), ascension (qu. 57), session à la droite du Père (qu. 58), pouvoir de juger les vivants et les morts (qu. 59). Le docteur angélique insiste en ces pages sur l’efficience de la résurrection qui concerne l’humanité entière, en sa nature appelée à la glorification : « Th. témoigne ainsi de sa foi en l’avenir absolu de la création » (J.-P.T., p. 14).
64Outre une traduction nouvelle, notes explicatives et renseignements techniques (sur l’efficience de la résurrection, surtout) remplissent la moitié de ce volume, enrichi de « textes choisis » relatifs à la résurrection de Th., Cajetan et Grégoire le Grand. Dans une « révision » de son immense travail de traducteur et de commentateur, l’éditeur reprend enfin sa réflexion sur le sens à donner aux « mystères » du Christ et l’intérêt de les étudier, ainsi que sur l’originalité de la doctrine thomasienne relative au rôle du corps du Christ, vivant, mort et ressuscité, pour le salut, en se confrontant avec les recherches théologiques contemporaines. — A. Massie sj
Id., La prophétie, 2a-2ae, qu. 171-178, tr. et annot. P. Synave op et P. Benoît, 2e éd. J.-P. Torrell op, ibid., 2005, 403 p., 45 € ISBN 2-204-38903-X
65L’étude de la prophétie (IIa-IIae, qu. 171-178) prend place dans la Somme après celle des actes humains, vertus et vices en général (Ia-IIae) puis en particulier, selon l’état commun des personnes (IIa-IIae, qu. 1-170). Elle introduit l’analyse des situations déterminées structurant la communauté ecclésiale : après le traité de la prophétie, viennent ceux des formes de vie (qu. 179-182) et des états de vie (qu. 183-189). La prophétie fait partie des « charismes », en tant qu’ils sont des dons extraordinaires accordés au bien de la communauté. On trouvera donc une analyse du ravissement (qu. 175), du don des langues (qu. 176), du discours comme charisme (qu. 177) et du don des miracles (qu. 178), après la présentation de la prophétie proprement dite (essence : qu. 171 ; cause : qu. 172 ; mode : qu. 173 ; divisions : qu. 174).
66La forme très scolastique de ce traité ne doit pas égarer le lecteur : Th. y déploie une véritable théologie de l’inspiration, dont témoigne l’important appendice (p. 293-376) de la première édition de la Revue des Jeunes, parue en 1945. Tout en conservant la traduction et les commentaires des P. Synave et Benoît, T. ajoute sa touche personnelle. Ce traité fut en effet son amour de jeunesse, ainsi qu’en témoignent une thèse de 1973 sur les sources du De prophetia et son livre Théorie de la prophétie et philosophie de la connaissance, publié en 1977. Cette édition en donne les fruits. La lecture des « révisions » des notes de la première édition (p. 105*-122*) est indispensable, car elle corrige des erreurs d’interprétation présentes dans la première édition, notamment sur le rapport entre foi et prophétie. — A. Massie sj
Tristan F., L’anagramme du vide, coll. Qui donc est Dieu ?, Paris, Bayard, 2005, 18x12, 86 p., 13.90 € ISBN 2-227-47020-0
67La collection : « Qui donc est Dieu ? » donne carte blanche à des écrivains de disciplines et d’horizons divers, tels que Jean Grosjean, Marc-Alain Ouaknin et Yann Andrea, pour citer ceux que nous avons lus. Le dépaysement attendu à chaque lecture est ici à son comble. Et en vertu du mécanisme de l’anagramme : trop imaginer peut donner la migraine ! Il est plaisant de se composer un Dieu patchwork (11), de traverser la Kabbale en quelques lignes et d’affirmer que « la croyance en tel ou tel Dieu s’organise à l’intérieur de systèmes qui justifient la foi face à la raison, qu’ils tentent ainsi de circonscrire » (15). Oui, « l’homme est un affabulateur fabuleux » (19). Alors ? Se taire ? Même pas. « L’homme ne fait qu’inventer Dieu ou son absence, incapable de se dévêtir de son ego … C’est en tuant les dieux successifs que l’on peut approcher de Cela qui n’a pas de nom, parce qu’en tuant ces dieux on arrache de soi les apparences qui nous leurrent » (23-24).
68Est-ce impie de subvertir le « Je suis la voie, la vérité et la vie » johannique en invitation « à devenir nous-même voie, vérité et vie … attributs essentiels de l’Innommé » (37) ? L’A. est sincère et s’autocritique : « qu’est ce que ce bavard histrion nous raconte ? » (75). L’écriture est son lieu (plus de 30 romans, prix Goncourt 1983, Grand Prix de littérature de la SGDL en 2000) et s’il nous raconte des histoires, c’est de sa propre histoire qu’il s’agit. « Mais où et quand commence et finit le récit ? » (73). Seront-elles un jour ces « noces intimes de l’ “Il y a” que nous sommes avec l’Innommé » (78) ? — J. Burton sj
Xibaut B., Joseph Doré. La responsabilité d’un évêque, Paris, Mame, 2006, 25x16, 396 p., 22 € ISBN 2-7289-1194-0
69Sous un titre qui en rappelle un autre (La responsabilité des théologiens, Mélanges offerts à Joseph Doré, 2002), l’A., chancelier de l’archevêché de Strasbourg, jette un regard admiratif sur les neuf années d’épiscopat de JD. Écartant l’ordre chronologique, il dispose son texte en trois septénaires didactiques (célébrer, enseigner, gouverner) qui débordent sur une dernière section intitulée Transversalités, en écho au terme choisi par JD pour rebaptiser la revue de l’Institut Catholique de Paris. Le texte est étayé de nombreuses citations, empruntées au mensuel diocésain L’Église en Alsace, dont l’A. est l’éditeur.
70Nous y voyons l’évêque s’appuyer sur ses compétences de théologien dans la recherche de solutions à divers problèmes : absolutions collectives, « remariage » des divorcés, hospitalité eucharistique et différences séparatrices ; ministères laïques … Il s’investit énormément dans les formations et dans le réaménagement pastoral. Chaleureux envers les communautés protestantes et juives, il étend son œcuménisme à l’islam, se montrant favorable à l’idée de lui accorder certaines dispositions du concordat, un régime dans lequel lui-même reconnaît une bonne manière de vivre la laïcité. Il insiste sur l’alsacianisation de l’évêque nantais : JD ne parle pas le dialecte local, mais il se montre friand de munster et de crémant … et fervent supporter du Racing Club de Strasbourg !
71Les soixante dernières pages recensent les textes (homélies, préfaces …) que JD a publiés entre 1998 et 2006. Il s’est lui-même chargé de la postface. Sans élans prophétiques ni effusions mystiques, il y rappelle sa devise épiscopale, À cause de Jésus et réitère son insistance sur la responsabilité et sur la grâce : la grâce de vivre dans la grâce de croire. Nous aurions aimé un coup d’œil discret sur sa vie de prière. Mais retenons son mot d’ordre : aimez les gens ! — P. Detienne sj