Couverture de NRT_253

Article de revue

Judaïsme

Pages 447 à 467

Lustiger Card. J.-M., La promesse. « Mes yeux devancent la fin de la nuit pour méditer sur ta promesse ». Psaume 119,148, Paris, Parole et Silence, 2002, 21x14, 222 p., 18 €. ISBN 2-84573-149-3

1Le Père évêque de Paris nous fait ici confidence de sa méditation sur les rapports entre Israël et la chrétienté. Tout ensemble juif et chrétien, membre de l’Académie française et de surcroît cardinal de l’Église romaine, il peut à bon droit nous parler de son expérience de l’accomplissement de la promesse de Dieu en Jésus ressuscité, vivant. Il le fait, dans ce livre pénétrant et vigoureux, en deux étapes chronologiques : la première, datant de 1979, était destinée à des moniales du Bec-Hellouin pour les rendre attentives dans la prière au mystère d’Israël ; la seconde reprend des conférences adressées en 2002 à des auditoires juifs de Tel Aviv, Paris, Bruxelles et Washington. Ce qui impressionne, à la lecture, c’est que l’A., dans la vérité de Dieu, peut dire « nous » dans l’une et l’autre partie de son livre, en s’identifiant aux uns et aux autres.

2C’est donc nous, chrétiens, que vise son premier discours. Il convient de l’accueillir comme celui d’un frère aîné qui a reçu du Dieu unique, de manière absolument gratuite, la grâce d’une vocation particulière, celle de l’Élection. À la lumière de l’évangile de Matthieu relu dans sa profondeur originelle, il nous fait découvrir, à nous enfants des nations païennes, à quel point nous sommes redevables, à Dieu d’abord, d’avoir accès, grâce à Jésus juif crucifié par nous et pour nous, à toutes les richesses d’Israël : l’histoire sainte, la Loi divine, la Parole inspirée, la prière, la Terre, le règne, la Rédemption, la repentance. Nous sommes aussi redevables au peuple juif de nous avoir partagé son héritage de frère aîné en nous livrant son Christ, son Messie, avec son passé ancestral, son identité juive, comme une vivante promesse. Mais voici que notre action de grâce se révèle hypocrite et fausse tant qu’elle ne prend pas en compte son péché, le seul véritable péché : nous avons refusé d’être le frère cadet, et nous avons voulu prendre sa place, en le rejetant, en nous substituant à lui, voire en l’épinglant comme un « exemple » à la face des nations, tout au long de notre histoire. L’histoire de l’antisémitisme chrétien dans lequel baigne toute notre tradition. Nous avons gardé nos mœurs homicides de païens, et cela, au nom même de notre Christ, trahissant ainsi sa personne et reniant son message. Bref, nous avons tué Jésus, fils de Dieu, en méconnaissant le Serviteur venu pour nous bénir, c’est-à-dire pour nous faire vivre de la vie de notre aîné. C’est cette parole incisive que nous livre l’A. dans sa confidence, qui relit pour nous l’évangile. Nous, lecteurs, sommes ainsi conduits à avouer nos crimes et à faire de dignes fruits de pénitence, à la suite de Vatican II qui a amorcé la démarche, des frères et des sœurs d’Abu-Gosh qui en font leur prière constante auprès de la fragile communauté hébréophone, signe vivant de « l’Église de la circoncision », de Jean-Paul II glissant le billet de son intercession entre deux pierres du Mur occidental, restes du Temple de Jérusalem.

3Étant ainsi entrés, silencieusement et humblement, dans la voie de la repentance, nous pouvons alors écouter le second discours de J.-M. Lustiger : à ses frères juifs. Il leur parle de leur Élection, à partir de leur foi en la promesse faite par Dieu à Abraham et à ses descendants, reprise sans cesse par les prophètes. Cette promesse vise l’universalité, l’humanité entière, à travers la révélation biblique qui atteint toutes les nations, les identifiant en quelque sorte au peuple juif et à son histoire, sous le regard de Dieu, l’Unique. Il montre comment le pape actuel a capté le message de ses frères juifs et le sens de son pèlerinage à Jérusalem, dans l’État d’Israël, par la rencontre toute de simplicité avec les uns et les autres. L’A. invite ses frères juifs, et les chrétiens derrière eux, à renouer le dialogue fraternel pour aider le monde contemporain à reconnaître où est le véritable enjeu de la destinée humaine. Il ouvre alors des perspectives d’espérance annoncées par une recherche biblique commune. Il encourage les uns et les autres à vivre dans une compréhension réciproque et une estime mutuelle pour se mettre ensemble au service des hommes de ce temps. Il esquisse finalement ce que peut signifier la rencontre des chrétiens et des juifs dans le choc actuel des cultures.

4Un grand livre ! Un livre vrai ! À lire, à méditer, à pratiquer, dans l’humilité, en engageant nos responsabilités, face au Dieu unique qui nous a donnés les uns aux autres pour nous mener à lui. — J. Radermakers, S.J.

Sacchi A., Fede di Israele e messaggio cristiano. Alle radici del cristianesimo, coll. Interpretare la Bibbia oggi, 2.7, Brescia, Queriniana, 2001, 21x14, 190 p., 12.91 €. ISBN 88-399-2466-3

5Une étude intéressante élaborée par un prêtre des Missions étrangères, professeur d’Écriture sainte en Inde, à l’Université du Sacré-Cœur et à la faculté théologique de son Institut. Nous lui devons déjà un volume en collaboration sur les lettres de Paul et diverses publications sur l’Un et l’Autre Testament. Dans le présent ouvrage, l’A. désire montrer comment la première communauté chrétienne a transmis le message de Jésus dans la culture juive et à des juifs, et comment dès lors le chrétien moderne doit s’acculturer à ses racines juives pour inculturer ce message aujourd’hui dans notre culture occidentale et dans un dialogue interreligieux.

6Il centre sa réflexion autour de huit thèmes essentiels : le salut, le péché, le châtiment et le pardon, le Crucifié ressuscité, le Messie intronisé, l’Église, la vie chrétienne et le Dieu des chrétiens. Il les a groupés dans un ordre inspiré de la pédagogie biblique de l’histoire du salut, ordre qui convient à tout homme en recherche. Privilégiés ont été l’évangile de Marc, qui nous affronte à la personne de Jésus, et les lettres de Paul qui réfléchissent l’actualité de cette confrontation. Cet ouvrage de vulgarisation sera utile surtout aux prêtres, étudiants en théologie et catéchistes de langue italienne, mais il mérite une plus grande audience. Une introduction campe Jésus dans son milieu natif et esquisse une histoire de l’expansion de son message en pays païen. Il renvoie ensuite le lecteur à l’expérience salutaire qui a constitué Israël comme peuple grâce à l’Alliance accomplie en Jésus. Il aborde alors une autre expérience : celle de l’infidélité d’Israël qui renvoie à la révélation du péché universel dans la poursuite des idoles et le rejet de la souveraineté divine apparue dans l’histoire. L’expérience du châtiment (justice) et du pardon (miséricorde) est celle que prêchent les prophètes en vue de la conversion. Vient ensuite, de façon un peu abrupte et en faisant l’impasse de la réflexion sapientiale, l’apocalypse de la rédemption universelle dans la mort/résurrection de Jésus, Messie, Fils de l’homme et Fils de Dieu, à partir de l’idée messianique juive. Suit un discours sur l’Église comme peuple de Dieu, puis un autre sur la vie chrétienne comme adhésion de foi au Christ et à l’Église, avec assomption de la Loi mosaïque. En finale, la révélation trinitaire est brièvement évoquée afin de souligner l’apport propre du message chrétien. Un livre d’introduction à l’unité des deux Testaments qui marque bien à la fois la continuité et la rupture, mais qui demeure dans la généralité sans aborder la question spécifique de la permanence d’Israël. — J. Radermakers, S.J.

Caron G., L’antisémitisme chrétien. Un défi pour les Églises, coll. Sciences bibliques, 12, Montréal, Médiaspaul, 2002, 22x14, 309 p., 27.95 $ can. ISBN 2-89420-519-8

7Les évangiles sont-ils antijuifs ? À moins que ce ne soient les lecteurs ? Telle est la question que se pose l’A. de cette étude. Missionnaire d’Afrique, canadien, il fut longtemps professeur d’Écriture sainte en Ouganda et il enseigne présentement à l’Atlantic School of Theology de Halifax (Nouvelle Écosse) ; il s’est déjà fait connaître par une thèse sur « Les Juifs » dans l’évangile de Jean (Montréal, Bellarmin, 1997). Dans ce volume, il reprend la question de manière plus globale à partir de l’évolution de l’Église face au judaïsme : « de l’enseignement du mépris à celui de l’estime », pour reprendre l’expression de Jules Isaac.

8L’A. situe d’abord son propos dans le cadre de sa réflexion personnelle. À la lumière de la Shoah, il nous résume alors le tournant pris par l’Église à Vatican II concernant le judaïsme, avec un bref rappel des anciennes situations de mépris et d’oppression, puis les perspectives nouvelles des documents ecclésiaux, souvent restés lettre morte. Il remonte ensuite aux origines de l’antisémitisme chrétien : ne daterait-il pas de l’époque de la rédaction des évangiles ? Spécialement l’utilisation que Jean fait de l’expression « les Juifs » ne fonderait-elle pas le langage de la tradition chrétienne sur les juifs ? Après enquête dans le quatrième évangile — objet de sa thèse —, il conclut à une double dimension du texte johannique : l’expression litigieuse doit être comprise à divers niveaux. Il en reprend la trame narrative pour en montrer la dynamique propre et signaler les mécompréhensions possibles de la part du lecteur non critique. D’où l’importance d’un chapitre sur l’autorité des Écritures et la responsabilité qui incombe au lecteur de s’approprier le texte en l’interprétant dans son aujourd’hui. Une fois cette étape parcourue, l’A. se demande comment apprendre au chrétien cette interprétation responsable. Examinant le Catéchisme de l’Église catholique à propos du judaïsme et du peuple juif, l’A. reconnaît un effort d’intégration de la doctrine de Vatican II, mais aussi de sérieuses déficiences à propos du rapport entre les deux Testaments et de la permanence d’Israël, et une lacune importante concernant l’antijudaïsme ecclésial. Un épilogue un peu bref mais bien enlevé s’applique à la relecture de Paul en Rm 9 à 11 pour inviter le lecteur à creuser le texte de l’Apôtre. Des appendices fournissent les documents de référence : une homélie de l’A. sur Mt 21,33-46, les déclarations de l’Église (Vatican II en 1966, orientations et suggestions en 1975, notes sur une présentation correcte du judaïsme en 1985, réflexions sur la Shoah en 1998, invitation des évêques canadiens en 2000) et une bibliographie succincte permettant de poursuivre la réflexion. Un ouvrage bien construit, au ton personnel qui fait entrer le lecteur dans une démarche exigeante mais bénéfique ! Tout chrétien devrait le consulter pour apprécier dans la vérité l’importance de ses racines juives et le sens de la pérennité du judaïsme. Facilement accessible, ce livre se recommande par sa lisibilité. — J. Radermakers, S.J.

Gardenal G., L’antigiudaismo nella letteratura cristiana antica e medievale, coll. Shalom, Brescia, Morcelliana, 2001, 20x12, 242 p., 15.49 €. ISBN 88-372-1821-4

9Disciple de Vittore Branca, l’A. enseigne la littérature humaine à la faculté de Lettres de l’Université de Padoue. Sesœuvres concernent la littérature médiévale, avec une attention particulière au judaïsme et aux textes de la Bible. Dans cet ouvrage, elle nous trace un panorama saisissant de quelques grandes figures de l’antijudaïsme au long des quinze premiers siècles de la chrétienté. Sa connaissance de l’histoire, son art de camper les personnages, les citations judicieuses dont elle émaille son texte et ses talents de conteuse rendent ce livre accessible et attrayant pour un lecteur italophone.

10L’A. nous détaille comment s’élabore petit à petit l’image négative du juif dans l’imaginaire de l’occident chrétien. Après un premier chapitre qui montre le juif et le chrétien en vis-à-vis au cours des premiers siècles, elle nous fait rencontrer Augustin et sa théorie du peuple-témoin dispersé, puis elle nous mène à travers la poésie latine tardive, et nous raconte un étrange miracle qui va devenir emblématique des conversions étranges et des légendes d’hosties volées par les juifs. Après avoir analysé le « miracle de Théophile », sorte d’anticipation de Faust, elle examine la mentalité des intellectuels à l’âge des croisades, puis l’influence des ordres mendiants, avec Jordan de Pise, sur la condition des juifs. Saint Bernardin de Sienne lui donne l’occasion de parler des juifs et de l’usure, et enfin elle aborde la question des « monts de piété » avec le bienheureux Bernardin de Feltre. Une brève conclusion résume les progrès de l’antipathie des chrétiens envers les juifs aboutissant à l’antisémitisme moderne. Livre impressionnant qui nous ouvre les yeux sur le passé et nous invite à ne plus en répéter les erreurs. Encore un encouragement au dialogue. — J. Radermakers, S.J.

Dreyfus A.-M., Lexique pour le dialogue. Préf. P. Pierrard, postf. A. Abecassis, Paris, Cerf, 2000, 22x14, 265 p., 170 FF. ISBN 88-372-1821-4

11Juifs et chrétiens utilisent les mêmes vocables pour parler de leurs pratiques, de leur foi ou de leur théologie, mais les mots n’ont pas toujours le même sens, ni les mêmes connotations, et cela est source de malentendus et de préjugés dommageables. Il était utile de posséder un vocabulaire ciblé et nuancé qui puisse éclairer le lecteur sur le plan de l’histoire (passage de la culture hébraïque à la grecque), sur celui de la pratique religieuse (avec les accents particuliers aux deux communautés) et sur celui des traditions morales et spirituelles (avec leurs présupposés différents). Après l’avoir testé par les fiches publiées dans la revue Sens, Anne-Marie Dreyfus nous offre le lexique rêvé, dûment préfacé par le président d’honneur de l’Amitié judéo-chrétienne de France et amicalement postfacé par l’éminent professeur qu’est Armand Abecassis, bien connu par ses nombreuses publications sur le judaïsme et engagé dans le dialogue judéo-chrétien.

12Nous y découvrons quelque 120 termes classés par ordre alphabétique, mais que l’on peut aussi grouper thématiquement sous huit rubriques : textes juifs fondateurs ; réalités relevant de l’histoire des juifs, puis de leur liturgie et de leur manière de vivre ; vocables plus spécifiquement chrétiens, mais liés à la tradition juive concernant les relations de l’homme avec Dieu et avec le prochain ; les termes courants de la foi ou de la théologie chrétienne ; des hébraïsmes réutilisés par les chrétiens. L’A. suppose toutefois que le lecteur chrétien a bien compris les vocables qu’il emploie dans la perspective christologique qui est la sienne, ce qui n’est pas toujours le cas. La compétence de l’A. en matière d’Écriture et de judaïsme est remarquable, et sa longue expérience du dialogue judéo-chrétien l’habilitait à conduire cette étude dans le sens où elle le fait. Nous ne saurions trop encourager la consultation assidue de ce lexique, destiné surtout à ceux qui sont en rapport avec des juifs. Ils apprendront à mieux comprendre leurs partenaires, mais aussi à éclairer leur intelligence des textes, des pratiques et de l’histoire à la lumière de ceux qui ont cru et médité avant eux et sans eux la Parole de Dieu et qui continuent à en vivre. — J. Radermakers, S.J.

Moussali A., Judaïsme, christianisme et islam. Étude comparée, Paris, Éd. de Paris, 2000, 22x14, 492 p., 148 FF. ISBN 2-85162-020-7

13De conception analogue et complémentaire du précédent, en raison de sa fine analyse philosophique et théologique des concepts chrétiens, et surtout parce qu’il intègre les perspectives théologiques et l’histoire de l’Islam, ce livre constitue, lui aussi, une précieuse introduction au dialogue interreligieux. Son A. est prêtre lazariste de la mission, d’origine libanaise, ayant vécu à Damas et ayant enseigné à l’université d’Alger. Il vient de mourir en avril dernier. Nous avons aimé son précédent ouvrage, esquisse de celui-ci, qui comparait des thèmes correspondants de l’Islam et du christianisme (cf. NRT 122 [2000] 317).

14Celui que nous présentons groupe 31 vocables ordonnés selon l’alphabet ; chacun comprend des subdivisions qui en manifestent différents aspects, à partir de la Bible, puis dans le développement de l’histoire chrétienne et dans la théologie musulmane. Nous trouvons successivement : Alliance - Altérité - Bien et mal - Bonheur - Communion - Création - Culture - Désir - Destin, vie et mort - Dialogue - Espérance - Esprit - Femme - Gnose - Hédonisme et jouissance - Identité - Marie - Modernité - Mystique - Naissance - Nihilisme - Origine - Péché - Pèlerinage - Responsabilité - Révélation - Témoignage - Temps - Tradition - Transcendance - Universalisme. Chacun des articles constitue à lui seul un résumé théologique du sujet envisagé. À propos de ces thèmes communs aux trois religions, l’A. met en valeur leur matrice sémitique commune, mais il en profile les différences afin d’éviter les amalgames hâtifs et les erreurs d’interprétation. Chaque question est considérée dans sa complexité, les ambiguïtés possibles sont démasquées et une mise au point est proposée. Il indique, à propos de l’Islam, comme l’ouvrage recensé ci-dessus le faisait pour le judaïsme, les polémiques dramatiques où se sont fourvoyés les chrétiens. Il critique les dérives actuelles d’un dialogue facile, préférant les positions du Pape Jean-Paul II, qui essaie de découvrir la base d’une solidarité fraternelle en Dieu, la meilleure voie vers une fraternité responsable entre les hommes de religions différentes.

15Ce livre peut être consulté comme un dictionnaire, mais à vrai dire, ce n’en est pas un ; c’est plutôt une invitation à penser historiquement et théologiquement notre foi monothéiste. Tout lecteur intéressé à l’histoire des religions, à la philosophie et à la théologie, et même simplement à la variété des cultures y trouvera ample matière à réflexion, en même temps qu’un guide précieux, compétent et précis. — J. Radermakers, S.J.

Santogrossi A., O.S.B., L’Évangile prêché à Israël. À propos du dialogue judéo- chrétien, Étampes, Clovis, 2002, 22x14, 78 p., 10.50 €. ISBN 2-912642-87-6

16L’A., moine bénédictin en Oregon, est docteur en philosophie de l’Institut Catholique de Paris et spécialiste de Duns Scot. Il réagit ici aux outrances d’un certain dialogue judéo-chrétien qu’il généralise un peu facilement, et il plaide pour un retour à la tradition patristique qu’il estime riche et cohérente à souhait ; il en reprend les lignes de force au début son ouvrage, à la suite de la thèse de D. Jurdant : Judaïsme et christianisme, parue en 1969.

17La question est-elle aussi simple ? Si, d’une part, la théologie chrétienne classique a raison d’avoir centré sa réflexion concernant l’un et l’autre Testament sur l’incarnation rédemptrice et la christologie, elle n’a peut-être pas suffisamment approfondi le sens providentiel pour l’Église de la permanence du judaïsme. Or c’est le point sur lequel insiste Vatican II (voir Nostra Aetate), dans le cadre d’un dialogue interreligieux authentique : pour se situer en vérité par rapport à la révélation en Jésus Christ et reconnaître tout ensemble les failles d’une théorie de la substitution ou du peuple-témoin, élaborée par saint Augustin, et suivie par d’autres Pères de l’Église. Il faut bien admettre que si le Verbe fait chair a « une fois pour toutes » racheté l’humanité, nous nous trouvons la plupart du temps dans un Testament encore ancien, car nous ne témoignons pas de la charité qu’il nous a commandée. D’où la nécessité d’un avènement — que nous appelons retour — du Messie dans nos vies.

18Or le dialogue judéo-chrétien, malgré quelques dérapages théologiques, a l’incontestable mérite d’essayer de comprendre la cohérence interne du judaïsme avant de lui assener notre théologie, comme on le fit au Moyen âge ou à la Renaissance, méconnaissant une bénéfique influence réciproque entre juifs et chrétiens, bien plus profitable à une saine compréhension mutuelle. Et il faut bien avouer que des Pères de l’Église se montraient injurieux pour les juifs, y compris saint Jean Chrysostome, et même saint Thomas d’Aquin qui, par ailleurs, a largement profité des approfondissements talmudiques. Nous savons gré à l’A. de dénoncer les erreurs de langage de partisans du dialogue ignorants de la théologie chrétienne, mais est-il juste de parler de l’Église comme « nouveau peuple de Dieu » ou « Israël authentique », expressions introuvables dans le N.T. ? Certes, les prophéties sont accomplies en Jésus, mais elles ne le sont pas encore en nous. Israël a la « vocation » (plutôt que la mission : p. 26-27) de rappeler au chrétien qu’il ne vit pas encore au diapason de son Sauveur, et l’Église devrait manifester au monde, et spécialement aux juifs, qu’elle a si souvent persécutés, que le commandement de Jésus n’est pas un vain mot. Merci à l’A. de son invitation à un langage théologiquement plus juste et de ses remarques utiles à propos de l’œuvre salvifique du Christ. À notre tour, nous l’invitons à poursuivre sa réflexion à l’aide des textes de Jean-Paul II, spécialement ceux concernant la repentance de l’Église vis-à-vis du judaïsme et les conditions d’un sain et fructueux dialogue interreligieux. Plutôt que de polémiquer, essayons de vivre ce que le Christ nous a appris, et nous deviendrons crédibles. — J. Radermakers, S.J.

Secondo le Scritture. Chiese cristiane e popolo di Dio, éd. G. Bottoni & L. Nason, coll. Ecumenismo, Bologna, EDB, 2002, 21x14, 383 p., 30 €. ISBN 88-10-40122-3

19Le diocèse de Milan a organisé ce colloque sur l’unité des deux Testaments de la révélation judéo-chrétienne et en tire les conséquences avec l’aide de catholiques, de protestants et de juifs. Surmonter 2000 ans d’incompréhension n’est pas facile. Quinze auteurs dont le Cardinal Martini, P. Lenhardt, M. Cunz ont pris part à ce colloque qui comporte six parties : Pour une lecture judéo-chrétienne des Écritures ; l’Église, peuple de Dieu ? ; Israël, racine sainte ; le chemin des Églises chrétiennes depuis 1947 ; les rapports judéo-chrétiens aux USA ; conclusions.

20F. Rossi de Gasperis qui vit et enseigne à Jérusalem s’est chargé de tirer quelques conclusions d’où sont extraites les quelques considérations suivantes. Trop longtemps on a affirmé que l’Église chrétienne avait remplacé Israël comme peuple élu. Or le judaïsme fut le terreau sur lequel a poussé la foi chrétienne, et cela reste vrai aujourd’hui. Parmi les résultats acquis par le dialogue avec Israël, retenons quelques points : l’Église chrétienne n’est pas le substitut d’Israël. Israël n’est pas le seul et unique peuple de Dieu. L’Église fait partie de l’unique et seul peuple de Dieu, sans qu’elle soit tenue de pratiquer la Loi mosaïque. Juifs et chrétiens gardent leur vocation propre et doivent se respecter. Pour nous, chrétiens, le Christ est notre Loi et il a transfiguré la Loi mosaïque. Il n’y a pas de salut hors du Christ, seul Sauveur. Tous ces points font partie de notre foi, même si les juifs ne les partagent pas. Le Christ ressuscité nous a ouverts à une nouvelle compréhension de la Bible. Dans notre dialogue avec les juifs, nous ne devons pas cacher ou minimiser notre foi au Christ vivant parmi nous.

21Les premiers chrétiens étaient juifs et ont vécu autrement leur judaïsme, sans rupture avec la Synagogue. Leur témoignage vaut toujours. Croire à une parenté spirituelle entre le judaïsme vivant, actuel et nous ; ceci nous fera mieux comprendre notre christianisme. Certains juifs se mettent à étudier Jésus et l’Église judéo-chrétienne du Ier s. ; au début, on pouvait être juif et chrétien à la fois, sans parler de deux « peuples de Dieu ». Il existe en Israël environ 5000 Juifs messianiques croyant en Jésus-messie, et vivant à la fois leur judaïsme et leur christianisme, sans vouloir entrer dans une Église chrétienne.

22Depuis 50 ans, nous nous rapprochons des juifs et retrouvons nos racines juives, mais il est malaisé de surmonter rapidement 2000 ans d’incompréhension et d’hostilité tacite ou manifestée. La foi d’Israël fait partie de notre foi. Le pardon demandé par le Pape à Israël a stupéfié les juifs. Il faut continuer patiemment ce travail de rapprochement et d’enrichissement mutuel. Ne mêlons pas les problèmes politiques israélo-palestiniens à ce dialogue et essayons de rester objectifs et impartiaux envers les deux camps où chacun a des responsabilités et où aucun ne veut probablement la réconciliation.

23Ce résumé donne une idée de la richesse de ce colloque, mais trop de chrétiens restent réticents et peu intéressés face à ce problème important. — B. Clarot, S.J.

Huguet M. Th. O.V., Un peuple unique pour le Dieu unique : Israël. Consolez mon peuple, Paris, Parole et Silence, 2001, 21x14, 118 p., 79 FF. ISBN 2-84573-046-2

24L’histoire des relations entre l’Église et Israël est complexe et douloureuse. Des siècles de pensée déformée ont forgé nos mentalités chrétiennes, que le concile a commencé à redresser. Le pèlerinage de Jean-Paul II en Terre Sainte et sa demande de pardon ont touché les cœurs, mais 17 siècles de « tradition » seront longs à corriger.

25Au début, la Synagogue persécute les chrétiens, les exclut en 80 et pousse l’Empire romain à les persécuter. Avec l’empereur Constantin, la situation se retourne et les chrétiens deviennent persécuteurs des « juifs déicides », qui auraient perdu leur qualité de « peuple élu » au profit des chrétiens. Les croisades réveillent les persécutions dans toute l’Europe avec des hauts et des bas jusqu’au XXe s., préparant ainsi le terreau au nazisme et à la shoah, où nous avons une responsablité indirecte. L’Église a laissé régner des doctrines fausses sur le rejet d’Israël par Dieu. Or depuis l’époque de saint Paul et pendant un siècle environ, l’Église a compté deux branches, l’une juive et l’autre « païenne », les deux vivant côte à côte. Vatican II a opéré une correction spectaculaire sur ce sujet et les papes ont continué en renouant péniblement les liens rompus. C’est pourquoi il faudra revenir souvent sur ce thème pour renouveler les idées des chrétiens déformées par une instruction « traditionnelle ».

26Professeur de philosophie, Marie-Thérèse Huguet a vécu un an en Pologne et dans un kibboutz en Israël et a reçu le prix 1997 de la Réconciliation entre juifs et chrétiens. Elle reproduit ici une œuvre publiée en 1998 dans un ouvrage collectif sur l’œcuménisme et s’inspire fort de la pensée de J.-M. Garrigues. Le titre dit nettement le sujet : il n’y a eu et il n’y a encore aujourd’hui qu’un seul « peuple de Dieu » avec diverses composantes. Israël n’a jamais été rejeté par Dieu. Saint Paul l’avait bien affirmé dans l’épître aux Romains 11, mais on semblait l’avoir oublié et même de fameux Pères de l’Église ont versé dans cette erreur. Certes, Jésus a apporté une nouveauté radicale, mais dans la continuité. La judéité est une composante essentielle de la catholicité de l’Église. Les « juifs messianiques » nous le rappellent aujourd’hui : ils acceptent Jésus et le N.T., mais refusent de se diluer dans nos Églises. Nous devons aller vers un « œcuménisme du plus grand dénominateur commun » fondé sur la vérité. Ce sera difficile, mais il faut prier, car Dieu seul peut nous accorder cette grâce. Pour notre part, nous avons à favoriser « une spiritualité de communion par l’attention, l’amitié, la capacité de voir le positif chez l’autre et de le valoriser », comme a dit Jean-Paul II.

27Ouvrage bien utile qui vient réveiller notre attention bienveillante au peuple juif par-delà toutes les critiques possibles sur les questions politiques actuelles. — B. Clarot, S.J.

Chouraqui A., Gesù e Paolo. Figli d’Israele, coll. Spiritualità ebraica, Magnano, Qiqajon, 2000, 19x12, 98 p., 18.000 lires. ISBN 88-8227-087-4

28Douze ans après l’original français paraît aux éditions de la communauté de Bose la traduction italienne de ce petit livre très enrichissant pour les chrétiens. Comment un Juif se représente-t-il Jésus et Paul en tant que fils d’Israël ? A. Chouraqui, épris d’unité et de paix, soucieux de rapprocher et de réconcilier les trois religions monothéistes, nous fait découvrir le fondateur du christianisme et son premier missionnaire pour le monde païen. Il le fait de manière originale en les resituant l’un et l’autre dans leur milieu naturel et dans le cadre de leur action.

29Selon lui, le point focal de l’enseignement de Jésus et de Paul, c’est la réconciliation de l’homme avec lui-même, des nations avec Israël, moyennant les exigences de justice, de paix et d’amour dont parle le Dieu de la Bible. Après 20 siècles, où en sommes-nous ? se demande l’A. Comment arrêter la course vers l’abîme ? En stoppant tout impérialisme religieux, en s’accordant entre religions monothéistes pour construire un monde de paix et d’amour : tel est le message de Jésus et de Paul. Ce petit livre demeure bienfaisant et suggestif, remarquable d’ouverture et de compréhension, sans polémique comme sans compromission. Il est bon que les Italiens puissent le lire dans leur langue. — J. Radermakers, S.J.

Steinsaltz A., La rose aux treize pétales. Introduction à la Cabbale et au judaïsme, coll. Spiritualités vivantes, Paris, Albin Michel, 2002, 18x11, 196 p., 6.95 €. ISBN 2-226-13326-7

30La compétence de l’A. est universellement reconnue ; en fait foi sa nouvelle édition du Talmud de Babylone, dont les premiers volumes ont été traduits en français. De plus, c’est vraiment un maître en science du judaïsme par son sens pédagogique aigu et son souci des réalités concrètes, comme l’attestent ses ouvrages : Hommes et femmes de la Bible (1990) et ceux sur la prière juive (1994 et 1999).

31Le volume que nous présentons en format de poche existe déjà en grand format (1989) avec la même pagination. Il rassemble quelques essais touchant la mystique, la philosophie et l’existence juive. C’est la traduction, par M. Allouche, de la version anglaise, remaniée à partir du manuscrit hébreu par J. Eisenberg. Son titre est emprunté au Zohar qui compare les rapports entre Dieu et Israël aux nuances de « la rose aux treize pétales », métaphore familière à la Cabbale désignant les treize mesures de la tendresse divine. Le premier chapitre, le plus ardu, nous place d’emblée au cœur de la mystique juive, déroutante pour un esprit moderne. Les chapitres suivants, d’accès plus aisé, nous découvrent peu à peu le monde divin face à l’humain, avec leurs images correspondantes ; sont ensuite passés en revue : la sainteté, la Torah, l’éthique et la repentance, la quête de soi et les dix commandements. Cette plongée dans l’univers spirituel juif nous ouvre des horizons insoupçonnés sur la manière symbolique d’exprimer la recherche de la présence divine et sur la signification d’une pratique qui nous paraît compliquée et tatillonne, mais qui contribue à la construction de l’homme dans toutes ses dimensions, car « c’est la vie tout entière qui, d’une façon ou d’une autre, peut être reliée à la sainteté » (p. 166) : prière, mode de vie, rapports avec autrui. Ce livre est précieux, parce qu’il nous dévoile quelques clés essentielles de la tradition juive. Les lecteurs chrétiens y découvriront une mystique exigeante mise à leur portée. Nous en remercions l’A. et les éditeurs. — J. Radermakers, S.J.

Buber M., The Legend of the Baal-Shem, tr. M. Friedman, 223 p. ISBN 0-415-28264-0 ; Ten Rungs. Collected hassidic Sayings, tr. O. Marx, 96 p. ISBN 0-415-28269-1 ; Meetings. Autobiographical Fragments, éd. M. Friedman, London/New York, Routledge, 2002, 20x13, 113 p. ISBN 0-415-28266-7

32Dans La légende de Baal-Shem, un ouvrage dont la première rédaction remonte à 1907 (la forme définitive datant de 1955), Martin Buber (1878-1965) a rassemblé, de diverses sources écrites et orales, vingt récits concernant la vie et la vocation du fondateur du hassidisme, Rabbi Israël ben Eliezer, alias Baal-Shem, le maître du Nom, qui vécut en Europe centrale au 18e siècle. Une préface résume en quatre points la vie des hassidim : extase, service, intention, humilité. Les dernières pages proposent un glossaire : de Aggada à Zaddik.

33Dix échelons (1947) est un recueil de deux cents adages hassidiques, répartis en dix sections : prière, service, amour, humilité. À côté de simples aphorismes (du type : L’homme ne peut s’inquiéter que d’une seule chose : être inquiet), nous trouvons de nombreuses questions-réponses exégétiques, p. ex. : Pourquoi est-il écrit : Vous servirez le Seigneur votre Dieu (au pluriel) et Il bénira ton pain (au singulier) ?

34Rencontres (1960) est une collection de vingt « fragments autobiographiques » tirés d’ouvrages antérieurs ou composés pour l’occasion, dans lesquels M.B. évoque les moments qui ont exercé une influence décisive sur sa pensée. Dans L’École, il nous apprend comment, d’avoir dû chaque matin pendant huit ans rester immobile et silencieux durant la récitation de la prière chrétienne, a suscité en lui une profonde antipathie pour toute activité missionnaire, fût-elle juive … Dans Question et réponse, le « Croyez-vous en Dieu ? » le conduit à distinguer Celui dont on parle et Celui à qui on s’adresse … Il conclut Rapport de deux discussions par ces mots : « Là où deux ou trois sont vraiment ensemble, ils sont ensemble au nom de Dieu ». Tout est à lire. L’ouvrage est enrichi d’une bibliographie d’une quarantaine de pages, dans lesquelles M. Friedman, disciple, ami et biographe de M. Buber, catalogue les œuvres (et traductions en diverses langues) de son maître. — P. Detienne, S.J.

Sed-Rajna G., L’ABCdaire du judaïsme, coll. ABCdaires, Paris, Flammarion, 2000, 22x12, 120 p., nombr. ill. couleurs, 63 FF. ISBN 2-08-012657-1

35Ce petit livre intéressera de préférence les lecteurs soucieux de s’initier au judaïsme. Après une brève introduction sur son histoire, il présente, par ordre alphabétique, 30 articulets consacrés aux fondements doctrinaux, 20 aux rituels et aux coutumes, 25 au contexte historique et artistique. Ceux qui ignorent tout de la tradition juive trouveront là quantité d’informations utiles. Une centaine d’illustrations en noir et blanc et en couleurs, parmi lesquelles de belles reproductions d’œuvres d’art juives font de ce nouveau petit volume de la collection ABCdaires soit une excellente initiation aux divers aspects du judaïsme, soit un aide-mémoire pour ceux qui en connaissent déjà l’essentiel. L’A. est directrice de recherche honoraire au CNRS. Nous aurions aimé, entre autres, un article sur la femme et un sur la halakha. — J.R.

Gugenheim E., Le judaïsme dans la vie quotidienne. ** Études et responsa, coll. Présences du judaïsme, Paris, Albin Michel, 2002, 23x15, 367 p., 20 €. ISBN 2-226-13326-7

36L’A. de ce livre important était rabbin, professeur de Talmud et de droit rabbinique au Séminaire Israélite de France ; il est décédé en 1977. Il avait publié en 1961, dans la même collection, un livre du même titre, réédité une dizaine de fois. Vingt ans plus tard paraissait un ouvrage complémentaire intitulé Les portes de la Loi maintenant épuisé. C’est ce second volume qui reparaît aujourd’hui à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort du maître. Grâce à sa femme et à son fils, qui ont collationné de nombreux documents imprimés ou enregistrés, cet ouvrage posthume a pu être à présent republié. Il contient des études de droit rabbinique et des discussions sur des questions de morale posées, par les sciences contemporaines et la mentalité moderne, à la tradition juive du comportement ou halakha. Le volume est introduit par une biographie du grand rabbin écrite par son fils.

37La première partie est consacrée à des questions d’ordre général concernant l’observance de la Loi : communauté juive, Loi orale, sens littéral (peshat) et spirituel (derash), le monde de la halakha, la sexualité, la condition féminine, les rapports avec le monde ou entre Israël et la diaspora. La deuxième partie expose des décisions d’ordre pratique concernant le culte, des problèmes relatifs au Sabbat ou aux lois alimentaires, à la famille et au mariage, aux questions médicales nouvelles (avortement, euthanasie, greffes d’organes …), à la vie des juifs dans la cité. La troisième partie rassemble des discussions sur des cas d’espèce constituant une jurisprudence, à propos de liturgie ou de rites, du régime matrimonial ou de l’adoption, des recherches en médecine, mais aussi touchant des conflits d’arbitrage ou la pédagogie du Talmud. Un lexique des termes hébreux utilisés en morale ou en casuistique et la liste des sources et auteurs cités contribuent à faire de cet ouvrage un instrument indispensable non seulement pour les juifs désireux d’affiner leurs connaissances, mais aussi pour les chrétiens peu au courant de ces choses. Ceux-ci découvriront, en le lisant, le sens profond des minuties de l’observance juive. Ils pourront ainsi amorcer une réflexion personnelle sur les problèmes moraux d’actualité et vérifier la justesse de leur propre comportement. — J. Radermakers, S.J.

Responsabilité. Utopie et réalités. Actes du 38e colloque des intellectuels juifs de langue française, éd. J. Halpé-Rin et N. Hansson, Paris, Albin Michel, 2003, 23x15, 220 p., 19.50 €. ISBN 2-226-13649-5

38Les diverses communications du 38e Colloque des intellectuels juifs (Paris, 2000) sont ici rassemblées, accompagnées d’un résumé des débats vifs et instructifs qu’elles ont suscité. Un commentaire du Lévitique (Tu aimeras l’étranger comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte) expose l’exigence biblique de responsabilité : de la vie morale à l’éthique sociale. L’élection ne peut s’entendre qu’en tant que surcroît de responsabilité vis-à-vis de la terre, de ceux qui l’habitent et d’un avenir commun : l’étranger a un droit d’accueil. On nous montre ensuite comment la responsabilité est au cœur de deux textes liturgiques : le Kaddich des orphelins, dont la fonction est d’instaurer une continuité là où la fidélité risque de se rompre (Bénis Dieu pour le mal comme pour le bien !) et le Chema Israel, qui nous ouvre à l’art difficile de l’attention à l’autre, le non-juif : Notre Dieu est le Dieu unique, le Dieu de tous.

39Une allusion à l’actualité nous rappelle que l’existence de l’État d’Israël n’est pas l’antichambre de l’ère messianique : Malheur à celui qui bâtit sa maison à l’aide de l’injustice ! (Jérémie). Suit l’analyse de deux ouvrages qui confrontent deux principes dialectiques complémentaires : le Principe Espérance (Ernst Bloch, 1959), sans lequel la responsabilité n’est qu’une illusion conformiste, et le Principe Responsabilité (Hans Jonas, 1979), sans lequel l’utopie ne peut être que destructrice.

40Nous retenons surtout la communication de Henri Atlan qui, à partir d’une étude de la pensée de Hasdaï Crescas (Saragosse, 14e siècle), aborde le sujet, récemment remis à l’ordre du jour par la loi française, du déterminisme et du libre choix : l’institution de peine de suivi thérapeutique (pour les cas de crimes sexuels) abolit la distinction classique entre criminels passibles de jugement et malades reconnus irresponsables, elle admet l’existence d’un déterminisme dans le comportement du criminel.

41Signalons en passant que Lévinas pose la responsabilité pour autrui comme donnée primitive de la condition humaine, précédant la liberté. La dernière intervention, de R. Badinter, concerne la Cour pénale internationale face à l’impunité des criminels contre l’humanité. En conclusion, J. Halpérin rappelle : pas de chalom sans concession ni sacrifice ; pas de tsedek sans compassion et générosité. — P. Detienne, S.J.

Cappellini M.R., André Neher. Tra esegesi ed ermeneutica, coll. Shalom, Brescia, Morcelliana, 2000, 20x12, 122 p., 8.27 €. ISBN 88-372-1783-8

42C’est une étude attachante de la vie et de l’œuvre d’A. Neher (1914-1988) que nous propose une enseignante de langue et de littérature hébraïque à la faculté de Théologie de l’Italie du Nord. Elle a déjà travaillé à l’Université catholique de Milan et publié quelques essais dans différentes revues. Avec beaucoup de finesse, elle commence par présenter ce grand historien et penseur juif dans son cadre naturel et social : les universités de Strasbourg et de Tel Aviv, et elle ouvre l’éventail de ses publications : L’essence du prophétisme (1955), Moïse (1956), Jérémie (1960), Histoire du peuple d’Israël, en collaboration avec son épouse (1962), L’existence juive (1962) et L’exil de la parole (1970), lecture de la Bible après Auschwitz. Ses talents de poète et de musicien, joints à ses capacités d’organisation et de réflexion en firent un écrivain sensible, un président efficace de colloques et d’associations, un interprète de premier plan de la Bible et de la tradition juive.

43L’A. analyse ensuite de manière originale les grandes trames de sa pensée. Sa conception de l’histoire comme actualité de la mémoire humaine à travers l’évolution d’un peuple sous le regard de Dieu. Sa conception d’une philosophie juive tirée de l’Écriture, dans une volonté de coller à la réalité existentielle, d’où une approche phénoménologique, dans la perspective d’un « peut-être », sans rien de définitif ou de fermé. Certitude du « pathos » de Dieu en quête de l’homme, rencontré dans l’instant (un très beau chapitre), d’où l’importance de l’expérience esthétique comme milieu où s’épanouit le regard et où l’être devient musique. Sa conception théologique enfin, sous la mouvance du Maharal de Prague, où l’infini se donne dans la médiation du peuple. En décrivant ainsi le parcours d’A. Neher, l’A. amorce une hymne à la liberté de l’homme devant Dieu, et nous fait réfléchir sur notre propre existence. Remercions-la d’avoir présenté au public italien, avec tant d’intelligence et de pénétration, une des grands figures du judaïsme français contemporain. — J. Radermakers, S.J.

Kaplan E.K., La sainteté en paroles. Abraham Heschel, piété, poétique, action, coll. Patrimoines — Judaïsme, Paris, Cerf, 1999, 24x15, 265 p., 200 FF. ISBN 2-204-06263-4

44Abraham Heschel (1907-1972) est moins connu en Europe qu’aux États-Unis où il vécut et fait figure de grand maître incontesté en philosophie, en théologie et en spiritualité juive au XXe siècle. N’oublions pas qu’il a participé comme observateur au concile Vatican II, avec le Cardinal Bea. Trop peu de ses livres, malheureusement, ont été traduits en français, aussi remercions-nous les éditions du Cerf d’avoir pris l’initiative d’offrir au monde francophone ce beau volume qui fait revivre une personnalité attachante du judaïsme contemporain. L’A., professeur de littérature française et comparée à l’Université Brandeis, a fréquenté Heschel à New York et nous en parle avec admiration et conviction, nous introduisant aux écrits et à la pensée de ce grand théologien, non pas de l’extérieur, mais en nous dévoilant sa vision intérieure et sa conception pénétrante de la sainteté. Une poétique surgie de la prière, une spiritualité de la compassion, un engagement dans les affaires du monde en même temps qu’une réflexion responsable sur la foi au sein de la modernité, tels sont les grands traits que l’A. met en relief dans cette « personnalité pour notre temps ». Un programme d’étude des œuvres de Heschel, une bibliographie annotée et un index des matières font de ce volume la porte d’entrée rêvée pour pénétrer dans la pensée mystique du judaïsme d’aujourd’hui. La spiritualité juive a vraiment de quoi enrichir notre vie chrétienne profonde. Espérons que de nombreux lecteurs, croyants ou non, en feront l’expérience grâce à cet ouvrage de choix. — J.R.

Heschel A.J., La discesa della Shekinah, trad. P. Messori, coll. Spiritualità ebraica, Magnano, Qiqajon, 2003, 21x15, 113 p., 8 €. ISBN 88-8227-132-3

45Grand penseur juif, polonais émigré aux États-Unis, Abraham Heschel, est connu en milieu francophone surtout par son livre magistral Dieu en quête de l’homme (Paris, Seuil, 1968) et par Le tourment de la vérité (Paris, Cerf, 1976). Les éditions Qiqajon lui consacrent cet intéressant petit livre présenté de façon précise par le Fr. A. Mello de la communauté de Bose, qui s’attache à faire connaître au public italien les écrits importants de la tradition juive. Après une brève présentation de la vie et de l’œuvre de Heschel, l’éditeur nous fait savourer les pages essentielles de son dernier ouvrage, composé en hébreu, dans une traduction claire et fidèle.

46Il s’agit d’un thème important du judaïsme, précurseur de l’incarnation : La descente de la Shekinah. Comment la Parole divine est-elle descendue dans les profondeurs de l’homme ? C’est l’objet d’une discussion entre rabbins de l’école d’Aqiba et de Yishmaël sur la portée du don de la Torah au Sinaï, signe de la « condescendance » de la Parole divine dans une étonnante rencontre d’Alliance, où Dieu et l’homme se trouvent, pour ainsi dire, en interdépendance de salut. Par dix fois, selon la Bible, la Shekinah (présence de Dieu) est descendue sur terre, comme en exil, et Dieu sauve l’homme en l’attirant dans son rayonnement, tandis que l’homme sauve Dieu en observant la Torah reçue comme un don. La compassion de Dieu est centrale dans la Bible : Dieu assume la souffrance d’Israël de l’intérieur de lui-même ; en sauvant son peuple, il permet à ce dernier de le sauver, lui. Ainsi, l’autorédemption de Dieu s’effectue grâce à l’homme : ma rédemption, c’est la vôtre ! Se basant sur des textes bibliques et les faisant jouer ensemble dans leur littéralité, rabbi Aqiba, selon l’interprétation de Heschel, fait percevoir comment Dieu est intrinsèquement sauveur : sa création est essentiellement rédemptrice.

47Cette manière de raisonner sur les textes sacrés en citant les rabbins, avec de nombreuses paraboles ou métaphores, pourrait nous apparaître comme pur jeu d’esprit. En fait, c’est une recherche intérieure qui n’ose s’appuyer sur un raisonnement subjectif et qui cherche chez d’autres spirituels la confirmation objective de ses intuitions. Manière déconcertante pour nos esprits rationalistes ! Mais les pages de Heschel ont la fraîcheur d’une source au milieu d’un jardin embaumé. Leur lecture nous en convaincra. — J. Radermakers, S.J.

Masset P., « L’étoile de la rédemption » de Franz Rosenzweig. Les rapports du judaïsme et du christianisme, coll. Allemagne d’hier et d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 2000, 22x14, 206 p. ISBN 2-7384-9252-5

48Professeur de philosophie, familier des penseurs contemporains, l’A. est membre de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Après avoir étudié le marxisme et le maoïsme, il s’est attaché à la pensée de J. Paliard, d’H. Marcuse, d’A. Forest, et il se tourne vers les philosophes juifs modernes Lévinas et Rosenzweig. Ce dernier est peu connu dans le monde francophone. Aussi est-ce avec un réel plaisir que nous abordons cette pensée vigoureuse et libre, proche du christianisme, qui nous aide à réfléchir en profondeur.

49Une brève mais utile introduction nous présente cette grande figure du judaïsme allemand (1886-1929) dont l’œuvre majeure L’étoile de la Rédemption (1921) n’a été traduite en français que soixante ans plus tard (Paris, Seuil, 1982). Aux confins de la philosophie idéaliste allemande, ayant retrouvé la vitalité de son judaïsme, F.R. approfondit l’expérience religieuse à partir des deux religions juive et chrétienne. D’accès peu aisé, cette œuvre manifeste un esprit original, pénétrant, curieux des rapports entre raison et foi. Aussi le livre de P. Masset est-il particulièrement bienvenu, vu l’actualité du thème qu’il aborde. Deux grandes sections : la première expose de façon claire et précise la pensée de Rosenzweig ; la seconde pose les jalons d’une réflexion critique pour déboucher sur la portée actuelle de L’étoile de la Rédemption.

50L’A. suit pas à pas la démarche de l’œuvre. Après avoir établi la possibilité pour l’homme de « connaître le Tout », F.R. étudie les « éléments » : Dieu (métaphysique), le monde (métalogique), l’homme (métaéthique), puis trace une rapide synthèse des rapports de la philosophie et de la théologie, dans ce qu’il appelle « la voie, ou le monde constamment renouvelé » en trois étapes : création, révélation, rédemption. Ensuite il considère « la figure, ou le surmonde éternel » : possibilité d’obtenir le Royaume par la prière, acte d’amour de l’homme ; il s’agit de découvrir « le feu, les rayons, l’étoile de la vie éternelle ». Au long de ce parcours, une constante confrontation du judaïsme et du christianisme dans la manière de percevoir les relations entre Dieu, l’homme et le monde. Une sorte d’écho des vertus théologales : foi, charité, espérance.

51Dans la section critique de l’ouvrage, l’A. situe F.R. à l’opposé des philosophies de la totalité (Fichte, Hegel), en raison et de la mort et de la subjectivité humaine. Réfléchissant sur la conception de la philosophie, il montre F.R. dialoguant avec l’idéalisme allemand et intégrant la pensée religieuse à travers les notions de création, révélation et rédemption dans ce qu’il appelle « la pensée nouvelle » déjà existentialiste : la révélation de Dieu comme amant de l’homme et celle de l’homme comme aimé de Dieu et aimant son semblable. L’A. étudie alors de façon plus précise les rapports entre ces deux « voies » de salut que sont le judaïsme et le christianisme : questions de l’identité juive, du temps et de l’éternité, du rapport à l’histoire. Enfin il contemple avec F.R. la lumière de la vérité éternelle. Pour le juif, la vérité n’apparaît qu’à la fin, tandis qu’elle est déjà donnée par le Dieu chrétien trinitaire, qui pourtant n’échappe pas à un triple danger : spiritualiser Dieu au point d’oublier l’homme, diviniser l’homme et oublier le monde, diviniser le monde et séculariser Dieu. Au terme de sa remarquable étude, l’A. transmet l’impressionnante fresque que F.R. esquisse du christianisme, de façon encore idéaliste, et il en marque bien les limites.

52Pour pénétrer la pensée de cet attachant philosophe, nous avions besoin d’un guide expérimenté qui sache nous décrypter l’œuvre de Rosenzweig. Le livre de P.M. nous le fournit, avec compétence, précision, clarté, simplicité. Nous lui en sommes reconnaissants. Regrettons toutefois l’erreur qui s’est glissée dans le libellé du titre sur la couverture ; nous l’avons corrigé ci-dessus. — J. Radermakers, S.J.

Frank É., Avec Etty Hillesum. Dans la quête du bonheur, un chemin inattendu, coll. Petite Bibliothèque de spiritualité, Genève, Labor et Fides, 2002, 21x11, 204 p., 19 €. ISBN 2-8309-1047-8

53L’A., docteur en théologie de l’Université de Strasbourg, est bien connue des lecteurs comme collaboratrice de la revue (cf. NRT 119 [1997] 172-192 et 121 [1999] 92-109). Nous avons aimé son étude sur Pierre Emmanuel et nous avons écrit notre émerveillement sur la manière dont elle épouse le cheminement du poète en quête de Dieu (cf. NRT 123 [2001] 373-382). C’est la même profondeur et la même attention délicate à la personne que nous retrouvons ici à propos d’Etty Hillesum, qu’elle suit pas à pas dans une réflexion personnelle, suite à la lecture de son Journal suivi des Lettres de Westerbork (Une vie bouleversée, Paris, Seuil, 1995 ; cf. NRT 121 [1999] 397-416).

54Le titre dit bien ce que l’A. nous offre : « Avec Etty Hillesum ». C’est une relecture précise du chemin spirituel de la jeune femme juive, répartie en six chapitres : les Écritures comme beauté et force de consolation, l’apprentissage de la prière et de l’agenouillement, le ciel et le réel, l’arbre et la fleur, le monde et une maison, la sagesse et le bonheur. Cette relecture, É. Frank la fait avec toute sa culture et sa sensibilité fine, empathique, ce qui donne à son livre une profondeur de champ étonnante, tout en restant scrupuleusement fidèle au Journal et aux Lettres. Son respect pour la victime d’Auschwitz est émouvant. Et ce respect va si loin qu’elle fait constamment référence en note aux textes qui lui permettent d’affirmer ce qu’elle écrit. Elle remarque le danger que courent les chrétiens, lecteurs d’Etty Hillesum, de récupérer pour eux cette personne hors du commun. Elle détecte aussi le risque d’annexion de la pensée de la jeune femme par le courant du New Age et souligne à maintes reprises l’importance spirituelle du travail sur soi et de l’ascèse qui consiste à s’aimer pour aimer Dieu et rejoindre le prochain. Elle termine par cette phrase qui dit tout : « Que nous soyons juifs ou chrétiens, respecter E.H., c’est … entendre son désir de n’appartenir qu’au Vivant » (p. 185). Ceux qui ont été touchés par Une vie bouleversée sauront apprécier la profondeur d’analyse et la délicate sensibilité poétique de l’A. qui a vécu « avec Etty Hillesum » une vraie « dynamique de bonheur » et qui nous en fait part fraternellement. — J. Radermakers, S.J.

Baumgarten J., Le yiddish. Histoire d’une langue errante, coll. Présences du judaïsme, Paris, Albin Michel, 2002, 18x11, 281 p. ISBN 2-226-13313-5

55Le yiddish (de l’allemand jüdisch) est une langue étrange : parlée dès le Moyen Âge par les juifs ashkénazes, d’abord dans le cadre religieux, elle s’est peu à peu étendue à de nombreuses communautés juives, en Bohême comme en Ukraine, en Hollande comme en Pologne, en Alsace et en Italie, en Amérique du nord et du sud. L’A., directeur de recherche au CNRS a déjà consacré plusieurs publications à la littérature et à la culture yiddish. Il tente, dans cette nouvelle étude, de retracer l’histoire de la formation de cette langue, souvent considérée à tort comme un jargon de ghetto ou un patois vulgaire. Il nous la fait d’abord découvrir comme la langue d’Ashkénaz transcrite en lettres hébraïques. Elle s’approvisionne à l’hébreu rabbinique et à l’araméen, dont elle conserve des expressions typiques, mais aussi aux civilisations ambiantes, d’où la difficulté de se l’approprier si on n’y a pas été éduqué. Il parcourt alors les étapes de son évolution et s’efforce d’en dégager les composantes dans ses divers milieux d’accueil ; sa capacité d’intégration apparaît ainsi en pleine lumière. Un chapitre est consacré au yiddish moderne, vrai parler culturel particulièrement créatif sur le plan littéraire, comme en témoignent de nombreux écrits et la place occupée par le théâtre yiddish dans la société juive moderne. Si la deuxième guerre mondiale a stoppé son expansion, le hassidisme lui a donné un nouvel essor en tant que « langue de la mémoire ». Des perspectives d’avenir se dessinent dans la mesure où se développent les mouvements hassidiques. Bref une étude passionnante, bourrée d’indications linguistiques, géographiques, sociologiques du plus haut intérêt. Les lecteurs curieux du monde juif et de ses moyens d’expression y trouveront une information précieuse sur un langage hors du commun. — J.R.

Schiffman L.H., Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme, trad. J. Duhaime, Saint-Laurent, Fides, 2003, 24x17, XXXI-550 p., 32 €. ISBN 2-7621-2412-3

56Publié d’abord en américain, ce volume superbement présenté par les éditions Fides fera la joie des lecteurs soucieux de connaître l’état de la recherche à propos des manuscrits de Qumrân. C’est d’abord le rappel de l’étonnante aventure de leur découverte. C’est surtout le dévoilement de leur signification pour le judaïsme, et par voie de conséquence pour la préhistoire du christianisme. Ces documents, en effet, nous renseignent sur la période du Second Temple, de 135 av. J.C. à 68 de notre ère. L’A., professeur à l’Université de New York, spécialiste du judaïsme et de la littérature talmudique, fut associé aux chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem et chargé de la publication des fameux manuscrits. Il fait ici le point sur « l’apport de l’ancienne bibliothèque de Qumrân à l’histoire du judaïsme ». Cet ouvrage a été admirablement traduit en français et mis à jour par J. Duhaime, professeur à l’Université de Montréal, spécialiste lui aussi des textes de Qumrân, et cela, de façon à rendre le style alerte de l’A., qui est un excellent conteur. La bibliographie a été soigneusement révisée, et la Faculté de théologie de l’Université de Montréal a généreusement supporté le projet. Saluons cette collaboration particulièrement heureuse entre juifs et chrétiens.

57Que trouvons-nous dans cette œuvre remarquable ? D’abord une introduction évoquant l’histoire de la découverte des manuscrits et celle de leur déchiffrement, ainsi que les modifications survenues dans leur interprétation. Ces textes en effet révèlent la pluralité existant dans le judaïsme de l’époque et nous éclairent sur celle de l’Israël actuel et sur la manière dont le christianisme s’enracine dans les courants du judaïsme antique. L’histoire de la recherche aboutissant à l’affranchissement des précieux rouleaux par rapport à la monopolisation antérieure est précisée, puis les ruines de Qumrân sont passées au crible, avant d’aborder l’étude de la communauté essénienne, entre judaïsme et hellénisme : origines, direction de la secte, statut des femmes, croyances de la communauté. Une troisième partie est consacrée aux textes bibliques exhumés et à leur interprétation dans la communauté. Ensuite nous découvrons ce qu’était la vie juive à l’époque, la signification du fameux « Rouleau du Temple », la loi de la secte, avec ses prières, ses rites propres et son calendrier. La cinquième partie touche à la mystique messianique de la secte et à son eschatologie, avec étude de quelques textes controversés. Une dernière partie, passionnante, intitulée « sectarisme, nationalisme et consensus », traite des rapports entre Israël et les nations, de la signification de Jérusalem et de l’émergence du judaïsme rabbinique. Les notes, la bibliographie ciblée et fort complète, l’index des noms et des matières et la liste des graphiques, tableaux et cartes achèvent de donner à cet ouvrage son indubitable caractère scientifique.

58Venant à la suite de nombreux travaux sur les manuscrits et la secte de Qumrân, nous pouvons affirmer qu’il les éclipse en grande partie, par sa concision, sa précision, et le sérieux de ses prises de position. On est fasciné par la lecture de ce splendide ouvrage. Il nous montre sous un jour nouveau l’histoire attachante de ces juifs de Qumrân à la fois bien de leur temps et se posant les questions humaines fondamentales touchant Dieu, la personne et la société à partir de l’Écriture. Malgré une réelle technicité, le texte se lit agréablement. Nous le recommandons avec force. — J. Radermakers, S.J.

Ibba G, La teologia di Qumran, prés. P. Sacchi, coll. Studi biblici, 40, Bologna, EDB, 2002, 21x14, 87 p., 8 €. ISBN 88-10-40740-7

59L’A. de cette brève étude a défendu en 1996, à l’Université de Turin, une thèse sur le Rouleau de la Guerre, un des principaux manuscrits de la Mer morte. Depuis, il s’est illustré par plusieurs publications de linguistique et philologie hébraïque. Il s’est aussi intéressé à la Sagesse de Qumrân dans un essai publié à Rome en 2000 ; il y développe le thème de la lumière et des ténèbres dans les écrits esséniens. L’ouvrage présent reprend quelques passages des textes étudiés pour en faire une sorte de synthèse théologique.

60Il divise son travail en quatre thèmes connexes : le déterminisme et l’idéologie du bien et du mal ; l’eschatologie et la théologie de l’histoire ; le messianisme, la liturgie et les prières ; les solutions temporelles au problème du mal (exorcismes et formules libératoires). Sa conclusion souligne le prédéterminisme partout présent dans les textes de la secte : Tout dépend de Dieu, y compris l’action du mal chez les hommes ; le diable étant une créature de Dieu, son activité maléfique ne cessera que par décision divine. En attendant, on peut se garantir de son influence néfaste par des pratiques d’exorcisme. Un ouvrage intéressant qui aidera les lecteurs avertis à mieux percevoir l’attitude essénienne vis-à-vis du bien et du mal, grâce aux nombreux textes cités par l’A. C’est sa plus grande utilité. — J.R.

Levine L.I., Judaism and Hellenism in Antiquity. Conflict or Confluence ?, Peabody, Hendrickson, 1999, 22x14, XIII-227 p., nombr. ill. ISBN 1-56563-488-8

61Un professeur renommé d’histoire et d’archéologie juive à l’Université hébraïque publie cet ouvrage plein d’intérêt qui fait le point sur les rapports entre judaïsme et hellénisme dans l’antiquité. En réalité, c’est le texte de conférences faites par l’A. à l’Université de Washington à Seattle en 1994. Quatre grands chapitres divisent la matière. Le premier parle de l’irruption de l’hellénisme dans le monde juif, avec ses résistances à l’hellénisation et aussi les influences acceptées de la culture grecque. Suit un développement sur la période du second Temple à Jérusalem, avec les institutions gréco-romaines attestées par l’archéologie ou les écrits de l’époque hérodienne. Débordant un peu ce cadre historique, l’A. étudie alors le judaïsme rabbinique dans l’orbite romaine et byzantine, avec les influences hellénistiques sur la langue et l’élaboration de la Mishnah et les réactions des rabbins à la culture gréco-romaine. Enfin l’A. parcourt l’histoire de « l’ancienne synagogue », bâtiment et institution, à partir des documents archéologiques, tant en Israël qu’en Diaspora. Une brève conclusion, de précieux index (bibliographie, sources, sujets traités) complètent heureusement ce volume clair, précis, remarquablement documenté et judicieusement illustré, qui passionnera les étudiants soucieux de parfaire leur information à propos de cette période souvent mal connue. — J.R.

Tcherikover V., Hellenistic Civilization and the Jews, Peabody, Hendrickson, 1999, 22x14, XVII-563 p. ISBN 1-56563-476-4

62Avec E. Bickerman et M. Hengel, l’A. de cet important essai est l’un des grands spécialistes de l’époque maccabéenne et des rapports entre judaïsme et hellénisme. Juif né à Saint Petersbourg en 1894, il étudia à l’Université de Moscou puis enseigna à Berlin avant de monter en Palestine, où il devint l’un des premiers professeurs de l’Université hébraïque. Il commença à publier en 1957 un Corpus papyrorum judaicarum dont deux autres volumes parurent en 1960 et 1964, après sa mort survenue en 1958. Aujourd’hui reparaît son étude sur la civilisation hellénistique et les Juifs, dont la traduction anglaise date de 1959. Après quarante ans, même si elle doit être mise à jour sur plusieurs points, elle demeure valable : la fiabilité de ses sources et le sérieux de son travail l’attestent, comme le montre le prof. J.J. Collins de l’Université de Chicago dans la préface qu’il lui consacre.

63Deux parties divisent l’ouvrage : la première traite des événements politiques au temps d’Antiochus IV Épiphane, de la guerre de libération des Maccabées et de la période hasmonéenne ; la seconde parle des rapports entre communauté juive et cités grecques en diaspora ou entre politique et culture. Des appendices citant les sources, des notes et index prennent un tiers du volume (p. 381-563). Cette étude jette une lumière vive sur une période de l’histoire d’Israël souvent mal connue des chrétiens et pourtant essentielle, car elle est le berceau de la rencontre entre judaïsme et civilisation grecque ; commence à se creuser alors le fossé entre riches hellénisés et pauvres juifs. L’A. insiste sur cette dimension économique et politique plus que sur les éléments religieux ; il présente l’État hasmonéen comme un régime séculier et il désigne Alexandrie comme le modèle des cités grecques hospitalières du judaïsme. Nous savons gré aux éditions Hendrickson de sortir de l’oubli cette belle étude. Les historiens du judaïsme et des milieux grecs où naquit le christianisme l’apprécieront à sa juste valeur. — J. Radermakers, S.J.

Barc B., Les arpenteurs du temps. Essai sur l’histoire religieuse de la Judée à la période hellénistique, coll. Histoire du texte biblique, 5, Prahins (CH), Éd. du Zèbre, 2000, 24x17, 247 p., 54 FS. ISBN 2-9700235-5-5

64Publiée sous la direction de C.-B. Amphoux et B. Outtier, la collection Histoire du texte biblique (HTB) (ou en allemand Studien zur Geschichte des biblischen Textes : SGBT) réunit des monographies ou des ouvrages collectifs consacrés à la constitution et à la transmission du texte biblique à travers l’histoire. Maître de conférences à l’Université Jean-Moulin de Lyon, l’A. est spécialiste du judaïsme ancien. Il se penche ici sur la rédaction finale de la Torah, souvent attribuée à Esdras dans la tradition juive avec sponsorisation du roi des Perses. Le christianisme des débuts aurait repris cette tradition en intégrant à la Bible cette histoire d’Esdras.

65Or l’A. a découvert une autre tradition qui suit le même déroulement, mais avec des dates et des noms différents, qui nous mèneraient à la période hellénistique, soit deux siècles plus tard. Selon cette version des faits, le grand prêtre éditeur de la Torah était Siméon le Juste, originaire d’Égypte, sponsorisé par le roi grec. Siméon aurait adressé l’ensemble du Pentateuque à une élite sacerdotale ouverte à l’hellénisme. Dans cette étude, l’A. tente de débrouiller les fils de cet imbroglio. En 124 petits paragraphes, il étudie les techniques d’écriture de la « langue du sanctuaire », puis celle de l’école de Rabbi Aqiba, à travers quantité de petits textes significatifs tirés des traditions du judaïsme contemporain. Dans une seconde partie, il nous fait rencontrer le livre d’Esdras-Néhémie avant de nous intéresser à Siméon le Juste, dans le cadre de son milieu, avec les Onias, Éléazar, la révolte maccabéenne, Hillel et Chammaï, et de nous faire aboutir au Nouveau Testament, avec Jésus et son biographe Luc. On retrouve enfin Aqiba et l’option des chrétiens pour la langue grecque. L’A. conclut que « la langue du Sanctuaire », occultée et symbolique, permettrait de lever l’énigme de la formation du texte massorétique. Hypothèse intéressante que d’autres chercheurs parviendront peut-être à élucider un jour. Ce livre, qui s’adresse aux spécialistes, jette en tout cas un jour nouveau sur cette période hellénistique dont nous n’avons pas fini de découvrir les arcanes. — J. Radermakers, S.J.

Runesson A., The Origins of the Synagogue. A socio-historical Study, coll. Coniectanea Biblica, New Testament Series, 37, Stockholm, Almqvist & Wiksell Int., 2001, 22x16, 573 p., 366 SeK. ISBN 91-22-01946-4

66L’A. nous offre sa thèse de doctorat, défendue en 1999 à l’Université de Lund, sous la direction du Pr Birger Olsson et avec les encouragements de professeurs et collègues de cette Université. Le projet était d’examiner avec un nouveau regard la difficile question de l’institution synagogale chez les juifs du Ier siècle. Il fallait dès lors relire l’abondante littérature sur le sujet, entreprendre des études archéologiques sur les sites d’anciennes synagogues, en Israël comme en diaspora, et poursuivre une patiente analyse sociohistorique des sources accessibles. C’est en effet à partir de cette institution que sont nées deux religions : judaïsme et christianisme ; d’où son importance, et cela malgré la difficulté de trouver un consensus parmi les chercheurs. L’A. s’est courageusement attelé à ce travail.

67Sa thèse comprend six chapitres. Le premier est une introduction précisant le sujet, la méthode utilisée et la perspective envisagée. Le deuxième fait l’état de la recherche concernant l’origine de la synagogue, notamment en Israël. Un troisième chap. aborde le problème de la situation synagogale au Ier siècle : Israël et diaspora, activités exercées (lecture de la Torah écrite et orale). Le quatrième chap. considère l’évolution de la synagogue en Israël aux périodes perse et hellénistique, compte tenu de la liturgie, afin d’en déterminer l’aspect institutionnel. Ensuite le même travail est fait pour la diaspora : Babylonie, Égypte, Cyrénaïque, Transjordanie, Syrie, Idumée et Samarie, centres religieux, politiques et administratifs des communautés. Le passage du temple à la synagogue est étudié à partir de l’Égypte, avec l’importance prise par la prière, puis en territoire grec, avec les associations juives (collegia et politeumata). Le sixième chap. discerne plusieurs étapes dans le développement des premières synagogues : assemblée du peuple pour la lecture de la Torah et la structure administrative du pays ; institution supralocale officielle. L’église chrétienne trouverait ici son origine. Ainsi, des assemblées publiques de villages, et des assemblées semi-publiques, on serait passé d’une part au judaïsme rabbinique et d’autre part à la chrétienté catholique. L’étude s’achève par des plans, illustrations, minutieuse bibliographie, index, sur plus de soixante pages, témoignant du sérieux de l’œuvre, désormais incontournable pour les chercheurs des débuts du judaïsme et du christianisme. On peut pourtant se demander si les réunions semi-publiques dans les maisons, dont parlent les Actes relèvent de cette évolution ou si elles ont un caractère plus spontané. Quoi qu’il en soit, cette magistrale étude nous aide à mieux situer le milieu d’origine de ce qui deviendra peu à peu l’institution synagogale et l’institution ecclésiale. Bref, une recherche de grand intérêt ! — J. Radermakers, S.J.

Blanchetière Fr., Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), coll. Initiations, Paris, Cerf, 2001, 22x14, 587 p., 290 FF. ISBN 2-204-06215-4

68Divers essais sont apparus ces derniers temps sur les « origines du christianisme », émettant des hypothèses variées basées sur des analyses souvent partielles et partiales. Il fallait une étude beaucoup plus large, explorant les recoins de cette importante question. Il fallait surtout un spécialiste historien, compétent et impartial, capable d’embrasser iréniquement une vaste documentation tant ancienne que moderne. L’A. nous offre aujourd’hui cette synthèse, qui est en même temps un instrument de travail de première valeur. Nous lui en savons gré. Disciple du regretté Marcel Simon, professeur à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, on le connaissait par ses travaux sur le christianisme ancien, et notamment par ses précieuses contributions au colloque de Jérusalem de 1998 (cf. Le judaïsme dans tous ses états, Paris, Cerf, 2001, p. 19-30 et 427-432).

69Une magistrale introduction « fait le point » de la recherche. Une première partie consiste en une étude socio-historique. D’utiles « prolégomènes » l’ouvrent, rappelant le contexte géopolitique et socioculturel du Ier siècle palestinien. Suivent une brève enquête historiographique évoquant les faits à tenir en mémoire et une liste circonstanciée des documents littéraires et archéologiques à propos desquels il faut se garder des anachronismes ou des hâtives conclusions. La remontée aux origines s’avère donc difficile, comme déjà le faisait pressentir le précédent livre recensé. Des questions se posent. La dénomination des disciples de Jésus : Nazaréens ou Chrétiens ? Et ce « nazaréisme » primitif fut-il « missionnaire » ? C’est surtout le témoignage (ou martyre) qui constitue le choc attractif du « christianisme » naissant. D’où une étude géosociologique du « judéo-christianisme », décrivant la « nébuleuse primitive du proto-nazaréisme », remarquable interprétation des données évangéliques et de l’influence progressive du pagano-christianisme. Nous arrivons au sixième chap. qui conclut cette première partie, montrant comment la « praxis », et non le dogme, a provoqué la séparation entre nazaréens et chrétiens d’une part, et d’autre part entre ceux-ci et les juifs restés traditionnels, d’où le rejet nécessaire de la dénomination de « judéo-christianisme », finalement incorrecte.

70La deuxième partie de l’ouvrage se consacre au Nazaréisme comme tel. D’abord quelques réflexions méthodologiques à propos de l’émergence d’une théologie basée sur l’interprétation de l’Écriture et sur la personne de Jésus : comment s’est effectué le passage de la parole à l’écrit évangélique, compte tenu de la halakha des disciples de Jésus et des communautés proto-nazaréennes ? Et quelles étaient leurs « idées et croyances » : milieu qumrânien, conceptions messianiques, retour sur Jésus proclamé Messie, mort et résurrection du Christ, évolutions des titres christologiques, incarnation et eschatologie ? Après un dixième chapitre traitant des controverses entre ceux de la circoncision et ceux d’entre les nations à propos de la lecture de l’Écriture, de l’identité de Jésus et de la réalité de sa résurrection, puis des polémiques intracommunautaires — trop peu apparentes dans les présentations traditionnelles —, le chap. 11 étudie les institutions du nazaréisme : communauté, sacerdoce, sacrements, liturgie et fêtes, enseignement de référence. Un dernier chapitre considère, en ouverture, les constitutions des communautés chrétiennes issues de l’hellénisme, avec la transmission de la Bible, la situation sociale, les rapports avec la cité antique et la culture ambiante, puis l’organisation des églises, leur théologie et l’attitude antijudaïque marquées dans leurs écrits.

71Ainsi l’A. peut-il définir les traits spécifiques de l’identité nazaréenne avant d’élaborer ses conclusions générales : jusqu’en 135, deux courants s’articulent sur la racine juive, un protonazaréisme et un christianisme primitif, sans rien abandonner de la halakha fondatrice. Le passage à la philosophie grecque contribuera à fonder l’orthodoxie chrétienne en rupture avec l’orthopraxie rabbinique, préparant l’institutionnalisaion du christianisme en religio romana. Comment dès lors situer Jésus au sein du judaïsme du Ier siècle ? Et le Jésus de jadis « se reconnaîtrait-il dans l’institution qui après vingt siècles se revendique de lui ? » (p. 525). Un livre probe, sérieux, excellemment documenté, qui invite le chrétien d’aujourd’hui à une grande humilité et à une méditation salubre et décapante sur « les racines juives du mouvement chrétien ». Nous ne pouvons que le recommander aux théologiens, aux exégètes, aux historiens de l’Église, et aux chrétiens décidés à réfléchir en vérité sur leurs origines. — J. Radermakers, S.J.

Bardet S., Le « Testimonium Flavianum ». Examen historique. Considérations historiographiques, postf. P. Geoltrain, coll. Josèphe et son temps, 5, Paris, Cerf, 2002, 20x13, 280 p., 25 €. ISBN 2-204-07002-5

72Flavius Josèphe, l’historien juif passé dans le camp romain au moment de la révolte juive qui se termina par la destruction de Jérusalem en 70, a laissé un ouvrage brossant une fresque grandiose du judaïsme. Il contient un passage fameux qui parle « d’un certain Jésus appelé Christ qui fut pendu sous Ponce Pilate ». Dans son Histoire de l’Église, Eusèbe de Césarée, au IVe siècle, en parle sous le nom de Témoignage flavien sur Jésus ; mais depuis plus de quatre siècles, l’authenticité de ce texte a été violemment contestée. Voici qu’un docteur en histoire, agrégé des lettres classiques, maître de conférences à l’Université d’Évry (Essonne), reprend à nouveaux frais l’histoire de cette controverse et nous fait dans cet ouvrage une magistrale leçon de critique historique.

73Il nous présente d’abord le texte grec du passage suspecté et en rapporte différentes traductions, avec de multiples variantes et quelques commentaires typologiques. Il examine ensuite les arguments proposés pour et contre l’authenticité : critique externe traditionnelle sur la manière dont Josèphe aurait pu parler de Jésus ; critique interne du passage et présentation de perspectives nouvelles à partir de la psychologie et des courants messianiques de l’époque ; finalement, esquisse d’une nouvelle hypothèse. Après cela, l’A. analyse avec objectivité les opinions modernes, de Renan à Hadas-Lebel, en passant par Lagrange et de Grandmaison ; elles sont hautement significatives des auteurs qui les font valoir, depuis le refus obstiné de l’authenticité jusqu’à son acceptation plus ou moins motivée. Il conclut en reconnaissant pour l’essentiel la paternité de Josèphe sur ce texte, car les chrétiens dont il parle sont pour lui des juifs qui prétendent que le Messie est advenu. Le « témoignage flavien » est donc celui « d’un juif sur un groupe de juifs » (p. 229), ce qui rend son texte plausible et acceptable comme tel. Comme le souligne le postfacier P. Geoltrain : cette probabilité reconnue « vaudra à cet essai — à la pensée claire et au style juste — de rester un modèle du genre et d’être pour longtemps l’ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéresseront à cette curieuse querelle autour du Testimonium » (p. 277). Les théologiens, exégètes, historiens de l’Église tireront profit de cette étude méthodique, argumentée, remarquablement documentée. Ils y trouveront un modèle de critique toute en nuance et d’une belle probité scientifique. — J. Radermakers, S.J.

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