Couverture de NRP_019

Article de revue

Traumatisme sans métamorphose n’est que suspension du temps

Pages 151 à 163

Notes

  • [1]
    « Nous étions onze enfants dans tout Czestochowa, et moi – qui fus le plus jeune d’entre eux – je me suis battu pour survivre. Les chefs nazis prenaient un malin plaisir à nous mettre au supplice. Le pire d’entre eux s’appelait Kiesling – un des chefs de la Gestapo. Un jour, alors que nous attendions en rang, il brailla : “Les enfants en avant !” Nous restâmes tous immobiles. Sa voix gronda à nouveau : “Schnell, Schnell !” […] Je me rappelle encore précisément les mots qu’il prononça en allemand et que je ne comprenais pas à l’époque : “Was brauch Ich diese dreckingen dicken Jungen ! Die sind nicht produktiv !” – “Qu’ai-je besoin de ces enfants sales, qui ne sont pas productifs et qu’il faut nourrir !” Les railleries du nazi au revolver, la maïka et les chiens, tout cela me fit comprendre, semble-t-il, que la vie à Czestochowa ne valait pas grand-chose. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, moi, l’enfant dont personne n’avait besoin dans ce camp, je pus répondre au nazi » (Lau, 2005, p. 47).
  • [2]
    Cellule d’aide psychologique destinée aux survivants de la Shoah et aux générations suivantes, Centre Georges-Devereux.
  • [3]
    Le Mémorial de la déportation des Juifs de France (1978) recense la liste des soixante-quinze convois de déportation des Juifs de France vers les camps de concentration et d’extermination nazis, avec les nom, prénom, date et lieu de naissance de chacun des 76 000 déportés.
  • [4]
    Plus connu aujourd’hui sous le nom de Mémorial de la Shoah (4e arrondissement de Paris).
  • [5]
    Les « sociétés » d’origine des émigrés juifs d’Europe centrale et orientale sont des associations qui sont aujourd’hui rassemblées pour l’essentiel dans l’association FARBAND. Elles ne réunissent plus que quelques dizaines de membres chacune. Autrefois, avant la Seconde Guerre mondiale, et jusque dans les années 1960, elles étaient très nombreuses, comptant plusieurs milliers de membres qui s’y regroupaient pour assurer les enterrements des émigrés juifs sur le sol français et organiser des « banquets » – occasions de réunion, de levées de fonds et de « shiddour », terme hébreu utilisé en yiddish pour désigner la rencontre organisée entre un jeune homme et une jeune femme en vue d’un mariage arrangé, selon le rite et la tradition. Ces sociétés se distinguaient les unes des autres par leur adhésion aux tendances politiques du moment : elles étaient sionistes ou anti­sionistes, marxistes, sionistes et marxistes, sionistes et antimarxistes, etc. Comme dit le proverbe yiddish : « Deux Juifs, trois associations ».
  • [6]
    Sur environ 70 000 enfants juifs vivant en France en 1939, 60 000 purent être sauvés, alors qu’en Europe centrale 90 % des enfants juifs furent assassinés (Zajde, 2012).
  • [7]
    Hormis les démarches de la Claims, la Conference on Jewish Material Claims Against Germany, organisation créée en 1951 aux États-Unis se donnant pour mission de réclamer et de négocier avec les autorités allemandes (et toute autre organisation officielle impliquée directement) l’obtention, au bénéfice des survivants et de leurs ayants droit, de restitutions et d’indemnisations pour les spoliations subies.
  • [8]
    Comme la plupart des chercheurs aujourd’hui, nous appelons « survivant » toute personne juive ayant vécu dans un pays sous l’autorité des nazis ou de l’un des régimes collaborationnistes, quel qu’ait été son âge, quelles qu’aient été les conditions de sa survie.
  • [9]
    Il s’agit des sentiments intenses de peur, de terreur et d’abandon, des reviviscences de l’événement traumatique, des évitements de stimuli liés à l’événement, de l’émoussement de la réactivité générale, d’une hyperactivité neurovégétative, des rêves traumatiques, des souvenirs récurrents, des périodes sensibles au moment des anniversaires, des états dissociatifs, d’une irritabilité particulière, d’une perte de la capacité de concentration, d’une labilité émotionnelle, d’une réduction de la capacité de modulation des affects, de peurs et de soucis injustifiés et excessifs.
  • [10]
    Cf. le cas du survivant Ka-Tzetnik (Nathan et Zajde, 2012).
  • [11]
    Depuis lors, l’OSE (l’Œuvre de secours aux enfants) et la fondation Casip-Cojasor ont ouvert des consultations. Mais la cellule du centre Georges-Devereux demeure la seule en France à être animée par des spécialistes, des enseignants-chercheurs, dans une institution non communautaire. Rappelons qu’on estime à plus de 60 000 le nombre de survivants en 2014 (l’étude de Della Pergola 2004, Needness among Jewish Shoah Survivors, repris par la Claims conference on Demographic Study on Jewish Nazi Victims living in France, mai 2014) et au moins à 250 000 les membres de familles proches de survivants et de victimes vivant en France.
  • [12]
    Lors de la cérémonie de lecture des noms de Yom Hashoah au Mémorial de la Shoah, à Paris, le 18 avril 2013, Marceline Loridan-Ivens, survivante d’Auschwitz, l’a rappelé dans son discours : « Nous, les déportés, nous sommes à part, nous ne sommes pas comme vous » (Loridan-Ivens, 2008).
  • [13]
    FFDJF : association des Fils et filles des déportés juifs de France créée en 1979 et présidée depuis par Serge et Beate Klarsfeld.
  • [14]
    Ainsi que la poursuite des anciens dignitaires nazis responsables de la persécution des Juifs qui n’avaient pas été jugés.
  • [15]
    CIVS : Commission d’indemnisation des victimes de spoliations. http ://www.civs.gouv.fr/
  • [16]
    http ://www.fondationshoah.org/FMS/index.php
  • [17]
    PTSD en anglais (Post Traumatic Stress Disorder), cf. A. Young, 1995.
  • [18]
    Seulement la logique, il est vrai, et non pas l’intention.
  • [19]
    Pour reprendre les exemples des Beti du Cameroun sur lesquels Michaël Houseman (1986) étaie sa démonstration.

Les survivants

1 Charles Liché… On l’appelait le « rabbin des déportés »! Dans sa synagogue, celle qu’il avait contribué à réouvrir après la guerre – la synagogue de la Place des Vosges à Paris, qui porte désormais son nom –, les anciens déportés, notamment ceux de l’association Blechhammer-Auschwitz III, acceptaient de se réunir pour les fêtes juives. Pour la plupart, ils refusaient les rassemblements religieux. Mais là, chez Liché, ils se retrouvaient, prenaient plaisir à partager le repas et à l’écouter réciter les prières juives… Liché, leur rabbin, celui qui avait connu l’enfer avec eux. Ils aimaient le fréquenter, lui qui acceptait sans commentaires leurs propos anti-religieux, leur athéisme – « La preuve que Dieu n’existe pas, c’est que des enfants innocents ont été atrocement assassinés » –, leurs rationalisations marxistes aussi – « La religion c’est l’opium du peuple » –, leur rage contre celui qui, au lieu de les protéger, les avait abandonnés – « Un dieu ?… Comment un dieu peut-il laisser faire ça ? »

2 Edith, Esther, Paulette, Max, Jean, Maurice… Tous étaient des jeunes gens au moment de leur déportation ; ils n’avaient pas plus de 20 ans et pensaient qu’un avenir radieux les attendait. Enfants d’émigrés qui avaient eu la chance de vivre à Paris, dans un pays libre, moderne, riche et sans numerus clausus, devenus du jour au lendemain bêtes traquées, arrêtées et déportées. En 1945, ces survivants, revenus de la « marche de la mort » (Blatman, 2009), se sont retrouvés orphelins, dans la misère, le passé gommé et l’avenir incertain. Tous ont pourtant su construire une vie qui de l’extérieur semblait normale. Mais, chaque nuit, ils étaient rattrapés par des cauchemars atroces qui les faisaient hurler de frayeur. Dans son appartement parisien, Sarah se réveillait en sursaut, trempée de sueur, vers cinq heures du matin. Pour reprendre ses esprits, elle se répétait : « C’est pas possible ! Non ! T’es en liberté… C’est pas possible ! » Puis elle partait dans le salon attendre le lever du jour en faisant des mots croisés. Dans ses cauchemars, Auschwitz la poursuivait, comme si l’horreur n’avait jamais cessé (Zajde, 1995). Toutes les nuits, la persécution, les tortures et l’assassinat des proches… Malgré l’existence qu’ils avaient su rebâtir, le nazisme continuait ses attaques destructrices dans la vie des survivants. La paix internationale n’était pas parvenue à restaurer leur paix intérieure. La question de leur survie se reposait chaque nuit et l’absence de réponse dans le monde « normal », celui du jour, faisait écho au traumatisme de la déportation. Mais Liché, survivant lui aussi, était à part. Sans doute parce qu’il faisait partie de ceux qui consacraient leur vie à tenter de reconstruire non pas sa vie personnelle, mais le monde juif, travaillant à ce qu’il réponde aux questions essentielles des survivants et de leurs descendants.

3 Liché était né en 1920, à Metz, dans une famille juive traditionnelle, religieuse. Il fut déporté depuis Drancy le 21 septembre 1942, avec ses deux parents et son frère, par le convoi n° 35. Il avait 22 ans. Le 21 septembre 1942, c’était le 10 du mois de Tichri selon le calendrier hébraïque, le jour de Yom Kippour. Dans le wagon à bestiaux qui roulait vers l’est, entassé avec ses parents, son frère et tous ces Juifs qui hurlaient de peur, de soif, de faim, le jeune Liché se révolta. Il dit à son père : « C’est Kippour ! Comment une telle chose est-elle possible ? Comment croire encore à notre religion et à notre dieu ? » Et son père lui administra une gifle dont la marque n’a jamais disparu. Des terribles douleurs de la déportation, du piétinement sadique du nazi botté sur sa main qui lui valut l’amputation de plusieurs doigts, de l’horreur des privations, de tout cela, nous disait Liché lors de l’entretien qu’il nous consacra en 1989, il ne gardait aucun souvenir. Mais la gifle de son père brûlait encore sa joue. Le père de Charles Liché ne s’arrêta pas là ; il ne se contenta pas de corriger son fils. Dans le wagon à bestiaux qui les menait à Auschwitz, il implora son fils : « Si tu survis, promets-moi seulement une chose… Promets de devenir rabbin. » Charles Liché fut le seul survivant de sa famille. Il fit ce que lui avait demandé son père, son guide invisible… Il mit tout en œuvre pour devenir le fameux rabbin de la Place des Vosges. Charles Liché avait reçu une mission ; le chemin de son existence avait été tracé par son père au moment même où l’enfer allait les engloutir.

4 Ce fut également le sort du tout jeune Israël Meir Lau et de l’un de ses grands frères, Naftali Lau. C’était en Pologne, en 1943. Israël Meir avait 6 ans, Naftali, 16. Leur père, le Rav Moshé Haïm Lau, Gaon de Piotrkow, roch yeshiva (« maître à penser »), responsable de plusieurs centaines d’étudiants et de chercheurs, héritier d’une dynastie de trente-huit générations de rabbins, confia à Naftali, juste avant d’être assassiné par les nazis, la tâche de sauver le petit, car ce serait à lui de perpétuer la lignée. Israël Meir et Naftali ont connu l’enfermement dans le ghetto, les camps de concentration et d’extermination, les transports dans les wagons à bestiaux, la faim, le froid, les coups, les maladies, la souillure du contact avec les mourants et les cadavres… Ils ont survécu à Buchenwald. À plusieurs reprises, le petit Lau a été sauvé grâce à la témérité et à l’ingéniosité de son frère. Le petit Israël Meir lui aussi s’est révélé exceptionnel dans l’épreuve. Alors que, du fait de son jeune âge, il était voué au four crématoire, il est parvenu, à force de discours inspirés, de paroles magiques, à convaincre les nazis de le laisser vivre. Il leur expliqua, à ces braillards têtus, que des enfants étaient eux aussi capables de travailler, mieux même que des adultes [1]. Il a travaillé comme esclave. Il a su se noyer dans le groupe, passer inaperçu au milieu des déportés devenus ombres des tueurs de Juifs. Ce fut une sorte de miraculé, comme il y en eu quelques-uns. « Une survie miraculeuse, tant physiquement que spirituellement » (Lau, 2005, p. 13). Naftali, le grand frère, est parvenu à garder le petit à ses côtés tout le temps de leur enfer. Une fois la guerre terminée, les camps libérés, les deux frères, d’abord rapatriés de Buchenwald vers la France (Hemmendinger, 1984), ont ensuite émigré en Palestine. Là, ils ont retrouvé un autre frère qui avait réussi à s’enfuir et un peu de famille émigrée avant la Shoah. Le jeune Lau, qui ne savait alors ni lire ni écrire, a rattrapé son retard. Il a poursuivi de brillantes études rabbiniques. Cinquante ans après avoir été séparé de son père, en 1993, il est devenu grand rabbin d’Israël. Ses fils sont tous rabbins, transmettant les savoirs orthodoxes des générations disparues. En 2013, son fils David a été élu à son tour grand rabbin d’Israël… Les enfants du Gaon de Piotrkow avaient tous deux reçu une mission, Naftali celle de garder son petit frère en vie, le petit Israël Meir de reprendre le flambeau pour perpétuer une pensée, une lignée de rabbins. De fait, leur survie a permis à une certaine tradition rabbinique, locale et spécifique, celle de la dynastie des Lau-Halberstam-Frankel-Teomim, de ne pas disparaître.

Pourquoi survivre ?

5 Une fois la guerre achevée, les nazis vaincus, les camps libérés, la question qui s’imposait aux survivants de la Shoah pourrait être formulée ainsi : « Après avoir touché aux rivages de la mort, pour quelle existence en être revenu ? Pour quelle raison ai-je survécu ? » Le jeune Charles Liché, âgé de 25 ans au moment de sa libération, le petit Israël Meir Lau, âgé de 8 ans, on fait partie des rares pour qui la réponse, dictée par leur père à la porte de l’enfer, était limpide. La plupart des survivants, tout aussi éprouvés qu’eux, souvent avec le même sentiment d’avoir été désignés, n’avaient pourtant pas été missionnés. Ils ne pouvaient considérer leur survie que comme un « miracle » dont ils cherchaient le sens et l’auteur. Et s’il leur était répondu qu’ils devaient leur survie à la chance ou au hasard, leur existence devenait dès lors, paradoxalement, une source de souffrance.

6 Il n’est pas rare que cette énigme essentielle se transmette aux générations suivantes. Jacques R. est fils unique. Il est né en 1948 à Paris de deux parents ayant chacun survécu à trois ans d’internement à Auschwitz. Il souffre d’un trouble bipolaire depuis de longues années. Il s’est présenté à son premier rendez-vous à la cellule d’aide psycho­logique [2] muni du Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld [3]. Il en avait marqué d’un post-it trois pages. Il ouvrit le livre et désigna deux noms soulignés dans la liste des déportés d’un convoi datant de juillet 1942 : « Ici, c’est le nom de mon père et, là, le nom du mari de ma mère… Ils étaient dans le même convoi. Le mari de ma mère n’est pas revenu. » À la deuxième page, sur la liste d’un autre convoi de juillet 1942, il avait souligné deux autres noms : « Ici c’est le nom de ma mère et là c’est le nom de la femme de mon père, parties dans le même convoi. La femme de mon père n’est pas revenue. » Et sur la troisième page, deux noms, encore : « Ici c’est la fille de ma mère, née en 1932, et là c’est la fille de mon père, née en 1930. Elles ne sont pas revenues. On peut voir leur photo au Mémorial de la Shoah, dans la salle des enfants. » Jacques R. referma le volume sur ces mots : « Voilà, c’est mon livret de famille ! » Jacques R. rattachait ses troubles psychiatriques, ainsi que ceux de sa fille, aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, au vécu de ses parents durant la guerre, à la destruction de l’ensemble de leurs deux familles, au fait aussi que sa mère n’avait jamais cessé de hurler, près de lui, la nuit. Très jeune, il avait été envahi par des angoisses que nul ne parvenait à soulager. Plus tard, Jacques R. a épousé une enfant survivante, elle aussi troublée par le vécu de la Shoah. Leurs enfants nous demandent : « Et ça va continuer comme ça pendant combien de générations ? »

La part d’histoire

7 Jusqu’à la publication du Mémorial de la déportation des Juifs de France en 1978, l’histoire des déportés juifs relevait du vécu individuel. Certes, des commémorations avaient lieu chaque année au sein de la communauté juive… au Centre de documentation juive contemporaine [4], aux cimetières de Bagneux et de Pantin, là où les associations de déportés et des sociétés d’origine [5] avaient fait édifier des tombeaux collectifs, stèles sans corps, où ils avaient inscrit les noms des disparus dans les camps de la mort. Ces commémorations restaient cependant confidentielles, réunissant peu de monde. Et lors des commémorations officielles, tant nationales qu’internationales, au cours desquelles on rappelait les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’identité juive des victimes était à peine mentionnée, souvent ignorée, parfois volontairement dissimulée (Wieviorka, 1992). C’était le temps où les Alliés fabriquaient une mémoire de vainqueurs, où la France s’imaginait résistante, où les communistes et les gaullistes avaient certes souffert mais avaient finalement vaincu et où le massacre des Juifs était mis de côté parce qu’il aurait gêné la reconstruction en cours.

8 Dans ce contexte, les survivants, les rescapés des camps – en France, sur 76 000 déportés, 2 500 sont revenus –, les adultes qui avaient échappé aux arrestations, les enfants cachés [6] ont reconstruit une existence en mettant de côté la part tragique comme une affaire personnelle, tenue secrète par la force des choses puisqu’aucun discours politique ne la prenait en charge, aucune proposition sociale ou culturelle ne venait l’encadrer [7]. Ainsi les survivants du génocide [8] ont-ils repris pied dans un monde au regard duquel rien de singulier ne leur était arrivé ; comme si leurs sociétés juives n’avaient pas disparu ; comme si leur survie, comme si la nouvelle existence qu’ils devaient mener ne soulevaient aucune question. Et quand ils étaient rattrapés par les terreurs de leurs nuits, par leurs angoisses, par les retours inopinés de leurs morts sans sépulture et, pour certains, par de francs états de dépersonnalisation, ils n’avaient d’autre choix que de penser qu’ils le devaient aux aléas de leur subjectivité, à leur singularité, à leur constitution psychique propre. Et si le vécu d’extermination des Juifs restait du domaine de « l’impensable », comme on le clamait alors, c’est peut-être qu’on avait oublié de le penser, tant au plan social et politique qu’au plan psychologique.

9 Cette situation – appelons-la « psychosociale » puisqu’elle était faite d’une souffrance psychique spécifique baignée dans une atmosphère de déni social – n’a fait que renforcer l’un des effets les plus terribles du traumatisme : l’isolement. Car ce qui caractérise le sujet traumatisé, c’est l’impossibilité de se relier au monde d’avant, de revenir vers ses proches, vers son groupe social et culturel. Sa pensée, ses sensations ont été capturées par l’événement. Aliéné, au sens propre, devenu autre, quelles que soient les apparences qu’il veut maintenir, il n’est plus libre. Le traumatisé continue à vivre dans l’univers traumatique. Il est toujours la proie de ses ravisseurs, de ses tortionnaires ; il demeure victime de l’agression dont il a pourtant été délivré. Ainsi pouvons-nous affirmer que, pour celui qui souffre d’un traumatisme psychique, la libération n’a pas encore eu lieu. C’est pourquoi un véritable projet psychothérapique doit être conçu précisément comme un acte résolu de libération, comme un processus d’influence orienté.

La science « psy » et les survivants de la Shoah

10 Au lendemain de la guerre on a cherché à comprendre de quoi souffraient les anciens déportés. C’est alors qu’a été élaboré le fameux syndrome des survivants des camps de concentration (Richet et Mans, 1956 ; Eitinger, 1961 ; Niederland, 1964). Mais son application a surtout conduit à établir un statut reconnu par les experts internationaux, psychiatres et avocats, permettant aux anciens déportés de recevoir compensations financières et soins médicaux gratuits. Dans le syndrome, aucune mention n’était faite de l’appartenance des victimes. Les déportés étaient tous confondus – ils avaient été déportés, subi des violences extrêmes, des tortures, des privations, avaient été spoliés, voilà tout. Aucune référence aux motifs de leur déportation, encore moins à l’intention des agresseurs ou à la signification que prenait cette agression au cœur d’un projet politique. « Déportés », comme si cela pouvait prendre sens. Le syndrome des survivants des camps regroupait des symptômes psychologiques et psychiatriques généraux [9]. Il offrait aux personnes désignées non pas une nouvelle identité, une façon de se reconnaître et peut-être de se manifester en tant que groupe, seulement des procédés d’identification par les professionnels. Ce syndrome fut évidemment largement mis à contribution pour renseigner les dossiers de demande de réparation de la Claims et des services juridiques des ambassades d’Allemagne.

11 S’il n’offrit pas une nouvelle « identité », ce syndrome ne déboucha pas davantage sur des propositions thérapeutiques spécifiques [10]. En France, le pays qui abrite, après Israël et les États-Unis, le plus grand nombre de familles de survivants de la Shoah, il a fallu attendre 1988 pour que soit créé le premier dispositif psychologique spécifique destiné aux survivants de la Shoah et à leurs descendants [11]. Certes, au retour des camps, les survivants de la région parisienne qui présentaient des troubles psychotiques graves ont été accueillis par le célèbre psychiatre Henri Baruk (1976) à l’hôpital psychiatrique de Charenton, où l’un des pavillons leur était réservé. Mais ce fut une exception. En psychiatrie, en psychanalyse, en psychothérapie, aucune approche singulière n’était envisagée ; on comprend que les survivants aient, dans leur grande majorité, refusé de consulter. Ils ne rencontraient le psychiatre qu’exceptionnellement, dans le cadre des expertises pour le renouvellement du dossier de déporté (Pross, 1988). Ils l’évitaient le reste du temps, ils le redoutaient, aussi, lui qui les considérait comme des « névrosés quelconques ». Le psychiatre réveillait immanquablement leurs souffrances, déclenchant parfois un traumatisme supplémentaire dont ils mettaient plusieurs mois à se relever. En effet, alors que le survivant combattait chaque jour l’invasion de sa pensée par les souvenirs traumatiques, les rendez-vous chez le « spécialiste » le replongeaient dans son cauchemar, lui imposant de se confronter à nouveau à ses bourreaux, l’enjoignant à se souvenir de ce qu’il cherchait à oublier de toutes ses forces, convoquant les fantômes, l’interminable liste des disparus qui erraient sans sépulture. Tandis que le psy luttait contre le « refoulement » – c’est-à-dire une forme d’oubli –, le rescapé ne souhaitait qu’une chose : parvenir à oublier.

12 Les survivants des camps que nous avons rencontrés nous ont expliqué que les psys ne les comprenaient pas ; qu’ils n’étaient pas fous mais « différents », transformés par leur expérience extrême [12]. Ils en avaient tiré la conclusion que seuls des semblables auraient pu les entendre, qui auraient traversé la même expérience, autrement dit, d’autres anciens déportés juifs. Quant à les « soigner », ils pensaient tous que c’était une tâche impossible. « Personne ne peut comprendre comment on a pu survivre à ça, pas même nous ! » Les psys, tout comme les politiques, les historiens, les philosophes, les responsables communautaires, faisaient écho à ce discours, parlant d’« indicible », d’« impensable »… comme si la pensée collective avait été, à l’image de celle des survivants, pétrifiée, traumatisée ; comme si elle restait, elle aussi, interdite, sidérée par l’événement.

Reconnaissance officielle et universalisation

13 Le 16 juillet 1995, à l’occasion de la commémoration de l’arrestation par la police française de 22 000 Juifs, essentiellement des femmes et des enfants de nationalité étrangère, qui furent enfermés durant plusieurs jours dans le 15e arrondissement de Paris, au vélodrome d’Hiver, puis internés au camp de Drancy et dans les camps du Loiret pour être finalement déportés et assassinés à Auschwitz, le président de la République, Jacques Chirac, déclarait : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux… » (FFDJF[13], 1998). Ce fut le tournant. Cinquante ans après la fin de la guerre, cette déclaration modifia radicalement le statut de l’événement, tant dans la société française que pour les survivants et les descendants de survivants. Loin d’être l’expression d’une opinion, c’était l’aboutissement d’un long et patient travail, en premier lieu celui de Serge Klarsfeld et de son épouse Beate. Depuis le début des années 1960, ils avaient œuvré pour faire reconnaître la responsabilité de l’État français dans la déportation de Juifs de France [14]. Première étape de cette entreprise, la publication, en 1978, du fameux Mémorial de la déportation des Juifs de France était venue soustraire quelque peu les survivants à leur isolement psychologique, le nom de leurs parents assassinés étant inscrit à côté de dizaines de milliers d’autres. Ce mémorial dressait les premières fondations d’une histoire commune, qui ne tenait rien de la subjectivité des personnes. Et l’effet de la publication de cette véritable bible ne se fit pas attendre. Pour la première fois, trente-cinq ans après les faits, les survivants pouvaient lire dans un document public que leurs parents étaient bien morts, assassinés par les nazis aidés par les forces de police et les politiques français – et cela au seul motif qu’ils étaient juifs. Beaucoup conservent religieusement ce document, déclarant que, jusqu’en 1978, ils n’avaient jamais vraiment pris conscience de la mort de leurs parents. Ils connaissaient, certes, les conditions de leur disparition, ils pouvaient imaginer leurs souffrances, mais, au fond d’eux-mêmes, ils les pensaient seulement disparus, perdus, « ailleurs », ni ici, ni là… Ils portaient cette pensée en silence, ne la partageant avec personne, pas même avec les plus proches, leurs frères et sœurs, leur conjoint ou leurs enfants. Chacun conservait son parent mort pour lui-même. Et les voilà tous réunis dans un document écrit.

14 Le travail des Klarsfeld et de leur association permit aussi le procès d’anciens nazis allemands et de collaborateurs français. Ces procès, très médiatisés, on s’en souvient, ont participé de la mise en commun des vécus individuels, arrachant le vécu concentrationnaire à l’intimité. Les anciens déportés et les orphelins de la Shoah avaient la parole. C’était possible parce qu’elle était collective ; parce qu’elle s’exprimait au sein d’un groupe de semblables. Ils venaient témoigner, tous victimes d’une action politique délibérée, initiée, qui plus est, par les autorités du pays dont ils étaient citoyens. Des collectifs se sont créés. Des historiens, des journalistes ont commencé à s’intéresser aux survivants. Suite au discours de Jacques Chirac, les commissions Drai et Matteoli furent mises en place invitant les survivants, les ayants droit, les orphelins de la Shoah, à établir des dossiers auprès de la CIVS[15]. Avec les sommes restées en déshérence depuis la guerre, la Fondation pour la mémoire de la Shoah [16] fut créée en 2000, destinée à venir en aide aux institutions médico-psychosociales en charge des survivants et à soutenir des projets pédagogiques, éditoriaux, artistiques et mémoriels en rapport avec la Shoah.

15 Parallèlement, la psychologie et la psychiatrie se sont enfin préoccupées de la question des survivants. Mais la part d’histoire reconquise après la déclaration du président de la République s’effilochait dans le domaine de la psychiatrie. Car entre-temps, le syndrome du survivant, devenu depuis la fin des années 1960 l’« état de stress post-traumatique [17] », a pénétré la société au point de constituer de nos jours une notion incontournable dans l’abord des événements traumatiques, qu’ils soient individuels (maltraitance, viol, abus sexuel, accident), sociaux ou politiques (tremblement de terre, écroulement d’immeuble, guerre, génocide, attaque terroriste). À l’examiner attentivement, ce syndrome s’applique à toute personne qui a rencontré sa propre mort – et cela quels que soient son identité, les conditions de sa survie, le lieu de l’événement ou sa cause. Ainsi, la psychiatrie officielle, mondialisée, a-t-elle créé, à partir du paradigme dessiné par les souffrances des survivants de la Shoah, un syndrome qui fait disparaître la singularité du vécu traumatique, le noyant dans une sorte de réaction au choc, quasi automatique, quasi instinctuelle. Aujourd’hui, l’état de stress post-traumatique classe dans une même grande catégorie le survivant de la Shoah et la New-Yorkaise violée dans un parking souterrain, le survivant sri-lankais du tsunami et la survivante de l’attentat du centre commercial de Nairobi, l’enfant battu par un père alcoolique et l’homme à qui l’on vient d’annoncer un cancer du pancréas… Du point de vue psychologique et psychiatrique, tous souffriraient du même mal, tous seraient victimes d’un choc semblable face à un événement imprévu susceptible de les anéantir… Tous donc victimes du destin.

De survivant à victime

16 Or nous constatons que ni les procès contre les bourreaux, ni les reconnaissances publiques, ni les commémorations, ni la prégnance dans le discours médiatique du fameux syndrome du survivant n’eurent d’influence sur les souffrances et les symptômes des traumatisés. Ils ne guérirent jamais. Les survivants ont troqué leur statut d’ignoré anonyme contre celui de victime. Et même quand ils ont témoigné, quand on leur a offert l’occasion de se présenter au public en tant qu’experts du drame extrême qu’ils ont traversé et auquel ils ont survécu, leur être est resté assigné à la position de victime, celle de traumatisé. Ils ont raconté leur épreuve et sont revenus le soir chez eux avec cette même question restée sans réponse : « Pourquoi a-t-on cherché à nous tuer ? » Et cette seconde question, lancinante : « Pourquoi suis-je resté vivant ? Pourquoi moi, alors que tous les autres sont morts ? Pour quelle existence ? »

17 Ces questions demeurent actives des dizaines d’années après, appelant une explication profonde des événements. Quel statut pour celui qui est revenu de la mort ? Comment reconnaître la métamorphose de son identité ? Quelle place lui revient désormais dans la société qu’il a réintégrée ? Alors que nos « psychologies » ne savent répondre, d’autres mondes, ailleurs, autrefois, ont proposé des logiques dont nous pourrions nous inspirer.

Le traumatisme, un passage obligé de l’initiation

18 En effet, il est des univers où les expériences traumatiques ne figent pas l’individu dans une position de victime, bien au contraire ! Des univers où les expériences limites donnent lieu à des métamorphoses abouties permettant au sujet qui les a subies de devenir un autre. On le considère alors plus fort, plus accompli, plus conscient de son être et de sa place au sein de la société qui l’a vu naître. Il s’agit de cultures où l’on organise des rituels d’initiation au cours desquels les personnes sont soumises à des situations violentes, toujours traumatiques, faites de terreur et de souffrance, desquelles elles ne peuvent se soustraire et qui leur font frôler la mort (Houseman, 1986 ; Nathan, 1994). C’est donc bien d’un traumatisme qu’il s’agit, qui par sa logique [18] est semblable à celui des survivants de la Shoah. La différence – et elle est de taille ! – est qu’à l’issue de l’épreuve les traumatisés-initiés sont accueillis par des semblables et intégrés à un groupe. Ils obtiennent sans même la demander la réponse à la question qui torture les survivants. « Pourquoi ? »… Cette réponse, on la trouvait déjà, on ne peut mieux formulée, dans le célèbre aphorisme de Nietzche (1883) : « Pour devenir ce que tu es… » Car, dans les sociétés comportant des initiations, il ne suffit pas de naître d’un père et d’une mère, par exemple d’un père Beti et d’une mère Beti pour devenir un adulte Beti [19]. Il faut encore subir l’épreuve traumatique de l’initiation – cette initiation à laquelle nul ne peut pourtant participer s’il n’est un enfant de Betis. L’initiation est donc bien ici l’épreuve par laquelle un Beti devient ce qu’il est : un Béti. Car il n’est d’autre initiation qu’à soi-même. C’est pourquoi les vécus traumatiques sont pensés comme une seconde naissance. S’il est fallacieux de prétendre que la naissance est un traumatisme, il est certain, en revanche, que tout traumatisme peut être l’occasion d’une nouvelle naissance. Celui qui, sorti vivant de l’expérience extrême, est accueilli dans son groupe comme un être nouveau, y occupera une place nouvelle, sera plus présent, plus créatif, à l’initiative d’actes et de connaissances qui viendront enrichir son groupe social. Là, l’expérience limite à laquelle l’initié a survécu, au lieu de faire de lui une victime, l’aura métamorphosé en un autre, indispensable aux siens. C’est malheureusement ce qui a manqué à la plupart des survivants de la Shoah. Le père de Charles Liché avait-il pressenti qu’on ne sort du traumatisme que par une initiation lorsque, dans le wagon de la mort, il a fait promettre à son fils de devenir rabbin ? Celui d’Israël Meir Lau, en confiant à l’un de ses fils aînés la vie de son dernier-né et la destinée de la lignée rabbinique familiale, avait-il compris que pour vivre et survivre à un traumatisme les individus devaient être inscrits dans un projet d’existence porté par un collectif ?

Bibliographie

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  • FFDJF. 1998. Discours et messages de Jacques Chirac, maire de Paris, Premier ministre et président de la République en hommage aux Juifs de France victimes de la collaboration de l’État français de Vichy avec l’occupant allemand, Paris, Éditions FFDJF.
  • HEMMENDINGER, J. 1984. Les enfants de Buchenwald, Paris, L’Harmattan.
  • HOUSEMAN, M. 1986. « Notes sur quelques propriétés générales de la transformation initiatique », Nouvelle revue d’ethnopsychiatrie, 6, 31-40.
  • KLARSFELD, S. 1978. Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, Éditions FFDJF, 2012.
  • KLARSFELD, S. 2014. « Orphelins de la Shoah et enfants cachés », dans N. Zajde, Qui sont les enfants cachés ? Penser avec les grands témoins, Paris, Odile Jacob, 13-24.
  • LAU, I. M. 2005. Loulek, l’histoire d’un enfant de Buchenwald qui devient grand rabbin d’Israël, Jérusalem Publication.
  • LORIDAN-IVENS, M. 2008. Ma vie balagan, Paris, Robert Laffont.
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  • NATHAN, T. ; Zajde, N. 2012. Psychothérapie démocratique, Paris, Odile Jacob.
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  • NIETZSCHE, F. 1883. Ainsi parlait Zarathoustra.
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Mots-clés éditeurs : survivant, Shoah, métamorphose, stress post-traumatique

Mise en ligne 09/04/2015

https://doi.org/10.3917/nrp.019.0151

Notes

  • [1]
    « Nous étions onze enfants dans tout Czestochowa, et moi – qui fus le plus jeune d’entre eux – je me suis battu pour survivre. Les chefs nazis prenaient un malin plaisir à nous mettre au supplice. Le pire d’entre eux s’appelait Kiesling – un des chefs de la Gestapo. Un jour, alors que nous attendions en rang, il brailla : “Les enfants en avant !” Nous restâmes tous immobiles. Sa voix gronda à nouveau : “Schnell, Schnell !” […] Je me rappelle encore précisément les mots qu’il prononça en allemand et que je ne comprenais pas à l’époque : “Was brauch Ich diese dreckingen dicken Jungen ! Die sind nicht produktiv !” – “Qu’ai-je besoin de ces enfants sales, qui ne sont pas productifs et qu’il faut nourrir !” Les railleries du nazi au revolver, la maïka et les chiens, tout cela me fit comprendre, semble-t-il, que la vie à Czestochowa ne valait pas grand-chose. Et c’est peut-être la raison pour laquelle, moi, l’enfant dont personne n’avait besoin dans ce camp, je pus répondre au nazi » (Lau, 2005, p. 47).
  • [2]
    Cellule d’aide psychologique destinée aux survivants de la Shoah et aux générations suivantes, Centre Georges-Devereux.
  • [3]
    Le Mémorial de la déportation des Juifs de France (1978) recense la liste des soixante-quinze convois de déportation des Juifs de France vers les camps de concentration et d’extermination nazis, avec les nom, prénom, date et lieu de naissance de chacun des 76 000 déportés.
  • [4]
    Plus connu aujourd’hui sous le nom de Mémorial de la Shoah (4e arrondissement de Paris).
  • [5]
    Les « sociétés » d’origine des émigrés juifs d’Europe centrale et orientale sont des associations qui sont aujourd’hui rassemblées pour l’essentiel dans l’association FARBAND. Elles ne réunissent plus que quelques dizaines de membres chacune. Autrefois, avant la Seconde Guerre mondiale, et jusque dans les années 1960, elles étaient très nombreuses, comptant plusieurs milliers de membres qui s’y regroupaient pour assurer les enterrements des émigrés juifs sur le sol français et organiser des « banquets » – occasions de réunion, de levées de fonds et de « shiddour », terme hébreu utilisé en yiddish pour désigner la rencontre organisée entre un jeune homme et une jeune femme en vue d’un mariage arrangé, selon le rite et la tradition. Ces sociétés se distinguaient les unes des autres par leur adhésion aux tendances politiques du moment : elles étaient sionistes ou anti­sionistes, marxistes, sionistes et marxistes, sionistes et antimarxistes, etc. Comme dit le proverbe yiddish : « Deux Juifs, trois associations ».
  • [6]
    Sur environ 70 000 enfants juifs vivant en France en 1939, 60 000 purent être sauvés, alors qu’en Europe centrale 90 % des enfants juifs furent assassinés (Zajde, 2012).
  • [7]
    Hormis les démarches de la Claims, la Conference on Jewish Material Claims Against Germany, organisation créée en 1951 aux États-Unis se donnant pour mission de réclamer et de négocier avec les autorités allemandes (et toute autre organisation officielle impliquée directement) l’obtention, au bénéfice des survivants et de leurs ayants droit, de restitutions et d’indemnisations pour les spoliations subies.
  • [8]
    Comme la plupart des chercheurs aujourd’hui, nous appelons « survivant » toute personne juive ayant vécu dans un pays sous l’autorité des nazis ou de l’un des régimes collaborationnistes, quel qu’ait été son âge, quelles qu’aient été les conditions de sa survie.
  • [9]
    Il s’agit des sentiments intenses de peur, de terreur et d’abandon, des reviviscences de l’événement traumatique, des évitements de stimuli liés à l’événement, de l’émoussement de la réactivité générale, d’une hyperactivité neurovégétative, des rêves traumatiques, des souvenirs récurrents, des périodes sensibles au moment des anniversaires, des états dissociatifs, d’une irritabilité particulière, d’une perte de la capacité de concentration, d’une labilité émotionnelle, d’une réduction de la capacité de modulation des affects, de peurs et de soucis injustifiés et excessifs.
  • [10]
    Cf. le cas du survivant Ka-Tzetnik (Nathan et Zajde, 2012).
  • [11]
    Depuis lors, l’OSE (l’Œuvre de secours aux enfants) et la fondation Casip-Cojasor ont ouvert des consultations. Mais la cellule du centre Georges-Devereux demeure la seule en France à être animée par des spécialistes, des enseignants-chercheurs, dans une institution non communautaire. Rappelons qu’on estime à plus de 60 000 le nombre de survivants en 2014 (l’étude de Della Pergola 2004, Needness among Jewish Shoah Survivors, repris par la Claims conference on Demographic Study on Jewish Nazi Victims living in France, mai 2014) et au moins à 250 000 les membres de familles proches de survivants et de victimes vivant en France.
  • [12]
    Lors de la cérémonie de lecture des noms de Yom Hashoah au Mémorial de la Shoah, à Paris, le 18 avril 2013, Marceline Loridan-Ivens, survivante d’Auschwitz, l’a rappelé dans son discours : « Nous, les déportés, nous sommes à part, nous ne sommes pas comme vous » (Loridan-Ivens, 2008).
  • [13]
    FFDJF : association des Fils et filles des déportés juifs de France créée en 1979 et présidée depuis par Serge et Beate Klarsfeld.
  • [14]
    Ainsi que la poursuite des anciens dignitaires nazis responsables de la persécution des Juifs qui n’avaient pas été jugés.
  • [15]
    CIVS : Commission d’indemnisation des victimes de spoliations. http ://www.civs.gouv.fr/
  • [16]
    http ://www.fondationshoah.org/FMS/index.php
  • [17]
    PTSD en anglais (Post Traumatic Stress Disorder), cf. A. Young, 1995.
  • [18]
    Seulement la logique, il est vrai, et non pas l’intention.
  • [19]
    Pour reprendre les exemples des Beti du Cameroun sur lesquels Michaël Houseman (1986) étaie sa démonstration.
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