Bartoli M., Claire d’Assise, tr. J. Mignon, coll. Histoire, Paris, Cerf/Éd. Franciscaines, 2002, 20x13, 256 p., 25 €. ISBN 2-204-06789-6
1Déjà célèbre à cause de la biographie inattendue qu’il consacra à Claire il y a dix ans (NRT 116 [1994] 623), l’A. nous revient avec pour but précis « d’entrer en dialogue avec la source la plus importante pour notre connaissance de Claire d’Assise, cette Legenda Sanctae Clarae Virginis, rédigée par ordre du Pape à l’occasion de sa canonisation » (9), document donné en appendice dans la traduction de D. Vorreux. Comme on peut, exceptionnellement, disposer à la fois de cette source et « des sources de cette source » (40), c’est la lecture « à contre-jour » de l’écart intéressant entre la Legenda et les Actes du procès de canonisation qui sera mis en lumière. On voit ainsi Claire introduite par la liturgie de la Portioncule non dans la vie monastique, mais dans la vie de pénitente, au service des moniales de chœur de Saint-Paul-des-Abbesses (83).
2Rendu attentif au fait que François ne cite jamais Claire, qui en revanche le nomme treize fois dans ses œuvres (117), le lecteur découvre entre eux une « symétrie asymétrique » qui fait de Claire le témoin de François : « alors qu’on pense toujours que Claire n’est compréhensible qu’à la lumière de François, on s’aperçoit du contraire en examinant les sources » (127).
3Devant la situation de la communauté de Saint-Damien, devenu le premier des monastères congrégés par le Cardinal Rainaldo en Ombrie et en Toscane (135 ; cf. 17), Claire « tenta ce qu’aucune femme avant elle n’avait jamais fait : rédiger elle-même la Règle pour ses sœurs » (140), une règle approuvée deux jours avant sa mort — et remplacée, dix ans après, par celle d’Urbain IV. Un petit nombre de monastères a pourtant toujours suivi la règle de Claire, jusqu’à ce qu’après Vatican II, les Clarisses, dans leur grande majorité, reviennent au texte de leur fondatrice comme à leur seule âme (144). En l’année du 750e anniversaire de la mort de Claire, un bel hommage se trouve ici rendu à une figure exceptionnelle de la sainteté féminine. — N. Hausman, S.C.M.
Bésineau J., S.J., Matteo Ricci, serviteur du Maître du Ciel, Paris, DDB, 2003, 21x13, 219 p., 21 €. ISBN 2-7021-3401-7
4Professeur de littérature française à Sophia University (Tokyo), J.B. est, pourrait-on dire, pris de passion pour une figure qui domina l’histoire des premiers pas de la rencontre du christianisme avec l’Extrême-Orient et ses richesses spirituelles. Certes, l’ouvrage n’est pas une biographie « scientifique », accompagnée de tout un appareil technique inhérent au genre, mais bien d’une présentation pour un large public, qui met en relief à la fois le souci de Ricci de comprendre toute la finesse du monde dans lequel il avait proposé à ses supérieurs de vivre sa vie de jésuite, et cela dans une fidélité touchante à la vocation universelle de la foi chrétienne. Ricci fut un savant, certes. Mais surtout un « missionnaire », au sens le plus noble du terme, qui se fit Chinois avec les Chinois, à la suite de saint Paul, et qui, par bien des côtés préfigure un Teilhard de Chardin et tant d’autres qui ont approché et approchent encore les autres religions avec tact et raison, mais, et on ne peut qu’insister, dans un respect infini du message évangélique. — B.J.
Honoré J., John Henry Newman. Un homme de Dieu, coll. Histoire Biographie, Paris, Cerf, 2003, 24x15, 216 p., 25 €, ISBN 2-204-07286-9
5S’il a bien respecté la chronologie de la vie de Newman, l’A. s’est avant tout attaché à donner un portrait spirituel de son héros, appuyé non seulement sur ses œuvres et sa correspondance, mais aussi sur le procès engagé en vue de sa béatification. Un portrait tout en nuances, qui nous fait découvrir une personnalité très riche.
6Ce qui retient d’emblée l’attention, c’est la familiarité très grande de N. avec Dieu, qui ne cessera jamais de s’approfondir, depuis sa première conversion, à l’âge de 15 ans, jusqu’à sa mort, en passant notamment par sa participation au mouvement d’Oxford et sa conversion au catholicisme. Une familiarité qu’aucune difficulté ne viendra jamais détruire, et Dieu sait si les tracasseries ne manqueront pas, à commencer par la méfiance de la part tant de certains milieux anglicans, pourtant favorables à une rénovation de leur Église, que d’éminentes personnalités catholiques, tel Manning, et même le Saint-Siège, jusqu’à son élévation au cardinalat par le pape Léon XIII en 1879.
7Une familiarité qui trouvera de nombreux terrains d’application. On connaît les différentes « carrières » de Newman dans l’enseignement universitaire à Oxford et à Dublin, la création de l’Oratoire en Angleterre, la pastorale directe. Mais il ne faut pas oublier son rôle d’intellectuel, qui ne fut pas celui d’un « chercheur » à proprement parler, non moins que son talent d’écrivain et d’épistolier qui l’amenait à exprimer cette familiarité avec Dieu et à engager ses correspondants dans une même voie. À travers tout cela, on perçoit tout le pragmatisme anglais, si différent du tempérament latin ou de la tournure d’esprit germanique.
8Encore ne faut-il pas gommer les aspects moins édifiants de l’homme, en particulier une naïveté et un entêtement trop prononcés à leurs heures, défauts qui, fort heureusement, ne le submergèrent jamais.
9Certes, cet ouvrage ne remplacera pas la magistrale biographie de Ian Ker, publiée en 1988 — ce n’était d’ailleurs pas le but de l’A. —, mais, même si de loin en loin le lecteur sera peut-être sensible à quelques brefs élans hagiographiques (l’A. n’a d’ailleurs nulle honte de dire son admiration pour N.), on gagnera grandement à lire ce livre. Car en définitive, on rencontre un homme qui eut le privilège de pouvoir allier avec grand art douceur et fermeté, chez qui intelligence et foi marchaient en excellente harmonie et d’un bon pas, sans trop s’embarrasser de distinctions byzantines, tout en faisant preuve d’une finesse peu commune. — B. Joassart, S.J.
de la Héronnière Éd., Teilhard de Chardin. Une mystique de la traversée, coll. Spiritualités vivantes, Paris, Albin Michel, 2003, 18x11, 277 p. ISBN 2-226-13767-X
10L’A. collabore à La Nouvelle Revue Française et à la revue Légendes, et a publié sur les pèlerins, le mal, Vézelay, etc. Teilhard, un des plus grands pionniers de la pensée chrétienne actuelle, a consacré sa vie à définir la place de l’homme dans l’univers en évolution vers une spiritualisation progressive de la matière centrée sur la personne du Christ, l’Oméga. Il a découvert des synthèses de plus en plus complexes et organisées, originales, en ce sens que le tout dépasse la somme des parties : l’esprit, la vie, la conscience, l’homme, la Personne, la Communauté, le Corps du Christ.
11Pensons à ses recherches sur le sens de la personne, de la sexualité, de la mystique engagée, de l’union à Dieu. Parti d’études scientifiques, géologiques et paléontologiques sur les origines de l’homme, ce voyageur infatigable explore la Chine pendant plus de vingt ans, sans parler des autres continents, en liaison avec les plus grands savants qui deviennent pour lui amis et disciples, pleins de vénération pour sa compétence et son intégrité.
12L’Église et son Ordre se méfient de lui qui critique leur fixisme pour l’élargir à une synthèse plus cosmique et dynamique. Suspecté par l’Église, neutralisé par la défense qui lui est faite de publier ses œuvres — sans qu’il soit pour autant condamné formellement —, Teilhard restera un modèle d’obéissance plein d’initiative et de fidélité religieuse, avec un humble souci de ne pas renier sa conscience.
13Ce livre dépasse le débat d’idées pour une révélation intime de qui est Teilhard, à partir de témoins proches et de confidences tirées de sa vaste correspondance. Par quelques traits bien choisis, nous entrons dans la mystique inscrite au cœur de sa pensée. Nous est révélée l’existence d’une bouleversante amitié amoureuse mais très réservée avec une artiste américaine, mais aussi l’émergence d’une sainte indifférence ignatienne dans les pires difficultés. La foi de Teilhard dépasse toute théorie abstraite et sa confiance dans le Christ imprime en lui une vie nouvelle, dans une fidélité à toute épreuve. — G. Navez, S.J.
Tec N., Dans la fosse aux lions. La vie d’Oswald Rufeisen, tr. C. Le Paire, coll. Au singulier, 6, Bruxelles, Lessius, 2002, 21x15, 400 p., 26.5 €. ISBN 2-87299-105-0
14C’est une vie bien paradoxale que nous présentent les excellentes éditions Lessius, dans leur collection la plus « singulière ». L’auteure américaine, déjà bien connue pour ses travaux sur l’Holocauste, retrace le parcours d’un juif polonais devenu chrétien durant la deuxième guerre mondiale, après avoir porté l’uniforme nazi, ce qui ne l’empêcha pas d’organiser l’évasion partielle du ghetto de Simakowo ; réfugié en forêt avec les partisans, il entre, après les hostilités, dans l’ordre du Carmel où il devient prêtre, puis émigre en Israël avec un nouveau combat pour la nationalité israélienne qu’on lui refuse d’abord, devient célèbre après que la télévision ait retracé ses héroïques aventures ; le Père Daniel, « juif parmi les chrétiens » n’a jamais quitté, disait-il, le judaïsme de ses pères, et demeure le témoin de cette espérance qui lui a tout coûté : qu’Israël et le christianisme se retrouvent à la source d’avant leur rupture (384).
15Le Frère J.-M. Dubois voit s’illustrer dans une telle existence « la déchirure de l’absence » évoquée par F. Lovsky (préface, 17), tandis que l’auteure nous avertit des difficultés qui ont présidé à la rédaction de son ouvrage ; un index très fourni permet de suivre les méandres d’une vie qui traverse non seulement le dernier siècle et sa géographie spirituelle, mais l’existence perdue des communautés juives d’Europe centrale. Bien des ombres demeurent, qui n’auraient pu être levées que par le protagoniste lui-même : comment le double jeu fut-il possible sans compromission intérieure ? ; comment la solitude fut-elle illuminée par l’attachement aux siens (qu’il évita de revoir, avant d’apprendre que ses parents avaient péri) ? ; comment sa vie au Carmel rejoignait-elle son identité de « chrétien hébreu » ? ; etc. Un cahier central de photographies permet, avec le cliché de couverture, de mieux nous représenter ce qu’il en fut de ce nouveau Daniel, « dans la fosse aux lions ». — N. Hausman, S.C.M.
Bessière G., L’enfant hérétique. Une traversée avec Jésus, Paris, Albin Michel, 2003, 23x15, 187 p. ISBN 2-226-15167-2
16L’A. nous livre ici le cheminement de son compagnonnage avec Jésus où il évoque ses moments de clarté et d’obscurité. Il nous fait part des questionnements et des doutes qui habitaient déjà son enfance. C’est peu à peu qu’il découvrira le Jésus des évangiles, un Jésus décalé par rapport aux formules toutes faites apprises durant ses études au petit et au grand séminaire. Un grand tournant s’est opéré en lui lors de la publication de l’encyclique Humanae Vitae. Il se cabre et part à la recherche de Jésus hors les Églises, sans pour autant sortir de l’Église. D’où sa formule : « je suis hérétique, mais non schismatique ».
17Engagé auprès des militants chrétiens, G.B. se sent taraudé par la question : « comment ouvrir des yeux neufs ? Jésus peut-il encore m’étonner ? ». À travers les vicissitudes de sa traversée, il perçoit en Jésus « un prodigieux surgissement, un commencement toujours actuel offert aux générations successives ». Ainsi soutenu il s’avance dans le soir de sa vie, libre, comme évidé de toutes les affirmations tranchantes, de toutes les certitudes sans défaillances. Un homme encore en marche… Et s’il avait à répondre au : « Qui dites-vous que je suis ? »… ? Voici : « J’ai envie de donner pour seule réponse un silence souriant. Mais ce n’est pas un silence vide ou distant ». Un silence qui vient après le dernier accord d’une symphonie…
18Un livre fervent, un livre vrai, d’un homme qui n’est pas un esprit déboussolé mais qui est resté fidèle à l’enfant qui l’habite. — M. Heuslich, O.S.B.
Ghezzi P., Sophie Scholl e la Rosa Bianca, coll. Il Pellicano rosso, 16, Brescia, Morcelliana, 2003, 19x12, 230 p., 16.50 €. ISBN 88-372-1935-0
19Quand l’homme du troisième millénaire se rémémore l’enfer nazi, qui peut lui paraître si lointain, il ne peut manquer d’être ému par des figures éminentes. Une Edith Stein, une Etty Hillesum sont des icônes d’une résistance aux forces du mal, d’une créativité inattendue là où la mort était souveraine et où la peur régnait dans beaucoup de cœurs.
20L’ouvrage que nous offre P. Ghezzi invite à adjoindre à ces grandes dames, une petite jeune fille, allemande d’Allemagne et non juive celle-ci, Sophie Scholl. Elle fut une résistante qui préféra « vivre » au mépris de sa vie. Avec d’autres de son âge, frères et compagnons d’études, elle participa au mouvement die Weiße Rose, la Rose Blanche. Pour ces jeunes, l’hitlérisme broyait non seulement « ceux du dehors » — ils en étaient devenus conscients à travers les récits de ceux qui revenaient du front de l’Est — mais également blessait à mort l’âme de ses propres enfants.
21Grandie dans une famille qui, en privé, s’efforçait d’éduquer ses jeunes à une forme de liberté d’esprit et de conscience, entée sur l’évangile de vie et de liberté, Sophie et ses compagnons résistèrent au nazisme. Avec des moyens dérisoires, des tracts, ils en appelaient avec radicalité et grandeur d’âme à un sursaut de leurs concitoyens, afin qu’ils tournent le dos à la barbarie et redeviennent libres.
22Une intense recherche de Dieu (cf. chap. 7) les mena jusqu’à « faire sacrifice de leur vie ». Leur exécution par décapitation en février 1943 fut leur ultime témoignage. Sophie, Hans, Willy et les autres prennent place dans la lignée des martyrs, de tout temps semence de chrétiens.
23On peut espérer que cet ouvrage d’hommage — par ailleurs enrichi de fiches biographiques, d’un index des œuvres littéraires et musicales desquelles ces jeunes se nourrissaient, ainsi que d’un index onomastique — laissera bientôt rayonner son cri de liberté dans d’autres langues. — Ét. Rousseau.